Discours 2005-2013 18319

CÉLÉBRATION DES VÊPRES Basilique Marie Reine des Apôtres au quartier de Mvolyé - Yaoundé Mercredi 18 mars 2009

18319

Chers Frères Cardinaux et Évêques,
Chers prêtres et diacres, chers frères et soeurs consacrés,
Chers amis membres des autres Confessions chrétiennes,
Chers frères et soeurs!

Nous avons la joie de nous retrouver ensemble pour rendre grâce à Dieu dans cette basilique Marie Reine des Apôtres de Mvolyé qui a été construite à l’endroit où fut édifiée la première église bâtie par les missionnaires spiritains venus porter la Bonne Nouvelle au Cameroun. À l’image de l’ardeur apostolique de ces hommes qui embrassait dans leurs coeurs votre pays tout entier, ce lieu porte en lui symboliquement chaque parcelle de votre terre. C’est donc dans une grande proximité spirituelle avec toutes les communautés chrétiennes où vous exercez votre service, chers frères et soeurs, que nous adressons ce soir notre louange au Père des lumières.

En présence des représentants des autres Confessions chrétiennes, à qui j’adresse mon salut respectueux et fraternel, je vous propose de contempler les traits de saint Joseph à travers les paroles de l’Écriture que nous offre cette liturgie vespérale.

À la foule et à ses disciples, Jésus déclare : « Vous n’avez qu’un seul Père » (
Mt 23,9). Il n’est en effet de paternité que celle de Dieu le Père, l’unique Créateur « du monde visible et invisible ». Il a cependant été donné à l’homme, créé à l’image de Dieu, de participer à l’unique paternité de Dieu (cf. Ep Ep 3,15). Saint Joseph illustre cela d’une façon saisissante, lui qui est père sans avoir exercé une paternité charnelle. Il n’est pas le père biologique de Jésus dont Dieu seul est le Père, et pourtant il va exercer une paternité pleine et entière. Être père, c’est avant tout être serviteur de la vie et de la croissance. Saint Joseph a fait preuve, en ce sens, d’un grand dévouement. Pour le Christ, il a connu la persécution, l’exil et la pauvreté qui en découle. Il a dû s’installer ailleurs que dans son village. Sa seule récompense fut celle d’être avec le Christ. Cette disponibilité illustre les paroles de saint Paul : « Le maître, c’est le Christ, et vous êtes à son service » (Col 3,24).

Il s’agit de ne pas être un serviteur médiocre, mais d’être, un serviteur « fidèle et avisé ». La rencontre des deux adjectifs n’est pas fortuite : elle suggère que l’intelligence sans la fidélité comme la fidélité sans la sagesse sont des qualités insuffisantes. L’une dépourvue de l’autre ne permet pas d’assumer pleinement la responsabilité que Dieu nous confie.

Chers frères prêtres, cette paternité, vous avez à la vivre dans le quotidien de votre ministère. En effet, comme le souligne la Constitution conciliaire Lumen Gentium, « de leurs fidèles, qu’ils ont engendrés spirituellement par le baptême et l’enseignement, les prêtres doivent avoir, dans le Christ, un souci paternel » (n. 28). Comment donc alors ne pas revenir sans cesse à la racine de notre sacerdoce, le Seigneur Jésus Christ ? La relation à sa personne est constitutive de ce que nous voulons vivre, lui qui nous appelle ses amis, car tout ce qu’il a appris de son Père, il nous l’a fait connaître (cf. Jn 15,15). En vivant cette amitié profonde avec le Christ, vous trouverez la vraie liberté et la joie de votre coeur. Le sacerdoce ministériel comporte un lien profond avec le Christ qui nous est donné dans l’Eucharistie. Que la célébration de l’Eucharistie soit vraiment le centre de votre vie sacerdotale, alors elle sera aussi le centre de votre mission ecclésiale. En effet, à travers toute notre vie, le Christ nous appelle à participer à sa mission, à être ses témoins, afin que sa Parole puisse être annoncée à tous. En célébrant ce sacrement au nom et en la personne du Seigneur, ce n’est donc pas la personne du prêtre qui doit être mise au premier plan ; celui-ci est un serviteur, un humble instrument qui renvoie au Christ lui-même s’offrant en sacrifice pour le salut du monde. « Que celui qui commande soit comme celui qui sert » (Lc 22,26) dit Jésus. Et Origène écrivait : « Joseph comprenait que Jésus lui était supérieur tout en lui étant soumis, et, connaissant la supériorité de son inférieur, Joseph lui commandait avec crainte et mesure. Que chacun y réfléchisse : souvent un homme de moindre valeur est placé au-dessus des gens meilleurs que lui, et il arrive quelquefois que l’inférieur a plus de valeur que celui qui semble lui commander. Lorsque celui qui est élevé en dignité aura compris cela, il ne s’enflera pas d’orgueil à cause de son rang plus élevé, mais il saura que son inférieur peut être meilleur que lui, tout comme Jésus fut soumis à Joseph » (Homélie sur St Luc XX, 5, S.C. p. 287).

Chers frères dans le sacerdoce, votre ministère pastoral demande beaucoup de renoncements, mais il est aussi source de joie. Dans une relation confiante avec vos Évêques, fraternellement unis à l’ensemble du presbytérium, et soutenus par la portion du Peuple de Dieu qui vous est confiée, vous saurez répondre avec fidélité à l’appel que le Seigneur vous a fait un jour, comme il a appelé Joseph à veiller sur Marie et sur l’Enfant-Jésus ! Puissiez-vous demeurer fidèles, chers prêtres, aux promesses que vous avez faites à Dieu devant votre Evêque et devant l’ensemble de la communauté ! Le Successeur de Pierre vous remercie pour votre engagement généreux au service de l’Église, et il vous encourage à ne pas vous laisser troubler par les difficultés du chemin. Aux jeunes qui se préparent à vous rejoindre, comme à ceux qui se posent encore des questions, je voudrais redire ce soir la joie qu’il y a à se donner totalement pour le service de Dieu et de l’Église. Ayez le courage de donner un oui généreux au Christ !

