Ars Procès informatif 577

TEMOIN VIII - JEAN BAPTISTE MANDY

577 (577) Session 59 - 24 juillet 1863 à 8h du matin

578 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit:

Je connais parfaitement la nature et la force du serment que je viens de faire, et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.



Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je m'appelle Jean Baptiste Mandy; je suis né à Ars le onze juin mil huit cent onze. Mon père se nommait Antoine Mandy et ma mère Benoîte Cinier. Je suis propriétaire d'une modeste fortune.



Juxta tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je remplis toutes les années le précepte de la confession et de la communion; il y a près d'un mois que j'ai fait ma dernière communion. J'ai coutume de m'approcher plusieurs fois dans le courant de l'année de la sainte table.



Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai jamais été traduit en justice devant aucun tribunal.



Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai jamais encouru de censures ou de peines ecclésiastiques.



Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai été instruit par personne de la manière dont je devais déposer dans cette cause. 579 Je n'ai pas lu les Articles rédigés par le Postulateur. Je ne dirai que ce que je sais par moi-même, ou ce que j'ai appris de témoins dignes de foi.



Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai une grande affection et une grande vénération pour le Serviteur de Dieu-Jean Marie Baptiste Vianney. Je désire sa Béatification et sa Canonisation; mais en cela je ne me propose que l'honneur de l'Église et la gloire de Dieu.



Juxta octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je ne sais pas exactement le jour et l'année de la naissance du Serviteur de Dieu. Je sais qu'il est né à Dardilly, paroisse du diocèse de Lyon, de parents chrétiens qui élevaient leurs enfants dans la pratique de la piété. Je ne sais quand il a été baptisé et confirmé.



Juxta nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je tiens de personnes dignes de foi que Mr Vianney a passé son enfance et son adolescence à Dardilly auprès de ses parents.

Il s'occupait aux travaux ordinaires de la campagne, mais dès lors il se distingua par sa piété et sa conduite. Je tiens ce détail de mon père qui lui-même l'avait recueilli de la bouche du frère de Mr Vianney. Je n'ai pas entendu dire qu'on ait eu aucun défaut à lui reprocher à cette époque de sa vie.



Juxta decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Vers l'âge de quinze à seize ans, Mr Vianney abandonna les travaux de la campagne pour s'adonner à l'étude des lettres. C'est auprès de Mr Balley, curé d'Ecully, qu'il commença ses études.

Il n'avait pas de facilité. J'ai appris de mon père qu'il donna des marques de piété dans ce temps-là.



Juxta undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

(580) Je sais de Mr Vianney lui-même qu'il fut obligé d'interrompre ses études pour obéir à la loi de conscription militaire; mais qu'il déserta et se retira aux Noës. Sa conduite dans cette localité continua à être pieuse et chrétienne. Quand il fut revenu à Ecully, il reprit le cours de ses études.



Juxta duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais, toujours par le moyen de mon père, que Mr Vianney persévéra dans le dessein d'embrasser la carrière ecclésiastique, et qu'enfin il fut ordonné prêtre; mais j'ignore les circonstances du temps et du lieu.



Juxta decimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais que le Serviteur de Dieu, aussitôt après son ordination, fut demandé par Mr Balley pour être son vicaire à Ecully. Il y fut placé par l'autorité ecclésiastique et il remplit avec une grande exactitude et une grande édification la fonction de vicaire. A la mort de Mr Balley, les paroissiens le demandèrent pour leur curé.



Juxta decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Mr Vianney fut nommé Curé d'Ars au mois de Février mil huit cent dix-huit. Cette paroisse ressemblait aux paroisses environnantes; il y régnait une grande indifférence en matière de religion; les danses y étaient fréquentes. Pour les détruire, il s'entendit avec l'autorité civile locale. Il ne craignit même pas de faire quelques sacrifices pécuniaires, en donnant de l'argent soit au cabaretier du village, soit au musicien.



Juxta decimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Mr Vianney établit dès les premières années de son arrivée à Ars plusieurs confréries ou associations pieuses. Pour l'éducation des jeunes filles il fonda la Providence et plus tard il érigea l'école gratuite des jeunes gens. Ces différentes institutions ont puissamment contribué à la réforme de la paroisse.

581 (581)
Juxta decimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'atteste que Mr Vianney a rempli exactement tous les commandements de Dieu et de l'Eglise, les obligations auxquelles il était tenu comme prêtre, curé, fondateur ou directeur des oeuvres dont je viens de parler. Il a persévéré jusqu'à la mort dans le fidèle accomplissement de tous ses devoirs. Je ne sais rien qui puisse infirmer ma conviction profonde sur ce point. Les absences qu'il a faites de sa paroisse pour les missions, les jubilés ou les visites aux malades n'ont nui en aucune façon au bien de la paroisse d'Ars. Du reste, il revenait tous les Dimanches et si l'on avait besoin de lui pendant la semaine, il revenait aussitôt. Dominé par l'idée d'aller dans la solitude pour s'occuper plus activement de son salut, il voulut plusieurs fois quitter sa paroisse; mais il n'eut jamais la pensée de réaliser son dessein sans avoir la permission de son évêque: c'est du moins ma conviction. Quand il s'enfuit pour la première fois, il écrivit ou il fit écrire immédiatement à son évêque.



Juxta decimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit :

Je sais que Mr Vianney a eu à supporter des contradictions et des injures. Il me serait difficile de les spécifier. Ces contrariétés lui venaient et de la part des laïques et de la part des ecclésiastiques; mais je ne sache pas qu'il y ait donné occasion. Mr Vianney priait pour ceux qui cherchaient à lui faire du mal. Parlant un jour à mon père de ses contrariétés, il disait: Il nous faut prier pour eux.



Juxta decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'atteste que Mr Vianney a persévéré jusqu'à la mort dans la pratique des vertus chrétiennes. Je ne connais rien qui puisse indiquer quelque manquement sous ce rapport.



