Discours 2005-2013 17428

RENCONTRE INTERRELIGIEUSE "Pope John Paul II Cultural Center" de Washington, D.C. Jeudi 17 avril 2008

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Chers amis,

Je suis heureux d'avoir l'occasion de vous rencontrer aujourd'hui. Je remercie l'évêque Sklba de ses paroles de bienvenue et je vous salue tous cordialement, vous qui êtes ici rassemblés pour représenter les différentes religions présentes aux Etats-Unis d'Amérique. Beaucoup d'entre vous ont aimablement accepté l'invitation à rédiger les réflexions contenues dans le programme d'aujourd'hui. Je vous suis particulièrement reconnaissant des paroles profondes sur la manière dont chacune de vos traditions rend témoignage à la paix. Je vous remercie tous.

Ce pays possède une longue histoire de collaboration entre les différentes religions, dans de nombreux domaines de la vie publique. Des services de prière interreligieuse au cours de la fête nationale du Remerciement, des initiatives communes dans des activités caritatives, une voix unanime à propos d'importantes questions publiques: telles sont certaines des façons dont les membres des différentes religions se rencontrent pour améliorer la compréhension réciproque et promouvoir le bien commun. J'encourage tous les groupe religieux qui sont en Amérique à persévérer dans leur collaboration et à enrichir ainsi la vie publique par des valeurs spirituelles qui animent votre action dans le monde.

Le lieu où nous sommes à présent rassemblés a été expressément fondé pour la promotion de ce type de collaboration. En effet, le "Pope John Paul II Cultural Center" se propose d'offrir une voix chrétienne à la "recherche humaine de la signification et du but de la vie" dans un monde de "communautés religieuses, ethniques et culturelles différentes" (Mission Statement). Cette institution nous rappelle la conviction de cette nation que tous les hommes devraient être libres de rechercher le bonheur de manière compatible avec leur nature de créatures dotées de raison et d'une libre volonté.

Les Américains ont toujours apprécié la possibilité de pratiquer librement leur culte, conformément à leur conscience. Alexis de Tocqueville, l'historien français et observateur des événements américains, était fasciné par cet aspect de la nation. Il a souligné qu'il s'agit d'un pays où la religion et la liberté sont "intimement liées" dans leur contribution à une démocratie stable favorisant les vertus sociales et la participation à la vie communautaire de tous ses citoyens. Dans les zones urbaines, il est courant pour les personnes provenant de traditions culturelles et de religions différentes de s'engager chaque jour l'une à côté de l'autre dans les milieux commerciaux, sociaux et éducatifs. Aujourd'hui, de jeunes chrétiens, juifs, musulmans, hindous, bouddhistes et des enfants de toutes les religions et de tous les pays sont assis côte à côte dans les salles de classe, apprenant les uns avec les autres et les uns des autres. Cette diversité donne lieu à de nouveaux défis qui suscitent une réflexion plus approfondie sur les principes fondamentaux d'une société démocratique. Que d'autres personnes puissent tirer courage de votre expérience, en se rendant compte qu'une société unie peut dériver d'une pluralité de peuples - "E pluribus unum": "D'une multitude, un" -, à condition que tous reconnaissent la liberté religieuse comme un droit civil fondamental (cf. Dignitatis humanae
DH 2).

La tâche de défendre la liberté religieuse n'est jamais terminée. De nouvelles situations et de nouveaux défis invitent les citoyens et les dirigeants à réfléchir sur la façon dont leurs décisions respectent ce droit humain fondamental. Défendre la liberté religieuse dans le cadre de la loi ne garantit pas que les peuples, en particulier les minorités, soient épargnés par des formes injustes de discrimination et de préjugés. Un effort constant est demandé à tous les membres de la société dans le but de garantir que soit offerte aux citoyens l'opportunité d'exercer leur culte de manière pacifique et de transmettre leur patrimoine religieux à leurs enfants.

