Discours 2005-2013 774


XII ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE

DU SYNODE DES ÉVÊQUES

RÉFLEXION

À L'OUVERTURE DE LA PREMIÈRE CONGRÉGATION GÉNÉRALE Salle du Synode Lundi 6 octobre 2008



Chers frères dans l'épiscopat,
chers frères et soeurs,

Au début de notre synode, la Liturgie des Heures nous propose un extrait de l'important Psaume 118 sur la Parole de Dieu: un éloge de sa Parole, expression de la joie d'Israël de pouvoir la connaître et, à travers elle, de pouvoir connaître sa volonté et son visage. Je voudrais méditer avec vous certains des versets de cet extrait du Psaume.

Il début ainsi: "In aeternum, Domine, verbum tuum constitutum est in caelo... firmasti terram, et permanet". Il parle de la solidité de la Parole. Elle est solide, elle est la vraie réalité sur laquelle fonder notre propre vie. Rappelons-nous la parole de Jésus qui continue cette parole du Psaume: "Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point". Humainement parlant, la parole, notre parole humaine, n'est presque rien dans la réalité, à peine un souffle. A peine prononcée, elle disparaît. Comme si elle n'était rien. Mais la parole humaine a déjà une force incroyable. Ce sont les mots qui créent ensuite l'histoire, ce sont les mots qui donnent forme aux pensées, les pensées desquelles viennent la parole. C'est la parole qui forme l'histoire, la réalité.

La Parole de Dieu est davantage encore le fondement de tout, elle est la véritable réalité. Et pour être réalistes, nous devons justement compter sur cette réalité. Nous devons changer notre idée que la matière, les choses solides, qu'on peut toucher, seraient la réalité la plus solide, la plus sûre. A la fin du Sermon sur la Montagne, le Seigneur nous parle des deux possibilités de bâtir la maison de sa vie: sur le sable et sur la roche. Sur le sable ne bâtit que celui qui bâtit sur les choses visibles, tangibles, sur le succès, sur la carrière, sur l'argent. Telles sont apparemment les vraies réalités. Mais tout cela, un jour, disparaîtra. Nous le voyons aujourd'hui dans la faillite des grandes banques: cet argent disparaît, il n'est rien. Aussi toutes ces choses, qui semblent être la véritable réalité sur laquelle compter, ne sont qu'une réalité de deuxième ordre. Celui qui bâtit sa vie sur ces réalités, sur la matière, sur le succès, sur tout ce qui apparaît, bâtit sur du sable. Seule la Parole de Dieu est le fondement de toute la réalité, elle est aussi stable que le ciel, plus stable que le ciel, elle est la réalité. Nous devons donc changer notre concept de réalisme. La personne réaliste est celle qui reconnaît dans la Parole de Dieu, dans cette réalité apparemment si faible, le fondement de tout. La personne réaliste est celle qui bâtit sa vie sur ce fondement qui reste en permanence. C'est ainsi que ces premiers versets du Psaume nous invitent à découvrir ce qu'est la réalité et à trouver de cette manière le fondement de notre vie, et comment construire la vie.

Il est dit dans le verset suivant: "Omnia serviunt tibi". Toutes les choses proviennent de la Parole, elles sont un produit de la Parole. "Au commencement était le Verbe". Au début le ciel parla. C'est ainsi que la réalité naît de la Parole, elle est "creatura Verbi". Tout est créé de la Parole et tout est appelé à servir la Parole. Cela veut dire que toute la création, à la fin, est pensée pour créer le lieu de la rencontre entre Dieu et sa créature, un lieu où l'amour de la créature répond à l'amour divin, un lieu dans lequel se développe l'histoire de l'amour entre Dieu et sa créature. "Omnia serviunt tibi" L'histoire du salut n'est pas un événement mineur, dans une planète pauvre, dans l'immensité de l'univers. Elle n'est pas une chose minime, qui advient par hasard sur une planète perdue. Elle est le mobile de tout, la raison de la création. Tout est créé pour qu'advienne cette histoire, la rencontre entre Dieu et sa créature. En ce sens, l'histoire du salut, l'alliance, précède la création. A l'époque hellénistique, le judaïsme a développé l'idée que la Torah aurait précédé la création du monde matériel. Ce monde matériel n'aurait été créé que pour donner lieu à la Torah, à cette Parole de Dieu qui crée la réponse et devient histoire d'amour. C'est ici que transparaît déjà mystérieusement le mystère du Christ. C'est ce que nous disent les Lettres aux Ephésiens et aux Colossiens: le Christ est le protòtypos, le premier né de la création, l'idée pour laquelle a été conçu l'univers. Il accueille tout. Nous entrons dans le mouvement de l'univers en nous unissant au Christ. On peut dire que, alors que la création matérielle est la condition pour l'histoire du salut, l'histoire de l'alliance est la vraie raison du cosmos. Nous arrivons aux racines de l'être en arrivant au mystère du Christ, à sa parole vivante qui est le but de toute la création. "Omnia serviunt tibi". En servant le Seigneur nous réalisons le but de l'être, le but de notre propre existence.

