Ars Procès informatif 1171

TEMOIN XIX - ABBE LOUIS BEAU – 4 février 1864

1171 1171 Session 131 - 4 Février 1864 à 9h du matin



1176 Juxta primum Interrogatorium, testis monitus de vi et natura juramenti et gravitate perjurii praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit:

Je connais la nature du serment que je viens de prêter et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité telle que je la connais.



Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je m'appelle Louis Beau. Je suis né à Ambronay le trente Décembre mil huit cent huit, de Louis Beau et Marguerite Masson. Je suis prêtre, curé de Jassans dans le diocèse de Belley. J'ai été le confesseur du Serviteur de Dieu pendant ses treize dernières années.



Juxta tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai le bonheur de célébrer la sainte messe tous les jours.



Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai jamais été traduit en justice.



Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai jamais, du moins à ma connaissance, encouru les peines ou les censures ecclésiastiques.



Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

1177 Personne ne m'a instruit de la manière dont je devais déposer dans cette cause. Je n'ai pas lu les Articles du Postulateur. Je ne dirai que ce que j'ai vu ou entendu de témoins dignes de foi.



Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'avais une grande affection pour le Serviteur de Dieu. Je désire vivement sa Béatification, et en cela je n'ai en vue que la gloire de Dieu et de la Ste Église. Je ne suis mu par aucun motif humain.





1183 Session 132 - 4 Février 1864 à 3h de l'après-midi



Juxta octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais que le Serviteur de Dieu est né à Dardilly de parents chrétiens. J'ai entendu dire qu'il avait été très pieux dès bon enfance. Je ne puis donner de détails, ne l'ayant connu que lorsque je suis venu dans le pays, en mil huit cent trente-quatre.



1184 Juxta nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je m'en réfère à la réponse au précédent Interrogatoire.



Juxta decimum et undecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je ne sais rien sur ces deux Interrogatoires.,



Juxta duodecimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai ouï dire que le Serviteur de Dieu avait fait ses études avec beaucoup de difficultés et qu'il s'était préparé avec une très grande piété à la réception des saints ordres.



Juxta decimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai entendu dire qu'il avait été vicaire à Ecully chez Mr Balley et qu'ils menaient tous deux une vie de prière et de pénitence.



Juxta decimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai ouï dire que le Serviteur de Dieu fut nommé Curé de la paroisse d'Ars et que, lorsqu'il y arriva, il y avait des abus, comme le travail du dimanche, les danses, et qu'il s'appliqua à les supprimer. Dès le commencement, il passait presque tout son temps à l'église.



Juxta decimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais qu'il a fondé des écoles pour élever chrétiennement les jeunes filles et les jeunes garçons. Ces établissements eurent d'excellents résultats; je ne crois pas qu'il leur ait donné des règles particulières.



Juxta decimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais et j'ai ouï dire qu'il avait toujours observé les commandements de Dieu et de l'Église avec une scrupuleuse exactitude, et je ne crois pas qu'on puisse pousser cette exactitude plus loin. Il remplissait ses devoirs de prêtre et de pasteur avec une délicatesse de conscience admirable, et il a persévéré jusqu'à la mort dans l'accomplissement rigoureux de tous ses devoirs. Je ne sache pas que jamais il se soit relâché dans l'observance des commandements de Dieu et de l'Église, et de ses devoirs de prêtre et de pasteur. 1185

J'ai entendu dire qu'il s'était absenté de sa paroisse pour aider les confrères du voisinage pendant les missions et les jubilés. Sa présence contribuait beaucoup au succès de ces exercices à cause du parfum de sainteté qu'il répandait autour de lui. Cependant sa paroisse, d'ailleurs très petite, n'avait pas à souffrir, parce qu'il y revenait aussi souvent qu'il était nécessaire.

Il était convaincu qu'il était indigne et incapable de remplir le saint ministère, et qu'il se sanctifierait plus facilement dans l'état religieux, auquel il se croyait appelé; ce fut le motif qui l'engagea à quitter sa paroisse. Il ne croyait point désobéir à ses supérieurs, parce qu'il était persuadé qu'il lui était permis d'entrer sans autorisation dans un Ordre sévère approuvé par l'Église. Du reste, il montra son grand esprit d'obéissance en revenant dans sa paroisse parce que l’Évêque le désirait.



Juxta decimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai entendu parler et je crois que le Serviteur de Dieu m'a parlé lui-même des contradictions qu'il avait éprouvées pendant plusieurs années, au commencement de son ministère dans la paroisse d'Ars. Il reçut même des lettres injurieuses; il supporta tous ces outrages avec une grande patience et une profonde humilité. Il disait que si ses confrères avaient pu le faire sortir d'Ars, ils lui auraient rendu un grand service. Il conserva toujours pour tous ses contradicteurs une charité parfaite. Je ne doute pas qu'il n'ait prié pour eux et qu'il ne fût disposé à leur faire tout le bien qui dépendait de lui.



Juxta decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je sais et j'ai ouï dire que le Serviteur de Dieu a pratiqué à un très haut degré de perfection les vertus chrétiennes et qu'il les a pratiquées jusqu'à la mort.



1186 Quoad Fidem, testis respondit:

J'ai entendu dire que dès sa plus tendre enfance, le Serviteur de Dieu avait montré une foi très vive et qu'il s'était fait admirer aux Noës pour sa piété fervente. Plusieurs de ses condisciples au grand séminaire m'ont assuré qu'il était leur modèle par l'exactitude et la ferveur qu'ils remarquaient en lui.

Dès son arrivée à Ars, il fit une impression profonde sur les habitants par la sainteté de sa vie et par la vivacité de sa foi. Il passait de longues heures en adoration devant le St Sacrement. Je sais que par son zèle et ses prédications, il rendit parmi ses paroissiens la sainte Communion plus fréquente.

