Ars Procès informatif 763

TEMOIN XIII - LAURE JUSTICE FRANÇOISE - COMTESSE DES GARETS D'ARS – 20 août 1863

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763 Session 82 - 20 Août 1863 à 2h de l'après-midi



764 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationiis et Canonizationis, respondit:

Je connais la nature et l'importance du serment que je viens de faire. Je promets de faire connaître la vérité telle qu'elle est; je n'ai point l'intention de cacher rien qui fût défavorable, ou contraire à la cause du Serviteur de Dieu.



Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je m'appelle Laure Justine Françoise comtesse des Garets d'Ars, née du Colombier. Je suis née à St Albin, près Pont-Beauvoisin (Isère) le vingt-cinq juillet mil huit cent quatre. Mon père se nommait Joseph César du Colombier et ma mère Marguerite Aimée de Corbeau de Vaulserre. Ma position de fortune, grâces à Dieu, est au-dessus d'une honnête aisance.



Juxta tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai le bonheur de m'approcher de temps en temps des sacrements pendant l'année et j'ai communié le jour de l'Assomption.



Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai jamais été appelée en justice.



Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai encouru ni censures, ni peines ecclésiastiques.



Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Personne ne m'a instruite, ni de vive voix, ni par écrit de ce que j'avais à dire. J'ai lu quelques uns des Articles du Postulateur. Je dirai dans ma déposition, non ce que j'ai lu, mais ce que j'ai vu ou entendu.



Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai une grande affection et une grande dévotion pour le Serviteur de Dieu; je désire vivement sa Béatification; mais je n'ai d'autre intention et d'autre but que la gloire de Dieu. 765



Juxta octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais que le Serviteur de Dieu est né à Dardilly. J'ignore ce qui concerne l'enfance et la jeunesse de Mr Vianney, sauf quelques détails que je donnerai plus loin. J'ai seulement le souvenir des tableaux pleins de grâce et de sentiment qu'il nous faisait en chaire de sa vie sous le toit paternel, de l'hospitalité que l'on donnait aux pauvres, des veillées où les serviteurs travaillaient avec les maîtres au coin du feu, des habitudes de piété de la famille. Chaque fois qu'il parlait de l'amour filial, sa voix et ses yeux étaient remplis de larmes. Il dit un jour en chaire: Un enfant bien né ne doit pas pouvoir regarder sa mère sans pleurer. Une autre fois, à la prière du dimanche, il ajouta que quand il voyait sa mère, la soirée s'écoulait à parler ensemble et que le temps passait bien vite. Il a dit qu'il ne passait pas un jour sans penser à sa mère et à Mr Balley.



Juxta nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Il a passé son enfance à Dardilly et une partie de son adolescence à Ecully, et comme je l'ai dit à l'interrogatoire précédent, j'ai peu de détails à donner sur cette partie de sa vie.



Juxta decimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai appris que Mr Vianney était resté longtemps chez Mr Balley, curé d'Ecully, pour y faire ses études, qu'il apprenait avec beaucoup de peine.



Juxta undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais bien positivement que le Serviteur de Dieu dut interrompre le cours de ses études pour obéir à la loi de la conscription militaire. Il en parlait lui-même; un jour je lui ai entendu dire en chaire: Quand j'étais déserteur. J'ignore les détails concernant ce fait.



Juxta duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je ne sais pas quand il put reprendre le cours de ses études. Le Père Deschamps, jésuite, a dit à ma belle-soeur que Mr Vianney éprouvait de grandes difficultés et qu'il l'avait souvent aidé pour ses thèmes et ses versions. J'ai toujours entendu dire qu'il avait été ordonné prêtre à Grenoble.



Juxta decimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

766 J'ai appris de personnes dignes de foi qu'aussitôt après son ordination, il avait été placé comme vicaire dans la paroisse d'Ecully, et qu'il y avait une louable émulation entre le curé et le vicaire pour la pratique des vertus et surtout de la mortification et l'usage des instruments de pénitence. La chose alla si loin que le curé dénonça son vicaire à l'autorité diocésaine, et le vicaire son curé, comme dépassant les bornes.



Juxta decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Il fut nommé curé d'Ars vers l'année mil huit cent dix-huit. La paroisse était depuis quelque temps sans pasteur; on fut étonné quand on entendit sonner la messe, et on se dit: Voilà un nouveau curé qui nous arrive. J'ai entendu dire que le Serviteur de Dieu, voyant l'église d'Ars si pauvre, si petite, si solitaire, eut l'inspiration qu'elle deviendrait plus tard le centre d'un grand concours. J'ai su que les habitudes de piété régnaient peu dans la paroisse d'Ars au moment de l'arrivée de Mr Vianney; j'ai su qu'il y avait plusieurs abus. Le nouveau curé s'efforça de suite d'inspirer la piété et de détruire les abus; il finit par réussir.



Juxta decimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu pour réformer sa paroisse institua de pieuses associations, telles que le Rosaire et la Confrérie du St Sacrement, ou du moins, s'il ne les établit pas, il leur donna une nouvelle vie. Il fonda une école de filles et plus tard une école de garçons. Pour fonder celle des filles, il sacrifia une partie de son patrimoine et reçut les dons de la charité. Ce furent d'abord de pieuses filles qui la dirigèrent; elle fut ensuite confiée aux soeurs de St Joseph. L'école des garçons a toujours été sous la direction des Frères de la Ste Famille. Ces établissements ont eu d'excellents résultats. Je ne saurais répondre aux autres questions de l'interrogatoire.



Juxta decimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Il a rempli tous ses devoirs de manière à exciter constamment mon admiration. Je n'ai jamais aperçu la moindre défaillance dans l'accomplissement de ses devoirs. A la difficulté soulevée par ses absences de sa paroisse au moment des missions et des jubilés, je réponds que le Serviteur de Dieu pourvoyait à son remplacement, ou prenait des moyens pour que sa paroisse n'en souffrît pas. 767 Quant à ses fuites, je ne sais pas les expliquer au point de vue du droit; je crois qu'elles tenaient à son grand amour pour la solitude. Ce désir s'est montré bien souvent; il se reproduisait plus fréquemment encore lorsqu'il recevait la visite de son évêque. Il pleurait, gémissait, jeûnait avant de formuler la demande de se retirer, et il avait besoin de conserver l'espoir d'obtenir un jour cette permission si souvent sollicitée et toujours refusée.



