Discours 2005-2013 592

AUX PARTICIPANTS À LA CONGRÉGATION GÉNÉRALE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS Salle Clémentine Jeudi 21 février 2008



Chers Pères de la Congrégation générale de la Compagnie de Jésus,

Je suis heureux de vous accueillir aujourd'hui, alors que vos travaux exigeants entrent dans leur phase de conclusion. Je remercie le nouveau Préposé général, le Père Adolfo Nicolas, de s'être fait l'interprète de vos sentiments et de votre engagement pour répondre aux attentes que l'Eglise place en vous. Je vous en ai parlé dans le message adressé au R.P. Kolvenbach et - par son intermédiaire - à toute votre Congrégation au début de vos travaux. Je remercie encore une fois le Père Peter-Hans Kolvenbach du précieux service de gouvernement qu'il a rendu à votre Ordre pendant près d'un quart de siècle. Je salue également les membres du nouveau Conseil général et les Assistants qui aideront le Préposé dans sa tâche très délicate de direction religieuse et apostolique de toute votre Compagnie.

Votre Congrégation se déroule à une époque de grands changements sociaux, économiques et politiques; de forts problèmes éthiques, culturels et environnementaux, de conflits en tous genres; mais également de communications plus intenses entre tous les peuples, de nouvelles possibilités de connaissance et de dialogue, de profondes aspirations à la paix. Ce sont des situations qui interpellent totalement l'Eglise catholique et sa capacité d'annoncer à nos contemporains la Parole d'espérance et de salut. Je souhaite donc vivement que toute la Compagnie de Jésus, grâce aux résultats de votre Congrégation, puisse vivre avec un élan renouvelé et avec ferveur la mission pour laquelle l'Esprit Saint l'a suscitée dans l'Eglise et l'a conservée depuis plus de quatre siècles et demi, avec une extraordinaire fécondité de fruits apostoliques. Je voudrais aujourd'hui vous encourager, vous et vos confrères, à poursuivre dans la voie de cette mission, en pleine fidélité à votre charisme originel, dans le contexte ecclésial et social qui caractérise ce début de millénaire. Comme mes prédécesseurs l'ont dit plusieurs fois, l'Eglise a besoin de vous, elle compte sur vous et continue à s'adresser à vous avec confiance, en particulier pour atteindre les lieux physiques et spirituels où d'autres n'arrivent pas, ou ont des difficultés à arriver. Les paroles de Paul VI sont restées gravées dans votre coeur: "Partout dans l'Eglise, même dans les champs d'activité de pointe et les plus difficiles, aux carrefours des idéologies, dans les secteurs sociaux, là où les exigences brûlantes de l'homme et le message permanent de l'Evangile on été ou sont confrontés, il y a eu, il y a les jésuites" (3 décembre 1974, à la 32 Congrégation générale).

Comme le dit la formule de votre Institut, la Compagnie de Jésus est tout d'abord instituée "pour la défense et la propagation de la foi". A une époque où s'ouvraient de nouveaux horizons géographiques, les premiers compagnons d'Ignace s'étaient mis à la disposition du Pape pour qu'il "les employât là où il jugeait que cela pouvait servir pour la plus grande gloire de Dieu et l'utilité des âmes" (Autobiographie, n. 85). Ainsi, ils furent envoyés annoncer le Seigneur à des peuples et des cultures qui ne le connaissaient pas encore. Ils le firent avec un courage et un zèle qui restent un exemple et une source d'inspiration jusqu'à nos jours: le nom de saint François Xavier est le plus célèbre de tous, mais combien d'autres pourrait-on citer! Aujourd'hui, les nouveaux peuples qui ne connaissent pas le Seigneur ou qui le connaissent mal, ne sachant pas le reconnaître comme le Sauveur, ne sont pas tant éloignés du point de vue géographique que culturel. Les obstacles qui défient les annonciateurs de l'Evangile ne sont pas tant les mers ou les grandes distances, mais les frontières qui, en raison d'une vision de Dieu et de l'homme erronée ou superficielle, viennent s'interposer entre la foi et le savoir humain, la foi et la science moderne, la foi et l'engagement pour la justice.

