Discours 2005-2013 576

AUX PARTICIPANTS AU COLLOQUE INTER-ACADÉMIQUE PROMU PAR L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE PARIS ET L'ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIENCES SOCIALES Salles des Papes, lundi 28 janvier 2008





Messieurs les Chanceliers,
Excellences,
Chers Amis Académiciens,
Mesdames et Messieurs,

C’est avec plaisir que je vous accueille au terme de votre Colloque qui s’achève ici à Rome, après s’être déroulé à l’Institut de France, à Paris, et qui fut consacré au thème «L’identité changeante de l’individu». Je remercie tout d’abord le Prince Gabriel de Broglie pour les paroles d’hommage par lesquelles il a voulu introduire notre rencontre. Je voudrais également saluer les membres de toutes les institutions sous l’égide desquelles ce Colloque a été organisé : l’Académie pontificale des Sciences et l’Académie pontificale des Sciences sociales, l’Académie des Sciences morales et politiques, l’Académie des Sciences, l’Institut Catholique de Paris. Je me réjouis que, pour la première fois, une collaboration inter-académique de cette nature ait pu s’instaurer, ouvrant la voie à de larges recherches pluridisciplinaires toujours plus fécondes.

Alors que les sciences exactes, naturelles et humaines sont parvenues à de prodigieuses avancées sur la connaissance de l’homme et de son univers, la tentation est grande de vouloir circonscrire totalement l’identité de l’être humain et de l’enfermer dans le savoir que l’on peut en avoir. Pour ne pas s’engager sur une telle voie, il importe de faire droit à la recherche anthropologique, philosophique et théologique, qui permet de faire apparaître et de maintenir en l’homme son mystère propre, car aucune science ne peut dire qui est l’homme, d’où il vient et où il va. La science de l’homme devient donc la plus nécessaire de toutes les sciences. C’est ce qu’exprimait Jean-Paul II dans l’encyclique Fides et ratio: «Un grand défi qui se présente à nous est celui de savoir accomplir le passage, aussi nécessaire qu’urgent, du phénomène au fondement. Il n’est pas possible de s’arrêter à la seule expérience; même quand celle-ci exprime et rend manifeste l’intériorité de l’homme et sa spiritualité, il faut que la réflexion spéculative atteigne la substance spirituelle et le fondement sur lesquels elle repose» (n. 83). L’homme est toujours au-delà de ce que l’on en voit ou de ce que l’on en perçoit par l’expérience. Négliger le questionnement sur l’être de l’homme conduit inévitablement à refuser de rechercher la vérité objective sur l’être dans son intégralité et, de ce fait, à ne plus être capable de reconnaître le fondement sur lequel repose la dignité de l’homme, de tout homme, depuis la période embryonnaire jusqu’à sa mort naturelle.

577 Au cours de votre colloque, vous avez fait l’expérience que les sciences, la philosophie et la théologie peuvent s’aider pour percevoir l’identité de l’homme, qui est toujours en devenir. À partir d’une interrogation sur le nouvel être issu de la fusion cellulaire, qui est porteur d’un patrimoine génétique nouveau et spécifique, vous avez fait apparaître des éléments essentiels du mystère de l’homme, marqué par l’altérité : être créé par Dieu, être à l’image de Dieu, être aimé fait pour aimer. En tant qu’être humain, il n’est jamais clos sur lui-même ; il est toujours porteur d’altérité et il se trouve dès son origine en interaction avec d’autres êtres humains, comme nous le révèlent de plus en plus les sciences humaines. Comment ne pas évoquer ici la merveilleuse méditation du psalmiste sur l’être humain tissé dans le secret du ventre de sa mère et en même temps connu, dans son identité et dans son mystère, de Dieu seul, qui l’aime et le protège (cf. Ps Ps 138 [139], 1-16).

L’homme n’est pas le fruit du hasard, ni d’un faisceau de convergences, ni de déterminismes, ni d’interactions physico-chimiques; il est un être jouissant d’une liberté qui, tout en prenant en compte sa nature, transcende cette dernière et qui est le signe du mystère d’altérité qui l’habite. C’est dans cette perspective que le grand penseur Pascal disait que «l’homme passe infiniment l’homme». Cette liberté, qui est le propre de l’être-homme, fait que ce dernier peut orienter sa vie vers une fin, qu’il peut, par les actes qu’il pose, se diriger vers le bonheur auquel il est appelé pour l’éternité. Cette liberté fait apparaître que l’existence de l’homme a un sens. Dans l’exercice de son authentique liberté, la personne réalise sa vocation; elle s’accomplit; elle donne forme à son identité profonde. C’est aussi dans la mise en oeuvre de sa liberté qu’elle exerce sa responsabilité propre sur ses actes. En ce sens, la dignité particulière de l’être humain est à la fois un don de Dieu et la promesse d’un avenir.