La transmission des traditions religieuses aux générations qui se succèdent, aide non seulement à préserver un patrimoine, mais soutient également et nourrit à l'heure actuelle la culture qui nous entoure. Cela est également valable pour le dialogue entre les religions; ceux qui y participent et la société en tirent un enrichissement. Dans la mesure où nous grandissons dans la compréhension les uns des autres, nous nous rendons compte que nous partageons une estime pour les valeurs éthiques que la raison humaine peut atteindre, qui sont respectées par toutes les personnes de bonne volonté. Le monde demande avec insistance un témoignage commun de ces valeurs. J'invite donc toutes les personnes religieuses à considérer le dialogue non seulement comme un moyen pour renforcer la compréhension réciproque, mais également comme une façon de servir la société de manière plus large. En témoignant des vérités morales qu'ils ont en commun avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, les groupes religieux exerceront une influence positive sur la culture au niveau le plus large et ils inspireront leurs voisins, leurs collègues de travail et leurs concitoyens à s'unir à la tâche de renforcer les liens de solidarité. Pour reprendre les paroles du Président Franklin Delano Roosevelt, "il ne pourrait arriver rien de plus grand à notre terre aujourd'hui qu'une renaissance de l'esprit de foi".

Un exemple concret de la contribution que les communautés religieuses peuvent offrir à la société civile sont les écoles confessionnelles. Ces institutions enrichissent les enfants tant intellectuellement que spirituellement. Guidés par leurs enseignants à la découverte de la dignité donnée par Dieu à chaque être humain, les jeunes apprennent à respecter les croyances et les pratiques religieuses des autres, en développant la vie civile de la nation.

Quelle immense responsabilité ont les chefs religieux! Ils doivent imprégner la société d'une profonde crainte et respect pour la vie humaine et la liberté; garantir que la dignité humaine soit reconnue et appréciée; faciliter la paix et la justice; enseigner aux enfants ce qui est juste, bien et raisonnable!

Il y a un autre point sur lequel je désire m'arrêter ici. J'ai remarqué un intérêt croissant parmi les jeunes pour développer des programmes destinés à promouvoir le dialogue interreligieux et interculturel. Il s'agit d'initiatives louables. Dans le même temps, la liberté religieuse, le dialogue interreligieux et la foi visent à quelque chose de plus qu'un consensus en vue de déterminer des voies pour mettre en oeuvre des stratégies concrètes pour faire progresser la paix. L'objectif le plus vaste du dialogue est celui de découvrir la vérité. Quelle est l'origine et le destin du genre humain? Que sont le bien et le mal? Ce n'est qu'en affrontant ces questions plus profondes que nous pourrons construire une base solide pour la paix et la sécurité de la famille humaine: "Là où l'homme se laisse éclairer par la splendeur de la vérité, il entreprend presque naturellement le chemin de la paix" (Message 2006 pour la Journée mondiale de la Paix, n. 3).

Nous vivons à une époque où ces questions sont trop souvent mises de côté. Toutefois, elles ne pourront jamais être effacées du coeur de l'homme. Au cours de l'histoire, les hommes et les femmes ont cherché à expliquer leur inquiétude en la reliant à ce monde qui passe. Dans la tradition judéo-chrétienne, les Psaumes sont remplis de ces expressions: "Le souffle en moi s'épuise" (Ps 143,4 cf; Ps 6,7 Ps 31,11 Ps 32,4 Ps 38,8 Ps 77,3), "Pourquoi te désoler, ô mon âme, et gémir sur moi?" (Ps 42,6). La réponse est toujours une réponse de foi: "Espère en Dieu! De nouveau je rendrai grâce: il est mon sauveur et mon Dieu" (ibid.; cf. Ps Ps 62,6). Les chefs spirituels ont un devoir particulier, et nous pourrions dire une compétence spéciale, pour mettre au premier plan les questions les plus profondes de la conscience humaine, pour réveiller l'humanité devant le mystère de l'existence humaine, pour faire place dans un monde frénétique à la réflexion et à la prière.

Placés face à ces interrogations les plus profondes concernant l'origine et le destin du genre humain, les chrétiens proposent Jésus de Nazareth. Il est - telle est notre foi - le Logos éternel, qui s'est fait chair pour réconcilier l'homme avec Dieu et révéler la raison qui se trouve à la base de toute les choses. C'est Lui que nous apportons dans le forum du dialogue interreligieux. Le désir ardent de suivre ses traces pousse les chrétiens à ouvrir leurs esprits et leurs coeurs au dialogue (cf. Lc 10,25-37 Jn 4,7-26).