775 Faisons à présent un saut: "Mandata tua exquisivi". Nous sommes toujours à la recherche de la Parole de Dieu. Elle n'est pas simplement présente en nous. Si nous nous arrêtons à la lettre, nous n'avons pas nécessairement compris réellement la Parole de Dieu. Nous risquons de ne voir que les paroles humaines et de ne pas trouver en leur sein le véritable acteur, l'Esprit Saint. Nous ne trouvons pas dans les paroles la Parole. Saint Augustin, dans ce contexte, nous rappelle les scribes et les pharisiens consultés par Hérode au moment de l'arrivée des Mages. Hérode veut savoir où serait né le Sauveur du monde. Ils le savent et donnent la réponse juste: à Bethléem. Ce sont de grands spécialistes, qui connaissent tout. Et cependant, ils ne voient pas la réalité, ils ne connaissent pas le Sauveur. Saint Augustin dit: ils sont des indicateurs de direction pour les autres, mais eux-mêmes ne se déplacent pas. Ceci est également un grand danger dans notre lecture de l'Ecriture: nous nous arrêtons aux paroles humaines, aux paroles du passé, à l'histoire du passé, et nous ne découvrons pas le présent dans le passé, l'Esprit Saint qui nous parle aujourd'hui à travers les mots du passé. Nous n'entrons pas ainsi dans le mouvement intérieur de la Parole, qui en mots humains nous cache et nous ouvre les paroles divines. Aussi a-t-on toujours besoin de l'"exquisivi". Nous devons être à la recherche de la Parole dans les paroles.

L'exégèse, la vraie lecture de l'Ecriture Sainte, n'est donc pas seulement un phénomène littéraire, n'est pas la simple lecture d'un texte. C'est le mouvement de mon existence. C'est se déplacer vers la Parole de Dieu dans les paroles humaines. Ce n'est qu'en nous conformant au mystère de Dieu, au Seigneur qui est la Parole, que nous pouvons entrer à l'intérieur de la Parole, que nous pouvons vraiment trouver dans les paroles humaines la Parole de Dieu. Prions le Seigneur pour qu'il nous aide à chercher non seulement avec l'intellect, mais avec toute notre existence, pour trouver la parole.

A la fin: "Omni consummationi vidi finem, latum praeceptum tuum nimis".Toutes les choses humaines, toutes les choses que nous pouvons inventer, créer, sont finies. Toutes les expériences religieuses humaines aussi sont finies, montrent un aspect de la réalité, parce que notre être est fini et ne comprend toujours qu'une partie, que certains éléments: "latum praeceptum tuum nimis" Seul Dieu est infini. Aussi sa Parole est-elle universelle et ne connaît-elle pas de frontières. En entrant donc dans la Parole de Dieu, nous entrons réellement dans l'univers divin. Nous sortons de l'étroitesse de nos expériences et entrons dans la réalité qui est vraiment universelle. En entrant dans la communion avec la Parole de Dieu, nous entrons dans la communion de l'Eglise qui vit la Parole de Dieu. Nous n'entrons pas dans un petit groupe, dans la règle d'un petit groupe, mais nous sortons de nos limites. Nous sortons vers le large, dans la vraie largeur de l'unique vérité, la grande vérité de Dieu. Nous sommes réellement dans l'universel. Et nous sortons ainsi dans la communion de tous nos frères et soeurs, de toute l'humanité, parce que dans notre coeur se cache le désir de la Parole de Dieu qui est une. Aussi l'évangélisation, l'annonce de l'Evangile, la mission ne sont-elles pas une espèce de colonialisme ecclésial, par lequel nous voulons insérer les autres dans notre groupe. C'est sortir des limites de chaque culture dans l'universalité qui nous relie tous, nous unit tous, nous fait tous frères. Prions de nouveau afin que le Seigneur nous aide à entrer réellement dans la "largeur" de sa Parole et nous ouvre ainsi à l'horizon universel de l'humanité qui nous unit avec toutes les différences.

