Ars Procès informatif 657

TEMOIN X - FRERE ATHANASE – 31 juillet 1863

657 (657) SESSION 69 - 31 Juillet 1863 à 8h du matin

658 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit:

Je connais parfaitement la nature et la force du serment que je viens de faire et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable, si je ne disais pas toute la vérité.



Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je m'appelle Jacob Planche, en religion Frère Athanase; je suis né à Châlons sur Saône, diocèse d'Autun, le deux janvier mil huit cent vingt-cinq. Mon père s'appelle Fleury Planche et ma mère Claudine Verley. Je suis religieux de la Congrégation de la Ste Famille de Belley.



Juxta tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Conformément à notre Règle, je me confesse tous les quinze jours, je fais la sainte communion deux fois par semaine, et j'ai communié hier.



Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai jamais eu de procès et n'ai pas été traduit en justice.



Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai jamais encouru de censures ni d'autres peines ecclésiastiques.



Juxta Sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai été instruit par personne de vive voix, ni par écrit, de la manière dont je dois déposer. Je n'ai pas lu les Articles rédigés par le Postulateur; je ne dirai que ce que j'ai vu ou entendu par moi-même, ou ce que j'ai appris par des témoins dignes de foi.



Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'avais une très grande affection pour le vénérable Curé d'Ars. Je désire sa Béatification pour la seule gloire de Dieu, et ma déposition ne m'est inspirée par aucun motif humain.



Juxta octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu est né le huit Mai mil sept cent quatre-vingt-six de Matthieu Vianney et de Marie Béluse. J'ai entre les mains une copie authentique de son acte de naissance. Ses parents se faisaient remarquer par leur piété; ils élevèrent chrétiennement leurs enfants et en particulier Jean Marie Vianney. D'après l'acte de naissance dont je viens de parler, le Serviteur de Dieu fut baptisé en l'église de Dardilly le huit Mai mil sept cent quatre-vingt-six. Il m'a dit qu'il prit le nom de Baptiste lorsqu'il reçut le sacrement de confirmation.



Juxta nonam Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais par sa soeur encore vivante et par le Serviteur de Dieu lui-même qu'il a passé son enfance et sa jeunesse dans la paroisse de Dardilly; il se livrait aux travaux de l'agriculture; il gardait les troupeaux dans les champs. Ses moeurs étaient pures, sa piété était tendre et ardente. Il était très exact à remplir les devoirs de sa position. Je ne connais rien de contraire à la vie sainte qu'il mena dès son enfance.



Juxta decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Il ne commença, je crois, des études (d'après le témoignage de son beau-frère) qu'à l'âge de dix-neuf ans, dans le but d'entrer dans l’état ecclésiastique. Il étudiait avec peu de succès. Je lui ai entendu dire que dans ce temps-là, il n'avait pas beaucoup de peine à aimer le bon Dieu avec Mr Balley, curé d'Ecully, chez lequel il étudiait.



Juxta undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je vais déposer sur cet interrogatoire ce que je sais de Mr Vianney lui-même. Obligé de quitter ses études pour se rendre sous les drapeaux, il vint à Lyon prendre sa feuille de route. Arrivé à Roanne, il tomba malade. Quand il fut rétabli, il alla faire sa prière dans une église, où il resta un peu trop longtemps. Lorsqu'il se présenta pour faire viser sa feuille de route, on lui dit qu'il était en retard et que s'il ne se hâtait pas, on allait le faire conduire par les gendarmes, comme déserteur; il se mit en route; il rencontra un homme qu'il ne connaissait pas. Celui-ci, le voyant très fatigué, lui proposa de prendre son sac et de le conduire. Ils marchèrent par des sentiers détournés, à travers les bois, où la nuit les surprit. Ils arrivèrent auprès d'une chaumière où Mr Vianney entra. 660 L'étranger s'éloigna et depuis il ne l'a jamais revu. Lorsque le jeune conscrit alla le lendemain trouver le maire de la commune, ce magistrat lui dit qu'il ferait mal de se rendre sous les drapeaux, parce qu'étant trop en retard, il serait considéré comme déserteur. Mr Vianney resta aux Noës, d'après les conseils du maire, pendant dix-huit mois. Il logea chez une veuve pieuse; il employa son temps à faire la classe aux enfants, à leur apprendre le catéchisme, et à rendre au prochain tous les services qui étaient en son pouvoir. On admira son zèle, sa foi et sa charité. Le fils de la veuve chez laquelle il demeurait couchait avec Mr Vianney, et le Serviteur de Dieu l'empêchait de dormir en récitant son chapelet toute la nuit. Le fils se plaignit, et sa mère les sépara. Après ces dix-huit mois environ, son frère le remplaça à l'armée; quant à lui, il revint dans son pays pour y continuer ses études.



Juxta duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais que le Serviteur de Dieu persévéra dans son dessein d'embrasser la carrière ecclésiastique et qu'il se disposa à recevoir lest saints ordres par une conduite sage et pieuse, qu'il a reçu la prêtrise à Grenoble et qu'il s'est montré dès le commencement comme un prêtre plein de foi et de ferveur.



Juxta decimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je tiens du Serviteur de Dieu que, sur la demande de Mr Balley, curé d'Ecully, il fut nommé vicaire de cette paroisse, où il exerça saintement les fonctions du ministère pendant dix-huit mois environ. J'ai entendu dire qu'après la mort de Mr Balley, les habitants d'Ecully le demandèrent pour curé. Je ne sais pour quel motif l'administration diocésaine ne l'a point nommé.



Juxta decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai entendu dire que le Serviteur de Dieu prit possession de la paroisse d'Ars le treize Février mil huit cent dix-huit. En le nommant, Mr Courbon, vicaire général de Lyon, lui dit: Je vous envoie, dans une petite paroisse où l'on n'aime pas beaucoup le bon Dieu; mais vous apprendrez aux habitants à l'aimer. Mr le Curé m'a dit que la population, lorsqu'il arriva, était très indifférente, et qu'il y avait presque tous les dimanches des danses auxquelles venaient prendre part les jeunes gens et les jeunes filles du voisinage.



(661) Juxta decimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je ne sais pas si les confréries du Rosaire et du Saint Sacrement existaient déjà dans la paroisse d'Ars, lorsque Mr Vianney y fut nommé; mais je sais qu'il donna à ces confréries une vive impulsion. Il a établi lui-même la confrérie du Rosaire vivant. Il a fondé une Providence pour l'éducation des jeunes filles et un établissement de Frères pour l'éducation des jeunes garçons. Il constitua ces deux oeuvres au moyen de ses sacrifices personnels et des dons qu'il reçut des personnes pieuses. L'école des filles fut dirigée d'abord par des personnes séculières dont il avait reconnu la piété, et confiée plus tard aux soeurs de St Joseph. L'école des garçons fut dirigée par les frères de la Ste Famille de Belley. En ce qui concerne la congrégation de la Ste Famille, il avait obtenu l'autorisation de l’Évêque diocésain. Je ne connais point de règles particulières données aux premières directrices de la providence. Les deux Congrégations qu'il avait appelées avaient leurs Constitutions. La bonne éducation des enfants de la paroisse d'Ars a été le résultat des deux fondations dont je viens de parler.



Juxta decimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je puis affirmer que le Serviteur de Dieu a rempli exactement tous les commandements de Dieu et de l'Église, toutes les obligations auxquelles il était tenu comme curé et comme directeur des oeuvres qu'il avait fondées. Il a persévéré jusqu'à la mort dans la pratique fidèle de tous ses devoirs. La preuve que j'en puis donner, c'est la sainteté de sa vie, sainteté dont j'ai été témoin pendant dix ans. Je ne connais rien qui puisse infirmer cet exact accomplissement des commandements de Dieu et de l'Église et des devoirs de son état. Il est vrai que, dans les commencements de son ministère, Mr Vianney s'est absenté quelques fois de sa paroisse pour prendre part aux missions et aux jubilés; mais elle n'avait point à souffrir de ses absences. Dans ces circonstances, il avait pour but d'aider ses voisins et de sauver les âmes. J'ignore les motifs et les détails de la première fuite; quant à la seconde, je sais que le Serviteur de Dieu désirait sortir du ministère pour s'occuper dans la retraite avec plus de liberté et de temps de son propre salut. Il avait écrit, avant son départ, une lettre à Mgr l'évêque de Belley pour lui apprendre qu'il quittait sa paroisse. La fuite eut lieu au milieu de la nuit; j'en avais quelque pressentiment et j’étais resté levé pour voir ce qui se passerait. 662 Lorsque Mr Vianney sortit du presbytère, je le suivis jusque chez Catherine Lassagne, avec Mr Toccanier. Nous le suppliâmes de ne pas partir et comme nos supplications n'avaient aucun résultat, je le prévins que j'allais faire sonner le tocsin pour réunir la paroisse. Il partit néanmoins, suivi par Mr Toccanier et les frères. Ceux-ci cherchèrent à l'égarer. Le tocsin se mit à sonner; il demanda ce que c'était; on lui répondit que c'était l’angelus; il se mit à genoux pour le réciter. Mr Toccanier ayant eu la précaution de s'emparer de son bréviaire, il se résigna à rentrer à la cure pour le chercher. Au son de la cloche, les habitants étaient accourus et ils pressèrent Mr le Curé de rester. Il se rendit à l'église, où il pria à genoux en versant des larmes. Il entra ensuite au confessionnal pour entendre les personnes qui l'attendaient. J'ai été témoin oculaire et auriculaire de ce qui se passa dans cette circonstance. Cette tentative eut lieu en septembre mil huit cent cinquante-trois.



Juxta decimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai entendu dire au Serviteur de Dieu que dans les premières années de son ministère à Ars, c'est-à-dire pendant une dizaine d'années, il eut à souffrir beaucoup de contradictions, à cause de son genre de vie. On alla jusqu'à pousser des cris sous ses fenêtres et à afficher, aux portes du presbytère, des placards injurieux. On écrivait à l'Évêché contre lui, et Mr le Curé de Trévoux, son curé de canton, vint à Ars par ordre de l'Évêque, pour prendre des informations sur sa conduite. Il reçut un jour d'un ecclésiastique une lettre remplie d'injures; le Serviteur de Dieu n'avait donné aucun sujet à ces diverses persécutions. Je sais qu'il supportait tous ces traitements non seulement avec patience, mais avec joie. Il appelait plus tard cette époque le beau temps de sa vie. Il aurait désiré que Monseigneur l'Évêque, convaincu de sa culpabilité, l'eût éloigné de sa paroisse pour lui donner le temps de pleurer sa pauvre vie dans la retraite. S'il avait pu combler de ses bienfaits tous ses ennemis, il n'aurait point manqué de le faire. Aussi s'empressa-t-il de faire du bien à une famille qui l'avait persécuté.



Juxta decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais et j'ai entendu dire que le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus chrétiennes et sacerdotales jusqu'au moment de sa mort.




