Ars Procès informatif 1465

Catherine Lassagne – 2ème déposition – 13 août 1864

1465 (1465) Session 162 – 13 août 1864 à 3h de l’après-midi



(1466) Et quoniam praedictus testis iterum vocatus est ad explicanda quaedam facta in prima depositione non satis expresse memorata, verbi gratia, secundam fugam, etc., statim interrogatus fuit super Interrogatorio decimo sexto, super quo ei lecto respondit:



Le Serviteur de Dieu nous avait parlé bien des fois du désir dont il était tourmenté, d’être déchargé de sa paroisse, pour aller dans la solitude pleurer ses péchés et se préparer à la mort. Dans la semaine où l’on décida, à la retraite pastorale de Bourg, que Mr Raymond serait nommé curé, et que Mr Toccanier, missionnaire du diocèse, le remplacerait à Ars, Mr Vianney qui devait ignorer ces combinaisons, me dit, le jeudi ou le vendredi, au moment où je lui portais son repas: “J’ai pensé que je devais partir cette fois ; je partirai lundi dans la nuit. Vous n’en direz rien. - Oh! Mr le Curé, il ne faut pas vous en aller !” lui dis-je aussitôt. Je ne me rappelle pas le reste de la conversation. Ce secret me pesait beaucoup et me causait un grand ennui. Je lui demandai, le dimanche, la permission de le communiquer à Marie Filliat, ma compagne. Il me le permit. Je ne sais si ce fut dans ce moment qu’il me remit une lettre à l’adresse de Mgr l’Evêque de Belley, me chargeant de la mettre à la poste dès qu’il serait parti. Cette lettre me fut au moins remise le matin avant son départ. Le soir vers les huit heures, ma compagne et moi, nous allâmes demander à Mr le Curé s’il était toujours dans l’intention de partir, et quand il nous eut dit que ses intentions n’étaient pas changées, nous le suppliâmes de ne pas quitter la paroisse. Avant de rentrer dans nos appartements, nous nous arrêtâmes un moment en dehors du portail de la cour du presbytère, et nous nous dîmes entre nous: “Que ferons-nous? Il faut que nous cherchions un homme pour l’accompagner. Vous, Marie Filliat, vous devez bien porter le panier de provisions; mais il est si faible, et s’il vient à se trouver mal, que ferez-vous? - C’est bien vrai, mais qui choisirons-nous (1467) qui puisse garder le secret ?” Nous étions dans ces perplexités, lorsque le Frère Jérôme vint à passer. Il parut tout étonné de nous voir là à une heure aussi avancée (il devait être neuf heures du soir). Il s’arrêta et nous lui dîmes: “Frère, nous sommes très ennuyées. - Qu’est-ce donc? - Tout ce que je puis vous dire, répondis-je, c’est que si on vous appelle cette nuit, soyez prompt à vous lever. - Est-ce que Mr le Curé s’en va? - Nous le craignons. - Eh bien ! nous ne nous coucherons pas. Vous n’avez pas besoin de m’en dire davantage ; ce qu’il m’a dit me fait croire que c’est vrai.” Ma compagne, sans me rien dire, alla ensuite chez les Frères pour leur dire que le départ du curé n’était que trop certain. Tout fut organisé pour l’arrêter ou le suivre. Pour nous, nous préparâmes, selon qu’il l’avait dit, les petites provisions du voyage. Il devait aller d’abord à Lyon auprès de son beau-frère, et il ne nous dit pas s’il avait d’autres intentions.



Au milieu de la nuit, Mr le Curé se leva, nous donna le signal pour nous lever nous-mêmes, et vint vers une heure frapper à notre porte pour partir définitivement. Quand il fut entré, il nous dit: “Il me semble que j’entends du bruit dehors? - C’est bien possible, lui répondis-je ; tout à l’heure Mlle Ricotier est venue et criait déjà.” Le Frère Jérôme entra dans le même moment. Mr Toccanier vint ensuite. Mr le Curé pâlit de voir son projet éventé. Mr Toccanier et le Frère Jérôme le suppliaient de ne pas partir. Comme il demeurait inflexible: “Eh bien ! nous vous suivrons en procession, nous sonnerons le tocsin. - Eh bien ! venez.” dit Mr Vianney.



Il sortit accompagné de Mr Toccanier, du Frère Jérôme et de quelques autres personnes. Je le suivais aussi par derrière. Quand il fut de l’autre côté du ruisseau, il se tourna vers moi et me dit: “Catherine, allez chercher mon bréviaire.” Mr Toccanier me dit à voix basse : “Allez et ne revenez pas.” Arrivée près du presbytère, j’entendis sonner le tocsin; les habitants d’Ars arrivèrent bientôt de tous les côtés, et ne sachant ce que c’était, ils avaient apporté les uns des seaux, d’autres des fourches, de gros bâtons, etc. Je ne tardai pas à voir revenir Mr le Curé avec toutes les personnes qui l’accompagnaient. Il rentrait à la cure pour prendre un nouveau bréviaire. Dès qu’il fut dans la cour, on ferma les portes. Il monta dans sa chambre; mais Mr Toccanier brouillait tout à dessein, pour qu’il ne pût trouver le volume qu’il cherchait. Mr Vianney descendit alors dans la cour, et tous les hommes qui (1468) la remplissaient, Mr le Maire en tête, le suppliaient de ne pas les quitter. Les femmes étaient à l’église et faisaient de ferventes prières pour que Dieu changeât les intentions de son Serviteur. Mr Vianney allait tantôt à une porte, tantôt à une autre, sans se fâcher, en disant simplement: “Laissez-moi passer.” J’ai cru comprendre au son de sa voix qu’il pleurait. Au bout d’un moment, il dit: « Ouvrez-moi, je veux aller à l’église. » On lui ouvrit aussitôt. Il entra dans l’église, fit son adoration et alla se mettre au confessionnal. Le même jour, ou le lendemain, autant que je puis m’en rappeler, Mr le Curé me demanda si j’avais fait partir sa lettre. “Non, lui dis-je, je l’ai remise à Mr Toccanier.”



Juxta decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:



Je désire compléter ce que j’ai dit au sujet de la Providence. Lorsque Mr le Curé vint à Ars, il n’y avait ni maître, ni maîtresse d’école pour instruire les enfants; on faisait venir un étranger dans cette intention pendant quelques mois d’hiver. Mr le Curé souffrait de voir les filles et les garçons aller chez le même maître. Il songeait au moyen de les séparer, lorsqu’une personne lui dit: “Si quelque fille de notre paroisse était un peu instruite, elle pourrait faire l’école aux petites filles. » Il vint alors chez nous et dit à ma mère: “Je suis dans l’intention de mettre Benoîte Lardet en pension pour la faire instruire, et si dans quelque temps vous vouliez me donner Catherine, votre fille, je la ferai instruire aussi. » Mes parents y consentirent volontiers. Mr le Curé se ravisa et nous mit toutes les deux en pension chez les Soeurs de Fareins. Nous n’y sommes restées qu’une année.



Mr le Curé avait, pendant ce temps, acheté au Sieur Givre une maison qui n’avait qu’un seul appartement au rez-de-chaussée, deux petites chambres au premier et le grenier. Il était si pauvre qu’il n’eut pas de quoi payer les écrits, à ce qu’il nous dit. C’est à cette époque que le démon a commencé à l’attaquer d’une manière sensible et à faire un grand vacarme.



A la fin de l’année mil huit cent vingt-quatre, nous sommes revenues de Fareins; nous avons pris quelques jours pour préparer nos effets et ce qui était absolument indispensable pour l’ameublement du nouvel établissement. Nous y sommes entrées vers la Saint Martin de la même année. Je me rappelle que tout était extrêmement pauvre. Le premier jour, nous n’avions rien à dîner. La mère de ma compagne lui a envoyé son dîner que nous avons partagé. Nous n’avions pas encore fini que ma mère m’envoyait (1469) à son tour mon dîner; nous l’avons encore partagé.



