Ars Procès informatif 462

TEMOIN VI - CATHERINE LASSAGNE – 13 mai 1863

462 Session 46 - 13 mai 1863 à 8h. du matin



(462) Ad primum Interrogatorium testis monitus de vi et natura juramenti et gravitate perjurii in causis Beatificationis et canonisationis sanctorum, respondit:

Je connais parfaitement la nature du serment que j'ai fait, et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.



Ad secundum Interrogatorium, testis respondit:

Je m'appelle Catherine Lassagne; je suis née à Ars le huit Mars mil huit cent six, de parents chrétiens. J'ai été cultivatrice jusqu'au moment où Mr Vianney me chargea avec deux autres filles de la direction de la Providence qu'il avait fondée; je restai pendant vingt quatre ans environ occupée de cette oeuvre. Ma situation de fortune me permet de vivre médiocrement sans avoir besoin de personne.



Ad tertium Interrogatorium, testis respondit:

Je me suis toujours confessée souvent dans l'année et me suis approchée fréquemment de la Sainte Table. Ma dernière confession a eu lieu il y a neuf jours et j'ai communié ce matin.



Ad quartum Interrogatorium, testis respondit:

Je n'ai jamais point eu de procès et n'ai jamais été accusée d'aucun crime devant les juges.



Ad quintum Interrogatorium, testis respondit:

Je n'ai jamais encouru de censures ecclésiastiques.



Ad sextum Interrogatorium, testis respondit:

463 Personne ni de vive voix, ni par écrit ne m'a engagée à déposer ou dans un sens ou dans un autre. Je n'ai point lu les articles proposés par le postulateur de la cause. Je ne dirai en ce qui la concerne que ce que j'ai vu ou entendu.



Ad septimum Interrogatorium, testis respondit:

J'ai toujours aimé et respecté Mr Vianney à cause de sa sainteté; je désire sa Béatification, mais en cela je n'envisage que la gloire de Dieu et je ne me propose pas d'autres motifs dans la déposition que je vais faire.



Ad octavum Interrogatorium, testis respondit:

J'ai entendu dire que Mr Vianney était né le huit Mai mil sept cent quatre vingt six à Dardilly, près de Lyon. Son père s'appelait Matthieu Vianney et sa mère Marie Beluse; ils étaient bons chrétiens; ils élevèrent chrétiennement leurs enfants et en particulier le Serviteur de Dieu. Je ne connais rien relativement à son baptême et à sa confirmation; je ne doute en aucune façon qu'il n'ait reçu ces deux sacrements.



Ad nonum Interrogatorium, testis respondit:

J'ai ouï dire qu'il avait passé son enfance et sa jeunesse à Dardilly auprès de ses parents; qu'il cultivait la terre et qu'il gardait les troupeaux, qu'il remplissait exactement tous ses devoirs et se faisait remarquer par sa grande piété et la pureté de ses moeurs. Je n'ai pas appris qu'il ait rien fait de contraire à la vertu. Je tiens ces faits de son frère et de sa soeur. Son frère, est mort et sa soeur est encore en vie.



Ad decimum Interrogatorium, testis respondit:

(464) J'ai entendu dire que vers l'âge de seize à dix sept ans sans que je puisse préciser, il quitta les travaux de la campagne pour se livrer à l'étude et arriver au sacerdoce. Il étudia chez Mr Balley, curé d'Ecully, avec beaucoup de difficultés. Il donna alors des preuves nombreuses d'une piété fervente. Il ne se proposa pas d'autre but que le salut des âmes. Il m'a dit, lui-même: Quand j'étais jeune, je pensais: Si j'étais prêtre, je voudrais gagner beaucoup d'âmes au bon Dieu.



Ad undecimum Interrogatorium, testis respondit:

L'appel de la conscription le força d'interrompre le cours de ses études; il tomba malade à Roanne. Rétabli il se mit en route: chemin faisant il était indécis s'il devait rejoindre son corps ou se cacher. Il prit alors son chapelet; jamais, me disait-il, je ne l'ai récité de si bon coeur. Il s'arrêta dans un bois, un inconnu se présenta et lui dit de le suivre; il le conduisit aux Noës; il fut logé chez la veuve Fayot. Je ne sais combien de temps il resta dans cette maison; l'été il travaillait avec les enfants et l'hiver il faisait la classe. Il s'attira l'estime des habitants et quand il partit pour revenir chez Mr Balley reprendre ses études, tout le monde s'empressait de lui faire des cadeaux. Je tiens ces faits de Mr Vianney lui-même.



Ad duodecimum Interrogatorium, testis respondit:

Je sais l'ayant appris de personnes dignes de foi qu'il persévéra avec constance dans son projet d'embrasser la carrière ecclésiastique, qu'il se prépara à la réception des saints ordres par une grande ferveur et qu'il les reçut en partie du moins de Monseigneur Simon évêque de Grenoble.

(465)



Ad decimum tertium Interrogatorium, testis respondit:

J'ai entendu dire de personnes bien informées et au serviteur de Dieu lui-même qu'il fut nommé par l'archevêque de Lyon vicaire d'Ecully; je ne sais pas précisément combien de temps il y resta. Après la mort de Monsieur Balley, curé de la paroisse, il refusa aux habitants de le remplacer.



Ad decimum quartum Interrogatorium, testis respondit:

Je sais que le Serviteur de Dieu fut nommé Curé d'Ars en mil huit cent dix huit et prit possession le neuf Février. En lui donnant ses pouvoirs le vicaire général lui dit: il n'y a pas beaucoup d'amour de Dieu dans cette paroisse, vous y en mettrez. En effet il y avait à Ars beaucoup d'abus, les danses, les cabarets, le travail du Dimanche. Pour détruire ces abus il eut recours à la prière, à la mortification et agit avec beaucoup de prudence.



Ad decimum quintum Interrogatorium, testis respondit:

Je sais qu'il renouvela la confrérie du Saint Sacrement, qu'il institua le rosaire et une confrérie du Sacré Coeur et qu'il fonda une petite association en l'honneur de l'Immaculée Conception, chose qu'il avait déjà faite à Ecully de concert avec Mr Balley et encore la Confrérie de Notre Dame auxiliatrice. Il avait aussi établi le saint Esclavage; mais dès qu'il apprit que cette oeuvre avait cessé d'avoir l'approbation de l'Église, il n'admit plus personne. Il chargea un jeune homme de son choix de l'école des garçons qui existait déjà comme école mixte. Pour séparer les filles des garçons, il m'envoya avec une autre jeune fille à Fareins chez les soeurs de St Joseph, afin de nous préparer à pouvoir diriger une école. 466 Nous revînmes à Ars an bout d'un an et l'école des filles fut établie sous notre direction. Nous reçûmes d'abord une ou deux orphelines que nous nourrissions et que nous instruisions; ce fut l'origine de la Providence, qui se développa successivement. Il pourvut à l'acquisition de la maison de la Providence et aux besoins de cet établissement par des aumônes qu'il recevait et par la vente de sa part de l'héritage paternel. Nous n'avions pas de règles écrites, seulement nous suivions ses conseils et l'ordre de la journée qu'il nous avait indiqué. Cette oeuvre produisit d'excellents fruits parmi les jeunes filles qui furent quelquefois au nombre de soixante. J'ignore s'il s'était entendu avec l'autorité ecclésiastique.

Plus tard, il fonda l'établissement des frères de la Sainte Famille de Belley. Depuis ce moment l'éducation des jeunes garçons est confiée à des religieux.



Ad decimum sextum Interrogatorium, testis respondit:

Je sais comme témoin oculaire que pendant tout le temps que le Serviteur de Dieu est resté à Ars, c'est-à-dire depuis sa prise de possession jusqu'à sa mort, il a observé exactement les commandements de Dieu et de l'Eglise, qu'il a rempli exactement ses devoirs de prêtre et de pasteur et toutes les obligations que lui imposaient les oeuvres qu'il avait établies. Il a persévéré jusqu'à la mort dans l'accomplissement de ses devoirs et je ne sache pas qu'il ait manqué à aucun des commandements de Dieu et de l'Eglise et à aucune de ses obligations. Il est vrai qu'il prêtait son ministère aux confrères du voisinage dans les temps de mission et de jubilé, mais c'était avec l’assentiment de l'évêque du diocèse; 467 il rentrait du reste tous les samedis et prenait toutes les précautions pour que sa paroisse d'ailleurs peu importante n'eût pas à souffrir de ses absences. Lorsque deux fois il a quitté la paroisse d'Ars, il ne se proposait point de se soustraire a l'obéissance qu'il devait à ses supérieurs ecclésiastiques, mais de mener une vie plus mortifiée et plus sainte, s'il était possible. Il était bien décidé à revenir à Ars et à y rester dans le cas où on l'exigerait, comme on le fit effectivement.



Ad decimum septimum Interrogatorium, testis respondit:

Je sais qu'il a éprouvé des contradictions dans l'exercice de son ministère, qu'il a été quelquefois insulté et qu'il a supporté les contradictions et les injures avec une grande patience, et qu'il était toujours disposé à pardonner et à rendre service.



Ad decimum octavum Interrogatorium, testis respondit:

J'ai entendu dire et je sais que le Serviteur de Dieu s'est distingué par une pratique exacte des vertus chrétiennes et que jusqu'à sa mort il les a pratiquées.



Sur la Foi, le témoin répond comme il suit:

Sa vertueuse mère l'habitua dès la plus tendre enfance à prier avec la plus grande exactitude et la plus grande ferveur. A trois ans il cherchait la solitude pour prier avec plus de recueillement, il aimait à se mêler aux exercices de piété. On lui avait donné une statue de la Ste Vierge. J'aimais beaucoup cette statue, disait-il longtemps après; je ne pouvais pas m'en séparer.

(468) La soeur de Mr Vianney m'a raconté qu'à l'âge de quatre ans il disparut sans qu'on pût savoir ce qu'il était devenu. Sa mère le chercha avec anxiété; elle le trouva à genoux dans un coin de l'étable, priant avec ferveur. Il aimait assister aux offices de l'église, à recevoir la bénédiction du Saint Sacrement. Afin d'obtenir la permission d'aller plus souvent dans le lieu de la prière, lorsqu'on sonnait la bénédiction, il promettait à son père de prier pour lui et de demander la cessation des douleurs rhumatismales qu'il ressentait. Quand il était aux champs à garder les troupeaux, il faisait avec de l'argile des statuettes de la Ste Vierge et des saints, il les plaçait sur une espèce d'autel et invitait ses petits camarades à prier avec lui; il obtenait quelquefois d'eux qu'ils le remplaçassent dans la garde de son troupeau pendant qu'il allait entendre la Sainte Messe. Il priait pour ainsi dire habituellement; quand il était seul, il priait à haute voix et quand il était en compagnie à voix basse. En revenant des champs il laissait marcher ses camarades et restait en arrière pour prier avec plus de facilité; on l'entendait alors prier à haute voix. Le Serviteur de Dieu éprouva le désir d'embrasser la carrière ecclésiastique; il obtint avec quelques difficultés le consentement de son père. Mr Balley, curé d'Ecully, avait refusé de recevoir quelques jeunes gens pour les instruire; quand on lui présenta le jeune Vianney, il dit: Pour celui-là je me sacrifierai. Le jeune Vianney avait peu de mémoire et une conception lente; 469 ses progrès furent peu sensibles malgré un travail opiniâtre. Élève plein de foi, il eut recours aux moyens surnaturels; il fit voeu d'aller en pèlerinage au tombeau de saint François-Régis à pied et en demandant l'aumône. Il remplit son voeu et à son retour il étonna son maître par ses succès.

J'ai entendu dire que soit à Ecully, soit ailleurs, le Serviteur de Dieu a constamment montré un grand esprit de foi.



L'opinion commune est que lorsqu'il vint prendre possession de la paroisse d'Ars, il se mit à genoux dès qu'il aperçut les toits des maisons, pour demander à Dieu des grâces abondantes pour lui et ses paroissiens. Un jour je lui parlais de ce fait; sans nier et sans affirmer, il me répondit: Ce n'est pas mal pensé. Sa piété fit tout de suite sur les habitants une impression profonde; tout le monde disait: Nous avons un saint pour curé. Il semblait choisir l'église pour sa demeure, il y entrait avant l'aurore et n'en sortait qu'autant que ses fonctions l'exigeaient. Il y restait jusqu'après l'angelus du soir. On le voyait fixer de temps en temps ses yeux sur le tabernacle avec un sourire qui exprimait la joie de son âme et la vivacité de sa foi. Il exhortait ses paroissiens à faire des visites fréquentes au Saint Sacrement; on eut égard à ses exhortations et beaucoup de personnes venaient adorer Notre Seigneur dans le courant de la journée. 470 Il s'efforça d'établir la communion fréquente et le nombre des personnes qui s'approchaient souvent de la sainte table alla sans cesse en augmentant. Il parvint à faire supprimer deux cabarets qui étaient une source d'abus et à obtenir des habitants d'Ars la cessation du travail le Dimanche. Il sut tellement s'attirer l'affection de ses paroissiens qu'il fit cesser les danses fort en usage dans le pays en les menaçant de les quitter s'ils ne cessaient de danser. Ce résultat fut aussi dû sans doute aux prières ferventes qu'il adressait au ciel pour cela. J'ai entendu dire qu'il alla une fois jusqu'à donner de l'argent au ménétrier afin de l'éloigner de sa paroisse.

