Ars Procès informatif 397

TEMOIN V – FRANCOIS PAGES – 5 mai 1863

397 (397) Session 38 – 5 mai 1863 à 9h du matin

(398) Au premier interrogatoire, le témoin averti de la nature et de la gravité du serment en matière de Canonisation et de Béatification des saints, a répondu :

Je connais parfaitement la nature du serment que j’ai fait et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas la vérité.


Au second interrogatoire, le témoin répond :

Je me nomme Hippolyte François Pagès, je suis né à Beaucaire, Diocèse de Nîmes, le treize février mil huit cent douze ; mon père était propriétaire rentier. J’ai exercé les fonctions d’architecte ; actuellement je suis dans une position indépendante et ma fortune me permet de vivre sans exercer de profession.



Au troisième interrogatoire, le témoin répond :

J’ai le bonheur de m’approcher régulièrement de la sainte Table tous les dimanches, j’ai communié dimanche dernier.



Au quatrième interrogatoire, le témoin répond :

Je n’ai jamais dû comparaître devant les tribunaux que dans une seule circonstance. J’avais publié la prophétie d’Orval sans m’être conformé à la loi sur le colportage ; j’ai été condamné à une faible amende pécuniaire.



Au cinquième interrogatoire, le témoin répond :

Je n’ai jamais encouru de censures ou de peines ecclésiastiques.


Au sixième interrogatoire, le témoin répond :

Personne ne m’a instruit de la manière dont je devais (399) répondre dans cette cause ; je n’ai pas lu les articles du Postulateur.


Au septième interrogatoire, le témoin répond :

J’ai une grande affection pour le Serviteur de Dieu que je regarde comme un très grand saint. En désirant vivement sa Béatification je n’ai en vue que la gloire de Dieu et l’honneur de l’Eglise.


Au huitième interrogatoire, le témoin répond :

Je sais que Monsieur Jean-Marie Baptiste Vianney est né à Dardilly près de Lyon le huit mai mil sept cent quatre vingt six. Il était fils de Matthieu Vianney et de Marie Béluse. J’ai entendu dire par un grand nombre de personnes que ses parents l’avaient élevé très chrétiennement et que le Serviteur de Dieu avait été un modèle de vertus dès sa plus tendre enfance.


Au neuvième interrogatoire, le témoin répond :

Le Serviteur de Dieu a passé son enfance et son adolescence à Dardilly auprès de ses parents. Il a d’abord été berger et a cultivé les champs. Dès ce moment Monsieur Vianney a montré des sentiments de la plus grande piété sans aucun mélange de vices ni de défauts d’après ce que j’ai entendu dire à plusieurs personnes dignes de foi.


Au dixième interrogatoire, le témoin répond :

Monsieur Vianney à l’âge d’environ dix-sept à dix-huit ans quitta la maison paternelle pour se rendre chez Monsieur Balley Curé d’Ecully afin d’y commencer ses classes de latinité pour se préparer au sacerdoce. Je tiens ces détails de Monsieur Melin beau-frère du Serviteur de Dieu.


Au onzième interrogatoire, le témoin répond :

Le Serviteur de Dieu dut interrompre le cours (400) de ses études à cause de la conscription militaire. Muni d’une feuille de route, il se rendait sous les drapeaux, lorsque dans un certain lieu il rencontra un étranger qui lui fit entendre qu’il allait se faire tuer comme beaucoup d’autres et que s’il voulait écouter ses conseils il le conduirait dans un village où il serait en sûreté. Ce village s’appelle les Noës ; Monsieur Vianney y demeura, selon mon opinion environ deux ans, dans une famille très pieuse ; il s’y rendait utile soit en cultivant les champs, soit en enseignant les enfants de cette famille. Le Serviteur de Dieu devenu Curé d’Ars reçut plusieurs fois la visite de quelques habitants des Noës, qui tous racontaient les bons exemples qu’il avait donnés pendant son séjour dans cette localité.


Au douzième interrogatoire, le témoin répond :

Je sais par la voix publique que Mr Vianney a toujours persévéré dans son dessein d’embrasser la carrière ecclésiastique et qu’il s’est préparé par la prière, la pratique de toutes les vertus à la réception des saints ordres. C’est tout ce que je sais sur cet interrogatoire.


Au treizième interrogatoire, le témoin répond :

Je sais par la voix publique qu’après son ordination par ordre de son évêque, il fut placé comme vicaire dans la paroisse d’Ecully, et qu’il aurait été demandé par Mr Balley lui-même ; qu’il est resté deux ans vicaire et qu’après la mort de Mr Balley, curé titulaire, les paroissiens ont témoigné un grand désir de l’avoir pour successeur du défunt.


Au quatorzième interrogatoire, le témoin répond :

Peu de temps après la mort de Mr Balley, Mr Vianney fut nommé curé de la petite paroisse d’Ars. Il y régnait plusieurs abus, entre autre la danse. Un des moyens qu’il employa pour les détruire, fut la (401) prière longtemps prolongée devant le très Saint Sacrement soit pendant le jour, soit pendant la nuit. Il s’est conduit dans la réforme des abus avec beaucoup de prudence et de sagesse ; il a été assez heureux pour les voir disparaître un grand nombre d’années avant sa mort.



Au quinzième interrogatoire, le témoin répond :

Je sais que pour réformer sa paroisse, il a établi différentes confréries et de plus, qu’il institua une maison pour l’instruction gratuite des jeunes filles et une autre pour l’instruction des jeunes garçons. Ces deux dernières furent faites soit avec ses ressources patrimoniales, soit avec les dons de plusieurs personnes généreuses. En les établissant, il prit toujours l’autorisation de son évêque et il les conduisit constamment avec prudence.


Au seizième interrogatoire, le témoin répond :

Je ne doute point que le Serviteur de Dieu n’ait rempli tous les commandements de Dieu et de l’Eglise et les obligations de son état et qu’il n’y ait persévéré jusqu’à sa mort. Je n’ai jamais rien remarqué qui puisse indiquer un manquement à ses devoirs. Si dans les commencements de son ministère à Ars, Mr Vianney est allé prêcher et confesser dans les paroisses voisines, c’était tout à la fois par charité envers les curés ses confrères et par zèle pour la conversion des peuples. Du reste sa paroisse n’eut jamais à souffrir de ses absences. Si le Serviteur de Dieu a cherché à deux différentes reprises de s’enfuir de sa paroisse, je suis persuadé qu’il n’a fait cette tentative que par un sentiment profond d’humilité et en même temps pour se retirer dans une solitude afin de se préparer à la mort, comme il le disait lui-même.


Au dix-septième interrogatoire, le témoin répond :

Je n’ai rien de précis à dire sur cet interrogatoire.


Au dix-huitième interrogatoire, le témoin répond :

J’affirme que Mr Vianney a pratiqué toutes les vertus jusqu’à la mort, de manière à exciter l’admiration de tout le monde. Quant à la foi, j’affirme qu’elle était si vive qu’il obtenait des miracles. Je sais d’une manière générale qu’il montra la plus grande piété dès sa plus tendre (402) enfance et qu’il édifia tout le monde à cette époque de sa vie comme il le fit plus tard jusqu’à sa mort. Se sentant appelé à l’état ecclésiastique, il obtint de ses parents la permission de commencer les études nécessaires chez Mr Balley, curé d’Ecully. Le succès ne répondit pas à ses efforts et il eut de grandes difficultés à surmonter pour obtenir la science nécessaire. J’ai entendu dire que Mr Vianney pendant le cours de ses études, avait constamment édifié ses maîtres et ses condisciples par la vivacité de sa foi. J’ai entendu dire la même chose par des habitants d’Ecully qui se rappelaient de l’avoir connu dans cette paroisse, soit comme élève, et surtout comme vicaire.

Je sais que dès l’arrivée du Serviteur de Dieu à Ars ses paroissiens furent frappés de son assiduité à l’église où il avait pour ainsi dire fixé sa demeure ; ils remarquèrent surtout la foi dont il paraissait animé lorsqu’il était devant le Très Saint Sacrement ; il portait avec amour ses yeux vers le tabernacle ce qui faisait dire aux paroissiens : Notre curé est un saint. Dans ses longues oraisons, il avait l’habitude de s’offrir en sacrifice pour la conversion des pécheurs et pour obtenir en général des grâces spirituelles et temporelles qu’il sollicitait de la bonté de Dieu. Outre la prière, Mr Vianney employait aussi le moyen de la prédication de la Parole divine. Dans les commencements de son ministère, la préparation de ses instructions lui coûtait beaucoup de travail ; mais plus tard Dieu pour manifester sa gloire, accorda une grande facilité de parole à Mr Vianney et cette parole animée d’une foi très vive et souvent accompagnée de larmes, touchait les coeurs et les ramenait à Dieu.