Quelques jours après, une bonne veuve de Chaleins est venue nous rejoindre, elle apportait quelques provisions. Mr le Curé nous donna à son tour de la farine et l’on fit du pain. Jeanne-Marie Chanay ne tarda pas à nous rejoindre. Nous nous sommes occupées de suite à faire la classe aux petites filles de la paroisse. Comme cette école était entièrement gratuite, les paroisses voisines voulurent en profiter. On nous envoya des enfants de Mizérieux, Savigneux, Villeneuve, etc. On a alors arrangé le grenier pour en faire un dortoir. La première année, nous eûmes seize enfants logeant à la Providence. Les parents les nourrissaient en leur apportant les provisions nécessaires. Mr le Curé ne voulait pas que nous reçussions de l’argent; il consentait seulement à ce qu’on acceptât les provisions qui pouvaient se consommer dans la maison.



Mlle Berger vint de Lyon se fixer à Ars. Elle voulut demeurer avec nous. Comme elle avait des rentes, c’est elle qui entretenait le ménage. Les fonds que Mr le Curé recevait, je ne sais comment, il les employait à acheter des bois ou des terres dans l’intention de doter l’établissement. Son patrimoine, il le consacra à la même oeuvre. Il fut bientôt ennuyé de faire cultiver les terres à moitié; il les vendit à Mr le Comte de Cibeins qui lui en payait la rente.



Nous eûmes alors quelques ressources assurées. Mr le Curé ne voulut plus recevoir à la Providence que des enfants pauvres. Il ne les recevait guère avant l’âge de huit ou neuf ans, on ne les renvoyait pas avant leur première communion. Si quelques filles de quinze, dix-huit et même vingt ans se présentaient, il les acceptait de préférence. Un grand nombre ont fait des confessions générales, ont admirablement profité des conseils de Mr Vianney, et sont ensuite devenues de bonnes mères de familles, ou de bonnes domestiques. Plusieurs ont embrassé la vie religieuse.



Un certain nombre d’entre elles ont avoué en rendant grâces au bon Dieu, que si elles n’étaient pas venues à la Providence, elles se seraient perdues. J’ai ouï dire plusieurs fois à Mr le Curé: « Ce ne sera qu’au jour du jugement qu’on verra le bien qui s’est fait dans cette maison. »



Le nombre des enfants n’était pas toujours le même. Il variait de quarante à soixante-cinq. Elles (1470) étaient logées, nourries et entretenues aux frais de l’établissement. On nous faisait quelques dons; Mr le Curé nous fournissait ce qui pouvait nous manquer. Nous avons été bien pauvres; mais jamais le nécessaire ne nous a manqué. Dieu a veillé sur cette maison d’une manière particulière. Il y a eu plusieurs faits fort extraordinaires, ou plutôt miraculeux, qui ont marqué combien cette oeuvre était agréable à Dieu.



Les places se sont trouvées plus d’une fois entièrement occupées. Mr le Curé n’avait pas cependant le courage de refuser les filles pauvres qui se présentaient. Nous lui disions : “Nous ne savons où les mettre, nous n’avons plus de lits.” Il nous répondait: “Donnez les vôtres et vous irez coucher au grenier.” Force était de chercher une petite place pour loger les nouvelles arrivées.



Nous étions encore chargées des petites filles de la paroisse. Nous avions beaucoup d’ouvrage; mais nous éprouvions de grandes consolations. Ces enfants étaient si sages et si pieuses; elles aimaient tant le bon Dieu. Mr le Curé disait un jour à quelqu’un: “Il y en a parmi elles qui ne perdent jamais de vue la présence de Dieu. Plusieurs sont mortes comme des saintes.”



Mr le Curé tenait beaucoup à ce qu’on instruisît les enfants. Il entrait dans les moindres détails pour que tout concourût au but qu’il se proposait. Il venait tous les jours faire le catéchisme à la Providence à onze heures. Quand la salle ne put plus contenir les enfants et les pèlerins, ce catéchisme se fit dans l’église paroissiale.



Quand Mr le Curé eut reçu un prêtre auxiliaire, il songea à se retirer dans la Providence dont les bâtiments avaient été considérablement augmentés. Il y avait fait bâtir une chapelle et il pensait y établir plus tard une adoration perpétuelle, si telle était la volonté de Dieu.



Cette oeuvre de la Providence n’était pas goûtée de tout le monde. On se préoccupait surtout de son avenir. On prévoyait qu’à la mort de Mr le Curé, il serait difficile de la soutenir. D’autres, peu sympathiques, ne se rendant pas compte du but qu’on voulait atteindre, critiquaient sévèrement la tenue et la direction de la maison. Le Serviteur de Dieu, pour couper court à toutes les difficultés, consentit à céder l’administration de la maison aux religieuses de St Joseph.



(1471) Qua responsione accepta, omissis coeteris Interrogatoriis, completum esse examen praedicti testis, qui aliunde ut circa quaedam facta Servi Dei deponeret inductus fuerat, Rmi Judices delegati decreverunt, et per me Notarium Actuarim de mandato dominationum suarum Rmarum perlecta fuit eidem testi integra depositio ab ipso emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene audita et intellecta, illam in omnibus confirmavit.



Quibus peractis, injunctum fuit praedicto testi, ut se subscriberet, prout ille statim, accepto calamo se subscripsit ut immediate sequitur.



Ita pro veritate deposui



Catherine Lassagne


TEMOIN VII - FRANCOIS DUNOYER - (FRERE JEROME)

535
(Tome I - p. 536 à 576)




(535) Session 54 – 21 juillet 1863 à 9 h du matin



(536) Juxta primum interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit :



Je connais parfaitement la nature et la force du serment que je viens de faire, et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.



Juxta secundum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je m’appelle François Dunoyer, en religion Frère Jérôme de la Sainte Famille de Belley. Je suis né à Rumilly, Diocèse de Chambéry le cinq juin mil huit cent vingt (et) un. Mon père se nomme Baptiste Dunoyer, ma mère Monard.



Juxta tertium interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je fais les communions marquées par la règle, j’ai eu le bonheur de communier ce matin.



Juxta quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai jamais été traduit en justice devant aucun tribunal.



Juxta quintum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai jamais encouru de censures ou de peines ecclésiastiques.



Juxta sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai été instruit par personne de la manière dont je devais déposer dans cette cause. Je n’ai pas lu les Articles rédigés par le Postulateur. Je ne dirai que ce que je sais par moi-même ou ce que j’ai appris de témoins dignes de foi.



Juxta septimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



J’ai sans doute une grande affection, une grande vénération pour le Serviteur de Dieu Jean Marie Baptiste Vianney ; je désire vivement sa béatification et sa canonisation ; mais en cela, je ne me propose que l’honneur de l’Eglise et (537) la gloire de Dieu.



Juxta octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je ne sais pas exactement le jour, le mois, l’année de la naissance du Serviteur de Dieu. Je sais seulement qu’il est né à Dardilly, paroisse du diocèse de Lyon. Ses parents étaient très vertueux, sa mère surtout se distinguait par sa grande piété. Pendant son enfance, sa mère remarqua en lui quelque chose de particulier : elle lui disait : « Jean-Marie fais bien attention d’être sage, car si tu ne l’étais pas, tu me ferais plus de peine que si c’était un autre de tes frères. » Mr Vianney nous disait aussi que quand tout le monde était couché il veillait quelquefois très tard avec sa mère et une autre de ses soeurs pour parler du bon Dieu. Cette soeur épousa Mr Melin et mourut comme une sainte en récitant l’Ave Maria, nous a raconté le Serviteur de Dieu. Je ne sais quel jour Mr Vianney a été baptisé ou confirmé. J’ai vu ici son extrait de baptême, je ne me rappelle pas suffisamment ce qui y était contenu.



Juxta nonum interrogatorium, testis interrogatus respondit : Je sais de témoins dignes de foi que le Serviteur de Dieu a passé son enfance et la plus grande partie de son adolescence à Dardilly auprès de ses parents. Je sais aussi que dès lors il donna des preuves nombreuses d’une grande piété. Je n’ai pas entendu parler de quelque défaut qu’il aurait montré à cet âge.



