Ars Procès informatif 1225

TEMOIN XX – ABBE ETIENNE DUBOUIS – 10 mai 1864

1225 (1225) Session 138 – 10 mai 1864 à 3h de l’après-midi



Juxta primum interrogatorium, testis monitus de vi et natura juramenti et gravitate perjurii praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit :



Je connais parfaitement les obligations et la gravité du serment que je viens de prêter.



Juxta secundum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je m’appelle Etienne Dubouis, je suis né à Belmont (diocèse de Lyon) de parents chrétiens. Je suis prêtre et je remplis les fonctions de curé dans la paroisse de Fareins, diocèse de Belley. Je vis de mon traitement et du casuel de la paroisse.



Juxta tertium interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je me confesse ordinairement tous les quinze jours, et j’ai le bonheur de célébrer tous les jours la sainte Messe.



Juxta quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai jamais été recherché pour aucun délit, aucun crime, ni traduit devant aucun tribunal.



Juxta quintum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai jamais encouru aucune peine ni aucune censure ecclésiastique.



Juxta sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Personne ne m’a instruit de vive voix ou par écrit de ce que je devais déposer ou passer sous silence. J’ai parcouru rapidement les Articles ; mais je ne dirai que ce que j’ai vu ou entendu dire.



Juxta septimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



J’ai une grande affection pour (1227) le Serviteur de Dieu Jean-Marie Baptiste Vianney. Je désire vivement sa béatification ; mais en cela je n’ai en vue que la gloire de Dieu.



Juxta octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je sais seulement sur cet interrogatoire que les parents du Serviteur de Dieu étaient de très bons chrétiens. Je les ai vus à Ars, ils m’ont autant édifié par leur piété que le vénérable curé de cette paroisse. Ils étaient très charitables et avaient donné l’hospitalité au Bienheureux Labre.



Juxta nonum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



J’ai ouï dire que le Serviteur de Dieu était très pieux dans son enfance et que sa jeunesse avait été celle d’un saint.



Juxta decimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



J’ai entendu dire que de bonne heure il avait pensé au sacerdoce et que dès qu’il l’avait pu, il avait commencé ses études chez Mr Balley, curé d’Ecully.



Juxta undecimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



J’ai appris par différentes personnes qu’il avait été obligé par la conscription d’interrompre ses études. Il s’était rendu à Roanne où il tomba malade. Il édifia par sa piété, les personnes qui étaient dans l’hôpital. On aurait désiré le garder toujours et on s’offrait à le cacher. Dès qu’il fut rétabli il continua sa route et arriva au village des Noës. Le maire le prit sous sa protection. Monsieur Vianney s’occupait à instruire et à catéchiser les enfants. Tout le monde le regardait déjà comme un saint et une personne de ce village que je rencontrai l’année dernière me disait que le souvenir de sa piété y était encore vivant : aussi beaucoup d’habitants venaient le voir à Ars pour s’édifier et s’animer à la pratique de la vertu.



Juxta duodecimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Le Serviteur de Dieu continua (1228) ses études avec beaucoup de persévérance. Il était au grand Séminaire le con-chambrier de Mr Déclas, mon oncle. Il édifiait tous les séminaristes par sa piété, mais ne pouvant suivre le cours de théologie en latin, il fut obligé de venir chez Mr Balley où il étudia cette science en français. Lorsque je fus nommé curé de Fareins, mon oncle me dit : « Tu seras dans le voisinage d’un saint ; je connais beaucoup Mr Vianney, curé d’Ars ; il a été mon condisciple ».



Juxta decimum tertium interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je sais que Mr Vianney fut, après l’ordination à la prêtrise, nommé vicaire à Ecully et qu’il remplit avec de grands succès les fonctions qu’on lui avait confiées. Il attirait tous les regards par son éminente piété.



Juxta decimum quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Il fut nommé curé d’Ars vers mil huit cent dix-huit. Cette paroisse avait été fort négligée, comme toutes les paroisses des Dombes, pendant et après la révolution. Il y régnait beaucoup d’abus. On y fréquentait peu les sacrements et beaucoup les cabarets. Les danses y étaient en grand honneur et le travail du dimanche n’était presque plus regardé comme un scandale. Pour détruire ces abus, le Serviteur de Dieu eut recours à la prière, à la prédication, à la pénitence. Il chercha par sa grande charité à gagner les coeurs de ses paroissiens pour les convertir plus facilement.



Juxta decimum quintum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Il existe à Ars plusieurs confréries : les confréries du Rosaire, du Saint Sacrement, du Sacré-Coeur de Jésus, du scapulaire, du Saint Coeur de Marie. Je ne sais si le Serviteur de Dieu a établi lui-même les confréries du Rosaire et du Saint Sacrement, mais il a été le fondateur des autres, et a donné à toutes une très vive impulsion. Elles étaient très florissantes et faisaient beaucoup de bien.



Il établit une école gratuite pour les jeunes filles orphelines d’Ars et des environs. Cette école fut plus tard dirigée par les Soeurs de Saint Joseph et devint seulement gratuite pour les filles de la paroisse. Il fonda aussi une école gratuite pour les jeunes garçons et en confia la direction aux Frères de la Sainte Famille de Belley. (1229) Il compta pour ces différentes oeuvres sur la Providence qui ne lui fit jamais défaut. Elles eurent les meilleurs résultats.



Juxta decimum sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je déclare qu’il est à ma connaissance que le Serviteur de Dieu a constamment observé les commandements de Dieu et de l’Eglise ; qu’il a rempli d’une manière héroïque tous ses devoirs de prêtre et de curé et qu’il n’a négligé aucune des oeuvres qu’il avait établies. Il a persévéré jusqu’à la mort dans l’accomplissement de toutes ses obligations et je ne sache pas qu’il ait jamais manqué d’accomplir les commandements de Dieu et de l’Eglise et les devoirs de son état. J’ai pu m’en assurer par moi-même, je le voyais à peu près tous les mois.



S’il s’absenta quelquefois de sa paroisse pour aider ses confrères pendant les missions et les jubilés, ce fut pour suivre les conseils de son évêque et pour contribuer davantage au salut des âmes. Sa paroisse ne souffrit jamais de ses absences parce qu’il s’entendait avec un confrère du voisinage pour la surveiller et en prendre soin.