405 (405) Session 39 – 5 mai 1863 à 3h de l’après-midi



Au dix-huitième interrogatoire et au sujet de la foi, le témoin continue à répondre :



Le grand esprit de foi de Mr Vianney le porta à orner son église d’une manière convenable ; il avait la passion du beau pour tout ce qui touchait au culte de Dieu. Il acheta pour son église des ornements magnifiques. Mr le (406) Vicomte d’Ars ne voulut pas rester en arrière d’un si beau zèle ; il envoya de Paris pour l’église d’Ars différents ornements que l’on évalue à la somme de quarante mille francs.



La foi profonde envers la sainte Eucharistie se manifestait de toutes sortes de manières. Parmi les grandes solennités de l’année, il aimait surtout la fête du Très St Sacrement. Il voulait que les reposoirs fussent magnifiques ; il employait les plus riches ornements de l’église ; il portait lui-même le St Sacrement à la procession et son attitude tout entière peignait suffisamment les sentiments de foi profonde dont son esprit et son coeur étaient animés. Quand il célébrait le Saint Sacrifice de la messe, il paraissait un ange, et plusieurs personnes, moi surtout, croyaient qu’il jouissait de la présence visible de Notre Seigneur dans l’Eucharistie. Lorsque dans ses sermons, il parlait du Saint Sacrement, son langage était emprunt d’une telle conviction et de sentiments si affectueux envers Notre Seigneur qu’il touchait profondément tous ceux qui l’écoutaient. Il en était de même quand il administrait les différents sacrements : sa foi et sa piété se manifestaient d’une manière vraiment sensible. C’est particulièrement au confessionnal que ses paroles empreintes de foi et de charité touchaient les coeurs les plus endurcis et les ramenaient presque toujours à la pénitence. La grâce dont il était rempli semblait se communiquer à tous ceux qui avaient le bonheur de l’approcher ; volontiers je répétais pour mon compte les paroles que disaient les disciples d’Emmaüs lorsqu’ils étaient auprès du Sauveur.



Il parlait souvent dans ses instructions du ministère sacerdotal et des biens spirituels que les prêtres répandent sur les fidèles ; il le faisait avec des termes tellement convaincants que tout le monde en (407) était profondément ému. En parlant de Dieu, Mr Vianney semblait voir ce qu’il disait. Dans ses instructions du dimanche, dans ses catéchismes de chaque jour, il revenait sans cesse sur le bonheur d’aimer Dieu, de vivre pour Dieu, de travailler pour Dieu, de souffrir pour Dieu, en un mot de tout faire en la compagnie et sous les yeux de Dieu. Souvent le bon Curé vaincu par son émotion était obligé de s’arrêter et de fondre en larmes. Une fois prêchant sur le bonheur des élus dans le ciel, il disait que nous serions heureux du bonheur de Dieu et beaux de la beauté de Dieu même et il le disait avec un accent inspiré.



La foi inspirait toutes les pensées du bon Curé. En parlant de la souffrance et du mérite de la souffrance, il disait que chacun avait sa croix et que si on en connaissait tout le mérite et qu’on pût les prendre, on se les volerait les uns aux autres. En parlant de la prière, il disait qu’elle était toute puissante auprès de Dieu, que Dieu était facile à gagner par la prière, et si l’on pouvait prier en enfer, l’enfer n’existerait plus. L’âme qui cesse de prier meurt d’inanition ; l’âme qui prie peu ressemble à ces oiseaux de basse-cour qui, ayant de grandes ailes, ne savent pas s’en servir, ou ne s’élèvent qu’à une très petite hauteur, tandis que l’âme qui prie avec ferveur et persévérance, devient semblable à une hirondelle qui s’élève dans les airs avec facilité et à une grande hauteur, de même, la prière d’une âme fervente pénètre jusqu’au trône de Dieu et contemple ses attributs.





En un mot je puis affirmer que tout, dans Mr Vianney, ses paroles, ses actions, ses démarches étaient animés par un esprit de foi si vif qu’on (408) peut lui appliquer les paroles de l’Ecriture : « Mon juste vit de la foi » et qu’il pénétrait du même sentiment toutes les personnes qui l’approchaient.



Au sujet de l’Espérance, le témoin dépose ainsi :



J’affirme que le Serviteur de Dieu a constamment pratiqué la vertu d’espérance dans la plus haute perfection. Plein de défiance envers lui-même il plaçait uniquement sa confiance en Dieu, soit pour sa sanctification personnelle, soit pour la sanctification de ceux qui s’adressaient à lui. Au milieu des nombreuses difficultés qu’il éprouvait, il ne se laissa jamais entraîner au découragement. Un jour il me raconta qu’il avait demandé à Dieu de lui faire connaître son néant : Dieu lui accorda cette grâce et il vit alors que c’est Dieu qui nous inspire de faire les bonnes oeuvres : « C’est Dieu lui-même, disait-il, qui les fait en nous et nous n’y coopérons que par le consentement de notre volonté, consentement que nous refusons souvent et alors il ne nous reste que la malice. Cette vue je l’ai eue pendant dix-huit mois ; je craignais qu’elle ne me jetât dans le découragement ; je priai Dieu de vouloir bien me l’enlever, il me l’accorda. C’est ainsi que nous sommes, nous demandons à Dieu une chose : il nous l’accorde ; ensuite nous lui en demandons une contraire et il nous l’accorde parce qu’il est infiniment bon ». L’espérance jointe à la foi de Mr Vianney, lui inspirait des paroles de feu toutes les fois qu’il parlait du péché et du pécheur. « Pauvres pécheurs, s’écriait-il fréquemment en terminant ses instructions, que vous êtes à plaindre ! Vous n’êtes pas heureux en cette vie, et vous ne le serez jamais. Voyez, mes frères, disait-il dans d’autres occasions, les bons chrétiens parcourent le chemin de ce monde montés sur un beau char de triomphe, assis sur un trône, et c’est Notre Seigneur (409) qui conduit la voiture ; mais le pécheur est attelé lui-même au brancard, c’est le démon qui est dans la voiture et qui frappe sur lui à grands coups pour le faire avancer. »



Pour juger de la grande espérance du curé d’Ars, il suffit de citer ce trait que j’ai entendu ; il parlait du bonheur du ciel ; il disait : « La Foi et l’Espérance n’existeront plus dans le paradis, et il ajouta : mais l’amour ! nous en serons enivrés, nous serons noyés, perdus dans cet océan d’amour divin, anéantis, confondus dans cette immense charité du Coeur de Jésus. Aussi la charité est un avant-goût du Ciel ; si nous savions la comprendre, la sentir, la goûter, oh ! que nous serions heureux ! » Mr Vianney parlait souvent de la facilité que nous avons d’aller au ciel. « Il est plus facile, disait-il, d’aller au ciel que de tomber en enfer. Le démon s’étonne de ce qu’il nous fait tomber si aisément en tentation. Dieu est l’élément dans lequel nous devons vivre. Lorsque l’on sort de cet élément, on est malheureux. »



En travaillant incessamment au bien des âmes, j’ai remarqué avec de nombreuses personnes qui l’entouraient, qu’il ne négligeait pas la sienne. Il se sanctifiait lui-même pour sanctifier les autres. Il avait acquis cette habitude des saints de sortir de Dieu par l’action quand ils le doivent, et de rentrer en Dieu par la prière, dès qu’ils le peuvent. Il satisfaisait son besoin d’oraison par les élévations continuelles de son âme vers Dieu. Il consacrait un temps considérable (410) à la prière sans parler de celui qu’il donnait à la lecture de la vie des saints ; il faisait de longues visites au St Sacrement ainsi que je l’ai dit. Il s’abandonnait entièrement entre les mains de la Providence. Il parlait souvent du bonheur que l’on goûte lorsque l’on ne compte plus sur soi, mais uniquement sur Dieu. Le Seigneur permit cependant qu’il fût en butte à différentes contradictions, qu’il fût persécuté par le démon. Mais tout cela ne servait qu’à le détacher de plus en plus des choses de ce monde pour l’attacher à Dieu.