Quoad fidem, testis respondit:

(582) Je tiens de mon père, qui lui-même l'avait appris du frère de Mr Vianney, que le Serviteur de Dieu se fit remarquer dès son enfance par un goût tout particulier pour la prière et les exercices de piété. Sa mère, qui était très vertueuse, prenait plaisir à développer ses heureuses dispositions. Dès que le jeune Vianney entendait sonner l'angelus, il donnait l'exemple à toute la famille en s'agenouillant le premier pour réciter l'Ave Maria. Il semblait n'avoir aucun des goûts de son âge; il recherchait la solitude autant que possible, il aimait peu à se trouver avec les autres enfants. On remarquait qu'il priait souvent. Quand il travaillait à la vigne, il plaçait au-devant de lui, sur une petite élévation, une statuette de la Ste Vierge; cette vue l'animait et l'encourageait dans son travail. Dès qu'il avait atteint sa statuette, il courait la reporter plus loin, et ainsi de suite tant que durait le travail. J'ai entendu dire qu'il s'était toujours distingué par sa foi et sa piété pendant le cours de ses études. Je sais qu'il ne fut admis à l'état ecclésiastique qu'à cause de sa piété; on voulait le rejeter pour son peu de talents.

J'ai entendu dire par la voix publique que Mr Vianney, dès son arrivée à Ars, remplit tous les devoirs d'un zélé pasteur. Il se préparait avec grand soin à annoncer la parole de Dieu. On l'entendait s'exercer à débiter au presbytère les instructions qu'il avait composées avec peine. J'ai vu par moi-même avec quelle édification on sanctifiait le Dimanche. Quoique le travail soit assez fréquent dans les paroisses voisines, il a à peu près cessé pleinement à Ars, le Dimanche et les jours de fête. On ne vendait pas et on n'achetait pas. Quand on lui présentait le Dimanche des objets à bénir, il demandait si on les avait achetés ce jour-là: dans ce cas, il refusait de les bénir. Il ne laissait pas partir les pèlerins le Dimanche. 583 Lorsque cependant l'établissement du chemin de fer eut rendu l'arrivée et le départ des voitures nécessaires, on les faisait arrêter à l'entrée du village, et c'est de là qu'elles partaient. J'ai déjà dit que pour faire cesser les danses, il était allé jusqu'à donner de l'argent au cabaretier et surtout au musicien.




585 (585) Session 60 - 24 juillet 1863 à 3h de l'après-midi



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

La foi du Serviteur de Dieu le porta à agrandir et à orner son église, sans recourir à ses paroissiens. Il voulut aussi avoir de beaux ornements pour le saint sacrifice, parce qu'il tenait beaucoup à la pompe du culte: 586 aussi on ne saurait exprimer la joie qu'il montra lorsqu'il reçut les ornements que le vicomte d'Ars envoya de Paris. Pour remercier Dieu, il conduisit sa paroisse en procession à Notre-Dame de Fourvières. Mr Vianney célébrait la sainte Messe avec la foi la plus vive; souvent je l'ai vu sourire au moment de la consécration et de la communion; il semblait qu'il voyait quelque chose d'extraordinaire. Quand il parlait sur la Ste Eucharistie, il était tellement pénétré, qu'il paraissait être comme dans un bain de joie. S'il avait à discourir sur l'amour de Dieu, sur le Ciel, sur le péché, sur l'état d'une âme en état de grâce, il le faisait dans des termes qui nous impressionnaient vivement. Tout parlait dans lui, ses yeux, ses gestes, sa figure surtout; on aurait dit qu'il voyait d'une manière sensible ce qu'il expliquait. Si au contraire, il devait parler sur le péché, il le faisait avec un de tristesse et de regret, qui indiquait assez la peine qu'il éprouvait de voir offenser Dieu. Quand il priait, il paraissait si recueilli et si pénétré de la présence de Dieu, que son extérieur, son maintien réveillait la foi et ranimait la piété dans ceux qui en étaient témoins.



Quoad Spem respondit testis:

Le Serviteur de Dieu a certainement pratiqué la vertu d'Espérance. Il avait placé en Dieu toute sa confiance, il ne comptait point sur ses propres forces. Quand il avait connu la volonté de Dieu, il s'efforçait de l'accomplir sans jamais se lasser, ni se décourager. Il eut cependant à supporter des épreuves et des contradictions. Il reçut même des lettres injurieuses de la part de quelques ecclésiastiques. Ce qui là dessus paraissait lui faire le plus de peine, c'était de penser que Dieu était offensé. On voyait dans toute sa conduite qu'il n'agissait qu'en vue de Dieu et qu'il faisait tous ses efforts pour conduire à Dieu les âmes qui lui étaient confiées. 587 Il me serait difficile de donner des détails, ou de citer des faits particuliers concernant la vertu d'Espérance de Mr Vianney. Ma conviction profonde est qu'il a pratiqué cette vertu à un haut degré et je n'ai jamais rien vu dans sa conduite qui lui parût opposé.



Quoad Charitatem, testis respondit:

J'ai déjà dit en répondant aux premiers Interrogatoires que Mr Vianney s'était toujours fait remarquer par sa piété et son amour de la prière. Je n'ai point de nouveaux détails à donner jusqu'au moment de son arrivée à Ars. Je tiens de mon père et d'autres personnes que dès le commencement, Mr Vianney allait souvent à l'église et y demeurait longtemps occupé à prier ou à méditer. J'ai vu moi-même avec quel soin il se préparait à célébrer le saint sacrifice. J'ai déjà dit avec quelle foi et quelle piété il disait la messe. J'en étais singulièrement frappé. Sa figure s'illuminait; il y avait dans lui quelque chose de céleste, surtout au moment de la communion. Il s'arrêtait alors un instant, semblait converser avec Notre Seigneur, et puis consommait les saintes espèces.