Vous aussi, frères et soeurs qui vous êtes engagés dans la vie consacrée ou dans des mouvements ecclésiaux, je vous invite à tourner votre regard vers saint Joseph. Lorsque Marie reçoit la visite de l’ange lors de l’Annonciation, elle est déjà promise en mariage à Joseph. En s’adressant personnellement à Marie, le Seigneur associe donc déjà intimement Joseph au mystère de l’Incarnation. Celui-ci a consenti à se lier à cette histoire que Dieu avait commencé d’écrire dans le sein de son épouse. Il a alors pris chez lui Marie. Il a accueilli le mystère qui était en elle et le mystère qu’elle était elle-même. Il l’aima avec ce grand respect qui est le sceau des amours authentiques. Saint Joseph nous apprend que l’on peut aimer sans posséder. En le contemplant, tout homme, ou toute femme, peut, avec la grâce de Dieu, être conduit à la guérison de ses blessures affectives à condition d’entrer dans le projet que Dieu a déjà commencé à réaliser dans les êtres qui sont auprès de lui, tout comme Joseph est entré dans l’oeuvre de la rédemption à travers la figure de Marie et grâce à ce que Dieu avait déjà fait en elle. Puissiez-vous, chers frères et soeurs engagés dans des mouvements ecclésiaux, être attentifs à ceux qui vous entourent et manifester le visage aimant de Dieu pour les plus humbles, notamment à travers l’exercice des oeuvres de miséricorde, l’éducation humaine et chrétienne des jeunes, le service de la promotion de la femme et de tant d’autres manières !

La contribution spirituelle apportée par les personnes consacrées est aussi significative et indispensable à la vie de l’Église. Cet appel à suivre le Christ est un don pour l’ensemble du Peuple de Dieu. Selon votre vocation, en imitant le Christ chaste, pauvre et obéissant, totalement consacré à la gloire de son Père et à l’amour de ses frères et soeurs, vous avez pour mission de témoigner devant notre monde qui en a tant besoin, du primat de Dieu et des biens à venir (cf. Vita consecrata VC 85). Par votre fidélité sans réserve à vos engagements vous êtes dans l’Église un germe de vie qui grandit au service de la venue du Royaume de Dieu. À tout moment, mais d’une façon particulière lorsque la fidélité est éprouvée, saint Joseph vous rappelle le sens et la valeur de vos engagements. La vie consacrée est une imitation radicale du Christ. Il est donc nécessaire que votre style de vie exprime avec justesse ce qui vous fait vivre et que votre activité ne cache pas votre identité profonde. N’ayez pas peur de vivre pleinement l’offrande de vous-mêmes que vous avez faite à Dieu et d’en témoigner avec authenticité autour de vous . Un exemple vous stimule particulièrement à rechercher cette sainteté de vie, celui du Père Simon Mpeke, dit Baba Simon. Vous savez combien « le missionnaire aux pieds nus » dépensa toutes les forces de son être dans une humilité désintéressée, ayant à coeur de secourir les âmes, sans s’épargner les soucis et les peines du service matériel de ses frères.

Chers frères et soeurs, notre méditation sur le parcours humain et spirituel de saint Joseph, nous invite à prendre la mesure de toute la richesse de sa vocation et du modèle qu’il demeure pour tous ceux et toutes celles qui ont voulu vouer leur existence au Christ, dans le sacerdoce comme dans la vie consacrée ou dans divers engagements du laïcat. Joseph a en effet vécu dans le rayonnement du mystère de l’Incarnation. Non seulement dans une proximité physique, mais aussi dans l’attention du coeur. Joseph nous livre le secret d’une humanité qui vit en présence du mystère, ouverte à lui à travers les détails les plus concrets de l’existence. Chez lui, il n’y a pas de séparation entre la foi et l’action. Sa foi oriente de façon décisive ses actions. Paradoxalement, c’est en agissant, en prenant donc ses responsabilités, qu’il s’efface le mieux pour laisser à Dieu la liberté de réaliser son oeuvre, sans y faire obstacle. Joseph est un « homme juste » (Mt 1,19) parce que son existence est ajustée à la Parole de Dieu.

La vie de saint Joseph, vécue dans l’obéissance à la Parole, est un signe éloquent pour tous les disciples de Jésus qui aspirent à l’unité de l’Église. Son exemple nous incite à comprendre que c’est en se livrant pleinement à la volonté de Dieu que l’homme devient un ouvrier efficace du dessein de Dieu qui désire réunir les hommes en une seule famille, une seule assemblée, une seule ‘ecclesia’. Chers amis membres des autres Confessions chrétiennes, cette recherche de l’unité des disciples du Christ est pour nous un défi majeur. Elle nous conduit d’abord à nous convertir à la personne du Christ, à nous laisser toujours plus attirer par Lui. C’est en lui que nous sommes appelés à nous reconnaître frères, enfants d’un même Père. En cette année consacrée à l’Apôtre Paul, le grand annonciateur de Jésus-Christ, l’Apôtre des Nations, tournons-nous ensemble vers lui, pour écouter et pour apprendre « la foi et la vérité » dans lesquelles sont enracinées les raisons de l’unité parmi les disciples du Christ.