Le Serviteur de Dieu prenait part aux travaux de ses confrères des environs d'Ars pendant les missions et les jubilés. Les populations remarquèrent l'ardeur de son zèle et la sainteté de sa vie. Beaucoup de personnes qui s'étaient adressées à lui vinrent à Ars pour recevoir ses conseils et avancer davantage dans la piété. Ce fut ainsi que commença le pèlerinage d'Ars.





(473) Session 47-13 mai 1863 à 3h. de l'après-midi



Prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis respondit:

Un des premiers soins du Serviteur de Dieu en même temps que le pèlerinage se fondait fut d'orner son église et de faire ériger un autel convenable. 474 Pauvre lui-même et aimant sa pauvreté, il désirait pour son église le luxe et l'éclat des ornements; aussi rien ne saurait-il peindre la joie qu'il éprouva lorsque Monsieur d'Ars son paroissien demeurant le plus souvent à Paris lui envoya des chandeliers, des reliquaires, un dais, etc.

Il avait un grand zèle pour le culte divin, pour la pompe des cérémonies. Il célébrait surtout avec beaucoup de solennité le Jeudi-Saint, la fête du patron de la paroisse et celle du très saint Sacrement. Lorsque à la procession de cette dernière fête il portait la sainte hostie, sa figure paraissait rayonnante, et indiquait les sentiments de foi et d'amour dont il était pénétré.

Il célébrait le saint sacrifice avec la plus vive piété. Je lui ai entendu dire: Je ne suis pas content d'être curé, mais je suis bien content d'être prêtre pour pouvoir dire la messe. On croyait généralement que pendant le saint sacrifice Dieu le favorisait parfois de grâces extraordinaires. Un jour il prenait son petit repas dans une salle de la Providence. Ma compagne (Jeanne Marie Chanay) l'entendit dire comme s'il se parlait à lui-même: Je n'ai pas vu le bon Dieu depuis dimanche. Marie Chanay alors, s'approchant de lui, lui dit: Mr le Curé, avant Dimanche, vous voyiez donc le bon Dieu. Il fut tout déconcerté et ne répondit rien. Il est arrivé plusieurs fois qu'étant consulté avant la messe par des pèlerins, il leur répondait: Attendez, je vous donnerai ma réponse après la messe. Presque tous ceux qui le voyaient célébrer le saint sacrifice de la messe ont remarqué comme moi quelque chose d'extraordinaire dans sa figure depuis l'élévation jusqu'à la communion;

(475) mais surtout au moment de la communion.

Mr le Curé d'Ars était tellement pénétré de la présence de Jésus-Christ dans la Ste Eucharistie qu'il y revenait dans la plupart de ses instructions. Cet attrait pour la présence réelle de Notre Seigneur augmenta d'une manière sensible vers la fin de sa vie; il y revenait à tout instant, sa figure était alors rayonnante; il lui arrivait dans ses instructions de s'interrompre, de verser des larmes et de ne laisser plus entendre que des exclamations d'amour. Notre Seigneur est présent dans l'Eucharistie, disait-il quelquefois, c'est bien sûr, on ne peut pas douter, mais d'ailleurs on le sent bien.

Il administrait les sacrements avec la foi la plus vive. Quelquefois il pleurait en donnant la sainte communion, d'autres fois il paraissait heureux et une joie calme se peignait sur sa figure. Beaucoup de pécheurs ont dû leur conversion aux paroles de foi qu'il leur adressait au saint tribunal. Quand il administrait les malades, il leur faisait une très grande impression, il leur communiquait la paix de l'âme, la résignation et la confiance en Dieu. C'est par suite de ce même esprit de foi que Mr Vianney parlait très souvent de la dignité du prêtre, qu'il représentait comme tenant la place de Jésus-Christ. On ne comprendra bien le prêtre que dans le ciel, disait-il. Quand vous voyez le prêtre, pensez à Jésus-Christ.

La Foi de Mr Vianney éclatait dans toutes ses paroles et ses instructions. A tout instant il lui échappait des mots qui en peignaient la vivacité, comme ceux-ci par exemple: Vivre en la présence de Dieu, vivre pour Dieu, oh! belle vie et belle mort! 476 En disant ces paroles et beaucoup d'autres semblables, il semblait n'être déjà plus sur la terre.

Dans ses instructions, la Foi de Mr le Curé d'Ars le portait à entretenir ses auditeurs principalement du bonheur du Ciel, de la beauté d'une âme en état de grâce, de l'action du St Esprit sur les âmes et de la prière. Il avait sur ces sujets les plus belles pensées et les plus gracieuses comparaisons.

Une âme pure est comme une belle perle, disait-il; tant qu'elle est cachée dans un coquillage au fond de la mer, personne ne songe à l'admirer, mais si vous la montrez au soleil, elle brille et attire les regards: ainsi en est-il de l'âme pure qui, cachée maintenant aux yeux du monde, brillera un jour devant les anges au soleil de l'éternité. En parlant de l'action du Saint Esprit sur les âmes, il disait: Prenez dans une main une éponge imbibée d'eau et de l'autre main un petit caillou; pressez-les également; il ne sortira rien du caillou, mais de l'éponge vous ferez sortir de l'eau en abondance. L'éponge est l'âme remplie du Saint Esprit. Il disait en parlant de la prière: L'âme par la prière est comme un poisson dans l'eau. Le poisson dans l'eau se trouve bien, il est content; il se trouve bien même quand il ne nage que dans un petit ruisseau, parce qu'il est dans son élément; mais il est encore mieux dans la mer, parce qu'il a de l'eau en plus grande abondance. Le poisson hors de l'eau ne peut pas vivre; de même l'âme ne peut vivre hors de la prière.

C'est dans les sentiments de sa foi qu'il trouvait le moyen de repousser les tentations et de surmonter les contradictions et les obstacles qu'il rencontrait. 477 C'est aussi dans la foi qu'il avait puisé son amour pour les croix. Il disait: Un bon chrétien doit aimer à être méprisé, foulé aux pieds; il revenait souvent sur ce sujet, qui lui inspirait des pensées et des choses magnifiques. Aussi l'esprit de foi était le mobile de toutes ses actions; la foi lui expliquait tout et il expliquait tout par elle.

En mil huit cent quarante-trois, il fit une première maladie. Quelques ecclésiastiques se trouvant réunis autour de lui, convinrent entre eux qu'on ne sonnerait pas les cloches parce qu'ils étaient assez nombreux pour assister à l'administration des derniers sacrements. Mr le Curé m'appela et me dit: Faites sonner, afin que les paroissiens prient pour leur curé. Sa foi était si ferme que jamais il n'éprouva aucun doute. Aussi répondit-il à cette question: Croyez-vous que Notre Seigneur est réellement présent dans la Ste Eucharistie? - Je n'en ai jamais douté.



Le témoin interrogé sur la vertu d'Espérance, répond:

Je ne puis pas douter que la vertu d'espérance ne se soit montrée de bonne heure et qu'elle n'ait grandi dans Mr Vianney, surtout à l'époque où il embrassa la carrière ecclésiastique, puisque aucun obstacle ne fut capable de le détourner de ce but. Depuis qu'il fut nommé Curé d'Ars, j'ai toujours remarqué que l'espérance était profondément enracinée dans son coeur. C'est cette vertu qui lui a fait entreprendre de rudes travaux; c'est elle qui l'a soutenu au milieu de ses nombreuses et grandes épreuves. 478 Les bas sentiments qu'il avait de lui-même ne le décourageaient jamais, mais ils semblaient au contraire lui inspirer une plus grande confiance en Dieu.

C'est cette confiance inaltérable en Dieu qui le soutint dans la réforme qu'il avait entreprise de sa paroisse. Cette paroisse était, comme je l'ai dit, dans un état déplorable au point de vue religieux. Il en souffrit beaucoup, mais ne désespéra jamais d'en venir à bout avec la grâce de Dieu; il ne se lassa jamais d'employer avec constance les moyens surnaturels, tels que la prière, la mortification, la visite au St Sacrement, etc. Il montra beaucoup de constance et de persévérance dans l'ornementation et l'ameublement de son église, comptant sur l'assistance de Dieu pour payer les dettes qu'il contractait à ce sujet, sans oublier cependant la prudence chrétienne.

L'Espérance qu'il avait du Ciel lui faisait détester souverainement le péché, qui prive les hommes du Ciel. Je comprends, disait-il, qu'un homme puisse pécher, il est faible, mais je ne comprends pas qu'il puisse persévérer dans le péché et s'exposer ainsi à la perte du bonheur éternel. Il disait aussi: Le bon chrétien parcourt le chemin de ce monde monté sur un char de triomphe, assis sur un trône, et c'est Notre Seigneur qui conduit la voiture; mais le pécheur, lui, n'est pas sur le char, il y est attelé, et c'est le démon qui est dans la voiture et qui frappe à grands coups pour le faire avancer. Il estimait infiniment les grâces et les bienfaits spirituels; 479 il saisissait toutes les occasions pour se les procurer à lui-même et pour les procurer aux autres. Il voyait avec plaisir le retour des jubilés. Il parlait fréquemment du Ciel dans des termes qui montraient la vivacité de son Espérance qui impressionnait fortement ses auditeurs. Il comptait beaucoup sur la miséricorde infinie de Dieu; il tâchait d'inspirer aux pécheurs la confiance dont il était lui-même rempli et il le faisait avec tant d'onction, qu'il lui suffisait quelquefois d'un mot pour faire pénétrer dans une âme coupable les rayons de la lumière éternelle. Un dimanche que le Saint Sacrement était exposé, il disait à la foule qui était dans l'église: Si vous étiez bien convaincus de la présence réelle de Notre Seigneur dans le très saint Sacrement et si vous le priiez avec ferveur, vous obtiendriez bien certainement votre conversion.

S'il comptait sur la grâce pour le salut des autres, il comptait aussi sur elle pour son propre salut; il ne négligeait aucun des moyens par lesquels il pouvait l'obtenir de Dieu. Il satisfaisait son besoin d'oraison par des élévations continuelles. Il consacrait à l'oraison un temps considérable et faisait de longues visites au saint Sacrement.

Il attribuait sa vocation au sacerdoce, les saintes pensées qu'il avait, les oeuvres qu'il faisait, à la bonté de Dieu pour lui. 480 Il me disait un jour: "Lorsque j'étudiais, j'étais accablé de chagrin, je ne savais plus que faire; mais lorsque je passais à côté d'une maison, je vois encore l'endroit, il me fut dit, comme si quelqu'un m'eût parlé à l'oreille: Va, sois tranquille, tu seras prêtre un jour. Une autre fois que j'avais beaucoup d'inquiétudes, j'entendis distinctement la même voix qui me disait: Que t'a-t-il manqué jusqu'à présent? En effet j'ai toujours eu de quoi faire; il fait bon s'abandonner à la conduite de la divine Providence." Mr le Curé, lui disais-je un jour, ce doit être bien pénible de ne pas penser à soi, de n'avoir ni la nourriture, ni le vêtement, et cependant d'être sans inquiétude. Il me répondit: Il n'y a que le premier pas qui coûte.

Mr Vianney a été aussi persécuté par le démon. Lorsqu'il méditait le plan de sa Providence pour laquelle il venait d'acheter une maison, il commença à entendre de grands bruits à la cure; croyant que c'était des voleurs, il avertit quelques jeunes gens qui firent sentinelle à la cure et au clocher. Une nuit, un nommé Verchère montait la garde dans une chambre voisine de celle de Mr le Curé; il était armé d'un fusil. Tout à coup, il se fit un grand bruit dans l'appartement où il se trouvait; 481 il lui sembla qu'on mettait en pièces une armoire. Le pauvre homme se crut perdu. Mr le Curé disait: mon pauvre Verchère est venu m'appeler; il ne pensait plus qu'il avait un fusil. Une autre nuit où le bruit s'était renouvelé, il tomba de la neige et le lendemain on ne découvrit aucune trace autour du presbytère. Mr Vianney comprit alors d'où venait tout ce tapage et renvoya ses gardes. Le démon l'attaqua de toute manière. Une personne digne de foi m'a raconté, le tenant elle-même de Mr le Curé, qu'avant ses attaques extérieures, il avait fortement été tourmenté par des peines intérieures, par la crainte des tentations, le désespoir; il semblait, disait Mr Vianney, que j'entendais en moi-même: C'est à présent qu'il faudra tomber en enfer. Quelquefois, comme il me l'a raconté, le démon l'appelait: Vianney! Vianney! Il avait une voix aigre. D'autres fois le démon frappait à la porte, battait la générale sur un pot à eau, sur la cheminée; sautait comme un cheval qui aurait gambadé dans l'appartement placé au-dessous de la chambre.