Chers amis, dans notre tentative de découvrir les points communs, nous avons peut-être évité la responsabilité de discuter de nos différences avec calme et clarté. Alors que nous unissons toujours nos coeurs et nos esprits dans la recherche de la paix, nous devons également écouter avec attention la voix de la vérité. De cette manière, notre dialogue ne se limite pas à reconnaître un ensemble commun de valeurs, mais il se pousse en avant pour enquêter sur leur fondement ultime. Nous n'avons aucun motif d'avoir peur, car la vérité nous révèle le rapport essentiel entre le monde et Dieu. Nous sommes en mesure de percevoir que la paix est un "don céleste", qui nous appelle à conformer l'histoire humaine à l'ordre divin. C'est là que se trouve la "vérité de la paix" (cf. Message pour la Journée mondiale de la Paix 2006).

Comme nous l'avons vu alors, l'objectif le plus important du dialogue interreligieux demande une claire exposition de nos doctrines religieuses respectives. A ce propos, les collèges, les universités et les centres d'étude sont des lieux importants pour un échange sincère d'idées religieuses. Le Saint-Siège, pour sa part, cherche à mener à bien cet important travail à travers le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, l'Institut pontifical d'études arabes et sur l'islam, et les diverses universités pontificales.

Chers amis, faites en sorte que notre dialogue sincère et notre coopération puissent inspirer toutes les personnes à méditer sur les questions les plus profondes à propos de leur origine et de leur destin. Puissent les disciples de toutes les religions être unis dans la défense et la promotion de la vie et de la liberté religieuse dans le monde entier. En nous consacrant généreusement à cette sainte tâche - à travers le dialogue et d'innombrables petits actes d'amour, de compréhension et de compassion - nous pouvons être des instruments de paix pour toute la famille humaine. Paix à vous tous!



RENCONTRE AVEC LES REPRÉSENTANTS DE LA COMMUNAUTÉ JUIVE "Pope John Paul II Cultural Center" de Washington Jeudi 17 avril 2008

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Chers amis,

J'étends un salut spécial de paix à la communauté juive des Etats-Unis et du monde entier, alors que vous vous préparez à célébrer la festivité annuelle de Pesah.Ma visite dans ce pays coïncide avec cette fête et me permet de vous rencontrer en personne et de vous assurer de ma prière alors que vous célébrez la mémoire des signes et des prodiges que Dieu a accomplis pour libérer son peuple élu. En raison de notre héritage spirituel commun, j'ai le plaisir de vous confier ce message comme signe de notre espérance qui se fonde sur le Tout-Puissant et sur sa miséricorde.



RENCONTRE AVEC LE PERSONNEL DE L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES New York Vendredi 18 avril 2008

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Mesdames et Messieurs,

Ici, dans un petit espace au sein de la ville débordante d'énergie de New York trouve sa place une organisation qui a la mission mondiale de promouvoir la justice et la paix. Il me vient à l'esprit un contraste analogue quant à l'échelle entre l'Etat de la Cité du Vatican et le monde dans lequel l'Eglise exerce sa mission et son apostolat universels. Les artistes du XVI siècle qui peignirent les cartes décorant les murs du Palais apostolique rappelèrent aux Papes toute l'étendue du monde connu. Dans ces fresques, il était offert aux Successeurs de Pierre le signe tangible de l'immensité de la mission de l'Eglise à une époque où les découvertes du Nouveau Monde ouvraient des horizons inconnus jusqu'alors. Ici, dans ce Palais de Verre, les oeuvres d'art exposées nous rappelle à leur manière les responsabilités de l'Organisation des Nations unies. Nous voyons des images de la guerre et de la pauvreté, nous sommes rappelés à notre devoir de lutter pour un monde meilleur, et nous nous réjouissons de la grande diversité et de l'abondance de la culture humaine, qui se manifeste dans la vaste gamme de peuples et de nations réunis sous la protection de la Communauté internationale.

A l'occasion de ma visite, je voudrais rendre hommage à la contribution inestimable du personnel administratif et des nombreux employés des Nations unies, qui accomplissent leur tâche avec tant de dévouement et de professionnalisme chaque jour - ici à New York, dans d'autres centres des Nations unies et en mission spéciale à travers le monde. A vous, comme à tous ceux qui vous ont précédés, je souhaite exprimer mon estime personnelle et celle de toute l'Eglise catholique. Nous nous rappelons en particulier tous les civils et les professionnels du maintien de la paix qui ont sacrifié leur vie sur le terrain pour le bien des peuples qu'ils servent - au cours de la seule année 2007, ils ont été quarante-deux. Nous nous rappelons également le très grand nombre de personnes qui consacrent leurs vies à un travail qui n'est jamais suffisamment reconnu, souvent effectué dans des circonstances difficiles. A chacun de vous - traducteurs, secrétaires, personnel administratif de tout type, équipes d'entretien et de sécurité, spécialistes du développement, professionnels du maintien de la paix et bien d'autres - merci, de tout coeur. Le travail que vous accomplissez permet à l'Organisation de continuer d'explorer de nouvelles manières d'atteindre les buts pour lesquels elle a été fondée.