Il disait son office ordinairement à l'église, à genoux et sans appui. De temps en temps, il jetait les yeux vers le tabernacle et l'on voyait sur sa figure l'expression de la joie et du bonheur. Il était impossible de surprendre un moment de distraction lorsqu'il était en prière. Quand le saint Sacrement était exposé, il ne s'asseyait pas, au moins les dernières années de sa vie, et se tournait vers l'autel avec un sourire expressif.

(588) Le Curé d'Ars semblait n'avoir qu'une seule pensée, aimer Dieu et le faire aimer. Il a tellement agi pour Dieu, que j'oserais dire qu'il ne s'est jamais accordé la moindre jouissance.

Toutes les fois qu'il avait à parler sur l'amour de Dieu ou sur le St Sacrement, il le faisait dans des termes qui indiquaient l'amour dont il était lui-même embrasé. Il y avait dans la manière dont il disait: Il faut bien aimer le bon Dieu, dans la manière dont il prononçait l'adorable nom de Jésus, un accent qui frappait tout le monde. Il terminait souvent ses instructions par ces mots: Être aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre en la présence de Dieu, vivre pour Dieu, oh! belle vie et belle mort.

Au confessionnal, il ne cessait de porter les fidèles à aimer Dieu. Je me suis senti moi-même fortement impressionné lorsque, m'adressant pour la confession au Serviteur de Dieu, je l'entendais m'exhorter à aimer Dieu.

Ce qui, à mon avis, prouve la grande charité de Mr Vianney, c'est la manière dont il se comportait au milieu de la foule et du bruit. A quelque moment qu'on le vît, environné, pressé par la multitude, harcelé de questions, interpellé de tous côtés, on le trouvait toujours égal à lui-même, toujours gracieux, toujours aimable, toujours la figure calme et souriante. Il semblait n'avoir point perdu de vue la présence de Dieu et converser encore avec lui. Était-il entouré de respect, escorté par la foule; la voyait-il s'agenouiller sur son chemin et s'incliner pour recevoir sa bénédiction? 589 On le retrouvait toujours le même, simple comme un enfant et n'ayant pas l'air de se douter qu'il fût pour quelque chose dans le concours qui se faisait autour de lui. Il disait que tout autre prêtre à sa place aurait fait plus de bien.

Il n'aimait pas à parler des choses de ce monde; quand il était obligé d'entendre des conversations sur ce sujet, on aurait dit presque qu'il avait la fièvre. S'il le pouvait, il ramenait bien vite la conversation aux choses de Dieu. Dès qu'il touchait ce sujet, son coeur semblait se dilater. Il parlait du ciel comme s'il en était revenu. Il était fortement impressionné en prêchant ou en discourant sur le péché; il versait aussitôt des larmes.

Son amour pour Dieu et le St Sacrement l'engagea à porter les fidèles à la fréquente communion. Il donnait au culte toute la pompe possible. Son ambition était d'avoir de très beaux ornements. Rien n'est trop beau, disait-il, quand il s'agit du bon Dieu.

Il se plaignait quelquefois de ce que ses occupations et le concours des pèlerins ne lui permissent pas de vaquer à l'oraison comme il l'aurait désiré. Il a toujours eu le désir d'aller dans quelque ordre contemplatif ou dans la solitude pour satisfaire plus facilement le besoin qu'il avait de s'unir à Dieu. Il a souvent dit: qu'il ne voudrait pas mourir curé, mais là-dessus il s'en remit à la décision de son évêque, ainsi que je l'ai indiqué en répondant au seizième Interrogatoire.

590 Le Curé d'Ars n'arriva pas à ce degré d'amour de Dieu, dont j'ai parlé, sans avoir beaucoup à souffrir. Il fut en butte en particulier aux attaques du démon, qui tantôt d'une façon, tantôt d'une autre, venait l'effrayer et troubler son sommeil. Dans le commencement il crut que c'était des voleurs, et il pria deux jeunes gens, parmi lesquels se trouvait mon frère, de coucher à la cure. Le bruit continua, mais les jeunes gens n'entendirent rien. Le Curé comprit alors ce que c'était; il renvoya les deux jeunes gens et s'abandonna entre les mains de Dieu. Comme les attaques du démon étaient plus importunes lorsque quelque grand pécheur devait venir faire sa confession, Mr Vianney s'en réjouissait en pensant au bien qui allait se faire et disait parfois avec un aimable sourire: Le diable est en colère, c'est bon signe.




593 (593) Session 61 - 25 juillet 1863 à 8h du matin



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je tiens de mon père, qui l'avait appris, ainsi que je l'ai dit plusieurs fois, du frère même de Mr Vianney, que le Serviteur de Dieu montra dès son enfance un grand amour pour les pauvres. Il amenait à la maison paternelle les mendiants, qu'il rencontrait sur son chemin. 594 Non content de leur procurer le logement et la nourriture, il demandait encore à ses parents, pour ceux qui en avaient besoin, des souliers ou des habillements.

Je ne sais rien autre de particulier jusqu'à son arrivée à Ars. Il sembla se faire tout à tous; il saisissait la moindre occasion de donner à chacun de ses paroissiens des marques directes de son affection et de son dévouement pour eux. Ouvert, complaisant, affable envers tout le monde, il n'aurait pas rencontré un enfant sans lui adresser en souriant quelques mots aimables. J'en ai été témoin bien des fois. Il n'allait pas seulement là où on l'appelait, il visitait encore assez souvent ses paroissiens. Il choisissait plus volontiers l'heure du repas, afin de trouver plus facilement la famille réunie. Pour ne causer ni dérangement, ni surprise, il s'annonçait de loin en appelant par son nom de baptême le maître de la maison; puis il entrait, s'appuyait un instant contre un meuble, demandait des nouvelles de la famille, et avant de terminer sa courte visite, adressait quelques mots d'édification. Je l'ai vu très souvent faire ainsi ses visites dans la maison paternelle.