Enfin, retournons de nouveau à un précédent verset: "Tuus sum ego: salvum me fac". Le texte italien traduit: "Je suis tien". La Parole de Dieu est comme une échelle sur laquelle nous pouvons monter et, avec le Christ, également descendre dans la profondeur de son amour. C'est une échelle pour arriver à la Parole dans les paroles. "Je suis tien". La parole a un visage, est une personne, le Christ. Avant que nous puissions dire "Je suis tien", il nous a déjà dit "Je suis tien". La Lettre aux Hébreux, citant le Psaume 39, dit: "Mais tu m'as façonné un corps (...) Alors j'ai dit: Voici, je viens". Le Seigneur s'est fait façonner un corps pour venir. Il a dit par son incarnation: je suis tien. Et dans le baptême, il m'a dit: je suis tien. Dans la sainte Eucharistie, il le dit toujours de nouveau: je suis tien, afin que nous puissions répondre: Seigneur, je suis tien. Dans le chemin de la Parole, en entrant dans le mystère de son incarnation, de son être avec nous, nous voulons nous approprier son être, nous voulons nous exproprier de notre existence, en Lui donnant ce qui nous a été donné.
"Je suis tien". Prions le Seigneur de pouvoir apprendre par toute notre existence à dire cette parole. Ainsi serons-nous au coeur de la Parole. Ainsi serons-nous sauvés.

CONCERT OFFERT PAR LA FONDATION PRO MUSICA ET ARTE SACRA

À L'OCCASION DU SYNODE DES ÉVÊQUES

PAROLES Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs Lundi 13 octobre 2008



Messieurs les cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et soeurs,

parmi les initiatives inscrites au calendrier du jubilé spécial de l'année paulinienne s'insère le concert de ce soir, qui s'est déroulé dans le cadre suggestif de la Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, où, il y a quelques jours, a été solennellement inaugurée l'Assemblée ordinaire du synode des évêques. Mes salutations et mes remerciements vont, comme il est naturel, à ceux qui ont promu et concrètement organisé cette belle soirée avec un événement musical de haut niveau. Il me faut en premier lieu remercier la Fondation Pro musica et arte sacra, connue pour ses nombreuses initiatives. Je salue et remercie ensuite les membres du Wiener Philharmoniker, qui nous ont proposé une interprétation magistrale de la sixième symphonie d'Anton Bruckner, imprégnée de religiosité et d'un profond mysticisme.

776 C'est avec une joie pleine de gratitude que je salue les membres du Wiener Philharmoniker, qui, sous la direction ce soir de Christoph Eschenbach et pour la septième fois dans le cadre du Festival international de musique et d'art sacré, ont inspiré de la joie à leurs auditeurs.

Chers amis, avec votre professionnalité et votre compétence artistique vous réussissez toujours à toucher le coeur de vos auditeurs et à faire vibrer toutes les cordes du sentiment humain en leur faisant écouter la merveilleuse musique de Bruckner. Par votre talent, vous déplacez leur attention de l'humain au divin. Pour cela, je vous dis à tous un "Vergelt's Gott"!