Le Serviteur de Dieu ne se contentait pas de ranimer la foi parmi ses paroissiens, il voulait encore la rendre plus vive parmi les habitants des paroisses voisines. Dans ce but, il prêta son concours à ses confrères; il prêcha des missions et des jubilés. Partout il se fit remarquer par l'ardeur de sa foi et la sainteté de sa vie. Il acquit au milieu des populations la réputation d'un saint.

Il mit un grand soin à réparer et orner son église; il fit construire des chapelles, qu'il consacra aux saints auxquels il avait une plus grande dévotion, comme Ste Philomène, St Jean-Baptiste, les saints anges. Il s'appliqua à se procurer pour les saints offices les ornements les plus beaux et les vases les plus précieux.

J'ai vu le Serviteur de Dieu célébrer le saint sacrifice de la messe; chaque fois il m'a paru un ange au saint autel. J'ai été singulièrement frappé des sentiments de foi qui paraissaient sur toute sa figure. Quand il donnait la sainte Communion, toute sa personne indiquait la foi vive dont il était animé; il ne semblait presque plus toucher la terre.

1187 En parlant de Dieu, du Ciel, des choses de la foi, il semblait voir ce qu'il disait. Avec quelle émotion il prononçait ces paroles: Aimer Dieu, être aimé de Dieu, quel bonheur!... Il semblait n'être déjà plus sur la terre.





1189 Session 133 - 5 Février 1864 à 9h du matin



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai beaucoup remarqué la manière dont il faisait le signe de la croix, dont il récitait le benedicite avant le repas et l'Ave Maria quand l'heure sonnait. Le souvenir de ce que j'ai vu dans ces moments-là m'impressionne encore. 1190 Avec quelle angélique piété il disait son bréviaire! Sa figure était alors rayonnante et annonçait le bonheur qu'il éprouvait en parlant à Dieu dans la prière.

Je ne saurais donner beaucoup de détails sur la foi du Serviteur de Dieu; mais je puis dire d'une manière générale que toutes les fois que je l'ai vu, j'ai été vivement impressionné des sentiments de la foi la plus vive qui se manifestaient dans toutes ses paroles et toutes ses actions. A mon avis, aucune expression ne saurait rendre la vivacité et l'ardeur de sa foi. Elle était certainement le mobile de toutes ses actions; elle paraissait au moindre mouvement qu'il faisait.





Quoad Spem, testis respondit:

Lorsque j'ai eu le bonheur de connaître le Serviteur de Dieu, j'ai pu admirer sa vive espérance et sa grande confiance en Dieu. Il n'espérait rien de lui et attendait tout de Dieu. Sa confiance était aussi grande que possible.

Je me rappelle l'avoir entendu parler du péché avec horreur et indignation. Il sentait profondément combien Dieu était offensé et quel était le malheur des pauvres pécheurs.

Quand il parlait du Ciel, il le faisait d'une manière ravissante: on eût dit qu'il y montait.

Je l'ai entendu parler de la miséricorde de Dieu de manière à montrer combien on devait compter sur elle. Il avait un don particulier pour ranimer dans l'âme des pauvres pécheurs la confiance en Dieu. On ne sortait pas d'auprès de lui sans emporter des pensées plus sereines, un courage plus grand pour supporter les tristesses de la vie présente. En un mot, on se sentait changé et tout disposé à aimer Dieu et à faire les sacrifices que le Seigneur demandait.

Tout en travaillant incessamment au bien des âmes, le Serviteur de Dieu ne négligeait pas la sienne. Son âme était constamment unie à Dieu. Je crois qu'il ne perdait jamais de vue la présence de Dieu. Il faisait de fréquentes élévations de coeur à Dieu; son oraison était continuelle; il travaillait toujours pour Dieu ou parlait toujours de Dieu.

Son abandon à la Providence était complet. Jamais il n'a faibli, jamais il n'a perdu courage dans les épreuves et les traverses qu'il a essuyées.

1191 Le Serviteur de Dieu m'a raconté les attaques dont il avait été l'objet de la part du démon. Celui-ci faisait du bruit de différentes manières, tantôt en frappant à la porte et en l'appelant par son nom: Vianney! Vianney! tantôt en imitant le bruit que feraient plusieurs chevaux au galop, tantôt en tirant les rideaux de son lit. Mr Vianney a senti le coussin de son lit se ramollir sous sa tête. Je crois même me rappeler que le démon prononçait quelques paroles dérisoires pour le porter à la sensualité. Je lui demandais une fois comment il repoussait ces attaques. Il me répondit: Au commencement, j'avais peur; puis je m'y suis habitué: Je me tourne vers Dieu, je fais le signe de la croix; j'adresse quelques paroles de mépris au démon. Du reste, j'ai remarqué que le bruit est plus fort et les attaques du démon plus multipliées, lorsqu'il doit venir le lendemain quelque grand pécheur.

Le Serviteur de Dieu montra une égale confiance en Dieu dans les attaques qu'il eut à supporter de la part des hommes et en particulier de quelques confrères. Jamais il ne se plaignit; il priait et s'abandonnait entre les mains de Dieu.

Il éprouva aussi de grandes peines intérieures. Il se croyait indigne et incapable; il voyait à peine ou bien rarement les effets prodigieux de son ministère à Ars. L'attention de son esprit ne s'arrêtait qu'à ses misères. Il avait une grande crainte de la mort. Tout cela explique son désir de la solitude et sa constante préoccupation de quitter sa paroisse. Mes visites et mes paroles le consolaient et le fortifiaient. Mais je dois faire remarquer qu'il n'y avait en lui aucun découragement et que les fidèles ne s'apercevaient pas de cette idée qui le poursuivait sans cesse. Il était toujours aussi exact à remplir son ministère que s'il y eût trouvé le plus grand bonheur et la plus grande consolation.



Quoad Charitatem, testis respondit:

J'ai toujours ouï dire que le Serviteur de Dieu avait montré une grande piété dans tout le cours de sa vie. Je puis attester que depuis que je l'ai connu, il me semble n'avoir eu qu'une seule pensée: Aimer Dieu et le faire aimer.