Il essaya deux fois de quitter sa paroisse parce qu’il se regardait comme un pauvre curé, parce qu’il redoutait le compte qu’il aurait à rendre et parce qu’il voulait pleurer dans la solitude ses vieux péchés. Il n’avait pas l’intention de désobéir à son évêque ; il espérait qu’on lui accorderait, lorsqu’il serait loin de sa paroisse, une permission qu’on lui avait jusque là refusée.



Juxta decimum septimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je sais que le Serviteur de Dieu dans les commencements de son ministère à Ars a essuyé des contradictions, des menaces, des persécutions, mais je ne saurais rien préciser. Il n’avait point donné lieu à tous ces mauvais procédés. Il les supporta avec patience et dans toutes les occasions, il se plaisait à combler tout le monde de bienfaits.



Juxta decimum octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Le Serviteur de Dieu a pratiqué jusqu’à la mort les vertus chrétiennes avec une persévérance qui ne se lassait jamais.



Quoad fidem, testis respondit : J’ai appris de Mr Vianney lui-même qu’étant tout jeune il avait une grande dévotion à la Sainte Vierge ; il possédait une petite (1230) statue de la Mère de Dieu ; il la portait dans les champs, il la plaçait devant lui pour la vénérer et s’encourager au travail. Il aimait beaucoup la prière : quand il était seul, il priait tout haut et quand il était en compagnie, il priait à voix basse. J’ai parlé de la vivacité de sa foi pendant son séjour aux Noës, à Roanne et au grand Séminaire. Les directeurs ne savaient s’ils devaient l’admettre aux saints Ordres parce qu’ils ne trouvaient pas en lui la science nécessaire. Mr Balley les rassura en leur disant : « Il est très pieux, il fera honneur au sacerdoce. »



Les habitants d’Ars remarquèrent dès l’arrivée de Mr Vianney sa foi et sa piété ; il passait à l’église la plus grande partie de la journée. Quand il disait le saint office il fixait souvent sur le tabernacle en souriant, ses yeux qui parfois se mouillaient de pleurs. J’ai été moi-même plusieurs fois témoin de ce fait. Il priait avec plus de ferveur et plus longtemps lorsqu’il avait quelque grâce particulière à demander. Il recommandait à ses paroissiens de faire comme lui et de frapper souvent à la porte du tabernacle. Il attachait une grande importance à la prédication et pour la rendre plus fructueuse il la préparait à l’église.



Il engageait beaucoup ses paroissiens à visiter le Saint Sacrement. Peu de paroisses ont offert un si grand nombre d’adorateurs. Il tâcha aussi d’établir la communion fréquente, et il eut la consolation de réussir. Par son zèle il obtint la suppression des deux cabarets qui existaient et la cessation du travail du saint jour du dimanche : c’est une des plus grandes victoires qu’il ait remportées.



Il avait une grande horreur pour la danse. Il pleurait et priait beaucoup pour les danseuses, et il parvint à supprimer cet amusement dangereux.



J’ai parlé du zèle qu’il mit à assister aux missions et aux jubilés. Ce fut en prêchant et surtout en confessant dans les paroisses voisines qu’il se fit connaître. A la mission de Trévoux son confessionnal était assiégé jour et nuit ; il faillit être brisé. On vint se confesser à Ars. Ainsi commença le pèlerinage, qui plus tard devint si considérable.



Il s’efforça de décorer son église autant qu’il le pouvait, de se procurer les ornements les plus riches et les vases sacrés les plus beaux. Il chercha à donner au culte extérieur tout l’éclat possible et surtout à la procession du Saint Sacrement.



(1231) Il célébrait la sainte messe avec de grands sentiments de foi ; il versait souvent des larmes et beaucoup de personnes étaient plus attendries en le voyant au saint autel qu’en l’entendant prêcher. Il était si pénétré de la Présence Réelle, qu’il ne faisait presque pas d’instructions sans en parler dans des termes qui indiquaient la vivacité de sa foi et impressionnaient vivement les auditeurs.



(1233) Session 139 – 11 mai 1864 à 9h du matin



Et prosequendo decimum octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Toutes les fois que le Serviteur de Dieu parlait du sacerdoce, il s’efforçait d’en donner la plus haute idée à ses auditeurs. Mais quand il avait à parler du ciel, son regard s’illuminait d’une manière particulière ; il versait des larmes et il impressionnait vivement son auditoire. Quant à (1234) moi, j’étais plus frappé de ses catéchismes que de toutes les instructions que j’avais entendues. J’ai plusieurs fois regretté de ne pouvoir m’y rendre plus souvent. Un jour je conduisis à Ars le curé d’une des grandes paroisses de Lyon. Nous assistâmes au catéchisme de Mr Vianney. En sortant, il me dit : « J’ai plus profité de ce catéchisme que des instructions données à ma paroisse pendant huit jours par un prédicateur. Je viens au moins d’entendre des pensées mères. »



Mr Vianney parlait souvent dans ses catéchismes de la beauté d’une âme en état de grâce. Il la montrait comme tout embaumée des parfums du Ciel. Il serait difficile, pour ne pas dire impossible, aux plus habiles prédicateurs de donner une plus haute idée de la sainteté et de la beauté d’une âme en état de grâce. Il aimait à se servir des plus gracieuses comparaisons pour mieux faire comprendre ses pensées.



La prière était un des sujets qu’il traitait le plus souvent. Selon lui, l’homme est un pauvre qui a besoin de tout demander à Dieu. Il priait lui-même avec tant de ferveur que tous ceux qui l’entendaient ou le voyaient en étaient vivement touchés. Tout dans lui annonçait alors son union intime avec Dieu. C’était ce qui frappait le plus les étrangers, comme plusieurs me l’ont dit.



Il recommandait de recourir à la prière dans toutes les tentations, les croix et les autres peines de la vie ; lui-même en donnait l’exemple. Quand il avait quelques peines, il allait prier au pied du Saint-Sacrement, à l’autel de la Sainte Vierge, ou de Sainte Philomène. A mon avis le Curé d’Ars semble avoir pratiqué à la lettre ces paroles de l’Ecriture : Justus meus ex fide vivit.