C'est pourquoi l'Eglise a un besoin urgent de personnes à la foi solide et profonde, ayant une culture sérieuse et une authentique sensibilité humaine et sociale; de religieux et de prêtres qui consacrent leur vie à rester précisément sur ces frontières, pour témoigner et aider à comprendre qu'il y a en revanche une harmonie profonde entre foi et raison, entre esprit évangélique, soif de justice et action pour la paix. Ce n'est qu'ainsi qu'il deviendra possible de faire connaître le véritable visage du Seigneur aux nombreuses personnes pour lesquelles il reste aujourd'hui caché ou méconnaissable. C'est donc à cela que doit se consacrer de préférence la Compagnie de Jésus. Fidèle à sa meilleure tradition, elle doit continuer à former avec un grand soin ses membres dans la science et dans la vertu, sans se contenter de la médiocrité, car la tâche de la confrontation et du dialogue avec des contextes sociaux et culturels très divers et les mentalités différentes du monde d'aujourd'hui est parmi les plus difficiles et les plus ardues. Et cette recherche de la qualité et de la solidité humaine, spirituelle et culturelle, doit caractériser également toutes les multiples activités formatives et éducatives des Jésuites, à l'égard des genres de personnes les plus différentes, où qu'elles se trouvent.

Au cours de son histoire, la Compagnie de Jésus a vécu des expériences extraordinaires d'annonce et de rencontre entre l'Evangile et les cultures du monde - il suffit de penser à Matteo Ricci en Chine, à Roberto De Nobili en Inde, ou aux "Réductions" de l'Amérique latine. Vous en êtes fiers à juste titre. Je sens aujourd'hui le devoir de vous exhorter à vous mettre à nouveau sur les traces de vos prédécesseurs avec autant de courage et d'intelligence, mais également avec une motivation de foi et de passion aussi profonde, pour servir le Seigneur et son Eglise. Toutefois, alors que vous cherchez à reconnaître les signes de la présence et de l'oeuvre de Dieu en chaque lieu du monde, également au-delà des frontières de l'Eglise visible, alors que vous vous efforcez de construire des ponts de compréhension et de dialogue avec ceux qui n'appartiennent pas à l'Eglise ou qui ont des difficultés à en accepter les positions et les messages, vous devez dans le même temps prendre loyalement en charge le devoir fondamental de l'Eglise de rester fidèle à son mandat d'adhérer complètement à la Parole de Dieu, et la tâche du Magistère de conserver la vérité et l'unité de la doctrine catholique dans sa totalité. Cela ne vaut pas seulement pour l'engagement personnel de chaque jésuite: puisque vous travaillez en tant que membres d'un corps apostolique, vous devez également être attentifs afin que vos oeuvres et vos institutions conservent toujours une identité claire et explicite, pour que l'objectif de votre activité apostolique ne reste pas ambigu et obscur, et pour que tant d'autres personnes puissent partager vos idéaux et s'unir à vous de manière efficace et avec enthousiasme, collaborant à votre engagement au service de Dieu et de l'homme.

Comme vous le savez bien, ayant accompli de nombreuses fois sous la direction de saint Ignace dans les Exercices spirituels la méditation "des deux étendards", notre monde est le théâtre d'une bataille entre le bien et le mal, et de puissantes forces négatives y sont à l'oeuvre, causant ces dramatiques situations d'asservissement spirituel et matériel de nos contemporains contre lesquelles vous avez plusieurs fois déclaré vouloir combattre, en vous engageant pour le service de la foi et la promotion de la justice. Ces forces se manifestent aujourd'hui de nombreuses façons, mais de manière particulièrement évidente à travers les tendances culturelles qui deviennent souvent dominantes, comme le subjectivisme, le relativisme, l'hédonisme, le matérialisme pratique. C'est pourquoi j'ai demandé votre engagement renouvelé pour promouvoir et défendre la doctrine catholique "en particulier sur les points névralgiques aujourd'hui attaqués avec force par la culture séculière", dont j'ai cité certains exemples dans ma Lettre. Les thèmes du salut de tous les hommes dans le Christ, de la morale sexuelle, du mariage et de la famille, aujourd'hui sans cesse débattus et remis en question, doivent être approfondis et éclairés dans le contexte de la réalité contemporaine, mais en conservant cette harmonie avec le Magistère qui évite de provoquer la confusion et le trouble chez le Peuple de Dieu.

593 Je sais et je comprends bien qu'il s'agit d'un point particulièrement sensible et exigeant pour vous et pour tant de vos confrères, en particulier ceux qui sont engagés dans la recherche théologique, dans le dialogue interreligieux et dans le dialogue avec les cultures contemporaines. C'est précisément pour cela que je vous ai invités et que je vous invite aujourd'hui aussi à réfléchir, pour retrouver le sens le plus complet de votre caractéristique "quatrième voeu" d'obéissance au Successeur de Pierre, qui ne comporte pas seulement la disponibilité à être envoyés en mission dans des terres lointaines, mais également - selon le plus authentique esprit ignatien d'"écouter avec l'Eglise et dans l'Eglise" - d'"aimer et servir" le Vicaire du Christ sur terre avec cette dévotion "effective et affective" qui doit faire de vous ses collaborateurs précieux et irremplaçables dans son service pour l'Eglise universelle.