665 (665) Session 70 - 31 Juillet 1863 à 3h de l’après-midi



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'atteste que Mr Vianney a pratiqué pendant sa vie tout entière la vertu de foi. Elle parut en lui dès sa plus tendre enfance; il écoutait avec bonheur les instructions religieuses que sa mère lui donnait. Celle-ci était étonnée de l'esprit de foi qui brillait dans son jeune enfant: 666 Vois-tu, Jean-Marie, disait-elle quelquefois, j'aime bien tes autres frères, et je serais bien affligée s'ils offensaient le bon Dieu; mais pour toi, si tu l'offensais, je le serais bien davantage. Le Serviteur de Dieu m'a raconté qu'il tenait de sa mère l'habitude de dire l'Ave Maria toutes les fois que l'heure sonnait. Il avait dès son plus jeune âge un tendre amour pour la Ste Vierge: Je l'ai aimée, disait-il, avant de la connaître. On lui avait donné une petite statue de la Mère de Dieu; il l'honorait d'un culte spécial, et ne pouvait s'en séparer.

L'un de ses plus grands bonheurs était d'aller à la messe. Afin d'y assister parfois dans la semaine, il priait l'un de ses frères de le remplacer dans ses occupations, et il lui donnait même de l'argent à cette fin. Cette époque de sa jeunesse avait laissé dans l'esprit de Mr Vianney de doux souvenirs; il en parlait volontiers. J'étais heureux en ce temps-là, disait-il; je n'avais pas la tête cassée comme aujourd'hui; je priais Dieu tout à mon aise. Je crois que ma vocation était d'être berger toute ma vie.

Je sais de lui qu'il a fait sa première communion dans une grange pendant la révolution; il y avait été préparé par une religieuse de St Charles. Il n'en parlait qu'avec émotion, ce qui me fait croire qu'il avait fait sa première communion avec de grands sentiments de foi.

Je sais qu'il commença ses études afin d'être prêtre chez Mr Balley, curé d'Ecully. Il éprouva d'abord de grandes difficultés.

Son intelligence était lente et sa mémoire ingrate. Pour obtenir de Dieu la grâce de réussir suffisamment dans ses études, il fit voeu d'aller en pèlerinage à la Louvesc, au tombeau de St François-Régis, à pied et en mendiant son pain. Il fut rebuté de toutes; parts et eut beaucoup à souffrir. Mais fidèle à son voeu, quoiqu'il eût de l'argent sur lui, il ne voulut rien acheter; néanmoins, il fit commuer ce voeu pour son retour. Les désirs du pieux jeune homme furent exaucés. Son pèlerinage accompli, il continua ses études avec plus de facilité et de succès.

J'ai raconté comment ses études furent interrompues par la conscription militaire, et j'ai dit quel esprit de foi il montra pendant son séjour aux Noës. Au moment où il était sur le point d'être élevé aux ordres sacrés, il fut refusé pour cause d'incapacité. 667 D'autres personnes m'ont raconté que sa piété et la vivacité de sa foi le firent ensuite admettre.

Mr Vianney est entré dans la paroisse d'Ars comme curé le treize Février mil huit cent dix-huit. Je lui ai entendu dire dans une conversation qu'au premier moment où il aperçut la paroisse, il lui vint une pensée singulière: C'est bien petit, se dit-Il à lui-même, elle ne pourra tenir tous ceux qui doivent y venir. Il passait dès le commencement de son séjour de longues heures à l'église; il en avait fait sa demeure habituelle; il y allait de très grand matin, sonnait lui-même l’angelus, composait à la sacristie ses instructions, à la préparation desquelles il consacrait toute la Semaine.

L'un des principaux soins de son ministère, fut d'établir la communion fréquente; il y réussit parfaitement pour les femmes, beaucoup moins pour les hommes, qu'il amena du reste à pratiquer exactement leurs devoirs religieux. Quel dommage, disait-il, s'ils communiaient plus souvent, ils seraient des saints. - Son esprit de foi lui fit établir où ranimer diverses confréries, qui lui furent d'un grand secours pour détruire les abus de sa paroisse. Il a fait disparaître entièrement le travail du dimanche; deux familles seulement, à ma connaissance, ont résisté de temps en temps à la voix de leur pasteur. A l'époque même de la plus grande affluence des pèlerins, les voitures publiques qui venaient en grand nombre à Ars n'arrivaient pas le Dimanche et n'en partaient pas. Les choses se passèrent ainsi jusqu'à l'établissement du chemin de fer. Depuis lors, les omnibus du chemin de fer amenèrent des étrangers; mais ils s'arrêtèrent constamment en dehors du village.

Le Serviteur de Dieu trouva dans les danses, qui étaient fréquentes dans sa paroisse, un grand abus à déraciner. Je lui ai entendu dire qu'il en était venu à bout beaucoup plus par ses prières que par ses paroles et ses instructions. Lorsqu'elles avaient lieu, il avait coutume de se montrer, et sa seule présence suffisait pour faire disparaître les personnes qui s'y livraient. Il employa divers moyens pour en détourner les jeunes filles; il les retenait après Vêpres, leur apprenait et leur faisait chanter des cantiques et leur procurait même quelques délassements dans son jardin. 668 Il alla même jusqu'à donner à un ménétrier, pour l'empêcher de faire danser, le double de la somme qui lui avait été promise.

La foi de Mr Vianney lui fit bientôt trouver sa paroisse trop étroite: aussi s'empressa-t-il de venir au secours de ses confrères du voisinage pour des missions, des jubilés. Il y déploya un si grand zèle, qu'il s'attira l'estime et la confiance des fidèles, qui commencèrent à venir à Ars pour lui demander des conseils; ce fut l'origine du pèlerinage.

La foi du Serviteur de Dieu lui inspira un grand amour pour tout ce qui tient au culte-divin. Il n'omit rien pour procurer à sa pauvre église des vases sacrés et des ornements, non seulement convenables mais riches. Dès les commencements de son ministère, il en acheta lui-même de ses propres deniers. Rien ne peut égaler la joie qu'il éprouva, lorsqu'il reçut du vicomte d'Ars un dais magnifique, de riches bannières, de superbes chasubles, un grand ostensoir en vermeil, un tabernacle en cuivre doré, de beaux chandeliers et six grands reliquaires. Il invitait ses paroissiens à venir voir ces objets. Il m'a chargé plusieurs fois d'aller à Lyon acheter ce que je pourrais trouver de plus beau pour le culte divin.

La foi de Mr Vianney éclatait surtout dans tout ce qui concerne la Ste Eucharistie. Il aimait beaucoup la fête du très Saint Sacrement. La procession que l'on fait ce jour-là était l'un de ses bonheurs; il la préparait avec le plus grand soin afin d'y mettre le plus de pompe possible. Il avait soin qu'il y eût de beaux reposoirs et il l'es multipliait, afin de multiplier aussi les bénédictions. La foi la plus vive respirait dans tous ses traits lorsqu'il portait le Saint Sacrement. Un jour, à la suite de l'une de ces processions pendant laquelle il avait fait une très grande chaleur, le prêtre qui servait d'aide à Mr Vianney lui dit: Mr le Curé, vous devez être bien fatigué. - Oh! non, répondit-il, celui que je portais me portait.

(669) Il célébrait le saint sacrifice de la messe avec une foi très vive. C'est ce qui paraissait surtout à l'élévation et à la communion. J'en ai été moi-même fréquemment frappé; quelquefois je voyais un sourire sur ses lèvres, ou des larmes sur ses joues. Un étranger s'était adressé en confession à Mr le Curé et n'ayant pas voulu se résoudre à faire ce que celui-ci lui demandait, sortit de l'église brusquement et très mécontent. On le décida cependant le lendemain à venir à la messe avant son départ. Il fut tellement frappé en voyant l'expression de la figure de Mr Vianney au moment de la communion, qu'il se convertit. Je tiens ce fait du converti lui-même.

Je lui ai entendu peu faire d'instructions où il n'ait été question de la présence réelle. Lorsqu'il parlait sur ce sujet, il y avait quelque chose d'extraordinaire sur sa figure et dans ses yeux. Il s'entretenait avec délices du Saint Sacrement dans ses conversations.

Je l'ai accompagné deux ou trois fois lorsqu'il administrait les derniers sacrements aux malades; je l'ai vu attendri et versant des larmes.

Sa foi lui inspirait un grand respect pour les prêtres. Il parlait fréquemment du sacerdoce. On ne comprendra bien la grandeur du prêtre que dans le ciel, disait-il.

Les prédications de Mr Vianney étaient animées de l'esprit de foi, surtout lorsqu'il parlait sur certains sujets de prédilection. Il parlait de Dieu avec une émotion profonde. Il disait souvent: Être aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre pour Dieu, vivre en la présence de Dieu, oh! belle vie! La pensée du Ciel revenait souvent dans ses discours. Un jour qu'il expliquait l'évangile du deuxième dimanche de Carême, le ravissement des apôtres sur le Thabor réveillant en lui l'idée du bonheur de l'âme contemplant dans le ciel la sainte humanité de Notre Seigneur, il s'écria, comme hors de lui-même: Nous le verrons, nous le verrons!!! Oh! mes frères, y avez-vous bien pensé, nous le verrons face à face. Il répéta ces paroles longtemps et en versant des larmes.

Il n'était pas moins ému lorsqu'il parlait du malheur des pécheurs et de leur réprobation. Je l'ai entendu répéter avec des sanglots et des cris ces paroles: Maudit de Dieu, être maudit de Dieu, 670 quel malheur! Pendant un quart d'heure, il ne put dire autre chose.

Il aimait à peindre le bonheur d'une âme en état de grâce et l'action du St Esprit en elle. Le Saint Esprit est notre conducteur, disait-il; l'homme n'est rien par lui-même, mais il est beaucoup avec l'Esprit Saint. L'homme est tout terrestre et tout animal; il n'y a que l'Esprit Saint qui puisse élever son âme et la porter en haut.

On m'a raconté que le P. Lacordaire l'ayant entendu prêcher sur le Saint Esprit, fut si émerveillé qu'il le suivit à la sacristie et le remercia en lui disant: Vous m'avez appris à connaître le Saint Esprit.

Il comparait la prière au feu qui gonfle les ballons et les fait monter vers le ciel.

L'un des sujets sur lesquels il entretenait volontiers ses auditeurs était l'amour des croix. Il y revenait aussi fréquemment dans ses conversations. Il disait que pour lui, il n'avait jamais été plus heureux que lorsqu'il avait eu des croix à porter. Il m'est arrivé plusieurs fois, ayant moi-même quelques ennuis particuliers, d'aller lui demander des conseils et des consolations. Ah! mon ami, me répondait-il, tant mieux, cela ranime la foi.

En toute chose et en toute circonstance il était animé par la foi la plus vive et pratiquait cette parole de l'Ecriture: Mon juste vit de la foi.

Il montra un grand esprit de foi dans sa dernière maladie, j'en ai moi-même été témoin. J'étais auprès de lui avec un de mes frères au moment où l'on se disposait à l'administrer. Lorsqu'il entendit sonner la cloche, il se mit à pleurer. Mon confrère lui demanda ce qu'il avait, et pourquoi il pleurait: Êtes-vous plus fatigué? - Oh! non, répondit-il, je pleure en pensant combien Notre Seigneur est bon de venir nous visiter dans nos derniers moments.