Mr Vianney ne s'épargnait pas; j'ai su qu'il avait bien à souffrir et qu'il offrait ses souffrances de la nuit pour la délivrance des âmes du purgatoire. Il disait: Si je pouvais dormir deux heures, ce serait assez. Malgré ses douleurs et son manque de sommeil, il se levait de grand matin, et reprenait avec courage les travaux qu'il avait entrepris pour la gloire de Dieu. Il gémissait continuellement sur le sort des pauvres pécheurs. Il ne cessait de prier pour leur conversion. Tous les soirs il disait à la prière un pater et un Ave dans cette intention. Il recommandait aux fidèles de prier pour eux et de donner des messes pour ce sujet. Il désirait tellement travailler au salut des âmes qu'un jour il dit à un des missionnaires qu'il resterait bien, pour cela, s'il le fallait, jusqu'à la fin du monde; 595 qu'il ne craignait pas la peine. Dans le but de procurer plus sûrement le salut des âmes, il a fondé avant sa mort un grand nombre de missions. Cette oeuvre lui était particulièrement chère.

Lorsque dans les commencements il était moins occupé, il se rendit volontiers à l'invitation de ses confrères, et prit part, comme je l'ai dit, à différentes missions ou jubilés. C'est alors qu'on connut les grandes vertus du Serviteur de Dieu. Il y a toujours eu à Ars quelques étrangers qui venaient solliciter son ministère; mais depuis l'époque de ses missions, le nombre alla en augmentant et finit par atteindre un chiffre très considérable. Le bon Curé, comme je l'ai remarqué moi-même très souvent, paraissait content et heureux, quand la foule était considérable. On le voyait ennuyé et triste quand il y avait moins de monde. Pour répondre au désir des pèlerins, il se rendait, vers deux heures du matin pendant l'été, et vers quatre ou cinq heures en hiver, à l'église et y entendait les confessions. Il passait en moyenne au confessionnal de douze à quinze heures par jour. Si matinal que fût le Curé, la foule l'avait devancé et l'attendait à la porte de l'église. Un grand nombre de personnes passaient la nuit dans le vestibule de l'église.

Les fidèles d'Ars avaient aussi compris le trésor qu'ils possédaient. Leur bon Curé, dans les commencements, avait presque continuellement la fièvre; on suppose que c'est pour ce motif qu'il avait demandé son changement. Les supérieurs ecclésiastiques le nommèrent curé de Salles, dans le Beaujolais. Dès que les habitants d'Ars le surent, ils envoyèrent une députation à la tête de laquelle se trouvait mon père, alors maire de la commune, pour redemander leur curé. L'autorité ecclésiastique obtempéra à leurs désirs.

Dès les commencements de son séjour à Ars, Mr Vianney songea à l'éducation des jeunes filles de la paroisse, et dès qu'il le put, il fonda sa Providence. 596 Il vendit son patrimoine pour l'acquisition de la maison. Il reçut des jeunes filles pauvres et abandonnées, autant que le local le permit. Grâce à des ressources qui lui arrivèrent de différents côtés, il agrandit la maison, et l'établissement compta en moyenne une soixantaine d'orphelines. Lui-même pourvoyait à tout. Il trouvait encore le moyen de faire des aumônes assez considérables aux pauvres de sa paroisse. Il a dit plus d'une fois à quelques habitants pauvres: Venez chercher du blé. Il avait placé à la tête de sa Providence deux filles de sa paroisse, qu'il avait mises en pension chez les soeurs de Fareins pour les faire instruire et les former.

Plus tard, il trouva le moyen de fonder l'école gratuite des jeunes gens et pour en assurer l'avenir, il en confia la direction aux frères de la Ste Famille de Belley.

Mr Vianney aima toujours les pauvres et se dépouilla de tout pour les secourir. Les mets ou les provisions, que des personnes pieuses et charitables lui portaient, il les distribuait aux mendiants qui - passaient ou aux pauvres de la localité. Il aimait surtout à les donner à une pauvre aveugle de la paroisse, nommée la mère Bichet. Il s'approchait d'elle doucement, déposait son aumône dans son tablier et se retirait sans rien dire. La bonne aveugle, croyant que c'était une de ses voisines, lui disait: Merci, ma mie, grand merci. Le curé s'en allait en riant de tout son coeur.

J'ai appris par l'opinion publique qu'il payait les loyers de plusieurs familles, soit à Ars, soit ailleurs. Il visitait les pauvres honteux de sa paroisse et les assistait dans leurs besoins. J'ai su aussi qu'on venait d'ailleurs solliciter sa charité pour le même objet. 597 Il n'avait pas coutume de jeter son aumône par la fenêtre, quand un pauvre se présentait à sa porte et que lui-même était dans sa chambre. Il descendait pour le voir, et lui adresser quelques bonnes paroles. J'ai bien des fois entendu dire qu'il avait vendu ses meubles afin de trouver de l'argent pour ses pauvres. C'est dans le même but qu'il a vendu quelques vieux habillements à des personnes qui les lui demandaient et qui voulaient contribuer ainsi à ses bonnes oeuvres.



Quoad Prudentiam, testis interrogatus respondit:

Je suis convaincu que Mr Vianney a pratiqué la vertu de Prudence dès son enfance. Je n'ai pas de preuves directes à donner. Dans la réforme des abus de la paroisse d'Ars ou dans l'institution des différentes oeuvres dont j'ai parlé, Mr Vianney a agi avec prudence: je n'ai en effet jamais entendu dire que personne eût été froissé. Il parvint à faire cesser presque complètement le travail du Dimanche. Ce jour-là, les offices étaient parfaitement fréquentés. Trois fois on se rendait à l'église, le matin pour la messe, à une heure pour le catéchisme et les Vêpres, et le soir pour la prière. C'était alors que Mr Vianney sortait de son confessionnal pour nous faire une de ces instructions qui nous ont tant frappées.

