Discours 2005-2013 572

AUX PROFESSEURS ET AUX ÉLÈVES DE L'"ALMO COLLEGIO CAPRANICA" Salle Clémentine Samedi 19 janvier 2008





572 Monsieur le Cardinal,
Chers Supérieurs et élèves de l'"Almo Collegio Capranica",

J'ai la joie cette année aussi de vous rencontrer à l'occasion de la fête de sainte Agnès, votre Patronne céleste. Je souhaite à chacun de vous une cordiale bienvenue. Je salue tout d'abord le Cardinal Camillo Ruini et je le remercie des paroles courtoises avec lesquelles il s'est fait l'interprète de vos sentiments. Je salue le Recteur et ceux qui l'assistent dans la direction de la communauté; je vous adresse un salut spécial, chers élèves, ainsi qu'à toutes les personnes présentes, et j'étends ma pensée également aux anciens élèves du Collège Capranica, qui exercent leur ministère au service de l'Eglise et des âmes dans diverses parties du monde.

L'"Almo Collegio", qui s'enorgueillit d'une histoire séculaire et d'une longue tradition de fidélité à l'Eglise et à son Pasteur suprême, après avoir célébré en 2007 le 550 anniversaire de sa fondation, commémorera au mois d'août prochain l'anniversaire de la mort du Cardinal Domenico Capranica (14 août 1458), qui se prodigua intensément pour la naissance du Collegium pauperum scholarium, destiné à la préparation d'hommes bien formés au ministère sacerdotal. A l'approche de cet événement, je rappelle volontiers la figure exemplaire et clairvoyante de ce Cardinal qui, avec force et de manière concrète, sut soutenir l'aspiration aux réformes qui commençaient à se faire sentir également au sein de la réalité romaine et qui, un siècle plus tard, contribuerait à déterminer les orientations et les décisions du Concile de Trente. Il eut le don de percevoir, sans incertitude, que la réforme souhaitée n'aurait pas dû seulement concerner les structures ecclésiastiques, mais principalement la vie et les choix de ceux qui étaient appelés dans l'Eglise à être, à tous les niveaux, des guides et des pasteurs du Peuple de Dieu.

Convaincu de l'importance que revêt la dimension spirituelle dans la formation des futurs ministres de l'autel et dans la mission de l'Eglise, le Cardinal Capranica se prodigua non seulement pour l'institution du Collège, mais il voulut le doter des Constitutions qui réglementent de manière complète les divers aspects de la formation des jeunes élèves. De cette manière, il manifesta son attention à la primauté de la dimension spirituelle et la conscience que la profondeur d'une solide formation sacerdotale et la poursuite continue de celle-ci dépendent, de manière décisive du caractère exhaustif et organique de l'offre éducative. Ces choix acquièrent aujourd'hui une importance encore plus grande, si l'on considère les multiples défis avec lesquels doit se mesurer la mission des prêtres et des évangélisateurs. A ce propos j'ai rappelé, dans plusieurs circonstances aux séminaristes et aux prêtres, l'urgence de cultiver une profonde vie intérieure, un contact personnel et constant avec le Christ dans la prière et dans la contemplation, une aspiration sincère à la sainteté. En effet, sans une amitié véritable avec Jésus il est impossible pour un chrétien, et encore plus pour un prêtre, de mener à bien la mission que le Christ lui confie. Pour le prêtre, celle-ci comporte bien sûr aussi une sérieuse préparation culturelle et théologique, que vous, chers élèves, vous êtes en train d'acquérir au cours de ces années d'étude à Rome.

Je dirais même que c'est précisément de votre séjour dans cette ville que votre itinéraire de formation peut recevoir une impulsion décisive. Les niveaux d'expérience et les contacts que l'on peut vivre ici constituent, en effet, un don providentiel et une stimulation particulière. La présence de la Chaire de Pierre, le travail d'hommes et d'organismes qui aident l'Evêque de Rome à présider dans la charité, une connaissance plus directe de certaines Eglises particulières, spécialement dans le diocèse de Rome, sont des éléments importants pour aider un jeune appelé au sacerdoce à se préparer à son futur ministère. Du reste, vos pasteurs vous ont envoyés dans la ville du Successeur de Pierre avec l'espérance que vous rentriez ensuite enrichis par un esprit spécifiquement catholique, avec une sensibilité ecclésiale plus complète et d'envergure universelle. L'expérience même de la vie commune au "Collegio Capranica", entre élèves provenant de diverses régions d'Italie et de pays du monde entier, permet à chacun de vous, chers amis, de bien connaître ce mélange de cultures et de mentalités qui est typique de la vie actuelle. En outre, la présence d'élèves appartenant à l'Eglise orthodoxe de Russie donne une impulsion supplémentaire au dialogue et à la fraternité et nourrit l'espérance oecuménique.