L’homme porte en lui une capacité spécifique: discerner ce qui est bon et bien. Mise en lui par le Créateur comme un sceau, la syndérèse le pousse à faire le bien. Mû par elle, l’homme est appelé à développer sa conscience par la formation et par l’exercice, pour se diriger librement dans l’existence, en se fondant sur les lois essentielles que sont la loi naturelle et la loi morale. À notre époque où le développement des sciences attire et séduit par les possibilités offertes, il importe plus que jamais d’éduquer les consciences de nos contemporains, pour que la science ne devienne pas le critère du bien, et que l’homme soit respecté comme le centre de la création et qu’il ne soit pas l’objet de manipulations idéologiques, ni de décisions arbitraires ni non plus d’abus des plus forts sur les plus faibles. Autant de dangers dont nous avons pu connaître les manifestations au cours de l’histoire humaine, et en particulier au cours du vingtième siècle.

Toute démarche scientifique doit aussi être une démarche d’amour, appelée à se mettre au service de l’homme et de l’humanité, et à apporter sa contribution à la construction de l’identité des personnes. En effet, comme je le soulignais dans l’encyclique Deus caritas est, «l’amour comprend la totalité de l’existence dans toutes ses dimensions, y compris celle du temps… L’amour est ‘extase’», c’est-à-dire, «chemin, exode permanent allant du je enfermé sur lui-même vers sa libération dans le don de soi, et précisément vers la découverte de soi-même» (n. 6). L’amour fait sortir de soi pour découvrir et reconnaître l’autre; en ouvrant à l’altérité, il affermit aussi l’identité du sujet, car l’autre me révèle à moi-même. Tout au long de la Bible, c’est l’expérience qui, à partir d’Abraham, a été faite par de nombreux croyants. Le modèle par excellence de l’amour est le Christ. C’est dans l’acte de donner sa vie pour ses frères, de se donner totalement, que se manifeste son identité profonde et que nous avons la clé de lecture du mystère insondable de son être et de sa mission.

Confiant vos recherches à l’intercession de saint Thomas d’Aquin, que l’Église honore en ce jour et qui demeure un «authentique modèle pour ceux qui recherchent la vérité» (Fides et ratio FR 78), je vous assure de ma prière pour vous, pour vos familles et pour vos collaborateurs, et j’accorde à tous avec affection la Bénédiction apostolique.


AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE LA CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI Salle Clémentine Jeudi 31 janvier 2008

Messieurs les Cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat et le sacerdoce,
très chers et fidèles collaborateurs!

C'est pour moi un motif de grande joie de vous rencontrer à l'occasion de votre Session plénière. Je peux ainsi vous exprimer les sentiments de profonde reconnaissance et d'appréciation cordiale que j'éprouve pour le travail que votre dicastère accomplit au service du ministère d'unité, confié de manière particulière au Pontife Romain. C'est un ministère qui s'exprime principalement en fonction de l'unité de foi, qui repose sur le "dépôt sacré", dont le Successeur de Pierre est le premier gardien et défenseur (cf. Const. apos. Pastor Bonus ). Je remercie le Cardinal William Levada des sentiments qu'il a exprimés au nom de tous dans son hommage et du rappel des thèmes qui ont été l'objet de plusieurs Documents de votre Congrégation au cours de ces dernières années, ainsi que des thématiques qui sont encore actuellement examinées par votre dicastère.