J'ai toujours entendu dire que le Serviteur de Dieu demandait conseil à son Évêque pour les affaires importantes. Il ne comptait pas sur lui-même, il s'abandonnait entre les mains de la Providence, mais tout en comptant sur elle, il se gardait bien de lui demander des prodiges. C'est ainsi que dans 1!établissement de la Providence, il prit tous les moyens pour lui assurer quelques ressources. Il acheta des terres dans ce but, puis il les revendit pour avoir une rente plus fixe. Il ne faisait les différentes fondations dont il a été l'auteur, qu'autant qu'il avait les ressources à peu près suffisantes; il faisait faire une neuvaine à Ste Philomène, et il avait bientôt l'argent dont il avait besoin pour la fondation.

Dans le commencement quelques personnes parurent un peu étonnées de la manière de faire du curé d'Ars, mais lorsqu'il eut été mieux connu, il n'y eut plus qu'une voix pour louer sa conduite. On remarqua qu'au confessionnal, il semblait parfaitement connaître la position d'un chacun et donnait des avis en conséquence. 598 Il a toujours joui de la réputation d'un homme de don conseil; on est venu le consulter sur des affaires très importantes, et je n'ai jamais entendu dire qu'on ait eu à se repentir de l'avoir écouté.

Dans le temps où il était en butte aux contradictions dont j'ai parlé, il laissait dire et faire. Un jour, comme il le rapporta à mon père, une personne se plaignait des contrariétés dont elle était l'objet. Laissez dire et faire, répondit le curé; quand on aura tout dit, on s'arrêtera.



Quoad justitiam, testis interrogatus respondit:

Je ne doute pas que Mr Vianney n'ait rempli tous les commandements de Dieu et de l'Église et qu'il n'ait pratiqué autant qu'il le pouvait les conseils évangéliques.

Dans ses rapports avec le prochain, j'ai toujours remarqué une très grande politesse. En saluant une personne d'une certaine condition, il se servait ordinairement de cette formule: Je vous présente bien mes respects; et il se laissait rarement prévenir. Son respect pour les ecclésiastiques, et en général pour les personnes consacrées à Dieu, se manifestait d'une manière très sensible; il était pour eux plein d'égards et d'attention. Il montrait une grande bonté envers les pauvres, les infirmes, les ignorants et les pécheurs.

Il était très reconnaissant pour les moindres services qu'on lui rendait; il rappelait souvent ceux qu'il avait reçus de sa pieuse mère, de Mr Balley et des habitants des Noës.

J'atteste que Mr Vianney a pratiqué la vertu d'obéissance. Non seulement je n'ai rien vu contre, mais il me semble que sa vertu a paru d'une manière particulière dans la fidélité avec laquelle il a rempli tous ses devoirs. Il était tourmenté du désir de quitter sa paroisse; malgré ce désir, il y est resté jusqu'à la mort, parce que son Évêque ne lui donna pas la permission qu'il sollicitait. Il montra toujours envers les représentants des autorités civiles le respect et l'obéissance qui leur sont dus dans les attributions de leurs pouvoirs. 599




601 (601) Sesssion 62 - 27 juillet 1863 à 8h du matin.



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu rechercha toujours tout ce qui, de près ou de loin, se rapportait au culte divin. Il aimait les objets de piété. Il entendait la parole de Dieu autant qu'il le pouvait. 602 J'ai déjà dit comment il avait embelli son église et lui avait procuré de beaux ornements.

Parmi toutes les dévotions de Mr Vianney, il me semble que celle envers le St Sacrement était la plus frappante. J'en ai donné des preuves en parlant de la Foi et de la Charité. Il faisait le signe de la croix d'une manière grave, posée et recueillie. Il recommandait souvent d'invoquer le Dimanche la Ste Trinité, le lundi le St Esprit, le mardi les anges gardiens, le mercredi St Joseph. Le jeudi, il recommandait d'honorer le St Sacrement, le vendredi la passion de Notre Seigneur et le samedi la Ste Vierge. J'ai déjà dit que dès son enfance, il avait une grande dévotion pour la Ste Vierge. Quand il fut prêtre, il disait la messe à son autel et en son honneur tous les samedis, à moins qu'il n'y eût empêchement. Il récitait le chapelet de l'Immaculée Conception à l'exercice public de la prière du soir. Lorsque l'heure sonnait, il disait un Ave Maria et recommandait beaucoup cette pratique. Il y était tellement fidele, lui-même, que dans ses instructions, il s'interrompait au son de l'heure pour réciter l'Ave Maria. Il eut toujours une grande dévotion à l'Immaculée Conception. Dès l'année mil huit cent trente-six, il avait consacré sa paroisse à Marie Immaculée. Ayant, avant la définition du dogme, érigé une statue à Marie Immaculée, il voulut néanmoins témoigner sa joie de la définition du dogme en faisant acheter en son honneur un très bel ornement pour son église.

Mr Vianney déployait une grande pompe aux fêtes de la très sainte Vierge. Ces jours-là, les offices se célébraient comme les dimanches, alors même que ce n'était pas fête d'obligation. Il recommandait beaucoup la dévotion au saint Coeur de Marie; il avait établi en son honneur l'Archiconfrérie de Notre-Dame des Victoires, et il conseillait souvent de faire des neuvaines à ce sujet. 603 Les fidèles de sa paroisse, répondant à la dévotion et aux instructions de leur pasteur, avaient partout érigé des statues à la Ste Vierge dans leurs maisons.

Parmi les saints qu'il honorait d'une manière spéciale, je puis citer St Joseph, St Jean-Baptiste, St François d'Assise, Ste . Thérèse, etc. Il lisait fréquemment la vie des saints et y puisait des traits admirables, qu'il racontait dans ses instructions avec une onction toute pénétrante. Mais sa dévotion particulière avait surtout pour objet Ste Philomène, qu'il nommait sa chère petite sainte. Il lui avait fait construire une chapelle, il conseillait des neuvaines en son honneur, et son humilité était charmée de rejeter sur son compte tous les prodiges qui s'opéraient à Ars.

Les âmes du purgatoire lui étaient très chères; il priait beaucoup pour elles à des jours déterminés, et il offrait pour leur soulagement les terribles souffrances qu'il endurait pendant la nuit. Il recommandait vivement cette dévotion aux fidèles, et lui-même avait fondé des neuvaines et des octaves pour obtenir leur délivrance.