Juxta decimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu a eu beaucoup d'épreuves et de contradictions; il a été longtemps méconnu, même par le clergé. Sa vie extraordinaire en avait été la première occasion; on l'attribuait à l'amour propre. Les paroles qu'on lui prêtait ou qu'on avait mal comprises étaient une nouvelle source de contradictions. Pauvre curé d'Ars, disait-il, dans ces circonstances, on le fait bien parler et il ne dit rien. Plus tard le pèlerinage, tout en le consolant, lui occasionnait de nouvelles peines et de nouveaux embarras. L'affluence des visiteurs, les exagérations de prix des logeurs, les contestations au sujet des voitures, lui causèrent beaucoup d'ennuis et de tracasseries. Toutes ces peines, ces contradictions, il les a supportées constamment avec une admirable patience. Il aimait ceux qui le persécutaient et il se serait sacrifié pour eux.



Juxta decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Mr Vianney a pratiqué toutes les vertus chrétiennes à la perfection pendant tout le cours de sa vie. C'est là ma conviction profonde. Elle a été produite en moi par tout ce que j'ai vu, appris ou entendu.



Quoad Fidem, testis respondit:

La Foi de Mr Vianney se manifestait dans ses paroles et dans ses oeuvres; elle était le principe et le mobile de ses admirables vertus. Oh! si nous avions la foi, disait-il souvent avec douleur... Mais c'est qu'on n'a pas la foi, reprenait-il avec des larmes abondantes, toutes les fois qu'il avait à parler de transgression à la loi de Dieu. J'ai été singulièrement frappée et impressionnée des actes et des paroles qui révélaient sa grande foi.

J'ai toujours entendu parler de la manière sainte dont Mr Vianney avait passé son enfance. Sa vertueuse mère s'efforçait de l'initier aux pratiques de la piété.

768 Je sais que le Serviteur de Dieu prit possession de la cure d'Ars le neuf Février mil huit cent dix-huit. Il se fit bien vite remarquer par sa grande piété, ses prières prolongées à l'église, le genre de vie mortifiée et pénitente qu'il avait embrassée. Il n'y a pas très longtemps, Mr Jean Pertinand me rappelait l'impression profonde qu'il éprouvait, lorsqu'il était encore enfant, en voyant le Curé d'Ars en prière à l'église. Sa figure paraissait comme radieuse et à la manière dont il regardait le tabernacle, on aurait dit qu'il voyait quelque chose d'extraordinaire.

Dans ses longues oraisons devant le saint sacrement, il priait, j'en ai la conviction, pour la conversion des pécheurs, pour les âmes du purgatoire et surtout pour ses paroissiens. Il régnait à Ars plusieurs abus, comme dans les paroisses environnantes; la fête patronale était l'occasion d'une danse publique, appelée vogue; le saint jour du dimanche n'était pas assez respecté; on s'approchait rarement des sacrements. Le bon Curé, par sa piété, ses exhortations, ses visites à ses paroissiens, finit par faire d'Ars une paroisse modèle. Quoiqu'il parlât d'une manière paternelle, il ne laissait pas de s'élever avec force et autorité contre les abus. Je me rappelle qu'un Dimanche il tonna contre une vogue qui devait avoir lieu le jour même dans le haut de la paroisse. Le curé d'Ars pouvait seul parler de cette manière. Il était très sévère contre les danses; il avait fait mettre sur l'arcade de la chapelle qu'il avait fait élever en l’honneur de St Jean-Baptiste: "Sa tête fut le prix d'une danse." On essaya en mil huit cent trente de rétablir la vogue; on y renonça en voyant le vif chagrin du bon Curé.

Dès mil huit cent vingt-six, époque de mon arrivée à Ars, j'ai vu le Dimanche parfaitement observé, Mr Vianney n'accordait aucune permission pour travailler, quelles que fussent les menaces du temps ou les intempéries de la saison. Je n'ai connu qu'une exception, c'était pour le forage d'un puits; il y avait danger à suspendre les travaux. Il ne voulait pas même qu'on voyageât le Dimanche. Un pèlerin lui demanda après Vêpres la permission de partir. 769 Mr Vianney refusa. Mr l'abbé Taillade, qui se trouvait présent, en parut surpris et demanda au Curé d'Ars pourquoi il avait refusé. On peut à la rigueur l'accorder, répondit-il; mais moi, Curé d'Ars, avec les habitudes que j'ai introduites dans la paroisse, je ne puis pas le faire.




771 771 Session 83 - 21 Août 1863 à 8h du matin ;



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Mr Vianney s'efforça aussi dès le commencement de son ministère à Ars à porter les fidèles à la fréquentation des sacrements. Il admettait facilement les personnes pieuses à la fréquente communion; mais il était assez sévère pour celles dont les habitudes étaient moins régulières et moins ferventes. 772 Quoiqu'il fût assez sévère, comme je viens de le dire, il sut cependant tellement se faire aimer qu'il obtenait tout ce qu'il désirait; on aurait craint en ne pas lui obéissant de le contrister et de le faire partir. Lorsqu'il eut fait refleurir les habitudes de piété, on s'aperçut qu'il admettait plus facilement à la sainte communion. J'ai remarqué que cela a eu lieu lors du séjour de Mr l'abbé Taillade, homme pieux et instruit, qui eut avec Mr Vianney de longs et fréquents entretiens sur les matières ecclésiastiques.