En terminant, tournons-nous vers l’épouse de saint Joseph, la Vierge Marie, « Reine des Apôtres » puisque tel est le vocable sous lequel elle est invoquée comme patronne du Cameroun. Je lui confie la consécration de chacun et de chacune de vous, votre désir de répondre plus fidèlement à l’appel qui vous est adressé et à la mission qui vous est confiée. J’invoque enfin son intercession pour votre beau pays. Amen .




RENCONTRE AVEC LES REPRÉSENTANTS DE LA COMMUNAUTÉ MUSULMANE DU CAMEROUN SALUTATION Nonciature apostolique de Yaoundé Jeudi 19 mars 2009

19309
Chers amis,

Heureux de l’occasion qui m’est donnée de rencontrer les Représentants de la communauté musulmane du Cameroun, j’exprime mes sincères remerciements à Monsieur Amadou Bello pour les aimables mots d’accueil qu’il m’a adressés en votre nom. Notre rencontre est un signe concret du désir que nous partageons avec tous les hommes de bonne volonté – au Cameroun, dans toute l’Afrique et dans le monde entier – de chercher des occasions d’échanger nos idées sur la contribution essentielle qu’apporte la religion à notre compréhension de la culture et du monde ainsi qu’à une coexistence pacifique de tous les membres de la famille humaine. Au Cameroun, des groupes comme l’Association Camerounaise pour le Dialogue Interreligieux, montrent combien un tel dialogue accroît la compréhension mutuelle et contribue à la construction d’un ordre politique stable et juste.

Le Cameroun abrite des milliers de Chrétiens et de Musulmans qui, souvent, vivent, travaillent et accomplissent leurs pratiques religieuses dans un même voisinage. Tous croient au Dieu unique, miséricordieux, qui jugera les hommes au dernier jour (cf. Lumen Gentium
LG 16). Ensemble, ils témoignent des valeurs fondamentales de la famille, de la responsabilité sociale, de l’obéissance à la loi de Dieu et de la sollicitude bienveillante envers les personnes malades et souffrantes. En fondant leurs vies sur ces vertus et en les enseignant aux jeunes, les Chrétiens et les Musulmans ne montrent pas seulement qu’ils promeuvent le plein développement de la personne humaine, mais aussi qu’ils forgent des liens de solidarité avec leur prochain et font progresser le bien commun.

Mes amis, je crois qu’aujourd’hui une tâche particulièrement urgente de la religion est de dévoiler l’immense potentiel de la raison humaine, qui est elle-même un don de Dieu et que la révélation et la foi fortifient. Loin de réprimer notre capacité de nous comprendre nous-mêmes et de comprendre le monde, la foi dans le Dieu unique l’élargit. Loin de nous dresser contre le monde, elle nous lie à lui. Nous sommes appelés à aider les autres à voir les indices subtils et mystérieux de la présence de Dieu dans le monde qu’il a créé d’une manière merveilleuse et qu’il continue de soutenir par son amour ineffable et universel. Bien qu’en cette vie, nos pensées finies ne puissent jamais saisir directement sa gloire infinie, nous discernons néanmoins des aperçus de celle-ci dans la beauté de ce qui nous entoure. Lorsque des hommes et des femmes laissent le magnifique ordre du monde et la splendeur de la dignité humaine éclairer leurs pensées, ils découvrent que ce qui est « raisonnable » va bien au-delà de ce que les mathématiques peuvent calculer, de ce que la logique peut déduire et de ce que l’expérimentation scientifique peut démontrer ; ce qui est « raisonnable » comprend aussi la bonté et l’attrait inné pour une vie morale droite qui nous est donnée à connaître à travers le langage même de la création.

Cette perception nous incite à chercher tout ce qui est droit et juste, à sortir de la sphère étroite de notre propre intérêt personnel et à agir pour le bien des autres. C’est ainsi qu’une religion authentique élargit l’horizon de la compréhension humaine et est à la base de toute culture humaine authentique. Elle rejette toute forme de violence et de totalitarisme : non seulement à cause des principes de la foi mais aussi d’une raison droite. En effet, religion et raison se renforcent mutuellement car, d’une part, la religion est purifiée et structurée par la raison et, d’autre part, tout le potentiel de la raison est libéré par la révélation et par la foi.

Je vous encourage donc, chers amis Musulmans, à faire pénétrer dans la société les valeurs qui ressortent de cette perspective et qui élèvent la culture humaine, et aussi à inviter d’autres personnes à participer à la construction d’une civilisation de l’amour. Puisse la coopération enthousiaste des Musulmans, des Catholiques et des autres Chrétiens, au Cameroun, être pour les autres Nations africaines un indicateur lumineux de l’énorme potentiel de l’engagement interreligieux pour la paix, la justice et le bien commun !

Avec ces sentiments, je vous exprime encore une fois ma gratitude pour cette heureuse occasion qui m’est donnée de vous rencontrer durant ma visite au Cameroun. Je remercie Dieu Tout-Puissant des grâces qu’il a fait descendre sur vous et sur vos concitoyens, et je prie pour que les liens qui unissent les Chrétiens et les Musulmans dans leur profond respect pour le Dieu unique continuent à se renforcer, afin qu’ils reflètent plus clairement la Sagesse du Tout-Puissant, qui illumine les coeurs de tous les hommes.