1192 Son amour pour Dieu se manifestait dans l'accomplissement de tous ses devoirs: récitation du bréviaire, célébration de la sainte messe, administration des sacrements, catéchismes et instructions. J'ai toujours été frappé de la manière dont il paraissait à l'église et dont il faisait la génuflexion devant le saint Sacrement. On voyait alors le tendre amour qu'il portait à Notre Seigneur. Le bréviaire, il le récitait toujours à genoux, et de temps en temps, s'arrêtant, il portait les yeux sur le tabernacle pour y puiser pour ainsi dire une nouvelle ferveur. A l'autel, pendant les saints mystères, il ressemblait non seulement à un ange par la foi, mais encore a un séraphin par l'amour. Au moment de la communion, il était surtout pénétré d'un sentiment d'amour plus sensible. Lorsqu'il administrait les sacrements, sa tendre dévotion apparaissait et frappait les assistants. Tout respirait son amour pour Dieu dans son air et dans ses paroles.

Sa charité pour Dieu se montrait encore dans ses instructions, ses catéchismes et ses conversations. Ses paroles étaient simples, mais enflammées. On voyait qu'elles sortaient d'un coeur brûlant de l'amour de Dieu, qui ne pouvait avoir d'autres sentiments et qui ne pouvait parler d'autres choses. Tous les auditeurs qui se réunissaient chaque jour autour de lui étaient ravis d'admiration et sortaient pleins du désir d'aimer Dieu davantage.

Le grand nombre de ceux qui se sont adressés à lui au confessionnal ont éprouvé l'heureux effet de son amour pour Dieu. Ses paroles pénétraient tellement leur âme, qu'ils en conservaient un souvenir ineffaçable: on les voyait disposés à mener une vie plus chrétienne et plus fervente.

La grande charité que Mr Vianney avait pour Dieu, et qui produisait une union si étroite avec lui, le rendait supérieur à tout trouble, à toute agitation. Aussi il était toujours calme au milieu de la foule et du bruit. 1193 Qu'il fût pressé, assailli par une multitude indiscrète, que les questions les plus disparates, les plus bizarres, les plus contradictoires lui fussent adressées, jamais on ne surprit en lui le moindre signe d'impatience, de mécontentement. Toujours égal à lui-même, toujours gracieux, toujours bon: en un mot, il répondait de son mieux, et toujours à la satisfaction de ceux qui lui adressaient la parole.

Tout son plaisir dans les conversations était de parler des choses spirituelles. Si la politesse l'obligeait à entendre discourir sur les choses temporelles, on sentait qu'il n'y prenait que l'intérêt commandé par la bienveillance; dès qu'il le pouvait, il revenait à ses sujets favoris. J'ai été témoin du bonheur qu'il éprouvait lorsqu'on lui annonçait quelque bonne nouvelle concernant l'Église ou le salut des âmes, par exemple lorsqu'on lui apprenait qu'une mission avait réussi. J'ai été aussi témoin de la peine qu'il ressentait en apprenant quelque scandale, quelque nouvelle fâcheuse.

La grande charité envers Dieu que Mr Vianney montrait dans toute sa conduite, l'a porté à se sacrifier lui-même en embrassant la voie des mortifications et des pénitences. Il n'épargnait rien de ce qu'il y avait en lui de sensible. Je suis encore comme effrayé en pensant au genre de vie que l'amour de Dieu lui avait fait embrasser.





1197 Session 134 -5 Février 1864 à 3h de l'après-midi



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai ouï dire que le Serviteur de Dieu avait dès son enfance exercé la charité spirituelle et corporelle envers le prochain; mais je n'ai aucun détail précis à communiquer. Je ne saurais même rapporter les moyens qu'il employa, pour renouveler sa paroisse. 1198 Mais ce que je puis dire, c'est que depuis mil huit cent trente-quatre, époque à laquelle j'étais vicaire de la paroisse de Genay, et surtout depuis mil huit cent quarante-quatre, j'ai vu constamment le Serviteur de Dieu remplir tous ses devoirs de pasteur. Il allait même bien au-delà. Il avait à s'occuper non seulement de la direction des âmes confiées à ses soins, mais encore d'une foule nombreuse de pèlerins que la réputation de sa sainteté lui amenait de tous les côtés. Pour satisfaire le désir que tous ces fidèles témoignaient de lui faire leur confession ou de lui exposer leurs peines, Mr Vianney se levait à une heure du matin et quelquefois plus tôt; il se rendait à l'église, où l'attendait une foule nombreuse. Il passait au confessionnal tout le temps qui n'était pas employé à la récitation de l'office, à la célébration de la Ste Messe, etc. Quinze heures en moyenne étaient consacrées à entendre les confessions. A onze heures, il faisait chaque jour le catéchisme. Le soir, il faisait en chaire la prière, récitait le chapelet, et souvent adressait une instruction aux fidèles qui se réunissaient pour cet exercice.

Ce qui m'étonne, c'est que le Curé d'Ars ait pu suivre si longtemps un genre de vie si pénible à la nature. Il souffrait beaucoup. Il m'a avoué dans les dernières années qu'il souffrait autant qu'il est possible de souffrir. Il m'a pareillement avoué qu'il ne dormait jamais d'un sommeil complet. Une nuit qu'il souffrait davantage, il entendit distinctement une voix lui dire: In te, Domine, speravi, non confundar in aeternum. Cette parole le remplit de courage et de consolation.

Son zèle pour le salut des âmes l'a porté à fonder un grand nombre de missions. C'était son oeuvre de prédilection. Il en a fondé dans la plupart des paroisses voisines. Les autres ont été établies dans différentes paroisses du diocèse.