Le Serviteur de Dieu souffrait de voir son église si pauvre et si petite. J'ai en ma possession l'inventaire de la sacristie de l'église d'Ars à l'arrivée de Mr Vianney; rien de plus modeste, et même rien de plus pauvre. Melle d'Ars fournit tout de suite plusieurs objets. Mon beau-père m'a raconté que pour orner le maître-autel, Mr Vianney partit à pied pour Lyon et revint de même, heureux de rapporter dans ses poches de petites têtes d'anges dorés. Dès qu'il le put, il fit construire les différentes chapelles de l'église d'Ars; il ne craignit pas d'y travailler lui-même et de peindre les boiseries qui se trouvaient dans son église. Il avait un grand zèle pour tout ce qui tenait au culte; rien ne lui paraissait assez beau. Melle d'Ars m'a raconté qu'elle alla avec Mr Vianney en mil huit cent vingt-cinq acheter à Lyon un ornement pour la messe. A chaque nouvelle exhibition du marchand, il répétait: Pas assez beau; il faut plus beau que cela. Mr le Curé disait lui-même un jour au frère Jérôme: Les marchands disent: Il y a un petit curé en Bresse qui a l'air tout misérable; néanmoins il lui faut tout ce qu'il y a de plus beau et il paye bien. Les grandes statues ravissaient Mr le Curé d'Ars. Ah! si nous avions la foi, disait-il en pleurant devant un Ecce homo. Rien ne peut exprimer son contentement et sa joie lorsqu'il reçut du vicomte d'Ars, d'abord des bannières, un dais superbe, de grands reliquaires, puis un tabernacle en cuivre doré et d'autres ornements. En déballant les caisses qui les contenaient, il tressaillait d'allégresse; il appelait les bonnes femmes qui passaient et leur disait: 773 Venez donc voir de belles choses avant de mourir. Le bel ostensoir, qui se trouvait dans l'envoi du vicomte d'Ars, fut volé un jour à la sacristie. Mr Vianney déplora le crime bien plus que la perte: C'est, dit-il, une perte de biens temporels, qu'on peut facilement réparer. Il fit alors appel à la foi et à la générosité de ses paroissiens qui, dans cette occasion, comme dans beaucoup d'autres, ne voulurent pas rester en arrière de leur pasteur. Mr Vianney n'avait qu'à demander et il obtenait à l'instant ce qu'il sollicitait pour son église.

Il aimait l'éclat et la pompe des cérémonies, et ne négligeait rien de ce qui pouvait rehausser le culte dans sa paroisse. Il voulait que les processions du saint Sacrement fussent magnifiques; il veillait à ce que les reposoirs fussent parfaitement décorés. Il était heureux quand Mr des Garets promettait de faire tirer les boîtes au moment de la bénédiction. On l'entendit pendant une procession du Saint Sacrement où il paraissait très fatigué, dire avec amour à Notre Seigneur: Oh! mon Dieu, donnez-moi la force de vous porter.

Il administrait tous les sacrements avec de tels sentiments de foi, que tous les spectateurs en étaient profondément touchés. Les quelques paroles qu'il adressait aux malades, quand il leur portait le saint viatique, étaient si entraînantes qu'elles arrachaient des larmes, non seulement aux malades, mais encore à tous ceux qui avaient le bonheur de les entendre. Il savait si tien consoler et encourager les personnes que la maladie éprouvait, que plusieurs malades ont désiré mourir à Ars, afin d'avoir le bonheur d'être administrés par lui. Je sais qu'une personne s'est fait porter à Ars pour jouir de ce bonheur.

Il célébrait le saint Sacrifice de la messe tous les jours et il le faisait avec de tels sentiments de foi qu'il impressionnait tous les assistants. Un artiste disait qu'il était impossible à un peintre de rendre l'expression de la figure de Mr Vianney pendant la Ste Messe. On la voyait tour à tour reproduire l'amour, la joie, l'effroi et la douleur, avec une mobilité extraordinaire.

774 On sentait que la foi animait les paroles du Serviteur de Dieu, quand il prêchait à ses paroissiens, ou qu'il faisait le catéchisme. La première instruction que j'entendis fut une exhortation à ses paroissiens pour se préparer au jubilé. Ses cris, ses larmes nous étonnèrent; il était exténué et il ne pouvait modérer sa voix. Dans les premières années, ses instructions étaient d'une extrême longueur. Il s'abandonnait dès lors à tout le feu de sa charité. Ses sermons portaient de préférence sur les vérités terribles de notre sainte religion. Ses instructions, souvent sans divisions, étaient pleines de traits édifiants, de pensées naïves et gracieuses et souvent aussi entremêlées d'histoires du démon. Il savait par coeur la vie des saints; il en tirait un grand nombre de traits, qu'il nous racontait d'une manière très simple et parfois originale. Ses yeux lançaient parfois des éclairs et souvent aussi ils devenaient une source de larmes. Sa physionomie s'animait, et s'il est permis de parler ainsi, il mettait en scène ce qu'il racontait. Son extérieur annonçait la mortification et la pénitence. Il ne semblait pas encore avoir acquis cette ineffable douceur, qui plus tard lui a attiré tant d'âmes.

Lorsque le pèlerinage eut été fondé, n'ayant plus le temps de préparer ses instructions, il s'abandonnait pour le choix du sujet et pour les expressions à l'inspiration du moment. Sa foi et son amour pour Dieu le ramenaient sans cesse à parler du Saint Sacrement, de l'amour de Dieu, du ciel, de la prière, de l'action du St Esprit dans les âmes, de la beauté d'une âme en état de grâce, de l'horreur du péché, du malheur des pauvres pécheurs. Quand il parlait du ciel, à entendre ses cris, à voir ses gestes, on aurait dit qu'il allait s'envoler au ciel. Qu'il était beau, lorsqu'alors il nous disait en versant des larmes de bonheur: Nous verrons Dieu, oui nous le verrons pour tout de bon...!

775 Lorsqu'il prêchait sur ces sujets, sa figure exprimait avec une rapidité surprenante les différents sentiments, qui se pressaient dans son coeur. Bien des personnes ont avoué que jamais rien ne les avait autant frappées que l'expression de la figure de Mr Vianney.

Dans ses prônes et ses catéchismes, il aimait à parler des beautés de la nature; il en tirait de gracieuses comparaisons pour porter les fidèles à bénir et à aimer Dieu. "L'autre jour, disait-il dans un prône, je revenais de Savigneux; les petits oiseaux chantaient dans le bois. Je me mis à pleurer: Pauvres petites bêtes, me suis-je dit, le bon Dieu vous a créées pour chanter, et vous chantez; et l'homme, mes amis, a été fait pour aimer Dieu, et il ne l'aime pas." Longtemps, mes enfants ont conservé le souvenir de cette touchante exclamation: "Le poisson cherche-t-il les arbres et la prairie, disait Mr le Curé en parlant, dans un de ses catéchismes, de l'âme qui ne doit tendre qu'à Dieu. Non, il s'élance dans l'eau. L'oiseau s'arrête-t-il sur la terre? Non, il s'envole dans les airs. Et l'homme qui est créé pour aimer Dieu, pour posséder Dieu, ne l'aime pas et porte ailleurs ses affections." Quelquefois il terminait son prône en disant: Mettez-vous à genoux, mes frères, nous allons dire un petit chapelet. C'était lorsqu'il avait quelques grâces particulières à demander à Dieu. Dans le commencement, il récitait un chapelet ayant une petite prière avant chaque Ave Maria. Plus tard, il se contentait de dire dans cette circonstance le chapelet ordinaire.