Le Serviteur de Dieu persévéra jusqu’à la fin de sa vie dans les mêmes sentiments et dans les travaux qu’il avait entrepris pour la gloire de Dieu et la conversion des pécheurs. Ses fatigues excessives lui firent dire souvent à ceux qui le pressaient de prendre un peu de repos : « Je me reposerai en paradis. » Lui qui avait tant redouté la mort et les jugements de Dieu, vit arriver ses derniers moments avec ce calme et cette assurance que donne l’espérance de voir bientôt son Dieu et de recevoir bientôt la récompense de ses travaux.


413 (413) Session 40 – 6 mai 1863 à 8 h du matin

Au dix-huitième interrogatoire, le témoin répond au sujet de la charité envers Dieu de la manière suivante :

J’ai entendu dire que Mr Vianney pendant son enfance, pendant ses études au petit et au grand séminaire, pendant son vicariat à Ecully, s’était constamment fait remarquer par la (414) vivacité de son amour envers Dieu. C’est le témoignage unanime que lui rendent tous ceux qui l’ont connu dans ses différentes positions.

Devenu Curé d’Ars, Mr Vianney n’eut qu’une seule pensée : aimer Dieu et faire aimer Dieu. C’est pour cela qu’il s’imposa une vie mortifiée et pénitente, qu’il se livra aux plus rudes travaux, consacrant à la prière et à la méditation et autres exercices de piété tous ses moments disponibles.

En déposant sur la vertu de foi, j’ai déjà dit que ma conviction était qu’en disant la messe, Mr Vianney voyait Notre Seigneur. J’ai dit aussi que cette conviction était celle d’un grand nombre de personnes ; il disait la messe dans un grand recueillement et sans qu’on pût soupçonner la moindre distraction. Il en était de même pendant qu’il récitait son bréviaire, fonction qu’il remplissait toujours à genoux et le plus souvent sans aucun point d’appui. Au milieu de la foule, sous l’influence de tant de regards attachés sur lui, il était toujours plongé dans le plus profond recueillement et constamment en communication avec Dieu. Il répétait souvent dans ses catéchismes et ses conversations : « Ah ! je pense souvent que quand même il n’y aurait pas d’autre vie, ce serait un assez grand bonheur d’aimer Dieu dans celle-ci, de le servir et de faire quelque chose pour sa gloire. » On était singulièrement édifié toutes les fois qu’on le voyait donner la bénédiction du Très Saint Sacrement, distribuer la Sainte Communion, porter le Saint Viatique et remplir toutes les fonctions de son ministère.

Le Curé d’Ars était admirable quand il parlait de l’amour de Dieu et de Notre Seigneur (415) Jésus-Christ. On voyait sans peine que la bouche parlait de l’abondance du coeur. Ces simples paroles prononcées par lui : « Mon Dieu je vous aime, grandissez mon amour pour vous dans mon coeur toujours davantage de ce moment-ci jusqu’à ma mort » étaient dites avec un accent de pénétration si vive que tout le monde se sentait porté à aimer Dieu comme lui. Il disait souvent dans ses catéchismes : « Le démon redoute que l’on atteigne par la prière un certain degré d’amour pour Dieu, parce qu’il sait que l’âme arrivée à ce degré ne peut plus lui appartenir, ou que si elle a le malheur de s’éloigner de Dieu, le souvenir du bonheur qu’elle a goûté dans cet amour la ramène facilement à son devoir. Dieu est si bon, disait-il d’autres fois, Dieu est si prompt à pardonner au pécheur repentant, qu’il lui remet ses fautes plus vite que la meilleure des mères ne retirerait son enfant du feu si elle l’y voyait tomber. Dieu est si bon que malgré les outrages que nous lui faisons, il nous porte en paradis presque malgré nous ; c’est comme une mère qui porte dans ses bras son enfant au passage d’un précipice ; elle est toute occupée d’éviter le danger tandis que son enfant ne cesse de l’égratigner et de lui faire de mauvais traitements. »

J’affirme qu’au confessionnal surtout Mr Vianney faisait paraître d’une manière admirable son amour envers Dieu. Dans les exhortations qu’il adressait aux pénitents pour leur faire comprendre l’énormité du péché et l’outrage qu’il fait à Dieu, il accompagnait ses paroles d’une abondance de larmes qui touchait profondément les coeurs.

416 (416) Dans ses entretiens ordinaires, il ne trouvait d’agréable que ce qui parlait de Dieu. Il écoutait volontiers ceux qui lui parlaient des choses humaines, mais il ramenait toujours le discours aux choses de Dieu. Tout ce qui se rattachait à l’honneur de Dieu, à la gloire de l’Eglise, au salut des âmes l’intéressait singulièrement. La pensée du grand nombre de pécheurs qui se damnait lui causait une peine très vive.

J’affirme que le bonheur de Mr Vianney était de souffrir. Il n’évitait point les croix ; au contraire il les recherchait. Aussi j’attribue sa grande charité envers Dieu aux sacrifices qu’il a dû faire. Je suis presque effrayé en pensant à toutes les mortifications et à toutes les pénitences que l’amour de Dieu lui a fait entreprendre toujours avec le même zèle. En un mot j’affirme que l’amour de Dieu fut le mobile de toutes ses actions.


Interrogé sur la vertu de charité envers le prochain, le témoin répond :

L’amour des âmes, la soif de leur salut furent la préoccupation constante de Mr Vianney, il avait demandé à souffrir et à souffrir beaucoup, le jour pour la conversion des pécheurs et la nuit pour le soulagement des âmes du purgatoire. C’est dans cette double intention qu’il a fondé près de cent missions pour travailler au salut des âmes et a fait plusieurs fondations pour le soulagement des âmes du purgatoire. Il répétait fréquemment que l’oeuvre la plus agréable à Dieu était de prier pour la conversion des pécheurs et de contribuer à la fondation des missions. Lui-même personnellement ne cessait de travailler au salut des âmes.



(416) Un jour Mr Toccanier lui disait : « Mr le Curé, si le bon Dieu vous proposait ou de monter au ciel à l’instant même ou de rester sur la terre jusqu’à la fin du monde pour travailler à la conversion des pécheurs, que feriez-vous ? - Je crois que je resterais, mon ami. - Oh ! Mr le Curé est-ce possible ? les saints sont si heureux dans le ciel. - C’est vrai, mon ami, mais les saints sont des rentiers ils ne peuvent comme nous glorifier Dieu par des sacrifices pour le salut des âmes ; ils ne gagnent plus rien. »



La charité de Mr Vianney envers ses confrères du voisinage le porta à leur rendre, aussi bien qu’à leurs paroissiens, tous les services possibles. A l’époque du jubilé de mil huit cent vingt-six, il exerça son zèle dans plusieurs paroisses en prêchant mais surtout en confessant. Les personnes qui eurent le bonheur de recevoir ses avis au saint tribunal en furent tellement touchées qu’elles voulurent continuer à vivre sous sa direction. Un grand nombre vinrent à Ars retrouver leur directeur ; à celles-là se joignirent les personnes que toutes ses vertus attiraient à lui et le pèlerinage d’Ars reçut ainsi son commencement. On vint ensuite de tous les pays du monde à mesure que sa réputation s’étendait. Mr Vianney se faisant tout à tous, passait en moyenne quinze heures au confessionnal sur les dix-huit ou vingt heures qui composaient sa journée. Dans le moment de la grande affluence, si matinal que fût Mr le Curé, les pèlerins l’avaient déjà devancé ; il allait cependant à l’église vers une heure ou deux heures du matin. Jamais il ne paraissait si (418) content que lorsqu’il avait été comme écrasé par les pénitents. Quoique épuisé par les jeûnes et les mortifications, les infirmités et le manque de sommeil, il recommençait tous les jours le même travail et ne l’a cessé que cinq jours avant sa mort.


421 (421) Session 41 – 6 mai 1863 à 3h de l’après-midi

Au dix-huitième interrogatoire et au sujet de la charité envers le prochain, le témoin continue à répondre ainsi :

J’affirme que le Serviteur de Dieu a toujours donné des marques de la plus grande charité envers le prochain. Dès qu’il le put il fonda une maison de refuge, nommée la Providence (422) pour les petites filles les plus délaissées ; il consacra à cette fondation ses biens patrimoniaux et les dons qu’il recevait. Souvent cette maison se trouva dans des moments de gêne ; il avait recours à la prière et les secours lui arrivaient providentiellement. J’ai même entendu dire à des personnes dignes de foi que Dieu avait opéré des miracles en faveur de cet établissement, tel que la multiplication du blé, dans le grenier de la cure, la multiplication de la farine. Son zèle le porta à fonder une école gratuite de garçons qu’il confia à la Congrégation des Frères de la Ste Famille de Belley.