Chers élèves, profitez au maximum des possibilités que la Providence vous offre au cours de ces années de séjour romain. Cultivez en particulier une profonde relation avec l'Agneau immaculé, en imitant sainte Agnès qui le suivit fidèlement jusqu'au sacrifice de sa vie. Grâce à l'intercession de cette sainte Vierge et Martyre, et surtout au recours constant à la protection maternelle de Marie Virgo Sapiens, que le Seigneur vous aide à vous préparer avec un soin constant à votre futur ministère. Alors que je vous remercie encore une fois de votre visite, je vous donne, ainsi qu'à ceux qui vous sont chers, une Bénédiction apostolique spéciale.

AUX PARTICIPANTS À LA VI RÉUNION DU CONSEIL ORDINAIRE

DU SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DU SYNODE DES ÉVÊQUES Lundi 21 janvier 2008



Chers et vénérés frères dans l'épiscopat!

Je suis heureux de vous accueillir alors que vous participez à la réunion du Conseil ordinaire du Secrétariat général du Synode des Evêques, en préparation à l'Assemblée générale du Synode des Evêques, convoquée du 5 au 26 octobre prochain. Je salue et je remercie Mgr Nikola Eterovic, Secrétaire général, de ses aimables paroles et j'exprime aussi ma reconnaissance à tous les membres du Secrétariat général du Synode et du Conseil ordinaire du Secrétariat général. Je vous salue tous et chacun d'entre vous avec une affection sincère.

Dans la récente Lettre encyclique Spe salvi sur l'espérance chrétienne, j'ai voulu souligner la "réalité communautaire de l'espérance" (n. 14). "Le fait d'être en communion avec Jésus Christ - ai-je écrit - nous implique dans son être "pour tous", il en fait notre façon d'être. Il nous engage pour les autres, mais c'est seulement dans la communion avec Lui qu'il nous devient possible d'être vraiment pour les autres", car "l'amour de Dieu se révèle dans la responsabilité envers autrui" (ibid., n. 28), qui permet de ne pas retomber dans l'individualisme du salut et de l'espérance. Je crois qu'il est possible de découvrir ce principe fécond appliqué de manière efficace précisément au coeur de l'expérience synodale, où la rencontre devient communion et où la sollicitude pour toutes les Eglises (cf. 2Co 11,28) apparaît dans la préoccupation de tous.

573 La prochaine Assemblée générale du Synode des Evêques réfléchira sur "La Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l'Eglise". Les grandes tâches de la Communauté ecclésiale dans le monde contemporain - je souligne parmi celles-ci l'évangélisation et l'oecuménisme - sont axées sur la Parole de Dieu et, dans le même temps, sont justifiées et soutenues par elle. De même que l'activité missionnaire de l'Eglise et son oeuvre évangélisatrice trouve son inspiration et son but dans la révélation miséricordieuse du Seigneur, le dialogue oecuménique ne peut pas se fonder sur des paroles de sagesse humaine (f. 1Co 2,13) ou sur d'ingénieuses manoeuvres stratégiques, mais doit être animé uniquement par la référence constante à la Parole originelle, que Dieu a remis à son Eglise, pour qu'elle soit lue, interprétée et vécue dans sa communion. Dans ce domaine, la doctrine de saint Paul révèle une force tout à fait particulière, fondée bien évidemment sur la révélation divine, mais également sur l'expérience apostolique elle-même, qui lui a confirmé toujours à nouveau la conscience que ce n'est pas la sagesse et l'éloquence humaine, mais la force de l'Esprit Saint seule qui construit l'Eglise dans la foi (cf. 1Co 22-24 1Co 2, 4sq).