578 En particulier, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a publié l'année dernière deux Documents importants qui ont offert plusieurs précisions doctrinales sur des aspects essentiels de la doctrine sur l'Eglise et sur l'Evangélisation. Ce sont des précisions nécessaires pour le déroulement correct du dialogue oecuménique et du dialogue avec les religions et les cultures du monde. Le premier Document s'intitule "Réponses à des questions concernant certains aspects à propos de la doctrine de l'Eglise" et il repropose également dans les formulations et dans le langage l'enseignement du Concile Vatican II, en pleine continuité avec la doctrine de la Tradition catholique. Il est ainsi confirmé que la seule et unique Eglise du Christ que nous confessons dans le Symbole, a sa subsistance, sa permanence et sa stabilité dans l'Eglise catholique et que l'unité, l'indivisibilité et l'indestructibilité de l'Eglise du Christ ne sont donc pas annulées par les séparations et les divisions des chrétiens. A côté de cette précision doctrinale fondamentale, le Document repropose l'usage linguistique correct de certaines expressions ecclésiologiques, qui risquent d'être mal comprises, et il attire dans ce but l'attention sur la différence qui reste encore entre les diverses Confessions chrétiennes à l'égard de la compréhension de l'être Eglise, au sens proprement théologique. Cela, loin d'empêcher l'engagement oecuménique authentique, constituera un encouragement pour que la confrontation sur les questions doctrinales se déroule toujours avec réalisme et une pleine conscience des aspects qui séparent encore les Confessions chrétiennes, ainsi que dans la reconnaissance joyeuse des vérités de foi communément professées et de la nécessité de prier sans cesse pour un chemin plus rapide vers une unité des chrétiens plus grande et à la fin complète. Cultiver une vision théologique considérant l'unité et l'identité de l'Eglise comme ses qualités "cachées dans le Christ", avec la conséquence que, de fait, l'Eglise existerait d'un point de vue historique sous de multiples configurations ecclésiales, uniquement réconciliables dans une perspective eschatologique, ne pourrait qu'engendrer un ralentissement, puis la paralysie de l'oecuménisme lui-même.

L'affirmation du Concile Vatican II que la véritable Eglise du Christ "subsiste dans l'Eglise catholique" (Const. dogm. Lumen gentium
LG 8) ne concerne pas seulement le rapport avec les Eglises et les communautés ecclésiales chrétiennes, mais s'étend également à la définition des relations avec les religions et les cultures du monde. Le Concile Vatican II lui-même, dans la Déclaration Dignitatis humanae sur la liberté religieuse affirme que "cette unique vraie religion, nous croyons qu'elle subsiste dans l'Eglise catholique et apostolique à qui le Seigneur Jésus a confié le mandat de la faire connaître à tous les hommes" (n. 1). La "Note doctrinale sur certains aspects de l'évangélisation" - l'autre Document publié par votre Congrégation en décembre 2007 -, face au risque d'un relativisme religieux et culturel durable, réaffirme que l'Eglise, à l'époque du dialogue entre les religions et les cultures, ne se dispense pas de la nécessité de l'évangélisation et de l'activité missionnaire à l'égard des peuples, ni ne cesse de demander aux hommes d'accueillir librement le salut offert à toutes les nations. La reconnaissance d'éléments de vérité et de bonté dans les religions du monde et du sérieux de leurs efforts religieux, le dialogue et l'esprit de collaboration avec celles-ci pour la défense et la promotion de la dignité de la personne et des valeurs morales universelles, ne peuvent pas être entendus comme une limitation de la tâche missionnaire de l'Eglise, qui l'engage à annoncer sans relâche le Christ comme le chemin, la vérité et la vie (cf. Jn 14,6).

Très chers amis, je vous invite en outre à suivre avec une attention particulière les problèmes difficiles et complexes de la bioéthique. En effet, les nouvelles technologies biomédicales concernent non seulement certains médecins et chercheurs spécialisés, mais elles sont divulguées à travers les moyens de communication sociale modernes, suscitant des attentes et des interrogations dans des secteurs toujours plus vastes de la société. Le Magistère de l'Eglise ne peut certainement pas et ne doit pas intervenir sur chaque nouveauté de la science, mais il a pour tâche de réaffirmer les grandes valeurs en jeu et de proposer aux fidèles et à tous les hommes de bonne volonté des principes et des orientations éthiques et moraux au sujet des nouvelles questions importantes. Les deux critères fondamentaux pour le discernement moral dans ce domaine sont a) le respect inconditionné de l'être humain comme personne, de sa conception jusqu'à sa mort naturelle, b) le respect de l'originalité de la transmission de la vie humaine à travers les actes des conjoints eux-mêmes. Après la publication en 1987 de l'Instruction Donum vitae, qui avait énoncé ces critères, de nombreuses personnes ont critiqué le Magistère de l'Eglise, le dénonçant comme s'il constituait un obstacle à la science et au véritable progrès de l'humanité. Mais les nouveaux problèmes qui apparaissent avec, par exemple, la congélation des embryons humains, la réduction embryonnaire, le diagnostic pré-implantatoire, les recherches sur les cellules souches embryonnaires et les tentatives de clonage humain, montrent clairement que, avec la fécondation artificielle extra-corporelle, on a brisé la barrière élevée pour protéger la dignité humaine. Lorsque des êtres humains, au stade le plus faible et le plus fragile de leur existence, sont sélectionnés, abandonnés, tués ou utilisés comme un simple "matériel biologique", comment nier qu'ils ne sont plus traités comme "quelqu'un", mais comme "quelque chose", remettant ainsi en question le concept même de dignité de l'homme ?