Une des premières oeuvres que son zèle lui fit entreprendre fut l'établissement de sa Providence. Par cette fondation, il se proposait de réunir les enfants pauvres, afin de les tirer de la misère, de les préserver du vice, de les élever chrétiennement et de leur apprendre à travailler. Pour soutenir cet établissement, il n'avait que les dons qu'on lui faisait. 1199 Il comptait ainsi uniquement sur la Providence divine, qui ne lui a jamais fait défaut. Une soixantaine de jeunes filles étaient logées, nourries et entretenues dans cette maison. Afin d'en assurer l'avenir, Mgr l'Évêque de Belley proposa au Serviteur de Dieu d'en confier la direction à une congrégation religieuse. Mr Vianney entra dans les vues de son Évêque en appelant les soeurs de St Joseph, qui se chargèrent de donner l'instruction gratuite aux jeunes filles de la paroisse.

Le Serviteur de Dieu voulut faire pour les jeunes garçons ce qu'il venait de régler pour les jeunes filles. Peu de temps après la transformation de sa Providence, il fonda l'école gratuite des garçons et en confia la direction aux Frères de la Sainte Famille.

Sa charité le poussa à favoriser l'établissement des écoles dans les paroisses voisines. Il donna pour cela à ses confrères des sommes plus ou moins considérables. Il m'a donné pour l'école de Jassans trois mille francs.

Il a fait don à de pauvres églises d'ornements et de vases sacrés.

Son amour pour les pauvres le dépouillait de tout; il vendait ses habits, ses meubles; il vendit jusqu'à son camail, afin d'avoir de l'argent pour ses pauvres. Il vendait souvent à un prix très élevé des objets ayant en eux-mêmes peu de valeur, mais c'était à des personnes qui voulaient contribuer à ses bonnes oeuvres. Il donnait à tous les pauvres qui sollicitaient sa charité.



Quoad Prudentiam, testis respondit:

J'ai pu admirer par moi-même la Prudence du Serviteur de Dieu. Elle lui avait fait rechercher les moyens les plus propres pour assurer son salut. C'est dans cette intention et dans celle de plaire plus parfaitement à Dieu qu'il avait embrassé la voie de la pénitence et de la mortification.

Il ne négligea rien pour procurer le salut des âmes confiées à ses soins. Au zèle animé par la charité la plus ardente, il joignait la plus grande prudence. Il savait admirablement donner un conseil. Je ne sache pas que personne se soit plaint d'avoir suivi ses avis. 1200 On venait cependant le consulter sur toutes sortes d'affaires. J'ai admiré moi-même son tact et son jugement.

Les personnes qui avaient le bonheur de s'adresser à lui pour la confession ont pu remarquer la direction douce, éclairée et prudente qu'il savait donner.

J'admirais, quand j'étais avec lui, la réserve et la prudence qu'il montrait dans les conversations; il ne disait rien qui fût contraire à la charité. Il s'abstenait de parler des questions de politique.





1203 Session 135 - 6 Février 1864 à 8h du matin



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu a toujours rempli très exactement tous les devoirs que la religion impose. Il était très fidèle à observer tout ce qui est du service de Dieu. 1204 Il ne s'en tint pas seulement aux choses de précepte; il s'efforça de pratiquer les conseils évangéliques. A l'égard du prochain, ses procédés étaient pleins de charité et de cordialité; il s'oubliait lui-même pour rendre service et être agréable aux autres. Il ne s'asseyait jamais quand il recevait une visite, et faisait asseoir les personnes qui le visitaient. Il n'aimait point les marques de respect. Je ne mérite le respect de personne, disait-il: donnez-moi un peu de votre amitié, c'est bien assez.

Avec les ecclésiastiques, et les religieux, il était encore plus empressé, plus affectueux et plus poli. Son sourire était plus gracieux et sa conversation plus expansive. Il s'entretenait alors volontiers des choses de Dieu et des choses célestes. Il avait pour chacun les égards qui lui étaient dus. Il honorait les grands et les puissants de la terre.

Ordinairement, il ne sortait pas de sa paroisse; il restait habituellement dans l'église et dans sa cure. Cependant, en mil huit cent cinquante-deux, j'étais gravement malade; il vint me visiter; il avait fait toute la route à pied par une chaleur excessive, quoiqu'il eût déjà présidé à la procession du St Sacrement. La charité le rendait infatigable.

Il accueillait les pauvres, les infirmes, les ignorants et les pécheurs avec une extrême bonté. Il était pour eux plein de respect et de tendre compassion.

J'ai ouï dire qu'il obéissait à ses parents, lorsqu'il était auprès d'eux, avec une grande docilité.

Il conserva toute sa vie une grande reconnaissance pour les habitants des Noës à cause de l'hospitalité qu'il avait reçue d'eux. Il n'oublia jamais non plus les marques d'affection et d'intérêt que Mr Balley lui avait données dans sa jeunesse. Il tenait beaucoup à une glace qui avait appartenu à ce saint prêtre, parce qu'elle lui rappelait le souvenir de ses vertus et de sa bonté.

Jamais il ne demandait rien à personne pour ses besoins particuliers, mais il était très sensible aux services qu'on pouvait lui rendre.



Quoad Obedientiam, testis respondit:

1205 J'ai ouï dire que le Serviteur de Dieu, dans son enfance, obéissait à ses parents avec une rare ponctualité et que dans les séminaires il fut un modèle d'exactitude dans l'obéissance à ses maîtres et dans l'observation du règlement. Quoiqu'il désirât vivement aller dans la solitude pleurer sa pauvre vie, il se soumit cependant toujours à la volonté de ses supérieurs et resta dans la paroisse d'Ars jusqu'à la fin de sa carrière.

Il montra toujours pour les représentants de l'autorité civile le respect et l'obéissance qui leur sont dus. Mais ce qu'il respectait par dessus tout, c'était l'autorité du Souverain Pontife. Il versait des larmes quand il prononçait ou qu'il entendait prononcer le nom de l'Eglise Mère et Maîtresse de toutes les Eglises.