Par une heureuse coïncidence, saint Paul sera particulièrement vénéré cette année, grâce aux célébrations de l'Année paulinienne. Le déroulement du prochain Synode sur la Parole de Dieu offrira donc également à la contemplation de l'Eglise, et principalement de ses pasteurs, le témoignage de ce grand Apôtre et héraut de la Parole de Dieu. Jusqu'à sa mort, Paul resta fidèle au Seigneur, qu'il persécuta tout d'abord et auquel il consacra ensuite tout son être: que son exemple puisse être un encouragement pour tous à accueillir la Parole de salut et à la traduire dans la vie quotidienne en une fidèle imitation du Christ. Plusieurs organismes ecclésiaux consultés en vue de l'Assemblée d'octobre prochain ont consacré leur attention à la Parole de Dieu. C'est vers elle que les Pères synodaux tourneront leur coeur après avoir pris connaissance des documents préparatoires, les Lineamenta, et l'Instrumentum laboris, que vous avez vous-mêmes contribué à rédiger au Secrétariat général du Synode. Ils auront ainsi l'opportunité de se confronter entre eux, mais surtout de s'unir en union collégiale pour se mettre à l'écoute de la Parole de vie, que Dieu a confiée aux soins pleins d'amour de son Eglise, pour qu'elle l'annonce avec courage et conviction, avec la parousie des Apôtres, à ceux qui sont proches et lointains. En effet, la possibilité doit être donnée à tous de rencontrer, par la grâce de l'Esprit Saint, la Parole vivante qu'est Jésus Christ.

Chers et vénérés frères, comme membres du Conseil ordinaire du Secrétariat général du Synode des Evêques, vous rendez un service digne d'éloges à l'Eglise, car l'organisme synodal constitue une institution qualifiée pour promouvoir la vérité et l'unité du dialogue pastoral au sein du Corps mystique du Christ. Je vous remercie de ce que vous accomplissez non sans sacrifices: que Dieu vous récompense! Continuons à prier ensemble pour que le Seigneur rende l'Assemblée synodale fructueuse pour toute l'Eglise. Avec ces voeux, je vous donne de tout coeur une Bénédiction apostolique spéciale, ainsi qu'aux communautés confiées à vos soins pastoraux, en invoquant l'intercession de la Très Sainte Mère du Seigneur et des saints Apôtres Pierre et Paul, que nous appelons dans la Liturgie, avec les autres Apôtres, "colonne et fondement de la ville de Dieu".


AU GROUPE MIXTE DE TRAVAIL ENTRE L'ÉGLISE CATHOLIQUE ET LE CONSEIL OECUMÉNIQUE DES ÉGLISES Salle des Papes Vendredi 25 janvier 2008



Chers amis,

Je suis heureux de vous accueillir, chers membres du Groupe mixte de travail entre l'Eglise catholique et le Conseil oecuménique des Eglises au moment où vous vous réunissez à Rome pour commencer une nouvelle phase de votre travail. Votre réunion prend place dans cette ville où les Apôtres Pierre et Paul apportèrent le suprême témoignage du Christ et répandirent leur sang en son nom. Je vous salue chaleureusement avec les paroles que Paul lui-même adressa aux premiers chrétiens de Rome: "A vous grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus Christ" (Rm 1,7).

Le Conseil oecuménique des Eglises et l'Eglise catholique ont instauré une relation oecuménique féconde qui remonte à l'époque du Concile Vatican II. Le Groupe mixte de travail, qui naquit en 1965, a travaillé assidûment à renforcer le "dialogue de la vie" que mon Prédécesseur, le Pape Jean-Paul II, a appelé le "dialogue de la charité" (Ut unum sint UUS 17).

Cette coopération a exprimé toute la vivacité de la communion qui existe déjà entre les chrétiens et permis de servir la cause du dialogue et de la compréhension oecuménique.