L'Eglise apprécie et encourage bien évidemment le progrès des sciences biomédicales qui ouvrent des perspectives thérapeutiques jusqu'à présents inconnues, à travers, par exemple, l'utilisation de cellules souches somatiques ou bien à travers des thérapies en vue de rendre la fertilité ou de soigner les maladies génétiques. Dans le même temps, elle ressent le devoir d'éclairer les consciences de tous, afin que le progrès scientifique soit véritablement respectueux de chaque être humain, à qui doit être reconnue la dignité de personne, étant créé à l'image de Dieu, sinon il ne s'agit pas de véritable progrès. L'étude de ces thèmes, qui de manière particulière a été au centre du travail de votre Assemblée au cours de ces journées, contribuera certainement à promouvoir la formation de la conscience de tant de nos frères, selon ce qu'affirme le Concile Vatican II dans la Déclaration Dignitatis humanae: "Mais les fidèles du Christ, pour se former la conscience, doivent prendre en sérieuse considération la doctrine sainte et certaine de l'Eglise. De par la volonté du Christ, en effet, l'Eglise catholique est maîtresse de vérité; sa fonction est d'exprimer et d'enseigner authentiquement la vérité qui est le Christ, en même temps que de déclarer et de confirmer, en vertu de son autorité, les principes de l'ordre moral découlant de la nature même de l'homme" (n. 14).

En vous encourageant à poursuivre votre travail exigeant et important, je vous exprime aussi en cette circonstance ma proximité spirituelle, et je vous donne de tout coeur à tous, en gage d'affection et de gratitude, ma Bénédiction apostolique.

                                                           Février 2008


AUX ÉVÊQUES GRECS-CATHOLIQUES UKRAINIENS EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM" Vendredi 1er février 2008





Votre Béatitude,
Vénérés frères dans l'épiscopat,

Je suis vraiment heureux de vous accueillir aujourd'hui, en conclusion de votre visite ad limina Apostolorum. Des raisons graves et objectives vous ont empêchés d'accomplir ensemble ce pèlerinage au Siège de Pierre. La dernière visite "ad limina" des Evêques grecs-catholiques remonte à 1937. A présent, alors que vos Eglises respectives ont pleinement retrouvé la liberté, vous êtes ici pour représenter vos communautés renaissantes et vibrantes dans la foi, qui n'ont jamais cessé de se sentir en pleine communion avec le Successeur de Pierre. Soyez les bienvenus, très chers Frères, dans cette maison de laquelle s'est toujours élevée la prière intense et continue pour la bien-aimée Eglise grecque-catholique en Ukraine. A travers le vénéré Cardinal Lubomyr Husar, Archevêque Majeur de Kiev-Halyc, que je remercie des touchantes expressions d'affection qu'il m'a adressées en votre nom, à travers l'Administrateur apostolique de l'éparchie de Mukachevo de rite byzantin et, à travers vous tous, je voudrais saluer vos communautés respectives, vos prêtres inlassables, les hommes et les femmes consacrés, et tous ceux qui assurent avec dévouement leur ministère pastoral au service du Peuple de Dieu.

Dans les comptes-rendus au sujet de la situation de vos éparchies et de vos exarchats, j'ai pu remarquer combien est grand votre engagement à promouvoir, consolider et vérifier constamment l'unité et la collaboration à l'intérieur de vos communautés, pour pouvoir affronter unis les défis qui vous interpellent en tant que Pasteurs et qui sont au centre de vos préoccupations et de vos programmes pastoraux. J'admire donc l'oeuvre généreuse et l'inlassable témoignage que vous offrez à votre Peuple et à l'Eglise. Dans cet effort pastoral et missionnaire, l'aide des prêtres, que le Bon Pasteur a placés comme collaborateurs à vos côtés, vous est nécessaire. Je profite volontiers de l'occasion pour manifester mon appréciation sincère de leur action apostolique quotidienne. Encouragez-les, vénérés Frères, dans les différentes initiatives de formation à ne pas suivre les nouveautés du monde, mais à offrir à la société les réponses que seul le Christ peut donner aux attentes de justice et de paix du coeur humain. Il faut pour cela une préparation intellectuelle et spirituelle adéquate, qui suppose un itinéraire permanent de formation, qui commence dans les séminaires, où la discipline et la vie spirituelle doivent toujours être l'objet d'une grande attention, et qui se poursuit au cours des années de ministère. Dans les viviers de vocations, que sont justement les séminaires, il faut des éducateurs et des formateurs qualifiés et compétents dans le domaine humain, scientifique, doctrinal, ascétique et pastoral, pour aider les futurs prêtres à croître dans leur relation personnelle avec le Christ, grâce à une identification progressive avec lui. Ce n'est qu'ainsi qu'ils pourront assumer avec un esprit d'authentique service ecclésial les responsabilités pastorales que leur Evêque leur assignera.