671 671 Deinde ob tarditatem horae dimissum fuit examen praedicti Dni Fr. Athanasii, Jacob Planche testis animo illud resumendi et continuandi usque dum perficiatur. Cum autem praedictus testis pro nunc examinis continuationi sese subjicere non possit, Rmi Dni Judices delegati illius rationes admittentes, ipsi in-junxerunt ut alio tempore se subjiceret examinis continuationi; quod testis libentissime promisit.







TEMOIN XI - JEANNE MARIE CHANAY – 1\2er\0 août 1863

673 673 Session 71 – 1er Août 1863 à 8h du matin



674 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit:

Je connais la force et la nature du serment que je viens de prêter et la gravité du parjure que je commettrais si je venais à le violer.



Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je m'appelle Jeanne Marie Chanay; je suis née à Jassans, diocèse de Belley; je suis âgée de soixante-quatre ans. Mes parents étaient cultivateurs et vivaient de leur travail. Je n'ai pour subsister que les modestes ressources qu'ils m'ont laissées.



Juxta tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Non seulement j'accomplis le précepte de la confession et de la communion pascales, mais encore j'ai l'habitude de me confesser souvent et de communier tous les jours.



Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai jamais eu de procès; je n'ai jamais été traduite en justice; seulement j'ai comparu comme témoin deux fois pour la même cause.



Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai point encouru de censures ni de peines ecclésiastiques.



Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Personne, ni de vive voix, ni par écrit, ne m'a suggéré ce que je dois déposer ou passer sous silence. Je n'ai pas lu les Articles du Postulateur. Je déposerai ce que j'ai vu ou entendu moi-même, ce que j'ai appris de témoins oculaires ou auriculaires dignes de foi.



Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

675 J'ai toujours eu une grande affection pour Mr le Curé d'Ars et une grande confiance en lui. Je ne suis poussée à déposer par aucune considération humaine, aucune espérance, aucune crainte. Je me propose uniquement en cela la gloire de Dieu.



Juxta octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai ouï dire que Mr Vianney était né dans le mois de Mai; je ne me rappelle pas l'année. Je ne connais pas les noms de ses parents. Il m'a raconté souvent que sa mère l’élevait dans les sentiments de foi et de piété et qu'elle lui parlait souvent du bon Dieu. Sur son baptême je sais seulement qu'on eut quelque peine à lui trouver un parrain et une marraine. Je ne sais rien relativement à la confirmation.



Juxta nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai entendu dire que le Serviteur de Dieu a passé son enfance et son adolescence dans la paroisse de Dardilly; qu'il s'occupait de la culture des champs et de la garde des troupeaux; que ses moeurs avaient toujours été pures et sa piété fervente.



Juxta decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu m'a raconté qu'il avait quitté les travaux des champs pour se livrer à l'étude. Il désirait vivement être prêtre pour sauver les âmes et procurer la gloire de Dieu. Il apprenait avec beaucoup de difficulté; cependant Mr Balley, curé d'Ecully, chez lequel il étudiait, l'encourageait beaucoup.



Juxta undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

La conscription militaire obligea Mr Vianney, comme il me l'a dit lui-même, d'interrompre le cours de ses études. Il prit sa feuille de route à Lyon et se rendit à Roanne, où il tomba malade. Revenu à la santé, il partit pour rejoindre l'armée; en marchant, il disait son chapelet : Je ne l'ai jamais dit de meilleur coeur, me disait-il. Il rencontra un inconnu qui lui proposa de prendre son sac et de le conduire. Ils voyagèrent ensemble à travers les bois et arrivèrent auprès d'une chaumière pendant la nuit. La commune dans laquelle Mr Vianney se trouvait, était la commune des Noës. Là, il s'occupa de la culture des champs; il donna des leçons aux enfants et leur fit le catéchisme. Pendant ce temps, Mr Balley faisait prier pour lui. J'ai appris depuis de plusieurs habitants des Noës que le Serviteur de Dieu avait été parmi eux un modèle de foi, de piété et de conduite chrétienne. Il put enfin revenir à Ecully et continuer ses études.



Juxta duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

676 Je sais que Mr Vianney persévéra dans son dessein d'embrasser la carrière ecclésiastique et qu'il reçut la prêtrise à Grenoble au moment de l'invasion des Autrichiens.



Juxta decimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais qu'il fut nommé vicaire de la paroisse d'Ecully; j'ignore combien de temps il exerça cette fonction.



Juxta decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai entendu dire que le Serviteur de Dieu fut nommé Curé d'Ars. Je ne connais ni le jour, ni le mois, ni l'année de sa nomination. Quant aux abus qui régnaient dans la paroisse, je sais seulement que les habitants aimaient beaucoup à s'amuser et s'adonnaient en particulier au plaisir de la danse.



Juxta decimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je ne sais si les confréries du Rosaire et du St Sacrement existaient au moment de l'arrivée de Mr Vianney à Ars, mais je puis affirmer qu'il donna à ces confréries une vive impulsion et qu'il établit les confréries du Rosaire vivant et du Sacré Coeur. Afin d'élever les jeunes filles dans la piété, il fonda une Providence pour les recevoir. Je fus chargée de la diriger avec deux autres filles. Plus tard, il créa l'école des frères, qui fut confiée à la Congrégation des frères de la Sainte Famille de Belley. Des religieuses de St Joseph nous remplacèrent à la Providence. Nous n'avions pas de règles particulières; nous suivions un règlement qui déterminait seulement l'ordre général de la maison. J'ignore si Mr le Curé d'Ars s'était entendu avec Mgr de Belley pour ces différentes fondations; je le suppose.



Juxta decimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai entendu dire que Mr Vianney, avant de venir à Ars, s'était toujours distingué par une très grande vertu, et je sais personnellement que depuis son arrivée dans cette paroisse, il a fidèlement accompli jusqu'à la mort tous les commandements de Dieu et de l'Eglise, toutes ses obligations de prêtre, de curé et de directeur des oeuvres qu'il avait établies. Je n'ai jamais rien vu ni appris de contraire à l'accomplissement de ses devoirs.

Le zèle de Mr Vianney ne se bornait pas à sa paroisse; 677 il allait dans les paroisses voisines aider ses confrères pour les missions et les jubilés. Il rentrait tous les samedis et prenait toutes les précautions nécessaires pour que ses paroissiens n'eussent pas à souffrir de ses absences. La charge de curé lui inspirait des craintes à cause de la responsabilité qui l'accompagne. Il aurait voulu aussi avoir plus de temps pour s'occuper de sa sanctification et de son salut. Ce furent les motifs qui l'engagèrent deux fois à quitter sa paroisse. Je suis assurée qu'il ne voulait point se soustraire à l'obéissance qu'il devait à son évêque et qu'il avait l'espérance qu'après son départ, on lui accorderait l'autorisation qu'il désirait.



Juxta decimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais que le Serviteur de Dieu a eu à supporter pendant bien des années des injures, des persécutions de la part des laïques et même des ecclésiastiques. J'ai entendu dire qu'on poussait des cris sous ses fenêtres et qu'on avait affiché à sa porte des placards injurieux. Le Serviteur de Dieu supportait tout avec patience et était disposé à rendre service aux personnes qui lui faisaient de la peine.



Juxta decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais et j'ai entendu dire que le Serviteur de Dieu a pratiqué avec éclat toutes les vertus chrétiennes jusqu'à la mort.



Quoad Fidem, testis respondit:

La foi de Mr Vianney se manifesta dès sa plus tendre enfance. Il aimait à apprendre et à faire ses prières; il se mêlait avec empressement à tous les exercices de piété; il était très fidèle à tous les enseignements de sa mère, qui était très pieuse et qui l’aimait beaucoup. Je tiens ces détails de la soeur de Mr Vianney. Il avait une petite statue de la Ste Vierge devant laquelle il faisait volontiers ses petites prières; il ne s'en séparait pas et allait jusqu'à la mettre coucher avec lui dans son lit. Pendant qu'il était encore fort jeune, il disparut un jour durant plusieurs heures de la maison paternelle. Sa mère, très inquiète, le chercha longtemps. Elle le trouva enfin dans l'étable, priant à genoux et avec la plus grande ferveur.

Lorsqu'il fut capable de garder les troupeaux dans les champs, il aimait à se retirer à l'écart pour prier. Afin d'être libre de le faire plus longtemps et plus souvent, il donnait de petits cadeaux à ses camarades pour les déterminer à veiller sur son troupeau pendant son absence. Il agissait de même pour se procurer le bonheur d'entendre la sainte messe les jours sur semaine. Dans ses jeux avec ses camarades, il aimait à imiter les cérémonies de l'Eglise.

678 Mr Vianney, devenu Curé d'Ars, nous parlait avec tant de plaisir de sa première communion, que j'ai lieu de croire qu'il l'a faite avec une grande ferveur. Sa foi ne s'affaiblit pas lorsqu'il étudia pour être prêtre. Ayant très peu de succès dans ses études et désespérant de pouvoir réussir dans le dessein qu'il avait de parvenir à l'état ecclésiastique, il fit voeu d'aller à pied en demandant l'aumône au tombeau de St François Régis. C'est ce qu’il exécuta; mais il eut à dévorer chemin faisant tant de rebuts et de paroles injurieuses, qu'il fut obligé de faire commuer son voeu pour le retour.

Je sais d'une manière générale que durant le commencement de ses études, pendant son séjour aux Noës, à son retour à Ecully et tandis qu'il était au grand séminaire, Mr Vianney s'est fait remarquer par son grand esprit de foi. Je ne sais rien de particulier sur son ordination, sinon que Mr Balley avait répondu pour lui et il ajoutait à ce sujet que Mr Balley aurait bien à faire à cause de cela quelques années de purgatoire!

Je n'étais pas encore à Ars au moment où Mr Vianney y est arrivé comme Curé; j'habitais une paroisse voisine. Je sais que la bonne odeur de ses vertus s'est répandue rapidement à Ars et dans les lieux environnants. Attiré moi-même par la réputation du Serviteur de Dieu, je n'ai pas tardé à me mettre sous sa direction. Dès les premiers temps de son ministère, il passait une grande partie de sa journée et même de la nuit à l'église.

Après quelques années, j'ai été employée à l'oeuvre de la Providence. Je puis témoigner que j'ai vu dès lors Mr Vianney mettre le plus grand zèle à corriger les abus de sa paroisse et à faire fleurir la vertu et la piété. Il s'élevait avec force dans ses instructions, qu'il préparait avec peine et néanmoins avec le plus grand soin, contre les cabarets, les danses, le travail du Dimanche. A force de sollicitations et de zèle, il amena insensiblement ses paroissiens à la pratique de la visite du saint Sacrement, à la communion fréquente parmi les femmes. Il vint à bout d'amener les hommes à s'approcher régulièrement des sacrements. 679 La transformation de la paroisse fut si complète qu'après quelques années, il put dire en chaire avec vérité: Ars n'est plus Ars. Le moyen qui lui avait le plus servi pour déraciner les abus et établir la piété, il l'avait trouvé dans les confréries, qu'il avait ou ranimées ou fondées.