Juxta decimum interrogatorium, testis interrogatus respondit : Je tiens de personnes dignes de foi que Mr Vianney s’occupa d’abord aux travaux de la campagne ; il gardait aussi les troupeaux de son père. Vers l’âge de quinze ans, il se sentit appelé à l’état ecclésiastique . Son beau-frère, Mr Melin, pria Mr Balley, curé d’Ecully, de vouloir bien le recevoir auprès de lui, pour lui faire faire les études nécessaires. Mr Balley ne connaissant pas le jeune homme, refusa d’abord de le recevoir : « Je suis trop âgé et trop occupé pour me charger (538) de son éducation. » Mais lorsqu’il eut vu le jeune homme, il fut tellement frappé de son air de piété qu’il l’admit aussitôt. Je sais par une de ses cousines chez laquelle il logeait, que pendant le cours de ses études, Mr Vianney se livrait à la pratique de la mortification. Ainsi il voulait qu’on lui trempât la soupe avant qu’on y eût mis les assaisonnements ordinaires. Il éprouva beaucoup de difficultés dans l’étude des lettres. Pour les vaincre, il fit un pèlerinage à Saint François Régis. A la suite de ce pèlerinage il eut moins de peine à apprendre.



Juxta undecimum interrogatorium, testis interrogatus respondit : Je tiens de Mr Vianney lui-même qu’il fut obligé d’interrompre ses études, à cause de la conscription militaire. Arrivé à Roanne, il tomba malade et à l’hôpital il se vit entouré de soins tout particuliers de la part des religieuses, qui remarquèrent en lui je ne sais quoi d’extraordinaire. Quand il fut rétabli, il se présenta pour avoir sa feuille de route ; mais comme il était en retard on voulait le faire conduire à son régiment par la gendarmerie. Les secrétaires firent remarquer qu’il s’était présenté de lui-même et qu’il fallait lui signer comme aux autres sa feuille de route. Il était en marche et paraissait ennuyé lorsqu’un jeune homme se présenta à lui et lui dit : « Je n’ai point de conseil à vous donner ; mais si vous voulez me suivre, vous n’aurez rien à craindre. » Mr Vianney le suivit ; le jeune homme le conduisit dans une pauvre famille où il passa la nuit. Le matin un membre de la famille le présenta au maire des Noës, qui lui-même le conduisit chez une veuve. Je tiens du fils de cette veuve que Mr Vianney passait la nuit à prier Dieu. Ce jeune homme coucha avec lui pendant trois nuits. Il raconta à sa mère la manière dont Mr Vianney passait la nuit ; sa mère lui dit alors qu’il fallait le laisser seul dans sa chambre. Pendant son séjour d’environ quinze mois auprès de cette veuve, Mr Vianney s’occupait l’été aux travaux des champs et l’hiver à faire l’école. Il se fit remarquer par (539) sa grande piété ; il s’attira l’estime et l’affection de tout le monde, au point qu’à son départ un grand nombre de personnes s’empressait de lui faire accepter quelque chose pour son voyage. De retour à Ecully il reprit ses études ecclésiastiques.



Juxta duodecimum interrogatorium, testis interrogatus respondit : Je sais seulement au sujet de cet interrogatoire que Mr Vianney a été ordonné prêtre à Grenoble par Monseigneur Simon, Evêque de Grenoble.



Juxta decimum tertium interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Après son ordination à la prêtrise, le Serviteur de Dieu fut placé comme vicaire à Ecully. Il se fit remarquer par sa grande piété et il se livra avec Mr Balley à la pratique de la mortification.



Juxta decimum quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Après la mort de Mr Balley, le Serviteur de Dieu fut nommé curé de la petite paroisse d’Ars. Il y régnait plusieurs abus ; les danses surtout y étaient très fréquentes. Je ne sais quels moyens il employa pour les détruire. Je sais cependant qu’il donnait de l’argent au cabaretier et au ménétrier pour les empêcher de continuer la danse. Les deux moyens principaux qu’il employa pour réformer sa paroisse et y faire refleurir la piété furent ses longues prières à l’église et la visite des familles. « Dès le grand matin, me disait un jour un homme de la paroisse, on le voyait dans sa petite stalle les yeux fixés sur le tabernacle, le sourire sur les lèvres ; cela me touchait. » Dans ses fréquentes visites à ses paroissiens, il profitait du moment des repas pour trouver toute la famille réunie ; il leur parlait, sans jamais s’asseoir, de leurs terres d’abord, du bon Dieu ensuite.



Juxta decimum quintum interrogatorium, testis (540) interrogatus respondit :



Le Serviteur de Dieu pour mieux réformer sa paroisse créa d’abord une Providence pour recevoir des filles pauvres et instruire celles de la paroisse. Cette Providence fut confiée plus tard aux Religieuses de St Joseph. Puis il a institué un établissement de Frères de la Sainte Famille de Belley pour l’instruction gratuite des garçons. C’est la charité des fidèles qui lui a permis de faire ces fondations. Ces établissements ont fait le plus grand bien dans la paroisse.



Juxta decimum sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je sais que le Serviteur de Dieu a pratiqué exactement les commandements de Dieu et de l’Eglise, et a rempli les obligations de son état. Pendant les dix dernières années de sa vie, j’ai été témoin chaque jour de la manière admirable dont il remplissait ses devoirs. Je suis naturellement porté aux scrupules pour moi comme pour les autres et j’ai eu la pensée qu’il avait pu manquer un jour à la charité en parlant d’une personne devant deux ou trois témoins et j’étais du nombre. Mais il s’agissait d’un certain personnage nommé Azun très connu surtout à Ars par ses intrigues ; Monsieur le curé demandait continuellement à Dieu qu’il ne parvînt pas au sacerdoce auquel il aspirait. Je concilie ses absences de la paroisse avec l’accomplissement de ses devoirs par la pensée qu’il avait peu à faire dans les commencements et qu’il se rendait utile dans les missions et les retraites où on l’employait. Sa paroisse du reste n’en souffrait en aucune façon. Quant aux fuites, je n’étais pas ici pour la première, et pour la seconde il me dit : « Un curé peut d’après les statuts du diocèse, s’absenter pendant quinze jours de sa paroisse, et durant ce temps, j’écrirai à Monseigneur. »



Juxta decimum septimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je sais que Mr Vianney a eu à supporter beaucoup de contradictions et de contrariétés. Il m’a dit un jour : « Si le bon Dieu m’avait fait voir (541) d’avance ce que je devais souffrir à Ars, je serais mort de chagrin. » Les plus grandes contrariétés lui sont venues de la part des prêtres qui trouvaient son genre de vie bizarre et extraordinaire. Il a tout supporté avec une admirable patience et il me disait un jour : « S’il n’était l’offense de Dieu, j’aurais voulu que ces persécutions et contrariétés continuassent toujours ; c’est le temps où Dieu m’a accordé le plus de consolations. »


542 (543) Session 55 - 21 juillet 1863 à 3h de l’après-midi



Juxta decimum octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



J’ai vu par moi-même et entendu dire par un grand nombre de personnes que le Serviteur de Dieu avait pratiqué toutes les vertus chrétiennes jusqu’à la mort.



Quoad fidem in particulari interrogatus testis sic respondit :



(544) Je n’ai rien de bien précis à mentionner sur la première enfance de Mr Vianney. En répondant aux interrogatoires précédents j’ai déjà donné les quelques détails que j’avais à signaler au sujet de son adolescence, de ses études, de son séjour aux Noës, de son vicariat à Ecully.



Arrivé à Ars, Mr Vianney se fit remarquer par sa grande piété ainsi que je l’ai déposé en répondant au quatorzième interrogatoire. Il attachait à la prédication de la Parole de Dieu une grande importance. Il commençait à préparer dès le lundi l’instruction qu’il devait faire le dimanche suivant.



Je ne sais quels moyens particuliers Mr Vianney employa pour établir l’adoration perpétuelle du St Sacrement, la fréquentation des sacrements et différentes confréries ; mais j’ai vu l’église presque continuellement remplie de personnes faisant leur adoration ; j’ai vu tous les jours la Sainte Communion distribuée à un grand nombre de fidèles. La confrérie du St Sacrement est encore aujourd’hui très florissante.



Le Serviteur de Dieu parvint à faire cesser le travail du dimanche, il prêchait souvent sur cet article. On ne vendait pas et on n’achetait pas le dimanche. Les voitures publiques elles-mêmes n’arrivaient pas et ne partaient pas le jour consacré au Seigneur. Lorsque l’établissement du chemin de fer eut rendu leur arrivée et leur départ nécessaires, elles s’arrêtaient à l’entrée du village.