Dans le même temps, je vous encourage à poursuivre et à renouveler votre mission parmi les pauvres et avec les pauvres. Les nouvelles causes de pauvreté et de marginalisation ne manquent malheureusement pas dans un monde marqué par de graves déséquilibres économiques et environnementaux, par des processus de mondialisation guidés par l'égoïsme plus que par la solidarité, par des conflits armés destructeurs et absurdes. Comme j'ai eu l'occasion de le répéter aux Evêques latino-américains réunis au Sanctuaire d'Aparecida, "l'option préférentielle pour les pauvres est implicite dans la foi christologique en ce Dieu qui pour nous s'est fait pauvre, pour que nous devenions riches par sa pauvreté (cf.
2Co 8,9)". Il est donc naturel que celui qui désire vraiment être un compagnon de Jésus, en partage réellement l'amour pour les pauvres. Pour nous, le choix des pauvres n'est pas idéologique, mais il naît de l'Evangile. Les situations d'injustice et de pauvreté sont innombrables et dramatiques dans le monde d'aujourd'hui, et s'il faut s'engager à en comprendre et à en combattre les causes structurelles, il faut également savoir aller combattre jusque dans le coeur même de l'homme les racines profondes du mal, le péché qui le sépare de Dieu, sans oublier d'aller à la rencontre des besoins les plus urgents, dans l'esprit de la charité du Christ. Recueillant et développant l'une des dernières intuitions clairvoyantes du Père Arrupe, votre Compagnie continue à s'engager de manière digne d'éloges dans le service aux réfugiés, qui sont souvent les plus pauvres parmi les pauvres et qui ont besoin non seulement de secours matériel, mais également de cette plus profonde proximité spirituelle, humaine et psychologique qui est davantage caractéristique de votre service.

Je vous invite enfin à réserver une attention spécifique à ce ministère des Exercices spirituels qui, dès les origines, a été caractéristique de votre Compagnie. Les Exercices sont la source de votre spiritualité et la base de vos Constitutions, mais ils sont également un don que l'Esprit du Seigneur a fait à l'Eglise tout entière: c'est à vous qu'il revient de continuer à en faire un instrument précieux et efficace pour la croissance spirituelle des âmes, pour leur initiation à la prière, à la méditation, dans ce monde sécularisé où Dieu semble absent. Précisément la semaine dernière, j'ai profité moi aussi des Exercices spirituels, avec mes plus proches collaborateurs de la Curie romaine, sous la direction de votre éminent confrère, le Card. Albert Vanhoye. A une époque comme celle d'aujourd'hui, où la confusion et la multiplicité des messages, la rapidité des changements et des situations rend particulièrement difficile à nos contemporains de mettre de l'ordre dans leur vie et de répondre avec décision et joie à l'appel que le Seigneur adresse à chacun de nous, les Exercices spirituels représentent une voie et une méthode particulièrement précieuse pour chercher et trouver Dieu, en nous, autour de nous et en chaque chose, pour connaître sa volonté et la mettre en pratique.

C'est dans cet esprit d'obéissance à la volonté de Dieu, à Jésus Christ, qui devient aussi une humble obéissance à l'Eglise, que je vous invite à continuer à mener à bien les travaux de votre Congrégation, et je m'unis à vous dans la prière que nous a enseignée saint Ignace au terme des Exercices - une prière qui m'apparaît toujours trop grande, au point que je n'ose presque pas la dire, mais que, toutefois, nous devrions toujours à nouveau nous reproposer: "Prends, Seigneur, et reçois toute ma liberté, ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté, tout ce que je possède; tu me l'as donné, à toi, Seigneur, je le redonne; tout est à toi, dispose de tout selon ta volonté; donne-moi seulement ton amour et ta grâce; cela me suffit" (ES 234).


À UNE DÉLÉGATION DU CERCLE DE SAINT-PIERRE Salles des Papes Vendredi 22 février 2008



Chers membres du Cercle de Saint-Pierre,

Cette année encore, à l'occasion de la fête de la Chaire de Saint-Pierre, j'ai le plaisir de vous rencontrer: merci de votre visite. Je vous salue tous cordialement et j'étends mes salutations aux membres de vos familles, aux personnes qui vous sont chères, à tous ceux qui coopèrent avec vous dans les différentes activités que vous exercez. Je salue votre Assistant spirituel, Mgr Franco Camaldo, votre Président général, le Duc Leopoldo Torlonia, que je remercie des paroles à travers lesquelles il a interprété vos sentiments à tous, qui êtes ici présents. Il m'a également présenté brièvement ce que fait votre célèbre association de grand mérite.