681 Session 72 - 1er Août 1863 à 3h de l'après-midi



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu était si bien venu à bout de faire cesser le travail du Dimanche, que les nombreuses voitures publiques qui amenaient à Ars les pèlerins, n'y arrivaient pas et n'en partaient pas ce jour-là; il en fut ainsi jusqu'à l'établissement du chemin de fer. Depuis lors, elles arrivèrent à Ars, mais s'arrêtèrent au-dessus du village.

682 La Foi faisait mettre à Mr Vianney tout en oeuvre pour détruire les abus de sa paroisse et en particulier les danses; il eut surtout recours à la mortification personnelle. Je lui ai entendu dire un jour qu'il en ferait jusqu'à ce qu'il n'en pourrait plus. Je sais qu'il a donné de l'argent à un ménétrier pour l'empêcher de faire danser.

Sa foi parut beaucoup dans les diverses missions auxquelles il prit part et il donna une si haute idée de sa piété, que ce fut l'origine du pèlerinage. Il avait la plus grande estime pour tout ce qui tient au culte divin; il procura à sa pauvre église les plus beaux ornements. Quand il en avait reçu de nouveaux, il venait à la Providence et nous en témoignait toute sa joie. Il attachait beaucoup d'importance aux processions du Saint Sacrement, faisait préparer de beaux et nombreux reposoirs et portait lui-même la sainte Hostie, avec les sentiments de la foi la plus vive.

Il avait le plus grand respect pour le prêtre et il cherchait à l'inspirer dans ses instructions et ses conversations.

A l'autel, son attitude frappait tous ceux qui assistaient à la messe. Je l'ai moi-même peu vu, parce que je m'efforçais de mettre en pratique ce qu'il recommandait si souvent: d'être entièrement recueilli pendant le saint sacrifice et de ne pas regarder même le prêtre. Dans ses discours publics et ses catéchismes, il manquait rarement de parler de la sainte Eucharistie. Il y avait alors quelque chose d'extraordinaire dans son attitude; on aurait dit que l'amour de Dieu sortait de son coeur et respirait dans tous ses traits. Quand il parlait de l'amour de Dieu, il était comme hors de lui-même. Être les amis du bon Dieu, disait-il, quel bonheur! Et il prononçait ces paroles avec de tels sentiments de foi que tous ses auditeurs en étaient émus. Il peignait aussi avec les traits les plus admirables le bonheur d'une âme en état de grâce. Il la comparait à une perle précieuse, ou se servait d'autres charmantes comparaisons. L'un des sujets les plus habituels de ses discours, c'était l'action du St Esprit sur les âmes. 683 Il disait que le St Esprit est tout entier à notre service pour nous combler de ses dons. Il pratiquait et recommandait beaucoup la prière. Il disait que par la prière, l'âme est comme un poisson dans l'eau; plus les eaux sont abondantes, plus le poisson est content. Plus l'âme se livre à la prière, plus elle est heureuse.

Il avait un goût prononcé pour les croix et il nous engageait nous-mêmes à les porter avec courage. Je lui disais un jour: Mais, Mr le Curé, s'il ne me fallait manger que des prunes toutes vertes, il faudrait donc m'en contenter? - Sans doute, me répondit-il. Il disait aussi que les croix étaient pleines de douceur et qu'elles étaient comme un peu de vinaigre avec beaucoup d'huile. Il disait encore que lorsqu'on aimait les croix, on n'en avait jamais point; mais que lorsqu'on les repoussait, on en était écrasé. Il ajoutait: La plus grande croix, c'est de n'en point avoir.

Je crois qu'il vivait entièrement de l'esprit de foi et qu'il n'y avait aucune de ses actions qui n'en fût animée.

Dans sa première grande maladie, il montra un grand esprit de foi. Comme, au moment de l'administrer, on lui dit qu'on ne sonnerait point les cloches, afin de ne pas trop émouvoir ses paroissiens: Non, dit-il, faites sonner; un curé a assez besoin qu'on prie pour lui.



Quoad Spem, testis interrogatus respondit:

Ma conviction est que Mr Vianney a pratiqué toute sa vie et jusqu'à sa mort, dans un très haut degré, l'espérance chrétienne. Je ne sais rien à ce sujet sur sa jeunesse; seulement il est facile de conclure par le pèlerinage qu'il a fait au tombeau de St François-Régis que dès lors il ne comptait que sur Dieu pour obtenir des succès suffisants dans ses études.

La preuve que dans les premiers temps de son ministère à Ars, il a pratiqué la vertu d'espérance, c'est qu'il a compté beaucoup plus pour la réforme de sa paroisse, sur la prière que sur tout autre moyen. Il avait la plus grande estime pour les biens éternels; aussi parlait-il du Ciel avec un bonheur ineffable. 684 Un jour en parlant du Ciel, après avoir dit que la foi et l'espérance n'existeront plus, il ajouta: Mais l'amour! Oh! nous en serons enivrés, nous serons noyés, perdus, dans l'océan de l'amour divin. Il montrait qu'il n'était pas aussi difficile d'aller au Ciel qu'on le croyait communément. Le bon chrétien, disait-il, est comme sur un beau char, dont Jésus-Christ lui-même est le conducteur; mais le pécheur au contraire est attelé à la voiture et le démon frappe sur lui à grands coups pour le faire avancer.

L'amour et l'espérance du Ciel lui inspirait une vive horreur du péché qui le fait perdre, et une grande compassion pour les pauvres pécheurs. Il parlait fréquemment de leur malheur; il disait quelquefois: Ah! si je pouvais me confesser pour eux... Il s'appliquait de toutes ses forces à leur inspirer des sentiments de confiance, et il en venait ordinairement à bout.

Il s'abandonnait entièrement à la divine Providence, et nous recommandait fréquemment d'en faire autant. Quelquefois, comme nous étions dans une certaine détresse au sujet de nos enfants, je montrais quelque inquiétude: il m'en reprenait sévèrement. Il témoignait souvent sa reconnaissance pour tous les bienfaits dont Dieu l'avait comblé.

Il fut fréquemment en butte aux assauts du démon. Il nous parlait assez facilement, même en présence des enfants, des attaques dont il était l'objet de la part de cet ennemi du salut. D'après ses récits, nous avons pu conclure que assez souvent le démon allait frapper à la porte de sa cure, puis à celle de sa chambre, qu'ensuite il entrait, faisant de grands bruits, frappant sur le pot à eau comme sur un tambour, s'approchant de son lit, le soulevant, se moquant de lui, ricanant de toutes manières. Il lui arrivait aussi de bondir comme un cheval dans un appartement au-dessous de sa chambre. Les premières fois que ces manifestations arrivèrent, Mr Vianney fut effrayé, craignant d'avoir affaire à des voleurs, ou à des personnes qui voulaient lui faire peur; il fit même venir pendant quelques nuits plusieurs jeunes gens pour le garder; 685 l'un d'eux nommé Verchère entendit un soir quelques bruits et fut très épouvanté. Mr Vianney ayant deviné plus tard la cause de tous ces bruits, riait fort, en nous racontant cette aventure, de la frayeur du pauvre homme: Mon pauvre Verchère, disait-il, était tout tremblant avec son fusil; et il représentait avec une attitude fort plaisante son embarras.

Quelque ferme que fût l'espérance du Curé d'Ars, il ne laissait pas que d'avoir une grande frayeur des jugements de Dieu; il craignait d'être damné, se regardant comme le plus grand et le plus misérable des pécheurs. Il nous parlait quelquefois de ses appréhensions dans des termes qui nous inspiraient une véritable compassion. Ses terreurs m'ont presque toujours paru avoir pour cause la responsabilité de son ministère. Je ne suis pas fâché d'être prêtre, disait-il quelquefois; mais je ne voudrais pas être curé. Cette crainte des jugements de Dieu se manifesta d'une manière frappante dans sa première maladie.

La vue du péché l'attristait profondément. Il disait que quand on voyait tant de mal dans le monde, on ne pourrait pas y rester si l'on ne rencontrait pas de temps en temps quelques bonnes âmes. Quand on pense, disait-il en pleurant à chaudes larmes, à l'ingratitude des hommes envers Dieu, on est tenté de s'en aller de l'autre coté des mers pour ne pas en être témoin. C'est effrayant! Encore, si le bon Dieu n'était pas si bon! Mais il est si bon!

Il disait quelquefois en riant: Ah! je connais quelqu'un qui serait bien attrapé, s'il n'y avait point de paradis!

C'est parce qu'il se regardait comme très misérable et incapable de bien remplir ses fonctions de curé qu'il a pris deux fois la fuite, pour être libre de prier plus à son aise et de travailler à son salut, non moins que pour pleurer, comme il disait, sa pauvre vie.



686 Quoad caritatem, testis interrogatus respondit:

Je suis profondément convaincue que le Serviteur de Dieu a pratiqué la charité d'une manière très parfaite. On en vit en lui les signes dès sa plus tendre enfance. C'est pour se livrer plus facilement à ce besoin d'aimer Dieu qu'il recherchait la solitude, s'adonnait à la prière. Nommé vicaire à Ecully, il rivalisa de piété avec Mr Balley, son curé, dont il nous parlait souvent avec reconnaissance. Dès les premiers temps de son ministère à Ars, sa vie fut tout amour de Dieu. Il s'appliqua à sa sanctification personnelle et à celle de ses paroissiens. Ce fut pour les amener à la piété qu'il fonda ou ranima les diverses confréries dont j'ai déjà parlé. Il y déploya un grand zèle. Il poussait vivement à la fréquentation des sacrements. Tous ceux qui s'approchent des sacrements, disait-il, ne sont pas des saints; mais les saints seront toujours pris parmi ceux qui les reçoivent souvent. Dans ses instructions, ses catéchismes, ses conversations, tout en lui débordait du sentiment de l'amour de Dieu. De là encore son zèle pour le culte divin, l’ornement des autels et de l'église, les processions du St Sacrement. Au saint sacrifice de la messe, on remarquait son amour pour Notre Seigneur. Quand il parlait de la charité de ce divin maître, il semblait ne plus pouvoir se contenir. Être aimé de Dieu, disait-il, quel bonheur! Et sa voix était profondément émue.

En confession, quelques paroles sorties de sa bouche inspiraient l'horreur du péché et l'amour de Dieu. Il ne perdait guère, même au milieu de la foule qui l'accablait, le sentiment de la présence de Dieu et l'union de son âme avec lui. Un chrétien, disait-il, ne devrait pas plus perdre la pensée de Dieu que la respiration. Il était insensible à toutes les choses de ce monde ou ne s'y intéressait qu'autant qu'elles avaient Dieu pour objet. Lorsqu'il apprenait quelques nouvelles contraires à l'honneur de Dieu et au bien de l'Église, il en était profondément attristé.

Mr Vianney était arrivé à cette charité parfaite par l'esprit de sacrifice et le détachement de lui-même ; aussi les peines, les croix, les contradictions, loin de l'abattre, le fortifiaient-elles dans son amour pour Dieu. - S'il fut tourmenté plusieurs fois par la pensée de quitter sa paroisse, et s'il essaya deux fois de fuir, il était poussé par le désir d'aimer Dieu davantage.

687 Lorsque le démon le tourmentait plus que de coutume, il en concluait que quelque grand pécheur ne tarderait pas de lui arriver. L'expérience lui avait appris qu'il en était ainsi ordinairement.