Le centenaire de la Semaine de prière pour l'unité des chrétiens nous donne l'occasion de rendre grâce à Dieu tout-puissant pour les fruits du mouvement oecuménique, dans lequel on peut discerner la présence de l'Esprit Saint qui promeut la croissance des disciples du Christ dans l'unité de la foi, de l'espérance et de la charité. Prier pour l'unité est en soi "un moyen efficace de demander la grâce de l'unité" (Unitatis redintegratio UR 8), car cela signifie participer à la prière de Jésus lui-même. Lorsque l'on prie ensemble entre chrétiens "le but de l'unité paraît plus proche" (Ut unum sint UUS 22), car la présence de Dieu parmi nous (cf. Mt 18,20) favorise une harmonie profonde entre le coeur et l'esprit: nous sommes en mesure de nous regarder les uns les autres d'une manière nouvelle et de renforcer notre intention de surmonter tout ce qui pourrait nous diviser.

Aujourd'hui, nous repensons par conséquent avec gratitude à l'oeuvre de tant d'individus qui, au cours des années, ont essayé d'élargir la pratique de l'oecuménisme spirituel à travers la prière commune, la conversion du coeur et la croissance dans la communion. Nous rendons grâce également pour les dialogues oecuméniques qui ont apporté des fruits abondants au siècle dernier. La réception de ces fruits est en soi un pas important dans le processus de promotion de l'unité des chrétiens et le Groupe mixte de travail est particulièrement adapté pour étudier et encourager ce processus.

574 Chers amis, je prie pour que le Groupe mixte de travail parvienne à construire sur la base de l'oeuvre louable accomplie jusqu'à présent et à ouvrir la voie à une coopération toujours plus grande pour que la prière du Seigneur "afin que tous soient un" (Jn 17,21) se réalise toujours davantage dans notre temps.

Avec ces sentiments et avec une profonde gratitude pour votre important travail au service du mouvement oecuménique, j'invoque de tout coeur sur vous et sur vos réflexions les abondantes Bénédictions de Dieu.


AUX PARTICIPANTS AU CONGRÈS D'ÉTUDE POUR LE 25 ANNIVERSAIRE DE LA PROMULGATION DU CODE DE DROIT CANONIQUE Salle des Bénédictions Vendredi 25 janvier 2008



Messieurs les Cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Eminents professeurs, praticiens et spécialistes du Droit canonique!

C'est avec un grand plaisir que je prends part à ces derniers moments du Congrès d'études organisé par le Conseil pontifical pour les Textes législatifs à l'occasion du XXV anniversaire de la promulgation du Code de Droit canonique. Vous avez réfléchi sur le thème: "La loi canonique dans la vie de l'Eglise. Enquête et perspectives, sous le signe du récent Magistère pontifical". Je salue cordialement chacun de vous, en particulier le Président du Conseil pontifical, Mgr Francesco Coccopalmerio, que je remercie des paroles courtoises qu'il m'a adressées en votre nom à tous et de ses réflexions sur le Code et sur le droit dans l'Eglise. Mes remerciements s'étendent également à l'ensemble du Conseil pontifical, avec ses membres et ses consulteurs, pour la précieuse collaboration offerte au Pape dans le domaine juridique et canonique: le dicastère veille en effet sur le caractère exhaustif et la mise à jour de la législation de l'Eglise et il en assure la cohérence. Je tiens à rappeler, avec un vif plaisir et beaucoup de gratitude à l'égard du Seigneur, que j'ai moi aussi contribué à la rédaction du Code, ayant été nommé par le Serviteur de Dieu Jean-Paul II, lorsque j'étais Archevêque métropolitain de Munich et Freising, membre de la Commission pour la Révision du Code de Droit canonique, à la promulgation de laquelle je fus également présent le 26 janvier 1983.