Les Nations unies sont souvent appelées la "famille des nations". Dans cette perspective, le quartier général ici à New York pourrait être décrit comme une maison, un lieu de bienvenue et de préoccupation pour le bien des membres de la famille partout dans le monde. C'est un formidable lieu où promouvoir la croissance de la compréhension et de la collaboration entre les peuples. Très justement, l'équipe des Nations unies est sélectionnée dans un large éventail de cultures et de nationalités. Le personnel constitue ici un microcosme du monde entier, dans lequel chaque individu apporte une contribution indispensable dans la perspective de son héritage culturel et religieux. Les idéaux qui inspirèrent les fondateurs de cette institution doivent s'exprimer ici et dans chacune des missions de l'Organisation à travers le monde dans un respect et une acceptation mutuels, qui sont les gages d'une famille florissante.

Dans les débats internes des Nations unies, une place croissante est accordée à la "responsabilité de protéger". En effet, cela commence à être reconnu comme une base morale pour le droit d'un gouvernement à exercer son autorité. Cela est également une caractéristique qui par nature appartient à la famille, où les membres les plus forts prennent soin des plus faibles. Cette Organisation, en surveillant dans quelle mesure les gouvernements répondent à leur responsabilité de protéger leurs citoyens, exerce un service important au nom de la Communauté internationale. Jour après jour, c'est vous qui, à travers la considération que vous montrez les uns à l'égard des autres sur votre lieu de travail et par votre sollicitude pour les nombreux peuples dont vous servez les besoins et les aspirations à travers tout ce que vous accomplissez, posez les fondements sur lesquels se construit ce travail.

L'Eglise catholique, à travers l'activité internationale du Saint-Siège et les innombrables initiatives de catholiques laïcs, d'Eglises locales et de communautés religieuses, vous garantit son soutien pour votre travail. Je vous assure de mon souvenir particulier dans la prière pour vous et vos proches. Puisse Dieu tout-puissant vous bénir toujours et vous réconforter par sa grâce et sa paix, afin que, à travers l'attention que vous offrez à toute la famille humaine, vous puissiez continuer à Le servir.
Merci.


RENCONTRE AVEC LES MEMBRES DE L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES New York Vendredi 18 avril 2008

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Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

En m’adressant à cette Assemblée, j’aimerais avant tout vous exprimer, Monsieur le Président, ma vive reconnaissance pour vos aimables paroles. Ma gratitude va aussi au Secrétaire général, Monsieur Ban Ki-moon, qui m’a invité à venir visiter le Siège central de l’Organisation, et pour l’accueil qu’il m’a réservé. Je salue les Ambassadeurs et les diplomates des Pays membres et toutes les personnes présentes. À travers vous, je salue les peuples que vous représentez ici. Ils attendent de cette institution qu’elle mette en oeuvre son inspiration fondatrice, à savoir constituer un « centre pour la coordination de l’activité des Nations unies en vue de parvenir à la réalisation des fins communes » de paix et de développement (cf. Charte des Nations unies, art. 1.2-1.4). Comme le Pape Jean-Paul II l’exprimait en 1995, l’Organisation devrait être un « centre moral, où toutes les nations du monde se sentent chez elles, développant la conscience commune d’être, pour ainsi dire, une famille de nations » (Message à l’Assemblée générale des Nations unies pour
LE 50 le 50e anniversaire de la fondation, New York, 5 octobre 1995).