J’affirme que Mr Vianney aima toujours les pauvres et se dépouilla de tout pour les secourir, il payait les loyers de plusieurs familles, il allait secourir à domicile les pauvres honteux. Quant à ceux qui venaient lui demander l’aumône, il la leur donnait avec beaucoup de charité ajoutant toujours quelques paroles gracieuses ; quand il n’avait rien sur lui il leur disait avec un aimable sourire : « Je suis pauvre comme vous ; je suis aujourd’hui un des vôtres. » Il disait quelquefois comme on me l’a rapporté : « Que nous sommes heureux que les pauvres viennent nous demander. S’ils ne venaient pas, il faudrait aller les chercher et on n’a pas toujours le temps. » Pour les secourir, il lui est arrivé plus d’une fois de donner ses vêtements. N’ayant plus rien à donner il fit connaître les nécessités pressantes de sa Providence à une personne pieuse d’Ars et lui dit en souriant : « Les dentistes demandent cinq francs pour une dent. Si quelqu’un voulait me donner cinq francs pour chacune des douze qui me restent, je les livrerais bien volontiers. » Le marché fut conclu ; comme il se disposait à arracher celle qui était sur le point de tomber, cette personne s’empressa de lui dire qu’elle lui en laissait la jouissance. Les soixante francs furent donnés et au même instant ils furent livrés pour subvenir aux besoins de sa Providence.

423 (423) Quand il recevait quelques provisions il s’empressait de les porter aux pauvres ; il avait une attention particulière pour une pauvre aveugle qui demeurait à côté de l’église. C’est chez elle, comme on me l’a raconté bien des fois, qu’il portait de préférence les mets qu’on lui donnait parce que la pauvre aveugle avait sur les autres l’avantage de ne pas voir son bienfaiteur ; il s’approchait d’elle doucement, déposait dans son tablier ce qu’il tenait sans rien dire. La bonne vieille pensant que c’était une de ses voisines, lui disait : « Merci, ma mie, grand merci, ma mie. » Mr Vianney se retirait en riant de tout son coeur.

Interrogé sur la vertu de Prudence, le témoin répond :

J’affirme que pendant tout le temps que je l’ai connu, j’ai remarqué en lui une très grande prudence. J’ai appris par le témoignage des habitants d’Ars, qu’il était parvenu grâce à son zèle et à sa prudence, à déraciner les abus qu’il avait trouvés dans sa paroisse en y arrivant et à introduire différentes pratiques de piété propres à faire fleurir la religion. J’ai été singulièrement édifié de tout ce que j’ai vu à Ars. C’était un bonheur pour moi de me trouver un jour de dimanche dans cette paroisse. L’église ne désemplissait pas ; l’affluence était si considérable qu’on y étouffait presque. Mr Vianney faisait régulièrement le catéchisme à une heure ; on y assistait presque comme à la messe. Après les vêpres il présidait à la récitation du chapelet à laquelle tout le monde prenait part. Au déclin du jour pour la troisième fois on se rendait à l’église. Mr Vianney faisait la prière du soir et donnait une des homélies qui impressionnait si vivement la foule. Ce spectacle était d’autant plus frappant qu’avant (424) l’arrivée de Mr Vianney à Ars, cette paroisse ressemblait malheureusement à tant d’autres où le dimanche est si peu observé.



J’ai remarqué la prudence que Mr Vianney déployait dans ses visites, dans ses rapports avec ses paroissiens et les étrangers. Sa prudence a brillé d’une manière particulière dans la direction des âmes ; je l’ai éprouvé moi-même toutes les fois que j’ai eu le bonheur de m’adresser à lui. J’ai su par de nombreux témoignages que le bon Curé savait donner à chacun les conseils dont il avait besoin. L’on comptait tellement sur la prudence du Curé d’Ars que lorsque dans une situation difficile on avait besoin de lumière et de conseil, on venait les chercher auprès de lui, ainsi que j’en ai été témoin bien des fois.


Interrogé sur la vertu de Justice, le témoin répond :

J’affirme que Mr Vianney a toujours rempli tous les devoirs que la religion nous impose de la manière la plus édifiante, comme je l’ai remarqué moi-même pendant les dix dernières années de sa vie que j’ai eu le bonheur de vivre auprès de lui. J’ai la conviction qu’il a toujours correspondu aux inspirations de la grâce. Les rapports que j’ai eus avec lui et avec les personnes qui le connaissaient particulièrement m’ont donné cette conviction.

J’affirme que pendant le temps que j’ai passé auprès de lui, j’ai vu Mr Vianney remplir tous les devoirs que les hommes se doivent mutuellement. Sa politesse était pleine de charité et de cordialité et mettait tout le monde à son aise. Plein d’égard et (425) d’attention envers tout le monde, il s’oubliait entièrement lui-même. Il accueillait tout le monde mais il savait rendre à chacun les honneurs qui lui sont dus, en sorte que tous ceux qui l’abordaient se retiraient très satisfaits. Il donnait des marques très particulières de respect aux ecclésiastiques, aux religieux et autres personnes consacrées à Dieu. Il voulait que je fisse passer les prêtres le plus tôt possible lorsqu’ils réclamaient son ministère, afin qu’ils puissent retourner promptement dans leur paroisse et travailler à la gloire de Dieu. Une autre raison qu’il me donnait de cette préférence, c’est le respect dont il faut toujours environner le prêtre.

J’affirme que Mr Vianney était bon envers tout le monde, mais il semblait déployer toutes les richesses de sa charité lorsqu’il avait devant lui des pauvres, des infirmes, des ignorants et des pécheurs. Il se montrait continuellement appliqué à écarter de ceux qui vivaient autour de lui le plus petit mécompte, à leur épargner la plus légère contrariété. Autant il était dur et impitoyable envers lui-même, autant il était sensible pour les autres. On ne saurait dire combien sa charité était ingénieuse pour être utile et faire plaisir à ceux qui l’approchaient. Mr Vianney était très reconnaissant pour tous les services qu’on lui rendait ; il priait d’une manière spéciale pour les personnes qui l’avaient secondé dans ses oeuvres.



(426) Interrogé sur la vertu d’obéissance, le témoin répond :



Tout ce que je puis dire au sujet de son obéissance, c’est qu’il a été toujours plein de respect, de déférence et de soumission envers toutes les autorités, surtout envers les autorités ecclésiastiques. On ne pouvait lui parler de l’Eglise et du Souverain Pontife sans l’émouvoir profondément.


429 (429) Session 42 – 7 mai 1863 à 9h du matin

Au dix-huitième interrogatoire et au sujet de la vertu de Religion, le témoin répond de la manière suivante :

Pendant tout le temps que j’ai passé à Ars, j’ai pu constater que Mr Vianney aimait et cherchait tout ce qui se rapportait au culte et à la gloire de Dieu ; il aimait les images et les médailles, (430) les croix et en distribuait aux fidèles à profusion. Il avait une vénération toute particulière pour les reliques des saints ; il en avait une grande quantité. Il était insatiable d’entendre la Parole de Dieu. Aussi assistait-il aux sermons autant qu’il le pouvait.

Le désir de voir glorifier Dieu le porta à agrandir et orner son église, à acheter de magnifiques ornements. J’ai déjà dit en parlant de la foi et de la charité quelle était sa grande dévotion envers le Très Saint Sacrement.

Quand il parlait de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, il le faisait dans des termes qui touchaient profondément le coeur de ses auditeurs et qui indiquaient quelle était sa dévotion envers ce mystère ; il entrait dans de grands détails dont plusieurs semblaient lui avoir été inspirés de Dieu. Il avait fait construire une chapelle de l’Ecce Homo.