Quant à ce qui concerne l'Oraison, je puis déposer: Je ne sais rien de particulier sur la manière dont Mr Vianney faisait oraison, mais à son attitude profondément recueillie à l'église, j'ai toujours pu juger que son âme était toujours intimement pénétrée de la présence de Dieu et unie à lui.



Quoad Fortitudinem, testis interrogatus respondit:

L'une des vertus qui me paraît avoir brillé avec le plus d'éclat dans Mr Vianney, est la vertu de Force. Dans le genre de vie si austère qu'il a suivi jusqu'à sa mort, dans ses souffrances si nombreuses et si graves, dans les contradictions de toutes espèces qu'il a rencontrées, elle ne s'est jamais démentie. Sa constance a été inébranlable; 604 c'est toujours en Dieu et dans l'attente de son assistance continuelle qu'il a puisé sa fermeté et son courage.

Mr Vianney a montré toute sa vie une patience héroïque. Atteint, vers la fin, des douleurs les plus cruelles, jamais il n'a laissé échapper de plainte; c'est à peine si parfois, dans les moments de souffrances plus vives, on lui entendait dire, en réponse aux pressantes demandes qui lui étaient adressées: Je souffre un peu; oui, je suis un peu fatigué. Souvent je l'ai vu n'en pouvant plus, courbé, plié en deux, n'en pas moins continuer les pénibles fonctions de son ministère. Une fois que j'étais malade, il est venu me voir; il était plus malade que moi. En quittant ma chambre, il s'affaissa de fatigue et tomba sur lui-même. Je l'ai vu bien souvent ne pouvant pas se soutenir lorsqu'il montait en chaire. Mais à peine avait-il commencé à nous adresser la parole, l'ardeur de son zèle lui donnait des forces extraordinaires; ce n'était plus le même homme; il était tout transformé. Je sais qu'il a reçu des lettres anonymes pleines d'injures; il en était peiné à cause de l'offense faite à Dieu; mais pour ce qui le concernait lui-même, il n'en témoignait que de la joie. Il a raconté à mon père avoir reçu un jour deux lettres, dont l'une était pleine d'éloges, l'autre de paroles outrageantes. Ce sont là de ces choses, lui a-t-il dit, auxquelles il ne faut pas faire attention. J'ai pu conjecturer par ses prédications qu'il était d'un caractère naturellement vif. Vous vous plaignez, disait-il aux fidèles, de ne pouvoir point pratiquer la patience à cause de votre vivacité; eh! mon Dieu, tout le monde en a bien... Paroles qui me faisaient croire qu'en les prononçant il pensait à lui-même. J'ai toujours admiré son extrême patience à l'église au milieu de la foule des pèlerins et surtout des importunités de quelques personnes indiscrètes.



Quoad Temperantiam, testis interrogatus respondit: :

J'ai souvent entendu parler des mortifications auxquelles Mr Vianney se livrait. 605 Le bruit public rapporte qu'il ne couchait que sur une paillasse fort dure et quelquefois même sur une planche. On parlait dans le village de beaucoup de mortifications extraordinaires qu'il faisait, par exemple, qu'il avait essayé de ne vivre que d'herbages, mais qu'au bout de huit jours il avait dû renoncer à ce régime; qu'il achetait le pain des pauvres pour s'en nourrir et autres choses de ce genre. Mais pour moi, je ne sais rien de personnel à ce sujet. Un jour cependant, me trouvant à la cure pendant son repas principal, je l'ai vu prendre une tasse de lait, y mettre quelques miettes de pain et manger ensuite une des deux pommes de terre qu'on lui avait servies. Il me présenta la seconde; je la refusais, craignant de l'en priver; mais lui alors l’écarta en disant: "C'est bien assez comme cela." Je demandais ensuite à la personne qui le servait depuis combien de temps elle lui avait apporté le morceau de pain où il avait pris quelques miettes. Depuis quatre jours, me répondit-elle. - Je ne pense pas qu'il manquât au morceau de pain, tel qu'il lui avait été remis, plus de cent grammes, quoiqu'il eût cependant vécu là-dessus quatre jours.

Je sais qu'au confessionnal, où il passait de longues heures, il se refusait toute espèce de soulagement, tels que coussinet, bouillotte pour se tenir les pieds chauds pendant l'hiver, etc. Ces habitudes de mortification étaient telles qu'un jour son Évêque, Mgr Devie, l'ayant contraint à assister à un repas et obligé à prendre quelques nourritures de plus, son estomac accoutumé à l'abstinence en fut tellement fatigué qu'il éprouva une indigestion violente, si bien qu'à partir de là Mgr Devie le laissa tout à fait libre de suivre son régime ordinaire. Pendant un hiver, on vint à bout d'introduire à son insu une bouillotte d'eau chaude sous le marchepied de son confessionnal. Ignorant cette pieuse industrie, il manifestait son étonnement de n'avoir pas eu froid aux pieds cet hiver.

(606) Sa vie mortifiée n'avait rien d'austère ni de rebutant pour les autres. J'ai moi-même été témoin d'un fait qui prouve son amabilité à cet égard. Il arrivait souvent qu'avec d'autres gens de la paroisse, nous lui amenions les différentes provisions dont il pouvait avoir besoin pour sa Providence. Il nous accueillait avec la plus exquise bonté, nous faisait préparer un repas bien convenable, nous exhortait à bien manger, nous servait lui-même à table; mais jamais nous n'avons pu le décider à prendre quelque chose avec nous.