Dans la sixième symphonie se traduit la foi de son auteur, capable de transmettre par ses compositions une vision religieuse de la vie et de l'histoire. Anton Bruckner, s'appuyant sur le baroque autrichien et la tradition schubertienne du chant populaire, a porté, pourrait-on dire, le processus romantique d'intériorisation à ses conséquences extrêmes. En écoutant cette célèbre composition dans la Basilique dédiée à Saint-Paul, on pense spontanément à un passage de la Première lettre aux Corinthiens dans laquelle l'Apôtre, après avoir parlé de la diversité et de l'unité des charismes, compare l'Eglise au corps humain composé de membres très différents entre eux, mais tous indispensables à son bon fonctionnement (cf. chap. 12). L'orchestre comme le choeur sont également composés d'instruments et de voix différents, qui, en s'accordant entre eux, offrent une mélodie harmonieuse, qui plaît à l'oreille et à l'esprit. Chers frères et soeurs, recueillons cet enseignement, que nous voyons confirmé dans la splendide exécution musicale que nous avons pu écouter. Je vous salue tous avec affection, en adressant une pensée spéciale aux pères synodaux et aux autres personnalités présentes. J'adresse enfin un salut fraternel au cardinal Cordero Lanza de Montezemolo, archiprêtre de cette Basilique pontificale, qui nous a une fois encore accueilli très cordialement: je voudrais le remercier, ainsi que ses collaborateurs, pour les différentes manifestations religieuses et culturelles programmées pour l'année paulinienne en cours. Que cette Basilique romaine, où sont conservées les dépouilles mortelles de l'Apôtre des nations, soit vraiment un foyer d'initiatives liturgiques, spirituelles et artistiques, visant à en redécouvrir l'oeuvre missionnaire et la pensée théologique. En invoquant l'intercession de cet illustre saint et la protection maternelle de Marie, Reine des Apôtres, je donne de tout coeur à toutes les personnes présentes la Bénédiction apostolique, que j'étends volontiers aux personnes qui leur sont chères.

XII ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE

DU SYNODE DES ÉVÊQUES


AU COURS DE LA QUATORZIÈME CONGRÉGATION GÉNÉRALE Salle du Synode Mardi 14 octobre 2008



Chers frères et soeurs,

Le travail accompli lors de l'élaboration de mon livre sur Jésus offre amplement l'occasion de voir tout le bien qui nous provient de l'exégèse moderne, mais également d'en reconnaître les problèmes et les risques. Le n. 12 de Dei Verbum offre deux orientations méthodologiques pour un travail exégétique approprié. En premier lieu, elle confirme la nécessité d'utiliser la méthode historique et critique dont elle décrit brièvement les éléments essentiels. Cette nécessité est la conséquence du principe chrétien formulé dans Jn 1, 14 Verbum caro factum est. Le fait historique est une dimension constitutive de la foi chrétienne. L'histoire du salut n'est pas une mythologie, mais une véritable histoire et c'est pour cela qu'elle doit être étudiée avec les méthodes de la recherche historique sérieuse.

Toutefois, cette histoire a une autre dimension, celle de l'action divine. Par conséquent, Dei Verbum parle d'un second niveau méthodologique nécessaire en vue d'une juste interprétation des paroles qui sont à la fois paroles humaines et Parole divine. Le Concile déclare, en suivant une règle fondamentale valable pour toute interprétation d'un texte littéraire, que l'Ecriture doit être interprétée dans le même esprit que celui dans lequel elle a été écrite et indique par conséquent trois éléments méthodologiques fondamentaux afin de tenir compte de la dimension divine, pneumatologique de la Bible: c'est-à-dire que l'on doit 1) interpréter le texte en tenant compte de l'unité de l'ensemble de l'Ecriture; aujourd'hui on parle d'exégèse canonique; à l'époque du Concile, ce terme n'avait pas encore été créé, mais le Concile dit la même chose: il faut tenir compte de l'unité de toute l'Ecriture; 2) il faut par ailleurs tenir compte de la tradition vivante de toute l'Eglise et, enfin, 3) il faut observer l'analogie de la foi. Seulement dans le cas où les deux niveaux méthodologiques, celui de nature historique et critique et celui de nature théologique, sont observés, on peut alors parler d'une exégèse théologique - d'une exégèse adaptée à ce Livre. Alors qu'au premier niveau, l'exégèse académique actuelle travaille à un très haut niveau, et nous apporte ainsi une aide réelle, l'on ne peut pas en dire autant de l'autre niveau. Souvent, ce second niveau, constitué par les trois éléments théologiques indiqués dans Dei Verbum, semble presque absent. Et cela a des conséquences véritablement graves.