J’affirme que Mr Vianney eut toujours une grande dévotion envers la Sainte Vierge. Il aimait à célébrer la sainte messe à son autel tous les samedis de l’année. Le soir à la prière, il récitait avec les fidèles le chapelet de l’Immaculée Conception. Quand l’heure sonnait il récitait un Ave Maria suivi d’une invocation en l’honneur de l’Immaculée Conception ; il avait tellement recommandé cette dévotion que beaucoup de personnes de sa paroisse avaient contracté cette pieuse coutume. Il manifesta son bonheur et sa joie lorsqu’il apprit la définition du dogme de l’Immaculée Conception. Les fêtes de la Ste Vierge étaient célébrées à Ars avec une grande solennité et une grande pompe. En mil huit cent trente-six il fit agréger sa paroisse à l’Archiconfrérie de Notre Dame des Victoires à Paris. Il ne cessait de nous exciter fortement à avoir la plus grande (431) dévotion à la Très Sainte Vierge et à avoir pour elle une grande reconnaissance, en nous faisant remarquer qu’elle était la dispensatrice des grâces de son divin Fils. Tous les jours il recevait du scapulaire du Mont-Carmel, de l’Immaculée Conception et de la Passion de Notre Seigneur les fidèles qui désiraient faire partie de ces pieuses associations. Immédiatement après sa messe il bénissait en public les nombreux objets de dévotion qu’on lui présentait.

J’atteste que Mr Vianney avait une grande dévotion pour les saints ; il lisait leur vie tous les soirs ainsi qu’on me l’a rapporté ; dans ses instructions et ses catéchismes il citait une foule de traits tirés de leur vie et surtout de celle du saint dont on faisait la fête le jour même. Sur une des pages de son bréviaire il avait écrit lui-même les noms d’une quinzaine de saints pour lesquels il avait une dévotion plus spéciale. Parmi ces saints étaient St Jean Baptiste, St Joseph, St Louis Roi de France etc. Il semblait cependant avoir voué un culte tout particulier à Ste Philomène ; il lui avait fait ériger une chapelle dans son église paroissiale. Il faisait faire une neuvaine en l’honneur de cette sainte aux personnes qui sollicitaient quelques grâces particulières et surtout une guérison ou une faveur temporelle. C’est à cette sainte qu’il avait coutume par modestie de rapporter toutes les grâces extraordinaires ou miraculeuses obtenues à Ars.

Mr Vianney conseillait souvent de faire une neuvaine en l’honneur de l’Immaculée Conception. D’autres fois c’était en l’honneur du Saint Esprit ; c’était lorsqu’on avait besoin d’obtenir quelques lumières particulières pour décider une vocation etc., ou pour avoir la (432) paix de l’âme. Il excitait fortement les fidèles à prier fréquemment le Saint Esprit.

Le Curé d’Ars invoquait souvent les âmes du purgatoire, il offrait pour elles ses prières et, comme je l’ai déjà dit, ses souffrances de la nuit. Il recommandait fréquemment aux fidèles de beaucoup prier pour la délivrance des âmes du purgatoire ; il disait que cette pratique était, après celle pour la conversion des pécheurs, la plus agréable à Dieu.



Interrogé sur l’oraison de Mr Vianney, le témoin répond :

J’atteste que le Serviteur de Dieu était continuellement uni à Dieu. Au milieu même du grand mouvement qui se faisait autour de lui il ne perdait point de vue la présence de Dieu. Dans les conversations il répondait à ce qu’on lui demandait, mais dès qu’il le pouvait, il ramenait le discours aux choses spirituelles. Je crois que le Serviteur de Dieu après les nombreux travaux ou exercices de la journée se livrait encore à des prières particulières, lorsqu’il était rentré le soir dans sa chambre. Ce qui me l’a fait croire et l’a fait croire à beaucoup de personnes, c’est qu’on voyait dans sa chambre de la lumière jusqu’à une heure très avancée de la nuit.



Interrogé sur la vertu de Force, le témoin dépose ainsi :

Chaque jour j’admirais avec les nombreux pèlerins venus à Ars la force que montrait le Serviteur de Dieu. Elle semblait renaître chaque jour. Il aimait un livre intitulé les délices de la mort, composé par Mr de la Serre, historiographe de France, et imprimé en mil huit cent trente deux. Ce livre exalte la force des saints et des martyrs en face des souffrances et de la mort. Le bon Curé aurait désiré qu’il fût réimprimé ; il pensait qu’il aurait fait beaucoup de bien, cependant il était retenu par le mélange de sacré et de profane qui se trouve dans cet ouvrage.


433 (433) Interrogé sur la vertu de patience, le témoin répond :

Mr Vianney s’efforçait de pratiquer ce qu’il disait en parlant des saints : les saints ne se plaignent jamais des croix ; au contraire ils les recherchent. Pour son compte il s’offrait souvent en sacrifice pour la conversion des pécheurs et pour détourner les calamités publiques qui nous menaçaient. Le Curé d’Ars eut bien à souffrir de différentes infirmités que sa vie mortifiée et pénitente lui avaient attirées. Il était sujet à de grandes douleurs d’entrailles. Il avait des maux de tête presque continuels. Une toux aiguë le fit bien souffrir pendant les vingt-cinq dernières années de sa vie. Quoique fréquemment indisposé il interrompait très rarement les travaux qu’il avait entrepris pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Dans le temps même où il souffrait le plus, son esprit était toujours libre, son visage calme et serein et rien n’indiquait dans son humeur et sa conversation les douleurs qu’il éprouvait. Il se plaisait dans les souffrances et même il les recherchait. Lorsque après une journée écrasante où il semblait à bout de ses forces, on venait lui dire qu’un malade réclamait son ministère, il s’empressait d’aller le trouver. J’avoue que j’ai beaucoup souffert en voyant que Mr Vianney ne s’épargnait pas et ne prenait aucun moyen pour adoucir ses souffrances. Il prenait fort peu de repos pendant la nuit. Malgré son extrême faiblesse il se rendait à l’église vers deux heures du matin et quelquefois même plus tôt. Il lui est arrivé plusieurs fois de (434) tomber en allant de sa chambre à l’église. Il finissait par dominer cet état de faiblesse, ce qui aurait dû anéantir complètement ses forces semblait les lui rendre. J’attribue à une grâce toute particulière de Dieu qu’il ait pu si longtemps malgré les souffrances, le manque de sommeil et de nourriture, les incommodités du froid et de la chaleur, les importunités d’une foule empressée, continuer un si pénible ministère. La patience est une des vertus que j’ai le plus admiré dans le Serviteur de Dieu. Elle m’a paru d’autant plus admirable qu’il était naturellement plein de vivacité, d’ardeur et d’énergie qui se manifestaient par sa démarche active, par son regard plein de feu et par tout son maintien. Quoique harcelé par la foule qui se pressait autour de lui, les uns le retenant par sa soutane, et d’autres par les bras et même par le bras gauche qui avait une infirmité, je ne l’ai jamais vu se plaindre. La figure qui au premier moment de la douleur se contractait, redevenait à l’instant calme et souriante. Il répondait constamment avec une grande bonté et une grande affabilité aux questions qu’on lui adressait.



Mr Vianney supportait aussi avec une grande patience les peines et les humiliations qu’il recevait. Un jour il reçut deux lettres ; l’une ne respirait que la vénération et la confiance ; l’autre était pleine d’injures : il nous dit au (435) catéchisme : « Nous ne devons tenir aucun compte des louanges que les hommes nous adressent ou des injures que nous en recevons. Nous sommes aux yeux de Dieu ce que nous sommes, ni plus ni moins. Nous ne devons nous occuper qu’à lui être agréables. »


437 (437) Session 43 – 7 mai 1863 à 3h de l’après-midi

Au dix-huitième interrogatoire et au sujet de la tempérance, le témoin répond :

D’après l’opinion généralement répandue dans la paroisse d’Ars, notamment parmi les personnes qui avaient approché Mr Vianney de plus près pour lui rendre des services, il était avéré qu’il était impossible de pousser plus (438) loin qu’il le faisait la vertu de tempérance. Ainsi il n’eut jamais de domestique pour le servir ; il ne reçut jamais que les soins de quelques personnes pieuses et charitables qui cherchaient à pourvoir à tous ses besoins et encore se plaignait-il quand elles avaient l’air de trop s’occuper de lui. Quelques pommes de terre cuites à l’eau, quelques morceaux de pain achetés auprès des pauvres suffisaient ordinairement à ses besoins. Pendant les dix années que j’ai passées auprès de lui avant sa mort, j’ai été personnellement témoin de ce que j’avais déjà appris par la rumeur publique. Cherchant à lui rendre moi-même quelques services et à lui procurer quelques adoucissements il me disait : « C’est très bien, vous faites cela pour l’amour de Dieu, je vous laisse faire ; mais nous n’obtenons plus autant de grâces. » Cette parole faisait allusion aux moyens employés par le Serviteur de Dieu quand il voulait obtenir quelques grâces importantes. C’est alors qu’il redoublait ses pénitences, ses jeûnes et ses autres pénitences déjà excessives. Si plus tard, dans les dernières années de sa vie, il apporta quelques modifications à son régime d’austérité, ce fut en vertu de l’ordre de son évêque qui cherchait à prolonger les jours du saint prêtre afin qu’il pût continuer le bien qu’il opérait pour le salut des âmes. Du reste l’état de sa santé l’exigeait impérieusement ; je suis convaincu qu’avec le peu de nourriture et le peu de repos que prenait Mr Vianney sa santé ne pouvait se soutenir que par une grâce particulière de Dieu. Tout le monde partageait cette opinion.