Lorsqu'il parlait de la sainte Eucharistie, il semblait redoubler de foi et d'ardeur. Quel transport, quel amour, quelle voix tremblante et pleine de larmes! Si on comprenait bien, disait-il parfois, on ne pourrait se lever pour aller à la sainte table. 776 On se trouverait presque plus heureux que dans le Ciel, où l'on ne communie pas. Dans un prône il disait: Quand, à la messe, je tiens le bon Dieu, que peut-il me refuser?

Je l'ai entendu parler d'une manière saisissante de la vanité des choses de ce monde. Il était plein de force et de vigueur lorsqu'il prêchait sur quelque vice, et en particulier sur la gourmandise.

Je me rappelle particulièrement que parlant un jour en chaire sur la sanctification du Dimanche, il s'écria: Oh! mon âme, tu as langui toute la semaine dans les travaux, les peines, les préoccupations de la vie; mais le jour du Seigneur, tu n'as qu'à t'occuper de ton Dieu, à t'entretenir avec lui et à le prier.

Annonçant une fois un petit jubilé qui arrivait peu de temps après un grand jubilé, il s'exprima ainsi: Il y en a qui disent: pourquoi encore un petit jubilé? nous venons d'en avoir un grand. Mais, mes amis, si quelqu'un vous avait donné trois mille francs, et que quelque temps après il vint vous dire: Je veux vous donner encore trois cents francs, refuseriez-vous et mépriseriez-vous les cent écus, parce qu'il vous en aurait déjà donné mille?

Il parlait souvent de l'amour des croix, du bonheur de la souffrance. Quand il voyait quelqu'un heureux pendant longtemps, il craignait, disait-il, que Dieu ne l'eût oublié. Pour lui, il paraissait très content lorsqu'il avait à souffrir. Il dit un jour à Mr des Garets, après sa maladie de mil huit cent quarante-trois:

Jamais je n'ai été si heureux que dans les moments où j'ai été persécuté, calomnié. Dieu m'inondait alors de consolations; Dieu m'accordait tout ce que je lui demandais. En disant ces paroles, ses yeux se remplissaient de larmes.

777 777 En mil huit cent trente, après le renversement des croix, prêchant, sur le jugement dernier, il montra Jésus dans les airs portant sa croix, et il s'écria dans un saint transport et une sainte indignation: Oh! pour celle-là, tu ne la lui arracheras pas!




779 779 Session 84 - 21 Août 1863 à 3h de l’après-midi



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu avait un grand respect pour le prêtre et il cherchait à l'inspirer aux autres. Mr des Garets voulait prendre un précepteur pour un de ses enfants. 780 Il consulta Mr Vianney qui lui dit: Ne prenez pas un prêtre, parce que les domestiques ne conservent pas toujours le respect qu'ils doivent au caractère sacerdotal. Je sais qu'il n'aimait pas qu'un prêtre fût précepteur dans une maison particulière, à cause des inconvénients qu'il pouvait y rencontrer pour lui-même.

Lorsque, dans sa première maladie de mil huit cent quarante-trois, on lui demanda avant de lui donner le saint viatique s'il croyait toutes les vérités que l'Église nous enseigne: Oh! si je crois! reprit-il aussitôt avec un vif sentiment de foi et d'amour. Je tiens ces détails de mes enfants qui étaient présents.

J'avais eu le malheur de perdre un de mes enfants âgé de cinq ans. Voici ce qu'il répondit à mon beau-frère qui lui annonçait cette nouvelle: Heureuse mère, heureux enfant! Comment cet enfant a-t-il mérité, que le temps de la lutte fût diminué pour lui, et de jouir aussi vite de la félicité éternelle? Et sa mère, qu'elle doit jouir dans sa foi!

Quand il bénissait de petits enfants, il disait souvent qu'ils seraient heureux si le bon Dieu les prenait tout de suite. Il avait une grande confiance dans les prières des enfants; il disait qu'elles montaient au Ciel tout embaumées d'innocence.



Quoad Spem, testis respondit:

L'Espérance des biens à venir faisait toute la consolation et la force du Curé d'Ars. Elle se manifestait dans ses paroles et dans toutes ses actions. Le Serviteur de Dieu ne comptait pas sur lui-même et sur les moyens qu'il employait; il attendait tout de Dieu et s'abandonnait entièrement entre ses mains.

Il avait une très grande horreur du péché mortel, qui nous fait perdre la grâce de Dieu et le bonheur du Ciel. Il pleurait souvent sur le sort des pauvres pécheurs. Il conjurait ceux qui voulaient se damner de faire le moins de péchés mortels possible, afin de ne pas augmenter leur punition. 781 Je me rappellerai toujours cette instruction sur le jugement dernier, où il répéta plusieurs fois ces paroles: Maudit de Dieu, maudit de Dieu... Quel malheur! Ce n'était pas des paroles, mais des sanglots qui arrachaient des larmes à tous ses auditeurs. Il semblait n'avoir pas moins d'horreur du moindre péché véniel. On devait plus le craindre que le plus grand malheur. Quand on lui parlait de quelque accident fâcheux, ou de quelques pertes d'argent, il a répondu plusieurs fois: Le malheur est moins grand que ne le serait un péché véniel. Un jour, comme je l'ai appris de Mr Toccanier, Mr le Curé alluma par mégarde sa chandelle avec un billet de banque. Il raconta lui-même le fait, et comme on lui en exprimait quelque regret: Oh! reprit-il, il y a moins de mal à cela qu'à un péché véniel.