La première conséquence de l'absence de ce second niveau méthodologique est que la Bible devient un livre seulement du passé. On peut en tirer des conséquences morales, on peut en apprendre l'histoire, mais le Livre en tant que tel parle seulement du passé et l'exégèse n'est plus véritablement théologique, mais devient une pure historiographie, une histoire de la littérature. Telle est donc la première conséquence: la Bible demeure dans le passé, parle seulement du passé. Mais il existe aussi une seconde conséquence encore plus grave: là où disparaît l'herméneutique de la foi indiquée par Dei Verbum, apparaît nécessairement un autre type d'herméneutique, une herméneutique sécularisée, positiviste dont la clef fondamentale est la conviction que le Divin n'apparaît pas dans l'histoire humaine. Selon cette herméneutique, lorsqu'il semble qu'existe un élément divin, il faut expliquer d'où provient cette impression et tout ramener à l'élément humain. Par conséquent, on propose des interprétations qui nient l'historicité des éléments divins. Aujourd'hui, ce que l'on appelle le mainstream de l'exégèse en Allemagne nie, par exemple, que le Seigneur ait institué la Sainte Eucharistie et déclare que le corps de Jésus serait resté dans son tombeau. La Résurrection ne serait pas un événement historique, mais une vision théologique. Ceci advient parce qu'il manque une herméneutique de la foi: on affirme alors une herméneutique philosophique profane qui nie la possibilité de l'entrée et de la présence réelle du Divin dans l'histoire. La conséquence de l'absence du second niveau méthodologique est qu'il s'est créé un profond fossé entre exégèse scientifique et lectio divina. Il en ressort parfois une forme de perplexité également dans la préparation des homélies. Là où l'exégèse n'est pas théologie, l'Ecriture ne peut être l'âme de la théologie et, vice versa, là où la théologie n'est pas essentiellement interprétation de l'Ecriture dans l'Eglise, cette théologie n'a plus de fondement.

C'est pourquoi pour la vie et pour la mission de l'Eglise, pour l'avenir de la foi, il est absolument nécessaire de surmonter ce dualisme entre exégèse et théologie. La théologie biblique et la théologie systématique sont deux dimensions d'une unique réalité que nous appelons théologie. Par conséquent, il me semble souhaitable que, dans une des propositions, on parle de la nécessité de tenir compte dans l'exégèse des deux niveaux méthodologiques indiqués par le n. 12 de Dei Verbum, là où l'on parle de la nécessité de développer une exégèse non seulement historique mais également théologique. Il sera donc nécessaire d'élargir la formation des futurs exégètes dans ce sens afin d'ouvrir réellement les trésors de l'Ecriture au monde d'aujourd'hui et à nous tous.


AUX ÉVÊQUES DE L'EQUATEUR EN VISITE "AD LIMINA APOSTOLORUM" Jeudi 16 octobre 2008



777 Chers frères dans l'épiscopat,

1. C'est avec une grande joie que je vous reçois à l'occasion de votre visite "ad limina", que j'ai attendue avec un grand plaisir et qui m'offre l'opportunité de mettre en pratique le mandat que le Seigneur a confié à l'apôtre Pierre de confirmer ses frères dans la foi (cf.
Lc 22,32). Tout d'abord, permettez-moi de vous exprimer mes plus sincères condoléances pour la mort du cardinal Antonio José González Zumárraga, archevêque émérite de Quito, qui avec tant d'abnégation et de fidélité a servi l'Eglise jusqu'à la fin de ses jours. Je prie le Seigneur pour son repos éternel et afin que grandisse l'oeuvre féconde réalisée par un pasteur aussi exemplaire.

Je remercie Mgr Antonio Arregui Yarza, archevêque de Guayaquil et président de la Conférence épiscopale, des paroles cordiales qu'il m'a adressées, à travers lesquelles il a exprimé vos sentiments d'affection et de communion, et également les principales aspirations qui animent votre mission de successeurs des apôtres. Moi aussi, animé par la sollicitude de pasteur de l'Eglise universelle, je me sens très proche de vos préoccupations et je vous encourage à poursuivre avec espérance votre oeuvre généreuse au service des communautés diocésaines qui vous ont été confiées.