(482) Dans d'autres circonstances, c'était comme un bruit confus de voix étrangères qui se faisaient entendre dans la cour. Un soir, étant auprès de son feu, il lui sembla qu'on vomissait le blé à pleine gueule à côté de lui. J'avais mis un jour de la paille dans le lit de Mr le Curé pour qu'il fût un peu plus haut. Il ne faut pas, me dit-il, mettre de la paille; le démon me jettera par terre. Je me sentais, me racontait-il un jour, enlever de mon lit tout doucement. Une autre fois, le diable s'était mis sous ma tête comme un oreiller bien doux et il se plaignait comme quelqu'un qui aurait été très malade. Une possédée dit à Mr Vianney: Crapaud noir, que tu me fais souffrir! Ces luttes se répétaient assez souvent; à la fin, le Serviteur de Dieu y prenait peu garde; il arrivait ordinairement, comme il en fit la remarque, qu'à la suite de ces bruits et de ces assauts, il arrivait un grand pécheur. Il m'a raconté lui-même que lorsqu'il était à St Trivier à l'occasion d'un jubilé, il s'était produit dans sa chambre un bruit affreux pendant la nuit et que les habitants de la cure avaient été éveillés.

Je déclare que Mr le Curé d'Ars n'était point crédule et ne croyait pas facilement aux choses extraordinaires. J'ai eu plus d'une fois l'occasion d'en faire la remarque.





(485) Session 48 – 15 mai 1863 à 8h du matin



Prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis respondit:

Je sais que le Serviteur de Dieu a été toute sa vie et surtout au commencement de son ministère à Ars en butte à la contradiction.

(486) A cette époque, ces épreuves lui arrivaient de la part de plusieurs de ses confrères du voisinage. Trompés par de faux rapports et ne croyant pas qu'il fût doué d'une science suffisante, ils allaient jusqu'à défendre à leurs paroissiens de venir se confesser à Ars. Une logeuse d'Ars me dit un jour qu'un prêtre logé chez elle lui avait avoué être venu trouver Mr Vianney pour le sonder, qu'il l'avait vu à la sacristie, avait demandé à lui poser quelques questions; mais qu'en sa présence il avait été tellement troublé qu'il n'avait su que lui dire. J'ai prêché, disait ce prêtre, devant les grands, devant des évêques; jamais je n'ai été si intimidé. Des laïques se plaisaient aussi quelquefois à blâmer sa conduite et à la représenter sous les couleurs les plus odieuses. Mr Vianney a beaucoup souffert du caractère des personnes qui l'entouraient. Une des filles de la Providence contrariait souvent ses volontés pour l'administration de la maison. Les exigences et le caractère d'un prêtre auxiliaire qui fut avec lui dans les premiers temps où il eut un vicaire, prêtre d'ailleurs excellent et dévoué, mirent fréquemment sa patience à l'épreuve. Les paroissiens s'apercevaient quelquefois de ces difficultés et prenaient parti pour Mr Vianney; celui-ci alors le soutenait, disait du bien de lui et ajoutait: Si on lui fait de la peine, nous partirons tous les deux. Il consentit aussi à se retirer dans un appartement humide de la cure; les habitants s'y opposèrent. Ces contradictions et ces épreuves, loin de le décourager et de lasser sa patience, ne contribuaient qu'à le détacher de plus en plus des choses de la terre et à augmenter sa confiance en Dieu.

(487) Quelle que fût la confiance que Mr Vianney avait en Dieu, la vue de ce qu'il appelait sa profonde misère et les obligations de son ministère, lui inspiraient une grande crainte des jugements de Dieu, jetaient parfois son âme dans la tristesse et paraissaient, d'après quelques paroles que je lui ai entendu dire, l'avoir exposé à une sorte de tentation de désespoir. Je lui ai entendu dire: Je demande au bon Dieu de me faire souffrir tout ce qu'il voudra, mais au moins qu'il me fasse la grâce de n'être pas damné. J'ai remarqué qu'au milieu de ses peines, Mr Vianney relevait toujours son courage par les sentiments que nous fournit l'espérance chrétienne.

La vertu d'Espérance s'est maintenue en Mr Vianney jusqu'à la fin de sa vie. Lui qui avait tant redouté les jugements de Dieu vit arriver la mort sans aucune crainte et avec la plus entière sérénité.



Quoad Charitatem, testis respondit:

La vertu de Charité envers Dieu n'a pas moins brillé en Mr Vianney que les autres vertus. Je sais par ouï dire que dès sa plus tendre enfance il a manifesté des sentiments d'amour envers Dieu. Sa mère l'aimait à cause de sa piété. J'ai plusieurs fois entendu dire à Mr Vianney: Nous passions de longs moments, le soir, ma mère et moi, auprès du feu. Nous parlions du bon Dieu. L'amour de Dieu a grandi en lui avec l'âge. Il disait, lorsqu'il était curé: J'étais bien plus heureux dans la maison de mon père, lorsque je menais paître mes brebis et mon âme; j'avais du temps pour prier le bon Dieu, pour méditer, pour m'occuper de mon âme. Dans l'intervalle des travaux de la campagne, je faisais semblant de me reposer et de dormir comme les autres, et je priais Dieu de tout mon coeur: c'était le bon temps, et que j'étais heureux!

Quand il entreprit ses études, il n'eut d'autre mobile que la pensée de faire aimer et servir Dieu. C'est cette pensée qui le soutint dans toutes les difficultés qu'il eut à supporter pour arriver au sacerdoce.

A Ecully, où il fut nommé vicaire, il se fit remarquer par son ardente piété; ce fut elle qui communiqua de l'efficacité à son ministère; il se fit un devoir d'imiter, autant qu'il le pouvait, son respectable Curé, Mr Balley; 488 si j'avais eu le bonheur de vivre plus longtemps avec lui, disait-il, j'aurais peut-être fini par être un peu sage. J'ai pu remarquer par diverses conversations que j'ai eues avec des personnes d'Ecully, que pendant son ministère dans cette paroisse, il leur avait inspiré un grand amour de Dieu.

Au commencement de son ministère à Ars, ses paroissiens remarquèrent qu'il était presque constamment à l'église et qu'il mettait tout en oeuvre pour réveiller en eux les sentiments de l'amour de Dieu. Afin de faire aimer Dieu davantage, il établit les confréries dont j'ai déjà parlé, la prière du soir en public et la pratique de la fréquente communion. On peut dire qu'il n'avait qu'une seule pensée: aimer Dieu et le faire aimer. Il avait une très grande dévotion au très saint Sacrement; il aimait à dire son office à l'église, c'était là qu'il le récitait habituellement, et à genoux. Lorsque le Saint Sacrement était exposé, il ne s'asseyait pas, excepté quand il y avait quelque prêtre étranger, pour ne pas faire autrement que lui. Alors il se tournait vers l'autel comme s'il avait vu Notre Seigneur. Un de ses confrères le surprenant un jour dans cette attitude porta instinctivement ses regards vers le tabernacle, comme s'il avait dû y voir quelque chose. L'expression du visage de Mr Vianney l'avait tellement frappé qu'il dit: Je crois qu'il viendra un temps où le Curé d'Ars ne vivra que de l'Eucharistie. Le Serviteur de Dieu paraissait un ange au saint autel, l'expression de sa figure avait quelque chose de céleste.

J'ai déjà parlé du soin avec lequel il ornait l'église et se procurait de beaux ornements et des vases sacrés d'un grand prix. Oh! j'aime bien, disait-il, augmenter le ménage du bon Dieu; comment ne donnerait-on pas à Notre Seigneur tout ce qu'on a de plus riche? N'a-t-il pas donné tout son sang pour nous? On était édifié toutes les fois qu'on le voyait distribuer la Sainte Communion, porter le saint viatique, donner la bénédiction du Saint Sacrement. Il éprouvait une grande joie à annoncer la procession de la Fête-Dieu et les bénédictions de l'octave.

Il parlait de l'amour de Dieu et du Saint Sacrement d'une manière admirable. Aimer Dieu, disait-il, oh! que c'est beau! Il faut le Ciel pour comprendre l'amour. La prière aide un peu parce que la prière, c'est l'élévation de l'âme jusqu'au Ciel. Etre aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre en la présence de Dieu, vivre pour Dieu: oh! belle vie, et belle mort! Il ne tarissait pas quand il avait à parler de l’amour de Dieu. Quelquefois il prononçait ces paroles en pleurant: Oh! que c'est dommage de ne pas aimer Dieu! Oh! être maudit de Dieu, quel malheur pour une pauvre âme qui n'aura plus la faculté d'aimer!

Oh! Jésus, s'écriait-il en parlant du Saint Sacrement, vous connaître, c'est vous aimer. Si nous savions comme Notre Seigneur nous aime, nous mourrions de plaisir. 489 C'est si beau, la charité! c'est un écoulement du coeur de Jésus, qui est tout amour. Il n'a pas voulu mourir petit pour nous, parce qu'il n'aurait pas eu assez de sang à répandre; il a voulu mourir à l'âge de trente-trois ans pour répandre son sang en abondance. Ce n'était pas des paroles, c'était des flammes qui sortaient de sa bouche quand il parlait sur ce sujet.

Il ne parlait pas d'une manière moins touchante des joies de la prière et de la vie intérieure. La prière, disait-il, voilà le bonheur de l'âme sur la terre. La vie intérieure est un bain d'amour dans lequel l'âme se plonge, elle est comme noyée dans l'amour. On n'a pas besoin de beaucoup de paroles pour prier; on sait que le bon Dieu est dans le saint tabernacle; on lui ouvre son coeur; on se complaît en sa présence; c'est la meilleure prière.

Au confessionnal, il parlait de l'amour de Dieu, de la malice du péché, dans des termes auxquels il était impossible de résister. Il s'est opéré à Ars un nombre infini de conversions; au lieu de s'en glorifier, il s'en humiliait. Un autre prêtre, disait-il, aurait fait par le secours de Dieu cent fois plus que moi!

Le désir qu'il avait de convertir les pécheurs et de sauver les âmes en entrant dans l'état ecclésiastique était entièrement satisfait. Il restait constamment uni à Dieu malgré les travaux extérieurs, malgré le nombre considérable de personnes avec lesquelles il était en relation et qui l'obsédaient de demandes et de questions.

Dans toutes ses conversations, il était question de Dieu; dès qu'il s'agissait des choses humaines, il n'était plus dans son élément. Il parlait de l'autre vie comme s'il en fût revenu et des vanités de ce monde avec une douce et plaisante ironie.

Il s'intéressait vivement au triomphe de l'Église, à la glorification de Notre Seigneur, à la dilatation de sa doctrine; il entendait parler avec plaisir des conquêtes de la grâce; mais les attaques des impies, l'ingratitude des hommes envers Dieu et envers son divin Fils lui causait une amère douleur.

Il arriva à ce haut degré de charité en s'immolant lui-même complètement dans toutes les circonstances. Il disait: Quand on n'a point de consolation, on sert Dieu pour Dieu; mais quand on en a, on est exposé à le servir pour soi. Le désir qu'il avait de la solitude n'avait pas d'autre but que l'union plus complète avec Dieu.

(490) Les luttes qu'il eut avec le démon, luttes dont j'ai déjà parlé, contribuèrent à rendre sa charité plus vive et plus désintéressée. Il en fut de même des contradictions. Les épreuves, pour ceux que Dieu aime, disait-il, ne sont pas des châtiments, mais des grâces. Pour un chrétien, les croix ne sont plus des croix; elles sont comme des épines dont l'amour brûle la pointe, et elles deviennent douces comme la cendre. Il me disait un jour: Voilà deux nuits où j'ai un peu dormi et moins souffert; le temps me durerait encore bientôt de ne pas souffrir.



