Ars Procès informatif 1309

TEMOIN XXVII – JEAN PICARD – 3 juin 1864

1309 (1309) Session 147 – 3 juin 1864 à 9h du matin



(1310) Juxta primum interrogatorium, testis interrogatus seu monitus de vi et natura juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis respondit :



Je connais la nature et la force du serment que je viens de faire et le parjure dont je serais coupable si je ne disais pas la vérité.



Juxta secundum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je m’appelle Jean Picard. Je suis né à Montceaux le cinq juillet mil sept cent quatre-vingt-quinze. Mon père se nommait Claude Picard et ma mère Jeanne Fontenat. Je suis maréchal-ferrant. Je vis de mon travail et des revenus de quelques petites propriétés.



Juxta tertium interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je remplis exactement les devoirs de la confession et de la communion. Ma dernière communion a été à Pâques dernières.



Juxta quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai jamais été traduit devant aucun tribunal.



Juxta quintum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai encouru ni les censures, ni les peines ecclésiastiques.



Juxta sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



On ne m’a instruit d’aucune façon de ce que je devais dire dans cette cause. Je n’ai vu aucun Article. Je ne dirai donc que ce que je sais.



Juxta septimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



J’avais pour le Serviteur de Dieu beaucoup d’estime et d’affection ; j’étais un de ses amis. Depuis sa mort je l’invoque avec confiance soir et matin. Je le regarde comme un saint. Aussi (1311) pour la plus grande gloire de Dieu et sans aucun motif humain, je désire sa Béatification. J’appelle ce jour de tous mes voeux.



Et quoniam praedictus testis accitus fuit ad explicanda quae spectant temperantiam, omissis coeteris interrogatoriis, interrogatus fuit super interrogatorio decimo octavo, super quo ei lecto, respondit :



Je suis venu m’établir à Ars en mil huit cent vingt-sept. Je connaissais le Serviteur de Dieu depuis mil huit cent vingt-deux par suite des rapports que j’avais déjà avec les habitants d’Ars. Du reste, je l’avais vu faire une mission à Chaneins, où j’habitais alors. Tout le monde courait à lui pour la confession.



La paroisse d’Ars ressemblait aux paroisses environnantes ; mais à mon arrivée son aspect était bien changé. Le Curé passait déjà pour un saint ; il y avait cependant peu d’étrangers. Il avait réussi à faire cesser la danse qui avait lieu chaque année à l’occasion de la fête patronale. Entre autres moyens, il alla trouver le cabaretier de la localité connu sous le nom de Bachelard et lui dit : « Combien pensez-vous gagner en vendant le jour de la vogue ? – Tant, Mr le Curé. – Eh bien ! voici la somme et ne faites rien. » Le cabaretier obéit à son curé. C’est le cabaretier lui-même qui m’a raconté ce fait.



Mr Vianney ne sortait pas de la paroisse pour visiter ses confrères et partager leur repas. Il ne s’absentait que pour visiter les malades lorsqu’on réclamait son ministère. Mais dans sa paroisse il s’empressait d’aller trouver non seulement les malades, mais encore toutes les personnes qu’il savait être dans la peine. Il avait un don particulier pour les consoler.



Sa charité pour les pauvres était aussi grande que possible ; pour eux il se dépouillait de tout. Il donnait, quand on lui demandait l’aumône, ce qu’il avait sur lui. On l’a vu donner avec autant de facilité une pièce de vingt francs qu’une pièce de cinq centimes. Il secourait les personnes de la paroisse et même des paroisses voisines, qui en avaient besoin. Il aimait à porter lui-même quelques provisions à une pauvre aveugle ; il déposait ce qu’il avait sans se faire connaître. Les habitants d’Ars savaient parfaitement apprécier les qualités (1312) et les vertus de leur curé : aussi il n’avait qu’à nous dire un mot pour qu’aussitôt on s’empressât de faire ce qu’il indiquait.