689 Session 73-3 Août 1863 à 3h de l'après-midi



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Mr Vianney n'a pas moins pratiqué la charité à l'égard du prochain qu'à l'égard de Dieu. Je sais que lorsqu'il était élève, l'un de ses condisciples se faisait un jeu de le tourmenter. 690 Mr Vianney souffrit avec tant de patience ces mauvais traitements et lui témoigna tant de bonté que celui-ci en fut profondément touché et devint ensuite l'un de ses amis les plus dévoués; ce condisciple était Mr Loras, devenu depuis évêque de Dubuque, en Amérique.

Dès son arrivée dans la paroisse d'Ars, il témoigna beaucoup d'affection à tous les habitants; il les visita dans leurs maisons, les traitant avec une familiarité pleine de dignité. Les paroissiens regrettèrent beaucoup ses visites lorsque l'affluence des étrangers absorba tous les instants de leur curé.

On peut dire que Mr Vianney se proposait constamment le bien du prochain; il offrait ses souffrances du jour pour la conversion des pécheurs, et celles de la nuit pour la délivrance des âmes du purgatoire. Je lui ai souvent entendu dire qu'il souffrait vingt fois plus la nuit que le jour. C'était un soulagement pour lui quand il pouvait dormir deux heures. Rien de plus dur cependant que sa journée. Pendant les grandes chaleurs, il était au confessionnal comme dans une étuve; il y étouffait. Il lui arrivait souvent de se lever avant minuit. Je lui disais quelquefois en riant: Mais, Mr le Curé, vous ne faites pas votre prière du matin!..., voulant lui dire qu'il était déjà à l'oeuvre avant minuit.

Il gémissait constamment sur la perte des âmes; j'ai entendu dire à Mr Toccanier qu'il lui a exprimé cette pensée qu'il consentirait volontiers à rester sur la terre jusqu'à la fin du monde pour sauver des âmes. C'est le zèle pour le salut des âmes qui l'a porté à fonder un si grand nombre de missions. Cette oeuvre était son oeuvre favorite. Il engageait vivement à y concourir.

Sa charité le portait à venir au secours de ses confrères du voisinage en leur prêtant son concours dans la visite des malades, dans l'administration des sacrements lorsqu'ils étaient infirmes ou absents. C'est la même raison qui l'a engagé à leur venir en aide dans les missions ou jubilés.

Il passait sa journée presque entière et une bonne partie de la nuit au confessionnal. Lorsqu'il se levait de meilleure heure que de coutume, il encourageait son corps en lui promettant quelques instants de repos pendant le jour; mais ensuite il n'en faisait rien; il l'attrapait, disait-il lui-même, en ajournant ce même repos pour la nuit. Ses relations avec le prochain étaient pleines de bonté et d'affabilité, sans distinction de personnes. Il avait néanmoins une prédilection particulière pour les pauvres, les infirmes, les estropiés; il leur donnait tout ce qu'il pouvait, ce qu'on lui préparait à lui-même pour sa nourriture, les draps de son lit, son linge; il vendit à leur profit tout ce qui lui appartenait, ses pauvres meubles, sa montre, que l'on fut obligé plusieurs fois de remplacer en lui en achetant ou en lui en prêtant une autre. Nous étions obligées de prendre les plus grandes précautions pour lui conserver les objets les plus nécessaires à son usage. Un jour, je lui avais remis une paire de souliers fourrés tout neufs; j'avais malheureusement oublié de lui soustraire ceux dont il usait auparavant. Quel ne fut pas mon étonnement, le soir, de ne lui voir aux pieds que ses vieux souliers. Vous les avez donnés! lui dis-je avec humeur. - Peut-être bien..., me répondit-il tranquillement. Ceci se passait à la cure. Un instant après, craignant de m'avoir fait de la peine, il vint à la Providence et m'adressa quelques bonnes et consolantes paroles. Il lui arriva aussi une autre fois de donner à un pauvre un haut de chausses dont on lui avait fait cadeau quelques jours auparavant.

Il y avait dans la paroisse une pauvre vieille aveugle, nommée la mère Bichet; il aimait à lui porter quelques provisions, et souvent ce qu'il avait de mieux; il les déposait doucement et sans rien dire dans son tablier. La bonne vieille, ne sachant pas que c'était Mr le Curé, croyant plutôt que c'était une voisine, répondait: Merci, ma mie. Mr Vianney riait de bon coeur de cette réponse. Un jour, Melle Lacan, l'une des filles qui le servaient de temps en temps, avait déposé en son absence dans un des meubles de la cure un petit pâté, pensant bien régaler Mr le Curé. Lorsque celui-ci fut rentré, elle lui dit en ma présence: Mr le Curé, voulez-vous prendre quelque chose? Vous en avez bien besoin. - Oh! non, répondit-il. - Eh! bien, vous accepterez au moins un peu de pâté. - Tout de même, répondit-il avec empressement. Melle Lacan, tout heureuse, m'envoya vite chercher le pâté; mais le pâté avait disparu. - Vous l'avez donc donné! lui dit Melle Lacan. - Peut-être bien, reprit-il.

Il payait beaucoup de loyers, soit dans la paroisse d'Ars, soit ailleurs.

Souvent il venait à la Providence et nous dérobait nos provisions, du pain, etc., qu'il se hâtait de porter aux pauvres. Il usait des plus ingénieuses industries pour ne point laisser apercevoir ses générosités; il cachait habilement sous sa soutane les divers objets qu'il destinait aux pauvres. Sa charité parut surtout dans l'établissement et l'entretien de la Providence; il lui consacra toutes les ressources personnelles dont il pouvait disposer. Il nous fit recueillir un nombre considérable de malheureuses orphelines, qui nous arrivaient souvent à moitié nues et toutes couvertes de vermine. Rien n'égalait la tendre affection qu'il portait à ces pauvres enfants. 693 Quelquefois, dans les commencements surtout, nous étions bien dans la gêne; il me grondait quand je m'inquiétais. Il m'est arrivé une fois de rencontrer devant la petite porte de l'église un enfant nouveau né. Il nous a ordonné de le recueillir et de le mettre en nourrice après lui avoir fait son trousseau. De bonnes gens l'ont ensuite adopté. Une autre fois, ayant appris qu'une femme bien malheureuse était mourante dans une paroisse voisine, il m'a envoyée auprès d'elle avec une de mes compagnes, pour prendre son petit enfant, que nous avons fait élever.

Une autre preuve de sa charité, c'est l'établissement des frères, qu'il a fondé dans sa paroisse.



Quoad Prudentiam, testis respondit:

Je n'ai rien remarqué dans Mr Vianney qui ait pu indiquer qu'il ait jamais manqué de Prudence chrétienne soit pour lui-même, soit pour les autres.

Pour lui-même: afin d'assurer plus sûrement sa sanctification, il a constamment eu recours à la prière et à la mortification; il ne s'est jamais relâché sous ce rapport. Il y a joint l'application constante à pratiquer toutes les vertus et les conseils évangéliques. Je puis donner pour exemple de sa Prudence son pèlerinage à St François Régis et l'habitude où il était d'avoir recours à la prière et à la mortification quand il voulait connaître la volonté de Dieu.

Pour le prochain, il montra beaucoup de Prudence dans la manière dont il traita ses paroissiens dans le commencement de son ministère; quoiqu'il ait déployé beaucoup de fermeté pour déraciner les abus, jamais il n'a froissé personne. Pour arriver à la conversion de sa paroisse, il compta beaucoup plus sur les moyens surnaturels que sur les moyens naturels. 694 Il faisait des pénitences, se livrait à des jeunes plus rigoureux quand il se proposait quelque bonne oeuvre à entreprendre, ou quelque abus à déraciner. Il lui arrivait aussi alors de venir nous trouver et de demander à nos enfants une neuvaine de prières à son intention.

Il a montré une grande Prudence dans la fondation et l'entretien des deux établissements dont j'ai parlé plusieurs fois. Quoiqu'il comptât principalement sur les moyens surnaturels, il ne voulait pas qu'on négligeât les moyens humains. Il nous disait souvent qu'il ne fallait pas tenter le bon Dieu, ni lui demander des miracles.

J'ai remarqué que les personnes qui venaient à lui pour le consulter, s'en retournaient contentes et consolées. Quand on le consultait, sa réponse ne se faisait pas attendre; elle était ordinairement prompte, claire et décisive. Quelquefois il s'arrêtait un instant, je pense que c'était pour demander à Dieu des lumières; d'autres fois, il renvoyait sa décision jusqu'après sa messe. Il prétendait que le prêtre doit toujours être prêt à répondre aux besoins des âmes. Il doit constamment être enveloppé du St Esprit, disait-il, comme il l'est de sa soutane.

Relativement à l'incident de la Salette, je ne sais rien de bien précis pour les détails; mais j'ai toujours remarqué chez lui une grande réserve à ce sujet. Toutes les fois qu'on lui en a parlé en ma présence, il a toujours cherché à éluder les questions qui lui étaient adressées. Cette réserve tenait à ce que ayant cru d'abord lui-même à l'apparition de la Salette, il avait entendu Maximin lui dire qu'il n'avait rien vu. Dès lors il avait suspendu son jugement en attendant celui de l'Eglise.





697 Session 74 - 4 Août 1863 à 8h du matin



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai la conviction que Mr Vianney a pratiqué la vertu de Justice, soit à l'égard de Dieu, soit à l'égard du prochain, et qu'il l'a pratiquée non seulement dans les limites de ses devoirs, mais bien au-delà. Je crois qu'il a grossi le trésor des indulgences de l'Eglise. On lui disait quelquefois: Mais, Mr le Curé, vous en faites bien trop! Quand vous arriverez à la porte du paradis, vous serez bien trop chargé! - Eh! bien, disait-il gaîment, j'en ferai part à mes amis! Mes précédentes dépositions montrent suffisamment qu'il a parfaitement pratiqué la Justice à l'égard de Dieu.

J'ai dit qu'il était bon à l'égard de tout le monde. Il n'aurait pas voulu faire de la peine à un enfant; mais cette bonté allait jusqu'au respect; ainsi il ne s'asseyait pas en présence des personnes qui venaient le visiter, quelqu'accablé de fatigue qu'il fût. Et ce n'était pas simplement pour se reposer de la situation qu'il avait constamment au confessionnal; car je l'ai vu souvent, immédiatement après, s'asseoir ou s'appuyer. Il était très respectueux pour les prêtres, pour les personnes élevées en dignité; mais j'ai toujours remarqué en lui une tendresse particulière pour les pauvres et les misérables. Il aimait mieux, disait-il, la visite d'une pauvre femme qui venait lui demander l'aumône, que celle d'un personnage important.

Dans ses rapports avec nous, il était plein de bonté et d'attention, mais aussi de fermeté. Il ne nous mettait pas des coussins sous les coudes.

Il montrait une profonde vénération pour son père et sa mère et beaucoup d'affection pour les habitants des Noës. Il avait conservé pour Mr Balley, curé d'Ecully, les sentiments de la plus vive gratitude. Il n'en parlait qu'avec la plus vive reconnaissance. Il a conservé longtemps divers objets mobiliers qui lui avaient appartenu; il a fini cependant par s'en défaire au profit des pauvres.