2. Je constate avec satisfaction que l'une des initiatives pastorales que vous considérez comme les plus urgentes pour l'Eglise qui est en Equateur est la réalisation de la "grande mission" annoncée par l'épiscopat latino-américain à Aparecida (cf. Document de conclusion, n. 362), et qui a été confirmée lors du troisième congrès américain missionnaire, qui s'est déroulé à Quito en août dernier. L'appel que le Seigneur Jésus adressa aux apôtres, en les envoyant prêcher son message de salut et faire de toutes les nations ses disciples (cf. Mt 28,16-20), doit être pour toute la communauté ecclésiale un motif constant de méditation et la raison d'être de toute action pastorale. Aujourd'hui aussi, comme à chaque époque et dans tous les lieux, les hommes ont besoin d'une rencontre personnelle avec le Christ, où ils puissent faire l'expérience de la beauté de sa vie et de la vérité de son message.

Pour faire face aux nombreux défis de votre mission, dans un contexte culturel et social qui semble avoir oublié les racines spirituelles les plus profondes de son identité, je vous invite à vous ouvrir avec docilité à l'action de l'Esprit Saint, afin que, sous l'impulsion de sa force divine, se renouvelle l'ardeur missionnaire des débuts de la prédication évangélique et également de la première annonce de l'Evangile dans votre terre. Il apparaît donc nécessaire d'accomplir un effort généreux de diffusion de la Parole de Dieu, de façon à ce que personne ne manque de cette incontournable nourriture spirituelle, source de vie et de lumière. La lecture et la méditation de l'Ecriture Sainte, en privé et en communauté, conduira à l'intensification de la vie chrétienne, ainsi qu'à un élan apostolique renouvelé chez tous les fidèles.

3. D'autre part, vous êtes pleinement conscients que cet effort missionnaire se fonde de manière particulière sur les prêtres. En tant que pères et frères pleins d'amour et de reconnaissance envers vos prêtres, vous devez les accompagner par la prière, l'affection et la proximité, en leur garantissant, en outre, une formation permanente adaptée qui les aide à conserver leur vie sacerdotale vivante. Continuez aussi à encourager les religieux dans leur témoignage de vie consacrée, qui a apporté tant de fruits de sainteté et d'évangélisation dans ces terres, et exhortez-les afin que, fidèles à leur charisme et en pleine communion avec les pasteurs, ils poursuivent leur généreux service à l'Eglise.

Dans le même temps, face au petit nombre de prêtres dans de nombreuses zones de votre pays, vous vous êtes engagés de manière décidée à faire participer tous les groupes, les mouvements et les personnes de vos diocèses à une vaste et généreuse pastorale des vocations, en semant chez les jeunes la passion pour la figure de Jésus et les grands idéaux de l'Evangile. Cet effort doit être accompagné par le plus grand soin dans la sélection et la préparation intellectuelle, humaine et spirituelle des séminaristes. De cette manière, fidèles aux enseignements du magistère et avec la claire conscience d'être des ministres du Christ Bon Pasteur, ils pourront accepter avec joie et responsabilité les exigences de leur futur ministère.

4. Dans cette importante phase de l'histoire, l'Eglise qui est en Equateur a besoin d'un laïcat mûr et engagé qui, avec une solide formation doctrinale et une profonde vie intérieure, vive sa vocation spécifique: illuminer de la lumière du Christ toute la réalité humaine, sociale, culturelle et politique (cf. Lumen gentium LG 31).

A ce propos, je désire vous remercier de l'effort que vous accomplissez, non sans grands sacrifices, pour attirer l'attention de la société sur ces valeurs qui rendent la vie humaine plus juste et solidaire. Bien que l'activité de l'Eglise ne puisse pas être confondue avec l'action politique (cf. Deus caritas est ), elle doit offrir à l'ensemble de la communauté humaine sa propre contribution à travers la réflexion et les jugements moraux, également sur les questions politiques qui touchent de manière particulière la dignité de la personne (cf. Gaudium et spes GS 76). Parmi celles-ci, il faut mentionner, également en raison de leur importance pour l'avenir de votre pays, la promotion et la stabilité de la famille, fondée sur le lien de l'amour entre un homme et une femme, la défense de la vie humaine depuis le premier moment de sa conception jusqu'à sa fin naturelle, et également la responsabilité des parents dans l'éducation morale des enfants, dans laquelle se transmettent aux nouvelles générations les grandes valeurs humaines et chrétiennes qui ont forgé l'identité de vos peuples.