PUBBLICATION DE L'INSTRUMENTUM LABORIS - Stade Amadou Ahidjo de Yaoundé Jeudi 19 mars 2009

19319
Chers Frères dans l’Épiscopat,
Présidents des Conférences épiscopales nationales
et régionales d’Afrique et de Madagascar,

Voici quatorze ans, le 14 septembre 1995, mon vénéré prédécesseur le Pape Jean-Paul II signait ici même à Yaoundé, l’exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa. Aujourd’hui, c’est une grande joie pour moi de vous remettre le texte de l’Instrumentum laboris de la deuxième Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques, qui se tiendra à Rome en octobre prochain. Le thème de cette Assemblée “ L’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix”, qui se situe dans la continuité d’Ecclesia in Africa, est d’une grande importance pour la vie de votre continent, mais aussi pour la vie de l’Église universelle. L’Instrumentum laboris est le fruit de votre réflexion, à partir des aspects importants de la situation ecclésiale et sociale de vos pays d’origine. Il reflète le grand dynamisme de l’Église en Afrique, mais aussi les défis auxquels elle est affrontée et que le Synode devra examiner. Ce soir, j’aurai l’occasion de m’entretenir plus longuement sur ce thème avec les membres du Conseil spécial pour l’Afrique du Synode des Évêques. Je souhaite donc vivement que les travaux de l’Assemblée synodale contribuent à faire grandir l’espérance pour vos peuples et pour le continent tout entier ; qu’ils contribuent à insuffler à chacune de vos Églises locales un nouvel élan évangélique et missionnaire au service de la réconciliation, de la justice et de la paix, selon le programme donné par Seigneur lui-même : "Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde" (
Mt 5,13 Mt 5,14). Que la joie de l’Église en Afrique de célébrer ce Synode soit aussi la joie de l’Église universelle !

Et vous chers frères et soeurs, qui entourez ici vos Évêques, représentant en quelque sorte l’Église présente parmi tous les peuples de l’Afrique, je vous invite à porter dans la prière la préparation et le déroulement de ce grand événement ecclésial. Que la Reine de la Paix, soutienne les efforts de tous les artisans de réconciliation, de justice et de paix ! Notre-Dame d’Afrique, priez pour nous !



RENCONTRE AVEC LE MONDE DE LA SOUFFRANCE Centre Card. Paul Emile Léger - CNRH de Yaoundé Jeudi 19 mars 2009

19329
Messieurs les Cardinaux,
Madame le Ministre des Affaires Sociales,
Monsieur le Ministre de la Santé,
Chers frères dans l’Episcopat et cher Monseigneur Joseph Djida,
Monsieur le Directeur du Centre Cardinal Léger,
Cher personnel soignant, chers malades,

J’ai vivement souhaité passer ces moments avec vous et je suis heureux de pouvoir vous saluer chers frères et soeurs qui portez le poids de la maladie et de la souffrance. Dans cette douleur, vous n’êtes pas seuls, car le Christ lui-même est solidaire de tous ceux qui souffrent. Il révèle aux malades et aux infirmes la place qu’ils ont dans le coeur de Dieu et dans la société. L’évangéliste Marc nous donne en exemple la guérison de la belle-mère de Pierre : « Sans plus attendre, on parle à Jésus de la malade, est-il écrit. Jésus s’approcha d’elle, la prit par la main, et la fit lever » (
Mc 1,30-31). Dans ce passage de l’Évangile, nous voyons Jésus vivre une journée auprès des malades pour les soulager. Il nous montre ainsi, par des gestes concrets, sa tendresse et sa bienveillance fraternelles pour tous ceux qui ont le coeur brisé et le corps blessé.

Depuis ce Centre qui porte le nom du Cardinal Paul-Émile Léger, fils du Canada, qui était venu chez vous pour soulager les corps et les âmes, je n’oublie pas ceux qui, chez eux, dans les hôpitaux, dans des établissements spécialisés ou des dispensaires, sont porteurs d’un handicap, qu’il soit moteur ou mental, ni ceux qui portent dans leur chair la trace de violences et de guerres. Je pense aussi à tous les malades et, spécialement ici, en Afrique, à ceux qui sont victimes de maladies comme le sida, le paludisme et la tuberculose. Je sais combien chez vous l’Église catholique est fortement engagée dans une lutte efficace contre ces terribles fléaux, je l’encourage à poursuivre avec détermination cette oeuvre si urgente. À vous qui êtes éprouvés par la maladie et la souffrance, à toutes vos familles, je souhaite apporter de la part du Seigneur un peu de réconfort, vous redire mon soutien, et vous inviter à vous tourner vers le Christ et vers Marie qu’il nous a donnée pour Mère. Elle a connu la douleur, et elle a suivi son Fils sur le chemin du Calvaire, en conservant dans son coeur l’amour même que Jésus est venu apporter à tous les hommes.

Devant la souffrance, la maladie et la mort, l’homme est tenté de crier sous l’effet de la douleur, comme le fit Job, dont le nom signifie ‘ souffrant ’ (cf. Grégoire le Grand, Moralia in Job, I, 1, 15). Jésus lui-même a crié, peu avant de mourir (cf. Mc 15,37 He 5,7). Quand notre condition se dégrade, l’angoisse augmente ; certains sont tentés de douter de la présence de Dieu dans leur existence. Job, au contraire, est conscient de la présence de Dieu dans sa vie ; son cri ne se fait pas révolte, mais, du plus profond de son malheur, il fait monter sa confiance (cf. Job Jb 19 Jb 42,2-6). Ses amis, comme chacun de nous face à la souffrance d’un être cher, s’efforcent de le consoler, mais ils emploient des mots creux et vides.