En mil huit cent vingt-six, au moment du grand jubilé, Mr Vianney se rendit volontiers à l’invitation de ses confrères, il prêcha et surtout il confessa avec un grand succès. A Trévoux, il vit s’approcher de son confessionnal le sous-préfet et presque tous les membres du barreau. On montrait à St Bernard une très grande ardeur pour entendre les instructions du Serviteur de Dieu ; on quittait tout quand on entendait la cloche appeler à l’église. Les domestiques disaient à leurs maîtres : « Retenez sur nos gages la partie cor- (545) respondante au temps que nous passons à l’église. » Je tiens ce dernier détail de Mr Vianney lui-même.



Le Serviteur de Dieu montrait un grand zèle pour tout ce qui tenait au culte divin. Il voulait pour l’église de beaux ornements ; il était heureux toutes les fois qu’il pouvait s’en procurer. Comme j’étais chargé de la sacristie, il me disait agréablement : « Le ménage du bon Dieu se monte bien ; il faut en avoir grand soin. » Dans son grand esprit de foi et son amour pour la pauvreté, il me disait aussi : « Une vieille soutane va bien avec une belle chasuble. » Quand il eut reçu du Vicomte d’Ars les beaux ornements qu’il envoya de Paris, Mr Vianney conduisit en procession toute sa paroisse à Notre Dame de Fourvières pour remercier Dieu. Quand la procession passait devant quelque église, on sonnait les cloches.



Parmi toutes les cérémonies du culte divin, il aimait à déployer une grande pompe dans la procession du St Sacrement. Il faisait lui-même, au commencement, les reposoirs, il voulait qu’ils fussent aussi riches que possible. Il portait lui-même le St Sacrement. Sur la fin de sa vie comme il était très faible, on lui demanda après la procession s'il était fatigué : « Comment le serais-je ! je portais celui qui me porte. »



Quand Mr Vianney célébrait le Saint Sacrifice, je croyais voir au commencement de la Messe un autre St François de Sales. J’étais surtout fortement ému lorsque au moment de la consécration et de la communion je remarquais sur son visage une expression de piété, de foi d’amour et de joie dont il paraissait comme embrasé. C’était le moment où j’aimais à le voir. Quand il prêchait sur le St Sacrement, il le faisait dans des termes qui m’impressionnaient fortement. J’ai été bien souvent frappé des pensées et des comparaisons que le Serviteur de Dieu développait dans ses instructions ou ses catéchismes. Je ne saurais les rappeler en détail ; je me souviens cependant qu’il disait que le St Esprit repose dans une âme (546) pure comme sur un lit de roses et qu’une âme pure est comme une belle perle. A la suite d’une instruction sur le St Esprit, un prêtre assez haut placé du diocèse disait en ma présence : « Il a fallu que je sois venu à Ars pour connaître le St Esprit. »



J’ai entendu répéter à des personnes dignes de foi que dans la première maladie de Mr Vianney, les ecclésiastiques réunis autour de lui avaient décidé d’assister seuls à l’administration des derniers sacrements. Le malade entendant cette décision : « Allez, dit-il, faire sonner ; ne faut-il pas que les paroissiens prient pour leur curé ? »



J’affirme enfin que la foi paraissait être le grand mobile de toutes les actions du curé d’Ars.



Quoad spem testis interrogatus sic respondit :



Mr Vianney montra dès son enfance, ainsi que je l’ai appris de témoins dignes de foi, une grande espérance. J’ai pu m’assurer par moi-même qu’il plaçait en Dieu toute sa confiance qu’il n’espérait et n’attendait rien de lui-même. Les difficultés ne l’abattaient pas. Quand il croyait que quelque chose pouvait contribuer à la gloire de Dieu et au salut des âmes, il en poursuivait l’exécution avec une ardeur infatigable.



Mr Vianney parlait dans ses instructions du malheur d’une âme en état de péché en se servant d’expressions qui nous impressionnaient vivement. Il disait en particulier : « Nous fuyons Dieu notre ami et nous cherchons le démon notre bourreau. Le bon chrétien est assis comme sur un char de triomphe, et c’est Notre Seigneur qui conduit la voiture. Mais le pécheur est attelé lui-même aux brancards, et le démon frappe sur lui à (547) grands coups pour le faire avancer. » L’espérance des biens à venir faisait estimer à Mr Vianney les grâces et les biens spirituels à leur juste valeur. Il ne négligeait rien pour sauver les âmes confiées à ses soins.



En travaillant au salut des autres, il n’omettait rien pour assurer son propre salut ; quand la grande affluence des pèlerins ne lui permit plus de se livrer à ses longues oraisons, il choisissait le matin un sujet d’oraison et y rapportait tout ce qu’il faisait pendant la journée.



Dieu permit que son Serviteur fût éprouvé par les attaques assez fréquentes du démon. Mr Vianney racontait volontiers ce qui lui arrivait à ce sujet. Je lui ai entendu dire que pendant un an le démon qu’il nommait le grappin frappait d’heure en heure trois coups de massue à trois des portes de la cure ; la première heure, trois coups à la porte extérieure, une heure après trois coups à la porte de l’escalier, à la troisième heure trois coups à la porte de sa chambre ; puis, comme si le démon fût entré dans sa chambre, il l’entendait battre la générale sur son pot à eau. D’autres fois il faisait un bruit semblable à un escadron de cavalerie. En montant l’escalier, il entendait comme les pas d’un homme montant devant lui avec des bottes de fer. Une fois (548) il se sentit comme saisi par le démon qui voulait le jeter à terre. Le démon le tourmentait de mille manières. A la mission de Montmerle, le démon faisait rouler par la chambre le lit sur lequel Mr Vianney était couché. A la mission de St Trivier, on entendit au milieu de la nuit un grand bruit qui effraya tous ceux qui se trouvaient au presbytère. La veille ses confrères l’avaient plaisanté sur les bruits qu’il entendait. « Votre esprit s’exalte, avaient-ils dit, parce que vous ne mangez pas. Vous croyez que tous les diables sont à votre poursuite. » Mr Vianney a remarqué bien des fois qu’il était plus tourmenté lorsque quelque grand pécheur devait s’approcher de son tribunal, ou lorsqu’il voulait fonder quelque oeuvre importante. On lui demandait un jour en ma présence s’il n’avait pas peur lorsqu’il était ainsi l’objet des attaques du démon : « Oh ! non, reprit-il, nous sommes presque camarades. » Une nuit, il était accablé d’une profonde tristesse ; tout à coup il entendit une voix qui lui dit ces paroles : « J’ai espéré en vous, je ne serai point confondu pour l’éternité. » Il se leva, ouvrit son bréviaire et les premiers mots qui frappèrent ses yeux furent ces mêmes paroles du psaume. Le Serviteur de Dieu se trouva consolé.



Il fut aussi en butte aux contradictions des hommes. Mais rien ne put lui faire perdre (549) confiance. A mesure que tout lui manquait dans le monde, il se donnait et s’abandonnait davantage à son Sauveur.


551 (551) Session 56 – 22 juillet 1863 à 8h du matin



Prosequendo decimum octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Le Serviteur de Dieu ressentait souvent de grandes peines intérieures ; il ne se décourageait pas pour cela et n’en continuait pas moins à travailler au salut des âmes et à sa propre sanctification. Un jour il demanda à Dieu (552) à connaître sa grande misère, comme il nous le raconta lui-même. Dieu l’exauça, et Mr Vianney fut presque tenté à cette vue de tomber dans le désespoir . Il pria Dieu de ne plus lui faire voir qu’une partie de ses misères, Dieu l’exauça de nouveau et il se trouva consolé.



Le Serviteur de Dieu éprouvait une vive peine en pensant au grand nombre des pécheurs et aux crimes qui se commettaient. « On offense tant le bon Dieu » disait-il souvent avec un accent qui indiquait sa profonde tristesse. « Encore, si le bon Dieu n’était pas si bon ! mais Il est si bon ! Il est bien, disait-il, de prier pour les âmes du purgatoire ; mais elles sont sûres d’aller au ciel. Il est bon de prier aussi pour les justes, mais la meilleure prière est celle que l’on fait pour la conversion des pauvres pécheurs » ; il priait à cette intention toute la semaine, à l’exception du lundi. Ce jour-là il priait pour les âmes du purgatoire et il désirait vivement voir revenir le mardi afin de reprendre ses prières pour les pécheurs.



