Ars Procès informatif 803

(suite de la déposition de Mme la Comtesse des Carets, 2d volume du Procès de l'Ordinaire)

803 803 Session 87 - 24 Août 1863 à 8h du matin

804 Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Mr Vianney a pratiqué la vertu d'espérance. Il agissait en vue du ciel et il ne comptait, pour y arriver, que sur la grâce de Dieu. Lorsqu'il songeait à sa grande misère, il en était comme effrayé. Un jour, il demanda à Dieu la grâce de connaître ses misères. Dieu exauça sa prière. Mr Vianney en fut tellement effrayé qu'il demanda aussitôt la grâce de ne pas les connaître. Dieu l'exauça, de nouveau; mais, comme il me l'a avoué, car c'est de lui que je tiens ce fait, il lui laissa encore assez de connaissance de ses misères pour qu'il vît que par lui-même il n'était capable de rien. Il ne comptait point sur lui-même; malgré les peines, les embarras de toute espèce qu'il rencontra dans l'exercice du saint ministère, il ne se décourageait pas. Quand il avait plus de difficultés, il s'abandonnait davantage entre les mains de Dieu. Il me disait, dans son expression naïve, qu'alors il se jetait devant le tabernacle comme un petit chien aux pieds de son maître. Dans une des dernières années de sa vie, je le vis pendant une huitaine de jours triste, abattu et comme découragé. Un matin, avant sa messe, je vis qu'il avait repris sa sérénité habituelle. J'en fis la remarque à Mr l'abbé Toccanier, qui me répondit: Mr Vianney vient de me raconter que pendant la nuit, il a entendu par deux fois une voix qui lui répétait ces paroles: In te Domine speravi, non confundar in aeternum. - C'est sans doute le grappin, ai-je repris. - Oh! non, le grappin ne parle pas comme cela.

Je n'ai rien de particulier à signaler pour les premières années de sa vie au sujet de la vertu d'Espérance. Lorsqu'il eut pris possession de la paroisse d'Ars, on vit très bien combien l'espérance chrétienne animait ses paroles et ses actions. On pouvait juger de sa grande espérance quand il avait à parler du ciel. 805 J'ai déjà signalé, en parlant de la foi, combien il avait été admirable et avait impressionné le jour où, expliquant l'évangile de la Transfiguration, il s'était écrié, comme hors de lui-même: Nous le verrons, nous le verrons! Après les grandes fêtes de l'Eglise, il nous disait souvent avec un air et des expressions qui indiquaient tout son bonheur: Oh! mes frères, si les fêtes de la terre sont si belles, que sera-ce des fêtes du Ciel? - Pauvres protestants, ajoutait-il quelquefois: c'est pour eux toujours la même chose. Aujourd'hui, ils n'ont rien eu de particulier, disait-il avec un air de pitié et presque; en pleurant, après une fête du St Sacrement, autant que je puis me le rappeler.

L'Espérance du Serviteur de Dieu, jointe à sa grande foi, lui faisait déplorer sans cesse le malheur des pauvres pécheurs. Il pleurait presque toujours à chaudes larmes en parlant du péché et des pécheurs. Il se servait d'expressions et de comparaisons bien capables d'inspirer une grande horreur pour le péché. Je me rappelle qu'en particulier il disait: Le péché est le bourreau du bon Dieu et l'assassin de l'âme. Oh! mes frères, que nous sommes ingrats! Le bon Dieu veut nous rendre heureux et nous, nous ne voulons pas. - S'il y allait de notre fortune, que ne ferions-nous pas? Mais parce qu'il n'y va que de notre ante, nous ne faisons rien. Le sujet d'une image l'avait singulièrement frappé, comme on pouvait en juger par le plaisir qu'il mettait à nous en parler. Elle représentait le bon chrétien assis sur un char et Notre Seigneur conduisant la voiture. Elle montrait au contraire le pécheur attelé aux brancards d'une autre voiture et le démon frappant sur lui à grands coups pour le faire avancer.

Mr Vianney semblait avoir reçu de Dieu un don tout particulier pour consoler les âmes affligées et relever leur courage. Presque tous, après s'être entretenus avec lui, emportaient des pensées plus sereines et montraient plus de force pour supporter les misères présentes. J'en ai été témoin bien des fois.

(806) En travaillant au salut des âmes par tous les moyens que son zèle lui inspirait, il ne négligeait rien de ce qui pouvait assurer sa propre sanctification. Dans les commencements, ainsi que je l'ai appris de personnes bien informées, il consacrait son temps à la-prière, à la méditation, à la lecture de la vie des saints, et à d'autres exercices de piété. Durant le temps que je l'ai connu, il ne pouvait, plus, à cause de la grande affluence des pèlerins, suivre le même règlement que dans les premières années. Il en exprimait souvent le regret, et c'est pour cela qu'il désirait si vivement se retirer dans la solitude. Il satisfaisait son besoin de communication avec Dieu par des aspirations fréquentes. Il m'a avoué qu'il perdait rarement de vue la présence de Dieu, et il regardait cette grâce comme une compensation aux consolations qu'il aurait éprouvées en donnant plus de temps à l'oraison.