En mil huit cent quarante-trois, le Serviteur de Dieu fit une très grave maladie. On lui avait administré les derniers sacrements et on n’avait plus d’espérance de le conserver. On me pria, le lendemain de l’administration des derniers sacrements, de dire la messe pour lui à l’autel de Sainte Philomène. Avant de la commencer (1235) j’allai le voir et lui annonçai à quelle intention j’allais offrir le Saint Sacrifice. Il me remercia avec un regard où se peignait la reconnaissance. Au moment où je lisais les paroles de l’introït, j’ai entendu comme une voix intérieure qui me disait : le Serviteur de Dieu va être glorifié. A ce moment le danger disparut, et plus de vingt fois Mr Vianney m’a dit : « Je vous remercie, j’ai été guéri pendant votre messe. »



Quoad spem, testis respondit :



Au sujet de l’Espérance, je n’ai rien de particulier à déposer sur les premières années du Serviteur de Dieu. Je puis dire cependant d’après le témoignage de mon oncle qui avait été son con-chambrier au grand séminaire, qu’au milieu des peines et des épreuves de tout genre l’espérance chrétienne avait constamment accompagné et soutenu le Serviteur de Dieu.



Lorsqu’il eut été nommé à la cure d’Ars, il s’efforça de faire tout ce que son zèle lui inspira pour sauver les âmes qui lui étaient confiées. Il avait reçu de Dieu un don tout particulier pour consoler les âmes affligées. Ce que d’autres n’auraient pu faire par de longs discours, le Curé d’Ars l’opérait souvent par un seul mot. Je puis dire que tous sortaient d’auprès de lui avec des pensées plus sereines ; ils se sentaient capables de supporter avec plus de courage les peines de la vie et étaient portés à un plus grand amour pour Dieu. En l’entendant, les pécheurs les plus endurcis se sentaient touchés et un très grand nombre ont trouvé auprès de lui leur conversion. Mr Vianney regardait le péché comme l’unique mal de l’homme. Il montrait le coeur des pécheurs comme un enfer plein de démons. L’ombre d’un péché véniel l’épouvantait. Un jour il brûla par mégarde un billet de banque de 500 francs.



(1236) Il me dit : « Je viens de faire des cendres qui sont bien chères : j’ai brûlé un billet de banque de cinq cents francs. Oh ! ajouta-t-il, il y a moins de mal que si on avait commis un péché véniel. »



En travaillant incessamment au salut des âmes, le Serviteur de Dieu ne négligeait pas la sienne. J’ai remarqué que son ardeur pour sa sanctification allait croissant avec les années. Dans le commencement, le ministère, dans une petite paroisse, l’occupait peu, il passait le jour et une partie de la nuit dans la méditation, les visites au Saint-Sacrement, la lecture de la vie des saints. Etant plus tard comme absorbé par le pèlerinage, il diminuait son sommeil et ses récréations pour avoir plus de temps à donner à la prière. Il me disait un jour : « En vingt minutes, j’ai pris mon repas, lu plusieurs lettres et fait un petit sommeil. » Il rentrait immédiatement à l’église. On voyait du reste qu’il était comme pressé de rentrer dans son centre, le salut des âmes et l’union avec Dieu.



Dieu permit qu’il fût en butte à différentes tentations et peines intérieures. Il fut en particulier persécuté d’une manière sensible par le démon. C’était du moins sa persuasion intime et l’opinion générale des habitants d’Ars et des paroisses voisines. Je m’avisai un jour de lui demander depuis quelle époque il avait éprouvé ce genre de tentation. « C’est à Montmerle pendant le jubilé que le démon a commencé ses premières attaques en faisant rouler mon lit autour de la chambre. » Dans d’autres entrevues avec le Serviteur de Dieu, il m’a rappelé les bruits, les cris, les paroles, les menaces de celui qu’il appelait le Grappin. Je lui disais : « Mais vous n’avez pas peur ? – Oh ! je m’y habitue, et il ne peut rien sans la permission de Dieu. »



J’ai déjà rappelé les contradictions auxquelles il fut en butte au commencement de son ministère à Ars. Elles ne le découragèrent pas. Il en fut de (1237) même des peines intérieures qu’il éprouva. Il ne se croyait bon à rien ; il se voyait sans intelligence, sans vertu. Il rappelait souvent ce qu’il nommait ses vieux péchés qu’il voulait aller pleurer dans la solitude avant de mourir. « Dieu, disait-il souvent, m’a fait cette grande miséricorde de ne rien mettre en moi sur quoi je puisse m’appuyer. » La charge des âmes lui paraissait un fardeau trop pesant à mesure qu’il avançait en âge et qu’il croyait voir de près la mort et les jugements de Dieu. Il redoutait de mourir curé. C’est pour cela, comme je l’ai dit, qu’il voulut quitter sa paroisse. Mais ce qui m’a toujours frappé, c’est qu’au milieu de ses peines, il ne se soit jamais laissé aller au découragement, et qu’il ait constamment suivi le genre de vie qu’il avait embrassé. Il m’a parlé souvent des grands avantages que l’on trouverait dans la solitude pour se préparer à la mort ; il parlait des ecclésiastiques engagés dans le saint ministère.



Quoad caritatem, testis respondit :



Ce qui m’a le plus frappé dans le Serviteur de Dieu relativement à la charité, c’est sa dévotion envers le Saint-Sacrement. Il l’aimait et le faisait aimer. La visite au Saint-Sacrement, la sainte Communion ont été les plus puissants moyens qu’il ait employés pour régénérer sa paroisse. Il profitait de toutes les circonstances pour ramener la pensée de ses auditeurs et de ses paroissiens sur la divine Eucharistie. S’il apprenait quelque scandale, ou quelque profanation, il en faisait ressentir toute l’horreur et faisait faire des amendes honorables. Il s’inquiétait vivement des irrévérences qui se commettaient dans le lieu saint, même de la part des enfants. Il rappelait souvent combien nous sommes heureux d’avoir sans cesse Notre Seigneur au milieu de nous et il disait fréquemment dans ses catéchismes en montrant avec (1238) un geste expressif le saint tabernacle : « Il est là celui qui nous aime tant ; pourquoi ne l’aimerions-nous pas ? » Il comparait un coeur qui n’aime pas Notre Seigneur à un morceau de glace qui ne peut rien produire. Pour montrer qu’on ne devait jamais se lasser d’être auprès du Saint Sacrement, il citait avec complaisance le trait suivant. Un homme de la campagne passait de longues heures au pied des saints autels. « Que pouvez-vous faire à l’église pendant un temps si considérable ? - je vois Dieu, dit-il, et Dieu me voit. » Le Curé d’Ars savait admirablement commenter ces belles paroles. Il trouvait qu’il n’y avait jamais rien de trop beau pour le bon Dieu. C’est la réponse qu’il me fit lorsque je le félicitais d’avoir fait faire un magnifique ornement.