Sa charité le porta à faire différentes fondations, par exemple pour la conversion des pécheurs, pour les âmes du purgatoire, pour que personne de sa paroisse ne mourût sans sacrement, etc., comme on peut le voir sur le registre des fondations. J’ai été appelé comme témoin pour une douzaine environ. Comme tous les habitants de la paroisse, je sais que Mr Vianney suivait un régime très sévère et menait une vie très mortifiée. Je puis citer en particulier une de ses mortifications. Un jour il vint me commander une chaîne en fer à deux rangs de quatre à cinq centimètres de largeur et d’une longueur à ceindre le corps. Je ne soupçonnais pas l’usage qu’il en voulait faire. Mais un jour de Pâques, s’étant trouvé mal à l’église, je m’aidai moi-même à le transporter à la cure et en le déshabillant pour le mettre au lit, j’aperçus cette chaîne autour de ses reins.



J’ai été témoin de deux faits extraordinaires. Une personne qui offrait les apparences d’une véritable possession, dansait, sautait et parlait d’une manière extravagante. On se réunit autour d’elle, et elle se mit à raconter la vie d’un chacun ; cependant plusieurs choses ne se trouvaient pas vraies. Mr Vianney se trouvait là. « Pour toi, lui dit-elle, je n’ai rien à te reprocher, puis se ravisant : mais tu as pris un raisin. – C’est vrai, mais j’ai mis un sou sous le cep pour le payer. – Mais le propriétaire ne l’a pas eu. » Mr Vianney nous dit ensuite qu’il avait pris ce raisin un jour qu’il était obligé de se cacher à cause de la conscription et qu’il était dévoré de soif. Une autre femme avait été amenée à Ars par son mari. Elle était furieuse et ne poussait que des cris inarticulés. On appela Mr le Curé qui après l’avoir vue dit qu’il fallait la reconduire dans son diocèse auprès de son évêque. « Bon, bon ! se mit-elle à crier, la créature s’en retournera. Oh ! si j’avais le pouvoir de Jésus-Christ, je vous engloutirais tous dans les enfers. – Ah ! tu connais Jésus-Christ ? reprit Mr Vianney. Eh bien ! portez-la au pied du grand autel. » Quatre hommes l’y portèrent (1313) malgré ses résistances. Arrivée au pied de l’autel, Mr le Curé lui posa son reliquaire sur la tête et à l’instant elle tomba comme évanouie. Au bout de quelques instants, elle se releva et sortit en traversant rapidement l’église. Une heure ou deux après, elle y revint calme, prit de l’eau bénite et se mit à genoux. Elle demeura encore deux ou trois jours à Ars et le calme continua.



Voilà les réponses que j’avais à faire aux questions qu’on vient de m’adresser.



Qua responsione accepta, omissis coeteris interrogatoriis completum esse examen praedicti testis, qui aliunde ut circa quaedam facta Servi Dei deponeret inductus fuerat, Rmi Judices Delegati decreverunt, et per me Notarium Actuarium, de mandato Dominationum suarum Rmarum perlecta fuit eidem testi integra depositio ab ipso emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene audita illam in omnibus confirmavit, ac postea propria manu se subscripsit, ut sequitur.



Ita pro veritate deposui



Jean Picard



TEMOIN XXVIII – JEROME FAYOT – 3 juin 1864



(1309) - Suite de la session 147 – 3 juin 1864 à 9h du matin


1313 (1313) Juxta primum interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit :



Je connais la nature et la force du serment que je viens de faire et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas la vérité.



Juxta secundum interrogatorium, testis interrogatus (1314) respondit :



Je m’appelle Jérôme Fayot. Je suis né aux Noës, diocèse de Lyon le vingt-trois août mil huit cent un. Mon père se nommait Pierre Fayot et ma mère Claudine Bouffarond. Je ne possède qu’une modique fortune.



Juxta tertium interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je m’approche des sacrements de pénitence et d’Eucharistie deux ou trois fois par an. J’ai communié dimanche passé.



Juxta quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai jamais été traduit en justice devant aucun tribunal.



Juxta quintum interrogatorium, testis interrogatus respondit



Je n’ai encouru ni peines, ni censures ecclésiastiques.



Juxta sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit



Personne de vive voix ou par écrit ne m’a instruit de ce que j’avais à dire dans cette cause. Je n’ai lu aucun Article. Je dirai ce que je sais selon l’exacte vérité.



