Discours 2005-2013 10409

VIA CRUCIS AU COLISÉE Palatin Vendredi Saint, 10 avril 2009

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Chers frères et soeurs !

Au terme du récit dramatique de la Passion, l’évangéliste saint Marc relève : « Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, s’écria : ‘Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu !’ » (
Mc 15,39). La profession de foi de ce soldat romain, qui avait assisté au déroulement des différentes étapes de la crucifixion, ne peut pas ne pas nous surprendre. Quand les ténèbres de la nuit s’apprêtaient à descendre sur ce Vendredi unique dans l’Histoire, quand désormais le sacrifice de la Croix était consommé et que les personnes présentes se hâtaient pour pouvoir célébrer régulièrement la Pâque juive, les quelques paroles, tombées des lèvres d’un commandant anonyme de la troupe romaine, résonnèrent dans le silence face à cette mort très singulière. Cet officier de la troupe romaine, qui avait assisté à l’exécution de l’un des nombreux condamnés à la peine capitale, sût reconnaître en cet homme crucifié le Fils de Dieu, ayant expiré dans l’abandon le plus humiliant. Sa fin ignominieuse aurait dû marquer le triomphe définitif de la haine et de la mort sur l’amour et sur la vie. Mais il n’en fut pas ainsi ! Sur le Golgotha, se dressait la Croix sur laquelle était suspendu un homme désormais mort, mais cet homme était « le Fils de Dieu », comme devait le confesser le centurion - « en le voyant mourir ainsi », précise l’évangéliste.

La profession de foi de ce soldat nous est proposée de nouveau chaque fois que nous réentendons le récit de la Passion selon saint Marc. Ce soir, nous aussi, comme lui, nous nous arrêtons pour fixer le visage inanimé du Crucifié, au terme de cette traditionnelle Via Crucis, qui a réuni, grâce aux liaisons radiotélévisées, beaucoup de gens de toutes les parties du monde. Nous avons revécu l’histoire tragique d’un Homme unique dans l’histoire de tous les temps, qui a changé le monde sans tuer les autres, mais en se laissant mettre à mort, suspendu sur une croix. Cet Homme, apparemment l’un d’entre nous, qui, alors qu’il est assassiné, pardonne à ses bourreaux, est le « Fils de Dieu », qui – comme nous le rappelle l’Apôtre Paul - « n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur (…) il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix » (Ph 2,6-8).

La douloureuse Passion du Seigneur Jésus ne peut pas ne pas porter à la pitié même les coeurs les plus endurcis, parce qu’elle constitue le sommet de la révélation de l’amour de Dieu pour chacun de nous. Saint Jean observe : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle » (Jn 3,16). C’est par amour pour nous que le Christ meurt sur la croix ! Au long des millénaires, des foules d’hommes et de femmes se sont laissés fasciner par ce mystère et l’ont suivi, faisant à leur tour, comme Lui et avec son aide, de leur propre vie un don à leurs frères. Ce sont les saints et les martyrs, dont beaucoup demeurent inconnus de nous. Encore à notre époque, combien de personnes, dans le silence de leur existence quotidienne, unissent leurs souffrances à celles du Crucifié et deviennent les apôtres d’un véritable renouveau spirituel et social ! Que serait l’homme sans le Christ ? Saint Augustin observe : « Tu serais toujours dans un état de misère, s’Il ne t’avait fait miséricorde. Tu n’aurais pas retrouvé la vie, s’Il n’avait partagé ta mort. Tu manquerais, s’Il n’était venu à ton aide. Tu serais perdu, s’Il n’était arrivé » (Discours 185, 1). Pourquoi alors ne pas l’accueillir dans notre vie ?

Arrêtons-nous ce soir à contempler son visage défiguré : c’est le visage de l’Homme des douleurs, qui s’est chargé de toutes nos angoisses mortelles. Son visage se reflète sur celui de toute personne humiliée et offensée, malade et souffrante, seule, abandonnée et méprisée. En versant son sang, il nous a rachetés de l’esclavage de la mort, il a brisé la solitude de nos larmes, il est entré dans toutes nos peines et dans tous nos soucis.