Qui ne connaît pas le Cercle de Saint-Pierre? Votre association a des origines anciennes et elle s'est toujours distinguée par une fidélité inconditionnée à l'Eglise et à son Pasteur universel, le Pontife romain. Le service rendu par le Cercle constitue, dans ses différentes articulations, un apostolat très apprécié, et il offre un témoignage constant de l'amour que vous nourrissez à l'égard de l'Eglise et en particulier du Saint-Siège. Je pense à votre présence dans la Basilique vaticane et au service d'ordre que vous assurez pendant les célébrations que je préside; je pense à vos rencontres de formation et de spiritualité qui tendent à susciter en vous une constante tension vers la sainteté; je pense aux activités d'assistance et de charité que vous soutenez avec générosité.

Merci de votre collaboration et de toutes les initiatives que vous promouvez avec esprit évangélique et sens ecclésial. Nous pourrions presque dire que l'action que vous menez, dans un certain sens, c'est au nom même du Pape que vous l'accomplissez: par exemple, c'est en son nom que vous vous occupez d'aller au devant, autant qu'il vous est possible, des nécessités de très nombreux pauvres qui vivent dans la ville de Rome, dont l'Evêque est le Successeur de Pierre. Vous voulez ainsi être ses bras et son coeur qui atteignent, à travers vous également, ceux qui vivent dans des situations précaires. Et je sais qu'au cours de ces dernières années, vous avez multiplié vos efforts pour répondre, par des initiatives de charité généreuses et exigeantes, aux nécessités de ces personnes en difficulté.

Je vous remercie de cette collaboration: en oeuvrant avec un admirable zèle apostolique, vous apportez un témoignage évangélique à la fois silencieux et éloquent. En répondant au commandement du Christ, vous vous efforcez de reconnaître et de servir en chaque personne Jésus lui-même, qui nous assure dans l'Evangile que: "Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait" (Mt 25,40). Le Seigneur nous appelle à traduire la foi et l'amour que nous nourrissons à son égard en gestes quotidiens d'attention pour les personnes que nous rencontrons, en particulier celles qui traversent des moments de difficulté, car dans le visage de chaque personne, et plus encore si elle est dans le besoin, resplendit le visage du Christ. Dans l'Encyclique Spe salvi j'ai écrit qu'"accepter l'autre qui souffre signifie, en effet, assumer en quelque manière sa souffrance, de façon qu'elle devienne aussi la mienne. Mais parce que maintenant elle est devenue souffrance partagée, dans laquelle il y a la présence d'un autre, cette souffrance est pénétrée par la lumière de l'amour" (n. 38). De cette façon, on devient des messagers et des témoins de l'Evangile de la charité, en accomplissant une oeuvre d'évangélisation authentique et largement diffusée.

594 Chers amis, il y a une autre raison pour laquelle je voudrais vous remercier. Aujourd'hui aussi, en effet, comme chaque année, vous êtes venus me remettre le Denier de Saint-Pierre, que vous vous êtes personnellement chargés de réunir ici à Rome. Celui-ci représente une aide concrète offerte au Pape afin qu'il puisse répondre aux très nombreuses requêtes qui lui parviennent de tous les endroits du monde, en particulier des pays les plus pauvres. Je vous remercie, par conséquent, de ce service que vous accomplissez avec tant de générosité et d'esprit de sacrifice. Que la Sainte Vierge, que nous contemplons associée à la Passion du Christ en cette période de Carême, suscite et soutienne en vous toute intention et tout projet de bien. Pour ma part, je vous assure d'un souvenir particulier dans la prière, tandis que je vous donne avec affection la Bénédiction apostolique, que j'étends volontiers à vos familles et à tous ceux qui vous sont chers.


À L'OCCASION DE LA CÉRÉMONIE DE DÉDICACE DE LA COUR SAINT GRÉGOIRE L'ILLUMINATEUR Cour Nord de la Basilique vaticane Vendredi 22 février 2008



Chers frères et soeurs,

J'adresse mon salut cordial à toutes les personnes présentes. Je salue en premier lieu le Cardinal Angelo Comastri, Archiprêtre de la Basilique Saint-Pierre et le Cardinal Giovanni Lajolo, Président du Gouvernorat. Je salue ensuite le Patriarche Nersès Bédros XIX, que je remercie pour les paroles courtoises par lesquelles il m'a exprimé vos sentiments communs. J'étends mes pensées aux Archevêques, Evêques et personnalités religieuses de toute l'Eglise arménienne catholique. Je salue en outre les autorités politiques, les délégations et tous ceux qui ont voulu prendre part à cette cérémonie significative, au cours de laquelle je bénirai la plaque toponymique de cette cour. Je profite volontiers de l'occasion qui m'est offerte aujourd'hui pour embrasser avec un amour fraternel l'Eglise apostolique arménienne, tout comme la nation arménienne et tous les Arméniens à travers le monde.