Le Congrès qui a été célébré en cet anniversaire significatif aborde un thème de grand intérêt, parce qu'il met en évidence le lien étroit qui existe entre la loi canonique et la vie de l'Eglise selon la volonté de Jésus Christ. Je tiens, par conséquent, à réaffirmer en cette occasion un concept fondamental qui structure le droit canonique. Le ius ecclesiae n'est pas seulement un ensemble de normes établies par le Législateur ecclésial pour ce peuple particulier qu'est l'Eglise du Christ. Il est, en premier lieu, la déclaration faisant autorité, de la part du Législateur ecclésial, des devoirs et des droits qui sont fondés dans les sacrements et sont donc nés de l'institution du Christ lui-même. Cet ensemble de réalités juridiques, indiqué par le Code, compose une admirable mosaïque dans laquelle sont représentés les visages de tous les fidèles, laïcs et pasteurs, et de toutes les communautés, de l'Eglise universelle jusqu'aux Eglises particulières. Je suis heureux de rappeler ici l'expression véritablement incisive du bienheureux Antonio Rosmini: "La personne humaine est l'essence du droit" (Rosmini A., Philosophie du droit, I partie, livre 1, chap. 3). Ce que ce grand philosophe affirmait, avec beaucoup d'intuition, à propos du droit humain, nous devons le réaffirmer à plus forte raison à propos du droit canonique: l'essence du droit canonique est la personne du chrétien dans l'Eglise.

Le Code de Droit canonique contient ensuite les normes établies par le Législateur ecclésial pour le bien de la personne et des communautés de l'ensemble du Corps mystique qu'est la Sainte Eglise. Comme a pu le dire mon bien-aimé prédécesseur Jean-Paul II en promulguant le Code de Droit canonique le 25 janvier 1983, l'Eglise est constituée comme un groupe social et visible; en tant que telle " elle a besoin de normes: soit pour que sa structure hiérarchique et organique soit visible; soit pour que l'exercice des fonctions que Dieu lui a confiées, en particulier celle du pouvoir divin et de l'administration des sacrements puisse être convenablement organisée; soit pour que les relations des fidèles entre eux puissent être réglées selon une justice basée sur la charité, les droits des individus étant garantis et bien définis; soit enfin pour que les initiatives communes visant à une vie chrétienne de plus en plus parfaite soient soutenues, renforcées, encouragées par les normes canoniques" (Const. ap. Sacrae disciplinae leges, in Communicationes, XV [1983], 8-9). De cette manière, l'Eglise reconnaît à ses lois la nature et la fonction instrumentale et pastorale pour poursuivre son propre objectif, qui est - comme l'on sait - de parvenir à la "salus animarum". "Le Droit canonique se relève ainsi être lié à l'essence même de l'Eglise; il fait corps avec elle pour le juste exercice du munus pastoral" (Jean-Paul II, Aux participants au Congrès international pour le X anniversaire de la promulgation du Code de Droit canonique [23 avril 1993], in Communicationes, XXV, [1993], 15).

Pour que la loi canonique puisse rendre ce précieux service elle doit, avant tout, être une loi bien structurée. C'est-à-dire qu'elle doit être liée, d'un côté, à ce fondement théologique qui lui fournit son caractère raisonnable et qui est le titre essentiel de la légitimité ecclésiale; d'un autre côté, elle doit adhérer aux circonstances changeantes de la réalité historique du Peuple de Dieu. En outre, elle doit être formulée de manière claire, sans ambiguïté, et toujours en harmonie avec les autres lois de l'Eglise. Il est donc nécessaire d'abroger les normes qui apparaissent dépassées; modifier celles qui nécessitent d'être corrigées; interpréter - à la lumière du Magistère vivant de l'Eglise - celles qui sont ambiguës et enfin, combler les éventuelles lacunae legis. "Il faut - comme le disait le Pape Jean-Paul II à la Rote romaine - avoir bien présentes à l'esprit et appliquer les nombreuses manifestations de cette souplesse qui, précisément pour des raisons pastorales, a toujours distingué le droit canonique" (Communicationes XXII, [1990], 5). Il vous revient, au sein du Conseil pontifical pour les Textes législatifs, de veiller à ce que l'activité des diverses instances appelées dans l'Eglise à dicter des normes pour les fidèles puissent toujours refléter dans leur ensemble l'unité et la communion qui sont propres à l'Eglise.

575 Puisque le Droit canonique trace la règle nécessaire afin que le Peuple de Dieu puisse se diriger de manière concrète vers son objectif, on comprend l'importance que ce droit soit aimé et observé par tous les fidèles. La loi de l'Eglise est, avant tout, lex libertatis, une loi qui nous rend libres d'adhérer à Jésus. C'est pourquoi, il faut savoir présenter au Peuple de Dieu, aux nouvelles générations, et à tous ceux qui sont appelés à faire respecter la loi canonique, le lien concret qu'elle entretient avec la vie de l'Eglise, pour protéger les délicats intérêts des choses de Dieu, et pour protéger les droits des plus faibles, de ceux qui n'ont pas d'autres forces pour se faire valoir, mais aussi pour défendre ces "biens" délicats que tout fidèle a reçu gratuitement - avant tout le don de la foi, de la grâce de Dieu - qui dans l'Eglise ne peuvent pas demeurer sans protection adéquate de la part du Droit.