579 Dans cette perspective, je vous exhorte à développer pour vos prêtres les cours d'exercices spirituels, de formation et de mise à jour théologique et pastorale, si possible également en collaboration avec l'épiscopat latin, chacun respectant ses propres traditions. Il est indéniable que cette collaboration des deux rites ferait croître une plus grande harmonie des coeurs entre ceux qui servent l'unique Eglise. Et je suis certain qu'avec cette disposition intérieure, on pourra plus facilement arranger d'éventuels malentendus, avec la conscience que les deux rites appartiennent à l'unique Communauté catholique, et que tous deux ont tout autant droit de cité au sein de l'unique peuple ukrainien. Dans cette perspective, il semblerait utile, vénérés frères, que vous vous rencontriez régulièrement, par exemple une fois par an, avec les Evêques latins.

La vie consacrée dans les éparchies et dans les exarchats qui vous sont confiés revêt une grande importance et j'en rends grâce à Dieu avec vous. Vous m'avez toutefois informé qu'il existe certaines difficultés à cet égard, en particulier dans le domaine de la formation, en ce qui concerne l'obéissance responsable des religieux et des religieuses et leur coopération aux besoins de l'Eglise. Avec la magnanimité de pasteurs et la patience de pères, exhortez ces frères et soeurs à défendre inlassablement le caractère "a-séculier" de leur vocation particulière. Aidez-les à cultiver l'esprit des béatitudes et à observer fidèlement les voeux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance avec fidélité évangélique, afin qu'ils puissent rendre dans l'Eglise ce témoignage particulier qui leur est demandé.

Une autre préoccupation vous tient à coeur, il s'agit de l'engagement oecuménique. Il faut humblement reconnaître que dans ce domaine demeurent des obstacles concrets et objectifs. Il ne faut toutefois pas perdre courage face aux difficultés, mais poursuivre le chemin commencé avec la prière et la charité patiente. D'autre part, depuis des siècles les catholiques et les orthodoxes cherchent en Ukraine à tisser un dialogue quotidien humble et serein, qui touche de nombreux aspects de la vie. Les échecs, qu'il faut toujours prévoir, ne doivent pas ralentir l'enthousiasme pour poursuivre l'objectif voulu par le Seigneur: "Que tous soient un" (
Jn 17,20). Il y a quelques temps, en rencontrant les Pères de l'Assemblée plénière du dicastère pour la Promotion de l'Unité des Chrétiens, j'observais que "ce qui, de toutes façons, doit être avant tout promu, est l'oecuménisme de l'amour, qui découle directement du commandement nouveau laissé par Jésus à ses disciples. L'amour accompagné de gestes cohérents engendre la confiance, ouvre les coeurs et les yeux. Le dialogue de la charité, de par sa nature, promeut et illumine le dialogue de la vérité: c'est en effet dans la pleine unité qu'aura lieu la rencontre définitive à laquelle conduit l'Esprit du Christ" (Insegnamenti di Benedetto XVI, II, 2, 2006, p. 632). L'Université catholique ukrainienne peut sans aucun doute offrir un soutien précieux à l'action oecuménique.

En outre, il est important de faire participer toujours plus les fidèles laïcs à la vie de l'Eglise, afin qu'il apportent leur contribution spécifique au bien commun de la société ukrainienne. Cela exige de votre part une attention constante à leur formation, à travers des initiatives adaptées à leur vocation de laïcs: ils pourront ainsi participer activement à la mission de l'Eglise d'être un "ferment" vivant de l'Evangile dans les différents milieux de la société.