439 (439) Outre le jeûne, Mr Vianney s’imposait aussi des pénitences corporelles : j’ai vu une discipline en fer qui lui avait appartenu et dont certainement il avait fait un fréquent usage. Peu de jours avant sa mort, sur le point de partir pour Lyon où il m’envoyait, il me chargea de lui apporter une chaîne de deux pieds de longueur un peu plus grosse qu’une chaîne de montre : « Si vous ne me l’apportez pas, une autre ici me réserve une pénitence qui sera bien plus rude. Je regrette de ne plus pouvoir me donner fortement la discipline, parce que les forces me manquent et je m’évanouis. »

J’ai remarqué après beaucoup d’autres que Mr Vianney assistant à la grand-messe le dimanche sortait fréquemment de l’église quelques instants avant l’élévation et ne rentrait que quelques minutes après. L’opinion publique était que le bon Curé se retirait un instant à la cure pour se donner la discipline et unir le sacrifice de son sang à celui de la divine Victime qui s’offrait sur l’autel.



Au sujet de la pauvreté, le témoin répond :

J’affirme que Mr Vianney a poussé cette vertu jusqu’aux dernières limites ; il méprisait les richesses ; il ne les rechercha jamais. Au fur et à mesure que des sommes assez importantes lui étaient confiées, il les employait aussitôt, comme je l’ai déjà dit pour l’établissement des missions et autres fondations pieuses, ou bien pour le soulagement des pauvres. Quant à lui, il ne se réservait rien. De pauvres vêtements quoique toujours propres couvraient son corps. Un pauvre mobilier, quelques objets de piété (440) ornaient sa pauvre chambre ; il ne souffrit jamais qu’on ajoutât aucun embellissement à toutes ces choses. Un jour, voulant le préserver du froid qui s’introduisait dans sa chambre, je fis placer à l’extérieur une porte volante qu’il enleva aussitôt qu’il la vit. Ses vêtements, comme tout ce qu’il possédait ainsi que sa nourriture, lui étaient donnés par la charité de personnes pieuses ; bien qu’il craignît beaucoup le froid il ne voulut jamais se servir de manteau, non plus qu’accepter une chaufferette au confessionnal quoiqu’il y passât la journée toute entière et que bien souvent il y entrât les pieds froids et mouillés. Ce ne fut que dans les dernières années de sa vie qu’exténué par la souffrance il accepta après de nombreuses sollicitations d’avoir une bouillotte dans son confessionnal ; mais à la sacristie où il confessait les hommes, il ne voulut jamais rien.



Au sujet des vertus de simplicité et de modestie, le témoin répond :



J’affirme que la simplicité et la modestie brillaient d’une manière toute particulière dans le Serviteur de Dieu. Chez lui rien de contraint, tout y était naturel ; on se sentait attiré à lui à cause de tout ce qu’on remarquait dans sa personne.



Interrogé sur l’humilité, le témoin répond :

Mr Vianney a montré une très grande humilité dans toute sa conduite, ainsi que je l’ai remarqué pendant tout le temps que j’ai passé auprès de lui. Sans cesse occupé de la présence de Dieu, il paraissait tout à fait étranger à toutes les démonstrations de respect et de vénération dont il était l’objet. Il rapportait à Dieu tous les témoignages (441) qu’il recevait. Il aimait mieux être humble que de le paraître, il était impossible de découvrir sur sa figure les traces d’une préoccupation personnelle, quelque ombre de retour sur lui-même. De quelque procédé dont on usât à son égard, il paraissait content. Il ne pouvait supporter les éloges ; quand on lui en adressait il ne pouvait s’empêcher de témoigner sa peine. Il ne parlait jamais de lui le premier ; quand il était obligé de le faire il n’avait que des accusations à former contre lui et l’on voyait bien que c’était l’humilité qui le faisait parler ainsi.

J’ai su que Mr Vianney souffrit beaucoup dans le commencement, de voir son portrait étalé aux portes des marchands ; il s’y accoutuma cependant et plaisantait agréablement au sujet de son portrait, qu’il nommait son carnaval pour marquer le mépris qu’il en faisait ; il ne voulut jamais le signer, ni le bénir comme il le faisait des autres objets qu’on lui présentait. Il ne permit jamais non plus à un habile sculpteur de relever ses traits en posant seulement quelques instants devant lui. Les portraits que l’on a donnés du Curé d’Ars n’ont jamais été pris qu’à la dérobée. J’ai appris par les habitants d’Ars que Mr Vianney a versé des larmes lorsqu’il apprit qu’on venait de publier sa biographie.

Quelque fussent les hauts personnages qui vinssent le visiter et lui demander conseil, on ne le vit jamais en tirer la moindre vanité. Le Père Lacordaire étant venu lui-même le voir, le bon Curé dit avec une exquise modestie : « Les (442) deux extrêmes se sont enfin rencontrés, la grande science et la grande ignorance. » Le conseil qu’il donna au Père Lacordaire fut de continuer son saint ministère avec une humilité profonde.

La profonde humilité se manifesta encore dans deux circonstances. 1° lorsque Mgr Chalandon Evêque de Belley lui conféra le camail de chanoine honoraire, le bon Curé reçut avec une véritable confusion cette faveur épiscopale et on ne vit jamais le camail sur ses épaules que le jour où il le reçut ; le lendemain il le vendit pour les pauvres. 2° l’Empereur Napoléon III lui ayant accordé la croix de la légion d’honneur, Mr Vianney quand il ouvrit l’écrin qui la contenait, poussa un soupir et dit : « Ce n’est que ça ! » Quelques mois plus tard Mr le Préfet de l’Ain étant venu le visiter pour lui adresser ses félicitations sur la croix d’honneur, le bon Curé lui répondit : « J’aurais mieux aimé que l’Empereur m’eût envoyé cent francs pour mes pauvres. » Ce fait m’a été raconté le jour même par des personnes qui étant plus rapprochées que moi avaient pu entendre les paroles.



Interrogé sur la vertu de chasteté, le témoin répond :

J’affirme que la vie de Mr Vianney a été constamment irréprochable sous le rapport de la sainte vertu de pureté et que jamais la malice n’a pu élever le moindre soupçon à cet égard. Un jour il me disait : « Vous passerez par les mêmes épreuves que moi, mais il y aura une grande différence dans la manière de les supporter. » Je crois pouvoir affirmer qu’il ajouta : « Je n’ai jamais éprouvé les sensations de la chair ; si je les avais éprouvées, je me serais servi de la discipline. » C’était en confession qu’il me disait cela.


445 (445) Session 44 – 8 mai 1863 à 8h du matin

Au dix-neuvième interrogatoire, le témoin répond :

J’ai entendu dire et j’ai vu par moi-même que le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus que j’ai mentionnées au degré héroïque. Par degré héroïque je comprends la vertu portée à un degré éminent. J’affirme de plus que Mr Vianney (446) a pratiqué toutes les vertus au degré le plus élevé. Je ne crois pas qu’il soit possible d’aller plus loin. Je le regarde comme un des plus grands saints que Dieu ait donné à son Eglise. Je crois avoir suffisamment montré en déposant sur les différentes vertus, que réellement Mr Vianney les a pratiquées au degré le plus élevé, et je déclare en outre que ses vertus sont allées en augmentant jusqu’à sa mort ; je l’ai vu de mes yeux pendant les dix dernières années de sa vie. Pendant ce temps j’habitais Ars ordinairement. J’ajouterais cependant que dès mon arrivée à Ars je l’ai vu élevé à un degré de perfection si éminent qu’il ne me paraissait pas possible d’aller plus loin.