À travers les Nations unies, les États ont établi des objectifs universels qui, même s’ils ne coïncident pas avec la totalité du bien commun de la famille humaine, n’en représentent pas moins une part fondamentale. Les principes fondateurs de l’Organisation – le désir de paix, le sens de la justice, le respect de la dignité de la personne, la coopération et l’assistance humanitaires – sont l’expression des justes aspirations de l’esprit humain et constituent les idéaux qui devraient sous-tendre les relations internationales. Comme mes prédécesseurs Paul VI et Jean-Paul II l’ont affirmé depuis cette même tribune, tout cela fait partie de réalités que l'Église catholique et le Saint-Siège considèrent avec attention et intérêt, voyant dans votre activité un exemple de la manière dont les problèmes et les conflits qui concernent la communauté mondiale peuvent bénéficier d’une régulation commune. Les Nations unies concrétisent l’aspiration à « un degré supérieur d’organisation à l’échelle internationale » (Jean-Paul II, Encycl. Sollicitudo rei socialis, n. 43), qui doit être inspiré et guidé par le principe de subsidiarité et donc être capable de répondre aux exigences de la famille humaine, grâce à des règles internationales efficaces et à la mise en place de structures aptes à assurer le déroulement harmonieux de la vie quotidienne des peuples. Cela est d’autant plus nécessaire dans le contexte actuel où l’on fait l’expérience du paradoxe évident d’un consensus multilatéral qui continue à être en crise parce qu’il est encore subordonné aux décisions d’un petit nombre, alors que les problèmes du monde exigent, de la part de la communauté internationale, des interventions sous forme d’actions communes.

En effet, les questions de sécurité, les objectifs de développement, la réduction des inégalités au niveau local et mondial, la protection de l’environnement, des ressources et du climat, requièrent que tous les responsables de la vie internationale agissent de concert et soient prêts à travailler en toute bonne foi, dans le respect du droit, pour promouvoir la solidarité dans les zones les plus fragiles de la planète. Je pense en particulier à certains pays d’Afrique et d’autres continents qui restent encore en marge d’un authentique développement intégral, et qui risquent ainsi de ne faire l’expérience que des effets négatifs de la mondialisation. Dans le contexte des relations internationales, il faut reconnaître le rôle primordial des règles et des structures qui, par nature, sont ordonnées à la promotion du bien commun et donc à la sauvegarde de la liberté humaine. Ces régulations ne limitent pas la liberté. Au contraire, elles la promeuvent quand elles interdisent des comportements et des actions qui vont à l’encontre du bien commun, qui entravent son exercice effectif et qui compromettent donc la dignité de toute personne humaine. Au nom de la liberté, il doit y avoir une corrélation entre droits et devoirs, en fonction desquels toute personne est appelée à prendre ses responsabilités dans les choix qu’elle opère, en tenant compte des relations tissées avec les autres. Nous pensons ici à la manière dont les résultats de la recherche scientifique et des avancées technologiques ont parfois été utilisés. Tout en reconnaissant les immenses bénéfices que l’humanité peut en tirer, certaines de leurs applications représentent une violation évidente de l’ordre de la création, au point non seulement d’être en contradiction avec le caractère sacré de la vie, mais d’arriver à priver la personne humaine et la famille de leur identité naturelle. De la même manière, l’action internationale visant à préserver l’environnement et à protéger les différentes formes de vie sur la terre doit non seulement garantir un usage rationnel de la technologie et de la science, mais doit aussi redécouvrir l’authentique image de la création. Il ne s’agira jamais de devoir choisir entre science et éthique, mais bien plutôt d’adopter une méthode scientifique qui soit véritablement respectueuse des impératifs éthiques.

La reconnaissance de l’unité de la famille humaine et l’attention portée à la dignité innée de toute femme et de tout homme reçoivent aujourd’hui un nouvel élan dans le principe de la responsabilité de protéger. Il n’a été défini que récemment, mais il était déjà implicitement présent dès les origines des Nations unies et, actuellement, il caractérise toujours davantage son activité. Tout État a le devoir primordial de protéger sa population contre les violations graves et répétées des droits de l’homme, de même que des conséquences de crises humanitaires liées à des causes naturelles ou provoquées par l’action de l’homme. S’il arrive que les États ne soient pas en mesure d’assurer une telle protection, il revient à la communauté internationale d’intervenir avec les moyens juridiques prévus par la Charte des Nations unies et par d’autres instruments internationaux. L’action de la communauté internationale et de ses institutions, dans la mesure où elle est respectueuse des principes qui fondent l’ordre international, ne devrait jamais être interprétée comme une coercition injustifiée ou comme une limitation de la souveraineté. À l’inverse, c’est l’indifférence ou la non-intervention qui causent de réels dommages. Il faut réaliser une étude approfondie des modalités pour prévenir et gérer les conflits, en utilisant tous les moyens dont dispose l’action diplomatique et en accordant attention et soutien même au plus léger signe de dialogue et de volonté de réconciliation.