Quoad Paupertatem, testis interrogatus respondit:

Mr Vianney a montré un grand amour pour la pauvreté. Tout en lui, tout autour de lui respirait cette vertu. Jamais il n'a rien voulu posséder en propre; on a été obligé de pourvoir à ses vêtements, de lui fournir ses meubles, sa nourriture, jusqu'à la pauvre tasse de lait qu'il prenait tous les jours. L'argent qu'il recevait, semblait lui brûler les doigts et il se hâtait d'aller le porter aux missionnaires; il n'en faisait de cas absolument que parce qu'il y trouvait le moyen de faire des bonnes oeuvres. C'est ainsi qu'il lui arriva un jour de brûler par hasard un billet de banque; comme on lui exprimait quelques regrets: Il y a moins de mal, dit-il, que si l'on avait offensé Dieu par un péché véniel. Sa chambre, la seule pièce habitable de la cure, était dans un état de délabrement qu'il est facile de constater encore aujourd'hui. Rien de plus pauvre que son mobilier; il se servait pour ses repas d'une mauvaise tasse en terre; on voulut la remplacer un jour par une tasse en faïence, il la repoussa en disant, ainsi qu'il m'a été rapporté: Il n'y a donc pas moyen d'être maître de pratiquer la pauvreté chez soi. Il était entièrement étranger à tout le mouvement du monde et à tous les intérêts matériels. Il n'a jamais vu aucun chemin de fer, quoique celui de Paris à Lyon passât tout près d'Ars et lui amenât chaque jour un si grand nombre de pèlerins. 607




609 (609) Session 63 - 27 juillet 1863 à 3h de l'après-midi



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai pu constater bien des fois que la simplicité et la modestie semblaient revêtir Mr Vianney de la tête aux pieds. Il y avait chez lui une simplicité d'enfant jointe à une certaine finesse d'esprit. 610 On croirait que le curé d'Ars était tenté d'orgueil au milieu du concours des pèlerins et des démonstrations de respect qu'on lui prodiguait; mais il n'en était rien. Son humilité était si profonde qu'il semblait n'avoir pas même la conscience du bien qu'il faisait. J'ai plusieurs fois remarqué que lorsqu'on lui donnait des éloges, il éprouvait le plus grand embarras. Il ne commençait jamais à parler de lui-même, et lorsqu'on mettait la conversation sur lui, il y coupait court au plus vite. L'une des grandes souffrances, je pourrais dire l'une des grandes humiliations de sa vie a été de voir son portrait étalé et vendu dans sa paroisse. Il finit cependant par s'y accoutumer, mais il en plaisantait agréablement en l'appelant son carnaval. Lorsqu'on lui présentait des objets à bénir et que son portrait se trouvait avec eux, s'il l'apercevait, il avait soin de l'écarter.

J'ai entendu dire que lorsque le Père Lacordaire vint le visiter à Ars, après son départ il dit: Savez-vous la réflexion qui m'a frappée pendant cette visite? C'est que ce qu'il y a de plus grand dans la science est venu s'abaisser devant ce qu'il y a de plus petit dans l'ignorance. Les deux extrêmes se sont rapprochés.

J'ai été témoin moi-même de l'humiliation qu'il éprouva lorsque le camail lui fut remis par Mgr l’Évêque de Belley. Il semblait avoir des épines sur le dos, il se retira à la sacristie et il s'en serait dépouillé immédiatement sans l'observation d'un vicaire général qui était présent et qui lui fit entendre qu'un acte pareil serait un manque de respect à son Évêque.



Quoad castitatem, testis respondit:

Ses paroles, ses actions, toute sa manière de vivre ont toujours témoigné du plus grand amour pour la chasteté. 611 Il n'a jamais eu à son service des personnes du sexe d'une manière permanente. Quelques personnes pieuses de la paroisse se sont occupées successivement de mettre un peu d'ordre de temps en temps dans son ménage, de préparer ses misérables repas; mais presque jamais quand il était présent à la cure.



Interrogatus demum an sciat vel dici audiverit, servum Dei unquam aliquid gessisse virtutibus supradictis quoquo modo contrarium, respondit testis:

Je ne connais absolument rien qui puisse ternir l'éclat des vertus sur lesquelles j'ai déposé.



Juxta decimum nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je suis convaincu que le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus dont j'ai parlé au degré héroïque, et par degré héroïque j'entends la vertu pratiquée d'une manière supérieure à celle que l'on rencontre même dans les bons chrétiens. Pour juger qu'il a pratiqué les vertus à ce degré, je me réfère à mon interrogatoire. Si je ne l'ai pas suffisamment prouvé, c'est que je n'ai pas su mieux m'exprimer. Du reste, la vivacité de sa foi, qui est allée toujours en croissant, sa fidélité à un ministère pénible et écrasant, sa vie austère et pénitente pendant de si longues années, sa persévérance dans toutes les choses les plus pénibles à la nature montrent assez que la vertu en lui était bien supérieure à tout ce que l'on a droit d'attendre même des âmes les plus fidèles.



Juxta vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai plusieurs fois remarqué que le Serviteur de Dieu, pendant ses instructions, versait des larmes.

L'opinion publique à Ars est qu'il lisait souvent dans les coeurs. On racontait à ce sujet un grand nombre de faits. En voici un qui m'est personnellement connu: 612 Un jour, il y avait dans l'église plus de soixante personnes attendant leur tour pour se confesser. Deux vieillards, dont l'un était très pressé, se trouvaient à l'extrémité de la foule. Mr Vianney arrive et fait signe à ce vieillard de se présenter de suite à son confessionnal. Son compagnon, prenant le signe pour lui, s'avançait le premier. Le curé dit: Ce n'est pas celui-là, mais l'autre; néanmoins, qu'ils viennent tous les deux. Ils s'en retournèrent très contents. Le lundi suivant, l'un des deux dit à mon frère à Villefranche: On dit qu'il est bien difficile de parler à votre curé; mais quand il le veut, c'est bien facile; il sait alors vous faire signe et vous faire passer.

J'ai entendu parler d'un grand nombre de faits extraordinaires qui se sont accomplis; mais je n'ai rien vu personnellement. Seulement un jour, à la messe, j'ai entendu crier une jeune personne; je présumais qu'elle était idiote; mais dans la journée on a assuré dans la paroisse qu'une muette avait recouvré la parole et que cette muette était cette jeune personne. Si je ne puis pas témoigner d'une manière positive et sûre sur des miracles, c'est que presque tous se sont opérés au dehors.