Je n’ai pas été moins frappé de la manière dont il savait parler de Dieu dans ses courtes récréations. Presque toutes ses paroles avaient pour but de faire aimer Dieu et de déplorer le malheur de ceux qui n’aiment pas Dieu. On sentait que la bouche parlait de l’abondance du coeur.



Ceux qui avaient le bonheur de s’adresser à lui pour la confession sentaient en lui l’homme de Dieu. Quand il parlait de l’amour de Dieu, de la malice du péché, on était entraîné malgré soi. De nombreuses conversions ont été le résultat des courtes exhortations que Mr Vianney faisait à ses pénitents. Quelques ecclésiastiques d’un diocèse voisin blâmaient un peu la direction du Serviteur de Dieu. Un juge de paix qui se trouvait présent et qui s’était adressé pour la confession à Mr Vianney, leur dit : « Ce que je puis vous dire, Messieurs, c’est que lorsque l’on va à Ars, Mr le Curé pleure, on pleure avec lui ; ça n’arrive pas partout. » La pensée de Dieu et le sentiment de son amour étaient habituels à Mr Vianney, au milieu (1239) même des occupations sans nombre qui l’accablaient, de la foule qui le pressait et des importunités dont il était l’objet.



(1241) Session 140 – 11 mai 1864 à 3h de l’après-midi



Et prosequendo decimum octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Dès mon arrivée dans la paroisse de Fareins en mil huit cent trente-quatre, j’entendis plusieurs personnes recommandables me parler avec une sincère admiration du désintéressement de Mr Vianney et de son immense charité, (1242) non seulement pour ses paroissiens, mais encore pour toutes les personnes qui recouraient à lui. Avant l’établissement du pèlerinage, il faisait de fréquentes visites à ses paroissiens, les entretenait de leurs intérêts spirituels et même temporels. De la sorte il les gagnait tous. Quand le pèlerinage fut établi et qu’un grand nombre de personnes vinrent le trouver, il ne mit plus de bornes à son zèle. Il se levait ordinairement à une heure du matin pour entendre les confessions et ce rude labeur durait jusqu’à la nuit sans autre interruption que le temps nécessaire pour dire la sainte messe, réciter son office et prendre son léger repas de midi. J’ai entendu répéter souvent que son seul chagrin était de voir périr des âmes. Aussi faisait-il tout ce qu’il pouvait pour les sauver. Il n’épargnait ni les instructions, ni les exhortations, ni les prières, ni même les jeûnes et les mortifications. Un prêtre lui disait un jour : « On dit que vous donnez de légères pénitences à de grands pécheurs. - Un confesseur doit en faire une partie » répondit-il à son interlocuteur.



Son ardent désir de sauver les âmes lui a fait fonder l’oeuvre admirable des missions et il a consacré à cette oeuvre qu’il mettait en première ligne, presque toutes les ressources mises à sa disposition. Un curé d’une pauvre paroisse du diocèse m’avait prié de demander à Mr Vianney une somme d’environ quatre vingts francs pour l’acquisition d’une bannière ou d’une statue. « Oh ! non, je ne le puis pas, me répondit-il lorsque je lui en fis la proposition ; toutes mes ressources sont destinées à l’oeuvre des missions. On trouvera assez de personnes pour acheter des bannières ou des statues ; mais le salut des âmes par les missions doit être préféré. »



Je sais que Mr Vianney se faisait un bonheur de rendre service à ses confrères quand ils le lui demandaient. Je ne l’ai vu qu’une seule fois dans ma paroisse, c’était en mil huit cent trente-sept, le Jeudi Saint. Une pauvre femme atteinte d’une maladie cancéreuse désirait (1243) avant de mourir avoir la consolation de parler au Serviteur de Dieu. Je lui écrivis un petit billet pour lui manifester le désir de la malade. Il partit aussitôt, mais il s’égara et arriva tout couvert de boue et accablé de fatigues. Il ne voulut rien accepter, pas même un verre d’eau. Il avait déjà une telle réputation de sainteté que mes paroissiens sortaient en foule pour le voir. Après avoir consolé et béni la malade, il se hâta de rentrer dans sa paroisse sans vouloir accepter une voiture.



Le Serviteur de Dieu avait un grand amour pour les pauvres. Afin d’avoir de l’argent à leur donner, il a vendu des meubles, des livres de sa bibliothèque, des vêtements et son camail de chanoine. Il ne savait pas refuser quand on sollicitait sa charité. Des pauvres m’ont dit : « Mr le Curé d’Ars nous donnait toujours ; il donnait peu quand il avait peu, mais il donnait beaucoup quand il avait des ressources. » J’ai peu de détails précis à fournir sur la charité corporelle. Quant à sa Providence, il y consacrait toutes les petites ressources de son patrimoine, de son casuel et de son traitement. Les orphelines qui étaient reçues dans l’établissement y trouvaient l’éducation chrétienne et les différentes choses nécessaires à la vie. Le bon Curé comptait sur la Providence divine qui ne lui fit pas défaut.



Quoad prudentiam testis respondit :



Sur les premières années du Serviteur de Dieu je ne puis que répéter ce que j’ai entendu dire à plusieurs personnes, qu’il avait toujours donné le bon exemple et s’était attiré la réputation d’un saint. Dans ses catéchismes, il aimait à dire que le salut est facile aux personnes de la campagne. Il leur apprenait pour cela à prier en travaillant. Il rappelait combien il avait été (1244) heureux lui-même d’avoir contracté l’habitude de la prière tout en se livrant aux travaux de la campagne.