Face aux tourments, nous nous sentons démunis et nous ne trouvons pas les mots justes. Devant un frère ou une soeur plongé dans le mystère de la Croix, le silence respectueux et compatissant, notre présence habitée par la prière, un geste de tendresse et de réconfort, un regard, un sourire, en font plus parfois que bien des discours. Cette expérience a été vécue par un petit groupe d’hommes et de femmes, dont la Vierge Marie et l’Apôtre Jean, qui ont suivi Jésus au coeur de sa souffrance lors de sa passion et de sa mort sur la Croix. Parmi eux, nous rapporte l’Évangile, se trouvait un Africain, Simon de Cyrène. Il fut chargé d’aider Jésus à porter sa Croix sur le chemin du Golgotha. Cet homme, bien involontairement, est venu en aide à l’Homme des douleurs, abandonné par tous les siens et livré à une violence aveugle. L’histoire rapporte donc qu’un Africain, un fils de votre continent, a participé, au prix de sa propre souffrance, à la peine infinie de Celui qui rachetait tous les hommes, y compris ses bourreaux. Simon de Cyrène ne pouvait pas savoir qu’il avait son Sauveur devant les yeux. Il a été « réquisitionné » pour l’aider (cf. Mc 15,21) ; il a été contraint, forcé à le faire. Il est difficile d’accepter de porter la croix d’un autre. Ce n’est qu’après la résurrection qu’il a pu comprendre ce qu’il avait fait. Ainsi en va-t-il de chacun de nous, frères et soeurs : au coeur de la détresse, de la révolte, le Christ nous propose sa présence aimante même si nous avons du mal à comprendre qu’Il est à nos côtés. Seule la victoire finale du Seigneur nous dévoilera le sens définitif de nos épreuves.

Ne peut-on pas dire que tout Africain est en quelque sorte membre de la famille de Simon de Cyrène ? Tout Africain et tout homme qui souffrent, aident le Christ à porter sa Croix et montent avec lui au Golgotha pour ressusciter un jour avec lui. En voyant l’infamie dont Jésus est l’objet, en contemplant son visage sur la Croix, et en reconnaissant l’atrocité de sa douleur, nous pouvons entrevoir, par la foi, le visage rayonnant du Ressuscité qui nous dit que la souffrance et la maladie n’auront pas le dernier mot dans nos vies humaines. Je prie, chers frères et soeurs, pour que vous sachiez vous reconnaître dans ce ‘ Simon de Cyrène ’. Je prie, chers frères et soeurs malades, pour que beaucoup de ‘ Simon de Cyrène ’ viennent aussi à votre chevet.

Depuis la résurrection et jusqu’à nos jours, nombreux sont les témoins qui se sont tournés, avec foi et espérance, vers le Sauveur des hommes, en reconnaissant sa présence au coeur de leur épreuve. Le Père de toutes les miséricordes accueille toujours avec bienveillance la prière de celui qui se tourne vers Lui. Il répond à notre appel et à notre prière, comme Il le veut et quand Il veut, pour notre bien et non pas suivant nos désirs. A nous de discerner sa réponse et d’accueillir les dons qu’Il nous offre comme une grâce. Fixons notre regard sur le Crucifié, avec foi et courage, car de Lui nous viennent la Vie, le réconfort, les guérisons. Sachons regarder Celui qui veut notre bien et sait essuyer les larmes de nos yeux. Sachons nous abandonner dans ses bras, comme un petit enfant dans les bras de sa mère !

Les saints nous en ont donné un bel exemple par leur vie entièrement remise à Dieu, notre Père. Sainte Thérèse d’Avila, qui avait placé son monastère sous le patronage de saint Joseph, a été guérie d’une souffrance le jour même de sa fête. Elle disait qu’elle ne l’avait jamais prié en vain et le recommandait à tous ceux qui prétendaient ne pas savoir prier : « Je ne comprends pas, écrivait-elle, comment on peut penser à la Reine des anges et à tout ce qu’elle essuya de tribulations, durant le bas âge du divin Enfant Jésus, sans remercier saint Joseph du dévouement si parfait avec lequel il vint au secours de l’un et de l’autre. Que celui qui ne trouve personne pour lui enseigner l’oraison choisisse cet admirable saint pour maître, il n’aura pas à craindre de s’égarer sous sa conduite » (Vie, 6). D’intercesseur pour la santé du corps, la sainte voyait en saint Joseph un intercesseur pour la santé de l’âme, un maître d’oraison, de prière.

Choisissons-le, nous-aussi, comme maître de prière ! Non seulement nous qui sommes en bonne santé, mais vous aussi, chers malades, et toutes les familles. Je pense tout particulièrement à vous qui faites partie du personnel hospitalier, et à tous ceux qui travaillent dans le monde de la santé. En accompagnant ceux qui souffrent, par votre attention et par les soins que vous leur accordez, vous accomplissez un acte de charité et d’amour que Dieu reconnaît : « J’étais malade, et vous m’avez visité » (Mt 25,36). À vous, chercheurs et médecins, il revient de mettre en oeuvre tout ce qui est légitime pour soulager la douleur ; il vous appartient en premier lieu de protéger la vie humaine, en étant les défenseurs de la vie, depuis sa conception jusqu’à son terme naturel. Pour tout homme, le respect de la vie est un droit et en même temps un devoir, car toute vie est un don de Dieu. Je veux, avec vous, rendre grâce au Seigneur pour tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, oeuvrent au service des personnes qui souffrent. J’encourage les prêtres et les visiteurs de malades à s’engager par leur présence active et amicale au sein d’une aumônerie dans les hôpitaux ou à assurer une présence ecclésiale à domicile, pour le réconfort et le soutien spirituel des malades. Conformément à sa promesse, Dieu vous donnera le juste salaire et vous récompensera au ciel.