J’ignore les détails et les raisons de sa fuite aux Noës; mais je regarde ce qui se passa alors comme une intervention admirable de la divine Providence.



Quoad Religionem, testis respondit:

Le Serviteur de Dieu recherchait avec empressement tout ce qui, de près ou de loin, se rapportait au culte ou à la gloire de Dieu. Le plus petit objet lui devenait cher et sacré dès qu'il avait une signification religieuse. Il aimait les images, les croix, les scapulaires, les chapelets, les images, les croix, l'eau bénite, les confréries et les reliques surtout; il en avait rempli sa chapelle de la Providence et sa chambre. La parole de Dieu avait pour lui des délices particulières; il ne manquait jamais de l'entendre toutes les fois qu'il le pouvait.

J'ai dit avec quel soin il avait embelli son église et acheté de magnifiques ornements.

Le Serviteur de Dieu avait pour le saint sacrement une ardente dévotion. Sa figure s'illuminait lorsqu'il en parlait dans ses conversations bu dans ses instructions, et lorsqu'il était prosterne au pied des autels.

Il aimait beaucoup les pratiques de dévotion, il les remplissait avec une piété fervente. J'étais frappé toutes les fois que je lui voyais faire le signe de la Croix. Il conseillait aux autres toutes les pratiques de dévotion. Il était du tiers-ordre de saint François.

Dès son enfance, il fut très dévot à la Ste Vierge; il récitait l'Ave Maria toutes les fois que l'heure sonnait et il était très exact à cette pratique. Il célébrait les fêtes de la Mère de Notre Seigneur avec une grande solennité; les paroissiens des alentours accouraient ces jours-là à Ars; les pèlerins étaient plus nombreux et la sainte table était fréquentée par un plus grand nombre de personnes. 1206 Bien avant la définition du dogme de l'Immaculée Conception, il avait placé une statue de Marie Immaculée sur le pignon de l'église paroissiale.

Le Coeur Sacré de la très sainte Vierge était le refuge du Serviteur de Dieu. Une de ses grandes pratiques était de conseiller une neuvaine au saint Coeur de Marie; il conseillait souvent aussi des neuvaines au Saint Esprit.

Le Serviteur de Dieu invoquait souvent les saints, particulièrement Ste Philomène, St François d'Assise, St François - Régis. Il aimait, dans les conversations, à citer des traits tirés de la vie dés saints. Il avait érigé une chapelle à Ste Philomène; il conseillait de lui faire des neuvaines et il attribuait à l'intercession de cette sainte toutes les faveurs signalées et tous les prodiges qui ont contribué à la célébrité du pèlerinage d'Ars.

Il avait une grande dévotion envers les âmes du purgatoire; il aimait à prier et à faire prier pour elles. Il a fondé dans plusieurs paroisses des octaves de messes pour le soulagement de ces saintes âmes.



Quoad Orationem, testis respondit:

L'oraison de Mr Vianney était continuelle; il était sans cesse uni à Dieu et ne perdait jamais de vue sa sainte présence. L’expression de sa figure pieuse et recueillie annonçait son union intime et constante avec Dieu.



Quoad Fortitudinem, testis respondit:

Mr Vianney a montré une grande force d'âme dans les épreuves, les peines et les tribulations; il était ferme dans les résolutions qu'il prenait et les mettait en pratique. C'est grâce à cette force soutenue par le secours de Dieu, qu'il a pu suivre sans faillir le genre de vie si sévère qu'il avait embrassé.

Le Serviteur de Dieu était patient au milieu des souffrances; son visage restait toujours calme et souriant. J'ai été appelé plusieurs fois auprès de lui, lorsqu'il souffrait plus vivement. Qu'avez-vous, lui disais-je? - Je suis un peu malade, me répondait-il, je veux me confesser. Et rien ne trahissait la vivacité des douleurs qu'il éprouvait. 1207 Quelque souffrant qu'il fût, il ne s'arrêtait jamais, et s'il était demandé par quelque malade, il se rendait auprès de lui avec empressement. Les douleurs et les insomnies augmentèrent avec l'âge, mais la patience augmentait aussi. Il ne se plaignait point; au contraire, il se réjouissait de pouvoir offrir ses souffrances pour la conversion des pécheurs. Il n'était jamais plus près de recouvrer sa vigueur, que lorsqu'il était le plus affaissé. La foule, la chaleur, la longueur des séances au confessionnal, tout ce qui aurait dû anéantir ses forces, les lui rendait. On le voyait se multiplier et devenir supérieur à lui-même.

Sa patience ne brillait pas moins au milieu des humiliations et des contradictions. Le prêtre qui lui avait été donné pour vicaire se permit de le contredire publiquement en chaire. Le Serviteur de Dieu ne s'en offensa point et ne témoigna aucun mécontentement. Il savait que cet ecclésiastique voulait obtenir le titre de Curé d'Ars; il était sollicité par lui de donner sa démission. Il supporta des procédés si peu convenables avec calme et résignation; il fut pour lui bon et cordial comme à l'ordinaire et ne diminua en aucune manière l'affection qu'il avait pour lui.

J'ai parlé déjà des contradictions qu'il avait éprouvées au commencement de son ministère à Ars. On alla même jusqu'à attaquer la pureté de ses moeurs; mais rien ne pouvait troubler le calme habituel de son âme.

J'ajouterai que Mr Vianney était naturellement vif et nerveux, et ma conviction est qu'il n'est arrivé à ce degré de patience que par les efforts constants qu'il fit pour se vaincre lui-même.