Il était sans cesse poursuivi de la crainte des jugements de Dieu, il redoutait la mort et surtout il craignait de mourir avec la charge de curé. Cependant cette idée ne l’abattait pas, et il a plus d’une fois parlé d’écrire un livre sur les délices de la mort. Il désirait vivement aller dans la solitude pleurer sa pauvre vie suivant son expression. Il ne put pas réaliser son désir ; il ne laissa pas que de poursuivre jusqu’à sa mort les travaux qu’il avait entrepris pour la gloire de Dieu. Lui qui avait tant redouté les jugements de Dieu et tant craint la mort, vit arriver ses derniers moments avec un grand calme et une grande assurance.



Quoad charitatem erga Deum testis interrogatus respondit :



J’affirme que Mr Vianney a montré un grand amour pour Dieu. Il suffisait de le voir et de l’entendre parler pour en être convaincu. Je n’ai pas de détails précis sur les premières années de sa vie. Je sais que lorsqu’il était vicaire à Ecully il menait avec Mr Balley une vie pénitente et mortifiée. Il (553) ne parlait jamais de Mr Balley sans verser des larmes et il ajoutait : « Pour être porté à aimer Dieu, il suffisait de voir Mr Balley et de l’entendre discourir sur Dieu. »



Je puis affirmer que Mr Vianney semblait n’avoir qu’une seule pensée : aimer Dieu et le faire aimer. Son grand amour pour Dieu le porta à détruire les abus et à établir dans sa paroisse différentes oeuvres et différentes pratiques de piété. Je n’en ai pas vu moi-même l’établissement, mais je les ai vues toutes fonctionner avec une grande édification.



Le Serviteur de Dieu disait son office à l’église et à genoux. Il était tellement recueilli, qu’il ne s’apercevait ni de la foule qui l’environnait ni du bruit qui pouvait se faire. J’ai déjà dit de quelle manière il célébrait le Saint Sacrifice de la Messe. Il l’offrait tous les jours et j’ai remarqué qu’il n’était ni trop long ni trop prompt à l’autel. Il a avoué que les moments où il était le plus recueilli, c’était en disant la Messe et en annonçant la Parole de Dieu. Quoiqu’il fût environné et souvent pressé par une foule indiscrète, quoiqu’il fût harcelé de questions oiseuses, interpellé de tous côtés, on le trouvait toujours égal à lui-même, toujours gracieux et prêt à rendre service ; il aimait à ce qu’on lui parlât des choses de Dieu, il savait toujours glisser quelques mots sur Dieu, même dans les conversations qui paraissaient les plus indifférentes.



L’amour de Dieu avait porté le Curé d’Ars à mener une vie très mortifiée et très pénitente ; il ne s’épargnait en aucune façon. Dieu permit qu’il ressentît de vives peines intérieures, qu’il fût en butte aux attaques du démon et aux contradictions des hommes. Rien ne put le détacher de l’amour de Dieu.



Quoad charitatem erga proximum, testis interrogatus respondit :



Je tiens de Mr Vianney lui-même que dans la maison paternelle on aimait à loger et à nourrir les pauvres qui passaient. (554) Le bienheureux Labre fut si bien accueilli dans la maison Vianney, qu’il écrivit une lettre de reconnaissance. Le Curé d’Ars a parlé souvent de cette lettre. Il la donna plus tard à une personne qui l’en avait prié. Il aima lui-même beaucoup les pauvres. Quand il fut curé d’Ars, il ne négligea rien pour procurer le salut des âmes confiées à ses soins ; il se levait de très grand matin, vers deux heures, quelquefois même à minuit pour aller au confessionnal. Il y passait en moyenne quatorze heures par jour. A onze heures il faisait le catéchisme. Les infirmités que son genre de vie lui avait occasionnées, les douleurs qu’il éprouvait, ne pouvaient ralentir son zèle et son courage . Je sais qu’un jour un missionnaire lui dit : « Mr le Curé, si le bon Dieu vous proposait ou de monter au ciel à l’instant même ou de rester sur la terre pour travailler à la conversion des pécheurs, que feriez-vous ? – Je crois que je resterais, mon ami. – Mais les saints sont si heureux dans le ciel ! – C’est vrai, mais les saints sont des rentiers. – Resteriez-vous sur la terre jusqu’à la fin du monde et vous lèveriez si matin ? – Oh ! oui, mon ami, je ne crains pas la peine. »



Son grand désir de sauver les âmes et de procurer la conversion des pécheurs, lui a fait fonder près de cent missions, qui doivent se fonder de dix ans en dix ans dans différentes paroisses du diocèse. Il affectionnait beaucoup cette oeuvre et y consacrait à peu près toutes les ressources (555) dont il put disposer pendant les dernières années de sa vie.



Mr Vianney était tout disposé à rendre service à ses confrères et à les remplacer même. Comme dans le commencement de son ministère à Ars il avait peu d’occupations, il s’empressait de visiter les malades des paroisses voisines lorsqu’il en était prié, ou lorsque les curés étaient absents ou infirmes. Il lui arriva plus d’une fois de rentrer à Ars tout mouillé et tout exténué de fatigue.



Il aimait tout le monde ; il aimait ceux même qui lui faisaient de la peine. Un jour il emprunta de l’argent pour le donner à une personne dont il avait à se plaindre et qui se trouvait dans le besoin. Il ne savait rien refuser aux pauvres qui sollicitaient sa charité. Il ne donnait cependant pas indistinctement à tout le monde et savait mettre du discernement dans ses aumônes, donnant beaucoup à ceux qui en avaient réellement besoin, se contentant d’une légère aumône pour les pauvres ordinaires. Il payait les loyers de plusieurs familles dans le besoin, et comme dans le pays, on paye les loyers à la fête de St Martin, il regardait cette époque comme un moment de gêne. Son amour pour les pauvres le porta à vendre ses meubles, à donner son linge, et on fut obligé de prendre quelques précautions pour lui en conserver un peu.



Quoad Prudentiam testis interrogatus respondit :



J’affirme que le Serviteur de Dieu a pratiqué (556) la vertu de Prudence. Il prenait les moyens qui conduisent au salut ; il ne se contentait pas de l’observation des préceptes, il y joignait encore la pratique des conseils évangéliques. Il semblait, comme je l’ai déjà dit en parlant de la charité, n’avoir qu’une pensée : aimer Dieu et le faire aimer. La perfection qu’il prêchait aux autres il en faisait la règle de sa conduite. Il avait choisi pour lui le genre de vie le plus austère. J’ai bien des fois entendu dire qu’on n’avait eu qu’à se louer des conseils qu’il avait donnés.



Quoad Justitiam testis interrogatus respondit :



J’ai déjà dit en répondant au sixième interrogatoire que le Serviteur de Dieu avait exactement pratiqué les commandements de Dieu et de l’Eglise et rempli les obligations de son état. Je dois ajouter qu’il s’efforçait aussi de suivre les conseils évangéliques et de correspondre aux inspirations de la grâce. J’ai cru le remarquer pendant tout le temps que j’ai passé auprès de lui.



Mr Vianney était plein d’égards et d’attentions pour tout le monde. Il était affable envers le pauvre comme envers le riche ; il montrait un grand respect pour l’autorité civile et surtout ecclésiastique. Il avait accordé aux ecclésiastiques le privilège de les entendre quand ils réclamaient son ministère. Il voulait que ses collaborateurs se soignassent parfaitement. Il était très reconnaissant des moindres services qu’on pouvait lui rendre. En parlant de la veuve chez laquelle il avait logé aux Noës et de Mr Balley , il disait : « J’ai connu beaucoup de belles âmes, mais je n’en ai pas connu de plus belles. » Les traits de son ancien maître étaient tellement gravés dans son esprit qu’il disait, même les dernières années de sa vie : « Si j’étais peintre, je pourrais encore tirer son portrait. » Il en parlait souvent et il n’en parlait qu’en pleurant.