Avant de vous saluer plus personnellement, puis de vous quitter, je veux assurer chacun de vous de ma proximité affectueuse et de ma prière. Je souhaite aussi vous exprimer mon désir qu’aucun de vous ne se sente jamais seul. C’est en effet à tout homme, créé à l’image du Christ, qu’il revient de se faire proche de son prochain. Je vous confie tous et toutes à l’intercession de la Vierge Marie, notre Mère, et à celle de saint Joseph. Que Dieu nous accorde d’être les uns pour les autres, des porteurs de la miséricorde, de la tendresse et de l’amour de notre Dieu et qu’Il vous bénisse !



RENCONTRE AVEC LES MEMBRES DU CONSEIL SPÉCIAL POUR L'AFRIQUE DU SYNODE DES ÉVÊQUES Nonciature apostolique de Yaoundé Jeudi 19 mars 2009

19339
Messieurs les Cardinaux, chers frères dans l’Épiscopat,

C’est avec une joie profonde que je vous salue tous, en cette terre d’Afrique. Pour elle, en 1994, une Première Assemblée Spéciale du Synode des Évêques a été convoquée par mon vénéré prédécesseur, le Serviteur de Dieu Jean-Paul II, en signe de sollicitude pastorale pour ce continent aussi riche de promesses que de besoins humains, culturels et spirituels pressants. Je l’ai appelé ce matin « le continent de l’espérance ». Je me souviens avec gratitude de la signature de l’Exhortation Apostolique post-synodale Ecclesia in Africa, qui eut lieu ici même voici 14 ans, en la Fête de l’Exaltation de la Croix, le 14 septembre1995.

Ma reconnaissance va à Monseigneur Nikola Eterovic, Secrétaire Général du Synode des Evêques, pour les paroles qu’il m’a adressées en votre nom, en introduisant cette rencontre en terre africaine avec vous, et je vous suis très reconnaissant de ce que vous m’avez dit, cela me donne une idée plus réaliste de la situation sur laquelle nous devons parler et prier surtout dans ce Synode, chers membres du Conseil Spécial pour l’Afrique. Toute l’Église prête attention à notre rencontre en vue de la Seconde Assemblée Spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques, qui, si telle est la volonté de Dieu, sera célébrée en octobre prochain. Le thème en est : « L’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix. Vous êtes le sel de la terre…Vous êtes la lumière du monde » (
Mt 5,13 Mt 5,14).

Je remercie vivement les Cardinaux, les Archevêques et les Evêques, membres du Conseil Spécial pour l’Afrique, pour leur collaboration experte à la rédaction des Lineamenta et de l’Instumentum laboris. Je vous suis reconnaissant, chers confrères dans l’Épiscopat, d’avoir présenté également dans vos contributions des aspects importants de la situation ecclésiale et sociale actuelle de vos pays d’origine et de la région. Vous avez souligné ainsi le grand dynamisme de l’Église en Afrique, mais vous avez également évoqué les défis, les grands problèmes de l’Afrique que le Synode devra examiner, afin que dans l’Eglise en Afrique la croissance ne soit pas seulement quantitative mais aussi qualitative.

Chers frères, pour ouvrir mon propos, il me semble important de souligner que votre continent a été sanctifié par Notre Seigneur Jésus lui-même. A l’aube de sa vie terrestre, de tristes circonstances lui ont fait fouler le sol d’Afrique. Dieu a choisi votre continent pour devenir la demeure de Son Fils. A travers Jésus, Dieu est venu au-devant de tous les hommes, certes, mais aussi d’une façon particulière au-devant de l’homme africain. L’Afrique a offert au Fils de Dieu une terre nourricière et une protection efficace. A travers Jésus, il y a deux mille ans déjà, Dieu a apporté lui-même le sel et la lumière à l’Afrique. Depuis lors, la semence de sa présence est enfouie dans les profondeurs des coeurs de ce cher continent et elle germe peu à peu au-delà et à travers les aléas de l’ histoire humaine de votre continent. A cause de la venue du Christ qui l'a sanctifiée par sa présence physique, l'Afrique a reçu un appel particulier à connaître le Christ. Que les Africains en soient fiers! En méditant et en approfondissant spirituellement et théologiquement cette première étape de la kénose, l'Africain pourra trouver les forces suffisantes pour affronter son quotidien parfois très dur, et il pourra découvrir alors d'immenses espaces de foi et d'espérance qui l'aideront à grandir en Dieu.

Quelques moments significatifs de l'histoire chrétienne de ce continent peuvent nous rappeler le lien intime qui existe depuis ses origines entre l’Afrique et le christianisme.

Selon la vénérable tradition patristique, l’évangéliste saint Marc, qui a « transmis par écrit ce qui a été prêché par Pierre » (Irénée, Adversus Haereses III, I, 1) vient à Alexandrie ranimer la semence plantée par le Seigneur. Cet évangéliste a témoigné en Afrique de la mort sur la croix du Fils de Dieu – ultime moment de la kénose –, et de son élévation souveraine, afin que « toute langue proclame : ‘Jésus Christ est le Seigneur’ pour la gloire de Dieu le Père » (Ph 2,11). La Bonne Nouvelle de la venue du Règne de Dieu s’est répandue rapidement dans le nord de votre continent, où elle a eu d’illustres martyrs et saints, et d’où elle a engendré d’insignes théologiens.