Le Serviteur de Dieu chercha toujours à fuir la singularité. Sa piété était douce et facile ; on admirait sa modestie et sa réserve dans les oeuvres qu’il entreprenait.



J’ai déjà dit qu’il avait rencontré de grandes épreuves au sujet de sa vocation à l’état ecclésiastique. Je sais par le témoignage de personnes dignes de foi que rien ne put ralentir son ardeur et que malgré le peu de succès il continua à se livrer à un travail infatigable.



Dès qu’il fut prêtre on le plaça comme vicaire dans la paroisse d’Ecully auprès de son ancien maître. Les paroissiens qu’il avait déjà édifiés pendant le cours de ses études le virent arriver avec bonheur. On ne tarda pas à admirer son zèle éclairé et prudent ; aussi ils s’empressèrent de recourir à lui pour lui demander conseil et pour lui confier la direction de leur âme. Il a laissé dans cette paroisse un souvenir des plus belles vertus sacerdotales.



J’ai déjà dit d’après le témoignage des habitants d’Ars ce qu’il avait fait pour déraciner les abus et introduire les habitudes de piété. Je sais qu’il n’entreprenait jamais une oeuvre de quelque importance sans recourir auparavant à la prière et à la mortification. On m’a assuré qu’il n’aurait pas travaillé à la conversion d’un grand pécheur sans employer ce double moyen. On disait même à Ars que l’on connaissait quand il arrivait quelque grand pécheur au redoublement de ferveur qu’on remarquait dans le Serviteur de Dieu. Le désir de procurer la gloire de Dieu et la sanctification des âmes le porta (1245) à faire du dimanche le jour du Seigneur. C’était un vrai bonheur que de se trouver à Ars un jour de dimanche ou de fête. On peut dire que l’église ne désemplissait pas. Trois fois la cloche appelait les fidèles dans le lieu saint et trois fois les fidèles répondaient à cet appel : le matin, pour la messe ; à une heure, pour le catéchisme, les vêpres et le chapelet ; le soir, pour la prière et l’instruction. A la messe il avait déjà fait une première instruction.



Dans le commencement, Mr Vianney préparait avec un grand soin ce qu’il avait à dire à ses paroissiens ; il l’écrivait, l’apprenait de mémoire. Ce travail lui coûtait beaucoup, et malgré cela il lui consacrait ses loisirs afin de traiter plus convenablement la Parole de Dieu. Plus tard la grande affluence des pèlerins qui réclamaient son ministère ne lui permit plus une préparation aussi régulière ; mais Dieu ne manqua pas de bénir la bonne volonté de son serviteur, et les paroles qu’il prononçait, grâce à son air de sainteté et à son accent pénétré, allaient au fond du coeur et produisaient les plus heureux fruits.



Le grand ministère du Curé d’Ars depuis l’établissement du pèlerinage a été celui de la confession. Il a eu des milliers de personnes chaque année à diriger. Généralement, toutes ces personnes étaient très satisfaites des paroles que Mr Vianney leur avait adressées, et presque toutes quittaient Ars avec le désir d’y revenir.



On comptait aussi tellement sur la prudence et les lumières du Serviteur de Dieu qu’on venait le consulter de tous côtés, pour toute espèce d’affaires, mais principalement pour celles qui regardent le salut. Je sais qu’un très grand nombre de personnes ont été très heureuses en suivant ses conseils.



(1246) Je puis affirmer que Mr Vianney était très prudent dans ses conversations. Au sujet de l’apparition de la Sainte Vierge sur la montagne de la Salette, lorsqu’il eut vu Maximin, il fut très réservé et ne se prononça plus en public. Quand on le pressait trop sur cette question, il se contentait de dire : « Prions bien la Sainte Vierge, elle peut nous exaucer partout. »



Les épreuves auxquelles il fut en butte ne le découragèrent pas et servaient comme de contrepoids aux témoignages de respect et de vénération dont il se voyait journellement entouré. Il me disait un jour : « J’ai vu aujourd’hui une grande dame de Paris qui m’a bien dit mes vérités. - J’étais venue, disait-elle, pour entendre bien prêcher, mais on prêche bien mieux ailleurs, etc. – C’est bien vrai, Madame, je suis bien peu savant ; mais si vous faisiez bien tout ce que je vous dis, le bon Dieu aurait encore pitié de vous. »



Quoad justitiam, testis respondit :



Le Serviteur de Dieu remplit toujours tous ses devoirs envers Dieu, et non content d’accomplir les préceptes il s’efforçait de pratiquer les conseils évangéliques. Je n’ai jamais connu une copie plus vraie du divin Maître, qui passait en faisant le bien. Il était plein d’égards et d’attention pour tout le monde ; il semblait cependant avoir une prédilection pour les pécheurs, les pauvres et les malheureux. Sa politesse était pleine de charité et de cordialité ; les étrangers qui avaient le bonheur de converser avec lui en étaient enchantés. Il n’oubliait aucun des égards que l’on doit au rang, à la position, à la (1247) dignité ; mais pour lui, quand il était l’objet d’une attention particulière de la part de ceux qui le visitaient ou qui l’entouraient, on le voyait embarrassé et chercher à détourner ces marques de respect.



(1249) Session 141 – 12 mai 1864 à 9h du matin



Et prosequendo decimum octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je puis attester que sa reconnaissance égalait sa politesse. Dans son enfance, il fut toujours très soumis à ses parents et dans sa jeunesse on ne le surprit jamais manquant au règlement des maisons ecclésiastiques dans lesquelles il achevait ses études. Sa reconnaissance envers (1250) Mr Balley son bienfaiteur fut toujours vive et sentimentale ; elle se traduisait par des expressions qui montraient combien son coeur était pénétré d’une profonde affection et d’une gratitude respectueuse. Il ne recevait jamais aucun service, quelque petit qu’il fût, sans manifester combien il était touché des attentions et des bontés qu’on avait à son égard.