Quoad charitatem erga proximum, testis respondit ut sequitur:

Je crois me rappeler avoir ouï dire que quand il rencontrait des pauvres, il les menait à la maison paternelle. Dans les champs, il plaçait sur un autel, comme je l'ai appris de sa soeur, une petite statue de la Ste Vierge; il lui offrait ses hommages le premier et invitait ses compagnons à faire comme lui; tous ensemble, ils la priaient. J'ai entendu dire au Serviteur de Dieu qu'étant jeune, un camarade d'un caractère très vif lui donnait des coups de pied aux jambes quand il était mécontent. Il agissait ainsi, disait Mr Vianney, parce qu'il savait que je ne disais rien.

Dès les premiers jours de son arrivée à Ars, il se montra si bon, si bienveillant et si affable qu'il se fit aimer de tout le monde. Il saisissait toutes les occasions de donner individuellement à tous ses paroissiens des marques privées et directes d'affection. Il les visitait, ne se contentant pas d'aller où on l'appelait, mais se présentant sans être appelé. Après avoir demandé des nouvelles de tout ce qui pouvait intéresser la famille il ne manquait pas d'ajouter quelques mots d'édification, qui étaient écoutés avec une attention religieuse. Je me rappelle que dans ma famille, c'était un bonheur pour tous de recevoir sa visite.

Il remplissait ses devoirs de pasteur avec toute la perfection possible; il détruisit les abus et introduisit les pratiques dont j'ai parlé et qui firent fleurir la piété. J'ai vu un grand nombre d'instructions écrites de sa main, ce qui prouve qu'il préparait avec beaucoup de soin les sujets sur lesquels il devait prêcher.

Il avait offert pour la conversion des pécheurs toutes les souffrances qu'il éprouvait pendant le jour, et pour la délivrance des âmes du purgatoire celles qu'il éprouvait pendant la nuit; en un mot, il s'était offert en sacrifice dans cette intention. J'ai entendu dire qu'un jour, le missionnaire qui était auprès du Serviteur de Dieu lui demanda ce qu'il ferait si le bon Dieu lui proposait de monter au ciel à l'instant même ou de rester sur la terre pour travailler à la conversion des pécheurs? Je crois que je resterais, mon ami. Le missionnaire ajouta: 491 Resteriez-vous sur la terre jusqu'à la fin du monde? - Tout de même. - Dans ce cas vous auriez bien du temps devant vous, vous lèveriez-vous si matin? - Oh! oui, mon ami, à minuit; je ne crains pas la peine. Je serais le plus heureux des prêtres, si ce n'était cette pensée qu'il faut paraître au tribunal de Dieu avec ma pauvre vie de Curé. Dans un moment où il pensait à augmenter ses pénitences, il entendit une voix intérieure qui lui dit: Ce que tu fais vaut mieux que toutes les pénitences que tu peux faire.





(493) Session 49 - 15 mai à 3h de l'après-midi



Prosequendo decimum octavum Interrogatorium et relative ad Charitatem, testis respondit:

Les supérieurs ecclésiastiques de Mr Vianney comprirent que son zèle était à l'étroit dans la petite paroisse d'Ars; ils le nommèrent curé à Salles dans le Beaujolais; mais sur les réclamations des habitants, ils consentirent à ne pas donner suite à la nomination. 494 Tout disposé à rendre service à ses confrères, à les remplacer même, il visitait les malades des paroisses voisines lorsque les curés étaient infirmes ou absents. Il prit une part très active à plusieurs missions prêchées dans plusieurs paroisses à l'occasion du jubilé de mil huit cent vingt-six. Un grand nombre de personnes qui s'étaient adressées à lui vinrent le trouver à Ars. On était déjà venu précédemment d'Ecully, le pèlerinage fut ainsi fondé.

Son grand désir de sauver les âmes le fit fonder dans le diocèse près de cent missions; il vint ainsi au secours des curés pour recevoir les missionnaires et constituer l'oeuvre des missions en lui procurant des ressources. On doit dire deux messes pour la conversion des pécheurs et pour la paroisse au moment ou se donne la mission. Des messes ont été aussi fondées par lui, spécialement pour la conversion des pécheurs et pour le soulagement des âmes du purgatoire.

Le pèlerinage une fois établi, il put largement travailler au salut des âmes, on venait de tous les pays à Ars. La vie du Serviteur de Dieu se passa dès lors presque tout entière au confessionnal. Il commençait à confesser à une heure ou deux heures du matin et entendait les pénitents en moyenne quinze heures par jour. Les jeûnes, les macérations, les infirmités, le manque de repos et de sommeil ne retranchaient rien à la longueur de ces séances; elles ne cessèrent que le trente juillet mil huit cent cinquante-neuf, c'est-à-dire cinq jours avant sa mort. Il mettait en pratique ce qu'il disait des saints dont le coeur se dilate à proportion du nombre des âmes que le bon Dieu met sur leur chemin, comme les ailes de la poule s'étendent à proportion du nombre de ses petits. La foule des pénitents était immense. Un grand nombre passaient la nuit sous le porche de l'église et se pressaient dès qu'elle était ouverte autour du confessionnal; on avait établi une certaine règle; quelquefois cependant, le Serviteur de Dieu, qui paraissait discerner ceux qu'amenaient à Ars des besoins plus sérieux ou des nécessités plus pressantes, les appelait lui-même. Parmi ses pénitents, il aimait de préférence les pauvres, les malades, les estropiés et les petits. Ce fut pour venir au secours des pauvres orphelines qu'il fonda l'établissement de la Providence. Il acheta une petite maison, sans avoir même de quoi la payer, et commença par y recevoir une ou deux jeunes filles.

(495) J'ai été moi-même la première directrice de la Providence avec une autre fille d'Ars; quelque temps après, nous étions quatre. Nous ouvrîmes une école gratuites pour les petites filles, on admit aussi gratuitement quelques enfants des paroisses voisines qui logeaient à la maison et se nourrissaient à leurs frais. Mr Vianney en reçut autant que la maison put en contenir; il subvenait aux nécessités de chaque jour; plus tard il fut aidé dans cette oeuvre par une personne venue de Lyon. Il agrandit un local trop restreint, avec un don qui lui fut fait, et vendit ses biens patrimoniaux pour lui assurer une rente; il se fit architecte et maçon. Il installa successivement dans le local agrandi plus de soixante jeunes filles, logées, nourries, entretenues presque toutes aux frais de la Providence; elles se trouvaient ainsi à l'abri des dangers qu'elles avaient courus. La maison, avec bien peu de ressources, ne laissait pas de se suffire et d'arriver au bout de l'année.

Il fonda aussi, dans l'intérêt de la bonne éducation des jeunes gens, une école gratuite, dirigée par les frères de la Ste Famille de Belley.

Il aimait beaucoup les pauvres et se plaisait à les secourir. On trouva un jour son lit sans draps; il les avait donnés. Une autre fois, il rencontra un pauvre en venant faire le catéchisme à la Providence; il n'avait point de chaussures, Mr Vianney lui donna ses souliers. On lui avait fait cadeau de souliers fourrés; je suis trop bien dans ces souliers, disait-il; si au moins j'avais rencontré un pauvre... Quelques jours après, ils étaient la propriété d'une pauvre vieille femme. Je mettais deux ou trois chemises à la fois dans son armoire. Il me dit un jour: Mettez m'en davantage, j'aime en avoir beaucoup. Le lendemain, tout avait disparu. Il ne gardait rien, se dépouillait de tout; il avait vendu son lit, sa table, ses chaises, dont on lui avait toutefois laissé la jouissance. Il voulut aussi vendre une rente viagère de un franc par jour, personne ne voulut l'acheter. Il disait, comme une personne me l'a raconté: Que nous sommes heureux que les pauvres viennent ainsi nous demander... S'ils ne venaient pas, il faudrait aller les chercher, et on n'a pas toujours le temps. Je serais infinie si je racontais tous les faits qui constatent la charité du Serviteur de Dieu.

(496) Il venait aussi au secours des pauvres honteux avec une grande délicatesse. Quelquefois j'ai été chargée de porter ses aumônes secrètes. Il payait aussi les loyers des pauvres. Il vendait ses souliers, ses soutanes, à des personnes qui tenaient à posséder ces objets, et se procurait ainsi des ressources pour les pauvres. A l'aumône matérielle, il ajoutait toujours quelques bonnes et encourageantes paroles. On m'a raconté qu'en venant de Mizérieux, il atteignit une femme qui portait une lourde cruche pleine d'huile; il prit lui-même la cruche et la porta jusqu'auprès du village d'Ars. Il avait une poche où il mettait l'argent des messes et une autre pour les pauvres, et quand il n'avait pas assez donné, il faisait rechercher les personnes afin de leur donner davantage. Il surprit un jour un voleur chez lui. Que faites-vous là, mon ami, lui dit-il? - J'ai faim, Mr le Curé. Mr vianney lui fit une abondante aumône et ajouta: Sauvez-vous, mon ami, sauvez-vous vite, de peur qu'on ne vous prenne. Il était heureux de faire l'aumône à une femme aveugle qui, ne le voyant pas, croyait être secourue par une voisine. Afin d'adoucir le régime sévère de Mr Vianney, mademoiselle Lacan portait en secret dans le presbytère les aliments qu'elle avait préparés et était très mécontente de les voir ensuite dans les paniers des pauvres. Plusieurs personnes faisaient comme mademoiselle Lacan et arrivaient aux mêmes résultats.



Interrogé sur la vertu de Prudence, le témoin répond:

D'après tout ce que j'ai entendu dire à des personnes dignes de foi, le Serviteur de Dieu eut dès son enfance, non seulement, comme je l'ai dit plus haut, un goût très prononcé pour la piété, mais encore il mit en usage tous les moyens que la prudence chrétienne suggère pour la pratiquer lui-même et la faire pratiquer aux autres. J'ai déjà parlé des difficultés qu'il éprouva pour étudier et des obstacles qu'il rencontra pour arriver à l'état ecclésiastique; j'ai déjà dit aussi les moyens surnaturels qu'il employa pour surmonter les uns et les autres. J'ai déjà dit quels furent les moyens qu'il employa pour rétablir la piété dans sa paroisse; j'ai remarqué, que dans le commencement de son ministère, il ne combattit pas les abus par des moyens brusques et violents, mais par des voies de douceur et d'insinuation, par des instructions pleines de douceur et de foi, qui faisaient aimer la vertu, encourageaient à la pratiquer, et surtout par l'exemple de ses prières, de ses mortifications. Il s'appliquait à faire comprendre combien on était plus heureux en pratiquant la vertu qu'en obéissant à ses passions. Un jour, à l'occasion d'une fête, les filles en grand nombre vinrent se confesser; il leur dit avant de commencer: Récitons un chapelet afin de demander à Dieu la grâce de vous bien préparer. L'une d'elles me disait plus tard: Je crois que c'est alors qu'il a obtenu ma conversion; je me trouvais heureuse de savoir répondre au chapelet. Elle devint ensuite l'un des modèles de la paroisse.

Voulant faire cesser l'abus des danses, qui étaient fort en usage dans sa paroisse, il insista fortement sur ce point dans ses instructions. Le zèle mettait une grande force et beaucoup de fermeté dans ses paroles. Il commença par détourner quelques jeunes filles; d'autres imitèrent peu à peu l'exemple de leurs compagnes. Lorsque leur nombre se fut accru, il les invita un jour à venir manger des groseilles dans le jardin de la cure au moment même où l'on dansait sur la place. J'étais avec elles. Mr le Curé ne vint pas avec nous, il nous fit ensuite entrer à la cure où il nous lut la vie de sainte Catherine, vierge et martyre; après quoi il nous dit: N'êtes-vous pas plus heureuses de vous trouver ici que de danser avec vos compagnes? Il obtint de nouveaux succès et le musicien ne tarda pas à être congédié. Cependant on tenait encore à la danse qui avait lieu pour la fête patronale. Alors, il se mit à leur dire: Si l'on dense pour la fête, je m'en irai. Les danses cessèrent complètement. Plus tard on voulut faire une tentative pour les faire revivre, mais elle échoua.

(498). Ce fut avec la même prudence que le Serviteur de Dieu introduisit dans sa paroisse la cessation des oeuvres serviles, la sanctification du Dimanche, l'assistance aux offices, la fréquentation des sacrements. Il prêchait jusqu'à trois fois le jour du dimanche: à la grand'messe, à une heure pour faire le catéchisme, le soir à la prière. Ses instructions étaient simples, pathétiques, et à la portée de tout le monde. J'ai remarqué que la Prudence qu'il pratiquait si bien, il la recommandait aux autres dans ses instructions, particulièrement aux mères de famille, aux domestiques. Il ne voulait pas qu'une mère de famille négligeât le soin de sa maison pour venir à l'église lorsqu'elle n'y était pas obligée. J'ai entendu dire à plusieurs personnes qu'elles ne s'étaient jamais repenties d'avoir suivi ses conseils. Une fois, au commencement du Carême, il me défendit de jeûner. Mais vous jeûnez bien, vous, Mr le Curé. - C'est vrai, me dit-il, mais moi, en jeûnant, je puis faire mon ouvrage; vous, vous ne le pourriez pas. Aussi vers la fin de sa vie consentit-il à prendre quelque chose après sa messe, parce qu'il avait besoin de se soutenir pour pouvoir parler. Ce qui explique cette conduite, c'est qu'en effet autant il était dur pour lui-même, autant il était bon pour les autres.