Le Serviteur de Dieu a pratiqué la vertu d’obéissance. C’est par obéissance qu’il est resté quarante-deux ans à Ars malgré l’ardent désir qu’il avait d’aller dans la (557) solitude. Il nous disait que s’il avait été religieux il n’aurait pas eu de peine à obéir.



Quoad Religionem testis interrogatus respondit :



Mr Vianney voulait que tout ce qui tenait au culte de Dieu fût beau. Il aimait les images, les scapulaires, les beaux chapelets, les reliques. Dès que quelqu’un revenait de Rome, il lui demandait s’il lui apportait quelque relique. Il avait fini par en avoir une très grande quantité. Il assistait avec bonheur à la prédication de la Parole de Dieu. Il avait une grande dévotion envers Notre Seigneur dans le Saint Sacrement ; pour s’en convaincre il suffisait de le voir dire la Messe, faire la génuflexion en passant devant le tabernacle, etc. Il avait écrit dans son bréviaire pour chacune des heures de l’office un des mystères de la Passion. Il aimait à célébrer les fêtes de Notre Seigneur, de la Ste Vierge, quoiqu’elles ne fussent plus d’obligation. ce jour-là, les offices avaient lieu comme le dimanche. Il célébrait aussi les fêtes des saints anges gardiens, de St Jean l’évangéliste et de quelques autres, mais d’une manière moins solennelle.



Il montra toujours une grande dévotion envers la Ste Vierge. Il aimait à célébrer la Messe à son autel, il n’y manquait jamais le samedi. Ce jour-là, après la Messe il récitait les litanies de la Sainte Vierge et disait un Pater et un Ave Maria en l’honneur de l’Immaculée Conception. Tous les soirs à la prière il disait en chaire le chapelet de l’Immaculée Conception. Quand l’heure sonnait, il récitait un Ave Maria, c’est pour être plus fidèle lui-même à cette pratique et y amener ses paroissiens qu’il a fait placer au clocher une grande horloge. Son intention était ainsi de faire bénir l’heure ; il a fait une fondation pour payer celui qui est chargé de régler l’horloge. Dès son vicariat d’Ecully, il avait organisé avec Mr Balley une association de prière en l’honneur de l’Immaculée Conception. En mil huit cent trente-six, comme on (558) le voit sur un tableau placé à l’entrée de la chapelle de la Sainte Vierge, il avait consacré sa paroisse à la Mère de Dieu, honorée sous le titre d’Immaculée. Il avait fait placer sur la façade de l’église la statue de la Reine des anges. Lorsque Mgr Chalandon envoya une circulaire pour recommander de placer une statue de la Ste Vierge dans chaque localité, le Curé d’Ars dit à ses paroissiens : « Comme nous avons déjà une statue de la Ste Vierge sur notre église, nous achèterons un bel ornement en l’honneur de l’Immaculée Conception. » Cet ornement tout couvert d’or a servi le jour même de la définition du dogme de l’Immaculée Conception. Il avait établi dans sa paroisse l’archiconfrérie du saint Coeur de Marie pour la conversion des pécheurs.



Le Curé d’Ars lisait continuellement la vie des saints. Il ne cessait, dans ses instructions et ses catéchismes, de citer une foule de traits et de détails tirés de leur vie. Les noms de ses saints protecteurs et de ses saintes protectrices étaient inscrits dans son bréviaire. Il aimait beaucoup St Jean l’Evangéliste parce qu’il avait eu bien soin de la Ste Vierge.



Il semblait avoir voué un culte tout particulier à Ste Philomène ; il lui avait fait construire une petite chapelle. Quand on venait à Ars solliciter quelque grâce temporelle, il conseillait de faire une neuvaine à Ste Philomène. C’est à elle qu’il a attribué les grâces et les faveurs obtenues à Ars. Un jour en ma présence on lui disait : « Mr le Curé, on assure que vous avez défendu à Ste Philomène de faire des miracles à Ars. – Oh ! oui, dit-il, ça nous amène trop de monde ; je l’ai prié de guérir les âmes ici et de guérir les corps plus loin : ni vu, ni connu. »



Mr Vianney ne se contentait pas de prier lui-même pour les âmes du purgatoire. Il a fondé dans plusieurs paroisses une octave de messes pour leur soulagement.



Quoad Orationem testis interrogatus respondit :



Il me serait difficile de caractériser le genre d’oraison de Mr Vianney. Je puis assurer qu’il était continuel- (559) lement uni à Dieu : ce qui le prouve c’est ce profond recueillement dont il ne paraissait jamais sortir malgré les agitations de la foule empressée autour de lui.



Quoad Fortitudinem, testis interrogatus respondit :



Le Serviteur de Dieu a fait preuve d’une grande force au milieu des épreuves, des peines et des contradictions qu’il a eues à essuyer. On ne l’a pas vu démentir sa constance malgré ses grandes épreuves ; ainsi que je l’ai dit il avait placé en Dieu toute sa confiance.



La patience de Mr Vianney n’a pas moins jeté un vif éclat. Il avait promis à Dieu de ne pas se plaindre. Voici à quelle occasion : pendant qu’il était caché aux Noës, pour éviter la poursuite des gendarmes, il fut obligé de s’enfermer dans un grenier à foin au-dessus de l’écurie. La chaleur était telle qu’il pensa être asphyxié ; il promit alors à Dieu que s’il sortait de cette terrible position il ne se plaindrait pas quoiqu’il lui arrivât. « Et j’ai bien quasi tenu parole » ajoutait modestement le Curé d’Ars en rappelant ce fait. Au milieu de la foule qui le pressait et le harcelait de toutes façons, il ne donnait aucun signe d’impatience. Témoin de cela une personne lui dit un jour : « Nous nous impatientons pour vous ; vous devriez bien un peu vous fâcher. - Il y a trente-six ans que je suis à Ars : c’est un peu trop tard. » La patience cependant ne lui était pas une vertu naturelle, il était né avec un caractère impétueux.



Il a eu à souffrir de grandes douleurs par suite des infirmités que son genre de vie lui avait attirées. On a constaté qu’il avait deux hernies ; on le voyait souvent s’avancer le corps courbé et comme plié en deux. Sur la fin de sa vie, une toux aiguë le fit bien souffrir. Il ne prenait presque pas de repos : aussi avouait-il qu’il avait beaucoup à souffrir du sommeil au confessionnal, vers les trois ou quatre heures du matin. Ses nuits (560) étaient mauvaises. Il ressentait la souffrance même en dormant, disait-il. Malgré ses douleurs presque continuelles surtout à la fin de sa vie, il n’en continua pas moins à se rendre chaque jour au confessionnal, à y faire les longues séances dont j’ai parlé, à se rendre auprès des malades dès qu’on l’appelait, en un mot à suivre le genre de vie qu’il s’était tracé.



Quoad Temperantiam, testis interrogatus respondit :



J’ai déjà dit que lorsque Mr Vianney faisait ses études à Ecully, il voulait que sa cousine lui trempât sa soupe avant qu’elle y mît le beurre. Quand elle y manquait, il ne paraissait pas content. Vicaire à Ecully, il pratiquait la mortification de concert avec Mr Balley ; il a avoué en ma présence que le bouilli, à force de reparaître sur la table, finissait par être tout noir.



Arrivé à Ars, il se livrait à de grandes mortifications sous le rapport de la nourriture, ainsi que je l’ai entendu répéter très souvent à des personnes dignes de foi. Il avait essayé, nous disait-il, de vivre en mangeant de l’herbe ; mais il n’avait pu y tenir et il ajoutait : « J’ai bien reconnu que le pain était nécessaire à l’homme. » Pendant les dix dernières années de sa vie, j’ai vu par moi-même quel était son régime. Il avait été forcé de l’adoucir ; voici cependant en quoi il consistait : le matin, il prenait une tasse ordinaire de chocolat au lait ; à midi il mangeait d’un plat qu’on lui avait préparé, quelquefois il y ajoutait un peu de dessert ; mais il s’en priva complètement les deux dernières années de sa vie. Le soir il ne prenait rien. Dans les fortes chaleurs il acceptait quelquefois quelque petite chose. Les jours de jeûne il ne mangeait qu’à midi ; sur la fin de sa vie, il se vit obligé de prendre quelque chose (561) le matin. J’estime qu’il mangeait à peu près une livre de pain par semaine. Un jour, il mangeait son chocolat et prenait ensuite son pain sec. « Si vous trempiez votre pain dans votre chocolat, lui dis-je, il serait meilleur. – Oh ! je le sais bien » reprit-il. Il n’en fit rien.