En parlant de la foi, j'ai déjà dit de quelle manière il prêchait ou discourait sur le Ciel. Il rappelait souvent soit en chaire, soit au confessionnal, la grande miséricorde de Dieu, la facilité que nous avons de nous sauver. Il disait parfois en rappelant l'indifférence des hommes pour leur salut: Ah! que c'est dommage! On ne comprend pas... c'est si facile. Rien ne peut rendre l'impression que produisaient les quelques paroles que Mr Vianney adressait au confessionnal ou dans les conversations aux personnes qui lui exposaient leurs peines. Il avait reçu un don tout particulier pour consoler et encourager. Il compatissait aux personnes affligées, il pleurait avec elles; et il savait se faire tout à tous. Il avait soin de montrer les mérites dont les souffrances sont la source et l'occasion. En sortant d'auprès de lui, on se sentait renaître, on se sentait capable d'accepter et de porter la douleur. Il recommandait de ne jamais se laisser aller au découragement. 782 Après la mort de mon second fils, il me dit: Soyez grande, soyez forte, ne vous laissez pas abattre, sachez supporter la douleur.

Pour lui, fort de sa confiance en Dieu, il ne se laissa pas décourager malgré les difficultés, les peines, les souffrances physiques et morales qu'il eut à supporter. Il pensait souvent au Ciel et en parlait souvent. On peut dire même que cette pensée l'animait continuellement. Mr des Garets lui ayant dit que son fils était mort en Crimée au moment où il allait recevoir la croix d'honneur: Il a la croix du Ciel, répondit le Curé, cela vaut bien mieux.

Dans son désir de servir Dieu tout à loisir, il aurait voulu n'être plus chargé d'une paroisse. Il regrettait souvent de ne pouvoir pas prier comme il le désirait. Il aurait souhaité d'être dans la solitude de la Trappe ou dans tout autre lieu caché pour se préparer à la mort et y pleurer sa pauvre vie. En donnant tout son temps aux autres, il croyait ne rien faire pour lui. Il avait une grande crainte de la mort; mais cette pensée ne l'abattait pas, ne diminuait en rien sa confiance en Dieu. On l'a vu jusqu'à la fin suivre constamment le genre de vie si sévère qu'il avait embrassé et poursuivre les travaux qu'il avait entrepris pour la gloire de Dieu. Un jour qu'il paraissait très fatigué, on le priait de prendre un peu de repos: Je me reposerai en paradis, reprit-il aussitôt. J'ai tout lieu de croire que la crainte de la mort et des jugements de Dieu avait considérablement diminué vers la fin de sa vie. Il m'a paru aussi enfin convaincu que Dieu le voulait à Ars.

Le Serviteur de Dieu s'abandonnait entièrement entre les mains de la Providence. Il ne négligeait pas cependant, s'il s'agissait d'affaires temporelles, les moyens qu'inspire la Prudence. Il était très reconnaissant pour les grâces qu'il avait reçues de Dieu.

783 Dieu permit que Mr Vianney fût en butte à de nombreuses peines intérieures. Je tiens de Mr l'abbé Raymond qu'il lui avait dit: Il y a quinze jours que je suis dans une absence totale de consolation. Il dit à Mme de Cibeins: J'étais depuis quelque temps comme dans un désert. On voyait souvent empreintes sur sa figure la tristesse et la douleur; mais jamais on n'a remarqué le moindre signe de découragement.

Le Serviteur de Dieu fut tourmenté par le démon. Dans le commencement, ne sachant ce que c'était, il eut peur. Melle d'Ars envoyait un de ses domestiques veiller à la cure; il y avait aussi plusieurs habitants de la paroisse. Mr Vianney finit par comprendre que ces bruits étranges venaient du démon, qu'il nomma le grappin. Il avoua à Mgr Devie qu'il avait jugé que c'était le démon, parce qu'il avait peur et que le bon Dieu ne fait pas peur. Mgr Devie, lui-même, m'a rapporté ces paroles. Quand Mr Vianney eut compris qu'il avait affaire au démon, il n'eut plus peur et voulut rester seul dans son presbytère. Il en parlait très volontiers et sans avoir l'air d'être ému; il se plaisait à raconter les différentes attaques dont il avait été l'objet de la part du grappin. Il dit un jour à Mr l'abbé Taillade, qui me l'a répété: Voyez donc ce meuble; je ne sais pas comment il n'a pas été brisé. Il rapporta à Mr des Garets que pendant sa première maladie le démon criait: Nous le tenons, nous le tenons!

Quelques années avant sa mort, le feu prit à son lit; les rideaux furent consumés ainsi que la literie et le bois de lit qu'il fallut changer. 784 On ne s'en aperçut que lorsque le tout était presque consumé. On fut singulièrement surpris en voyant que le feu ne s'était pas communiqué au plancher supérieur de l'appartement qui était très bas, vieux et très sec. Mr Vianney, questionné par plusieurs personnes, aurait laissé entendre que c'était le démon qui avait mis le feu. Il aurait dit en riant: N'ayant pas pu prendre l’oiseau, le démon a brûlé la cage.

Les personnes qui étaient auprès de Mr Vianney ou autour du presbytère n'ont pas entendu les bruits nocturnes dont je viens de parler. Néanmoins, Jean Pertinand m'a raconté ce qui suit: Un maréchal des logis se trouvait une nuit auprès du presbytère, attendant que Mr le Curé sortît pour lui faire sa confession. Il entendit des bruits très singuliers pour l'heure où l'on se trouvait. Il semblait que l'on fendait du bois. Il demanda à Mr Pertinand pourquoi on travaillait ainsi la nuit au presbytère; on est donc bien occupé?

A la mission de St Trivier-sur-Moignans, il fut question dans les conversations des bruits singuliers que le Curé d'Ars entendait pendant la nuit. On en doutait et même on en plaisantait. Le Curé d'Ars ne répondait rien. Un soir, ce sujet avait fourni matière à la conversation. Au milieu de la nuit, un bruit affreux se fit entendre et effraya tous ceux qui étaient au presbytère. Le Curé de St Trivier se leva et courut à la chambre du Curé d'Ars. 785 Ce n'est rien, répondit-celui-ci, ne vous inquiétez pas; c’est moi que cela regarde. Je tiens ces détails de personnes bien informées; cet événement fit grand bruit.