Frères et soeurs ! Alors que pointe la Croix sur le Golgotha, le regard de notre foi se projette vers l’aube du Jour nouveau et nous goûtons déjà la joie et l’éclat de Pâques. « Si nous sommes passés par la mort avec le Christ, - écrit saint Paul – nous croyons que nous vivrons aussi avec lui » (Rm 6,8). Avec cette certitude, poursuivons notre chemin. Demain, Samedi Saint, nous veillerons en priant. Mais dors et déjà, nous prions ensemble avec Marie, la Vierge des Douleurs ; nous prions avec tous ceux qui sont éprouvés ; nous prions surtout avec tous ceux qui souffrent dans la région sinistrée de L’Aquila : nous prions pour que, dans cette nuit obscure, à eux aussi apparaisse l’étoile de l’espérance, la lumière du Christ ressuscité.

Dès maintenant, je souhaite à tous une Bonne Pâque dans la lumière du Seigneur ressuscité !


AUX MEMBRES DE LA FAMILLE FRANCISCAINE À L'OCCASION DU CHAPITRE INTERNATIONAL DES NATTES Cours du Palais apostolique de Castel Gandolfo Samedi 18 avril 2009

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Chers frères et soeurs de la famille franciscaine!

C'est avec une grande joie que je vous souhaite la bienvenue, en cet anniversaire heureux et historique qui vous a réunis: le viii centenaire de l'approbation de la "proto-règle" de saint François par le Pape Innocent III. Huit cents ans se sont écoulés et cette douzaine de frères est devenue une multitude répandue dans toutes les régions du monde et elle est aujourd'hui dignement représentée ici par vous. Ces derniers jours, vous vous êtes donné rendez-vous à Assise pour ce que vous avez voulu appeler le "Chapitre des nattes", afin d'évoquer à nouveau vos origines. Et au terme de cette expérience extraordinaire, vous êtes venus ensemble chez le "Seigneur Pape", comme aurait dit votre séraphique fondateur. Je vous salue tous avec affection: les Frères mineurs des trois obédiences, guidés par les ministres généraux respectifs, parmi lesquels le père José Rodriguez Carballo, que je remercie de ses aimables paroles; les membres du Tiers Ordre, et leur ministre général; les religieuses franciscaines et les membres des instituts séculiers franciscains; et, sachant qu'elles sont spirituellement présentes, les Soeurs clarisses, qui constituent le "Deuxième Ordre". Je suis heureux d'accueillir plusieurs évêques franciscains et, en particulier, je salue l'évêque d'Assise, Mgr Domenico Sorrentino, qui représente l'Eglise d'Assise, patrie de François et Claire, et spirituellement, de tous les franciscains. Nous savons combien a été important pour saint François, le lien avec l'évêque d'Assise de l'époque, Guido, qui a reconnu son charisme et l'a soutenu. Ce fut Guido qui présenta François au cardinal Giovanni di San Paolo, qui le présenta ensuite au Pape, favorisant l'approbation de la règle. Charisme et institution sont toujours complémentaires pour l'édification de l'Eglise.

Que vous dire, chers amis? Avant tout, je désire m'unir à vous dans votre action de grâce à Dieu pour tout le chemin qu'il vous a fait accomplir, vous comblant de ses bienfaits. Et en tant que pasteur de toute l'Eglise, je veux lui rendre grâce pour le don précieux que vous êtes vous-mêmes pour tout le peuple chrétien. A partir du petit ruisseau jailli au pied du mont Subasio, s'est formé un grand fleuve, qui a apporté une contribution remarquable à la diffusion universelle de l'Evangile. Tout a commencé par la conversion de François qui, à l'exemple de Jésus, "s'est dépouillé" (cf.
Ph 2,7) et, épousant Dame Pauvreté, est devenu témoin et héraut du Père qui est aux cieux. Au Poverello, nous pouvons littéralement appliquer certaines expressions que l'apôtre Paul réfère à lui-même et que j'aime à rappeler en cette année paulinienne: "Je suis crucifié avec le Christ; et ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi" (Ga 2,19-20). Et encore: "Dorénavant que personne ne me suscite d'ennuis: je porte dans mon corps les marques de Jésus" (Ga 6,17). Des passages de la Lettre aux Galates qui s'appliquent mot pour mot à la figure de saint François. François reparcourt parfaitement ces pas de Paul et, en vérité, il peut dire avec lui: "Pour moi, vivre, c'est le Christ" (Ph 1,21). Il a fait l'expérience de la puissance de la grâce divine et il est comme mort et ressuscité. Toutes ses richesses précédentes, chaque motif de fierté et de sécurité, tout devient une "perte" à partir du moment de la rencontre avec Jésus crucifié et ressuscité (cf. Ph 3,7-11). Tout quitter devient à ce point presque nécessaire, pour exprimer la surabondance du don reçu. Il est tellement grand qu'il requiert un dépouillement total, qui cependant ne suffit pas; il mérite une vie entière vécue selon la forme du saint Evangile" (2 Test., 14: Sources franciscaines, 116).