543 (563) Session 57 – 23 juillet 1863 à 8h du matin



Prosequendo decimum octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Mr Vianney si mortifié sous le rapport de la nourriture, se gardait bien d’accorder à son corps, qu’il appelait son cadavre, les choses qu’il aurait pu légitimement se permettre. Son lit se composait d’une simple paillasse fort dure, avec un traversin en paille. J’ai aperçu à côté de (564) son lit une planche. Ma conviction est qu’il la mettait dans son lit ; cette conviction est aussi celle de plusieurs personnes qui ont aussi vu cette planche. Un jour qu’il était fatigué, on mit un matelas dans son lit ; il me dit : « Je saurai assez m’en débarrasser. » J’ai vu, cachée derrière le rideau de son lit, une discipline composée de trois chaînes en fer. J’ai encore en ma possession un morceau d’un cilice en crin. J’ai entendu dire qu’on a trouvé son linge taché de son sang. Il ne prenait aucune précaution pour se garantir contre le froid pendant les longues heures qu’il passait, l’hiver, au confessionnal. On finit par mettre sous son confessionnal une bouillotte. Le bon Curé ne s’en aperçut pas et il fit un jour cette réflexion : « Le bon Dieu a été bien bon pour moi, je n’ai pas eu froid cet hiver. » Il s’en aperçut cependant plus tard et il repoussait la bouillotte.



Quoad paupertatem, testis interrogatus respondit :



Pendant les dix années que j’ai eu le bonheur de vivre auprès de Mr Vianney, j’ai pu voir quel était son amour pour la pauvreté. Il ne s’occupait en aucune façon de ce qui pouvait le concerner ; on lui fournissait ses habits, son linge, sa nourriture : pour lui il ne s’en occupait pas. Il avait vendu les meubles qui lui appartenaient. Ceux qui garnissaient la cure appartenaient à la fabrique ou lui avaient été prêtés. Le feu prit un jour à son lit pendant qu’il était à l’église. Quand il sortit et qu’il vit la foule entrer et sortir du presbytère, il me demanda ce que c’était. « Mais Mr le Curé, c’est votre lit qui vient de brûler. – Ah ! » répondit-il, sans émotion ; et il alla dire tranquillement la Messe. Deux personnes lui fournirent l’une le lit, l’autre les rideaux, en lui faisant observer qu’on les lui prêtait seulement.



La chambre du Serviteur de Dieu était alors telle qu’on la voit aujourd’hui, c’est-à-dire, dans un (565) grand état de pauvreté. Quelques images de Notre Seigneur, de la Ste Vierge et des saints décorent ça et là les murs noirs et enfumés de l’appartement. Tout le reste indique la pauvreté la plus complète.



Quoad Humilitatem, testis interrogatus respondit :



La simplicité et la modestie du Curé d’Ars se manifestaient dans toute sa conduite. On ne voyait chez lui rien d’affecté, rien d’une personne qui veut paraître. C’était chez lui une simplicité d’enfant. L’humilité du Serviteur de Dieu n’était pas moins admirable. Au milieu de ce concours qui se faisait autour de lui et à cause de lui, à le voir parler et agir, on eût dit qu’il n’y était pour rien. Il se croyait le plus mauvais prêtre ; il disait que si Dieu avait trouvé un plus mauvais prêtre, il l’aurait mis à sa place. Un supérieur ecclésiastique du diocèse lui demanda un jour si au milieu des témoignages de la vénération publique il n’avait pas quelque pensée de retour sur lui-même. « Ah ! reprit-il aussitôt, si je n’étais pas seulement tenté de désespoir. » Quand on lui donnait des louanges, on voyait aussitôt qu’on lui faisait de la peine.



Il souffrit beaucoup de voir son portrait reproduit sous toutes les formes et étalé aux vitrines des marchands du village. Il l’appelait son carnaval. Jamais il ne voulut le signer quand il s’en trouvait un exemplaire parmi les images qu’on lui présentait à signer. Il le mettait de côté en disant aux personnes : ça ne sert que trois jours dans l’année, voulant indiquer les trois jours de carnaval. Mr Cabuchet, statuaire distingué, voulut faire le buste du Curé d’Ars. Ce dernier ne voulut y consentir en aucune façon. S’apercevant que l’artiste le fixait pendant son catéchisme depuis plusieurs (566) jours, il comprit ce qu’il voulait faire ; il lui dit publiquement : « Vous, Monsieur, qui êtes là-bas, veuillez rester tranquille. »



Il vit aussi avec peine paraître différentes biographies le concernant. Je sais qu’il souffrit beaucoup le jour où Mgr Chalandon, évêque de Belley, lui apporta les insignes de chanoine honoraire de la cathédrale. Rentré à la cure après la cérémonie où il avait dû en paraître revêtu, il sembla consterné, affligé et comme abattu. Peu de jours après il vendit le camail cinquante francs pour en employer le prix à ses bonnes oeuvres. Quand le maire d’Ars lui annonça que l’Empereur venait de lui accorder la croix de la légion d’honneur, il demanda aussitôt s’il y avait quelque rente attachée à cette décoration. « Non », répondit Mr le Maire d’Ars. « Dans ce cas là je n’en veux point. »



Quoad castitatem, testis interrogatus respondit :



Je n’ai jamais rien vu ni entendu dire qui pût faire naître quelque soupçon sous le rapport de la sainte vertu. J’ai pu constater au contraire que Mr Vianney était d’une très grande modestie et d’une grande réserve.



Interrogatus demum an aliquid sciret quod contrarium esse possit virtutibus supra enumeratis testis respondit :



Je n’ai rien vu, je ne connais rien qui puisse infirmer les témoignages que j’ai donnés sur chaque vertu. Il m’a semblé cependant que Mr Vianney avait trop laissé faire Mr Raymond qui lui avait été donné comme prêtre auxiliaire. Mais en examinant de près, je crois que c’était par charité, par prudence et par humilité qu’il en agissait ainsi.



Juxta decimum nonum interrogatorium, testis respondit :



Le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus (567) dont j’ai parlé au degré héroïque et par degré héroïque j’entends un degré extraordinaire. Je crois inutile de donner ici des preuves particulières de l’héroïcité des vertus ; je l’ai fait suffisamment en répondant à l’interrogatoire précédent. Ce qui m’a frappé surtout c’est son genre de vie, vraiment extraordinaire, et je dirais presque surnaturel. Je n’ai jamais remarqué que le Serviteur de Dieu se fût relâché en aucune de sa ferveur. Il a persévéré jusqu’à la mort dans la pratique des vertus héroïques.



Juxta vigesimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :

Il me semble d’abord que le Curé d’Ars avait reçu de Dieu le don des larmes. On le voyait pleurer souvent, en chaire, au catéchisme, au confessionnal, dans les entretiens particuliers. C’était surtout lorsqu’il parlait de l’amour de Dieu, du péché ou d’autres sujets semblables.



2° L’opinion générale est qu’il lisait au fond des coeurs. J’ai entendu citer un certain nombre de faits à ce sujet, entre autres le suivant : Mr Vianney disait un jour, je ne sais plus à quelle occasion : « J’ai été une fois bien attrapé. Une personne étant entrée à la sacristie, je lui dis : Ma bonne dame, il ne faut pas faire comme cela, vous avez mis votre mari à l’hôpital et vous n’allez pas le voir. – Qui vous a dit cela ? » répondit cette personne toute déconcertée. Mr le Curé ajouta : « Je croyais que vous me l’aviez dit. »



Un jour il dit à une personne : « Partez vite, ma petite. – Mais je n’ai pas fini ma confession. – Finissez-la et partez. » Mr Descôtes, missionnaire du diocèse de Belley recommanda à cette personne d’écrire quand elle serait arrivée et d’indiquer s’il y avait quelque chose qui nécessitât son départ. Quelques jours après, elle répondit que son frère était gravement malade.



Je n’ai que des souvenirs vagues sur les autres faits.