Il s'agit sans nul doute d'une circonstance providentielle, qui nous offre l'occasion de nous rencontrer ici, auprès de la tombe de l'Apôtre Pierre, pour commémorer un autre grand saint dont le nom sera donné, en cette occasion, à la cour qu'on appelle le "Cortilone". Il me plaît de rappeler que mon vénéré Prédécesseur Jean Paul II bénit la statue de saint Grégoire l'Illuminateur, qui se situe justement ici, peu de mois avant sa mort. Il y a plus de dix-sept siècles, ce grand saint fit des Arméniens un peuple chrétien, et même le premier peuple à devenir officiellement chrétien. La conversion des Arméniens est un événement qui a profondément marqué l'identité arménienne, non seulement au niveau personnel mais aussi au niveau de la nation tout entière. L'épithète d'"Illuminateur", avec lequel ce saint qui vous est très cher fut qualifié, met en évidence la double fonction que saint Grégoire eut dans l'histoire de la conversion arménienne. "Illumination", en effet, est un terme qui s'utilise dans le langage chrétien pour indiquer le passage des ténèbres à la lumière du Christ. En vérité, c'est le Christ qui est le grand illuminateur qui fait rayonner sa lumière sur toute l'existence de celui qui l'accueille et le suit fidèlement. Or, saint Grégoire fut nommé l'Illuminateur précisément parce qu'en lui se reflétait de façon extraordinaire le visage du Sauveur. Le mot "illumination" possède aussi un autre sens dans l'acception arménienne; il signifie la lumière qui provient de la diffusion de la culture à travers l'enseignement. Et cela nous fait immédiatement penser à ces moines-maîtres qui, sur les traces de saint Grégoire, en poursuivront la prédication, diffusant de cette manière la lumière de la vérité évangélique, qui révèle à l'homme la vérité de son être même et en déploie les riches potentialités culturelles et spirituelles.

Chers frères et soeurs, merci encore une fois pour avoir pris part à cette rencontre. En inaugurant la "Cour Saint-Grégoire l'Illuminateur", nous prions pour que le peuple arménien, par l'intercession de son fils illustre et de grand mérite, continue à cheminer sur les voies de la foi en se laissant guider, comme il l'a fait au cours des siècles, par le Christ et par son Evangile, qui en a marqué la culture de façon indélébile. Avec ce voeu, que je confie à l'intercession de la Vierge Marie, je vous donne à tous ma Bénédiction.

LETTRE AU DIOCÈSE DE ROME SUR LE DEVOIR URGENT DE LA FORMATION DES NOUVELLES GÉNÉRATION






Chers fidèles de Rome,

J'ai pensé m'adresser à vous par cette lettre pour vous parler d'un problème que vous-mêmes ressentez et sur lequel les diverses composantes de notre Eglise sont fortement engagées: le problème de l'éducation. Nous avons tous à coeur le bien des personnes que nous aimons, en particulier de nos enfants, adolescents et jeunes. Nous savons, en effet, que c'est d'eux que dépend l'avenir de notre ville. Nous ne pouvons donc qu'être attentifs à la formation des nouvelles générations, à leur capacité de s'orienter dans la vie et de discerner le bien du mal, à leur santé non seulement physique, mais aussi morale.

Eduquer n'a toutefois jamais été facile et cela semble devenir encore plus difficile aujourd'hui. Les parents, les enseignants, les prêtres et tous ceux qui exercent des responsabilités éducatives directes le savent bien. On parle donc d'une grande "urgence éducative" confirmée par les échecs auxquels se heurtent trop souvent nos efforts pour former des personnes solides, capables de collaborer avec les autres et de donner un sens à leur vie. Nous en rejetons alors spontanément la faute sur les nouvelles générations, comme si les enfants qui naissent aujourd'hui étaient différents de ceux qui naissaient jadis. On parle, en outre, d'une "fracture entre les générations", qui existe certes et qui est importante, mais qui est l'effet, plutôt que la cause, du manque de transmission de certitudes et de valeurs.

Devons-nous alors rejeter la faute sur les adultes d'aujourd'hui, qui ne seraient plus capables d'éduquer? La tentation de renoncer est certainement forte, chez les parents et chez les enseignants et, plus généralement, chez les éducateurs, et plus encore le risque de ne pas même comprendre quel est leur rôle ou mieux, la mission qui leur est confiée. En réalité, ce qui est en question ce sont non seulement les responsabilités personnelles des adultes ou des jeunes, qui existent effectivement et ne doivent pas être cachées, mais aussi une atmosphère diffuse, une mentalité et une forme de culture qui conduisent à douter de la valeur de la personne humaine, de la signification même de la vérité et du bien, en dernier ressort, de la bonté de la vie. Il devient alors difficile de transmettre d'une génération à l'autre quelque chose de valable et de certain, des règles de comportement, des objectifs crédibles autour desquels construire sa vie.