Quoad Obedientiam, testis respondit:

Je ne doute pas que le Serviteur de Dieu n'ait pratiqué la vertu d'Obéissance aussi bien que toutes les autres vertus. Il l'avait en telle estime qu'il nous disait: Un acte de renoncement à sa propre volonté, vaut mieux aux yeux du bon Dieu que trente ou quarante jours de jeûne. Il avait souvent demandé à son évêque l'autorisation de quitter sa paroisse. Ses refus réitérés l'ont toujours trouvé obéissant. 699 Seulement en deux circonstances il a pris la fuite, convaincu qu'après coup il obtiendrait son assentiment. Mais de lui-même, après avoir tenté de fuir, il est rentré dans sa paroisse. Quant à ce qui concerne le fait de sa désertion, je crois que sa désobéissance fut plus apparente que réelle et que s'il ne rejoignit pas les drapeaux, cela tint plutôt aux circonstances qu'à un dessein préconçu.

Il était très obéissant à toutes les lois et prescriptions de l'Église et il a toujours professé une vénération profonde pour l'autorité du Saint Siège.



Quoad Religionem, testis respondit:

La vertu de Religion brillait en Mr Vianney d'une manière toute spéciale. Elle lui faisait rechercher tout ce qui de près ou de loin se rapportait au culte et à la gloire de Dieu. Le plus petit objet lui devenait cher dès qu'il avait une signification pieuse. Il aimait les images, les croix, les scapulaires, les médailles, les confréries. Il avait une prédilection particulière pour les reliques; son église, sa chapelle de la Providence, sa chambre, en étaient remplies. Il était avide d'entendre la parole de Dieu et l'on voyait qu'il s'en faisait l'application à lui-même. J'ai déposé ailleurs sur sa dévotion au St Sacrement.

Il tenait en grande estime toutes les pratiques de l'Église, quelques petites qu'elles fussent. Il nous recommandait de nous mettre volontiers des diverses confréries; il disait que cela fait toujours du bien; il y a tout à gagner, rien à perdre. Lui-même était du tiers-ordre de St François. Je sais que dans la récitation de son office, il se proposait à chaque heure des intentions particulières, qui avaient surtout pour objet d'honorer la passion de Notre Seigneur.

Il avait une tendre dévotion à la Ste Vierge. Elle se manifesta dès son enfance; il avait une petite statue qui la représentait et quand il allait travailler dans les champs, il la plaçait à quelques pas devant lui pour s'exciter à son travail, et quand il l'avait atteinte, il la déplaçait, la portait plus loin et recommençait ainsi à diverses reprises. Chaque samedi il disait autant que possible la messe en l'honneur de la Ste Vierge. Je crois que c'est par suite d'un voeu. Le soir à la prière, il récitait le chapelet de l'Immaculée Conception. Il ajoutait à l'Ave Maria qu'il avait coutume de dire lorsque l'heure sonnait, cette invocation: 700 Bénie soit la très sainte et Immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie. Il engageait ses paroissiens à être fidèles à cette pratique. Il mettait le plus grand zèle à propager la dévotion à la Sainte Vierge. Il a consacré sa paroisse à son Coeur Immaculé, ainsi qu'en fait foi un tableau déposé dans l'église d'Ars. Il a conduit processionnellement sa paroisse en pèlerinage à Notre Dame de Fourvières.

Sa dévotion aux saints n'était pas moins remarquable; il lisait habituellement leurs vies et en tirait pour ses instructions les traits les plus touchants. Il n'a pas renoncé à cette lecture, même à l'époque du pèlerinage, lorsqu'il passait sa journée toute entière au confessionnal et qu'il rentrait chez lui le soir assez tard et accablé de fatigue. Souvent le matin, en faisant sa chambre, j'ai trouvé sa vie des saints sur sa table. Il honorait quelques saints d'un culte particulier, St Joseph, St Jean-Baptiste, Sainte Colette, etc.; mais surtout sainte Philomène.

Il s'appliquait dans ses prières au soulagement des âmes du purgatoire; il engageait non seulement à prier pour elles, mais encore à les prier. Elles ne peuvent rien pour elles-mêmes, disait-il, mais elles peuvent beaucoup pour leurs bienfaiteurs.

Il recommandait beaucoup l’oeuvre de la propagation de la foi et il disait à ce sujet: Dieu ne permettra pas qu'on perde la foi en travaillant à la procurer aux autres.



Quoad Orationem, testis respondit:

Je crois que l'Oraison de Mr Vianney était continuelle et qu'il ne perdait jamais de vue la présence de Dieu.



Quoad Fortitudinem, testis respondit:

Mr Vianney a pratiqué toute sa vie la vertu de force. Je crois même que c'est l'une des vertus qui ont le plus brillé en lui. Elle s'est manifestée par sa confiance en Dieu et sa constance inaltérable, dans set vie mortifiée et dans ses diverses épreuves.



Quoad Patientiam, testis respondit:

La Force de Mr Vianney s'est surtout manifestée par sa patience. 701 Dans les dernières années de sa vie, il était sujet à de vives douleurs d'entrailles, à de violents maux de tête; il était tourmenté par une toux fréquente. Je ne l'ai jamais entendu se plaindre. Quand il succombait et n'en pouvait plus, il disait agréablement: Ah! vraiment, il y a de quoi rire!... Quel que fût l'excès de sa fatigue, jamais il n'a différé d'un seul instant d'aller administrer les sacrements dans sa paroisse et même dans les paroisses voisines. Sa Patience n'a pas moins paru dans les épreuves et les contradictions auxquelles il a été en butte. Il nous citait à ce sujet un exemple: Un saint dit un jour à l'un de ses religieux: Allez au cimetière et dites beaucoup d'injures aux morts; le religieux obéit. A son retour, le saint lui demanda: Que vous ont-ils répondu? - Rien. - Eh! bien, retournez encore et vous leur ferez beaucoup d'éloges. Ayant obéi de nouveau, le religieux revint. - Que vous ont-ils dit cette fois? - Rien. - Eh! bien, dit le saint, si l'on vous adresse des éloges ou des injures, faites comme eux.

Il me reste encore quelques traits à citer sur sa patience. Étant allé un jour administrer un malade dans une paroisse voisine, après son retour il nous dit: J'étais plus malade que le malade. Dans une autre circonstance il alla faire un enterrement dans une paroisse du voisinage; le froid était terrible; il revint le visage presque gelé. Une autre fois, il fut obligé, après avoir rempli un ministère semblable, de rentrer de nuit, par des chemins pleins d'eau et de boue; il arriva à Ars dans un état pitoyable. Dans toutes ces circonstances et autres semblables, non seulement il ne se plaignait pas, mais il paraissait content.

En cela il avait d'autant plus de mérites, qu'il était naturellement très vif. Un jour, une chose l'ayant fortement contrarié à la Providence, il nous disait: Si je ne voulais pas me convertir, je me fâcherais. Et en prononçant ces paroles, il conservait tout son calme.



Quoad Temperantiam, testis respondit:

La mortification a paru en Mr Vianney pendant toute sa vie d'une manière extraordinaire. Je sais que pendant qu'il étudiait à Ecully, il se mortifiait déjà dans sa nourriture. Il nous parlait souvent des mortifications de Mr Balley. 702 Nous avons toujours pensé que pendant qu'il était vicaire chez lui, il s'était appliqué à marcher sur ses traces. Nous lui avons entendu dire souvent qu'ils mangeaient pendant longtemps ensemble du même mets.

Pendant les premiers temps de son séjour à Ars, Mme Renard d'abord, Melle Lacan ensuite, ont eu toutes les peines du monde à lui faire accepter quelques soulagements. Le plus souvent, il distribuait aux pauvres les provisions qu'on lui apportait. Un jour, elles lui avaient fait de beaux matefaims; elles savaient qu'il les aimait beaucoup. Quand il rentra, elles l'engagèrent à en manger. Eh! bien, disons notre benedicite, dit-il; et il se leva, fit le signe de la croix, récita la prière avant le repas, prit l'assiette sur laquelle se trouvaient les matefaims et partit comme un trait pour les porter aux pauvres, à la grande désolation de ces bonnes filles, qui lui criaient: Ah! Mr le Curé, nous ne vous les donnons pas! - Je croyais cependant, reprit-il, que tout ce qui était chez moi m’appartenait.

Elles désiraient beaucoup manger une fois avec lui. Un jour il les invita et au repas, il leur servit quelques morceaux de ce mauvais pain qu'il achetait des pauvres. La leçon fut bonne et l'on se dispensa désormais de revenir à la charge.

Ce que je vais dire maintenant m'est tout à fait personnel; je vais parler de ce que j'ai vu et de ce que j'ai entendu. Il ne se mettait en aucune façon en peine de tout ce qui concernait ses vêtements. Au commencement et pendant qu'il avait un peu plus de temps disponible, il raccommodait lui-même ses bas, et à la longue, il y avait fait tant et de telles coutures, qu'elles devaient lui déchirer les pieds. Nous étions obligées dans la suite de tenir son linge et de ne le lui distribuer qu'à mesure qu'il en avait besoin. Vers la fin de sa vie, nous avions soin de lui faire des vêtements un peu plus chauds, quoique cependant très simples et très pauvres; il les prenait sans s'inquiéter de rien.

Il couchait sur un mauvais lit très dur; chaque soir, avant de se coucher, il en enlevait le matelas. Afin de ne pas lui donner inutilement cette peine, nous avons fini par ne plus le mettre. Il n'y avait que peu de feuilles de maïs dans son garde paille; encore trouvait-il presque toujours qu'il y en avait trop; il les sortait et les jetait à côté du lit ou au feu. Afin de l'en empêcher, nous avons pris le parti de coudre toutes les ouvertures de son garde paille. Je me suis dès lors aperçue, en faisant son lit le matin, qu'il avait repoussé les feuilles de chaque côté, en sorte qu'entre son corps et la planche du lit, il n'y avait que l'épaisseur d'une toile. Son traversin était en paille. J'ai entendu dire que dans les premières années de son ministère à Ars, il vivait fréquemment de quelques pommes de terre, de quelques matefaims qu'il faisait cuire lui-même. On m'a assuré qu'il est resté plusieurs jours sans manger. Afin de le surprendre, on lui dit un jour: Mr le Curé, on dit que vous êtes resté tant de temps sans manger. - Oh! non, répondit-il, pas autant que cela, on exagère. J'ai également entendu dire qu'il avait essayé de vivre d'herbages. 703 Je puis assurer pour l'avoir vu que pendant tout un carême, il n'a pas mangé plus d'une livre de pain avec un peu de lait chaque jour. Il est arrivé très souvent que nous lui apportions quelque nourriture; nous trouvions la porte fermée; nous l'appelions; il finissait par nous crier: Je n'ai besoin de rien, je ne veux rien. On s'en retournait jusqu'à une autre fois. Il nous a dit fréquemment: Vous ne viendrez pas jusqu'à telle époque; il s'agissait de plusieurs jours. Malgré ses ordres, nous voulions souvent forcer la consigne; il était ordinairement inflexible. La même chose est arrivée avant nous à Mme Renard et à Melle Lacan.