Et ici, nous arrivons au point qui est assurément au centre de notre rencontre. Je le résumerais ainsi: l'Evangile comme règle de vie. "La Règle et vie des frères mineurs est la suivante: observer le saint Evangile de Notre Seigneur Jésus Christ", écrit François au début de la Règle (Deuxième Règle I, 1: Sources franciscaines, 75). Il se comprit lui-même entièrement à la lumière de l'Evangile. C'est ce qui le rend exemplaire. C'est ce qui fait son actualité permanente. Tommaso da Celano rapporte que le Poverello "portait toujours Jésus dans son coeur. Jésus sur les lèvres, Jésus dans ses oreilles, Jésus dans ses yeux, Jésus dans ses mains, Jésus dans tous ses autres membres... Et même, se trouvant souvent en voyage et méditant et chantant Jésus, il oubliait qu'il était en voyage et il s'arrêtait pour inviter toutes les créatures à louer Jésus" (1 Cel., ii, 9, 115: Sources franciscaines, 115). Ainsi, le Poverello est devenu un évangile vivant, capable d'attirer au Christ les hommes et les femmes de tous les temps, en particulier les jeunes, qui préfèrent le radicalisme aux demi-mesures. L'évêque d'Assise, Guido, puis le Pape Innocent iii ont reconnu dans le propos de François et de ses compagnons l'authenticité évangélique, et ils ont su en encourager l'engagement, également en vue du bien de l'Eglise.

Une réflexion naît spontanément: François aurait pu aussi ne pas venir auprès du Pape. De nombreux groupes et mouvements religieux se formaient à l'époque, et certains d'entre eux s'opposaient à l'Eglise comme institution, ou tout au moins ne cherchaient pas son approbation. Une attitude polémique envers la hiérarchie aurait sûrement procuré à François de nombreux disciples. Au contraire, il a tout de suite pensé à mettre son chemin et celui de ses compagnons entre les mains de l'évêque de Rome, le Successeur de Pierre. Cela révèle son authentique esprit ecclésial. Le petit "nous" qui avait commencé avec ses premiers frères, il l'a conçu dès le début à l'intérieur du grand "nous" de l'Eglise une et universelle. Et le Pape a reconnu et apprécié cela. Le Pape aussi, en effet, aurait pu pour sa part ne pas approuver le projet de vie de François. Et nous pouvons même bien imaginer que, parmi les collaborateurs d'Innocent iii, quelqu'un l'ait conseillé dans ce sens, justement peut-être parce qu'il craignait que ce petit groupe de frères ressemble à d'autres rassemblements à tendance hérétique et paupéristes de l'époque. Au contraire, le Souverain Pontife, bien informé par l'évêque d'Assise et par le cardinal Giovanni di San Paolo, a su discerner l'initiative de l'Esprit Saint et il a accueilli, béni et encouragé la communauté naissante des "frères mineurs".

Chers frères et soeurs, huit siècles se sont écoulés, et vous avez aujourd'hui voulu renouveler le geste de votre fondateur. Vous êtes tous des enfants et des héritiers de ces origines. De cette "bonne semence" qu'a été saint François, conformé à son tour au "grain de blé" qu'est le Seigneur Jésus mort et ressuscité pour porter beaucoup de fruit (cf. Jn 12,24). Les saints reproposent la fécondité du Christ. Comme François et Claire d'Assise, vous aussi, engagez-vous à toujours suivre cette même logique: perdre sa vie à cause de Jésus et de l'Evangile, pour la sauver et la rendre féconde de fruits abondants. Alors que vous remerciez le Seigneur qui vous a appelés à faire partie d'une "famille" aussi grande et belle, restez à l'écoute de ce que l'Esprit lui dit aujourd'hui, en chacune de ses composantes, pour continuer à annoncer avec passion le Royaume de Dieu, sur les pas du Père séraphique. Que chaque frère et chaque soeur garde toujours une âme contemplative, simple et joyeuse: repartez toujours du Christ comme François est parti du regard du crucifix de Saint-Damien et de la rencontre avec le lépreux, pour voir le visage du Christ dans nos frères qui souffrent et apporter sa paix à tous. Soyez des témoins de la "beauté" de Dieu, que François a su chanter en contemplant les merveilles de la création, et qui l'a fait s'exclamer en s'adressant au Très Haut: "Tu es beauté!" (Louange au Très Haut, 4.6: Sources franciscaines, 261).