Dans le cadre complexe présenté ci-dessus, le Conseil pontifical pour les Textes législatifs est appelé à venir en aide au Pontife Romain, Législateur souverain, dans sa tâche de premier promoteur, garant et interprète du droit dans l'Eglise. Dans l'accomplissement de cette mission importante qui est la vôtre, vous pouvez compter, non seulement sur la confiance, mais aussi sur la prière du Pape, qui accompagne votre travail de son affectueuse Bénédiction.


AU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE À L'OCCASION DE L’INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE Salle Clémentine Samedi 26 janvier 2008





Très chers Prélats auditeurs,
Chers collaborateurs du Tribunal de la Rote romaine!

L'anniversaire du premier centenaire du rétablissement du Tribunal apostolique de la Rote romaine, décidé par saint Pie X en 1908 à travers la Constitution apostolique Sapienti consilio, vient d'être rappelé par les paroles cordiales de votre Doyen, Mgr Antoni Stankiewicz. Cette circonstance rend encore plus vifs les sentiments d'appréciation et de gratitude avec lesquels je vous rencontre déjà pour la troisième fois. J'adresse mon salut cordial à tous et à chacun de vous. En vous, chers Prélats auditeurs, et également chez tous ceux qui participent de différentes manières à l'activité de ce Tribunal, je vois la personnification d'une institution du Siège apostolique dont l'enracinement dans la tradition canonique se révèle une source de vitalité constante. C'est à vous que revient la tâche de conserver cette tradition vivante, avec la conviction de rendre ainsi un service toujours actuel à l'administration de la justice dans l'Eglise.

Ce centenaire est une occasion propice pour réfléchir sur un aspect fondamental de l'activité de la Rote, c'est-à-dire sur la valeur de la jurisprudence de la Rote dans l'ensemble de l'administration de la justice dans l'Eglise. C'est un aspect qui est mis en évidence par la description que la Constitution apostolique Pastor bonus fait de la Rote: "Ce Tribunal fonctionne ordinairement comme instance supérieure d'appel auprès du Siège apostolique pour protéger les droits dans l'Eglise; il veille à l'unité de la jurisprudence et par ses sentences, il aide les tribunaux de grade inférieur" (art. 126). Dans leurs discours annuels, mes bien-aimés prédécesseurs parlèrent souvent avec satisfaction et confiance de la jurisprudence de la Rote romaine, aussi bien de manière générale qu'en référence à des thèmes concrets, en particulier matrimoniaux.

S'il est juste de devoir rappeler le ministère de justice accompli par la Rote au cours de son existence pluriséculaire, et en particulier au cours des cent dernières années, il apparaît également opportun, en cet anniversaire, de chercher à approfondir le sens de ce service, dont les volumes annuels rassemblant les décisions sont une manifestation et sont, dans le même temps, un instrument pratique. Nous pouvons en particulier nous demander pourquoi les sentences de la Rote possèdent une importance juridique qui dépasse le cadre direct des causes au sujet desquelles elles sont prononcées. En dehors de la valeur formelle que chaque organisation juridique peut attribuer aux précédents judiciaires, il ne fait aucun doute que les décisions particulières concernent d'une certaine manière la société tout entière. En effet, celles-ci déterminent ce que tous peuvent attendre des tribunaux, ce qui influence certainement le cours de la vie sociale. N'importe quel système judiciaire doit chercher à offrir des solutions dans lesquelles, en même temps que l'évaluation prudente des cas dans leur singularité concrète, soient appliquées les mêmes principes et les mêmes normes générales de justice. Ce n'est que de cette façon que se crée un climat de confiance dans l'action des tribunaux et que l'on évite le caractère arbitraire des critères subjectifs. En outre, au sein de toute organisation judiciaire il existe une hiérarchie entre les divers tribunaux, de façon à ce que la possibilité même de recourir aux tribunaux supérieurs constitue en soi un instrument d'unification du droit.