Quoad obedientiam, testis respondit :



Son respect et son obéissance envers les supérieurs ecclésiastiques étaient sans bornes. Il n’en parlait qu’en des termes qui annonçaient qu’il voyait en eux les représentants de Dieu à qui il obéissait dans leurs personnes. S’il eut la pensée plusieurs fois de quitter sa paroisse, ce ne fut que dans l’espérance d’obtenir la permission de l’évêque diocésain.



Quand il parlait du Souverain Pontife, on voyait dans son regard, dans ses paroles et dans tout son extérieur son respect, sa vénération et sa soumission toute filiale au vicaire de Jésus Christ. Il donnait de grandes démonstrations de joie et de bonheur, lorsqu’on lui présentait quelque objet béni par le Souverain Pontife.



Quoad religionem, testis respondit :



Rien de tout ce qui touche à la Religion et peut en réveiller le sentiment dans les âmes, n’était petit aux yeux de Mr Vianney. Il aimait les croix, les chapelets, les scapulaires, les médailles, etc., et surtout les reliques. Il engageait ses paroissiens et les fidèles avec lesquels il était en rapport à se munir de ces objets pieux et à en placer dans leurs maisons et il leur en fournissait souvent le moyen en les donnant lui-même. Il mit un grand zèle à enrichir son église d’un grand nombre de reliques. Il les avait tant en estime que lorsqu’on lui présenta la croix d’honneur, renfermée dans une magnifique (1251) boîte, il l’ouvrit avec empressement, croyant y trouver des reliques. Il me disait : « Quand j’ai vu que ce n’était que ça, je l’ai donnée à Mr Toccanier. »



La dévotion de Mr Vianney envers le Très Saint Sacrement fut toujours très tendre et exemplaire. Il disait ordinairement son bréviaire à genoux devant le Saint-Sacrement et la vue de son profond respect excitait la foi et la piété de ceux qui le voyaient. Plusieurs personnes m’ont assuré avoir été attendries jusqu’aux larmes en le voyant ainsi prier, ou en assistant à sa messe.



Dès sa plus tendre enfance jusqu’au dernier jour de sa vie, il eut une très grande dévotion envers la Sainte Vierge. Il s’efforça toujours pendant son ministère de l’inspirer aux fidèles. Il disait : « Si les protestants honoraient la Sainte Vierge, ils seraient bientôt convertis. Qu’ils sont malheureux de n’avoir point de Mère ! » Dans sa paroisse, toutes les fêtes de la Sainte Vierge, même celles qui tombaient sur semaine étaient solennisées comme les fêtes d’obligation. Longtemps avant la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception, il s’appliqua à exciter la piété des fidèles envers ce mystère, en distribuant des images, des médailles et en invitant à recourir à Marie Immaculée. Lorsque le dogme fut proclamé, sa joie fut vive et publique. Le jour de la fête, son église fut illuminée, ainsi que toutes les maisons de sa paroisse. Il fit confectionner un magnifique ornement en mémoire d’un fait si glorieux pour l’Eglise.



Mr Vianney vénérait aussi d’une manière particulière le Saint Coeur de Marie. Il le regardait comme une des plus grandes ressources pour la conversion des pécheurs. La paroisse d’Ars fut une des premières agrégée à l’archiconfrérie du Saint Coeur de Marie.



Il avait aussi une grande dévotion envers les saints, (1252) qu’il entretenait par une lecture assidue de leur vie, où il trouvait mille traits qui rendaient ses catéchismes et ses instructions si intéressants. Il avait cependant une prédilection pour quelques-uns, par exemple Saint Joseph, Saint Jean-Baptiste, Saint Louis de Gonzague, etc., mais surtout pour Sainte Philomène ; il peut être regardé comme l’un des premiers propagateurs de son culte en France. Il fit bâtir une chapelle en son honneur dans son église, il y disait souvent la messe. Lorsqu’il avait des grâces particulières à demander, il s’adressait à elle et lui renvoyait aussi ceux qui avaient des faveurs célestes à obtenir. Il lui attribuait généralement les grâces extraordinaires que l’on obtenait à Ars. Et lui-même revenu à la santé après une grave maladie, regardée comme mortelle, faisait honneur à Sainte Philomène de sa prompte guérison.



Mr Vianney parlait souvent des âmes du purgatoire et invitait les fidèles à les soulager ; lui-même montra son zèle en fondant dans plusieurs paroisses à perpétuité des neuvaines de messes pour leur soulagement.



Quoad fortitudinem, testis respondit :



Le Serviteur de Dieu a fait preuve d’une grande force en persévérant jusqu’à sa mort dans le genre de vie qu’il s’était imposé pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Au milieu de ses peines et de ses tribulations on ne vit pas son courage et sa constance faiblir ; on les vit au contraire redoubler d’énergie.



Je sais que Mr Vianney avait des infirmités qui le faisaient souffrir. Il m’a parlé quelquefois de ses douleurs d’entrailles ; mais jamais on ne le surprit donnant la moindre marque d’impatience. Ses nuits étaient (1253) souvent douloureuses et sans sommeil, et il ne s’en plaignait pas. Son ministère était absorbant du matin au soir, du premier jour de la semaine au dernier ; il était toujours à l’église, remplissant les fonctions de son ministère, au confessionnal, en chaire, entouré d’une foule souvent indiscrète qui le pressait, l’interrogeait, et toujours et envers tous, il était d’une patience admirable.



Les contradictions, les persécutions même n’altérèrent jamais sa patience. Au contraire, il ne répondait aux mauvais procédés que par plus d’affection et de charité. Mgr Devie m’ayant un jour chargé de demander confidentiellement à Mr Vianney s’il ne verrait pas avec trop de peine le changement de l’ecclésiastique qui lui prêtait son concours et que l’on disait être un peu dur à son égard, il répondit : « Oh ! que Monseigneur ne me l’enlève pas : il n’y a que lui qui puisse me dire mes vérités. »



La patience de Mr Vianney est d’autant plus admirable qu’elle n’était point l’effet du tempérament ; il était d’un naturel vif et très sensible. Cependant au milieu des foules qui sans cesse le harcelaient, on ne surprit jamais sur son visage la moindre trace d’impatience.