Très chers amis, la dernière parole que je veux vous laisser est celle que Jésus ressuscité a confiée à ses disciples: "Allez!" (cf. Mt 28,19 Mc 16,15). Allez et continuez à "réparer la maison" du Seigneur Jésus Christ, son Eglise. Ces derniers jours, le tremblement de terre qui a frappé les Abruzzes a gravement endommagé de nombreuses églises, et vous, d'Assise, vous savez bien ce que cela signifie. Mais il y a une autre "ruine" qui est bien plus grave: celle des personnes et des communautés! Comme François, commencez toujours par vous-mêmes. C'est nous, les premiers, qui sommes la maison que Dieu veut restaurer. Dans la mesure où vous serez capables de vous renouveler dans l'esprit de l'Evangile, vous continuerez à aider les pasteurs de l'Eglise à rendre toujours plus beau son visage d'épouse du Christ. C'est cela que le Pape, aujourd'hui comme aux origines, attend de vous. Merci d'être venus! Allez maintenant et apportez à tous la paix et l'amour du Christ Sauveur. Que Marie, l'Immaculée, "Vierge faite Eglise" (cf. Salutation à la bienheureuse Vierge Marie, 1: Sources franciscaines, 259), vous accompagne toujours. Et que vous soutienne aussi cette Bénédiction apostolique que je vous accorde de tout coeur, à vous tous ici présents, et à toute la famille franciscaine.


AUX MEMBRES DE LA COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE Salle des Papes Jeudi 23 avril 2009

Monsieur le cardinal, excellence,
chers membres
de la Commission biblique pontificale!

892 Je suis heureux de vous accueillir encore une fois au terme de votre assemblée plénière annuelle. Je remercie Monsieur le cardinal William Levada pour son adresse d'hommage et pour la présentation concise du thème qui a été l'objet d'une réflexion attentive au cours de votre réunion. Vous vous êtes à nouveau réunis pour approfondir un thème très important: l'inspiration et la vérité de la Bible. Il s'agit d'un thème qui concerne non seulement la théologie, mais l'Eglise elle-même, car la vie et la mission de l'Eglise se fondent nécessairement sur la Parole de Dieu, qui est l'âme de la théologie et, en même temps, inspire toute l'existence chrétienne. Le thème que vous avez affronté répond, en outre, à une préoccupation qui me tient particulièrement à coeur, car l'interprétation des Saintes Ecritures est d'une importance capitale pour la foi chrétienne et pour la vie de l'Eglise.

Comme vous l'avez déjà rappelé, monsieur le président, dans l'encyclique Providentissimus Deus le Pape Léon XIII offrait aux exégètes catholiques de nouveaux encouragements et de nouvelles directives sur le thème de l'inspiration de la vérité et de l'herméneutique biblique. Plus tard, Pie xii, dans son encyclique Divino afflante Spiritu, réunissait et complétait l'enseignement précédent, en exhortant les exégètes catholiques à parvenir à des solutions pleinement en accord avec la doctrine de l'Eglise, en tenant compte comme il se doit des contributions positives des nouvelles méthodes d'interprétation qui s'étaient développées entre-temps. Le vif élan donné par ces deux Papes aux études bibliques, comme vous l'avez également dit, a trouvé toute sa confirmation et a été ultérieurement développé dans le Concile Vatican II, si bien que toute l'Eglise en a tiré bénéfice. En particulier, la Constitution conciliaire Dei Verbum éclaire encore aujourd'hui l'oeuvre des exégètes catholiques et invite les pasteurs et les fidèles à se nourrir avec plus d'assiduité à la table de la Parole de Dieu. A cet égard, le Concile rappelle tout d'abord que Dieu est l'auteur des Saintes Ecritures: "La vérité divinement révélée, que contiennent et présentent les livres de la Sainte Ecriture, y a été consignée sous l'inspiration de l'Esprit Saint. Notre Sainte Mère l'Eglise, de par sa foi apostolique, juge sacrés et canoniques tous les livres tant de l'Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties, puisque, rédigés sous l'inspiration de l'Esprit Saint, ils ont Dieu pour auteur et qu'ils ont été transmis comme tels à l'Eglise elle-même" (Dei Verbum
DV 11). Par conséquent, puisque tout ce que les auteurs inspirés ou hagiographes affirment doit être considéré comme affirmé par l'Esprit Saint, auteur invisible et transcendant, il faut par conséquent déclarer que "les livres de l'Ecriture enseignent fidèlement, fermement et sans erreurs la vérité que Dieu pour notre salut a voulu voir consignée dans les Lettres sacrées" (ibid., n. 11).