787 787 Session 85 - 22 Août 1863 à 8h du matin

Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit: .

L'amour de Mr Vianney pour Dieu consumait son coeur; il était facile de le voir en le suivant dans les différentes actions de la journée. Je n'ai rien de bien précis sur les premières années du Serviteur de Dieu jusqu'à son arrivée à Ars. Je me rappelle seulement que partout où il a passé, il a laissé le souvenir de sa foi: et de sa piété.

788 Les personnes qui ont été témoins de ses actions pendant cette époque de sa vie, n'en parlent qu'avec attendrissement. Lui-même, dans ses catéchismes, dans ses conversations, en nous parlant des habitudes de piété de la famille, du soin que sa vertueuse mère mettait à élever chrétiennement ses enfants, nous faisait assez comprendre qu'il n'était pas resté étranger à ce qui se passait dans la famille. J'ai su de personnes bien informées que le jeune Vianney avait reçu une petite statue de la Sainte Vierge qu'il affectionnait beaucoup. Lorsqu'il travaillait aux champs, il la plaçait devant lui pour s'animer et s'encourager.

Dès que Mr Vianney eut pris possession de la paroisse d'Ars, il se fit remarquer de ses nouveaux paroissiens par sa piété, et son assiduité presque continuelle à l'église. Voulant se sanctifier lui-même et travailler plus efficacement à la sanctification de ses paroissiens, il continua à suivre la vie pénitente et mortifiée qu'il avait déjà embrassée; il s'efforça de donner en tout le bon exemple en administrant les sacrements avec un grand esprit de foi, en annonçant la parole de Dieu avec tout le zèle qu'inspire l'amour de Dieu, en menant la vie la plus régulière. Il eut soin aussi, comme je l'ai dit eu parlant de la foi, de porter aux pratiques de piété, par tous les moyens que le zèle et la prudence conseillent. Il établit la prière du soir en public; il la faisait avec une piété et une onction qui touchait tout le monde. Mr de Montbriant avait toujours envie de pleurer quand il entendait le Curé d'Ars dire ces mots: Mon Dieu qui voyez mes péchés, voyez aussi la douleur de mon coeur. Qui pourrait dire aussi l'ineffable attendrissement de sa voix, quand il ajoutait: Prions pour les pauvres malades, pour ceux qui se recommandent à nos prières. Le Dimanche soir, Mr Vianney faisait à l'exercice de la prière l'explication de l'évangile du jour. 789 Dans ses homélies on sentait, comme je l'ai déjà indiqué dans ma déposition sur la foi, toute la charité qui embrasait son coeur.

On ne voyait pas moins percer son amour pour Dieu, lorsqu'il avait à signaler quelques vices ou quelques abus. Je puis dire que le Curé d'Ars semblait dans toute sa conduite n'avoir qu'une pensée, aimer Dieu et le faire aimer. C'est cette pensée qui m'explique tout ce que j'ai vu dans le Curé d'Ars.

L'amour de Dieu, comme je n'en doute pas, l'avait porté à embrasser une vie de sacrifice et de renoncement à lui-même; on ne le voyait s'accorder aucune jouissance. Il récitait son office à genoux et sans s'appuyer. Il paraissait immobile comme une statue et tout entier absorbé dans la prière; seulement de temps en temps on le voyait tourner les yeux vers le tabernacle avec amour et bonheur.

A l'autel, il était impossible de contempler une figure exprimant mieux l'adoration, l'amour, et le respect. Il n'était pas plus long que les autres dans la célébration du saint sacrifice. J'ai remarqué qu'en cela comme dans le reste, il était ennemi de toute affectation. Sa charité envers Dieu et envers l'auguste sacrement de l'eucharistie le porta à agrandir et embellir son église, à acheter de beaux ornements. J'ai déjà dit qu'à ses yeux rien n'était assez beau quand il était question du culte de Dieu. Il aimait à donner au culte extérieur tout l'éclat possible; il savait par expérience combien le peuple en est frappé. La procession du St Sacrement était pour lui un moment de bonheur. Il était heureux quand on pouvait lui donner une grande solennité. Je me rappelle qu'à la dernière procession à laquelle il a assisté il tressaillit d'allégresse en entendant la musique des élèves du collège des Pères Jésuites de Montgré. Il n'avait pas été prévenu; ce fut pour lui une agréable surprise. Après la procession, il ne savait comment témoigner sa reconnaissance aux professeurs et aux élèves qui lui avaient procuré ce bonheur.

790 790 Je sais qu'il portait individuellement les personnes qui s'adressaient à lui à la communion fréquente; mais il avait une telle horreur du sacrilège, qu'il n'osait presque pas parler sur ce sujet. Du moins je ne me rappelle pas qu'il ait fait des instructions spéciales sur la fréquente communion. Lorsqu'il donnait la Ste Communion, ou lorsqu'il administrait le saint Viatique, quelle foi et quel amour! J'en ai été profondément pénétrée.

J'ai entendu bien des fois le Curé d'Ars prêcher sur l'amour de Dieu ou sur d'autres sujets s'y rapportant. Il me serait difficile de citer textuellement ses expressions; mais j'en ai conservé une impression générale qui ne s'effacera pas de ma mémoire. Je puis dire que c'était des cris et des élans d'amour depuis le commencement jusqu'à la fin. Je me rappelle qu'il était admirable quand il parlait de la dignité de notre âme. Il finissait souvent par ces mots: Être aimé de Dieu, être uni à Dieu: oh! belle vie et belle mort!

Le Curé d'Ars ne paraissait pas moins inspiré lorsqu'il avait à exposer la nécessité, les effets et les avantages de la prière. Il s'arrêtait avec complaisance à montrer combien il nous est facile de prier dans quelque condition que nous soyons, combien la prière console et fortifie, comment elle élève notre âme vers Dieu. Il recommandait beaucoup la pratique de la prière en famille. Un jour, vaincu par la souffrance, il s'était affaissé et avait disparu dans la chaire. Quand, au bout d'un moment, il reparut, il nous peignit en traits de feu la force et la consolation de la prière.