Le principe de la « responsabilité de protéger » était considéré par l’antique ius gentium comme le fondement de toute action entreprise par l’autorité envers ceux qui sont gouvernés par elle : à l’époque où le concept d’État national souverain commençait à se développer, le religieux dominicain Francisco De Vitoria, considéré à juste titre comme un précurseur de l’idée des Nations unies, décrivait cette responsabilité comme un aspect de la raison naturelle partagé par toutes les nations, et le fruit d’un droit international dont la tâche était de réguler les relations entre les peuples. Aujourd’hui comme alors, un tel principe doit faire apparaître l’idée de personne comme image du Créateur, ainsi que le désir d’absolu et l’essence de la liberté. Le fondement des Nations unies, nous le savons bien, a coïncidé avec les profonds bouleversements dont a souffert l’humanité lorsque la référence au sens de la transcendance et à la raison naturelle a été abandonnée et que par conséquent la liberté et la dignité humaine furent massivement violées. Dans de telles circonstances, cela menace les fondements objectifs des valeurs qui inspirent et régulent l’ordre international et cela mine les principes intangibles et coercitifs formulés et consolidés par les Nations unies. Face à des défis nouveaux répétés, c’est une erreur de se retrancher derrière une approche pragmatique, limitée à mettre en place des « bases communes », dont le contenu est minimal et dont l’efficacité est faible.

La référence à la dignité humaine, fondement et fin de la responsabilité de protéger, nous introduit dans la note spécifique de cette année, qui marque le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’homme.Ce document était le fruit d’une convergence de différentes traditions culturelles et religieuses, toutes motivées par le désir commun de mettre la personne humaine au centre des institutions, des lois et de l’action des sociétés, et de la considérer comme essentielle pour le monde de la culture, de la religion et de la science. Les droits de l’homme sont toujours plus présentés comme le langage commun et le substrat éthique des relations internationales. Tout comme leur universalité, leur indivisibilité et leur interdépendance sont autant de garanties de protection de la dignité humaine. Mais il est évident que les droits reconnus et exposés dans la Déclaration s’appliquent à tout homme, cela en vertu de l’origine commune des personnes, qui demeure le point central du dessein créateur de Dieu pour le monde et pour l’histoire. Ces droits trouvent leur fondement dans la loi naturelle inscrite au coeur de l’homme et présente dans les diverses cultures et civilisations. Détacher les droits humains de ce contexte signifierait restreindre leur portée et céder à une conception relativiste, pour laquelle le sens et l’interprétation des droits pourraient varier et leur universalité pourrait être niée au nom des différentes conceptions culturelles, politiques, sociales et même religieuses. La grande variété des points de vue ne peut pas être un motif pour oublier que ce ne sont pas les droits seulement qui sont universels, mais également la personne humaine, sujet de ces droits.

A la fois nationale et internationale, la vie de la communauté met clairement en évidence que le respect pour les droits et pour les garanties qui leur sont attachées sont la mesure du bien commun, utilisée pour apprécier le rapport entre justice et injustice, développement et pauvreté, sécurité et conflits. La promotion des droits de l'homme demeure la stratégie la plus efficace quand il s'agit de combler les inégalités entre des pays et des groupes sociaux, quand il s'agit aussi de renforcer la sécurité. En effet les victimes de la misère et du désespoir dont la dignité humaine est impunément violée, deviennent des proies faciles pour les tenants du recours à la violence et deviennent à leur tour des destructeurs de paix. Pourtant le bien commun que les droits de l'homme aident à réaliser ne peut pas être atteint en se contentant d'appliquer des procédures correctes ni même en pondérant des droits en opposition. Le mérite de la Déclaration universelle a été d'ouvrir à des cultures, à des expressions juridiques et à des modèles institutionnels divers la possibilité de converger autour d'un noyau fondamental de valeurs et donc de droits: mais c'est un effort qui, de nos jours, doit être encore plus soutenu face à des instances qui cherchent à réinterpréter les fondements de la Déclaration et à compromettre son unité interne pour favoriser le passage de la protection de la dignité humaine à la satisfaction de simples intérêts, souvent particuliers. La Déclaration a été adoptée comme "un idéal commun qui est à atteindre" (Préambule) et elle ne peut pas être utilisée de manière partielle, en suivant des tendances ou en opérant des choix sélectifs qui risquent de contredire l'unité de la personne humaine et donc l'indivisibilité de ses droits.