3° L’opinion publique attribue à Mr Vianney un (568) certain nombre de prédictions. Je n’ai pour moi aucun fait précis à constater.



4° L’opinion publique attribue au Serviteur de Dieu un grand nombre de guérisons miraculeuses, ou de grâces extraordinaires. J’en ai entendu parler bien des fois ; cependant dans ce moment-ci je ne puis rien donner de précis.



J’ai entendu parler bien des fois de la multiplication du blé dans un des greniers de la cure, de la multiplication du vin et de la farine. Je ne sais là dessus que ce que raconte le public. Je n’ai pas pris d’informations précises.



5° Je crois que Mr Vianney avait reçu de Dieu un don tout particulier pour la conversion des pécheurs. C’est par milliers qu’il faudrait compter les âmes qu’il a ramenées à Dieu. Il me disait lui-même : « Ce n’est qu’au jugement dernier qu’on saura tout le bien qui s’est fait à Ars. »



Juxta vigesimum primum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je ne connais aucun écrit du Serviteur de Dieu. Je n’ai moi-même entre les mains aucune de ses lettres. Je crois que Mr Ballet, missionnaire aux chartreux de Lyon, a une de ses lettres. Il avait écrit un grand nombre d’instructions ; je ne sais ce qu’elles sont devenues.



Juxta vigesimum secundum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Quatre mois à peu près avant sa mort, le Serviteur de Dieu en annonçant la construction de la nouvelle église, cita le trait de Moïse rassemblant avant de mourir le peuple d’Israël. Plusieurs personnes virent dans les paroles de Mr Vianney comme un discours d’adieu ; elles en conclurent que sa fin n’était pas éloignée.



Le Curé d’Ars était depuis longtemps exténué (569) de fatigues. Sa toux le faisait horriblement souffrir. Le samedi matin trente juillet mil huit cent cinquante-neuf, il se trouva si faible qu’il ne put se lever et appela quelqu’un. Prévenu de la fatigue de Mr Vianney, vers les deux heures du matin, je courus auprès de lui : « Allez chercher mon confesseur, me dit-il. –je vais aussi chercher le médecin. – c’est inutile, il n’y fera rien. »


571 (571) Session 58 – 23 juillet 1863 à 3h de l’après-midi



Prosequendo vigesimum secundum interrogatorium, testis respondit :



La maladie du Serviteur de Dieu m’a paru provenir d’un grand épuisement, accompagné des symptômes de la dysenterie. Elle n’a duré que cinq jours. Je n’ai rien remarqué d’extraordinaire pendant tout le cours de la maladie ; il a montré une soumission parfaite à la volonté de Dieu ; (572) lui qui avait refusé ordinairement les soins qu’on voulait lui donner dans ses infirmités habituelles, fut alors docile comme un enfant et laissa faire les personnes qui l’entouraient. J’ai déjà dit qu’il avait demandé spontanément son confesseur. On devait lui donner la Ste Communion le mercredi matin à minuit, pour qu’il fût à jeun. On lui administra le St Viatique et l’extrême-onction le mardi soir et j’ai toujours cru que c’était sur sa demande qu’on en avait avancé le moment.



Juxta vigesimum tertium interrogatorium, testis interrogatus respondit :





Le Serviteur de Dieu est mort le jeudi matin, vers deux heures, le quatre août mil huit cent cinquante-neuf, sans agonie et sans violence, ayant conservé sa connaissance jusqu’à son dernier soupir. Dès le point du jour on descendit le corps dans l’appartement au dessous de sa chambre ; c’est là qu’il est resté exposé jusqu’à la cérémonie des funérailles. Il se fit autour du corps un concours extraordinaire ; on ne saurait dire la quantité d’objets pieux et même d’autres objets qu’on fit toucher à son corps. On fut obligé de mettre une barrière pour empêcher la foule d’approcher trop près et de le dépouiller. A la cérémonie des funérailles présidées par l’Evêque du diocèse, on vit près de deux cent quatre-vingts prêtres ; un très grand nombre de fidèles venus de tous les côtés.



Juxta vigesimum quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Le corps du Serviteur de Dieu, mis d’abord dans un cercueil en plomb et dans un autre en chêne, a été enseveli au milieu de la nef de l’église d’Ars. Le corps a été descendu dans le caveau une douzaine de jours après la mort, c’est à dire dès que le caveau eut été préparé. Une pierre tumulaire ordinaire indique l’endroit où il a été enterré. L’inscription rappelle seulement ses noms, et prénoms et son titre de Curé d’Ars. (573) On avait d’abord mis une barrière comme on a coutume en France d’en placer autour des tombeaux ; on l’a fait disparaître plus tard. Quand il y avait la barrière, les fidèles y suspendaient des couronnes comme on en voit en grand nombre en France dans les cimetières. J’ai vu qu’on avait pris soin d’éloigner ce qui aurait pu ressembler à un culte public. Au moment où l’on descendit le cercueil dans le tombeau, les fidèles qui étaient présents s’empressèrent de le baiser en signe de vénération. On voit encore les fidèles venir en grand nombre de tous les côtés pour prier sur le tombeau du Curé d’Ars et solliciter par son intercession des grâces particulières.



Juxta vigesimum quintum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Mr Vianney a joui pendant sa vie d’une grande réputation de sainteté. On l’appelait communément le saint Curé et surtout le saint père. Cette réputation que partageaient les personnages les plus haut placés, tels que évêques, magistrats, prêtres distingués, etc., était répandue non seulement en France, mais j’oserais dire dans une grande partie de l’Europe. C’est cette réputation due à son genre de vie extraordinaire, qui lui attirait les fidèles de divers pays, de toutes les classes et de toutes les conditions. On a estimé, dans les dernières années de sa vie, que ce concours d’étrangers s’élevait annuellement à quatre-vingt mille. Il recevait aussi des lettres en grand nombre de différents pays. On ne se contentait pas de lui parler ou de recevoir sa bénédiction, on voulait encore posséder un souvenir de lui, par exemple un objet qu’il avait béni, une image ou un livre sur lequel il avait mis sa signature. On est allé jusqu’à couper ses cheveux par derrière. Presque tous les jours on prenait son catéchisme et on le remplaçait par un autre.



Cette réputation de sainteté n’a subi à mon avis aucune interruption jusqu’au moment de la mort. (574) Je ne sache même pas qu’elle ait subi après la mort aucune altération. Il y a eu sans doute la première année de son décès, une diminution très considérable dans le nombre des pèlerins, et je l’explique tout naturellement puisque la plupart ne venaient que pour voir le Serviteur de Dieu, lui parler, et se confesser à lui. Le concours a recommencé, et aujourd’hui il est assez considérable. Quant à moi, je l’ai regardé pendant sa vie comme un saint, et ma conviction sur ce point n’a pas changé après sa mort. Les habitants de Dardilly, sa paroisse natale, ont fait des démarches officielles auprès des autorités ecclésiastiques et civiles, pour avoir sa dépouille mortelle.



Juxta vigesimum sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je ne connais personne qui se soit élevé contre cette réputation de sainteté. J’ai vu un homme qui paraissait indifférent à ce sujet, sans cependant rien dire ou rien faire contre. A la vue du concours extraordinaire qui eut lieu immédiatement après sa mort, il fut singulièrement frappé et le regarda comme un saint.



Juxta vigesimum septimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



J’ai entendu citer plusieurs guérisons miraculeuses, mais je ne puis donner les détails. Je sais que les missionnaires d’Ars ont recueilli avec soin les faits extraordinaires.



Juxta vigesimum octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai rien à ajouter à la déposition que j’ai faite jusqu’à présent.



Et expleto examine super interrogatoriis, deventum est ad Articulos, super quibus testi lectis, dixit se tantum scire, quantum supra deposuit ad interrogatorio adquae se retulit.



Sic completo examine, integra depositio jussu Rmarum suarum Dominationum perlecta fuit a me Notario a principio ad finem testi supradicto alta et intelligibili voce. Qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in eamdem perseverare, et illam iterum confirmavit.



Quibus peractis, injunctum fuit praedicto testi ut se subscriberet, prout ille statim, accepto calamo se subscripsit ut immediate sequitur.



Ita pro veritate deposui,



Fr. Jérôme François Dunoyer




Ars Procès informatif 1465