Quoad temperantiam, testis respondit :



La mortification du Serviteur de Dieu a été si extraordinaire qu’elle a fait l’étonnement et l’admiration de toutes les paroisses voisines et des nombreux étrangers qui en ont été témoins.



Sa nourriture dans le commencement de son ministère était très frugale, (1254) pour ne pas dire très sévère. Elle consistait selon le témoignage public en quelques pommes de terre cuites à l’eau un jour de la semaine pour tous les autres jours. Je lui disais un jour : « Mr le Curé, on dit que vous êtes resté une semaine sans rien prendre. – Oh ! mon ami, on vous a trompé : je ne suis resté que deux jours. »



Plus tard, sa santé s’affaiblissant et le pèlerinage absorbant tous ses moments, Mgr Devie lui ordonna d’adoucir son régime trop sévère et en particulier de prendre quelque chose le matin. Il me disait un jour : « Maintenant que je suis obligé de prendre quelque nourriture plus fortifiante, je suis moins à mon aise quand je vais me confesser. »



J’ai vu plus d’une fois sa chambre et son lit ; tout y annonçait un homme pauvre et mortifié. Son lit consistait en une simple paillasse, sur laquelle quelquefois même on dit qu’il mettait une planche ; son traversin était également rempli de paille. On m’a assuré qu’il se donnait souvent la discipline et qu’on avait trouvé dans sa chambre des instruments de pénitence tachés de sang.



Sa mortification était tellement habituelle qu’il ne prenait aucune précaution contre le froid en hiver et la chaleur en été. Je lui demandai un jour comment il pouvait rester si longtemps au confessionnal par un froid rigoureux sans rien prendre pour se réchauffer les pieds : « C’est pour une bonne raison : depuis la Toussaint jusqu’à Pâques, je ne sens pas mes pieds. »



(1257) Session 142 – 12 mai 1864 à 3h de l’après-midi



Et prosequendo decimum octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Le Serviteur de Dieu aimait tellement la pauvreté qu’il ne tenait à rien de ce qui excite la convoitise ici-bas. Il se dépouillait de tout pour secourir les pauvres, ou même pour faire plaisir. Il avait dans sa chambre si pauvre et si dénuée un certain nombre d’ouvrages (1258) dont il se serait défait, s’ils n’avaient pas été un souvenir de Mr Balley, son ancien maître. Il me dit un jour : « J’ai vendu mon lit, et quand je mourrai, j’aurai la consolation de mourir sur un lit qui ne m’appartient pas. »



Les meubles de sa chambre étaient d’une très grande simplicité et l’on voit encore une écuelle en terre dont il se servait dans ses repas et qui est un sujet d’édification pour les visiteurs. Un hérétique de ma paroisse me disait dernièrement : « Je viens d’Ars, l’écuelle de Mr le Curé m’a vivement touché. » Cette écuelle sera probablement l’une des causes de sa conversion.



Son esprit de pauvreté se faisait remarquer aussi dans ses vêtements. Une soutane d’un drap grossier et qu’il ne quittait que lorsqu’elle tombait en lambeaux, lui suffisait. Je ne lui ai jamais vu ni manteau, ni autres vêtements supplémentaires même dans les temps les plus rigoureux.



Il n’estimait l’argent que comme moyen de faire de bonnes oeuvres. Aussi, lorsqu’il en avait, il se hâtait de le dépenser en oeuvres pies. Il nommait l’argent une poussière dangereuse. Un ecclésiastique du diocèse de Lyon lui demandant un jour comment il faisait pour recevoir tant d’argent pour ses bonnes oeuvres : « Le meilleur moyen, lui dit-il, c’est de n’en point garder. »



Quoad humilitatem, testis respondit :



La plus grande simplicité et la modestie la plus touchante brillaient dans le Serviteur de Dieu. Rien dans ses paroles, ni dans ses manières n’indiquait l’homme cherchant à se produire. Au milieu des succès de son ministère, il n’avait garde de rien s’attribuer ; il se regardait comme un pauvre instrument et renvoyait à Dieu toute la gloire du bien qui s’opérait par lui. « Un autre, disait-il, ferait mieux que moi. Je ne désire que le silence (1259) de la solitude et l’oubli du monde. »



Les éloges que l’on lui donnait quelquefois le faisaient souffrir ; il savait adroitement détourner la conversation et renvoyer toute la gloire qu’on voulait lui attribuer à la suite de conversions éclatantes ou guérisons miraculeuses, à Sainte Philomène, qui, disait-il, était la cause de toutes ces merveilles.



En voyant l’empressement du public à reproduire son portrait tantôt en petites statuettes, tantôt en images, il dissimulait agréablement la peine qu’il éprouvait en disant : « On me pend, on me vend, pauvre Curé d’Ars ! » Et (il) appelait plaisamment ces portraits son carnaval.



Il se prêtait cependant d’assez bonne grâce, pour ne pas contrister les gens, à mettre sa signature au bas des images qu’on lui présentait ; mais ce ne fut que par surprise qu’il l’a mise au bas de son portrait.



Honoré du camail de chanoine par Mgr l’Evêque diocésain, il le reçut avec reconnaissance, le porta le premier jour par honnêteté, puis le vendit presque immédiatement pour obtenir quelques secours en faveur de ses pauvres. Il montra la même humilité lorsque Mr le Préfet du département lui envoya de la part de l’Empereur la croix d’honneur. Dès qu’il eut ouvert la boîte qui la renfermait, il la remit immédiatement à l’un des missionnaires : « Je souhaite que vous ayez autant de plaisir à la recevoir que j’en ai à vous la donner. »



Quoad castitatem, testis respondit :



La réputation de Mr Vianney sous le rapport de la chasteté est parfaitement intacte. Tout annonçait en lui cette vertu, dans ses paroles, dans son maintien et dans les rapports fréquents que son ministère l’obligeait à avoir avec les personnes du sexe.



Interrogatus demum an aliquid cognoceret contrarium (1260) virtutibus supradictis, testis respondit :



Je ne connais absolument rien qui puisse être contraire aux vertus sur lesquelles je viens de déposer.