Juxta septimum interrogatorium, testis interrogatus respondit



J’avais une grande estime pour le Serviteur de Dieu ; je l’aimais comme mon frère. Depuis sa mort, le regardant comme un saint, je l’invoque matin et soir avec beaucoup de confiance. Je désire vivement sa Béatification pour la plus grande gloire de Dieu.



Et quoniam praedictus testis accitus fuit ad explicanda quae spectant desertionem Servi Dei, omissis coeteris interrogatoriis, interrogatus fuit super interrogatoris undecimo, super quo ei lecto, respondit :



Mr Vianney était tombé malade en arrivant à Roanne. Lorsqu’il fut rétabli, on lui donna sa feuille de route pour aller rejoindre son corps ; il se trouvait en compagnie d’un nommé Guy de S. Priest-la-Prugne, conscrit comme lui. Ils se concertèrent ensemble pour ne pas joindre leur corps. Mr Vianney témoignait ses craintes d’être arrêté. Guy le rassura en lui disant : « Je connais ces pays ; il y a beaucoup de bois ; nous trouverons à nous cacher et à travailler ; suivez-moi sans inquiétude. » Guy, qui à ce qu’on m’a assuré, avait dû se charger de son sac parce qu’il était encore trop faible, (1315) le conduisit directement jusqu’au village Robin, commune des Noës. Avant d’y arriver ils passèrent, à ce que je crois, la nuit chez Augustin Chambonière, sabotier. Le lendemain ils allèrent demander de l’ouvrage à Claude Tornaire qui leur en promit. Ils travaillèrent tous les deux à faire des sabots ce jour-là et le suivant. Guy continua à travailler dans cette maison ; mais Mr Vianney alla au village du Pont, même commune, demander à faire l’école ; il s’adressa à Antoinette Mivière, veuve Préfolle, qui ne put accepter malgré son désir, parce qu’elle avait déjà un instituteur. Il retourna donc au village Robin et fit la même proposition à Paul Fayot, maire de la commune : « J’ai déjà, répondit-il, beaucoup de monde chez moi ; il y a ma voisine, la veuve Fayot, qui n’a que quatre enfants et qui pourra vous recevoir. Si cette veuve le permet, vous resterez une semaine chez moi, et la semaine suivante vous irez chez elle, et ainsi de suite. » La proposition fut acceptée. Il se fit accompagner chez ma mère par Jacques Perrard. La première semaine il fit l’école chez le maire ; la seconde, suivant les conventions, il la fit chez ma mère. Quand la semaine fut finie, il dit à ma mère : « Ceux qui sont chez Mr le maire sont de braves gens, mais ils sont trop nombreux. Si vous voulez, je resterai chez vous et je vous paierai. » Cette proposition fut encore acceptée. Il fit l’école aux enfants et aux autres personnes du village, qui voulurent en profiter jusqu’à l’arrivée des beaux jours. Chacun se livra alors aux travaux de la campagne. Pour lui, il le fit avec tant d’ardeur qu’il eut une fluxion de poitrine et fit une assez grave maladie.



Vers la fin de mai il engagea ma mère à aller prendre les eaux de Charbonnières près de Lyon et d’aller loger chez ses parents. Il lui remit une lettre dans laquelle il engageait ses parents à la recevoir ; mais il ne faisait point connaître le lieu où il s’était retiré et défendait à ma mère de le dire. Celle-ci se présenta à la maison Vianney ; comme on faisait des difficultés pour la loger, elle montra à la mère du Serviteur de Dieu la lettre qu’elle avait : celle-ci fut si contente de recevoir des nouvelles de son fils, qu’elle pleura de joie et embrassa ma mère (1316) en disant : « Nous vous logerons et nous vous soignerons. » Pendant le séjour que ma mère fit à Dardilly, madame Vianney lui raconta qu’un jour étant très ennuyée de n’avoir aucune nouvelle, elle était allée trouver Mr Balley, qui lui avait répondu : « Mère, ne soyez pas en peine de votre fils ; il n’est ni mort, ni malade ; il ne sera jamais soldat, mais prêtre. »



Le père ne parut pas très content d’abord des nouvelles de son fils. Ma mère lui dit au bout de quelques jours : « Il paraît que vous n’êtes pas très satisfait de savoir votre fils chez moi ; mais n’allez pas le chercher, car j’irai le cacher plus loin ; il vaut plus que tout votre bien. »



Au bout de dix-huit jours ma mère revint aux Noës ; elle fut conduite jusqu’à Tarare par le père Vianney. Le Serviteur de Dieu fut heureux d’avoir des nouvelles de sa famille ; il fut cependant peiné d’apprendre le chagrin où était son père à cause de lui.