Le Curé d'Ars s'abandonnait entièrement entre les mains de la Providence. Il se plaisait à rappeler les soins que le bon Dieu avait pris de lui, les bienfaits qu'il en avait reçus. Alors il récapitulait tout ce qui lui était arrivé, soit pendant ses études, soit pendant son séjour aux Noës, soit dans d'autres circonstances de sa vie, et il ajoutait: J’ai toujours été l'enfant gâté de la Providence; je ne me suis jamais occupé de rien, et il ne m'a jamais rien manqué. Qu'il fait bon s'abandonner uniquement, sans réserve et pour-toujours à la conduite de la divine Providence! Dieu nous aime plus que le meilleur des pères, plus que la mère la plus tendre. Nous n'avons qu'à nous abandonner à sa volonté avec un coeur d'enfant.

Dieu permit que Mr Vianney fût en butte aux attaques du démon. J'ai souvent entendu le Serviteur de Dieu raconter lui-même les vexations de toutes sortes qu'il avait eu à endurer de la part de l’ennemi du salut. 807 Le démon commença à lui faire la guerre d'une manière sensible peu de temps après la fondation de la Providence. C'est de Mr Vianney que je tiens cette particularité. Il se plaisait à nous décrire les différents assauts du démon. A Mont-merle, le démon, que Mr. Vianney appelait le Grappin, traînait par la chambre le lit où reposait le Curé d'Ars, pour l'empêcher de dormir. Cela lui serait arrivé plusieurs fois, à ce qu'on m'a rapporté. A la mission de St Trivier-sur-Moignans, ainsi que je le tiens de Mr Vianney lui-même et d'un des prêtres qui assistaient à la mission, on entendait beaucoup de bruit du côté de la chambre du Curé d'Ars. Les ecclésiastiques qui logeaient au presbytère, croyant que ce bruit venait de Mr Vianney qui ne se couchait pas, lui en faisaient des reproches. C'est le Grappin, répondait celui-ci, qui est fâché du bien que nous faisons ici. Ses confrères ne voulant pas le croire, lui disaient: Vous ne mangez pas, vous ne dormez pas, c'est la tête qui vous chante. Un soir, la conversation était revenue sur ce sujet et les reproches avaient été plus vifs. Mr Vianney ne répondit rien. Pendant la nuit, on entendit comme le bruit d'une grosse voiture très chargée et ébranlant le pavé. La cure trembla, les vitres des fenêtres résonnèrent; tout ; le monde se leva effrayé, et on courut à la chambre de Mr Vianney. Ils le trouvèrent couché dans son lit, qui était au milieu de la chambre. C'est, leur dit-il en souriant, le Grappin qui a traîné mon lit jusque là. Il les rassura en leur disant: N'ayez aucune crainte. Ses confrères cessèrent de le plaisanter à ce sujet et de lui faire des reproches.

808 808 A Ars, le grappin frappait très souvent à la porte extérieure du presbytère un grand coup, comme avec un gros marteau de maréchal; il frappait ensuite un autre coup à la porte d'entrée, puis il l'entendait monter dans l'escalier, comme s’il avait eu de grosses bottes de cavalier; le troisième coup, tout aussi fort, avait lieu à la porte de sa chambre. Le Grappin quelquefois l'appelait par son nom d'une manière moqueuse, ou bien il faisait d'autres bruits, dans le galetas, dans les escaliers et jusque dans sa chambre. Quelquefois il imitait le bruit d'un marteau qui aurait enfoncé des clous dans le plancher, battait comme du tambour sur sa, table, sur sa cheminée et même sur son pot à eau. D'autres fois il remuait les chaises et les meubles, ou bien il s'accrochait aux rideaux de son lit et les secouait avec fureur. Il a senti plusieurs fois comme une main, qui lui aurait passé sur la figure, ou comme des rats qui auraient marché sur lui. Une fois, il a entendu comme le bruit d'un essaim d'abeilles ou de mouches; il s'est levé, a allumé sa chandelle; il allait ouvrir sa croisée pour les chasser mais il ne vit rien. Une autre fois, le grappin essaya de le jeter à bas de son lit en tirant la paillasse; effrayé, Mr Vianney fit le signe de la croix et le grappin le laissa tranquille; il avait été tiré jusqu'au bord du lit. Un jour il était dans son lit depuis un instant; il lui sembla tout à coup que son lit, cependant si dur, devenait extrêmement doux et qu'il s'enfonçait comme dans un duvet. En même temps, une voix moqueuse répétait: Ah! Ah! Allons, allons. Mr Vianney ayant peur fit le signe de la croix et tout fut fini à l'instant. 809 Un jour après-midi, se trouvant près de sa table, il vit le bénitier qui était à la tête de son lit tomber sur le traversin; quelques secondes après, le bénitier s'est brisé comme s'il était tombé de haut sur un corps dur; j'en ai vu moi-même les débris. Le Curé d'Ars entendait parfois un bruit infernal dans la cour, comme s'il y avait eu une troupe d'individus se disputant et parlant une langue étrangère. D'autres fois, il entendait chanter d'une voix aigre, et il disait: Le grappin a une bien vilaine voix. ,