595 Aussi, chers frères et soeurs de Rome, voudrais-je vous dire une parole très simple. N'ayez pas peur! Toutes ces difficultés, en effet, ne sont pas insurmontables. Elles sont plutôt, pour ainsi dire, le revers de la médaille du grand et précieux don qu'est notre liberté, avec la responsabilité qui précisément l'accompagne. A la différence de ce qui se produit dans le domaine technique ou économique, où les progrès d'aujourd'hui peuvent s'ajouter à ceux du passé, dans le cadre de la formation et de la croissance morale des personnes une telle possibilité d'accumulation n'existe pas, car la liberté de l'homme est toujours nouvelle et donc chaque personne et chaque génération doit prendre à nouveau et personnellement ses décisions. Même les plus grandes valeurs du passé ne peuvent pas être transmises en héritage; elles doivent, de fait, être faites nôtres et renouvelées à travers un choix personnel souvent laborieux.

Toutefois, quand les fondations sont ébranlées ou quand les certitudes essentielles font défaut, le besoin de ces valeurs recommence à se faire sentir de façon urgente: ainsi, concrètement, la demande d'une éducation qui soit une réelle éducation, augmente aujourd'hui. Les parents, préoccupés et souvent angoissés pour l'avenir de leurs enfants, la demandent; beaucoup d'enseignants, qui vivent la triste expérience de la dégradation de leurs écoles, la demandent; la société dans son ensemble, qui voit mettre en doute les bases mêmes de la coexistence, la demande; les enfants et les jeunes, qui ne veulent pas être laissés seuls face aux défis de la vie, la demandent au plus profond d'eux-mêmes. Par ailleurs, celui qui croit en Jésus Christ a une autre raison, plus forte encore, de ne pas avoir peur: il sait, en effet, que Dieu ne nous abandonne pas, que son amour nous atteint là où nous sommes et tels que nous sommes, avec nos pauvretés et nos faiblesses, pour nous offrir une nouvelle possibilité de bien.

Chers frères et soeurs, pour rendre plus concrètes mes réflexions, il peut être utile de discerner quelques exigences communes d'une éducation authentique. Elle a besoin avant tout de cette proximité et de cette confiance qui naissent de l'amour; je pense à l'expérience première et fondamentale de l'amour que font, ou du moins devraient faire, les enfants avec leurs parents. Mais tout éducateur véritable sait que pour éduquer il doit donner quelque chose de lui-même et qu'ainsi seulement il peut aider ses élèves à surmonter leurs égoïsmes et à devenir, à leur tour, capables d'un amour authentique.

Chez le petit enfant déjà, il existe un grand désir de savoir et de comprendre qui se manifeste dans ses questions et ses demandes d'explications incessantes. Une éducation qui se limiterait à fournir des notions et des informations, mais qui laisserait de côté la grande question concernant la vérité, surtout cette vérité qui peut servir de guide dans notre vie, serait une bien pauvre éducation.

La souffrance aussi fait partie de la vérité de notre vie. Par conséquent, en cherchant à tenir les plus jeunes à l'écart de toute difficulté et expérience de la douleur, nous risquons de faire grandir, malgré nos bonnes intentions, des personnes fragiles et peu généreuses: la capacité d'aimer correspond, de fait, à la capacité de souffrir et de souffrir ensemble.

Nous en arrivons ainsi, chers amis de Rome, au point sans doute le plus délicat de l'oeuvre éducative: trouver un juste équilibre entre la liberté et la discipline. Sans règles de comportement et de vie, mises en évidence jour après jour jusque dans les petites choses, on ne forme pas le caractère et on n'est pas préparé à affronter les épreuves qui ne manqueront pas à l'avenir. Cependant, la relation éducative est avant tout la rencontre de deux libertés et l'éducation bien réussie est une formation au bon usage de la liberté. Au fur et à mesure que l'enfant grandit, il devient un adolescent, puis un jeune; nous devons donc accepter le risque de la liberté, en demeurant toujours prêts à l'aider à corriger des idées et des choix erronés. En revanche, ce que nous ne devons jamais faire, c'est de le seconder dans les erreurs, faire semblant de ne pas voir, ou pire de les partager, comme si elles étaient les frontières du progrès humain.