Ce que j'ai dit au sujet de la fondation de la Providence, de celle des Frères et des missions, montre la grande prudence qu'il déploya dans toutes ses oeuvres; aussi voulait-il qu'on se confiât en la divine Providence, mais non qu'on lui demandât des prodiges. Tout le monde dans sa paroisse a pu remarquer sa prudence dans ses rapports avec ses paroissiens, dans l'exercice de son ministère. J'ai dit ailleurs que j'ai vu ses cahiers d'instructions écrites, ce qui supposait qu'il les préparait soigneusement; on l'a entendu s'exercer à les débiter. 499 Si plus tard il n'y a plus apporté la même préparation, c'est que vu la multiplicité de ses travaux et l'affluence des pèlerins, il n'en avait pas le temps; Dieu alors l'assistait d'une manière particulière, c'est la remarque qu'on faisait généralement.





(501) Session 50-16 mai 1863 à 8h du matin



Prosequendo decimum octavum Interrogatorium et relative ad Prudentiam, testis respondit:

La Prudence du Serviteur de Dieu se faisait aussi remarquer au tribunal de la pénitence; il donnait à chacun les conseils les plus convenables. On comptait tellement sur sa prudence, qu'on venait fréquemment lui demander des conseils dans les situations difficiles et lorsqu'il était question d'entreprises importantes. De toutes parts, on appelait ses encouragements et ses bénédictions.

Il était très réservé et très prudent dans ses conversations au sujet de l'apparition de la Salette; il montra sa prudence ordinaire; d'après ce que Maximin lui avait dit, il était porté à croire que l'apparition n'avait pas eu lieu, d'un autre côté l’évoque de Grenoble s'était prononcé en faveur de l'apparition; il s'abstenait d'en parler, mais à cause de la décision épiscopale, il ne s'opposait point à ce que les personnes qui s'adressaient à lui fissent le pèlerinage de la Salette.

Au milieu des contradictions qu'il eut à subir, il resta calme et sans inquiétude; il évitait prudemment tout ce qui pouvait froisser ses contradicteurs et cependant il faisait toujours ce que sa conscience lui inspirait de faire, sans se préoccuper de ce qu'on pourrait dire. On fait beaucoup plus pour Dieu, disait-il, en faisant les mêmes choses sans plaisir et sans goût; il est possible que l'on me chasse, mais en attendant je fais comme si je devais toujours rester. Ces épreuves lui étaient utiles: Au moins, disait-il, je ne trompe pas tout le monde. Un jour une personne lui dit qu'il était un saint, une autre qu'il était un hypocrite. Si je croyais l'un, dit-il, j'aurais de l'orgueil; si je croyais l'autre, je me découragerais. Il ne faut faire aucune attention aux éloges ni aux injures. Nous sommes ce que nous sommes devant Dieu, et pas davantage.



Quoad Justitiam, testis respondit: ;

Le Serviteur de Dieu remplit toujours exactement les devoirs que la religion impose; il avait une très grande horreur du péché. Quand on lui parlait de quelque accident, il répondait: C'est un moins grand mal qu'un péché véniel. Il s'efforça toujours de pratiquer les conseils évangéliques et de suivre les inspirations de la grâce.

Il était très exact à remplir à l'égard des autres les devoirs de la charité et de la politesse. Il semblait que chacun était son meilleur ami; il était plein d'affabilité, de cordialité, et mettait tout le monde à l'aise; il s'oubliait lui-même pour ne penser qu'aux autres. 503 Il portait si loin le respect qu'il avait pour ceux qui lui faisaient une visite, qu'il ne s'asseyait point devant eux et les obligeait à s'asseoir. Il se servait toujours de formules très polies et très respectueuses. Il vénérait très profondément ses confrères, il s'empressait de sortir du confessionnal dès qu'ils le demandaient et de les entendre dès qu'ils réclamaient son ministère. Il honorait comme il devait le faire les grands et les puissants de la terre. Il était avec eux simple, affable et respectueux. Jamais, Mr Vianney ne blessait et ne repoussait personne; un aimable abandon présidait à toutes ses relations, sans jamais tourner à la familiarité. Il était bon en particulier pour les pauvres, les ignorants, les infirmes et les pécheurs; il cherchait à contenter tout le monde; on ne saurait dire combien il avait d'attentions pour ceux qui étaient autour de lui, combien il s'intéressait à leur santé.

Il fut toujours très respectueux à l'égard de son père et de sa mère, il était très reconnaissant des services qu'il en avait reçus; il parlait surtout de sa mère avec une tendre affection à cause des sentiments de piété qu'elle lui avait inspirés dès son enfance. Il recevait ses parents à Ars avec une grande cordialité. Pour les porter à manger, il ne craignait pas de sortir de son régime ordinaire et de manger avec eux. Il fut toujours très reconnaissant envers les habitants des Noës. Un jour que la fille de la veuve Fayot, qui lui avait donné l'hospitalité, était venue le voir à Ars, il lui acheta un parapluie de soie en souvenir des bons soins qu'il avait reçus de sa mère. Sa reconnaissance pour Mr Balley dura autant que sa vie. Il parlait souvent de ce vénérable ecclésiastique et ses yeux alors se remplissaient de larmes. On voulait, disait-il, faire son portrait: il n'y consentit pas; je le regrette beaucoup, parce que je serais bien heureux de le posséder. Il était sensible aux moindres services qu'on pouvait lui rendre; l'expression de sa figure, ses paroles et ses gestes indiquaient alors combien il était touché dés attentions qu'on avait pour lui.



Quoad Obedientiam, testis respondit:

Il parlait du Saint Père avec un souverain respect, il était constamment disposé à obéir à ses ordres; il avait en vénération les lois de l'Église et sa discipline, il s'efforçait de ne jamais s'en écarter.

Il avait un grand goût pour la solitude; il pensait que retiré du monde, il pourrait plus facilement prier Dieu, s'unir constamment à lui. Ce fut le motif pour lequel deux fois il quitta sa paroisse, sans avoir l'intention cependant de désobéir à son évêque. La première fois, avant de partir il remit à Mr Raymond, curé de Savigneux, une lettre qu'il le chargea de remettre à Monseigneur de Belley. 504 Le prélat exigea que Mr Vianney restât dans son diocèse, en lui laissant le choix de se fixer à Beaumont ou à Montmerle, ou de revenir à Ars. Le Serviteur de Dieu, après avoir dit la messe à Beaumont, revint à Ars, au grand contentement de la population. Lorsqu'il voulut quitter Ars la seconde fois, il me remit une lettre pour Mgr l’Évêque de Belley. On voit que dans ces diverses circonstances, il resta toujours soumis à l'autorité épiscopale. Malgré le projet qu'il avait formé de vivre dans la solitude, il se décida cependant à rester où l'obéissance l'appelait. Quelques temps après la seconde fuite, les habitants de Dardilly, ayant appris que Mr Vianney voulait quitter Ars, envoyèrent deux hommes avec une voiture pendant la nuit. L'un de ces hommes vint faire faction à la porte de la cure et attendre le moment où Mr le Curé sortirait après minuit. Ce moment arrivé, il s'approcha du Serviteur de Dieu et l'engagea à partir avec lui, en lui disant qu'il avait amené une voiture; il le prit même par le bras pour l'entraîner avec lui. Mr Vianney lui répondit: Je ne vous suivrai pas, je n'ai pas la permission de mon évêque.



Quoad Religionem, testis respondit:

Le Serviteur de Dieu aimait tout ce qui se rapporte au culte et à la gloire de la religion. Il aimait les images, les croix, les scapulaires, les chapelets, les médailles, l'eau bénite, les confréries, les reliques. Quand il pouvait se procurer des reliques, il était dans une grande joie. Il aimait beaucoup à en recevoir et peu à en donner; il en a cependant distribué à beaucoup de personnes. Son église, sa chapelle de la Providence en étaient remplies. S'il rencontrait quelqu'un qui devait faire le voyage de Rome, il lui disait: Ne manquez pas de m'apporter des reliques. Il assistait avec un grand contentement aux cérémonies, aux offices et aux sermons.

Il avait une très grande dévotion pour la Ste Trinité; il avait une image représentant les trois personnes divines pour marquer son bréviaire, et quand il changeait de volume, il ne manquait jamais de prendre l'image. Il engageait les personnes à se réunir au nombre de trois pour réciter des Gloria Patri. Jésus-Christ dans le St Sacrement semblait être sa vie, il en parlait souvent et quand il en parlait ou qu'il était près des autels, son coeur paraissait être en feu. 505 Il respectait toutes les pratiques de dévotions particulières en usage dans l'Église et les conseillait volontiers. Il était du tiers-ordre de St François et de plusieurs autres confréries. Il aimait à réciter l'office divin en union avec Notre Seigneur et pour faciliter cette union, il avait attaché aux différentes heures de l'office le souvenir des scènes de la Passion et il m'avait chargée de les indiquer par écrit sur chacun des volumes du bréviaire.

Il engageait les fidèles à prier et à agir avec des intentions particulières, à honorer le Dimanche la très sainte Trinité, le lundi le St Esprit, le mardi les anges gardiens, le mercredi les saints patrons ou St Joseph, le jeudi le St Sacrement, le vendredi la passion de Notre Seigneur, le samedi l'immaculée conception de la Ste Vierge. Il disait chaque jour sept Gloria Patri en l'honneur du Sacré Coeur.

Sa dévotion à la Ste Vierge commença dès son enfance. J'aimai, me disait-il, la Ste Vierge même avant de la connaître. On m'avait donné une petite statue qui la représentait; je ne pouvais pas me séparer d'elle, je la mettais dans mon lit pendant la nuit. J'ai déjà parlé des petites statues qu'il faisait lui-même; l'une a été conservée plusieurs années dans la famille. J'ai dit aussi qu'il invitait ses petits compagnons à honorer avec lui dans les champs la reine du Ciel. Quand il travaillait la vigne, il plaçait devant lui la statue de la Ste Vierge qu'on lui avait donnée et la changeait de place à mesure qu'il avançait. Vicaire à Ecully, il récitait avec Mr Balley tous les matins trois Ave Maria et le soir un Pater et un Ave. Plusieurs personnes imitèrent leur exemple. Il recommandait aux fidèles de dire dans la même intention un Ave Maria quand l'heure sonnait, et il avait fait placer pour cela une horloge à l'église; il s'arrêtait même au milieu de ses instructions pour réciter cette prière avec les assistants. Tous les soirs à la prière, il disait, en chaire, le chapelet de l'Immaculée Conception. Il avait fait voeu de dire la Ste Messe ou de la faire dire tous les samedis en l'honneur de la Sainte Vierge. 506 Il disait: J'aime beaucoup St Joseph et saint Jean, parce qu'ils ont pris soin de la Sainte Vierge. Si je n'allais pas au Ciel, je serais fâché! Je ne verrais jamais la Ste Vierge, cette créature si belle. Il disait encore: Supposez un homme bien riche qui avait beaucoup d'enfants. Tous sont morts, excepté un seul, qui hérite de sa fortune. Ainsi il en est des pauvres enfants d'Adam: tous étaient morts, et la Ste Vierge a hérité des dons surnaturels qui leur étaient destinés. Il avait sur ce sujet une infinité d'autres pensées belles, pieuses et touchantes.

Le jour où le dogme de l'Immaculée Conception fut défini fut pour lui un jour de joie immense. Il fit faire une magnifique chasuble, pour rappeler ce touchant souvenir. Depuis longtemps il avait consacré sa paroisse à Marie Immaculée. Ces deux derniers mots étaient écrits sur plusieurs de ses livres. Il célébrait avec une grande pompe les fêtes de la Ste Vierge. Il avait engagé tous les ménages à avoir une image de la Vierge Immaculée, signée de sa main, avec le nom de la famille, qui était ainsi consacrée à la Mère de Dieu, et à placer des statues dans leurs maisons. Il avait fait placer une statue de la reine des cieux sur la façade de son église. Il recommandait aux mères de famille de consacrer tous les matins leurs enfants à la Ste Vierge, quand ce ne serait que par un Ave Maria. Il conseillait des neuvaines au saint Coeur de Marie pour la conversion des pécheurs. Je remercie Dieu d'avoir pris un si bon coeur pour les pécheurs et d'en avoir donné un si bon à sa sainte Mère. Il avait établi dans la paroisse l'Archiconfrérie du Coeur Immaculé de Marie. Il conduisit tous ses paroissiens en pèlerinage à Fourvière, où il célébra la Ste Messe, et communia un grand nombre des personnes qui composaient la procession.