C'est de la définition correcte du concept d'inspiration divine et de vérité de l'Ecriture Sainte que dérivent certaines normes qui concernent directement son interprétation. La Constitution Dei Verbum elle-même, après avoir affirmé que Dieu est l'auteur de la Bible, nous rappelle que, dans l'Ecriture Sainte, Dieu parle à l'homme de manière humaine. Et cette synergie divino-humaine est très importante: Dieu parle réellement aux hommes de manière humaine. Pour une interprétation correcte de l'Ecriture Sainte, il faut donc rechercher avec attention ce que les hagiographes ont vraiment voulu affirmer et ce que Dieu a voulu manifester à travers des paroles humaines. "En effet, les paroles de Dieu, passant par les langues humaines ont pris la ressemblance du langage des hommes, de même que jadis le Verbe du Père éternel ayant pris l'infirmité de notre chair, est devenu semblable aux hommes" (Dei Verbum DV 13). Ces indications extrêmement nécessaires pour une interprétation correcte à caractère historique et littéraire en tant que première dimension de toute exégèse, exigent ensuite un lien avec les prémisses de la doctrine sur l'inspiration et la vérité de l'Ecriture Sainte. En effet, l'Ecriture étant inspirée, il y a un souverain principe de juste interprétation sans lequel les écrits saints demeureraient lettre morte, uniquement du passé: l'Ecriture Sainte doit "être lue et interprétée à la lumière du même Esprit qui la fit rédiger" (Dei Verbum DV 12).

A cet égard, le Concile Vatican ii indique trois critères toujours valables pour une interprétation de l'Ecriture Sainte conforme à l'esprit qui l'a inspirée. Tout d'abord, il faut prêter une grande attention au contenu et à l'unité de toute l'Ecriture: ce n'est que dans son unité qu'elle est l'Ecriture. En effet, bien que les livres qui la composent soient différents, l'Ecriture Sainte est une en vertu de l'unité du dessein de Dieu, dont le Christ Jésus est le centre et le coeur (cf. Lc 24,25-27 Lc 24,44-46). En second lieu, il faut lire l'Ecriture dans le contexte de la tradition vivante de toute l'Eglise. Selon une formule d'Origène, "Sacra Scriptura principalius est in corde Ecclesiae quam in materialibus instrumentis scripta" c'est-à-dire, "l'Ecriture Sainte est écrite dans le coeur de l'Eglise avant que sur des instruments matériels". En effet, l'Eglise porte dans sa Tradition la mémoire vivante de la Parole de Dieu et c'est l'Esprit Saint qui lui donne l'interprétation de celle-ci selon le sens spirituel (cf. Origène, Homiliae in Leviticum, 5, 5). Comme troisième critère, il est nécessaire de prêter attention à l'analogie de la foi, c'est-à-dire à la cohésion des vérités de foi individuelles entre elles et avec le plan d'ensemble de la Révélation et la plénitude de l'économie divine renfermée en elle.