Je vous exhorte également vivement à prêter une attention particulière à l'action caritative de vos Eglises, dans laquelle est présent l'amour miséricordieux du Christ, en particulier envers les personnes qui sont dans le besoin, les personnes âgées, les enfants, les immigrés et également les femmes abandonnées ou maltraitées.

5. Chers frères, la récente canonisation de sainte Narcisa de Jésus Martillo Morán, fait apparaître la fécondité spirituelle de vos communautés. Que l'exemple et l'intercession de cette jeune sainte équatorienne confère une vitalité renouvelée et un plus grand zèle apostolique à toutes vos Eglises particulières, afin que, pleines de foi et d'espérance, elles se lancent dans la tâche passionnante de semer l'Evangile dans le coeur de tous les hommes et de toutes les femmes de cette terre bénie!

778 Au terme de cette rencontre fraternelle, je vous renouvelle mon encouragement dans votre tâche pastorale et je vous demande de transmettre le salut et la proximité du Pape à vos prêtres, aux diacres et aux séminaristes, aux missionnaires, aux religieux et aux religieuses, et à tous les fidèles laïcs. Avec ces voeux fervents, et en invoquant la protection de la Vierge Marie, je vous donne avec affection ma Bénédiction apostolique.


AU CONGRÈS ORGANISÉ PAR L'UNIVERSITÉ PONTIFICALE DU LATRAN POUR LE X ANNIVERSAIRE DE L'ENCYCLIQUE "FIDES ET RATIO" Salle Clémentine Jeudi 16 octobre 2008



Messieurs les cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de vous rencontrer à l'occasion du congrès organisé de manière opportune pour célébrer le dixième anniversaire de l'encyclique Fides et ratio. Je remercie tout d'abord Mgr Rino Fisichella des paroles courtoises qu'il m'a adressées au début de la rencontre d'aujourd'hui. Je me réjouis que les journées d'étude de votre congrès voient la collaboration effective entre l'université du Latran, l'Académie pontificale des sciences et la conférence mondiale des institutions universitaires catholiques de philosophie. Une telle collaboration est toujours souhaitable, surtout lorsqu'on est appelé à rendre raison de sa propre foi face aux défis toujours plus complexes qui sont lancés aux croyants dans le monde contemporain.

Avec dix ans de recul, un regard attentif sur l'encyclique Fides et ratio permet d'en saisir avec admiration l'actualité durable: dans celle-ci apparaît la profondeur clairvoyante de mon inoubliable prédécesseur. En effet, l'encyclique se caractérise par sa grande ouverture à l'égard de la raison, en particulier à une période où on en théorise la faiblesse. Jean-Paul ii souligne en revanche l'importance de conjuguer la foi et la raison dans leur relation réciproque, tout en respectant la sphère d'autonomie propre à chacune. Avec ce magistère, l'Eglise s'est faite l'interprète d'une exigence naissante dans le contexte culturel actuel. Elle a voulu défendre la force de la raison et sa capacité d'atteindre la vérité, en présentant à nouveau la foi comme une forme particulière de connaissance, grâce à laquelle on s'ouvre à la vérité de la Révélation (cf. Fides et ratio FR 13). On lit dans l'encyclique qu'il faut avoir confiance dans les capacités de la raison humaine et ne pas se fixer des objectifs trop modestes: "C'est la foi qui incite la raison à sortir de son isolement et à prendre volontiers des risques pour tout ce qui est beau, bon et vrai. La foi se fait ainsi l'avocat convaincu et convaincant de la raison" (n. 56). Le temps écoulé manifeste, du reste, quels sont les objectifs que la raison, soutenue par la passion pour la vérité, a su atteindre. Qui pourrait nier la contribution que les grands systèmes philosophiques ont apporté au développement de l'auto-conscience de l'homme et au progrès des différentes cultures? Celles-ci, par ailleurs, deviennent fécondes quand elles s'ouvrent à la vérité, permettant à ceux qui y participent d'atteindre des objectifs qui rendent la vie sociale toujours plus humaine. La recherche de la vérité porte ses fruits en particulier quand elle est soutenue par l'amour de la vérité. Saint Augustin a écrit: "Ce que l'on possède avec l'esprit s'obtient en le connaissant, mais aucun bien n'est parfaitement connu si l'on n'aime pas parfaitement" (De diversis quaestionibus, 35, 2).