L'éducation ne peut donc pas se passer de cette autorité morale qui rend crédible l'exercice des rapports d'autorité. Elle est le fruit de l'expérience et de la compétence, mais s'acquiert surtout par la cohérence de sa propre vie et par l'implication personnelle, expression de l'amour véritable. L'éducateur est donc un témoin de la vérité et du bien: certes, il est fragile lui aussi et peut se tromper, mais il cherchera toujours à être en harmonie avec sa mission.

Très chers fidèles de Rome, ces simples considérations font apparaître combien est décisif, dans l'éducation, le sens des responsabilités: responsabilité de l'éducateur, certes, mais aussi, et dans une mesure croissante avec l'âge, responsabilité du fils, de l'élève, du jeune qui entre dans le monde du travail. Celui qui sait se répondre à lui-même et répondre aux autres est responsable. En outre, celui qui croit cherche avant tout à répondre à Dieu qui l'a aimé le premier.

La responsabilité est en premier lieu personnelle, mais il existe aussi une responsabilité que nous partageons ensemble, comme citoyens d'une même ville et d'une nation, comme membres de la famille humaine et, si nous sommes croyants, comme fils d'un unique Dieu et membres de l'Eglise. De fait, les idées, les styles de vie, les lois, les orientations globales de la société dans laquelle nous vivons, et l'image qu'elle donne d'elle-même à travers les moyens de communication, exercent une grande influence sur la formation des nouvelles générations, pour le bien, mais souvent aussi pour le mal. La société n'est toutefois pas une abstraction; à la fin, nous sommes nous-mêmes, tous ensemble, avec les orientations, les règles et les représentants que nous nous donnons, bien que les rôles et les responsabilités de chacun soient différents. La contribution de chacun de nous est donc nécessaire, de chaque personne, famille ou groupe social, car la société, à commencer par notre ville de Rome, devient un milieu plus favorable à l'éducation.

Je voudrais enfin vous soumettre une pensée que j'ai développée dans la récente Lettre encyclique Spe Salvi sur l'espérance chrétienne: seule une espérance fiable peut être l'âme de l'éducation, comme de la vie tout entière. Aujourd'hui notre espérance est assiégée de toutes parts et nous risquons de redevenir nous aussi, comme les païens d'autrefois, des hommes "sans espérance et sans Dieu dans ce monde", comme l'écrivait l'Apôtre Paul aux chrétiens d'Ephèse (
Ep 2,12). C'est ici précisément que naît la difficulté peut-être la plus profonde pour une véritable oeuvre éducative: à la racine de la crise de l'éducation se trouve, en effet, une crise de confiance dans la vie.

Je ne peux donc pas terminer cette lettre sans une chaleureuse invitation à placer en Dieu notre espérance. Lui seul est l'espérance qui résiste à toutes les déceptions; seul son amour ne peut pas être détruit par la mort; seules sa justice et sa miséricorde peuvent panser les injustices et récompenser les souffrances subies. L'espérance qui s'adresse à Dieu n'est jamais une espérance pour moi seul, c'est toujours aussi une espérance pour les autres: elle ne nous isole pas, mais nous rend solidaires dans le bien, nous stimule à nous éduquer réciproquement à la vérité et à l'amour.

596 Je vous salue avec affection et je vous assure de mon souvenir spécial dans la prière, tout en vous adressant à tous ma Bénédiction.

Du Vatican, le 21 janvier 2008

BENEDICTUS PP. XVI


Place Saint-Pierre Samedi 23 février 2008



Chers frères et soeurs,

Je vous remercie d'avoir répondu si nombreux à l'invitation à cette audience spéciale, au cours de laquelle vous recevrez de mes mains la Lettre que j'ai adressée au diocèse et à la ville de Rome sur le devoir urgent de l'éducation. Je salue avec affection chacun de vous: prêtres, religieux et religieuses, parents, enseignants, catéchistes et autres éducateurs, enfants, adolescents et jeunes, y compris ceux qui suivent l'audience à la télévision. Je salue et je remercie en particulier le Cardinal-Vicaire et tous ceux qui ont pris la parole pour représenter les diverses catégories de personnes impliquées dans le grand défi de l'éducation.