Au vingtième interrogatoire, le témoin répond :

J’affirme que Mr Vianney avait reçu le don des larmes ; il en versait presque continuellement lorsqu’il parlait de l’amour de Dieu, de la Passion de Notre Seigneur ;ses larmes étaient plus abondantes lorsqu’il pensait au malheur des pécheurs et lorsqu’il nous entretenait de la grande bonté de Dieu pour les hommes et de l’indifférence des pécheurs qui ne veulent pas l’aimer. Au saint tribunal il pleurait presque continuellement et ses larmes étaient plus abondantes lorsqu’il entendait la confession de quelques grands pécheurs ; c’est par là qu’il en a converti un grand nombre ; tous au moins en étaient fortement pénétrés.



J’atteste que le Curé d’Ars lisait au fond des coeurs. C’est cette connaissance surnaturelle des âmes et de ce qui se passait à distance, qui à mon avis a commencé, favorisé, développé et soutenu le concours extraordinaire qui s’est fait autour de lui pendant plus de trente ans. Je ne crois pas que sans une assistance particulière de l’Esprit Saint, (447) il eût été possible à Mr Vianney de répondre aux questions diverses qui lui étaient adressées à chaque instant ; je crois qu’il était constamment éclairé de Dieu dans toutes ses actions : c’est là ma conviction profonde.



Voici à ce sujet quelques faits qui démontrent que Mr Vianney lisait au fond des coeurs : un jour je venais de me confesser à lui, alors sans que rien y amenât il me dit : « Vous avez pitié de moi. » Je fus beaucoup troublé par ces paroles ; je gardai le silence et je cherchai rapidement dans mes souvenirs me rappelant fort bien que toujours je m’étais exprimé respectueusement concernant le vénérable Curé d’Ars. Je me rappelai que dans une de mes prières quotidiennes, je disais à Dieu : « Seigneur ayez pitié de lui ainsi que de tous mes parents et bienfaiteurs. » Le Curé d’Ars me répondit : « Vous faites bien ; continuez. » Et il ajouta : « Dans vos prières vous avez raison de prier pour vos parents et bienfaiteurs ; mais vous en nommez quelques-uns qui ont moins droit à vos prières que d’autres que vous oubliez. Ce n’est point que je veuille vous dire de ne plus prier pour eux ; ils m’en blâmeraient. Voilà l’avantage qu’il y a, mon enfant, quand on est ami des personnes qui ont des enfants pieux. » En effet je me rappelai alors que dans mes prières je priais pour Mr Claparède, ami de mon père.



Dans une autre circonstance Mr Vianney me dit : « Vous ne dites pas tous les jours votre chapelet (ce qui était vrai et ce dont je ne lui avais jamais parlé) vous mériteriez que la Ste Vierge qui vous a fait tant de grâces et vous en réserve beaucoup d’autres, vous abandonne. »



Une autre fois, il me dit sans que je l’en eusse instruit : (448) « Vous faites plus souvent votre pénitence que ne vous l’impose votre confesseur : c’est bien, il faut continuer, cela fait plaisir à Dieu, et pour être agréable à Dieu, on devrait aller jusqu’au bout du monde. » Ceci me fut dit en mil huit cent cinquante-huit. En mil huit cent cinquante-sept j’éprouvai intérieurement quelque regret de ne m’être pas fait prêtre. Je ne l’avais communiqué à personne. Après ma confession Mr Vianney me dit : « Mon enfant, si j’avais jugé qu’il vous eût été plus utile d’être prêtre, je vous aurais fait prêtre. Je connais le motif qui poussait une de vos parentes à vous faire entrer dans le sacerdoce. » Je me rappelai en effet que cette parente était mue par un sentiment de satisfaction personnelle, et de pure vanité en désirant mon entrée dans le sacerdoce.



En mil huit cent cinquante-six, une jeune personne se présenta pour recevoir la sainte communion. Mr Vianney lui dit : « Mon enfant, vous ne pouvez pas communier, vous avez déjeuné ce matin. » Le fait était vrai et personne n’en avait averti Mr le Curé. C’était un oubli de la part de la jeune personne. J’accompagnais Mr Vianney dans cette circonstance, le cierge à la main.



En mil huit cent cinquante-neuf, l’instituteur d’Estezargues, diocèse de Nîmes se confessait à Mr vianney. En faisant sa confession il se demandait intérieurement s’il devait accuser une certaine faute qu’il regardait comme légère et que pour cela il n’accusa pas. Mr Vianney lui dit : « N’avez-vous plus rien à me dire ? – Non, mon père. – Et cette faute, en la lui désignant. – Oui, mon père je l’ai commise, (449) pensez-vous qu’elle soit grave ? – Non, mon enfant, elle ne l’est pas. »

La même année, un autre pénitent a avoué que Mr Vianney lui avait fait connaître toutes les circonstances d’une faute qu’il ne voulait pas confesser. Je tiens ce fait de Mr Oriol.

J’affirme que Mr Vianney a annoncé des choses futures ou qu’il ne pouvait pas naturellement connaître.

En mil huit cent cinquante, Madame veuve Bonnet, d’Ars, était très affligée à cause d’une lettre qui lui annonçait la maladie grave d’un de ses fils religieux de la Ste Famille à Paris. Elle alla trouver Monsieur Vianney pour lui demander ce qu’il pensait de la maladie de son fils. « Vous recevrez aujourd’hui même une lettre de votre fille qui est à Paris et qui vous en donnera des nouvelles. » Madame Bonnet reçut en effet le jour même une lettre de Paris annonçant la mort de son fils.

Une personne interrogea Mr le Curé sur l’état de l’âme de sa mère. Il lui répondit : « Votre mère est au Ciel ; elle a été longtemps malade, et a été très patiente dans sa maladie. Qu’on est heureux quand on a des parents qui sont au Ciel, ils prient pour nous. » Cette personne venait de loin et Mr Vianney ne pouvait rien savoir.

Une autre personne venue de Paris ou des environs demanda à Mr Vianney où était l’âme d’un de ses parents défunt. Le Curé d’Ars lui répondit aussitôt : « Il n’a pas voulu se confesser au moment de la mort. » Cette personne m’avoua qu’en effet il n’avait pas voulu se confesser, ce que Mr Vianney ne pouvait pas savoir.


450 (450) Au sujet des visions je ne puis dire pour le moment que ce qui suit : un jour Mr Vianney paraissait triste ; il avoua à Mademoiselle Catherine Lassagne qu’il y avait trois jours qu’il n’avait pas vu Notre Seigneur dans la Sainte Eucharistie.



Interrogé s’il connaissait quelques prodiges opérés par le Curé d’Ars, le témoin répond ainsi :



Pendant tout le temps que j’ai passé à Ars, j’ai été témoin d’une multitude de faits miraculeux : je n’entreprendrai certainement pas de les décrire tous, c’est impossible, ils sont innombrables. Il y en avait presque tous les jours que le public rapportait. Ceux qui restaient

François Pagès



cachés furent certainement les plus nombreux. On était tellement habitué à entendre des choses extraordinaires qu’on n’y faisait presque plus attention.



Madame de la Bastie de Lyon ne pouvait se servir de ses jambes ; elle avait en vain employé toutes les ressources de la médecine. On la porta à l’église d’Ars sur une chaise. Elle fut guérie miraculeusement. Depuis cette époque Madame de la Bastie marche aussi bien que les autres personnes. Je tiens ce fait de Mr de la Bastie lui-même qui me l’a raconté en mil huit cent cinquante et un, sept ans environ après l’événement. j’ai des rapports fréquents avec la famille de la Bastie.



En mil huit cent cinquante-six j’ai été témoin de la guérison d’une jeune personne âgée de vingt-trois ans, muette depuis trois ans par suite d’une paralysie. Après s’être confessée au Serviteur de Dieu par écrit et avoir communié de sa main, elle eut le bonheur de recouvrer parfaitement pendant son action de grâces l’usage de sa langue. J’ai conversé ensuite avec elle et je me suis convaincu par moi-même de la guérison miraculeuse. Elle me dit : « Pendant mon action de grâces, (451) je sentis que j’étais guérie au mouvement que faisait ma langue pour suivre les prières de mon coeur. »



Je pourrais ajouter ici une multitude d’autres faits importants qui sont connus par des personnes dignes de foi, tels que la multiplication du blé et de la farine à la Providence et d’autres dont j’ai été témoin moi-même. Je les omets, les faits rapportés ci-dessus étant suffisants pour faire connaître les dons surnaturels accordés au Serviteur de Dieu.