Après avoir été mise à l’épreuve par des vicissitudes historiques, la chrétienté n’a subsisté durant presque un millénaire que dans la partie nord-orientale de votre continent. Avec l’arrivée des Européens qui cherchaient la route des Indes, aux XVe et XVIe siècles, les populations sub-sahariennes ont rencontré le Christ. Ce sont les populations côtières qui, en premier, reçurent le baptême. Aux XIXe et au XXe siècle, l’Afrique sub-saharienne a vu arriver des missionnaires, hommes et femmes provenant de tout l’Occident, d’Amérique latine et même d’Asie. Je désire rendre hommage à la générosité de leur réponse inconditionnelle à l’appel du Seigneur et à leur ardent zèle apostolique. Ici, je voudrais aller plus avant et parler des catéchistes africains, compagnons inséparables des missionnaires dans l’évangélisation. Dieu avait préparé le coeur de certains laïcs africains, hommes et femmes, jeunes et plus âgés, pour recevoir Ses dons et pour porter la lumière de Sa Parole à leurs frères et soeurs. Laïcs avec les laïcs, ils ont su trouver dans la langue de leurs pères les mots de Dieu qui touchèrent le coeur de leurs frères et soeurs. Ils ont su partager la saveur du sel de la Parole et donner splendeur à la lumière des Sacrements qu’ils annonçaient. Ils ont accompagné les familles dans leur croissance spirituelle, ils ont encouragé les vocations sacerdotales et religieuses, et ils ont servi de lien entre leurs communautés et les prêtres et les évêques. Avec naturel, ils ont opéré une inculturation réussie qui a porté de merveilleux fruits (cf. Mc 4,20). Ce sont les catéchistes qui ont permis que la « lumière brille devant les hommes » (Mt 5,16), car en voyant le bien qu’ils faisaient, des populations entières ont pu rendre gloire à Notre Père qui est aux cieux. Ce sont des Africains qui ont évangélisé des Africains. En évoquant leur souvenir glorieux, je salue et j’encourage leurs dignes successeurs qui oeuvrent aujourd’hui avec la même abnégation, le même courage apostolique et la même foi que leurs devanciers. Que Dieu les bénisse généreusement ! Durant cette période, la terre africaine a aussi été bénie par de nombreux saints. Je me contente de nommer les martyrs de l'Ouganda, les grands missionnaires Anne-Marie Javouhey et Daniele Comboni, ainsi que Soeur Anuarite Nengapeta et le catéchiste Isidore Bakanja, sans oublier l'humble Joséphine Bakhita.

Nous sommes actuellement dans un moment historique qui coïncide du point de vue civil avec l’indépendance retrouvée et du point de vue ecclésial avec le Second Concile du Vatican. L’Église en Afrique a préparé et accompagné durant cette période la construction des nouvelles identités nationales et, parallèlement, elle a cherché à traduire l’identité du Christ selon des voies propres. Alors que la Hiérarchie s’était peu à peu africanisée depuis l’ordination par le Pape Pie XII des évêques de votre continent, la réflexion théologique a commencé à prendre essor. Il serait bon aujourd’hui que vos théologiens continuent d’explorer la profondeur du mystère trinitaire et sa signification pour le quotidien africain. Ce siècle permettra peut-être, avec la grâce de Dieu, la renaissance, sur votre continent, mais certainement sous une forme différente et nouvelle, de la prestigieuse Ecole d’Alexandrie. Pourquoi ne pas espérer qu’elle puisse fournir aux Africains d’aujourd’hui et à l’Église universelle de grands théologiens et des maîtres spirituels qui contribueraient à la sanctification des habitants de ce continent et de l’Église entière ? La Première Assemblée Spéciale du Synode des Évêques a permis d’indiquer les directions à prendre et a mis en évidence, entre autres, la nécessité d’approfondir et d’incarner le mystère d’une Église-Famille.

Je voudrais maintenant suggérer quelques réflexions sur le thème proprement dit de la Deuxième Assemblée Spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques, relatif à la réconciliation, à la justice et à la paix.

Selon le Concile OEcuménique Vatican II, « l’Église est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG 1). Pour bien remplir sa mission, l’Église doit être une communauté de personnes réconciliées avec Dieu et entre elles. De cette manière, elle peut annoncer la Bonne Nouvelle de la réconciliation à la société actuelle, qui connaît malheureusement en de nombreux lieux des conflits, des violences, des guerres, et de la haine. Votre continent n’a pas été épargné, hélas, et il a été et est encore le triste théâtre de graves tragédies qui appellent à une vraie réconciliation entre les peuples, les ethnies et les hommes. Pour nous chrétiens, cette réconciliation s’enracine dans l’amour miséricordieux de Dieu le Père et elle se réalise à travers la personne du Christ-Jésus, qui, dans l’Esprit Saint, a offert à tous la grâce de la réconciliation. Les conséquences se manifesteront alors par la justice et la paix, indispensables pour construire un monde meilleur.

En réalité, qu’y a-t-il de plus dramatique, dans le contexte sociopolitique et économique actuel du continent africain, que le combat souvent sanglant entre groupes ethniques ou peuples frères ? Et si le Synode de 1994 a insisté sur l’Église-Famille de Dieu, quel peut être l’apport de celui de cette année à la construction de l’Afrique, assoiffée de réconciliation et à la recherche de la justice et de la paix ? Les guerres locales ou régionales, les massacres et les génocides qui se déroulent sur le continent doivent nous interpeller de manière toute particulière : s’il est vrai qu’en Jésus Christ, nous appartenons à la même famille et partageons la même vie, puisque dans nos veines circule le même Sang du Christ, qui fait de nous les fils de Dieu, membres de la Famille de Dieu, il ne devrait donc plus y avoir de haines, d’injustices et de guerres entre frères.