811 811 Session 88 - 24-Août 1863 à 3h de l'après-midi

Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Au sujet des persécutions du démon, j'ai encore à déposer ce qui suit: Dans les commencements, Mr Vianney, ne sachant ce que c'était, eut grandement peur; 812 mais quand il se fut assuré que les bruits ne venaient point des voleurs ou des gens mal intentionnés, et ne pouvaient avoir pour cause que le malin esprit, il congédia les gardes qu'il avait d'abord acceptés et s'abandonna entièrement entre les mains de Dieu. Un jour, en ma présence, les missionnaires lui disaient: Ces bruits et ces voix que vous entendez dans la nuit, tout cela ne vous fait pas peur? - Oh! non, répondit-il en riant: je sais que c'est le grappin; ça me suffit. Depuis le temps que nous avons affaire ensemble, nous sommes quasi camarades. Durant sa maladie de mil huit cent quarante-trois, il entendit du bruit et ces mots: Nous le tenons, nous le tenons !

Le bon Curé remarquait que ces bruits étaient plus intenses et les attaques plus importunes lorsque quelque grand pécheur allait lui faire sa confession ou lorsqu'il travaillait à quelque oeuvre importante ayant pour but surtout la conversion des pécheurs. C'est ainsi qu'un jour il me dit: Il paraît que le grappin n'est pas content de cette fondation (il s'agissait d'une fondation de cinquante messes à faire célébrer annuellement pour la conversion des pécheurs dans la chapelle de notre Maison Mère à Belley); il fait du bruit toute la nuit dans le galetas au-dessus de ma chambre ; il sonne avec une clochette comme pour la messe: c'est bon signe.

Un jour, en présence du Frère Jérôme et à la sollicitation de Mr l'abbé Renard, aujourd'hui décédé, j'ai entendu un brigadier de gendarmerie, nommé, je crois, Napoly, retraité à Messimy, raconter ce qui suit: J'étais venu à Ars voir un de mes amis; apprenant que Mr Vianney avait coutume de se rendre à l'église vers une heure du matin; je voulus voir par moi-même ce qu'il en était. Me trouvant entre minuit et une heure vers la porte du presbytère, je vis un certain nombre de pèlerins couchés à la porte de l'église; je les fis partir, en leur disant que le Curé ne viendrait pas si tôt. Quand je me rapprochais de la porte de la cure, j'entendis une voix aigre crier: Vianney, Vianney! Va-t-en, Va-t-en! Je fus effrayé et je me rendis sur le devant de l'église. 813 Je vis une lumière dans la chambre de Mr le Curé qui, sans doute, avait été réveillé par le premier cri. Je me rapprochai de la cure et j'entendis la même voix répéter les mêmes paroles. Un instant après, lorsque le curé descendait pour se rendre à l'église, j'entendis pour la troisième fois la même voix crier: Vianney, Vianney! Va-t-en, Va-t-en! Quand il parut, je m'approchai de lui et lui dit: Mr le Curé, y a-t-il quelqu'un qui vous attaque? Je viens d'entendre du bruit. - Mr Vianney, me prenant doucement la main: Ne craignez rien, me dit-il, c'est le grappin. En m'emmenant à l'église, il me donna sur ma vie des détails extrêmement précis, ce qui me frappa beaucoup et ne contribua pas peu à me faire faire une bonne confession. Tel fut le récit du brigadier. Je voulus parler de ce fait à Mr le Curé lui-même. Il se contenta de me dire: C'est vrai, ce bon gendarme avait bien peur, il tremblait.

Le Serviteur de Dieu avait de très nombreuses peines intérieures. Il était en particulier tourmenté du désir de la solitude; il en parlait souvent. C'était comme une tentation qui l'obsédait le jour et plus encore la nuit. Lorsque je ne dors pas la nuit, me disait-il, mon esprit voyage toujours, je suis à la Trappe, à la Chartreuse; je cherche un coin pour pleurer ma pauvre vie et faire pénitence de mes péchés. Il disait souvent aussi qu'il ne comprenait pas qu'à la vue de ses misères, il ne tombât pas dans le désespoir. Il avait une grande frayeur des jugements de Dieu; il tremblait chaque fois qu'il en parlait; il pleurait et disait que sa plus grande appréhension était de tomber dans le désespoir au moment de sa mort. Il redoutait et portait avec crainte la charge pastorale. Il n'aurait pas voulu mourir curé. Ce fut cette crainte, comme il l'a avoué, qui fut la cause de sa seconde tentative de fuite. J'ai voulu, me dit-il, en présence de l'abbé Toccanier, mettre le bon Dieu au pied du mur, afin de lui faire voir que si je meurs avec la chargé de curé, c'est bien malgré moi et parce qu'il le veut. 814 Il éprouvait un grand combat chaque matin pour se lever avant le jour et il n'allait à l'église recommencer son pénible ministère qu'avec la plus grande répugnance: C'est tous les jours à recommencer, me dit-il, toujours la même répugnance.