Vénérés frères, la rencontre d'aujourd'hui, qui a lieu après plus de soixante-dix ans, nous permet d'élever ensemble à Dieu une action de grâce émue pour la renaissance de votre Eglise, après la période dramatique de la persécution. En cette occasion, j'ai à coeur de vous assurer que le Pape vous porte tous dans son coeur, vous accompagne avec affection et vous soutient dans votre mission difficile. Je vous demande de transmettre mon salut cordial aux prêtres, vos premiers collaborateurs, aux religieux et aux religieuses, ainsi qu'à tout le peuple chrétien, en particulier aux enfants, aux jeunes, aux familles, aux malades et à ceux qui se trouvent en difficulté. J'assure chacun de mon souvenir dans la prière, en invoquant sur tous la protection constante de la céleste Mère de Dieu et de vos saints Patrons. Enfin, je vous donne avec affection une Bénédiction apostolique spéciale, ainsi qu'à vos communautés et à la chère population de l'Ukraine.

VISITE AU GRAND SÉMINAIRE PONTIFICAL ROMAIN

À L'OCCASION DE LA FÊTE PATRONALE DE LA VIERGE DE LA CONFIANCE


AU TERME DE LA RENCONTRE AVEC LES SÉMINARISTES Grand Séminaire pontifical romain Vendredi 1 février 2008


Je voudrais remercier votre représentant de ces belles paroles, remercier de cette opportunité d'être avec vous. Je me sens réellement chez moi ici où tant de jeunes se préparent à être des messagers du Christ, évangélisateurs de notre monde.

Aujourd'hui, lors des Vêpres, j'ai été particulièrement touché par la parole du psaume où Israël rend grâce à Dieu pour le don de la parole qui descend comme la laine. Et il dit: tu ne l'as pas fait à tous les autres, à nous seul tu as donné cette grâce de connaître ta volonté, tes projets.

Les Israélites n'ont pas considéré comme un poids, un joug sur leurs épaules de connaître les commandements de Dieu, mais comme un grand don: dans la nuit du monde ils savent qui est Dieu et ils savent où aller, quelle est la route de la vie.

En plus de cette parole, il est encore plus important pour nous chrétiens de savoir que la parole de Dieu n'est plus seulement commandement, mais qu'elle est don de l'amour incarné en Christ. Nous pouvons réellement dire: nous te rendons grâce, Seigneur, pour nous avoir offert ce don de Te connaître; celui qui Te connaît dans le Christ connaît ainsi la parole vivante et connaît dans l'obscurité, parmi les nombreuses énigmes de ce monde, les si nombreux problèmes non résolus, le chemin où aller: d'où nous venons, ce qu'est la vie, et à quoi nous sommes appelés.

580 Et je pense immédiatement qu'avec ces actions de grâce pour la connaissance et le don, la connaissance du Dieu incarné, doit aussi faire son chemin l'idée: mais je dois communiquer cela aux autres, eux aussi le cherchent, eux aussi veulent vivre bien, eux aussi ont soif de trouver la bonne route et ne la trouvent pas. Cela est d'autant plus une grâce et même une obligation de connaître Jésus et d'avoir la grâce d'être appelé par lui pour aider les autres, pour qu'eux aussi puissent rendre grâce à Dieu avec joie, pour qu'ils aient la grâce de savoir qui je suis, d'où je viens et où je vais.

La Vierge de la Grâce, la Vierge de la Confiance, s'est confiée totalement au Seigneur avec un grand courage. Le sacerdoce, comme je l'ai dit dans ma prédication, est une aventure dans le monde d'aujourd'hui avec tant d'oppositions, tant de négations de la foi. C'est une aventure, mais une très belle aventure, parce qu'en réalité au plus profond du coeur il y a cette soif de Dieu.

Ces derniers jours, j'ai eu la visite "ad limina" des Evêques grecs-catholiques d'Ukraine. En particulier dans la partie orientale, à cause du régime soviétique, plus de la moitié du peuple se déclare agnostique, sans religion. Je leur ai dit: que faites-vous, comment se comportent-ils, que veulent-ils? Et tous les Evêques disent: ils ont une grande soif de Dieu et ils veulent connaître, ils voient qu'ils ne peuvent pas vivre ainsi.

Donc, même avec toutes les contradictions, les résistances, les oppositions, la soif de Dieu existe et nous avons la belle vocation de l'aider, de lui donner le jour. Telle est notre aventure. Bien sûr, il y a beaucoup de choses imprévisibles, beaucoup de complications, de souffrances, et tout le reste. Mais la Vierge aussi, au moment de l'Annonciation savait que s'ouvrait devant elle une route inconnue et, connaissant les prophéties du Serviteur de Dieu, connaissant l'Ecriture Sainte, elle pouvait prévoir qu'il y aurait eu aussi beaucoup de souffrances. Mais elle a cru à la parole de l'ange: sois sans crainte parce qu'à la fin Dieu est le plus fort, ne crains pas non plus la croix, toutes les souffrances, parce qu'en fin de compte Dieu nous guide, et même ces souffrances aident pour arriver à la plénitude de la lumière.