Je trouve dans ma correspondance avec ma mère et dans celle de mes enfants des détails sur tout ce qui se passait à Ars, je remarque qu'en particulier je lui parlais souvent des sujets qui faisaient la matière des instructions du Curé d'Ars et de la manière dont il les traitait. J’avais toujours soin de noter l'impression qu'il me produisait. 791 Je vois que j'étais singulièrement frappée de l'amour, de la piété, de la foi qui brillaient dans toutes ses paroles. Il y mettait un feu et une onction qui allait au coeur.

Ceux qui avaient le bonheur de s'adresser à lui pour la confession étaient profondément touchés des paroles que le bon Curé leur disait. Il avait alors de ces mots qui restent à jamais gravés dans l'âme. Il rappelait surtout l'amour de Dieu, sa grande miséricorde, la grandeur du péché, le malheur du pécheur; il encourageait et consolait, et comme je l'ai dit, on se sentait capable en le quittant, de porter sa croix. Mr Vianney a été forcé d'avouer que le jugement dernier seul fera connaître le bien qui s'est fait à Ars. J'ai entendu dire à un ecclésiastique qu'il se faisait plus de bien à Ars que dans les missions. Un Père Jésuite, le Père de Foresta, m'a parlé avec admiration sur ce sujet; il conseillait fortement à ceux qui s'adressaient à lui d'aller à Ars.

Le Curé d'Ars, ainsi que je l'ai insinué plusieurs fois, semblait ne penser qu'à Dieu; il n'avait rien d'extraordinaire à l'extérieur en dehors des fonctions de son ministère; mais tout en lui cependant ramenait à la pensée de Dieu. Dans une première conversation que j'eus avec lui, je ne le connaissais pas, il parla toujours de Dieu. Il connaissait toutes les affaires de ses paroissiens; il s'en entretenait volontiers avec eux; on voyait qu'il y prenait plaisir; mais il savait toujours glisser quelques paroles portant à Dieu.

Il était très sensible à tout ce qui concernait l'Église; on le voyait heureux et content lorsqu'on lui apprenait quelques bonnes nouvelles. On remarquait sa peine lorsqu'au contraire on lui donnait quelques fâcheuses nouvelles. Il souffrait beaucoup de voir Dieu offensé et il déplorait sans cesse le malheur des pauvres pécheurs. 792

Le Serviteur de Dieu a dû passer par beaucoup d'épreuves. Elles n'ont jamais pu abattre son courage; elles ne servaient qu'à le détacher de plus en plus des choses de ce monde et à l'attacher à Dieu. Il parlait si bien de la croix, qu'on voyait qu'il en avait compris toute l'importance. Il disait qu'elle distillait un baume d'amour. La vie de sacrifice semblait faire son bonheur. Nous nous plaignons, disait-il quelquefois, de souffrir; nous devrions bien plutôt nous plaindre de ne pas souffrir, puisque la souffrance nous rend semblables à Notre Seigneur Jésus-Christ.

J'ai toujours remarqué que l'amour modérait et dominait la crainte qu'il avait de la mort et des jugements de Dieu. L'humilité lui cachait ses mérites et le bien qu'il faisait. Comme je l'ai dit, il était tourmenté du désir de quitter Ars, pour aller dans la solitude, pleurer sa pauvre vie et servir Dieu. Néanmoins il aurait dû se convaincre qu'il était fait pour le travail; dès qu'il n'y avait plus autant d'affluence, il paraissait triste et faisait des neuvaines pour que la foule revînt. Après sa maladie de mil huit cent quarante-trois, entrant à l'église pendant sa convalescence, il jetait un regard d'envie sur son confessionnal; on lui avait défendu l'exercice du ministère avant sa complète guérison. Je tiens cette particularité du confesseur de Mr Vianney.

Je sais qu'après sa seconde tentative de fuite, il reçut d'un ecclésiastique une lettre qui l'impressionna fortement. 793 On lui rappelait le bien qui se faisait à Ars et on lui disait que son désir d'aller dans la solitude était une tentation du démon.




795 795 Session 86 - 22 Août 1863 à 3h de l'après-midi

Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Quant à la charité envers le Prochain, j'affirme que dans Mr Vianney elle a été aussi grande que possible. 796 J'en ai pu juger par moi-même tout le temps que je l'ai connu à Ars, c'est-à-dire pendant près de trente ans.

J'ai toujours entendu parler de la manière édifiante dont il avait rempli ses fonctions de vicaire à Ecully et du zèle qu'il avait déployé dans cette paroisse.

Dès son arrivée à Ars, il tâcha de se faire aimer de ses paroissiens, afin de pouvoir par ce moyen les porter à Dieu. Pour cela, il les aima lui-même beaucoup; il les visita avec bonté et charité. Je suis cependant arrivée trop tard pour juger par moi-même du bon effet que produisaient ses visites. Je sais qu'il ne se contentait pas de donner à ses paroissiens des marques générales d'attachement; il saisissait la moindre occasion pour leur en donner de particulières. Bon, affable envers tout le monde, il n'aurait pas rencontré un enfant sans le saluer et lui adresser en souriant quelques mots aimables.

J'ai déjà, je crois, suffisamment fait connaître qu'il remplissait tous les devoirs d'un zélé pasteur et qu'il ne négligeait rien de ce qui pouvait faire fleurir la piété ou procurer le salut des âmes. Je ne sais si le curé d'Ars a dit positivement: Mon Dieu, accordez-moi la conversion de ma paroisse; je consens à souffrir ce que vous voudrez tout le reste de ma vie; ce que je sais, c'est que le Curé d'Ars a eu beaucoup à souffrir de toutes manières et que cependant il ne s'est jamais relâché de son genre de vie si austère et si sévère et n'a jamais cessé de poursuivre les travaux qu'il avait entrepris pour le salut des âmes. Je sais que lorsqu'il voulait obtenir quelques grâces particulières pour le bien des fidèles, il redoublait ses jeûnes et ses macérations. J'ai su par les missionnaires qu'il offrait ses souffrances du jour pour la conversion des pécheurs, et celles de la nuit pour le soulagement des âmes du purgatoire. 797 Il dormait fort peu; il a avoué à Mr des Garets que s'il avait pu dormir seulement une heure, c'était tout ce qu'il aurait fallu. Vers la fin de sa vie, la fièvre le brûlait sur son pauvre grabat; la toux qui lui déchirait la poitrine était presque sans intermittence; il était obligé de se lever souvent. Quand l'heure qu'il avait fixée pour se rendre à l'église était arrivée, il se levait gaîment et recommençait le rude labeur de la veille.