Toutefois, nous ne pouvons pas nous cacher qu'un glissement a eu lieu, d'une pensée en grande partie spéculative à une pensée le plus souvent expérimentale. La recherche s'est en particulier tournée vers l'observation de la nature, dans la tentative d'en découvrir les secrets. Le désir de connaître la nature s'est ensuite transformé dans la volonté de la reproduire. Ce changement n'a pas été indolore: l'évolution des concepts a entaché la relation entre la fides et la ratio, avec la conséquence de conduire l'une et l'autre à suivre des voies différentes. La conquête scientifique et technologique, avec laquelle la fides est toujours davantage appelée à se confronter, a modifié l'antique concept de ratio; d'une certaine manière, elle a mis en marge la raison qui recherchait la vérité ultime des choses pour laisser place à une raison qui se contentait de découvrir la vérité contingente des lois de la nature. La recherche scientifique a certainement une valeur positive. La découverte et le développement des sciences mathématiques, physiques, chimiques et des sciences appliquées sont le fruit de la raison et expriment l'intelligence avec laquelle l'homme réussit à pénétrer dans la profondeur de la création. La foi, pour sa part, ne craint pas le progrès de la science et les développements auxquels ses conquêtes conduisent lorsque celles-ci sont finalisées à l'homme, à son bien-être et au progrès de toute l'humanité. Comme le rappelait l'auteur inconnu de la Lettre à Diognète: "Ce n'est pas l'arbre de la science qui tue, mais la désobéissance. Il n'y a pas de vie sans science, ni science sûre sans vie véritable" (xii, 2.4).

Il arrive cependant que les scientifiques n'orientent pas toujours leurs recherches vers ces objectifs. Le gain facile ou, pire encore, l'arrogance de remplacer le Créateur jouent parfois un rôle déterminant. Il s'agit d'une forme d'hybris de la raison, qui peut assumer des caractéristiques dangereuses pour l'humanité elle-même. La science, par ailleurs, n'est pas en mesure d'élaborer des principes éthiques; elle peut seulement les accueillir en elle et les reconnaître comme nécessaires pour faire disparaître ses éventuelles pathologies. La philosophie et la théologie deviennent, dans ce contexte, des aides indispensables avec lesquelles il faut se confronter pour éviter que la science n'avance toute seule sur un sentier tortueux, plein d'imprévus et qui n'est pas privé de risques. Cela ne signifie pas du tout limiter la recherche scientifique ou empêcher la technique de produire des instruments de développement; cela consiste plutôt à garder en éveil le sens de responsabilité que la raison et la foi possèdent à l'égard de la science, pour qu'elle demeure dans le sillon de son service à l'homme.

La leçon de saint Augustin est toujours riche de signification, également dans le contexte actuel: "A quoi parvient - se demande le saint Evêque d'Hippone - celui qui sait bien utiliser la raison, sinon à la vérité? Ce n'est pas la vérité qui parvient à elle-même avec le raisonnement, mais c'est elle que recherchent ceux qui utilisent la raison... Confesse que tu n'es pas toi-même ce qui est la vérité, car celle-ci ne se cherche pas elle-même; toi, en revanche, tu es parvenu à elle non pas en passant d'un lieu à l'autre, mais en la recherchant avec la disposition de l'esprit" (De vera religione, 39, 72). Ce qui revient à dire: quel que soit le lieu où se déroule la recherche de la vérité, celle-ci demeure comme une donnée qui est offerte et qui peut être reconnue comme déjà présente dans la nature. En effet, l'intelligibilité de la création n'est pas le fruit de l'effort du scientifique, mais la condition qui lui est offerte pour lui permettre de découvrir la vérité qui y est présente. "Le raisonnement ne crée pas ces vérités - poursuit Augustin dans sa réflexion - mais les découvre. Celles-ci existent donc en elles-mêmes, avant encore d'être découvertes et, une fois découvertes, elles nous renouvellent" (ibid., 39, 73). La raison, en somme, doit pleinement accomplir son parcours, forte de son autonomie et de sa riche tradition de pensée.


Discours 2005-2013 774