Constatant le développement de la violence et l'émergence de l'égoïsme en Afrique, le Cardinal Bernardin Gantin, de vénérée mémoire, appelait, dès 1988, à une théologie de la Fraternité, comme réponse aux appels pressants des pauvres et des plus petits (Osservatore Romano, éd. française, 12 avril 1988, PP 4-5). Il lui venait peut-être en mémoire ce qu’écrivait l'Africain Lactance à l'aube du IVe siècle : « Le premier devoir de la justice est de reconnaître l'homme comme un frère. De fait, si le même Dieu nous a faits et nous a tous engendrés dans la même condition, en vue de la justice et de la vie éternelle, nous sommes assurément unis par des liens de fraternité : celui qui ne les reconnaît pas est injuste » (Epitomé des Institutions Divines, 54, 4-5 ; SC 335, p. 210). L’Église-Famille de Dieu qui est en Afrique, a réalisé une option préférentielle pour les pauvres, depuis la Première Assemblée Spéciale du Synode des Évêques. Elle manifeste ainsi que la situation de déshumanisation et d’oppression qui afflige les peuples africains n’est pas irréversible ; au contraire, elle met chacun face à un défi, celui de la conversion, de la sainteté et de l’intégrité.

Le Fils, à travers lequel Dieu nous parle, est lui-même Parole devenue chair. Cela a été l’objet des réflexions de la récente douzième Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques. Devenue chair, cette Parole est à l’origine de ce que nous sommes et faisons ; elle est le fondement de toute vie. C’est donc à partir de cette Parole qu’il faut valoriser les traditions africaines, corriger et perfectionner leur conception de la vie, de l’homme et de la famille. Le Christ Jésus, Parole de vie, est source et accomplissement de toutes nos vies, car le Seigneur Jésus est l’unique médiateur et rédempteur.

Il est urgent que les communautés chrétiennes deviennent toujours davantage des lieux d’écoute profonde de la Parole de Dieu, et de lecture méditative de l’Écriture Sainte. C’est par cette lecture méditative et communautaire en Église que le chrétien rencontre le Christ ressuscité qui lui parle et lui redonne l’espérance en la plénitude de vie qu’Il donne au monde.

Quant à l’Eucharistie, elle rend le Seigneur réellement présent dans l’histoire. À travers la réalité de son Corps et de son Sang, le Christ tout entier se rend substantiellement présent dans nos vies. Il est avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps (cf. Mt 28,20) et Il nous renvoie à nos réalités quotidiennes afin que nous puissions les remplir de sa présence. Dans l’Eucharistie, il est mis clairement en évidence que la vie est une relation de communion avec Dieu, avec nos frères et nos soeurs, et avec la création tout entière. L’Eucharistie est source d’unité réconciliée dans la paix.

La Parole de vie et le Pain de la vie offrent lumière et nourriture, comme antidote et viatique dans la fidélité au Maître et Pasteur de nos âmes, afin que l’Église en Afrique réalise le service de la réconciliation, de la justice et de la paix, selon le programme de vie donné par le Seigneur lui-même : « Vous êtes le sel de la terre… Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5,13 Mt 5,14). Pour l’être vraiment, les fidèles doivent se convertir et suivre Jésus Christ, devenir ses disciples, pour être témoins de son pouvoir salvifique. Durant sa vie terrestre, Jésus était « puissant par ses actions et ses paroles » (Lc 24,19). Par sa résurrection, il a soumis toute autorité et pouvoir (cf. Col Col 2,15), toute puissance du mal pour rendre libres ceux qui ont été baptisés en son nom. « Si le Christ nous a libérés, c’est pour que nous soyons vraiment libres » (Ga 5,1). La vocation chrétienne consiste à se laisser libérer par Jésus Christ. Il a vaincu le péché et la mort et il offre à tous la plénitude de la vie. Dans le Seigneur Jésus, il n’y a plus ni juif ni païen, ni homme, ni femme (cf. Ga 3,28). Dans sa chair, il a réconcilié tous les peuples. Avec la force de l’Esprit Saint, j’adresse à tous cet appel : « Laissez-vous réconcilier ! » (2 Co 5, 20). Aucune différence ethnique ou culturelle, de race, de sexe ou de religion ne doit devenir entre vous un motif d’affrontement. Vous êtes tous fils de l’unique Dieu, notre Père, qui est aux cieux. Avec cette conviction, il sera alors possible de construire une Afrique plus juste et pacifique, à la hauteur des attentes légitimes de tous ses fils.

Enfin, je vous invite à encourager la préparation de l’événement synodal, en récitant également avec les fidèles la prière qui conclut l’Instumentum laboris que j’ai remis ce matin, et ce, pour la bonne réussite de l’Assemblée Synodale. Prions ensemble maintenant, chers frères :

« Sainte Marie, Mère de Dieu, Protectrice de l'Afrique, tu as donné au monde la vraie lumière, Jésus-Christ. Par ton obéissance au Père et par la grâce de l'Esprit Saint tu nous a donné la source de notre réconciliation et de notre justice, Jésus-Christ, notre paix et notre joie.

Mère de tendresse et de sagesse montre-nous Jésus, ton Fils et Fils de Dieu, soutiens notre chemin de conversion afin que Jésus fasse briller sur nous sa Gloire dans tous les lieux de notre vie personnelle, familiale et sociale.

Mère, pleine de Miséricorde et de Justice, par ta docilité à l'Esprit Consolateur, obtiens pour nous la grâce d'être les témoins du Seigneur Ressuscité, pour que nous devenions toujours plus le sel de la terre et la lumière du monde.

Mère du Perpétuel Secours, à ton intercession maternelle nous confions la préparation et les fruits du Deuxième Synode pour l'Afrique. Reine de la Paix, prie pour nous ! Notre-Dame d'Afrique, prie pour nous ! »





Discours 2005-2013 18319