Malgré les peines et les contradictions auxquelles il fut en butte, on le vit jusqu'à sa mort poursuivre les travaux qu'il avait entrepris, sans donner au corps le repos qu'il réclamait. Lorsqu'on le pressait de se reposer: Oh! nous avons bien le temps de le faire quand nous serons au cimetière. Il avait dit, lorsqu'il était plus rompu et plus exténué qu'à l'ordinaire: Ah! les pécheurs tueront le pécheur! Il ajoutait quelquefois: Je connais quelqu'un qui serait bien attrapé, s'il n'y avait point d'autre vie. D'autres fois, il avait dit: Ah! je pense souvent que, quand même il n'y aurait point d'autre vie, ce serait un assez grand bonheur d'aimer Dieu dans celle-ci, de le servir et de faire quelque chose pour Sa gloire. Lui qui avait tant redouté les jugements de Dieu et tant craint la mort, vit arriver ses derniers moments avec beaucoup de calme et d'assurance. Il s'endormit en paix dans le Seigneur.



Quoad Caritatem, testis respondit:

Mr Vianney a montré un grand amour pour Dieu. Dès sa plus tendre enfance, ainsi que je l'ai dit en parlant de la foi, il s'efforçait d'aimer le bon Dieu et de correspondre aux instructions de sa vertueuse mère. J'ai entendu dire que partout où il avait passé, Mr Vianney avait laissé un souvenir de sa foi et de sa piété. Dans ma déposition sur la foi, j'ai assez fait connaître quels furent les travaux du Serviteur de Dieu pour la réforme de sa paroisse et pour y faire refleurir la piété. Sa grande charité envers Dieu se manifestait dans toutes ses actions. Qu'il était beau Surtout lorsqu'il disait la sainte messe! Il faisait sa préparation à genoux sur les dalles du choeur, immobile, les mains jointes, les yeux fixés sur le tabernacle. 815 Rien n'était alors capable de le distraire. On le voyait quelquefois pleurer, d'autres fois sourire. J'aimais à le voir au moment de la consécration et de la communion. Après le Domine non sum dignus, il restait un moment en adoration, dans l'attitude d'une personne conversant avec une autre; il souriait ou pleurait en ayant les yeux fixés sur la sainte hostie. J'ai remarqué qu'il ne donnait point la communion pendant la messe, sans se servir de la patène qu'il tenait avec le ciboire dans l'intention de recevoir la Ste Hostie, si elle venait à tomber, ou de retenir les parcelles qui se seraient échappées. Un jour, il versait des larmes en parlant des parcelles qui peuvent tomber à terre, et il disait: On marche pourtant sur le bon Dieu; oh! que c'est triste… Cela fait de la peine rien que d'y penser. Je lui ai entendu dire que rien n'était assez précieux pour contenir le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus Christ. Il a exprimé plusieurs fois le désir d'avoir un calice en or massif. Il recommandait toujours d'acheter ce qu'il y avait de plus beau. Au commencement de son ministère à Ars, il allait souvent à Lyon faire des emplettes d'ornements pour son église. Il nous a avoué qu'il faisait toujours ses voyages à pied, et que souvent il allait et revenait à jeun; que même une fois,- il s'était fait saigner à mi-chemin. Or le marchand auquel il s'adressait dit un jour à un autre prêtre, qui le redit à Mr Vianney: Il y a un petit curé dans la Dombe, qui vient souvent acheter des ornements chez moi; il prend toujours ce que j'ai de plus beau et paye bien.

816 816 Mr Vianney récitait son office à genoux et sans s'appuyer. Lorsque, dans ses instructions et ses catéchismes, il parlait du saint sacrement et de l'amour de Dieu, et il en faisait peu sans aborder ces deux sujets, sa voix devenait plus forte, ses gestes plus animés, ses yeux-plus ardents; il se tournait du côté du tabernacle en joignant les mains ou le montrant du doigt; puis il pleurait, et souvent les. sanglots finissaient par étouffer sa voix. Je me souviens d'une instruction qu'il fit un dimanche sur la communion. Il n'a presque fait que répéter ces paroles pendant toute cette instruction: Oh! mon âme, quel est ton bonheur! Quelle est ta grandeur! Nourrie d'un Dieu, abreuvée du sang d'un Dieu. Sa voix n'était plus la même; quelquefois, il poussait des cris; d'autres fois, il ne pouvait prononcer que quelques paroles, étouffées par ses sanglots. Il disait un jour, en conversation: L'Église a bien raison d'appeler le péché d'Adam une heureuse faute; sans cette faute, nous n'aurions pas eu la Ste Vierge, ni Jésus-Christ dans le sacrement de l'autel. Une fois, à la messe de minuit, le chant d'un cantique pendant l'élévation fit attendre quelques instants Mr le Curé pour le chant du Pater. Or pendant qu'il tenait la sainte hostie sur le calice, il paraissait très ému; il souriait et pleurait tout à la fois. Après l'office, Mr l'abbé Toccanier lui demanda la cause de cette émotion si profonde. Mr le Curé répondit par ces paroles, que Mr Toccanier me rapporta: 817 Je disais au bon Dieu: Si je savais que je ne dusse jamais vous voir dans le ciel, je ne vous lâcherais plus, maintenant que j'ai le bonheur de vous tenir dans mes mains.