Il avait aussi une grande dévotion aux saints; il en vénérait quelques uns en particulier. J'en ai écrit moi-même la liste sur le dernier feuillet de ses bréviaires. Il avait voué un culte spécial à Ste Philomène, qu'il appelait sa chère petite sainte. Il mettait sur son compte toutes les faveurs et tous les prodiges qui ont contribué à la célébrité du pèlerinage d'Ars. 507 Il lui avait fait construire une chapelle. Il lisait continuellement la vie des saints. Je trouvais en effet chaque jour sur sa table le volume que j'avais la veille mis à sa place dans la bibliothèque. Il ne se lassait pas de raconter les traits, les épisodes, les circonstances les plus minutieuses de leur vie, qui s'offraient à sa mémoire avec une abondance et une précision admirables.

Il encourageait beaucoup à prier pour les âmes du purgatoire, lui-même ne cessait de prier pour elles; il offrait à leur intention ses douleurs et ses insomnies de la nuit. Ces saintes âmes, disait-il, ne peuvent rien pour elles, mais elles peuvent beaucoup pour nous.





(509) Session 51 - 16 mai 1863 à 3h de l'après-midi



Prosequendo decimum octavum Interrogatorium et relative ad Orationem, testis respondit:

Je ne puis rien dire de bien précis sur son oraison, mais tout indiquait dans sa conduite habituelle, que son âme était continuellement unie à Dieu. Un grand nombre de faits que j'ai rapportés le prouveraient suffisamment. 510 Dans ses prières et ses oraisons, aucun signe extérieur, extraordinaire, ne révélait les opérations de la grâce; on ne s'en apercevait qu'à son air pieux et profondément recueilli; il était ennemi de toute affectation.



Quoad fortitudinem, testis respondit:

Mr Vianney a pratiqué la vertu de force toute sa vie. C'est elle qui lui a fait embrasser un genre de vie si dur et si pénible à la nature. Il a été fort contre lui-même, pour se vaincre et pour dompter ses passions; il a été fort contre les obstacles et les difficultés qu'il a rencontrés. En parlant de l'Espérance, j'ai assez montré quelle était sa confiance en Dieu. Quant à la constance, il en a fait preuve en persévérant jusqu'à la fin dans la vie de mortification et de sacrifices qu'il avait embrassée.



Quoad Patientiam, testis respondit:

Il a pratiqué toute sa vie la vertu de Patience, quoiqu'il fût naturellement d'un caractère très vif. Pendant qu'il était réfugié aux Noës, il promit à Dieu de ne jamais se plaindre, quoi qu'il lui arrivât. Voici à quelle occasion: Obligé de se cacher pour échapper à une visite de gendarmes, il se trouva pendant plusieurs heures dans la position la plus pénible. Jamais, disait-il plus tard, je n'ai tant souffert. C'est alors qu'il fit la promesse en question et il la tint toute sa vie.

Le Serviteur de Dieu a eu beaucoup à souffrir de différentes infirmités qui s'aggravaient d'année en année à mesure qu'il approchait de la vieillesse. Il était sujet à des douleurs d'entrailles, àdes maux de tête fréquents, mais quelles que fussent ses douleurs, non seulement il les supportait avec une grande patience, mais encore il conservait toujours un visage calme et souriant; il plaisantait lui-même sur ses grandes souffrances; il se contentait de dire parfois: Oui, je souffre un peu. Il prenait très peu de sommeil et il convenait lui-même que lorsqu'il avait dormi deux heures, cela était suffisant pour le reposer. Le plus souvent, il ne jouissait pas même de ce repos. Accablé, épuisé de souffrance, il se levait à tout instant, comme il l'a avoué parfois. On l'a vu si faible et si abattu qu'il ne marchait qu'en chancelant et ne se rendait à l'église qu'avec peine. Cet état de prostration ne l'arrêtait pas dans l'exercice de son zèle, dans la visite de sa paroisse et des paroisses voisines, dans les soins qu'il prodiguait aux pèlerins. 511 Pendant l'été, la chaleur l’étouffait au confessionnal et lui donnait, il en convenait lui-même, une idée de l'enfer; il en était de même en sens inverse pendant l'hiver. Au milieu de toutes ses souffrances, jamais un mot de plainte. Sa patience n'était pas moins grande quand il avait à supporter quelque humiliation ou quelque contradiction. Ce n'est pas qu'il n'éprouvât intérieurement une vive répugnance. J'ai entendu, moi-même, quelqu'un lui parler d'une manière très dure; le pauvre curé tremblait de tous ses membres, mais pas un mot de reproche. Il disait lui-même à la suite d'une autre scène de ce genre: Quand on a vaincu ses passions, on laisse trembler ses membres.

Quelle patience ne lui fallait-il pas chaque jour pour rester maître de lui-même et plein de bonté au milieu de cette foule qui le poursuivait, le pressait, le harcelait sans cesse, sans, épargner les importunités et les indiscrétions. On allait jusqu'à lui couper ses cheveux. Une personne fut obligée de se tenir auprès de lui à l'église pour empêcher ce zèle inopportun. Cette personne eut de la peine un jour à empêcher un pèlerin d'exécuter son projet. Le bon Curé, entendant la discussion qui s'éleva à ce sujet, se tourna et dit: Vous faites bien tant de bruit. - Mais, Mr le Curé, on vous coupe les cheveux! - Il en reste encore assez, répliqua-t-il sans la moindre marque d'impatience, et il continua ce qu'il faisait. Une personne avec qui il vivait habituellement, a beaucoup exercé sa patience, il ne l'en aima qu'avec plus de tendresse. Combien je lui ai de reconnaissance! disait-il; sans elle, j'aurais eu de la peine à savoir que j'aimais un peu le bon Dieu.

On le calomnia souvent, on alla jusqu'à l'attaquer dans ses moeurs; on lui écrivit des lettres remplies d'injures. Il supporta tout avec patience. Il se contentait de dire à ce sujet: quand j'étais calomnié, j'étais heureux. Il me disait un jour: Il ne faut jamais parler de ses souffrances. - Mais, Mr le Curé, lui répondis-je, quand on a le coeur fatigué, c'est un soulagement de verser ses peines dans le sein d'un ami. Il me répondit: Oh! non, il vaut mieux ne rien dire. Une fois, j'éprouvais beaucoup d'ennuis, des contradictions, j'ai voulu en faire part à quelqu'un de bien prudent, mais aussitôt après, je me suis senti le coeur tout sec devant le bon Dieu.



Quoad Temperantiam, testis respondit:

Pendant qu'il faisait ses études à Ecully, il pratiquait déjà la mortification.

(512) C'est ainsi que j'ai appris de sa cousine Fayolle qu'il l'avait priée de lui faire sa soupe sans beurre et sans lait et qu'il n'était pas content lorsqu'elle ne se conformait pas à ses désirs; dès lors, il se contentait ordinairement de sa soupe.

J'ai su que pendant qu'il était vicaire à Ecully, il redoubla ses mortifications, rivalisant de zèle avec son curé, Mr Balley. Effrayé des mortifications de ce saint homme, il pria Mr Courbon, Vicaire Général, de le rappeler à la modération; le curé en fit autant pour son vicaire. Ensemble, ils se privaient de vin à leurs repas, mangeaient peu et toujours des mets assaisonnés de la même manière pendant un assez long temps. Avant de mourir, Mr Balley remit confidentiellement ses instruments de pénitences à son cher disciple.

En arrivant à Ars, Mr Vianney amena avec lui pour lui servir de domestique une bonne veuve, qui ne resta pas longtemps à poste fixe. Mr le Curé se passait volontiers de cuisinière. La bonne femme revenait de temps en temps, seulement alors elle était sûre de ne rien trouver dans le ménage de son curé, pas même du pain; elle lui en apportait quand elle revenait; bientôt même cette femme ne revint plus, Mr Vianney resta complètement seul. Une femme d'Ars, nommée Claudine Renard, lui rendait quelques petits services pour son ménage. Cette bonne voisine a souvent pleuré en voyant le régime si sévère de son curé. Il avait eu en héritage de Mr Balley, curé d'Ecully, un petit mobilier; un lit, une armoire, des chaises et des linges. Les pauvres en héritèrent à leur tour. Lorsque Claudine Renard allait faire, le matin, le lit de Mr le Curé, elle trouvait à coté la couette de plume, le matelas; elle remettait/tout en place, mais bientôt ces objets avaient disparu, il ne restait plus que la paillasse. Souvent même, Mr Vianney coucha dans son grenier, sur le plancher. Chaque année, ses paroissiens lui donnaient du blé qu'on faisait moudre; il en faisait des matefaims. J'avais bientôt, me disait-il, préparé mon dîner. Je faisais trois matefaims; pendant que je faisais le second, je mangeais le premier; en faisant le troisième, je mangeais le second; je mangeais le troisième en rangeant ma poêle et mon feu. Je buvais un bassin d'eau et je m'en allais, et j'en avais pour deux ou trois jours. Quand on lui faisait un pain, ce n'était pas lui ordinairement qui achevait de le manger; les pauvres en avaient la plus grande part. Un jour Claudine Renard lui porta un pain tout entier; le soir il ne restait rien, Mr le Curé l'avait donné. 513 Cette même femme trouva une fois Mr Vianney mangeant de l'oseille: dans son jardin; il lui dit: J'ai essayé de manger de l'herbe, je n'ai pas pu y tenir, le pain paraît nécessaire. Mr Vianney faisait aussi quelquefois cuire des pommes de terre pour plusieurs jours et quand la faim le pressait, il prenait une ou deux de ces pommes de terre et son repas était fait. Il achetait du pain des pauvres, il en faisait sa nourriture. Mademoiselle Lacan remplaça Mme Renard à sa mort. Elle se prêtait volontiers à rendre à Mr Vianney quelques petits services; elle lui préparait de temps en temps sa nourriture, elle s'efforçait d'introduire quelqu'adoucissement dans le régime si sévère du Serviteur de Dieu; mais elle ne réussit pas mieux que ne l'avait fait Claudine Renard. Mademoiselle Pignault, autre personne pieuse et dévouée qui prit pendant quelque temps soin du ménage de Mr le Curé, ne fut pas plus heureuse. Un jour mademoiselle Lacan, ayant préparé un pâté, le porta en cachette dans une armoire de la cure. Le soir, quand Mr le Curé fut rentré, elle se rendit au presbytère et dit à Mr Vianney d'un air tout joyeux: Mr le Curé, voulez-vous manger du pâté? - Volontiers, répondit le Curé. Mais la bonne demoiselle étant allée à l'armoire, ne trouva rien. Le pâté, découvert par Mr Vianney, avait disparu. Une autre fois, mademoiselle Lacan porta à Mr le Curé un plat de beaux matefaims, que le pasteur avait accepté d'avance. Quand le plat est devant lui, il joint les mains, lève les yeux au ciel comme pour dire le Benedicite et tandis qu'on fait le signe de la croix et qu'on se recueille autour de lui, il prend les matefaims, descend rapidement et les porte aux pauvres. Mr Vianney macérait son corps par de violentes disciplines. Mademoiselle Lacan m'a dit l'avoir entendu se frapper, une heure ou deux. Un cilice en crin usé, son linge ensanglanté, des morceaux de chaîne trouvés chez lui, prouvent la sévérité dont il usait à l'égard de son corps. Il commanda un jour à un maréchal de petits morceaux de fer qui pouvaient s'adapter à une chaîne. Nous achetâmes par ses ordres une chaîne d'une grosseur déterminée; des clefs trouvées souvent éparses dans sa chambre avaient sans doute servi aux mortifications qu'il s'infligeait. Il cachait ses instruments de pénitence. Je vis néanmoins un soir une discipline oubliée, il me recommanda d'en rien dire. 514 Nous lui préparions tous les jours une tasse de lait avec un peu de chocolat, c'était tout ce qu'il prenait quelquefois pendant huit ou neuf jours. Plus d'une fois, arrivé chez lui, il appelait en secret une de nos enfants et lui faisait porter sa nourriture aux pauvres. Nous nous apercevions souvent que le pain, le fromage, déposés chez lui pour la journée, allaient aux pauvres. Il ne buvait point de vin à moins qu'il ne fût en compagnie. Il prit un peu de vin blanc pendant sa maladie par ordre du médecin. On lui portait le matin une tasse de lait, à midi un plat de légume ou de la viande. Il nous avait défendu de lui servir plus d'un plat. Il mangeait à peine une livre de pain par semaine. Pendant le Carême, il ne faisait qu'un seul repas à midi; quelques années avant sa mort, il prenait quelque chose le matin, mais il mangeait moins à midi. Je lui disais un jour: Mr le Curé, mangez donc un peu plus, vous ne pourrez pas tenir en vivant de la sorte. - Oh! que si! répondit-il gaîment; j'ai un bon cadavre, je suis dur. Après que j'ai mangé, et que j'ai dormi deux heures, je peux recommencer. Il était quelquefois si épuisé qu'il était obligé de se lever pendant la nuit pour prendre quelque chose. Je le rencontrais une fois ne pouvant plus se soutenir. Je lui dis: Vous êtes bien content maintenant. Il me répondit: Beaucoup! Allons, disait-il quelquefois quand il pouvait à peine se soutenir, allons, mon pauvre Colon, debout, tiens-toi bon!, faisant allusion à un ivrogne de ce nom qui s'apostrophait ainsi pour se donner des jambes. Il nous disait: Je pense souvent, mais je n'ose pas vous le dire; que si vous aviez plus de charité pour moi; vous ne prépareriez rien pour moi; vous m'enverrez en purgatoire. Il me dit un jour: Le matin, je suis obligé de me donner deux ou trois coups de discipline pour faire marcher mon cadavre, ça réveille les fibres... Il vaut mieux, disait-il encore, coucher sur un lit dur, il n'en coûte pas tant pour se lever. Quoiqu'il craignît beaucoup le froid, il ne portait jamais de manteau et il fallait avoir recours à des ruses pour lui faire porter des vêtements un peut chauds. Pendant les premières années qu'il était à Ars, il pouvait plus facilement, comme il me le disait, se livrer aux pratiques de la pénitence, parce qu'il était plus libre. J'ai oublié de dire qu'une dame m'a raconté que lorsqu'il était au grand séminaire, il se donnait la discipline une partie de la nuit.