705 Session 75 - 5 Août 1863 à Sh du matin



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Il n'y a jamais eu une régularité bien exacte dans le nombre et dans les heures de ses repas; il en faut dire autant de la nature et de la quantité de nourriture qu'il prenait. Il n'est qu’un seul point dont il ne s'est jamais départi, c'est l'extrême mortification qu'il a toujours pratiquée. 706 Je puis dire néanmoins d'une manière générale, que, dans la matinée, à une heure indéterminée, il prenait un peu de lait. Vers midi, il faisait son repas principal, qui consistait ordinairement en un bol de lait dans lequel nous mettions quelquefois un peu de chocolat. Lui-même y émiettait un petit morceau de pain; c'était tout son repas. Souvent il nous disait de faire réchauffer la tasse de lait qu'il n'avait point achevée à son déjeuner du matin. D'autres fois, il se contentait d'un petit plat et il n'en prenait que très peu. Lorsque nous avons voulu lui préparer plusieurs mets, il nous en a réprimandées et s'est toujours réduit à un seul. Il n'a jamais voulu laisser mettre de sucre que dans un peu de café qu'il prenait parfois. Le soir, lorsqu'il rentrait dans sa cure après une longue journée de confession, il n'acceptait qu'un verre d'eau, dans lequel il nous permettait de temps en temps de mettre un peu de vin.

Nous lui faisions fréquemment des observations sur un genre de vie aussi sévère: J'ai un bon cadavre, nous répondait-il, je suis dur. Si parfois nous ajoutions quelque chose d'un peu meilleur à sa nourriture, il le refusait en nous disant: Ce que j'ai l'habitude de prendre est bien encore trop; il y a tant de pauvres gens qui souffrent et qui n'ont pas suffisamment à manger. Il ajoutait: Si vous aviez un peu de charité pour moi, vous ne me prépareriez pas tant de choses; vous me conduirez en purgatoire. Quelquefois néanmoins, pour ne pas trop nous faire de la peine, il acceptait. Il mangeait ordinairement debout; il lui est même arrivé de prendre son petit bol de lait, de l'emporter et de le manger en traversant la place qui est à côté de l'église. Je ne pense pas qu'il consommât habituellement une livre de pain par semaine.

Les jours de jeûne, il n'a jamais rien pris dans la matinée, il s'est toujours contenté de ce repas de midi dont j'ai parlé.

A la fin de sa vie, il a consenti à apporter quelques légers adoucissements à son régime; il se les reprochait comme une immortification, et nous disait fréquemment qu'il était devenu gourmand. C'est alors seulement qu'il a consenti à accepter quelquefois un peu de viande. Ces adoucissements étaient une nécessité; sa santé était tellement affaiblie qu'il ne pouvait plus se soutenir. 707 Ah! si je n'étais pas obligé de parler autant, disait-il, si je pouvais me retirer dans la solitude, je mangerais bien moins.

J'ai vu moi-même bien souvent ses instruments de pénitence, et en particulier sa discipline; elle consistait en trois chaînes de fer, au bout desquelles étaient attachées, tantôt des plaques du même métal, tantôt de petites clefs. J'ai remarqué qu'elles n'y restaient pas longtemps et j'en ramassais les débris épars dans sa chambre. Il m'a demandé une fois sa discipline qu'il avait perdue. Je lui ai répondu que je ne savais pas ce qu'elle était devenue. Il m'a priée de lui acheter des chaînes de fer, j'ai refusé. J'ai fréquemment trouvé ses linges ensanglantés. On connaissait qu'il se donnait la discipline de la main droite car il y avait beaucoup plus de sang à l'endroit de ses linges qui correspondait à l'épaule gauche. Je crois qu'il se faisait de temps en temps des plaies assez profondes, car je trouvais avec le sang des traces de suppuration. Il a manifesté la volonté qu'on ne le dépouillât pas après sa mort. Il prétendait que cette mortification corporelle était très utile à l'âme: Ça réveille les fibres, disait-il. Il la portait jusque dans les plus petites choses. Il ne respirait jamais une bonne odeur, ne s'appuyait pas quand il était à genoux. Dans sa dernière maladie, les personnes qui le servaient chassaient les mouches de son visage; il leur dit: Laissez-moi donc tranquille avec mes mouches. Quoiqu'il craignît beaucoup le froid, il ne porta jamais point de manteau. Je n'ai jamais oublié mon manteau, disait-il quelquefois en riant. Pendant l'hiver, il lui arrivait d'avoir si froid aux pieds qu'il ne les sentait plus et qu'en sortant du confessionnal, il ne pouvait plus se remuer. Il ne portait habituellement pas de chapeau.



Quoad Paupertatem, testis respondit:

L’amour de la pauvreté a été, avec la mortification, la vertu spéciale de Mr. Vianney; il l'a pratiquée dans toute sa perfection. Il n'a rien possédé, ne voulait rien posséder, et se plaignait fréquemment de ne pas pouvoir devenir aussi pauvre qu'il le désirait. Il avait fini par vendre jusqu'au misérable mobilier de sa chambre. Lorsque son lit brûla, il ne manifesta pas la moindre émotion. Je ne sais si je lui ai entendu dire moi-même, à la suite de cet accident: 708 Le démon n'a pas pu avoir l'oiseau, il a brûlé la cage; quoiqu'il en soit, je suis assurée d'avoir ouï cette parole d'autres personnes qui m'ont affirmé l'avoir entendue de la bouche de Mr le Curé.

Rien n'était plus pauvre que sa chambre, la seule pièce habitable de la cure. Je me rappelle avoir vu les ronces qui, par la fenêtre, avaient envahi la cuisine. Un jour, Catherine Lassagne voulut remplacer par une tasse en faïence la mauvaise écuelle dont il se servait pour ses repas; il se hâta de la faire disparaître, comme un objet de luxe.

Il ne pratiquait pas moins la pauvreté dans la manière de se vêtir. Ses habillements étaient grossiers. Nous étions obligés de lui tenir en réserve une soutane de rechange et encore devions-nous prendre la précaution de ne pas la laisser trop longtemps dans sa chambre, car elle n'aurait pas tardé à disparaître au profit des pauvres; il en était de même du reste de son linge. Quand nous voulions changer quelques uns de ses vêtements, parce qu'ils étaient malpropres ou trop usés, il nous répondait: C'est bien bon pour le Curé d'Ars. Il n'acceptait de nouveaux habillements, de nouvelles chaussures qu'à la dernière extrémité. Il aimait néanmoins beaucoup la propreté; il changeait très fréquemment son linge de corps, ce qui ne l'empêchait pas de porter habituellement une soutane et des souliers assez malpropres; je crois que c'était par humilité.

Il recevait beaucoup d'argent, mais il n'y était attaché en aucune manière, il le destinait entièrement à ses bonnes oeuvres. Il disait que pour beaucoup recevoir, il fallait beaucoup donner. J'ai entendu dire qu'un jour, par mégarde, il brûla un billet de banque. Il ne manifesta pas de regrets et se contenta de dire: Il y a moins de mal qu'à un péché véniel.

Quelque rapproché qu'il fût du passage du chemin de fer, il n'a pas eu la curiosité d'aller le voir.



Quoad Humilitatem, simplicitatem et modestiam, testis respondit:

Il y avait beaucoup de simplicité et d'abandon dans Mr Vianney; c'était l'un des traits les plus marquants de son caractère. Chez le Serviteur de Dieu, il n'y avait point d'ostentation, rien de contraint ni d'affecté; mais de la candeur, de l'ingénuité, de la naïveté, qui se combinaient avec une remarquable finesse d'esprit. Il était plein de gaieté, et dans ses conversations, il disait volontiers quelques mots qui faisaient sourire. 709 Il avait des réparties très spirituelles.

Avant de parler de son humilité, je dois faire une remarque importante. Mes compagnes et moi, nous avons souvent appris par Mr Vianney lui-même des choses qui le concernaient; ce n'est pas qu'il aimât à nous entretenir de lui; rien au contraire n'était plus opposé à ses habitudes; je ne pense pas qu'aucun homme ait été plus mort à lui-même. Mais par suite de cette simplicité et de cette naïveté que j'ai signalées plus haut, il s'oubliait parfois et se laissait aller à la conversation. Dans ces bons moments, nous usions d'une certaine industrie; nous n'avions pas l'air de vouloir apprendre ce que nous tenions le plus à savoir; nous faisions les indifférentes; puis nous le mettions sur la voie, nous le questionnions doucement et lui, ne se doutant de rien, nous répondait comme un enfant. S'apercevait-il de la surprise, il s'arrêtait tout à coup et nous défendait de rien révéler de ce qui lui était ainsi échappé. Cette remarque explique comment mes compagnes et moi avons pu obtenir de lui la connaissance de tant de particularités qui concernent sa vie.

Au milieu de l'immense concours de pèlerins, qui venaient à Ars et qui l'entouraient de leur vénération, il n'a jamais laissé apercevoir le moindre signe de vanité. Il m'a toujours paru mort aux louanges comme aux injures. Les choses merveilleuses que Dieu opérait, il en renvoyait tout l'honneur à Ste Philomène. Au fond, il était peu sensible aux guérisons du corps. Je lui ai entendu dire plusieurs fois que lorsqu'il voyait des personnes qui désiraient trop vivement leur guérison corporelle, il pensait que Dieu ne la leur accorderait pas. Le corps, disait-il, est si peu de chose. Ce qui le comblait véritablement de joie, c'était la conversion des âmes.

En face des injures ou des outrages, il était d'un calme inaltérable. Un jour, en ma présence, un ecclésiastique se mit à lui dire des choses très dures; je me retirai à quelque distance, afin de ne pas faire de la peine à Mr le Curé; je ne pus pas suivre la conversation ; mais j'entendis à plusieurs reprises que Mr Vianney appelait cet ecclésiastique "mon ami"; et je remarquai que la figure du Serviteur de Dieu demeura calme et bienveillante.

710 Il est arrivé quelquefois que des prédicateurs étrangers se sont permis de faire son éloge en chaire et en sa présence. Rien n'égalait alors sa confusion. Quelquefois même, il se retirait dans la sacristie, afin de ne pas les entendre.

Il fut très ennuyé lorsque l'on commença à vendre son portrait à Ars; il ne l'appelait que son carnaval. On me pend, on me vend, disait-il; il finit par s'y habituer. Quelquefois des pèlerins lui présentaient son portrait à signer ou à bénir; il s'y refusait et ne l'a jamais fait que par surprise.

Des artistes ont cherché à reproduire ses traits par le dessin, ou à les modeler pour avoir son buste. Ils se plaçaient pour cela dans quelque coin de l'église pendant ses catéchismes ou ses instructions; il s'en est aperçu et les a sévèrement réprimandés. Toutefois, il ne trouvait pas mauvais qu'on prît des notes pendant ses catéchismes, il y voyait un bien pour les âmes.