819 819 Session 89 - 25 Août 1863 à 9h du matin



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Mr Vianney revenait sans cesse, dans ses instructions, sur l'amour de Dieu; il les terminait souvent par ces mots: Être aimé de Dieu, être uni à Dieu, vivre en la présence de Dieu, vivre pour Dieu! Oh! belle vie et belle mort! 820 Quand il plaignait le sort des pauvres pécheurs, c'était toujours parce qu'ils n'aimaient pas le bon Dieu. Que de fois on l'a entendu s'écrier: Oh! que les pauvres pécheurs sont malheureux de ne pas aimer le bon Dieu! Qu'ils sont ingrats en offensant un Dieu si bon et un père si tendre! Toujours, des larmes accompagnaient ses paroles. Que c'est donc triste, disait-il quelquefois, de n'entendre raconter que des choses qui offensent Dieu... Il a fallu que je fusse prêtre, pour savoir ce que c'est que le péché. Que c'est une triste chose...

Dans ses conversations, il ne tarissait pas lorsqu'il pouvait parler de l'amour de Dieu; on voyait qu'il était dans son élément. Il aimait beaucoup un prêtre qui venait le voir de temps en temps, parce que, disait-il, on pouvait parler avec lui tout à son aise de l'amour de Dieu. Lorsqu'il avait à s'entretenir des choses temporelles, il le faisait autant que la politesse le demandait; mais on voyait qu'il n'y attachait pas grand intérêt; il paraissait plus froid et semblait s'ennuyer; il tâchait toujours de ramener la conversation à l'amour de Dieu ou de finir par quelques pensées s'y rapportant. On s'apercevait que tout ce qui intéressait l'Église pu l'honneur de Dieu, lui causait un grand plaisir. Au contraire, les nouvelles fâcheuses concernent l'Église étaient pour lui le sujet d'une vive peine.

Le Curé d'Ars n'est arrivé à ce grand amour de Dieu que par la voie du sacrifice. Il était tellement mort à lui-même que rien ne semblait capable de le distraire de la pensée de Dieu. On le voyait au milieu de la foule qui l'environnait et qui souvent l'importunait de toutes manières, aussi calme, aussi recueilli que s'il avait été dans la solitude.

Au sujet de la charité envers le prochain, je dépose ce qui suit: La maison Vianney jouissait de la réputation d'accueillir et de loger les pauvres. Il y en avait quelquefois jusqu'à trente. Parmi ces pauvres se trouva un jour le Bienheureux Benoît Joseph Labre. 821 Mr Vianney se plaisait à raconter différents traits se rapportant à l'hospitalité qu'ils recevaient dans la maison. Il le faisait avec un plaisir qui faisait supposer que lui-même ne restait pas étranger à ce qui se passait dans sa famille.

Dès le moment de son arrivée à Ars, comme je l'ai appris des habitants, le Serviteur de Dieu tâcha de se faire aimer de ses paroissiens. Doux, affable envers tout le monde, il n'aurait pas rencontré un enfant sans le saluer et lui adresser en souriant quelques paroles agréables. Il allait assez souvent visiter ses paroissiens. Il choisissait de préférence l'heure des repas, afin de trouver toute la famille réunie. Pour ne pas causer une trop grande surprise, il appelait du dehors le maître de la maison par son nom de baptême; puis il entrait et se mettait à causer sur les choses qui pouvaient intéresser la famille; il y glissait toujours quelques mots d'édification et quelques bons conseils. Pour lui, il ne s'asseyait pas et refusait toujours ce qu'on lui offrait.

Le Curé d'Ars aima toute sa vie beaucoup ses paroissiens; il était pour eux d'un dévouement vraiment extraordinaire; il ne se faisait pas attendre lorsqu'on l'appelait. Au moment même de la plus grande affluence des pèlerins, il quittait tout, lorsqu'un de ses paroissiens réclamait son ministère ou lorsqu'on l'appelait pour quelque malade. Ses paroissiens l'affectionnèrent aussi beaucoup et lui donnèrent dans plusieurs circonstances des preuves de leur estime et de leur affection.

Mr Vianney remplit toujours tous les devoirs d'un zélé pasteur. J'ai assez fait connaître en parlant de la foi ce qu'il a fait dans la paroisse d'Ars. Le désir de sauver les âmes et de se rendre utile à ses confrères le porta à les seconder dans les missions, les jubilés ou dans d'autres exercices du saint ministère. Lorsque le pèlerinage eut été établi, il ne s'appartint plus, pour ainsi dire, et sa vie se passa presque entièrement au confessionnal.