Quoad Temperantiam, testis respondit:

J'ai ouï dire que dès son enfance, Mr Vianney aimait à se mortifier; il trouva dans Mr Balley un excellent maître de la vie pénitente. On m'a raconté qu'arrivé à Ars, il couchait à la cave, la tête appuyée sur une poutre, et qu'il ne quitta cette chambre à coucher que lorsque les douleurs se firent sentir. On m'a dit aussi que pour sa nourriture, il faisait cuire des pommes de terre; 1208 il les mangeait pendant qu'il y en avait de cuites. Elles manquèrent une fois. Il alla chez un voisin. Comme il avait la figure altérée, celui-ci lui demanda ce qu'il avait. Le Serviteur de Dieu lui avoua qu'il n'avait pas mangé depuis trois jours, parce qu'il n'avait plus de pommes de terre. Cet homme s'empressa de lui envoyer la moitié d'un pain.

Mr le Curé d'Ars ne se mettait point en peine du lendemain, il était sans inquiétude, sans aucun souci du manger, du boire et des autres choses nécessaires à la vie.

J'ai assisté souvent à son dîner; il ne s'asseyait jamais; sur une table sans nappe était un plat en terre, dans lequel se trouvait un peu de légumes, quelquefois deux oeufs, un peu de viande s'il était très fatigué (il ne mangeait pas de la viande sans m'avoir demandé la permission), un pot à eau, une bouteille de vin et un peu de pain. En moins de dix minutes, le repas était pris; il mangeait de manière à ne pas sentir le goût des aliments. Il restait toujours dans le plat la plus grande partie de ce qu'on avait servi; il n'avait bu qu'un peu d'eau rougie de vin et n'avait mangé que très peu de pain. J'étais vivement frappé de cette sobriété excessive.

Il résulte de mes impressions qu'il a pratiqué la pénitence et la mortification à un degré inexprimable.





1211 Session 136 - 6 Février 1864 à 2h de l'après-midi



Et prosequendo decimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu avait une véritable prédilection pour la vertu de pauvreté. Tout dans sa personne, dans l'ameublement de son presbytère respirait de la plus grande pauvreté. 1212 Je ne crois pas qu'il ait jamais rien dépensé pour acheter ce qui était nécessaire pour sa nourriture. Quelques bonnes personnes se chargeaient de ce soin. Je n'ai jamais vu ceux qui le servaient lui demander la moindre pièce de monnaie pour acheter ce dont il avait besoin. J'ai vu qu'il comptait souvent sur le traitement qu'il recevait comme curé pour commencer, continuer ou achever une bonne oeuvre. Plus d'une fois il m'a dit: Quand j'aurai reçu mon traitement, je ferai telle bonne oeuvre.

Il était vêtu simplement mais proprement et convenablement, portant toujours au complet le costume ecclésiastique. Je ne l'ai jamais vu avec un chapeau.

Sa chambre était très pauvre; elle n'était garnie que d'images pieuses, de reliquaires et de meubles excessivement pauvres. Son lit se composait d'un simple garde-paille sur lequel on étendait les draps et les couvertures nécessaires. La chose la plus importante de sa chambre était la bibliothèque renfermant un certain nombre d'ouvrages de piété, de théologie, d'Écriture Sainte.

Le Serviteur de Dieu reçut, pendant sa vie, des sommes considérables; mais il les employa toujours en bonnes oeuvres. Un prêtre, comme on me l'a rapporté, lui demanda un jour quel était son secret pour trouver de l'argent. Mon secret est bien simple, répondit Mr Vianney, c'est de tout donner et de ne rien garder.

Le Curé d'Ars méprisait encore toutes les choses matérielles dont on parle tant et qu'on estime tant de nos jours. Il n'avait aucun désir de connaître les inventions modernes. :



Quoad Humilitatem, simplicitatem et Modestiam, testis respondit :

La Modestie et la simplicité brillaient d'une manière toute particulière dans le Serviteur de Dieu. Chez lui, point d'ostentation, rien de contraint, rien d'affecté, rien de l'homme qui veut paraître. Une simplicité d'enfant, un mélange d'abandon, d'ingénuité, de candeur, de grâce naïve se combinaient admirablement avec la finesse de son tact, la sûreté de son jugement et donnaient à sa conversation et à toute sa personne un charme inexprimable. 1213 A la vue de tout le mouvement qui se faisait à Ars, à la vue de la vénération dont on entourait le Serviteur de Dieu, il était naturel de penser que l'orgueil devait être sa grande tentation. Mais il n'en était rien. A le voir, on aurait dit que le moi n'existait plus en lui. Il semblait n'être pour rien dans tout ce qui se faisait à Ars par son ministère. Il était impossible de surprendre en lui l'expression de la gêne, les traces d'une préoccupation personnelle, l'ombre d'un retour sur lui-même. Pour relever son courage, je me permettais quelquefois de parler du bien qu'il faisait. Il semblait ne point faire attention à ces paroles de louanges; il ne répondait rien ou il faisait un simple mouvement qui indiquait que le souvenir de ses grandes misères était présent à sa pensée.

Ce qui le fatiguait le plus et ce qu'il me répétait sans cesse, c'est qu'il était un ignorant. Il avait aussi peur de passer pour plus pieux qu'il ne le croyait. Ce qui était pour lui l'occasion de beaucoup de gémissements; mais cependant, ainsi que je l'ai dit, il ne se décourageait pas. Je lui adressais les paroles convenables à la circonstance et il paraissait content.

Le Serviteur de Dieu ne parlait point de lui; si on l'interrogeait, il répondait avec une modestie qui commandait la réserve. Puis il coupait court pour tout ce qui le concernait.

Il souffrit beaucoup de voir, dans le commencement, son portrait, qu'il appelait son carnaval, s'étalant aux devantures des boutiques d'Ars. Il ne voulait pas le bénir; il ne voulait pas y apposer sa signature. A la fin, il céda aux importunités des pèlerins, et il ne leur refusa plus cette consolation.