Nous constatons souvent dans les faits une prédominance de la légalité par rapport à la justice quand se manifeste une attention à la revendication des droits qui va jusqu'à les faire apparaître comme le résultat exclusif de dispositions législatives ou de décisions normatives prises par les diverses instances des autorités en charge. Quand ils sont présentés sous une forme de pure légalité, les droits risquent de devenir des propositions de faible portée, séparés de la dimension éthique et rationnelle qui constitue leur fondement et leur fin. La Déclaration universelle a en effet réaffirmé avec force la conviction que le respect des droits de l'homme s'enracine avant tout sur une justice immuable, sur laquelle la force contraignante des proclamations internationales est aussi fondée. C'est un aspect qui est souvent négligé quand on prétend priver les droits de leur vraie fonction au nom d'une perspective utilitariste étroite. Parce que les droits et les devoirs qui leur sont liés découlent naturellement de l'interaction entre les hommes, il est facile d'oublier qu'ils sont le fruit du sens commun de la justice, fondé avant tout sur la solidarité entre les membres du corps social et donc valable dans tous les temps et pour tous les peuples. C'était une intuition exprimée, dès le V siècle après Jésus Christ, par l'un des maîtres de notre héritage intellectuel, Augustin d'Hippone. Il enseignait que "le précepte: "Ce que tu ne veux pas qu'on te fasse, ne le fais pas à autrui" ne peut en aucune façon varier en fonction de la diversité des peuples" (De Doctrina Christiana III, 14). Les droits de l'homme exigent alors d'être respectés parce qu'ils sont l'expression de la justice et non simplement en raison de la force coercitive liée à la volonté des législateurs.

Mesdames et Messieurs, à mesure que l'on avance dans l'histoire, de nouvelles situations surgissent et l'on cherche à y attacher de nouveaux droits. Le discernement, c'est-à-dire la capacité de distinguer le bien du mal, est encore plus nécessaire quand sont en jeu des exigences qui appartiennent à la vie et à l'action de personnes, de communautés et de peuples. Quand on affronte le thème des droits, qui mettent en jeu des situations importantes et des réalités profondes, le discernement est une vertu à la fois indispensable et féconde.

Le discernement nous amène alors à souligner que laisser aux seuls Etats, avec leurs lois et leurs institutions, la responsabilité ultime de répondre aux aspirations des personnes, des communautés et de peuples tout entier peut parfois entraîner des conséquences rendant impossible un ordre social respectueux de la dignité de la personne et de ses droits. Par ailleurs, une vision de la vie solidement ancrée dans la dimension religieuse peut permettre d'y parvenir, car la reconnaissance de la valeur transcendante de tout homme et de toute femme favorise la conversion du coeur, ce qui conduit alors à un engagement contre la violence, le terrorisme ou la guerre, et à la promotion de la justice et de la paix. Cela favorise aussi un milieu propice au dialogue interreligieux que les Nations unies sont appelées à soutenir comme elles soutiennent le dialogue dans d'autres domaines de l'activité humaine. Le dialogue doit être reconnu comme le moyen par lequel les diverses composantes de la société peuvent confronter leurs points de vue et réaliser un consensus autour de la vérité concernant des valeurs ou des fins particulières. Il est de la nature des religions librement pratiquées de pouvoir mener de manière autonome un dialogue de la pensée et de la vie. Si, à ce niveau là aussi, la sphère religieuse est séparée de l'action politique, il en ressort également de grands bénéfices pour les personnes individuelles et pour les communautés. D'autre part, les Nations unies peuvent compter sur les fruits du dialogue entre les religions et tirer des bénéfices de la volonté des croyants de mettre leur expérience au service du bien commun. Leur tâche est de proposer une vision de la foi non pas en termes d'intolérance, de discrimination ou de conflit, mais en terme de respect absolu de la vérité, de la coexistence, des droits et de la réconciliation.