822 822 Quand je suis arrivé à Ars en mil huit cent quarante-neuf, le pèlerinage était déjà très fréquenté. On pouvait évaluer à vingt-cinq mille environ le nombre des étrangers qui venaient chaque année voir, consulter Mr Vianney ou se confesser à lui. Celui-ci ne quittait déjà plus son confessionnal, et un vicaire le remplaçait pour les fonctions curiales. Depuis cette époque, j'ai vu le pèlerinage aller toujours en augmentant, et il y eut plus tard jusqu'à douze voitures publiques amenant chaque jour les pèlerins qui venaient à Ars; souvent même ces voitures ne suffisaient pas, tant la foule était considérable. On a calculé que pendant les six dernières années de la vie de Mr Vianney le nombre des étrangers qui venaient à Ars était en moyenne de cent mille par an. La foule des pèlerins était composée en majeure partie de personnes de la classe moyenne et ouvrière. Cependant on y voyait aussi beaucoup de personnes des classes les plus élevées, des hommes connus par leurs talents, leur science ou leur haute position. Les prêtres venaient en grand nombre. Tous voulaient voir, entendre celui qu'ils appelaient le saint curé, le bon père et même le saint père. Tous voulaient lui parler, avoir ses conseils, recevoir sa bénédiction. Chacun s'en allait content, heureux, consolé. Je n'ai jamais vu personne partir mécontent d'Ars. Cette foule était grave, recueillie; et ne quittait l'église ou les abords du lieu saint que pour s'attacher aux pas du bon Curé, qu'elle suivait là où il allait, et jusque chez les malades. C'était alors à qui serait le plus près de lui pour lui parler, l’entendre, le toucher, recevoir de lui une médaille, etc. L'empressement était si grand que malgré les deux ou trois personnes qui le suivaient pour le protéger, on le faisait trébucher. 823 On le fit même tomber une fois ou deux, et il se fit dans une de ces chutes une plaie à la tête et une autre à la jambe qui fut très longue à guérir. Quel que fût l'empressement, quelle que fût l’importunité de cette foule, Mr Vianney avait une bonne parole pour tous, il souriait à tous, il répondait à toutes les questions, autant que possible. Je l'ai suivi très souvent dans ses promenades, jamais je n'ai vu lui échapper un mouvement d'impatience, ni je n'ai entendu de parole, qui trahît la moindre émotion. Bien souvent il lui était impossible d'entrer dans sa cure; les issues étaient assiégées par les pèlerins, qui voulaient le voir ou lui parler. Il jetait alors quelquefois une poignée de médailles, et pendant que l'on se précipitait pour les ramasser, il entrait vite dans sa cure et se hâtait d'en fermer les portes. Après une de ces scènes, il nous dit: Un saint ne pouvait se débarrasser de la foule qui le pressait de toutes parts; il s'avisa de jeter de l'argent: on laissa bien son argent pour le suivre. On ne fait pas comme cela pour moi, ajouta-t-il en riant, ce qui prouve bien que je ne suis pas encore un saint: on me laisse pour courir après mes médailles.

Le bon Curé était souvent fatigué et paraissait comme exténué par suite de ses longues séances au confessionnal. Lorsqu'il voyait les pèlerins très nombreux à Ars, il ne pouvait se résigner à prendre un peu de repos: C'est mal fait, disait-il, de faire attendre ces gens, qui viennent de si loin, qui passent les nuits pour pouvoir se confesser. Il faudrait bien que le bon Dieu me donnât la faculté qu'il a accordée à plusieurs saints, celle d'être dans plusieurs endroits à la fois.

Il avait tellement à coeur la conversion des pécheurs, qu'un jour il me disait, en présence de plusieurs personnes: Si j'avais déjà un pied dans le Ciel et qu'on vint me dire de revenir sur la terre pour travailler à la conversion d'un pécheur, je reviendrais volontiers. 824 S'il fallait rester jusqu'à la fin du monde, me lever à minuit et souffrir connue je souffre, je resterais volontiers pour continuer à travailler à la conversion des pécheurs. - Un autre jour, Mr Toccanier lui disait en ma présence: Si Dieu vous proposait de monter au ciel à l'instant même, ou de demeurer sur la terre pour sauver les âmes, que feriez-vous? - Je crois que je resterais. - Oh! Mr le Curé, est-ce possible? Les saints sont si heureux dans le ciel! - C'est vrai, mon ami, mais ce sont des rentiers. - Resteriez-vous sur la terre jusqu'à la fin du monde? - Tout de même.

Voici quel était l'ordre de sa journée pendant les dix ans et demi que j'ai passés auprès de lui. Il se levait tous les jours entre minuit et deux heures du matin. Il se rendait à l’église et confessait jusqu'à sept heures. Il disait la messe vers sept heures et demie, bénissait les objets de piété qu'on lui présentait, apposait sa signature sur des images, ou des livres, et rentrait à la cure, où il prenait une petite tasse de lait, dans laquelle on mettait quelquefois du chocolat; il émiettait parfois un peu de pain dans ce lait ou ce chocolat. Un quart d'heure après, il rentrait à l'église et se mettait à confesser. A onze heures, il faisait une instruction, qui durait environ trois quarts d'heure; puis il entendait quelques personnes, qui lui étaient plus spécialement recommandées, des malades ou des infirmes. Il rentrait à la cure pour prendre son frugal et rapide repas de midi, lisait ses lettres, prenait quelques instants de repos; puis sortait vers une heure moins un quart, allait visiter les malades, passait quelques instants chez son vicaire, et rentrait à l'église vers une heure pour confesser jusqu'à la tombée de la nuit, à huit heures et demie en été et à six heures en hiver. Il récitait alors le chapelet en public, faisait la prière du soir et rentrait à la cure. 825 Les dimanches et les fêtes, il faisait deux instructions, l'une à une heure en forme de catéchisme, et l'autre à la tombée de la nuit en forme d'homélie. Lorsque le soir il rentrait à la cure, il était souvent si fatigué qu'il avait peine à monter l'escalier de sa chambre. Je l'ai vu tomber contre le mur. Il plaisantait sur sa faiblesse et disait parfois: Allons, le vieux sorcier a encore bien fait aller son commerce aujourd'hui, faisant allusion à une parole qu'on avait dite à son sujet.