Juxta decimum nonum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Le Serviteur de Dieu a pratiqué les vertus dont je viens de parler au degré héroïque. Par degré héroïque, j’entends un degré supérieur à ce que font les bons chrétiens et les bons prêtres. Je crois avoir donné des preuves de l’héroïcité de ses vertus en les parcourant en détail. Je crois qu’il y a persévéré jusqu’à la mort et qu’il est allé toujours en augmentant. Je ne connais absolument rien qui puisse ternir l’éclat de ses vertus héroïques.



Juxta vigesimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Ma conviction profonde est que le Serviteur de Dieu a été favorisé de dons surnaturels :

1° - Il répandait si souvent des larmes dans ses catéchismes, au confessionnal, à l’autel, en chaire, qu’il est impossible de ne pas voir en cela un don particulier.

2° - On m’a parlé souvent de son intuition des âmes, de sa vue des choses futures, mais sans rien pouvoir assurer par moi-même, je suis profondément convaincu que Mr Vianney avait des lumières toutes particulières.

3° - Quant aux miracles et guérisons, j’ai entendu souvent des personnes lui en attribuer et une fois entre autres, j’ai rencontré une femme qui après dix-sept voyages faits à Ars avait enfin pendant la messe de Mr le Curé obtenu sa guérison.

4° - Le don le plus sensible et le plus incontestable de Mr Vianney était d’attirer et de convertir les pécheurs, de diriger les âmes dans la piété et de consoler les affligés.



Juxta vigesimum primum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je ne connais aucun écrit du Serviteur de Dieu.



Juxta vigesimum secundum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je certifie que Mr le Curé d’Ars est mort à Ars le quatre du mois d’août mil huit cent cinquante-neuf à la suite d’une maladie (1261) occasionnée par un affaiblissement total et une dysenterie prolongée. Je ne sache pas qu’il ait prédit sa mort. Je l’ai vu trois fois et toujours j’ai été édifié par le spectacle de sa patience, de sa confiance et de son grand calme. Il a reçu les sacrements de Pénitence, d’Eucharistie et d’Extrême-Onction l’avant-veille de sa mort et jusqu’aux derniers moments, loin de rien faire paraître en désaccord avec les commandements de Dieu et de l’Eglise, il a donné au contraire les marques d’une grande sainteté. Six heures à peu près avant sa mort, me trouvant auprès de lui, je voulus lui adresser quelques paroles d’édification analogues à la circonstance et je terminai en lui disant : « Mr le Curé vous êtes avec le bon Dieu. » Elevant un peu ses mains et ses yeux vers le Ciel, il me répondit : « Oui » d’une voix mourante.



Juxta vigesimum tertium interrogatorium, testis respondit :



Le corps du Serviteur de Dieu fut exposé dans un appartement inférieur de sa cure jusqu’au moment des funérailles qui eurent lieu deux jours après. Un immense concours de personnes de toutes les conditions, laïques et ecclésiastiques, riches et pauvres, se fit à ses obsèques. On comptait de quatre à cinq mille assistants parmi lesquels figuraient deux à trois cents ecclésiastiques. Mgr l’évêque présidait la cérémonie.



Juxta vigesimum quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Le corps de Mr Vianney fut déposé dans une chapelle de l’église jusqu’à ce que le caveau qu’on lui destinait au milieu de la nef fût préparé. Une simple pierre indique le lieu où il a été enseveli. Il s’est fait de suite autour de ce tombeau un concours de fidèles qui sont venus solliciter par l’intercession du Serviteur de Dieu des grâces et des faveurs spirituelles et temporelles. Dans le commencement quelques personnes ont allumé des cierges près du tombeau, mais on les a enlevés et on n’en voit plus aujourd’hui, parce qu’on l’a défendu.



Juxta vigesimum quintum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Mr Vianney a joui pendant sa vie d’une réputation universelle de sainteté déterminée par l’éclat de ses vertus et les dons extraordinaires qu’on lui attribuait. Ce n’était pas seulement l’opinion de personnes prises dans le peuple ; mais celle aussi des personnages les plus graves, les plus éclairés et les plus élevés en dignité. Elle avait pénétré partout et amenait à Ars un concours très considérable de pèlerins de la France et de presque tous les pays. On manifestait sa vénération envers lui par l’empressement qu’on mettait à lui parler et à emporter quelque souvenir de lui, comme médaille, image etc. qu’on lui faisait bénir tous les jours immédiatement après sa messe. Plusieurs allaient jusqu’à enlever quelque objet qui lui eût appartenu ou qu’il eût seulement touché. J’ai vu moi-même une dame lui arracher quelques cheveux au milieu de la foule. Comme je lui faisais observer que c’était inconvenant : « En attendant, me répondit-elle, je les emporterai en Angleterre. »



La mort de Mr Vianney n’a pas diminué sa réputation de sainteté ; je crois même qu’elle a grandi. Je ne connais personne qui l’ait attaquée de vive voix ou par écrit. On désire vivement que l’Eglise permette bientôt de lui rendre les honneurs des Bienheureux.



Juxta vigesimum sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Ma réponse à l’interrogatoire précédent répond aussi à celui-ci.



Juxta vigesimum septimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



J’ai entendu dire que depuis la mort de Mr Vianney plusieurs grâces extraordinaires ont été obtenues par son intercession. J’ai vu une dame de Paris venir à Ars pour remercier Dieu de la guérison de son enfant qu’elle attribuait au Serviteur de Dieu. Elle a signé sur un registre la relation de cette guérison.



Juxta vigesimum octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai rien à ajouter à ma déposition.



Et expleto examine super interrogatoriis deventum est ad Articulos, super quibus testi lectis, dixit se tantum scire quantum supra deposuit ad interrogatorio, adquae se (1263) retulit.



Sic completo examine, integra depositio jussu Rmarum Dominationum suarum perlecta fuit a me Notario a principio ad finem testi supradicto alta et intelligibili voce. Qua per ipsum bene audita et intellecta respondit se in eamdem perseverare, et illam iterum confirmavit.



Quibus peractis, injunctum fuit praedicto testi, ut se subscriberet, prout ille statim accepto calamo se subscripsit ut immediate sequitur.



Ita pro veritate deposui



Stephanus Dubouis




Ars Procès informatif 1225