(515) Elle tenait ce fait d'un ecclésiastique qui habitait à côté de sa cellule.

J'ai trouvé un billet écrit de sa main, où il se proposait de se priver de certains aliments pendant un certain temps. Il aimait beaucoup les fruits, il n'en mangeait jamais depuis un bon nombre d'années.



Quoad Paupertatem, testis respondit:

A Ars, le Serviteur de Dieu a presque continuellement vécu d'aumônes. Les pauvres meubles qui meublaient sa chambre ne lui appartenaient pas. Parmi les pièces qui composaient le presbytère, sa chambre à coucher seule était logeable et cependant elle était plus modeste que celle d'un religieux. Dans cette petite pièce laide, noire, enfumée, éclairée par deux fenêtres sans rideaux, tout avait et tout a conservé jusqu'à présent un air de vétusté et de délabrement. Je lui portais son déjeûner dans des tasses un peu convenables que l'on me donnait pour avoir celle dont il s'était servi; elles disparurent et nous trouvâmes les morceaux dans un coin. Nous lui fîmes des reproches. On ne peut donc pas venir à bout d'avoir la pauvreté dans son ménage..., répondit-il. Il ne s'occupait point du tout de son vestiaire; on lui achetait ses soutanes et ses chemises. On rachetait ensuite les soutanes en l'autorisant à les porter aussi longtemps qu'il voudrait. L'argent qu'on lui donnait était pour ses pauvres. Le désordre de sa mise prêtait quelquefois à des plaisanteries. C'est assez bon pour le Curé d'Ars, disait Mr Vianney: quand on a dit: C'est le Curé d'Ars, on a tout dit. Un jour il jeta par mégarde un billet de banque de cinq cents francs au feu. Je lui dis: Mr le Curé, vous avez des billets de banque, prenez garde de ne pas les brûler. Il me répondit sans émotion: Tiens, c'est fait. Il était complètement détaché de tous les biens de ce monde et n'éprouvait aucun désir de voyager, dans ce siècle de voyages; 516 il n'a jamais vu les chemins de fer, qui amenaient tant de pèlerins à Ars et qui passaient près de sa paroisse.



Quoad humilitatem, simplicitatem et modestiam, testis respondit:

La simplicité et la modestie brillaient d'une manière toute particulière dans le Serviteur de Dieu. Chez lui point d'ostentation, point de mise en scène, rien de contraint ni d'affecté, rien absolument de l'homme qui veut paraître. Une simplicité d'enfant, un mélange d'abandon, de candeur, d'ingénuité, de grâces naïves qui, se combinant avec la finesse de son tact et la sûreté de son jugement, donnait un charme inexprimable à sa conversation et à toute sa conduite. Au milieu de tous les éloges qu'il recevait, de la gloire qui l'entourait, il était d'une humilité admirable. Il me dit un jour, en me racontant que Monseigneur avait demandé si Mr le Curé d'Ars n'avait point d'orgueil au milieu de la foule qui s'empressait autour de lui et lui donnait des marques si nombreuses de vénération: Je serais plus tenté de désespoir que d'orgueil. Je n'ai jamais remarqué, ni dans ses paroles, ni dans ses actions, rien qui indiquât un retour sur soi-même, un sentiment d'orgueil. Mgr Devie lui avait offert la paroisse de Fareins; il était décidé à accepter, parce qu'il pensait pouvoir établir plus facilement sa Providence. Il fit part de son projet à mes compagnes et à moi. Mais le lendemain il vint nous trouver et nous dit: Pauvre orgueilleux, j'étais sur le point d'accepter Fareins, et je puis à peine faire le bien dans la petite paroisse d'Ars. Pauvre orgueilleux! J'ai déjà tant de peine à me défendre contre le désespoir à cause de la responsabilité des âmes. On l'a vu plus d'une fois les jours de Dimanche quitter précipitamment sa stalle, se réfugier dans la sacristie et en fermer la porte, parce que le prédicateur disait quelques mots à sa louange. 517 Il se regardait comme le plus grand des pécheurs et quant aux facultés intellectuelles, il se comparait à un idiot de la paroisse.





(519) Session 52 - 18 mai 1863 à 8h du matin



Prosequendo decimum octavum Interrogatorium et relative ad humilitatem, testis respondit:

On avait fait le portrait du Serviteur de Dieu sans son consentement, à cause de la vénération qu'on avait pour lui. Ce portrait avait été lithographie et mis en vente. Beaucoup de personnes le vendaient à Ars; il en était très peiné. Quand il le voyait, il disait, avec mépris: Toujours ce carnaval... C'était le nom qu'il donnait à son portrait. 520 Quand il eut vu le premier, il vint à la Providence et me dit: On a fait mon portrait, c'est bien moi, j'ai l'air bête, bête comme une oie... Il dit un jour à une petite marchande: Tu me pends et tu me vends. Quelquefois on lui présentait ce portrait à bénir, à la sacristie. Qu'est-ce que vous avez là? disait-il. On vous a trompé: cela ne vaut rien du tout. Et il refusait de les bénir et de les signer. On avait mis en vente un portrait mieux soigné et plus cher que les autres. Hélas! dit en souriant Mr Vianney, on est bien averti à chaque instant du peu qu'on vaut... Quand on me vendait deux sous, j'avais encore des acheteurs; depuis qu'on me vend trois francs, je n'en ai plus...

Il n’aimait pas la publicité qu'on donnait à son nom. Il était très peiné des biographies que l'on imprimait. Pourquoi travaille-t-on tant sur moi et pas sur les autres, disait-il. Un ecclésiastique qui avait été avec lui lui fit part du projet qu'il avait de faire sa vie, il en fut très peiné. L'humilité était sa vertu favorite, il en parlait sans cesse. Elle est pour les vertus, disait-il, comme la chaîne du chapelet; si la chaîne est brisée, les grains s'en vont; si l'humilité cesse, toutes les vertus disparaissent. Il rappelait souvent un trait de la vie de saint Macaire. Le diable, disait-il, lui apparut un jour et lui adressa ces paroles: Tout ce que tu fais, je le fais mieux que toi. Tu jeûnes, je ne mange jamais; tu veilles, je ne dors jamais; mais il est une chose que tu fais et que je ne puis faire; tu pratiques l'humilité.

Il recevait souvent des lettres de louanges; il disait alors: Si on me connaissait, on ne m'écrirait pas de la sorte. Il paraissait content toutes les fois que des personnes, qui avaient entendu parler de lui avec éloge, disaient en le voyant, avec une espèce de surprise, qui exprimait le désappointement: C'est donc vous?... Des personnes haut placées, des évêques, des hommes illustres, venaient visiter le Serviteur de Dieu; il était humilié de recevoir ces visites et il disait: J'aimerais bien mieux voir une pauvre vieille femme qui viendrait me demander l'aumône.

Monseigneur Chalandon, évêque de Belley, le nomma chanoine honoraire, et lui apporta lui-même le camail. Lorsqu'il voulut l'en revêtir, il pria Mgr de le donner à un confrère qui était présent. Il consentit par obéissance à le garder pendant la cérémonie. Il le vendit à une personne pieuse pour compléter une fondation. Il me dit: Des personnes ont pensé que Mgr serait mécontent de ce que j'avais vendu mon camail. Je lui ai écrit qu'il me manquait encore cinquante francs pour compléter une fondation de mission et qu'il ne serait pas fâché d'y avoir contribué. Il me disait plus tard: J'ai eu de l'esprit de vendre mon camail, on se serait moqué de moi.

Lorsqu'il reçut l'écrin dans lequel était la croix qui lui avait été conférée par le chef de l'Etat, il ne savait pas ce qu'il renfermait, si c'était des reliques ou autre chose. Quand il l'eut ouvert, il dit à Mr Toccanier qui lui avait apporté l'écrin: C'est ma croix! Tenez, mon ami, vous aurez le profit, moi l'honneur. J'aurais bien préféré qu'on m'eût donné quelque chose pour mes pauvres. J'étais présente quand ce fait eut lieu.

J'ai demandé à Dieu, me dit-il un jour, de connaître ma pauvre misère. Je l'ai connue et j'ai été si accablé que je l'ai prié de diminuer la peine que j'éprouvais; il me semblait que je ne pouvais plus y tenir.

Dès qu'il s'apercevait qu'en parlant de lui, il attirait l'attention des personnes avec lesquelles il conversait, il passait tout de suite à un autre sujet. On était obligé d'avoir recours à la ruse et à l'adresse pour surprendre sa bonhomie et apprendre de lui ce qu'on voulait savoir. Il nous avait défendu de rien dire de ce qu'il nous avait communiqué ou de ce que nous avions remarqué nous-mêmes.



Quoad castitatem, testis respondit:

Mr Vianney eut toujours un grand amour de la chasteté. En parlant un jour des enfants qui embrassaient leurs parents, il me dit: c'est permis, et cependant j'ai refusé souvent d'embrasser ma pauvre mère. Je lui ai entendu dire aussi que s'il n'avait pas été prêtre, il n'aurait pas connu le mal. Ses paroles, ses actions, ses démarches ont toujours montré le grand amour qu'il avait pour la chasteté. On n'a jamais rien pu surprendre chez lui qui méritât le moindre blâme ou pût faire naître l'ombre d'un soupçon. Si quelques propos ont pu être tenus par des gens mal intentionnés et sans bonne foi, ils n'ont jamais pu rencontrer la moindre créance.



Ad decimum nonum Interrogatorium, testis respondit:

Le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus dont je viens de parler à un degré héroïque. J'entends par vertu héroïque une vertu pratiquée à un haut degré de perfection. Je crois en avoir fourni la preuve dans les dépositions que j'ai faites sur chaque vertu. Le Serviteur de Dieu a persévéré jusqu'à la mort dans la pratique de ces vertus. Loin de se relâcher, il est allé plutôt à une perfection plus grande, et je n'ai jamais rien connu qui ait obscurci l'éclat des vertus qu'il a pratiquées.



Ad vigesimum Interrogatorium, testis respondit:

Les personnes qui approchaient de plus près le Curé d'Ars ne savaient presque rien au sujet des dons surnaturels. Mr Vianney tenait ses grâces secrètes, et nous ne savions ordinairement quelque chose que par les personnes qui avaient été dans le cas de mieux remarquer que nous ou à qui les choses étaient arrivées.

Quant au don des larmes, le Serviteur de Dieu pleurait souvent au catéchisme, au confessionnal, en chaire, en donnant la Ste Communion, et surtout quand il parlait du péché et de l'amour de Dieu. Quelquefois, il paraissait tout heureux; tout à coup sa voix s'altérait et il se mettait à pleurer.