La tâche des chercheurs qui étudient de diverses manières l'Ecriture Sainte est celle de contribuer selon les principes susmentionnés à la compréhension et à la présentation plus profondes du sens de l'Ecriture Sainte. L'étude scientifique des textes sacrés est importante, mais elle ne suffit pas à elle seule, parce qu'elle ne respecterait que la dimension humaine. Pour respecter la cohérence de la foi de l'Eglise, l'exégète catholique doit être attentif à percevoir la Parole de Dieu dans ces textes, au sein de la foi de l'Eglise elle-même. En l'absence de ce point de référence indispensable, la recherche exégétique demeurerait incomplète, en perdant de vue sa finalité principale, avec le risque d'être réduite à une lecture purement littéraire, dans laquelle le véritable Auteur - Dieu - n'apparaît plus. En outre, l'interprétation des Saintes Ecritures ne peut pas être uniquement un travail scientifique individuel, mais doit toujours être confrontée, inscrite et authentifiée par la tradition vivante de l'Eglise. Cette norme est décisive pour préciser le rapport correct et réciproque entre l'exégèse et le magistère de l'Eglise. L'exégète catholique ne se sent pas seulement membre de la communauté scientifique, mais également et surtout membre de la communauté des croyants de tous les temps. En réalité, ces textes n'ont pas été donnés aux chercheurs individuellement ou à la communauté scientifique "pour satisfaire leur curiosité ou pour leur fournir des sujets d'études ou de recherche" (Divino afflante Spiritu , EB He 566). Les textes inspirés par Dieu ont été confiés en premier lieu à la communauté des croyants, à l'Eglise du Christ, pour alimenter la vie de foi et guider la vie de charité. Le respect de cette finalité conditionne la validité et l'efficacité de l'herméneutique biblique. L'encyclique Prudentissimus Deus a rappelé cette vérité fondamentale et a observé que, loin de faire obstacle à la recherche biblique, le respect de cette dimension favorise son progrès authentique. Je dirais qu'une herméneutique de la foi correspond davantage à la réalité de ce texte qu'une herméneutique rationaliste, qui ne connaît pas Dieu.

Etre fidèles à l'Eglise signifie, en effet, s'inscrire dans le courant de la grande Tradition qui, sous la direction du magistère, a reconnu les écrits canoniques comme parole adressée par Dieu à son peuple et n'a jamais cessé de les méditer et d'en redécouvrir les richesses inépuisables. Le Concile Vatican ii l'a réaffirmé avec une grande clarté: "Tout ce qui concerne la manière d'interpréter l'Ecriture est finalement soumis au jugement de l'Eglise, qui exerce le ministère et le mandat divinement reçus de garder la parole de Dieu et de l'interpréter" (Dei Verbum DV 12). Comme nous le rappelle la Constitution dogmatique susmentionnée, il existe une unité indissociable entre l'Ecriture Sainte et la Tradition, car toutes deux proviennent d'une même source: "La sainte Tradition et la Sainte Ecriture sont donc reliées et communiquent étroitement entre elles. Car toutes deux, jaillissant d'une source divine identique, ne forment pour ainsi dire qu'un tout et tendent à une même fin. En effet, la Sainte Ecriture est la parole de Dieu consignée par écrit sous l'inspiration de l'Esprit divin; quant à la sainte Tradition, elle porte la Parole de Dieu, confiée par la Christ Seigneur et par l'Esprit Saint aux apôtres et la transmet intégralement à leurs successeurs, pour que, illuminés par l'esprit de vérité, en la prêchant, ils la gardent, l'exposent et la diffusent avec fidélité: il en résulte que l'Eglise ne tire pas de la seule Ecriture Sainte sa certitude sur tous les points de la Révélation. C'est pourquoi l'une et l'autre doivent être reçues et vénérées avec un égal sentiment d'amour et de respect" (Dei Verbum DV 9). Comme nous le savons, cette expression "pari pietatis affectu ac reverentia" a été créée par saint Basile, a ensuite été reprise dans le décret de Gratien, d'où elle est entrée dans le Concile de Trente puis dans Vatican ii. Elle exprime précisément cette interpénétration entre Ecriture et Tradition. Seul le contexte ecclésial permet à l'Ecriture Sainte d'être comprise comme authentique Parole de Dieu qui se fait guide, norme et règle pour la vie de l'Eglise et la croissance spirituelle des croyants. Cela, comme je l'ai déjà dit n'empêche en aucune manière une interprétation sérieuse, scientifique, mais ouvre en outre l'accès aux dimensions ultérieures du Christ, inaccessibles à une analyse uniquement littéraire, qui demeure incapable d'accueillir en soi le sens global qui, au cours des siècles, a guidé la Tradition de tout le Peuple de Dieu.