Mr Vianney ne se contentait pas de prier et de souffrir pour la conversion des pécheurs. Il a fondé des messes dans cette intention. Il a établi l'oeuvre admirable des missions, qui doivent se donner de dix ans en dix ans dans les paroisses désignées, sans que les fidèles aient à supporter aucune dépense. Près de cent missions ont été fondées de la sorte. Il y mettait beaucoup de zèle et la seule pensée du bien qui pouvait se faire par elles, était pour lui le sujet d'une grande consolation. Il invitait sans cesse les fidèles à prier et à offrir leurs souffrances pour la conversion des pécheurs.

Quant à lui, on peut dire qu'il s'est sacrifié pour le salut des âmes. Non content des travaux qu'il trouvait dans sa paroisse, il se prêtait volontiers aux désirs de ses confrères qui réclamaient son concours dans les missions et les jubilés. Il prit une part active à la mission de Trévoux; son confessionnal était continuellement assiégé par de nombreux fidèles. Un de ses amis, chez lequel il logeait, se voyait obligé d'aller chercher à l'église le bon curé vers onze heures du soir pour lui faire prendre quelque chose avant minuit. Il allait aussi très volontiers visiter les malades des paroisses voisines lorsque ses confrères l'en priaient, ou lorsque étant infirmes ou absents on recourait à lui. Dans le temps même où le pèlerinage était le plus fréquenté, on l'a vu se porter auprès des malades, qui réclamaient son ministère, quoiqu'ils fussent éloignés de l'église. 798 Madame Louis des Garets me disait, il n'y a pas très longtemps, qu'en mil huit cent vingt-sept le Curé d'Ars allait à Trévoux confesser son père, Mr de Bar, pendant sa maladie, et cela toujours durant la nuit, pour ne pas perdre de temps. Une nuit, disait-elle, il nous arriva par une pluie battante; ses vêtements étaient ruisselants d'eau. On ne put néanmoins le faire approcher du feu; il ne voulut rien prendre parce qu'il désirait dire la messe. Il s'approcha du lit du malade, qu'il consola par quelques paroles sorties de son coeur embrasé de l'amour de Dieu et repartit aussitôt après.

Sa grande charité pour le prochain, les travaux apostoliques qui l'avaient fait connaître dans les environs, sa réputation qui s'étendait peu à peu, lui amenèrent un très grand nombre de fidèles; ce nombre alla croissant et atteignit des proportions considérables. Depuis la fondation du pèlerinage, on peut dire que le bon Curé ne s'appartint plus à lui-même. Il se levait à une heure ou deux heures du matin; se rendait à l'église pour entendre les confessions. Il y passait toute la journée jusque vers huit heures du soir, à part le temps qu'il donnait à la récitation de son office, à la célébration de la Ste Messe, à ses repas, à la visite des malades, etc. Il n'était jamais si content que lorsqu'il avait été écrasé par les confessions des fidèles. L'affluence était telle que dans certains moments, et les dernières années à peu près toujours, les pèlerins étaient obligés de passer la nuit aux abords de l'église. Dès qu'elle était ouverte le matin vers une heure, deux lignes serrées s'établissaient et se pressaient vers le lieu où Mr Vianney entendait les confessions. 799 Et chose étonnante, le plus grand recueillement régnait habituellement au milieu de cette foule si nombreuse et si empressée. Une chose non moins surprenante, c'est que tant de milliers de personnes venues de tous pays aient pu se faire entendre de Mr Vianney et l'entendre lui-même. Le concours était si considérable qu'un curé, en mil huit cent quarante-cinq, demandait à Mr des Garets si vraiment ce qu'il voyait se répétait souvent dans l'année; et ce jour-là cependant il n'y avait rien eu d'extraordinaire.

Mr l'abbé Toccanier m'a raconté qu'un jour il avait dit à Mr Vianney: Si Dieu vous proposait de monter au ciel à l'instant même, ou de rester sur la terre pour travailler à la conversion des pécheurs, que feriez-vous? - Oh! je crois que je resterais. - Resteriez-vous jusqu'à la fin du monde? - Tout de même. - Dans ce cas, ayant bien du temps devant vous, vous lèveriez-vous si matin? - Oh! oui, à minuit: je ne crains pas la peine.

Je n'ai pas vu les commencements de la Providence. Je sais que pour l'établir, Mr Vianney sacrifia sa fortune. Il affectionnait beaucoup cet établissement; il y allait prendre sa nourriture. J'y ai vu des exemples touchants de piété dans ces jeunes filles qu'on y élevait; elles y ont été quelquefois assez nombreuses. Par la Providence, il avait fondé une école gratuite pour les filles de sa paroisse. Plus tard, il vint à bout de faire la même chose pour les jeunes gens.

Mr Vianney aimait beaucoup les pauvres, les malades ou les infirmes. Il s'était fait une loi de ne jamais refuser l'aumône. Il n'avait jamais d'argent en réserve; dès qu'il en recevait, il le distribuait aux pauvres; j'en excepte néanmoins l'argent donné pour des messes ou des bonnes oeuvres; cet argent recevait toujours sa destination. 800 Il consulta un jour Mr des Garets pour savoir s'il ne donnait pas trop en donnant cinq francs à chaque Espagnol qui venait implorer sa charité. Il secourait un grand nombre de pauvres honteux. On a vu à sa mort le bien qu'il faisait et jusqu'où sa charité s'étendait. Un jour, je lui demandais de concourir à une oeuvre, il me dit: Je ne le puis, j'ai à soutenir vingt-cinq familles. On ne saurait calculer les sommes qui ont passé par ses mains. Il donnait tout ce qu'il avait; il distribuait les provisions que des personnes charitables lui apportaient. On l'a vu plus d'une fois donner des objets auxquels il tenait beaucoup parce que des souvenirs touchants et personnels s'y rattachaient. Ainsi le chapelet qu'il avait reçu du St Père par le Supérieur Général des Frères de la Ste Famille, il le donna au bout de trois mois. Il céda à Mr de Montbriant un reliquaire de St François Régis, quoiqu'il y tînt beaucoup.




Ars Procès informatif 763