Les droits de l'homme doivent évidemment inclure le droit à la liberté religieuse, comprise comme l'expression d'une dimension à la fois individuelle et communautaire, perspective qui fait ressortir l'unité de la personne tout en distinguant clairement entre la dimension du citoyen et celle du croyant. Au cours des dernières années, l'action des Nations unies a permis que le débat public offre des points de vue inspirés par une vision religieuse dans toutes ses dimensions y compris le rite, le culte, l'éducation, la diffusion d'information et la liberté de professer et de choisir sa religion. Il n'est donc pas imaginable que des croyants doivent se priver d'une partie d'eux-mêmes - de leur foi - afin d'être des citoyens actifs. Il ne devrait jamais être nécessaire de nier Dieu pour jouir de ses droits. Il est d'autant plus nécessaire de protéger les droits liés à la religion s'ils sont considérés comme opposés à une idéologie séculière dominante ou à des positions religieuses majoritaires, de nature exclusive. La pleine garantie de la liberté religieuse ne peut pas être limitée au libre exercice du culte, mais doit prendre en considération la dimension publique de la religion et donc la possibilité pour les croyants de participer à la construction de l'ordre social. Ils le font effectivement à l'heure actuelle par exemple à travers leur engagement efficace et généreux dans un vaste réseau d'initiatives qui va des Universités, des Instituts scientifiques et des écoles, jusqu'aux structures qui promeuvent la santé et aux organisations caritatives au service des plus pauvres et des laissés-pour-compte. Refuser de reconnaître l'apport à la société qui s'enracine dans la dimension religieuse et dans la recherche de l'Absolu - qui par nature exprime une communion entre les personnes - reviendrait à privilégier dans les faits une approche individualiste et, ce faisant, à fragmenter l'unité de la personne.

Ma présence au sein de cette Assemblée est le signe de mon estime pour les Nations unies et elle veut aussi manifester le souhait que l'Organisation puisse être toujours davantage un signe d'unité entre les Etats et un instrument au service de toute la famille humaine. Elle manifeste aussi la volonté de l'Eglise catholique d'apporter sa contribution aux relations internationales d'une manière qui permette à toute personne et à tout peuple de sentir qu'ils ont leur importance. D'une manière qui est en harmonie avec sa contribution au domaine éthique et moral et à la libre activité de sa foi, l'Eglise travaille aussi à la réalisation de ces objectifs à travers l'activité internationale du Saint-Siège. Le Saint-Siège a en effet toujours eu sa place dans les assemblées des Nations tout en manifestant son caractère spécifique comme sujet dans le domaine international. Comme les Nations unies l'ont récemment confirmé, le Saint-Siège apporte aussi sa contribution selon les dispositions du droit international, aidant à la définition de ce droit et y recourant.

Les Nations unies demeurent un lieu privilégié où l'Eglise s'efforce de partager son expérience "en humanité", qui a mûri tout au long des siècles parmi les peuples de toute race et de toute culture, et de la mettre à la disposition de tous les membres de la Communauté internationale. Cette expérience et cette activité, qui visent à obtenir la liberté pour tout croyant, cherchent aussi à assurer une protection plus grande aux droits de la personne. Ces droits trouvent leur fondement et leur forme dans la nature transcendante de la personne, qui permet aux hommes et aux femmes d'avancer sur le chemin de la foi et de la recherche de Dieu dans ce monde. Il faut renforcer la reconnaissance de cette dimension si nous voulons soutenir l'espérance de l'humanité en un monde meilleur et si nous voulons créer les conditions pour la paix, le développement, la coopération et la garantie des droits pour les générations à venir.

Dans ma récente encyclique Spe salvi, je rappelais que "la recherche pénible et toujours nouvelle d'ordonnancements droits pour les choses humaines est le devoir de chaque génération" (n. 25). Pour les chrétiens, cette tâche trouve sa justification dans l'espérance qui jaillit de l'oeuvre salvifique de Jésus Christ. C'est pourquoi l'Eglise est heureuse d'être associée aux activités de cette honorable Organisation qui a la responsabilité de promouvoir la paix et la bonne volonté sur toute la terre. Chers Amis, je vous remercie de m'avoir permis de m'adresser à vous aujourd'hui et je vous promets le soutien de mes prières pour que vous poursuiviez votre noble tâche.

Avant de prendre congé de cette illustre Assemblée, je voudrais adresser mes souhaits dans les langues officielles à toutes les nations qui y sont représentées.


Paix et prospérité, avec l’aide de Dieu!





Discours 2005-2013 17428