Chers membres de la Commission biblique pontificale, je souhaite conclure mon intervention en vous faisant part à tous de mes remerciements et de mes encouragements personnels. Je vous remercie cordialement du travail difficile que vous effectuez au service de la Parole de Dieu et de l'Eglise, à travers la recherche, l'enseignement et la publication de vos études. J'ajoute à cela mes encouragement pour le chemin qui reste encore à parcourir. Dans un monde où la recherche scientifique assume une importance toujours plus grande dans de nombreux domaines, il est indispensable que la science exégétique se situe à un niveau adéquat. C'est l'un des aspects de l'inculturation de la foi qui fait partie de la mission de l'Eglise, en harmonie avec l'accueil du mystère de l'Incarnation. Chers frères et soeurs, que le Seigneur Jésus Christ, Verbe de Dieu incarné et divin Maître qui a ouvert l'esprit de ses disciples à l'intelligence des Ecritures (cf. Lc 24,45), vous guide et vous soutienne dans vos réflexions. Que la Vierge Marie, modèle de docilité et d'obéissance à la Parole de Dieu, vous enseigne à accueillir toujours mieux la richesse inépuisable de l'Ecriture Sainte, non seulement à travers la recherche intellectuelle, mais aussi dans votre vie de croyants, afin que votre travail et votre action puissent contribuer à faire toujours davantage resplendir devant les fidèles la lumière de l'Ecriture Sainte. Tout en vous assurant du soutien de ma prière dans votre travail, je vous donne de tout coeur, en gage des faveurs divines, ma Bénédiction apostolique.


AUX PROFESSEURS DE RELIGION CATHOLIQUE DES ÉCOLES ITALIENNES Salle Paul VI Samedi 25 avril 2009



Chers frères et soeurs,

C'est un véritable plaisir pour moi de vous rencontrer aujourd'hui et de partager avec vous diverses réflexions sur votre présence importante dans le monde scolaire et culturel italien, ainsi qu'au sein de la communauté chrétienne. Je salue chacun avec affection, à commencer par le cardinal Angelo Bagnasco, président de la Conférence épiscopale italienne (cei), que je remercie des paroles courtoises qu'il m'a adressées, en me présentant cette assemblée nombreuse et vivante. J'adresse également un salut cordial à toutes les autorités présentes.

893 L'enseignement de la religion catholique fait partie intégrante de l'histoire de l'école en Italie, et le professeur de religion constitue une figure très importante dans le collège des enseignants. Il est significatif qu'autant de jeunes restent en contact avec lui également à la fin des cours. Le nombre très élevé de ceux qui choisissent de suivre cette discipline est en outre le signe de la valeur irremplaçable que celle-ci revêt dans le parcours de formation et un indice des niveaux de qualité élevés qu'elle a atteints. Dans un message récent, la présidence de la cei a affirmé que "l'enseignement de la religion catholique favorise la réflexion sur le sens profond de l'existence, en aidant à retrouver, au-delà des connaissances isolées, un sens unitaire et une intuition globale. Cela est possible car cet enseignement place en son centre la personne humaine et sa dignité incontournable, en se laissant illuminer par l'histoire unique de Jésus de Nazareth, dont on a soin de définir l'identité, qui ne cesse depuis deux mille ans d'interpeller les hommes".

Placer au centre l'homme créé à l'image de Dieu (cf. Gn
Gn 1,27) est en effet ce qui caractérise quotidiennement votre travail, dans une unité d'intention avec les autres éducateurs et enseignants. A l'occasion du Congrès ecclésial de Vérone, en octobre 2006, j'eus moi-même l'occasion d'aborder la "question fondamentale et décisive" de l'éducation, en indiquant l'exigence d'"élargir les horizons de notre rationalité, de l'ouvrir à nouveau aux grandes questions du vrai et du bien, de conjuguer entre elles la théologie, la philosophie et les sciences, dans le plein respect de leurs propres méthodes et de leur autonomie réciproque, mais également en ayant conscience de l'unité intrinsèque qui les relie" (Discours du 19 octobre 2006: Insegnamenti di Benedetto XVI, II 2 [2006], 473; 471). En effet, la dimension religieuse est intrinsèque au fait culturel, elle concourt à la formation globale de la personne et permet de transformer la connaissance en sagesse de vie.