827 827 Session 90 - 25 Août 1863 à 3h de l'après-midi



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le désir de travailler à la conversion des pécheurs a porté Mr Vianney à fonder l'oeuvre des missions. Il en a établi près de cent dans différentes paroisses du diocèse et même hors du diocèse; comme on peut le voir sur le registre des fondations qu'il me faisait tenir. 828. Il affectionnait beaucoup cette oeuvre; aussi éprouvait-il une grande joie lorsqu'il recevait une somme importante pour cet objet. Un jour, il me dit à la sacristie: Camarade, vous êtes-vous levé de bon matin aujourd'hui? - Comme à l'ordinaire, lui répondis-je. - Tant pis, reprit-il aussitôt. Si vous aviez fait comme moi, vous auriez fait une bonne journée. On m'a donné pour une fondation de mission et il y a encore de reste. Cet argent lui était venu à la suite d'une demande qu'il avait adressée à Dieu. J'avais des doutes, nous dit-il; je désirais savoir si en travaillant exclusivement à l'oeuvre des missions, je faisais une chose agréable à Dieu, et je l'ai prié de me le faire connaître à quelque marque. Ce matin, en sortant de la cure, j'ai trouvé un jeune homme, qui m'attendait à la porte et qui m'a donné mille francs pour mes missions; puis une autre personne, dans la chapelle de St Jean-Baptiste, m’en a remis tout autant; une troisième m'a donné plus qu'il ne fallait pour compléter la fondation. Il était à peu près sept heures du matin, quand Mr Vianney nous raconta ce fait.

D'après le registre que j'ai entre les mains, il résulte que Mr Vianney a fondé, à Ars ou dans d'autres paroisses, cent soixante dix-huit messes qu'on doit dire annuellement pour la conversion des pécheurs et soixante-dix messes pour la propagation de la foi. Il a fondé vingt messes en l'honneur du saint Coeur de Marie, afin de demander sa protection pour les prêtres du diocèse de Belley. Dans les paroisses où il a fait quelques fondations de messes, il y en avait toujours une en l'honneur du saint Coeur de Marie pour le curé et ses paroissiens.

Je n'étais pas ici lorsque Mr Vianney fit la fondation de sa Providence pour l'éducation des jeunes filles de sa paroisse et aussi pour recueillir de pauvres orphelines. 829 Lors de mon arrivée, cet établissement avait déjà été confié à la Congrégation des soeurs de St Joseph. Je vois par le registre des fondations que la Providence, au moment de sa transformation, avait été estimée quarante mille francs.

Afin de procurer aux jeunes gens une éducation gratuite, le Curé d'Ars fit la fondation d'une école qu'il confia à notre Congrégation. Il y employa un capital de vingt mille francs; il donna pour sa part une somme de douze cents francs qui lui restait encore. Il a contribué à la fondation de plusieurs écoles dans d'autres paroisses, et en particulier à Jassans, à Beauregard et à Ste Euphémie dans le diocèse de Valence.

Le Serviteur de Dieu aima toujours beaucoup les pauvres. Sa charité pour eux ne se lassait jamais. Il m'a avoué que souvent avant le jour il avait déjà donné près de cent francs en aumônes. Il appelait en riant la poche de sa soutane qui contenait l'argent de ses aumônes, la poche à la navette, parce que l'argent ne faisait qu'entrer et sortir. Le soir, il comptait ce qu'il appelait son bénéfice; il lui arrivait parfois de ne trouver que cinquante centimes et quelquefois même il n'y restait rien. Plus d'une fois même il a dû emprunter, lorsqu'il n'avait rien, pour ne pas laisser partir des pauvres sans leur donner. Un jour, je me permis de lui faire observer qu'une femme, à qui il faisait l'aumône, le trompait. J'aime mieux qu'elle me trompe, reprit-il aussitôt, que de me tromper moi-même. Il vendait tout pour avoir de l'argent à donner aux pauvres: c'est ainsi que tout son mobilier a été vendu à diverses personnes. Les choses qu'il ne pouvait pas vendre, il les donnait. On était obligé de lui donner son linge et les autres objets indispensables au fur et à mesure qu'il en avait besoin; 830 sans cette précaution, il aurait bientôt été dans le dénuement le plus complet. Ce qu'on lui donnait, il le donnait à son tour. Notre Supérieur Général lui avait apporté de Rome un chapelet que le St Père avait béni d'une manière spéciale pour le curé d'Ars; cet objet qu'il avait reçu avec beaucoup de plaisir, il ne tarda pas à s'en dépouiller.

Lorsque venait la St Martin, on remarquait que Mr le Curé devenait plus économe et qu'il tâchait d'amasser de l'argent. Quand on lui en demandait la raison, il répondait: C'est que je veux payer mes fermes. Ces fermes n'étaient autre chose que les loyers qu'il payait pour plusieurs familles pauvres, auxquelles il donnait encore du bois, du charbon, etc. pour l'hiver. Sans faire aucune recherche, j'ai su qu'il soutenait ainsi une douzaine de familles.