(453) Session 45 – 9 mai 1863 à 8h du matin



Au vingt et unième interrogatoire, le témoin répond :



Je ne connais aucun livre, aucun traité écrit par le Serviteur de Dieu. Je ne connais aucune personne possédant quelqu’une de ses lettres.



(454) Au vingt-deuxième interrogatoire, le témoin répond :



J’ai assisté à la mort de Mr le Curé d’Ars ; elle est arrivée le quatre août mil huit cent cinquante-neuf à deux heures du matin. Affaibli par ses longs travaux et par ses mortifications extraordinaires, il le fut davantage sous l’influence d’une température très élevée du mois de juillet. Cinq jours avant sa mort, il ne put se lever comme de coutume et ce fut pour tous ceux qui l’entouraient un signe de maladie grave. On lui proposa de faire des prières extraordinaires pour sa guérison par l’intercession de Ste Philomène ; il répondit : « Elle n’y pourra rien cette fois. » Même réponse fut faite à Mr le Curé de Jassans qui lui proposait de faire à Dieu des prières pour obtenir sa guérison. « Ce n’est pas possible » répondit-il. Il reçut avec une docilité admirable tous les secours que lui prodiguèrent et le médecin et les personnes qui s’intéressaient à sa précieuse vie. Je ne sais s’il demanda lui-même les sacrements ; mais j’atteste qu’il les reçut avec une grande piété et une grande édification ; des larmes coulèrent de ses yeux ; comme on lui en demandait la cause, il répondit : « C’est pour la dernière fois que je reçois mon divin Sauveur. » Pendant toute sa maladie il montra une grande résignation, un calme parfait, priant Dieu sans cesse, les yeux élevés vers le Ciel. Il fut un modèle à sa mort comme pendant sa vie. L’une et l’autre furent celles d’un saint. J’ai eu le bonheur de l’assister dans les deux dernières heures de sa vie et de lui fermer les yeux. Il est mort sans agonie (455) et conserva sa connaissance jusqu’au dernier moment.



Au vingt-troisième interrogatoire, le témoin répond :



Le corps du Serviteur de Dieu fut d’abord placé dans un appartement inférieur de la cure où il resta exposé jusqu’au moment des funérailles. Là un concours prodigieux de fidèles se fit auprès de ses dépouilles mortelles, faisant toucher des croix, des médailles et autres objets de piété. Il serait impossible de dire la quantité énorme d’objets pieux qu’on lui fit toucher. On fut obligé de mettre des gardes pour régulariser le mouvement de la foule et éviter les accidents. Malgré ces précautions on enleva cependant plusieurs objets qui lui avaient appartenu. La cérémonie des funérailles fut très solennelle ; l’Evêque diocésain la présidait accompagné d’un grand nombre de prêtres venus des pays environnants. Quant à la foule des fidèles, elle était innombrable.



Au vingt-quatrième interrogatoire, le témoin répond :



Le corps du Serviteur de Dieu, après la cérémonie des funérailles fut placé dans la chapelle de saint Jean Baptiste en attendant qu’on eût préparé un caveau au milieu de la nef ; il y resta une dizaine de jours et là, le même concours de fidèles eut lieu nuit et jour comme à la cure. Le corps avait été mis dans un cercueil de plomb recouvert d’un cercueil de chêne, c’est ainsi qu’il fut descendu dans le caveau et recouvert d’une pierre tumulaire sur laquelle se lit une modeste inscription rappelant son nom, ses prénoms et sa qualité. Les fidèles viennent en grand nombre s’agenouiller auprès de cette pierre et la couvrent de fleurs et de couronnes, comme on a coutume de le faire en France pour les personnes que l’on estime ; je n’ai rien vu qui ressemble à un culte public.


456 (456) Au vingt-cinquième interrogatoire, le témoin répond :

Mr Vianney a joui pendant sa vie d’une réputation constante de sainteté ; elle était établie sur la pratique des plus pures vertus, sur un zèle infatigable pour la conversion des pécheurs, sur sa mortification qui n’a trouvé d’égal que dans celle des plus grands solitaires, sur les dons surnaturels dont on le reconnaissait favorisé et dont les miracles nombreux sont la preuve. Les lumières surnaturelles que le Curé d’Ars recevait avaient spécialement pour but la direction des âmes. Le ministère de la confession semble avoir été sa vocation particulière. Jamais peut-être personne pendant sa vie n’a joui d’une aussi grande réputation de sainteté. Il n’y a point eu d’interruption dans l’opinion dont il a joui dans le public ; car le concours des fidèles à Ars a toujours été en grandissant pendant l’espace de trente ans. Dire la quantité prodigieuse d’objets de piété, images, chapelets, croix etc., que les fidèles tenaient à lui faire bénir serait chose impossible. On lui dérobait tout ce que l’on pouvait saisir d’objets lui ayant appartenu ou ayant été simplement touchés par lui. On mutilait ses meubles, on volait son catéchisme ; on lui coupait les cheveux par derrière, enfin il n’est sorte de sainte industrie qu’on n’employât pour se procurer quelque chose qui rappelât le souvenir de Mr le Curé d’Ars. Sa ressemblance plus ou moins parfaite était reproduite sous toutes les formes et se répandait partout ; il n’est aucune maison d’Ars et au loin qui ne possédât le portrait de Mr Vianney. Cette opinion de sainteté n’existait pas seulement dans le peuple ; les personnages les plus graves, les plus éclairés, les plus instruits, tels que archevêques, évêques, généraux d’Ordres, magistrats, militaires, hommes distingués, l’ont partagée et plusieurs fois sont (457) venus le visiter, le consulter, se recommander à ses prières et même user de son ministère.



Les habitants de Dardilly son pays natal, pénétrés eux-mêmes d’une profonde estime pour leur compatriote voulurent s’assurer ses précieuses dépouilles ; une sainte lutte s’engagea entre Ars et Dardilly et un premier testament par lequel Mr le Curé d’Ars avait favorisé son pays, à la sollicitation de Mgr Chalandon, alors évêque de Belley, fut changé en faveur d’Ars. J’ai été un des quatre témoins qui ont signé le dernier testament fait la veille de sa mort. Cette réputation de sainteté qui avait toujours accompagné Mr le Curé pendant sa vie ne s’est point affaiblie après sa mort ; l’impression de ses vertus, la confiance en ses prières sont toujours les mêmes. L’église où il a exercé le saint ministère continue à être un but de pèlerinage et des grâces de conversion et des faveurs signalées s’obtiennent par son intercession.



Au vingt-sixième interrogatoire, le témoin répond :



Je ne connais aucune protestation de la part des fidèles contre la réputation de sainteté du Curé d’Ars . La mauvaise presse même a été obligée de céder à l’impression générale de sainteté que l’on en avait.



Au vingt-septième interrogatoire, le témoin répond :



J’ai entendu dire que plusieurs faveurs miraculeuses avaient été obtenues à son tombeau mais je n’ai aucun détail précis parce que je n’habite plus Ars depuis cinquante jours après le décès du Curé. J’atteste seulement qu’une personne dans cet intervalle de temps vint à Ars atteinte d’une ankylose au bras et qu’ayant prié pendant quelque temps auprès du tombeau du bon Curé , elle fut guérie. Je présentai moi-même cette personne à un de Messieurs les missionnaires pour recevoir sa déposition.



Au vingt-huitième interrogatoire, le témoin répond :



Je n’ai rien à ajouter à ma déposition sur les vertus, dons surnaturels et faits surnaturels du Curé d’Ars.



Et expleto examine super interrogatoriis, deventum est ad articulos , super quibus testi lectis, dixit se tantum scire, quantum supra deposuit ad interrogatoria, adquae se retulit.



Sic completo examine, integra depositio perlecta fuit a me Notario a principio usque ad finem testi supradicto alta et intelligibili voce ; qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in eamdem perseverare et illam confirmavit. Hoc facto dixit tantum :



Je remplissais par affection et par reconnaissance auprès de Mr Vianney les fonctions les plus intimes. Dans l’église je m’occupais à établir l’ordre parmi les hommes qui se présentaient au tribunal afin que personne ne passât qu’à son tour et qu’ainsi il n’y eût ni confusion ni privilège.



Ita pro veritate deposui



Hippolyte François Pagès




Ars Procès informatif 397