Votre service, chers amis, se situe précisément à ce carrefour fondamental, dans lequel - sans empiètements indus ou confusion des rôles - se rencontrent la tension universelle vers la vérité et le témoignage bimillénaire offert par les croyants dans la lumière de la foi, les sommets extraordinaires de connaissance et d'art conquis par l'esprit humain et la fécondité du message chrétien qui innerve si profondément la culture et la vie du peuple italien. Grâce à une pleine reconnaissance de la dignité scolaire de votre enseignement, vous contribuez, d'une part, à donner une âme à l'école et, de l'autre, à assurer à la foi chrétienne sa pleine citoyenneté dans les lieux de l'éducation et de la culture en général. C'est donc grâce à l'enseignement de la religion catholique que l'école et la société s'enrichissent de véritables laboratoires de culture et d'humanité, dans lesquels, en déchiffrant l'apport significatif du christianisme, on permet à la personne de découvrir le bien et de croître dans la responsabilité, de rechercher la confrontation et d'affiner le sens critique, de puiser aux dons du passé pour mieux comprendre le présent et se projeter de manière consciente dans l'avenir.

Le rendez-vous d'aujourd'hui se situe également dans le contexte de l'Année paulinienne. L'apôtre des nations continue à exercer une grande fascination sur nous tous: en lui, nous reconnaissons le disciple humble et fidèle, l'annonciateur courageux, le médiateur génial de la Révélation. Des caractéristiques vers lesquelles je vous invite à vous tourner pour nourrir votre identité d'éducateurs et de témoins dans le monde scolaire. C'est Paul, dans la première Lettre aux Thessaloniciens (4, 9), qui définit les croyants par la belle expression de theodidaktoi, c'est-à-dire "éduqués par Dieu", qui ont Dieu pour maître. Dans ce mot, nous trouvons le secret même de l'éducation, comme le rappelle aussi saint Augustin: "Nous qui parlons et vous qui écoutez, nous nous reconnaissons comme fidèles disciples d'un unique Maître" (Serm. 23, 2).

En outre, dans l'enseignement paulinien la formation religieuse n'est pas séparée de la formation humaine. Ses dernières lettres, dites "pastorales", sont riches de références significatives à la vie sociale et civile que les disciples du Christ doivent bien garder à l'esprit. Saint Paul est un vrai "maître", qui a à coeur aussi bien le salut de la personne éduquée dans une mentalité de foi, que sa formation humaine et civile, pour que le disciple du Christ puisse exprimer pleinement une personnalité libre, une façon de vivre humaine "complète et bien préparée", qui se manifeste également dans une attention pour la culture, le professionnalisme et la compétence dans les divers domaines du savoir au bénéfice de tous. La dimension religieuse n'est donc pas une superstructure; celle-ci fait partie intégrante de la personne, dès sa prime enfance; elle est une ouverture fondamentale à l'altérité et au mystère qui préside à toute relation et toute rencontre entre les êtres humains. La dimension religieuse rend l'homme plus homme. Puisse votre enseignement être toujours capable, comme le fut celui de saint Paul, d'ouvrir vos étudiants à cette dimension de liberté et de pleine appréciation de l'homme racheté par le Christ tel qu'il est dans le projet de Dieu, exprimant ainsi, à l'égard de tant de jeunes et de leurs familles, une véritable charité intellectuelle.

Un des aspects principaux de votre enseignement est certainement la communication de la vérité et de la beauté de la Parole de Dieu, et la connaissance de la Bible est un élément essentiel du programme d'enseignement de la religion catholique. Il existe un lien qui relie l'enseignement scolaire de la religion et l'approfondissement existentiel de la foi, tel qu'il a lieu dans les paroisses et dans les différentes réalités ecclésiales. Ce lien est constitué par la personne même du professeur de religion catholique: en effet, outre le devoir de la compétence humaine, culturelle et didactique propre à tout enseignant, c'est à vous qu'appartient la vocation de laisser transparaître que ce Dieu dont vous parlez dans les salles de classe constitue la référence essentielle de votre vie. Loin de constituer une interférence ou une limitation de la liberté, votre présence constitue même un exemple valable de cet esprit positif de laïcité qui permet de promouvoir une coexistence civile constructive, fondée sur le respect réciproque et sur le dialogue loyal, des valeurs dont un pays a toujours besoin.

Comme le suggèrent les paroles de l'apôtre Paul, dont votre rencontre tire son nom, je souhaite à chacun de vous que le Seigneur vous donne la joie de ne jamais avoir honte de son Evangile, la grâce de le vivre et la passion de partager et de cultiver la nouveauté qui s'en dégage pour la vie du monde. Avec ces sentiments, je vous bénis avec vos familles, ainsi que tous ceux - étudiants et professeurs - que vous rencontrez chaque jour dans cette communauté de personnes et de vie qui est l'école.

Discours 2005-2013 10409