Les considérations qui viennent d'être présentées sont également parfaitement applicables aux tribunaux ecclésiastiques. Etant donné que les procès canoniques concernent les aspects juridiques des biens salvifiques ou d'autres biens temporels qui servent à la mission de l'Eglise, le besoin d'unité dans les critères essentiels de justice et la nécessité de pouvoir prévoir raisonnablement le sens des décisions judiciaires, deviennent même un bien ecclésial public d'une importance particulière pour la vie interne du Peuple de Dieu et pour son témoignage institutionnel dans le monde. Outre la valeur intrinsèquement raisonnable inhérente à l'oeuvre d'un Tribunal qui prend généralement des décisions en dernière instance dans les procès, il est clair que la valeur de la jurisprudence de la Rote romaine dépend de sa nature d'instance supérieure dans le degré d'appel auprès du Siège apostolique. Les dispositions juridiques qui reconnaissent cette valeur (cf. can.19 du Code de Droit canonique; Const ap. Pastor bonus, art. 126), ne créent pas, mais déclarent cette valeur. Elle provient en définitive de la nécessité d'administrer la justice selon des paramètres égaux dans tout ce qui est, précisément, en soi essentiellement égal.

En conséquence, la valeur de la jurisprudence de la Rote n'est pas une question de fait d'ordre sociologique, mais elle est de caractère proprement juridique, dans la mesure où elle se place au service de l'essence de la justice. C'est pourquoi il serait inopportun de constater une opposition entre la jurisprudence de la Rote et les décisions des tribunaux locaux, qui sont appelés à accomplir une fonction indispensable, en rendant immédiatement accessible l'administration de la justice, et en pouvant enquêter et résoudre les cas dans leur singularité parfois liée à la culture et à la mentalité des peuples. Toutefois, toutes les sentences doivent toujours être fondées sur les principes et sur les normes communes de la justice. Ce besoin, commun à toute organisation juridique, revêt dans l'Eglise une importance particulière, dans la mesure où sont en jeu les exigences de la communion, qui implique la protection de ce qui est commun à l'Eglise universelle, confiée de manière particulière à l'Autorité suprême et aux organes qui ad normam iuris participent à sa sainte autorité.

576 Dans le domaine matrimonial, la jurisprudence de la Rote a accompli un travail très important au cours de ces cent dernières années. Elle a en particulier apporté des contributions très significatives qui ont débouché sur la codification en vigueur. Après cela, on ne peut pas penser que l'importance de l'interprétation du droit faisant jurisprudence de la part de la Rote ait diminué. En effet, l'application de la loi canonique actuelle exige précisément que l'on en saisisse le véritable sens de justice, avant tout lié à l'essence même du mariage. La Rote romaine est sans cesse appelée à une tâche ardue, qui influence beaucoup le travail de tous les tribunaux: celle de saisir l'existence ou non de la réalité matrimoniale, qui est intrinsèquement anthropologique, théologique et juridique. Pour mieux comprendre le rôle de la jurisprudence, je voudrais insister sur ce que je vous ai dit l'année dernière à propos de la dimension intrinsèquement juridique du mariage (cf. Discours du 27 janvier 2007, in AAS 99 [2007], PP 86-91). Le droit ne peut pas être réduit à un simple ensemble de règles positives que les tribunaux sont appelés à appliquer. L'unique façon de fonder solidement l'oeuvre de la jurisprudence consiste à la concevoir comme un véritable exercice de la prudentia iuris, d'une prudence qui est tout le contraire de l'arbitraire et du relativisme, car elle permet de lire dans les événements la présence ou l'absence du rapport spécifique de justice qu'est le mariage, dans toute sa réalité humaine et salvifique. Ce n'est que de cette manière que les maximes de la jurisprudence acquièrent leur véritable valeur, et ne deviennent pas un recueil de règles abstraites et répétitives, exposées au risque d'interprétations subjectives et arbitraires.