Que la Vierge de la Confiance vous donne ainsi à vous aussi cette grande confiance, ce courage, cette joie d'être des serviteurs du Christ, de la vérité, de la vie.

Merci à vous tous et que le Seigneur vous bénisse tous!

FÊTE DE LA PRÉSENTATION DU SEIGNEUR

XI JOURNÉE MONDIALE DE LA VIE CONSACRÉE Basilique Vaticane Samedi 2 février 2008

Chers frères et soeurs!

Je suis très heureux de vous rencontrer à l'occasion de la Journée de la Vie consacrée, rendez-vous traditionnel rendu plus significatif encore par le contexte liturgique de la fête de la Présentation du Seigneur. Je remercie Monsieur le Cardinal Franc Rodé, qui a célébré pour vous l'Eucharistie, ainsi que le Secrétaire et les autres collaborateurs de la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique. Avec beaucoup d'affection je salue les Supérieurs généraux présents et vous tous, qui formez cette assemblée particulière, expression de la richesse multiforme de la Vie consacrée dans l'Eglise.

En faisant le récit de la présentation de Jésus au temple, l'Evangéliste Luc souligne trois fois que Marie et Joseph agirent selon "la Loi du Seigneur" (cf. Lc 2,22 Lc 2,23 Lc 2,39), et ils apparaissent du reste toujours dans une écoute attentive de la Parole de Dieu. Leur attitude constitue un exemple éloquent pour vous, religieux et religieuses; pour vous, membres des Instituts séculiers et des autres formes de Vie consacrée. La prochaine session ordinaire du Synode des Evêques sera consacrée à la Parole de Dieu dans la vie de l'Eglise: je vous demande, chers frères et soeurs, d'offrir votre contribution à cet engagement ecclésial, en témoignant de toute l'importance qu'il y a à placer la Parole de Dieu au centre de toute chose, en particulier pour tous ceux que, comme vous, le Seigneur appelle à une sequela plus intime. La Vie consacrée est en effet enracinée dans l'Evangile; c'est de lui, comme de sa règle suprême, qu'elle a continué de s'inspirer tout au long des siècles et c'est à lui qu'elle est appelée à revenir constamment pour se maintenir vivante et féconde en portant du fruit pour le salut des âmes.

581 Aux commencements des différentes expressions de Vie consacrée, il y a toujours une forte inspiration évangélique. Je pense à saint Antoine Abbé, animé par l'écoute de la Parole du Christ: "Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis viens, suis-moi" (Mt 19,21) (cf. Vita Antonii, 2, 4). Antoine les a écoutées comme des paroles qui lui étaient personnellement adressées par le Seigneur. A son tour, saint François d'Assise affirme que ce fut Dieu qui lui révéla qu'il devait vivre selon la forme du saint Evangile (Testament, 17; FF 116). "François - écrit Tommaso de Celano - entendant que les disciples du Christ ne devaient posséder ni or, ni argent, ni monnaie, ni porter besace, ni pain, ni bâton pour marcher, ni avoir de chaussures, ni deux tuniques... immédiatement, exultant dans l'Esprit Saint, s'exclama: c'est ce que je veux, c'est ce que je demande, c'est que j'attends de faire de tout mon coeur!" (I Celano, 83: FF 670, 672).

"Pour les fondateurs et les fondatrices - rappelle l'Instruction Repartir du Christ - c'est l'Esprit Saint qui a donné à la Parole de Dieu un éclairage nouveau. Tout charisme vient de là, toute Règle veut en être l'expression" (n. 24). Et l'Esprit Saint attire en effet certaines personnes à vivre l'Evangile de manière radicale et à le traduire dans un style de sequela plus généreuse. Il en naît ainsi une oeuvre, une famille religieuse qui, par sa présence, devient à son tour, "exégèse" vivante de la Parole de Dieu. La succession des charismes de la Vie consacrée, dit le Concile Vatican II, peut donc être lue comme un déploiement du Christ au travers des siècles, comme un Evangile vivant qui est mis en oeuvre sous des formes toujours nouvelles (cf. Conc. Vat. II, Const. Lumen gentium LG 46). Dans les oeuvres des Fondatrices et des Fondateurs se reflète un des mystères du Christ, une de ses paroles, se réfracte un rayon de la lumière qui émane de son visage, splendeur du Père (cf. Ex. apost. post-synod. Vita consecrata VC 16).