Il recommandait fréquemment l'humilité dans ses instructions. L'humilité, disait-il, est la chaîne du chapelet de toutes les vertus. Il racontait qu'une personne demandait un jour à un saint, ce qu'il faudrait faire pour être sage. - Bien aimer le bon Dieu, avait répondu le saint. - Eh! comment faire pour bien aimer le bon Dieu?... - Humilité, Humilité!. Il racontait encore que le diable apparut un jour à St Macaire, et qu'il lui dit: Tout ce que tu fais, je le fais: tu jeûnes, moi je ne mange jamais; tu veilles, moi je ne dors jamais. Il n'y a qu'une chose que tu fais et que je ne puis faire. - Eh! quoi donc? - M'humilier.

La visite des personnages importants qui se trouvaient assez fréquemment au nombre des pèlerins, n'inspirait au Serviteur de Dieu aucun sentiment d'orgueil ; il avait pour eux tout le respect et toute la déférence qui étaient dus à leur caractère ou à leurs dignités; mais il préférait, comme j'ai déjà déposé, à leur visite, celle d'une pauvre femme, venant solliciter quelques secours.

Lorsque Mgr Chalandon, évêque de Belley, le nomma chanoine et lui donna le camail à l'entrée de l'église, il parut excessivement embarrassé, et le jour même, il vendit cet insigne d'honneur. 711 Je sais qu'il n'a jamais porté la croix d'honneur, qui lui avait été accordée par le Gouvernement français.





713 Session 76 - 5 Août 1863 à 3h de l'après-midi



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

La vertu de chasteté a toujours été très chère à Mr Vianney et il l'a pratiquée toute sa vie dans toute sa perfection. Il n'eut jamais régulièrement à son service des personnes du sexe. 714 Nous-mêmes nous avons été constamment obligées de prendre les précautions les plus rigoureuses pour lui rendre les soins les plus indispensablement nécessaires. Nous n'entrions dans sa chambre qu'avec appréhension. Je faisais son lit le matin pendant qu'il était à l'église. Même alors qu'il était malade, nous osions à peine nous approcher de lui pour lui procurer quelques soulagements, ou pour le soigner. Jamais nous n'avons aperçu en lui rien qui ressemblât, même de loin, à la familiarité; il nous inspirait les sentiments du plus grand respect et de la plus profonde vénération. Je sais qu'il n'était pas moins sévère pour les autres que pour nous et je n'ai jamais entendu dire que sa réputation ait été attaquée le moins du monde sous ce rapport.



Interrogatus demum an sciat vel dici audiverit, servum Dei unquam aliquid gessisse virtutibus supradictis quoquo modo contrarium, testis respondit:

Je n'ai jamais rien vu ou entendu qui soit contraire aux vertus sur lesquelles je viens de déposer. Je n'ai rien remarqué en lui que j'aie pu considérer comme un péché ou une faute.



Juxta decimum nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je suis convaincue que le Serviteur de Dieu a pratiqué dans un degré héroïque toutes les vertus sur lesquelles je viens de déposer et je ne pense pas qu'on puisse les pratiquer mieux que lui. Par vertu héroïque, j'entends une vertu supérieure à celle qu'on rencontre même dans les très bons chrétiens. Il a persévéré jusqu'à la fin sans aucune espèce de relâchement dans la pratique des vertus les plus héroïques. Je crois avoir suffisamment fourni la preuve de mon affirmation dans toute la suite de ma déposition.



Juxta vigesimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

En l'écoutant dans ses instructions, j'ai souvent remarqué que sa voix était émue; je n'ai pas vu s'il pleurait, car j'ai déjà dit qu'il nous avait défendu de regarder à l'église. Mais j'ai entendu dire qu'il répandait parfois des larmes abondantes.

715 J'ai entendu dire qu'il lisait au fond des coeurs, mais je ne puis rien assurer de positif à ce sujet.

J'ai entendu parler de beaucoup de merveilles qui se sont opérées à Ars par le moyen du Serviteur de Dieu et par l'intercession de Ste Philomène, à qui il avait coutume d'adresser tous les malades. On parlait si souvent de ces choses extraordinaires, que pour mon compte je n'y faisais presque aucune attention. J'ai cependant été témoin d'un fait. Une jeune personne de St Etienne qui était estropiée était venue à Ars pour obtenir sa guérison. Elle fut guérie subitement à l'église ; un instant après, elle fut conduite par ses parents à la Providence; le fait nous fut immédiatement raconté; Mr le Curé arriva et se mit à genoux pour remercier Dieu de cette guérison.

J'ai entendu dire à Mr le Curé qu'un homme lui avait amené un jour son enfant ayant une loupe sur le nez; que ce brave homme l'avait prié de toucher la loupe de l'enfant avec son doigt, et Mr le Curé ajoutait: Je l'ai fait pour lui faire plaisir et Dieu a récompensé sa foi. La loupe avait disparu.

Le Serviteur de Dieu attribuait également à la foi d'un père de famille la guérison suivante. Un pauvre père avait apporté sur ses bras un enfant tout perclus; l'enfant fut guéri subitement à la chapelle de Ste Philomène; je l'en ai vu moi-même sortir marchant très bien.

Deux multiplications de blé ont eu lieu à ma connaissance. La première dans le grenier de la cure qui était au-dessus de la chambre de Mr le Curé. Un jour que j'étais chez lui, Mr Vianney m'invita à monter avec lui dans ce grenier; je le suivis; lorsque nous fûmes: entrés, il me montra deux tas de blé qui se touchaient, l'un petit et l'autre assez grand. Avec une petite baguette qu'il avait à la main, il me fit voir la quantité de blé qui était quelques jours auparavant dans le grenier; c'était le petit tas; et il me dit que tout le reste, c'est-à-dire le gros tas, avait été ajouté miraculeusement. Je lui dis: Mr le Curé, il faut bien que ce soit vous qui me le disiez pour que je le croie.

716 L'autre fait s'est passé aussi à la cure, mais dans un autre grenier. Marie Filliat, ma compagne, trouva un jour dans un très gros tas de blé un reliquaire appartenant à Mr le Curé. Ma compagne et moi, nous savions très bien qu'auparavant il y en avait très peu. Le tas cependant était devenu si considérable que nous étions étonnées que les poutres de la cure pussent le porter.

A l'époque d'une très grande sécheresse, nous n'avions plus qu'un peu de farine et il nous était impossible de faire moudre. Nous étions dans un grand embarras à cause de nos enfants. Catherine Lassagne et moi nous pensâmes que si Mr le Curé le demandait au bon Dieu, il obtiendrait que notre reste de farine suffirait pour faire une fournée. Nous nous communiquâmes notre pensée, nous ne voulûmes rien faire sans l'avoir prévenu; nous allâmes le trouver et après lui avoir exposé la situation embarrassante où nous nous trouvions, nous lui demandâmes ce qu'il fallait faire. Il nous répondit qu'il fallait pétrir. Je me mis à l'oeuvre, non sans une certaine appréhension, n'ayant que peu de farine et en quantité tout à fait insuffisante pour faire une fournée. Je mis d'abord très peu d'eau et de farine dans le pétrin; mais je m'aperçus bientôt que ma pâte demeurait trop épaisse; j'ajoutai de l'eau d'abord, puis de la farine ensuite, si bien qu'à la fin le pétrin était rempli et que ma petite provision de farine n'était pas épuisée. J'eus de quoi faire une grande fournée de pain. Ce fait s'est renouvelé une autre fois à peu près de la même manière.



Juxta vigesimum primum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je ne sais rien sur cet interrogatoire.



Juxta vigesimum secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu est mort à Ars le quatre Août mil huit cent cinquante-neuf, d'une maladie d'épuisement; il s'est éteint comme une lampe qui n'a plus d'huile. Je l'ai vu plusieurs fois dans sa dernière maladie et je puis attester qu'il a montré les plus grands sentiments de foi et de piété et qu'il a conservé la patience dans tous ses maux. 717 Les vertus dont il avait donné l'exemple pendant sa vie ne se sont pas démenties dans ses derniers moments. Il a reçu les sacrements de l'Eglise.



Juxta vigesimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Après la mort du Serviteur de Dieu, son corps a été exposé dans l'une des chambres basses de la cure. Le concours des fidèles autour de son corps a été très considérable; il a été plus grand encore à ses funérailles. Il y a eu des personnes de toutes les conditions. Je ne connais aucun fait extraordinaire accompli en cette circonstance.



Juxta vigesimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le corps de Mr Vianney a été enseveli au milieu de l'église d'Ars. Une pierre de marbre noir a été déposée sur son tombeau; elle est à fleur du sol; elle était protégée dans le principe par une grille en fer, qui a été enlevée. Les fidèles affluent en grand nombre dans l'église d'Ars pour se recommander au Serviteur de Dieu. Je ne sache pas qu'on lui ait jamais rendu un culte public; j'ai même assisté à un service solennel, célébré le trois de ce mois pour le repos de son âme.



Juxta vigesimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

La réputation du Serviteur de Dieu, soit pendant sa vie, soit après sa mort, a été celle d'un saint. Telle est l'opinion publique. J'entends par opinion publique l'idée générale que le public se fait des personnes ou des choses. L'origine de cette réputation ne peut être attribuée qu'aux vertus du Serviteur de Dieu et aux dons extraordinaires dont il a été comblé. Cette opinion n'est pas seulement celle de la foule, des personnes peu instruites, mais elle est partagée par les personnes les plus graves et les plus instruites. Je sais cela parce que je vois chaque jour arriver à Ars des personnes de toutes les classes. Depuis sa mort, cette réputation s'est étendue au loin; loin de diminuer, elle n'a fait que grandir avec les années. Actuellement on voit arriver à Ars des gens de tous les pays du monde. 718 Il n'est pas à ma connaissance que personne ait attaqué cette réputation du Serviteur de Dieu. Je regarde moi-même le Serviteur de Dieu comme un très grand saint, car je ne pense pas que tous les saints aient été aussi saints que lui.

La vénération des fidèles se manifeste de mille manières différentes. On se dispute les moindres objets qui lui ont appartenu; on veut avoir de lui quelques souvenirs, un morceau de linge, etc.; on visite avec le plus grand empressement la chambre qu'il habitait et où il est mort; on va prier sur son tombeau et on sollicite par son intercession les grâces les plus extraordinaires.



Juxta vigesimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai déjà dit qu'il n'était pas à ma connaissance que la réputation de sainteté du Serviteur de Dieu ait été attaquée.



Juxta vigesimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'entends dire fréquemment qu'il s'opère des choses extraordinaires par l'intercession du Serviteur de Dieu; mais je ne m'en occupe pas du tout.



Juxta vigesimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai rien à ajouter à ma déposition.



Et expleto examine super Interrogatoriis, deventum est ad Articulos, super quibus testi lectis, dixit, se tantum scire, quantum supra deposuit ad Interrogatoria, ad quae se retulit.

Sic completo examine, integra depositio jussu Rmarum Dominationum suarum perlecta fuit a me Notario a principio ad finem testi supradicto alta et intelligibili voce. Qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in eandem perseverare, et illam iterum confirmavit.



Quibus peractis, injunctum fuit praedicto testi, ut se subscriberet, prout ille statim, accepto calamo, cum nunc nimis caecutiat, signum crucis fecit, ut sequitur.



Ars Procès informatif 657