J'ai entendu dire qu'il lisait au fond des coeurs, mais je ne puis pas donner de détails.

Quant aux visions et révélations, voici ce que je puis déposer. Un jour qu'il prenait son petit repas à la Providence, ne sachant pas qu'il y avait quelqu'un dans l'appartement, il dit: Depuis dimanche, je n'ai pas vu le bon Dieu. L'une de mes compagnes qui l'entendit lui dit: Mr le Curé, avant Dimanche, vous le voyiez donc? Il ne répondit rien.

Quelque temps après qu'il eût érigé une chapelle à St Jean Baptiste dans l'église d'Ars, il dit en chaire: Mes frères, si vous saviez tout ce qui s'est passé dans cette chapelle, vous n'oseriez pas y'entrer; vous n'oseriez pas même y mettre les pieds. Je n'en dis pas davantage:

(525) si Dieu l'avait voulu, il vous l'aurait fait connaître.

Quelque temps après que le pèlerinage eût été établi, il nous dit à la Providence: J'avais pensé qu'un jour Ars aurait de la peine à contenir les étrangers qui y viendraient. Cela arriva effectivement plus tard.

J'ai ouï dire qu'il dit un jour à une jeune fille: Il faut vous en aller. Le lendemain, voyant qu'elle n'était pas partie, il lui dit encore: Il faut vous en aller. Elle se hâta de terminer sa confession et partit; elle trouva sa mère ou sa soeur malade ou morte. Je ne sais pas bien si c'est l'un ou l'autre.

Un autre jour, il dit aussi à une jeune fille de s'en aller et de se trouver chez elle à neuf heures du matin. Elle arriva effectivement à neuf heures et mourut subitement.

A l'âge d'environ trente ans, j'eus une maladie violente et le délire pendant plusieurs jours. Le médecin me regardait comme tout à fait perdue dans le délire, j'aperçus deux femmes habillées de blanc dans une attitude de prière. La fièvre disparut subitement et je me sentis guérie. Cependant il me resta un état de faiblesse pendant quelque temps. J'ai su que Mr le Curé d'Ars avait prié pour moi Ste Philomène.

Un jeune homme était venu à Ars avec des béquilles; il alla à la sacristie et demanda à Mr le Curé s'il devait porter ses béquilles devant l'autel de Ste Philomène. Mr le Curé lui dit de le faire. Quand il fut devant l'autel, il fut subitement guéri. Je l'ai vu moi-même marcher très bien sans béquilles.

J'ai entendu parler de beaucoup d'autres faits miraculeux, sur lesquels je ne puis pas donner de détails précis.

(524) Je lui ai entendu dire: Il faut que je prie Ste Philomène de ne pas tant faire de miracles ici, mais de les faire plus loin. Cela nous amène trop de monde.

Je lui ai entendu dire qu'un jour qu'il distribuait la Ste Communion, la sainte hostie alla elle-même se déposer sur la langue d'une personne qui communiait.

Le meunier avait pris dans le grenier de la cure cent mesures de blé. Je sais que Jeanne Marie, ma compagne, y alla avec Mr le Curé et trouva les cent mesures remplacées et plus.

Nous étions un jour presque sans farine à la Providence, et il était impossible d'en faire, les moulins ne marchant pas. Je dis à celle de mes compagnes qui faisait le pain: Si nous cuisions le peu de farine qui nous reste? - J'y ai pensé, me répondit-elle, mais avant je veux consulter Mr le Curé. Il restait pour faire trois pains; je craindrais d'exagérer en disant quatre. Sur la réponse de Mr le Curé, ma compagne se mit à pétrir; pendant qu'elle pétrissait, la pâte s'épaississait; elle mettait de l'eau; à la fin, le pétrin fut plein et elle fit une fournée de dix gros pains de vingt à vingt-deux livres. Je portais moi-même la farine et je fus aussi étonnée que ma compagne quand je vis le nombre de pains qui étaient sortis du pétrin.

Je crois qu'il y a eu une multiplication de vin et je n'en doute pas. Voici le fait. Un tonneau s'était répandu tout entier. On recueillit le plus clair dans deux petits seaux. On versa ce vin dans un tonneau qui était à peu près vide, d'après ma conviction. On tira du vin de ce tonneau jusqu'à ce qu'on ne pût plus en tirer, d'après ma conviction. Il y avait un petit tonneau vide à moitié. Il ne restait que cinquante litres. On transvasa cette moitié de tonneau dans celui dont je viens de parler, qui était de la contenance de deux cent dix litres, et il se trouva plein. Je dis à Mr le Curé: Je ne sais pas si c'est Jeanne ou Marie qui a fait un miracle, mais le tonneau s'est trouvé plein. Mr Vianney répondit simplement: Ah! elles ont trouvé plus de vin qu'elles ne pensaient. Il n'ajouta rien de plus.

(525) Un jour, je distribuais aux enfants un plat de courge. Mr le Curé prit le plat et se mit à servir lui-même. Comme il faisait les parts beaucoup plus fortes que moi, je lui fis observer qu'il n'y en aurait pas pour tout le monde. Il continua de la même manière et tout le monde fut servi. Je ne saurais dire si je m'étais déjà servie de ce plat; du moins maintenant je n'en suis pas sûre mais sur le moment j'ai regardé le fait comme un miracle.





(527) Session 53 - 18 mai 1863 à 3h de l'après-midi



Prosequendo vigesimum Interrogatorium, testis respondit:

Le Serviteur de Dieu avait une grande lumière pour la direction des âmes, pour connaître les vocations; des grâces particulières pour la conversion des pécheurs. J'ai vu beaucoup de personnes converties par lui et j'ai entendu parler de beaucoup de conversions remarquables.



Ad vigestimum primum Interrogatorium, testis respondit:

Je ne connais point de livres écrits par le Serviteur de Dieu, point de traité, point d'opuscules. Il a composé quelques prières qui ont été insérées dans un livre de piété intitulé "Le guide des âmes pieuses". Il a écrit des lettres; je ne sais à quelles personnes il les a adressées ni entre les mains de qui elles pourraient se trouver.



Ad vigesimum secundum Interrogatorium, testis respondit:

Le Serviteur de Dieu est mort à Ars le quatre Août mil huit cent cinquante-neuf, d'épuisement. Je lui remis un ruban pour porter le St Sacrement à la Fête-Dieu de mil huit cent cinquante-huit; il me dit qu'il le porterait pour la dernière fois. En effet il était si faible en mil huit cent cinquante-neuf qu'il n'eut pas assez de force pour soutenir l'ostensoir. Au mois de Novembre de la même année, il me remit un reçu pour toucher la rente de trois cent soixante francs dont j'ai déjà parlé. En me le remettant, il me dit: Ce sera pour la dernière fois. Il tomba malade le vendredi après avoir fait des efforts héroïques pour rester au confessionnal toute la journée. Il semblait en effet y prolonger ses séances à la fin de sa vie. J'allais le voir le samedi, il me dit: C'est ma pauvre fin. Il faut aller chercher le Curé de Jassans ( - qui était son confesseur -). - Ce ne sera rien, lui dis-je, je vais aller chercher le Frère Jérôme. - Cela ne servira de rien, répondit-il. Sa maladie a duré sept jours. Pendant tout le temps, il fut calme, sans inquiétude et d'une patience admirable. On lui proposa le mardi de l'administrer le mercredi; il répondit: Non, tout de suite. Il fut pendant sa maladie ce qu'il avait été pendant sa vie, c'est-à-dire pieux et fervent.



Ad vigesimum tertium Interrogatorium, testis respondit:

(529) Le corps du Serviteur de Dieu fut exposé au rez-de-chaussée de la Cure. Il fut déposé le samedi, après la cérémonie des funérailles, dans la chapelle de St Jean Baptiste, jusqu'à ce qu'on eût préparé le caveau qui devait le recevoir. Cinq ou six mille personnes assistaient aux funérailles, qui furent présidées par Mgr l'Évêque. C'était des personnes de toutes conditions, des prêtres, des religieux, des religieuses, des laïques de toutes les classes. Je ne connais pas d'autres faits remarquables qui aient eu lieu dans cette circonstance.



Ad vigesimum quartum Interrogatorium, testis respondit;

Le Serviteur de Dieu a été inhumé dans l'église d'Ars au milieu de la nef. Une pierre sépulcrale ordinaire, avec cette inscription: Jean Marie Baptiste Vianney, Curé d'Ars, indique le lieu où il repose. Les fidèles viennent en foule visiter ce tombeau; mais rien dans ces visites ne ressemble à un culte public.



Ad vigesimum quintum Interrogatorium, testis respondit:

La réputation de sainteté, de vertus et de dons surnaturels du Serviteur de Dieu a existé de son vivant et après sa mort. Elle a eu sa source dans les vertus qu'il a pratiquées, dans la sainteté de sa vie; elle n'a pas eu d'autre origine. Cette réputation s'est formée parmi les personnes graves et instruites comme parmi les ignorants. Cette réputation, qui avait commencé à Ecully, a continué à Ars, s'est répandue peu à peu, s'est étendue bientôt on peut dire dans toute la France, elle s'est même répandue à l'étranger; elle n'a jamais été interrompue, elle n'a jamais subi ni de diminution, ni d'altération, et est allée sans cesse en s'accroissant. Elle est la même aujourd'hui; on peut dire qu'elle est plus florissante. On n'a rien écrit, rien dit et rien fait pour l'attaquer.



Ad vigesimum sextum Interrogatorium, testis respondit:

Je n'ai pas ouï dire que la réputation de sainteté du Serviteur de Dieu ait été attaquée par qui que ce soit. Elle a été si incontestable pendant sa vie, qu'une foule de pèlerins accouraient à Ars; on peut en évaluer le nombre à quatre vingt mille par an. On ne se bornait pas à le voir, à l'entendre, à recevoir sa bénédiction; on voulait posséder un souvenir de lui, un objet qui lui eût appartenu, une image qu'il avait signée. On tenait à avoir quelque chose qui lui eût appartenu. On coupait son surplis, sa soutane, ses cheveux. On me demandait ses objets usés pour les remplacer par des objets neufs. Quand il fut mort, une foule immense circulait autour de son corps exposé, pour lui faire toucher des images, des chapelets et autres objets de piété. Les habitants de Dardilly auraient enlevé son corps, s'il ne l'eût légué à Ars, sur les instances de Mgr Chalandon. Après sa mort, comme nous l'avons dit, un concours considérable se fit autour du tombeau du Serviteur de Dieu, pour le vénérer et demander des grâces par son intercession. Les fidèles tiennent plus que jamais à avoir quelque chose qui lui ait appartenu.



Ad vigesimum septimum Interrogatorium, testis respondit:

J'ai entendu parler de plusieurs faits miraculeux opérés, depuis la mort du Serviteur de Dieu, par son intercession.

En particulier une dame de Tain, diocèse de Valence, m'a raconté qu'elle avait au ventre une tumeur très mauvaise, depuis cinq ans; que les médecins avaient déclaré la maladie incurable. Qu'elle avait fait une neuvaine au Curé d'Ars, avait appliqué un morceau du cordon de ses souliers et qu'elle avait été subitement guérie. La guérison a persévéré.

Une soeur Clarisse de Lyon a amené à Ars une sourde-muette; elle m'a dit que par l'intercession du Curé d'Ars, l'enfant entendait et parlait.

J'ai entendu parler de la guérison miraculeuse d'un enfant de St Laurent lès Mâcon et de beaucoup d'autres faits miraculeux opérés par l'intercession du Serviteur de Dieu.



(531) Ad vigesimum octavum Interrogatorium, testis respondit:

Relativement à la tempérance, je puis ajouter à ce que j'ai dit que le Serviteur de Dieu mortifiait l'odorat, soit en ne craignant pas les odeurs mauvaises, soit en fuyant les odeurs agréables.

Un jour il me disait: Si mon corps a faim, je mettrai un morceau de bois sur la table et je lui dirai: Tiens, ronge si tu veux.

Il consacrait presque tout son temps à la prière, à la mortification, à la charité à l'égard du prochain. Quelques minutes lui suffisaient pour prendre son repas debout, et il ne s'asseyait que très rarement, lorsqu'il était très fatigué.



Interrogé si le témoin avait quelque chose à ajouter à sa déposition, il a répondu:

Je ne me rappelle plus rien.



Et expleto examine super interrogatoriis, deventum est ad articulos, super quibus testi lectis, dixit, se tantum scire, quantum supra deposuit ad interrogatoria, ad quae se retulit.

Sic completo examine integra depositio perlecta fuit a me Notario a principio usque ad finem testi supradicto alta et intelligibili voce. Qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in eamdem perseverare et illam confirmavit.




Ars Procès informatif 462