Suivre le Christ sans compromis, comme il est proposé dans l'Evangile, a donc constitué au fil des siècles la norme ultime et suprême de la vie religieuse. (cf. Perfectae caritatis PC 2). Saint Benoît, dans sa Règle, renvoie à l'Ecriture comme "norme très juste pour la vie de l'homme" (n. 73, 2-5). Saint Dominique "se manifestait partout comme un homme évangélique, dans les paroles comme dans les oeuvres" (Libellus, 104; in P. Lippini, Saint Dominique vu par ses contemporains, Ed. Studio Dom., Bologne, 1982, p. 110) et il voulait que ses frères prédicateurs fussent aussi des "hommes évangéliques" (Premières Contitutions ou Consuetudines, 31). Sainte Claire d'Assise reproduit précisément l'expérience de François: "La forme de vie de l'Ordre des Soeurs pauvres - écrit-elle - est celle-ci: observer l'Evangile de notre Seigneur Jésus Christ" (Règle, I, 1-2: FF 2750). Saint Vincent Pallotti affirme: "La règle fondamentale de notre petite Congrégation est la vie de notre Seigneur Jésus Christ pour l'imiter avec toute la perfection possible" (cf. OEuvres complètes, II, 541-546; VIII, 63, 67, 253, 254, 466). Et saint Luigi Orione écrit: "Que notre première Règle de vie soit d'observer, dans une grande humilité et un amour très doux et enflammé par Dieu, le Saint Evangile" (Lettres de Don Orione, Rome, 1969, vol. II, 278).

Cette très riche tradition atteste que la Vie consacrée est "profondément enracinée dans les exemples et dans les enseignements du Christ Seigneur" (Vita consecrata VC 1), et se présente sous "l'aspect d'une plante aux multiples rameaux, qui plonge ses racines dans l'Evangile et produit des fruits abondants à tous les âges de l'Eglise" (ibid., n. 5). Sa mission est de rappeler que tous les chrétiens sont convoqués par la Parole pour vivre de la Parole et demeurer sous son autorité. Il revient donc tout particulièrement aux religieux et aux religieuses de "maintenir vive chez les baptisés la conscience des valeurs fondamentales de l'Evangile" (ibid., n. 33). Ce faisant, leur témoignage nourrit l'Eglise d'"un élan précieux pour une cohérence évangélique toujours plus grande" (ibid., n. 3) et nous pourrions même dire qu'ils sont "des prédicateurs convaincants de l'Evangile, même si c'est souvent dans le silence" (ibid., n. 25). C'est pour cette raison que dans mes deux Encycliques, ainsi qu'à d'autres occasions, je n'ai pas manqué d'indiquer l'exemple des saints et des bienheureux appartenant à des Instituts de Vie consacrée.

Chers frères et soeurs, nourrissez votre journée de prière, de méditation et d'écoute de la Parole de Dieu. Vous qui avez une certaine familiarité avec la pratique ancienne de la lectio divina, aidez aussi les fidèles à la mettre en valeur dans leur existence quotidienne. Et sachez traduire en témoignage ce qu'indique la Parole, en vous laissant façonner par elle qui, comme une semence accueillie dans une bonne terre, porte des fruits abondants. Vous serez ainsi toujours dociles à l'Esprit et vous croîtrez dans l'union avec Dieu, vous cultiverez la communion fraternelle entre vous et vous serez prêts à servir généreusement vos frères, en particulier ceux qui se trouvent dans le besoin. Que les hommes puissent voir vos bonnes oeuvres, fruit de la Parole de Dieu qui vit en vous, et qu'ils rendent gloire à votre Père céleste (cf. Mt 5,16)! En vous confiant ces réflexions, je vous remercie du service précieux que vous rendez à l'Eglise et, tout en invoquant la protection de Marie et des saints et bienheureux fondateurs de vos Instituts, je vous donne de tout coeur la Bénédiction apostolique ainsi qu'à vos familles religieuses, avec une pensée spéciale pour les jeunes garçons et filles en formation, et pour vos confrères et vos consoeurs qui sont malades, âgés ou en difficulté. J'assure à tous mon souvenir dans la prière.

Discours 2005-2013 576