Un certain nombre d'ecclésiastiques se plaignaient de la direction que Mr Vianney donnait aux personnes de leur paroisse qui allaient trouver le Serviteur de Dieu; ils en parlaient souvent entre eux. Un jour, un de ces ecclésiastiques osa lui dire en face qu'il ferait bien de se retirer du saint ministère. Mr Vianney lui répondit: 1214 Il y a longtemps que je demande à mes supérieurs la permission d'aller dans la solitude ou dans quelque ordre religieux. Si vous vouliez joindre vos instances aux miennes, nous pourrions réussir. Je tiens ce fait d'une personne digne de foi, et il me semble même me rappeler que le Serviteur de Dieu m'en a parlé.



Quoad Castitatem, testis respondit:

Je n'ai jamais rien entendu dire, qui pût faire soupçonner que le Serviteur de Dieu avait manqué en aucune manière à cette vertu. Tout dans lui annonçait l'estime qu'il en faisait. Ses rapports avec les personnes du sexe, quoique simples, étaient toujours dignes et très réservés. Il ne leur parlait qu'autant que cela était nécessaire. Tout le monde admirait sa haute vertu.



Interrogatus demum an aliquid sciret contrarium virtutibus supra dictis, respondit:

Non seulement je ne connais rien qui puisse ternir l'éclat des vertus dont je viens de parler, mais je n'ai que faiblement rendu ma pensée. Il me semble que jamais on ne pourra peindre complètement la manière dont il a pratiqué ces différentes vertus. Il me semble qu'il les a portées aussi loin qu'il est possible d'aller.



Juxta decimum nonum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Ma conviction profonde est que le Serviteur de Dieu a pratiqué toutes les vertus au degré héroïque. Pratiquer la vertu au degré héroïque est, à mon avis, la porter aussi loin que possible. J'estime que le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus de cette manière. Je n'ai pas pu toujours rendre mes impressions; les expressions me faisaient défaut. Ainsi que je l'ai insinué, je ne crois pas qu'il soit possible d'aller plus loin. Il a persévéré jusqu'à la mort dans la pratique des vertus héroïques. 1215 Je ne sache pas qu'il se soit relâché dans sa ferveur. Je ne connais absolument rien qui puisse ternir l'héroïcité de ses vertus. Je lis de temps en temps la vie des saints et je n'y trouve rien qui soit au dessus de ce que j'ai vu dans Mr le Curé d'Ars.





1217 Session 137 - 8 Février 1864 à 8h du matin

Juxta vigesimum Interrogatoriun, testis interrogatus respondit:

Le Serviteur de Dieu avait reçu des dons extraordinaires. Ma conviction intime est qu'il voyait et connaissait souvent ce qui se passait à distance. 1218 Un jeune prêtre de Yenne, âgé de vingt-sept ans, économe au petit séminaire du Pont-de-Beauvoisin, a été trouvé noyé dans le Rhône. Sa tante était alors à Ars. Mr le Curé lui dit: Allez-vous en, sans lui donner la raison. Cette femme lui répondit: Mais pourquoi m'envoyez-vous? Je n'ai pas encore terminé mes affaires. - Allez-vous en, reprit Mr Vianney. Elle partit de suite et arrivée chez elle apprit le malheur qui venait d'arriver. Quelque temps après, on demanda à Mr Vianney les causes de cet accident, il répondit que ce prêtre avait été victime. Plus tard, la montre du prêtre fut rendue à sa famille. Je tiens ce fait d'une religieuse de St Jospeh, cousine germaine du jeune prêtre.

J'ai entendu parler d'autres faits prouvant que le Serviteur de Dieu connaissait et voyait ce qui se passait à distance. Le jour de la bataille de Solferino, vingt-quatre Juin mil huit cent cinquante-neuf, Mr Vianney, contre son habitude, dit la messe à l'autel de la Ste Vierge. On fut surpris de cela. Une mère dont le fils faisait partie de l'armée d'Italie lui demanda si son fils était encore vivant. Oui, répondit-il, mais il y en a beaucoup qui sont morts.

J'ai pareillement entendu parler de nombreuses guérisons; mais je ne connais pas assez les détails pour citer les faits. Je rappellerai seulement que Mr Claude Viret de Couzances, diocèse de St Claude, m'a rapporté qu'il avait au cou une loupe dont il était fatigué depuis longtemps. Après avoir servi la messe de Mr Vianney, il eut la pensée de laver sa loupe avec l'eau dont le Serviteur de Dieu s'était servi au lavabo. La loupe disparut, sans l'application d'aucun autre remède.



Juxta vigesimum primum Interrogatorium, testis interrogatus (respondit) :

Je ne connais aucun écrit du Serviteur de Dieu. J'ai seulement cinq ou six lettres, que je n'ai pas ici, mais dont je donnerai communication dès qu'on le désirera.



Juxta vigesimum secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Voici ce que je sais concernant les derniers moments du Serviteur de Dieu. Le trente Juillet mil huit cent cinquante-neuf, de grand matin, se sentant fatigué, il me fit appeler pour le confesser. 1219 J'arrivais vers les cinq heures et demie; il avait toute sa connaissance et il la conserva jusqu'à la fin. Il me fit sa confession avec sa piété ordinaire, sans trouble et sans s'inquiéter de son mal. La crainte de la mort, qu'il avait manifestée si souvent et si vivement pendant sa vie, l'avait abandonné et avait complètement disparu. Depuis ce moment, la maladie fit de rapides progrès. Le Serviteur de Dieu jouissait d'un calme parfait, on n'entendait aucune plainte; on aurait dit qu'il ne souffrait pas. Les habitants d'Ars et les pèlerins entraient continuellement dans sa chambre pour lui faire bénir divers objets de piété et lui demander sa bénédiction. Il se prêtait très volontiers à ces pieux désirs, mais sans prononcer aucune parole. On ne voyait pas ses lèvres prononcer des prières, mais ses yeux étaient continuellement fixés vers le Ciel et faisaient croire qu'il était en contemplation. Je crois qu'il y avait alors chez lui quelque chose d'extraordinaire. Aux différentes questions qu'on lui adressait, il se contentait de répondre: Oui, ou non.