En effet, nous sommes ici réunis parce que nous sommes poussés par une sollicitude commune pour le bien des nouvelles générations, pour la croissance et l'avenir des enfants que le Seigneur a donnés à cette ville. Nous sommes également poussés par une inquiétude, la perception de ce que nous avons appelé "une grande urgence éducative". Eduquer n'a jamais été facile et aujourd'hui, cela semble devenir toujours plus difficile: c'est pourquoi un grand nombre de parents et d'enseignants sont tentés de renoncer à leur devoir, et ne parviennent pas à comprendre quelle est, véritablement, la mission qui leur est confiée. Trop d'incertitudes et trop de doutes circulent dans notre société et dans notre culture, trop d'images déformées sont véhiculées par les moyens de communication sociale. Il devient difficile, dans ces conditions, de proposer aux nouvelles générations quelque chose de valable et de sûr, des règles de comportement et des objectifs qui méritent d'y consacrer sa propre vie. Toutefois, nous sommes ici aujourd'hui également et surtout parce que nous nous sentons soutenus par une grande espérance et une confiance forte: par la certitude que ce "oui" clair et définitif que Dieu, en Jésus Christ, a dit à la famille humaine (cf. 2Co 1,19-20), vaut également pour nos adolescents et nos jeunes, vaut pour les enfants qui viennent au monde. C'est pourquoi également à notre époque éduquer au bien est possible, c'est une passion que nous devons porter dans le coeur, c'est une entreprise commune à laquelle chacun est appelé à apporter sa contribution.
Concrètement, nous sommes ici parce que nous entendons répondre à cette question éducative que les parents ressentent aujourd'hui en eux-mêmes, inquiets pour l'avenir de leurs enfants, ainsi que les enseignants qui vivent de l'intérieur la crise de l'école, les prêtres et les catéchistes qui savent par expérience combien il est difficile d'éduquer à la foi, les enfants, les adolescents et les jeunes, qui ne veulent pas être laissés seuls face aux défis de la vie. Telle est la raison pour laquelle je vous ai écrit, chers frères et soeurs, la lettre que je vais vous remettre. Vous pouvez trouver dans celle-ci certaines indications, simples et concrètes, sur les aspects fondamentaux et communs de l'action éducative. Aujourd'hui, je m'adresse à chacun de vous pour vous offrir mon encouragement affectueux à assumer avec joie la responsabilité que le Seigneur vous confie, afin que le grand héritage de la foi et de la culture, qui est la richesse la plus vraie de cette ville bien-aimée qui est la nôtre, ne soit pas perdue dans le passage d'une génération à l'autre, mais se renouvelle au contraire, se renforce, qu'elle soit un guide et un élan pour notre chemin vers l'avenir.

Dans cet esprit, je m'adresse à vous, chers parents, pour vous demander tout d'abord de demeurer fermes, pour toujours, dans votre amour réciproque: tel est le premier et le grand don dont ont besoin vos enfants, pour grandir sereins, prendre confiance en eux et confiance en la vie, pour apprendre ainsi à être à leur tour capables d'un amour authentique et généreux. L'amour que vous avez pour vos enfants doit ensuite vous donner le style et le courage du véritable éducateur, avec un témoignage cohérent de vie ainsi qu'avec la fermeté nécessaire pour façonner le caractère des nouvelles générations, en les aidant à distinguer avec clarté le bien du mal et à se construire à leur tour de solides règles de vie, qui les soutiennent dans les épreuves futures. Ainsi vous enrichirez vos enfants de l'héritage le plus précieux et durable qui consiste dans l'exemple d'une foi vécue au quotidien.

Dans le même esprit, je vous demande, chers professeurs des divers niveaux scolaires, d'avoir une conception élevée et grande de votre travail exigeant, malgré les difficultés, les incompréhensions, les déceptions, dont vous faites trop souvent l'expérience. Enseigner, en effet, signifie, aller au devant de ce désir de connaître et de comprendre qui est inhérent à l'homme et qui, chez l'enfant, chez l'adolescent, chez le jeune, se manifeste dans toute sa force et sa spontanéité. Votre tâche ne peut donc pas se limiter à fournir des notions et des informations, en laissant de côté la grande question de la vérité, en particulier de cette vérité qui peut servir de guide dans la vie. Vous êtes en effet, de plein droit, des éducateurs: c'est à vous, en étroite harmonie avec les parents, qu'est confié le noble art de la formation de la personne. En particulier, que ceux qui travaillent dans les écoles catholiques portent en eux- mêmes et traduisent en action quotidienne le projet éducatif qui a pour centre le Seigneur Jésus et son Evangile.

Et vous, chers prêtres, religieux et religieuses, catéchistes, animateurs et formateurs des paroisses, des groupes de jeunes, des associations et des mouvements ecclésiaux, des patronages, des activités sportives et récréatives, tentez d'avoir toujours, à l'égard des enfants et des jeunes que vous approchez, les sentiments qui furent ceux de Jésus Christ (cf. Ph 2,5). Soyez donc des amis fiables chez qui ils puissent toucher du doigt l'amitié de Jésus à leur encontre, et dans le même temps soyez des témoins sincères et courageux de cette vérité qui rend libres (cf. Jn 8,32) et qui indique aux nouvelles générations le chemin qui conduit à la vie.


Discours 2005-2013 592