Juxta vigesimum primum Interrogatorium, testis respondit:

Je ne connais rien sur cet Interrogatoire.



Juxta vigesimum secundum Interrogatorium, testis respondit:

Mr Vianney est mort à Ars le quatre Août mil huit cent cinquante-neuf; je présume que c'est d'épuisement. Il a reçu les sacrements de l'Église avec édification. Je sais qu'il a été très patient, très résigné pendant sa maladie; qu'il s'est abandonné aux personnes qui le servaient, sans opposer le moindre refus aux secours qui lui étaient prodigués; 613 mais n'ayant pas été présent, je ne puis donner aucun détail précis.



Juxta vigesimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le corps du Serviteur de Dieu est demeuré exposé deux jours dans l'un des appartements du rez-de-chaussée de la cure. Les funérailles ont été remarquables par l'affluence extraordinaire de prêtres et de fidèles. Je présume qu'il y avait de cinq à six mille fidèles, de toutes conditions et environ trois cents ecclésiastiques. La cause de ce concours doit être uniquement attribuée à l'opinion que l'on avait de la Sainteté du Serviteur de Dieu. A part ce concours immense, je ne connais aucun fait extraordinaire qui ait signalé ses funérailles.



Juxta vigesimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le corps du Serviteur de Dieu a été enseveli au milieu de l'église d'Ars dans un petit caveau préparé à cette fin et recouvert d'une pierre sépulcrale à fleur du sol. Procès verbal de la sépulture a été dressé et déposé, à ce que je crois, dans les archives de la mairie d'Ars. Ce procès verbal pourra donner les détails que j'omets ici. Je n'ai jamais remarqué qu'on ait fait aucun acte qui sente le culte public. Le concours sur son tombeau a commencé immédiatement après sa mort, et, depuis deux années surtout, il a augmenté d'une manière considérable. Je ne puis pas préciser le nombre des pèlerins, mais la quantité de voitures qui les amène tous les jours montre assez qu'il atteint un chiffre très élevé.



Juxta vigesimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai entendu dire et je sais positivement que l'opinion publique a été que le Curé d'Ars était un saint et qu'ainsi il a joui de la réputation de sainteté. J'entends par cette réputation l'opinion publique et générale sur des faits ou sur des personnes. Je ne puis assigner à cette réputation d'autre origine que la sainteté dû Serviteur de Dieu, les vertus qu'il a pratiquées, les dons extraordinaires dont Dieu l'a comblé. Je ne sache pas qu'aucun moyen non avouable ait jamais été employé en faveur de cette réputation. 614 Elle était universelle, aussi bien chez les personnes graves et prudentes que parmi le peuple, aussi bien chez les hommes les plus instruits que chez les ignorants. C'est là un fait tellement public, qu'il est à la connaissance de tout le monde.

Elle a commencé, je crois, vers mil huit cent trente; elle est toujours allée en croissant; de là le pèlerinage, le respect dont on l'entourait, les conseils qu'on lui demandait de toutes parts, l'affluence autour de son confessionnal, l'empressement à se procurer, à lui dérober même le moindre objet qui lui eût appartenu; de là son portrait partout répandu, son nom dans toutes les bouches, etc. La mort, bien loin d'interrompre cette renommée, l'a plutôt accrue. La paroisse de Dardilly, lieu de sa naissance, a disputé, comme aux premiers siècles de l'Église, son corps à la paroisse d'Ars. La réputation du Serviteur de Dieu est en vigueur, non seulement à Ars et aux environs, mais en France, en Europe, on pourrait dire dans le monde entier.

Bien loin d'avoir subi aucune interruption après sa mort, la réputation du Serviteur de Dieu prend de nos jours un accroissement beaucoup plus considérable encore que par le passé; elle devient beaucoup plus générale, s'étend à toutes les classes de la société, sans qu'il soit possible d'assigner à ce fait aucune autre cause que l'opinion de la sainteté de Mr Vianney. Il n'est pas à ma connaissance qu'il ait été rien dit, écrit, ou fait pour porter atteinte à cette réputation. Quant à mon sentiment personnel, j'adhère à l’opinion publique qui regarde Mr Vianney comme un saint.



Juxta vigesimum sextum Interrogatorium, testis respondit:

Ma déposition au précédent Interrogatoire déclare suffisamment que je ne connais rien de contraire à l'opinion de sainteté dont jouit le Serviteur de Dieu.



Juxta vigesimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Deux miracles signalés sont à ma connaissance. Le premier est la guérison d'un jeune enfant de St Laurent-lès-Macon, perclus de tous ses membres. Il a été apporté par son père, sa mère et Mr le Curé de St Laurent sur le tombeau du curé d'Ars; là il a été guéri. Je n'ai pas vu l'enfant avant la guérison, mais immédiatement après; il marchait, courait; le père, la mère et Mr le Curé de St Laurent, m'ont raconté le fait et dépeint l'état dans lequel l'enfant se trouvait antérieurement. La guérison a persévéré, car plusieurs fois il est revenu en pèlerinage à Ars. Le père a été converti.

Le second est la guérison d'une jeune sourde-muette de Lyon. Amenée sur le tombeau du curé d'Ars, elle a recouvré la parole; je l’ai vue, elle parlait tour à tour par signe comme les sourds-muets et avec des paroles qui, sans être parfaitement articulées, étaient cependant intelligibles.



Juxta vigesimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai plus rien à dire.



Et expleto examine super Interrogatoriis, deventum est ad Articulos, super quibus testi lectis, dixit, se tantum scire, quantum supra deposuit ad Interrogatoria, ad quae se retulit.

(615) Sic completo examine, integra depositio jussu Rmarum Dominationum suarum perlecta fuit a me Notario a principio ad finem testi supradicto alta et intelligibili voce. Qua per ipsum bene audita et intellecta, respondit se in eamdem perseverare, et illam iterum confirmavit.



Ars Procès informatif 577