C'est pourquoi l'évaluation objective des faits, à la lumière du Magistère et du droit de l'Eglise, constitue un aspect très important de l'activité de la Rote romaine, et influence beaucoup l'oeuvre des ministres de justice des tribunaux des Eglises locales. La jurisprudence de la Rote doit être vue comme une oeuvre exemplaire de sagesse juridique, menée sous l'autorité du Tribunal constitué de manière stable par le Successeur de Pierre pour le bien de toute l'Eglise. Grâce à cette oeuvre, la réalité concrète dans les causes de nullité matrimoniale est objectivement jugée à la lumière des critères qui réaffirment constamment la réalité du mariage indissoluble, ouverte à chaque homme et à chaque femme selon le dessein de Dieu Créateur et Sauveur. Cela demande un effort constant pour atteindre cette unité de critères de justice qui caractérise de manière essentielle la notion même de jurisprudence et qui est le présupposé fondamental de son action pratique. Dans l'Eglise, précisément en raison de son universalité et de la diversité des cultures juridiques dans lesquelles elle est appelée à oeuvrer, existe toujours le risque que se forment, sensim sine sensu, "des jurisprudences locales" toujours plus distantes de l'interprétation commune des lois positives et même de la doctrine de l'Eglise sur le mariage. Je souhaite que soient étudiés les moyens opportuns pour rendre la jurisprudence de la Rote toujours plus réellement unitaire et effectivement accessible à tous les agents de la justice, de manière à trouver une application uniforme dans tous les tribunaux de l'Eglise.

C'est dans cette optique réaliste que doit aussi être comprise la valeur des interventions du Magistère ecclésiastique sur les questions juridiques matrimoniales, y compris les discours du Pontife Romain à la Rote romaine. Ils constituent une orientation directe pour l'oeuvre de tous les tribunaux de l'Eglise, dans la mesure où ils enseignent de manière faisant autorité ce qui est essentiel à propos de la réalité du mariage. Mon vénéré prédécesseur Jean-Paul II, dans son dernier discours à la Rote, mit en garde contre la mentalité positiviste dans la compréhension du droit, qui tend à séparer les lois et les orientations de la jurisprudence de la doctrine de l'Eglise. Il affirma: "En réalité, l'interprétation authentique de la Parole de Dieu, accomplie par le magistère de l'Eglise possède une valeur juridique dans la mesure où elle concerne le domaine du droit, sans avoir besoin d'aucun autre passage formel supplémentaire pour devenir juridiquement et moralement contraignante. Pour une saine herméneutique juridique, il est ensuite indispensable de saisir l'ensemble des enseignements de l'Eglise, en plaçant de façon organique chaque affirmation dans le cadre de la tradition. De cette façon, on pourra échapper aussi bien à des interprétations sélectives et déviantes qu'à des critiques stériles de certains passages" (AAS 97 [2005], p. 166, n. 6).

Le présent centenaire est destiné à aller au-delà d'une commémoration formelle. Il devient l'occasion d'une réflexion qui doit fortifier votre engagement en le vivifiant par un sens ecclésial de la justice toujours plus profond, qui est un véritable service à la communion salvifique. Je vous encourage à prier quotidiennement pour la Rote romaine et pour tous ceux qui oeuvrent dans le domaine de l'administration de la justice dans l'Eglise, en ayant recours à l'intercession maternelle de la Très Sainte Vierge Marie, Speculum iustitiae. Cette invitation pourrait sembler purement pieuse et étrangère à votre ministère: en revanche, nous ne devons pas oublier que dans l'Eglise tout s'accomplit à travers la force de la prière, qui transforme toute notre existence et nous remplit de l'espérance que Jésus nous apporte. Cette prière, inséparable de l'engagement quotidien, sérieux et compétent, apportera lumière et force, fidélité et renouveau authentique dans la vie de cette vénérable Institution, à travers laquelle, ad normam iuris, l'Evêque de Rome exerce sa sollicitude primatiale pour l'administration de la justice au sein du Peuple de Dieu tout entier. C'est pourquoi ma Bénédiction d'aujourd'hui, pleine d'affection et de gratitude, veut embrasser aussi bien vous tous qui êtes ici présents, que ceux qui servent l'Eglise et les fidèles dans ce domaine dans le monde entier.



Discours 2005-2013 572