Le carrelage de sa chambre était en très mauvais état; on parla devant lui de le faire réparer. Combien cela coûtera-t-il, demanda-t-il aussitôt? - Cela coûtera tant. - Oh! donnez-moi cela pour mes pauvres, s'empressa-t-il de répondre. Lorsque Mr des Garets vint lui annoncer que l'empereur allait le nommer chevalier de la légion d'honneur: Y a-t-il une rente, demanda-t-il sans autre réflexion? Et sur la réponse négative, il répartit: Eh bien! puisque les pauvres n'ont rien à y gagner, dites à l'Empereur que je n'en veux point. J'étais présent lorsque ce fait arriva. Malgré ses refus, les démarches furent continuées, de la part de Mr des Garets, maire d'Ars, et de Mr de Castellane, sous-préfet de Trévoux. Mr Vianney reçut un jour une lettre de la Grande Chancellerie, par laquelle on lui réclamait douze francs pour l'expédition du brevet et de la croix. Mais j'ai refusé, dit-il; d'ailleurs je me garderais bien d'envoyer douze francs pour cela: je puis,- avec cet argent, nourrir douze pauvres, et il sera bien mieux placé.

Une personne lui avait volé une somme assez considérable en plusieurs fois. 831 Non-seulement il ne la fit pas poursuivre, mais encore, comme elle se trouvait dans le besoin, il lui faisait des aumônes. Un jour, n'ayant pas d'argent, il en emprunta à une personne pour le lui donner. Je tiens cette particularité de la personne même, qui avait prêté.

Il avait renoncé à la jouissance de son jardin, afin d'augmenter ses ressources pour les pauvres. Il me disait un jour: J'ai fait tous les commerces imaginables (et il entra dans différents détails concernant ce qu'il avait fait pour la Providence, etc.) Il me rappela aussi les petites industries qu'il employait afin d'obtenir de l'argent pour ses pauvres, et il finit ainsi: Une personne vint ici; chaque fois qu'elle venait, elle me donnait de l'argent pour les pauvres; je l'avais vue plusieurs fois et elle ne m'avait rien donné. Je lui dis: Vous ne me donnez donc plus rien. Mais, Monsieur le Curé, reprit-elle, je vous donne toujours et vous ne me donnez rien. - Que voulez-vous que je vous donne? lui dit Mr Vianney en riant; je n'ai plus en ma possession que ces deux vieilles dents qui branlent. - Eh bien! combien en voulez-vous? - C'est pour rire que vous me faites une pareille proposition. - C'est bien sérieusement. - Eh bien! donnez-m'en douze francs pièce. La dame compta immédiatement les vingt-quatre francs, et comme Mr le Curé se mettait en devoir de les arracher, elle l'arrêta en lui disant: Mr le Curé, je vous en laisse la jouissance jusqu'à ce qu'elles tombent.



Quoad Prudentiam, testis respondit:

Je n'ai rien à signaler touchant les premières années de Mr Vianney; il en est de même des travaux auxquels il se livra à Ars pour détruire les abus et reformer sa paroisse. Je crois qu'il a déployé tout le zèle que la foi inspire et que la prudence dirige. Je sais qu'il a parlé quelquefois avec véhémence, mais je ne sache pas qu'on en ait été froissé. 832 J'ai su qu'il s'était servi d'expressions assez fortes en parlant contre les cabarets, contre les danses et contre le travail du Dimanche. Tous ceux qui établiraient des cabarets à Ars, dit-il, se ruineraient. Quant au travail du Dimanche, je lui ai entendu dire: Allez par les terres de ceux qui travaillent le dimanche, ils en ont toujours à vendre.

Lorsque Mr Vianney voulait entreprendre quelque oeuvre importante, il avait coutume de consulter Dieu dans la prière, de redoubler ses mortifications. Il a plusieurs fois demandé à Dieu de lui faire connaître par quelque signe si l'oeuvre qu'il projetait lui était agréable. J'en ai déjà cité un trait en déposant sur la charité. Une autre fois, il travaillait à une bonne oeuvre que je ne me rappelle pas, et il désirait aussi connaître, nous dit-il, par quelque marque si le culte particulier qu'il rendait à Ste Philomène était bien agréable à Dieu. Le matin, en se levant, il trouva dans son tiroir, qu'il avait vu vide la veille, un gros tas d'écus de cinq francs, et par-dessus une image de Ste Philomène.

Sa Prudence brillait dans ses conversations, comme j'en ai fait la remarque plusieurs fois. Je sais qu'en particulier il était très réservé pour les matières politiques.

Il me disait un jour: On me reproche de n'être pas assez sévère pour les pénitences que je donne au confessionnal, d'absoudre trop facilement les pénitents. 833 Mais vraiment, puis-je être sévère pour des gens qui viennent de si loin, qui font tant de sacrifices, qui souvent sont obligés de se cacher pour venir ici? Il me disait une autre fois: Un pénitent me demanda pourquoi je pleurais en entendant sa confession. Je pleure, ai-je répondu, parce que vous ne pleurez pas.

J'ai remarqué sa grande prudence au sujet de l'affaire de la Salette. Immédiatement après l'entrevue de Maximin, il me fit écrire à l'Evêque de Belley et à celui de Grenoble pour leur annoncer ce qui venait de se passer. Il fut très peiné de la publicité que l'on donna à cette affaire.

Fin du premier volume manuscrit



Ars Procès informatif 803