La maladie avait fait de tels progrès que le mardi deux Août vers trois heures du soir, je crus qu'il était prudent d'administrer au malade les derniers sacrements. Je ne sais s'il me demanda lui-même à les recevoir, mais ce que je me rappelle très bien, c'est que lorsque je lui en fis la proposition, il l'accepta avec empressement et avec joie. Je fis immédiatement tout préparer. Une vingtaine de prêtres, le cierge à la main, accompagnèrent le saint sacrement. Je donnai au malade la sainte communion et l'extrême onction. Il les reçut avec sa foi et sa piété ordinaire.

Le lendemain à trois heures je lui fis la recommandation de l'âme, en présence de plusieurs ecclésiastiques. C'était toujours le même calme et le même état de contemplation. Mgr l'Évêque de Belley vint le visiter vers sept heures du soir. Le malade sourit et remercia le prélat de sa charité et de son empressement. Mgr lui dit qu'il allait à l'église prier pour lui. Le malade sourit encore. C'est le seul moment où il parut sortir de son union avec Dieu. J'étais présent au moment de la visite de Monseigneur. La même nuit, à deux heures du matin, il rendit son âme à Dieu, sans agonie et après avoir reçu l'indulgence plénière.



Juxta vigesimum tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

1220 Le corps du Serviteur de Dieu fut placé dans un appartement de la cure, au rez-de-chaussée. Il y resta jusqu'au moment des funérailles. La nouvelle de sa mort se répandit comme l'éclair; le télégraphe la porta partout. Une foule nombreuse, venant de tous les côtés, se dirigea vers Ars. Il serait impossible de dire le nombre d'objets de piété qu'on fit toucher au corps du Serviteur de Dieu. Tous voulaient le voir et le vénérer. Cette nouvelle produisit partout un sentiment d'étonnement, de regrets et de consternation.

Les funérailles, qui eurent lieu le samedi matin six Août, furent présidées par l'Évêque diocésain. Une foule immense, accourue de tous les côtés, assista à cette cérémonie, qui fut plutôt un triomphe qu'un convoi funèbre. Chacun répétait: Le Saint est mort.



Juxta vigesimum quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Le corps du Serviteur de Dieu fut enseveli dans un caveau creusé au milieu de la nef de l’église. Une simple pierre recouvre son tombeau. La foule ne cesse de venir s'y agenouiller et solliciter quelques grâces particulières par sa puissante intercession. Il a fallu l'intervention de l'autorité diocésaine pour empêcher les fidèles de faire brûler des cierges ou de donner d'autres marques d'un culte public, tant la conviction de son éminente sainteté était profonde et universelle.



Juxta vigesimum quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je ne crois pas qu'aucun saint ait joui pendant sa vie d'une plus grande réputation de sainteté. Ce qui est vraiment étonnant, c'est que sans sortir de sa paroisse, le Serviteur de Dieu ait attiré chaque année, vers la fin de sa vie, jusqu'à quatre-vingt mille personnes. Chacun voulait posséder un objet qui lui eût appartenu en propre, ou qu'il eût béni de sa main. On poussait cette vénération jusqu'à s'emparer furtivement de quelques objets qui avaient été à son usage; quelquefois même on coupait quelques mèches de ses cheveux, ou quelques parcelles de ses vêtements. 1221 Ces marques de vénération n'émanaient pas seulement du commun des fidèles: les personnages les plus haut placés ne se montraient pas moins jaloux que les autres de donner ces marques de vénération au Serviteur de Dieu.

Cette réputation de sainteté, si bien acquise, n'a jamais rencontré aucun contradicteur; elle a été universelle et a persévéré jusqu'à la fin. Cette même réputation de sainteté, c'est-à-dire cette pensée qu'il est un saint, n'a point diminué après sa mort. Elle attire à Ars un concours incessant.

Quant à moi, je puis affirmer que pendant trente ans que j'ai connu le Serviteur de Dieu, je n'ai jamais rien vu qui ne fût excessivement édifiant. La sainteté éclatait dans ses paroles, dans ses actions, dans sa tenue, dans son regard et dans l'expression de sa figure. On peut dire qu'il était entouré d'une auréole de sainteté, qui faisait une impression aussi profonde sur les mauvais chrétiens que sur les personnes pieuses. Je ne pourrais exprimer à quel point il m'inspirait la vénération et le respect, et je puis dire que ma conviction est qu'il ne s'est jamais rendu coupable d'une faute grave. Il avait, d'après mon opinion, conservé la grâce du baptême, et cette grâce, il l'avait constamment augmentée par la sainteté éminente de sa vie.



Juxta vigesimum sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je ne connais personne qui ait jamais attaqué la réputation de sainteté dont je viens de parler.



Juxta vigesimum septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'ai entendu parler de plusieurs miracles opérés par l'intercession du Serviteur de Dieu depuis sa mort. J'ai entendu parler en particulier de la guérison miraculeuse d'un enfant de St Laurent-lès-Macon et d'une dame de Tain; mais je ne connais pas assez les détails.

1222 Une chose extraordinaire est à ma connaissance, c'est qu'on a recueilli du sang provenant de plusieurs saignées pratiquées sur le Serviteur de Dieu, plusieurs années avant sa mort, et que ce sang, au lieu de se coaguler, comme il arrive ordinairement, s'est conservé à l'état liquide et dans une parfaite limpidité. J'en conserve moi-même dans un flacon une petite quantité.



Juxta vigesimum octavum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai rien à ajouter à ma déposition.



Et expleto examine super Interrogatoriis, deventum est ad Articulos, super quibus testi lectis, dixit se tantum scire, quantum supra deposuit ad Interrogatoria, ad quae se retulit.

Sic completo examine, integra depositio jussu Rmarum Dominationum suarum perlecta fuit a me Notario a principio ad finem testi supradicto alta et intelligibili voce. Qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in eamdem perseverare, et illam iterum confirmavit.






Ars Procès informatif 1171