Mr Vianney continua à travailler aux champs jusqu’à la fin de septembre. Il proposa alors à ma mère de faire venir ses livres d’étude en lui disant : « Je me mets trop en retard ; si vous le voulez j’étudierai dans ma chambre et je vous paierai. » Il fit en effet venir ses livres, qu’il avait laissés chez son beau-frère à Ecully. Celui-ci lui annonça quelque temps après que son père l’avait fait remplacer au service par un de ses frères, moyennant une avance de trois mille francs, et qu’il pouvait revenir dans la famille.



Dès qu’on le sut dans la commune on s’empressa de faire une quête pour lui procurer un habillement neuf. Ce fut mon oncle, Louis Fayot, qui l’accompagna jusqu’à Ecully. Comme ils étaient sans papiers, ils furent obligés de prendre beaucoup de précautions. Il donna à mon oncle par reconnaissance un exemplaire de l’Imitation de Jésus-Christ, que nous conservons précieusement dans ma famille. Mr Vianney était resté quatorze mois auprès de ma mère. Il avait pris le nom de Jérôme pour n’être pas reconnu.



(1317) Craignant d’être découvert, au commencement de son séjour aux Noës, il s’abstenait d’aller à la messe le dimanche. Il disait à ma mère : « Ne craignez rien, allez tous à la messe, je garderai bien la petite (c’était ma soeur, qui avait alors de deux à trois ans) et priez pour moi. » Il allait à la messe souvent sur semaine, et quand il eut fait connaissance avec Mr le Curé, il communia fréquemment. Mais lorsqu’on lui eut assuré qu’il n’avait rien à craindre, il ne manquait jamais la messe le dimanche. Il se tenait avec tant de respect, il priait avec tant de ferveur et de piété qu’il faisait l’édification de tout le monde. Il restait plus longtemps que les autres à l’église. Il ne priait pas avec moins de ferveur dans ma famille. C’était lui qui faisait régulièrement la prière du soir et de temps en temps il la faisait suivre d’une lecture pieuse. Quand il s’apercevait que nous autres enfants étions un peu dissipés, il nous reprenait charitablement en nous donnant un léger coup de chapeau.



Les premiers jours de son séjour chez ma mère il couchait avec mon frère aîné. Celui-ci en se réveillant pendant la nuit s’apercevait que Mr Vianney était occupé à prier. Il en fit part à ma mère qui le mit dans un autre appartement et laissa cette chambre libre pour Mr Vianney. Quand il s’apercevait que nous n’obéissions pas à notre mère, il lui en faisait en secret l’observation en la priant de nous corriger. La domestique disait un jour à ma petite soeur au retour des offices : « Embrasse donc ce garçon qui t’a gardée. » L’enfant se mettant en devoir de le faire, Mr Vianney fit un mouvement en arrière pour retirer sa tête : ce qui édifia beaucoup la famille et engagea ma mère à défendre de jamais faire une semblable proposition. Il était tellement mortifié que plus d’une fois il fallut l’engager et comme lui ordonner de manger davantage. Dans ses conversations il aimait à parler du (1318) bon Dieu et de choses édifiantes.



Il jouissait de l’estime générale. Tous ceux qui le connaissaient disaient : « Nous n’avons jamais vu un jeune homme aussi parfait. » C’est encore ce qu’on répète aujourd’hui et les gens les moins religieux de la localité sont ceux qui en disent le plus de bien.



J’ai eu le bonheur de le voir à Ars, en mil huit cent quarante (et) un, pendant huit jours consécutifs. Il m’accueillit avec la plus grande affection, me fit des excuses de ce qu’il n’écrivait plus à ma famille, en me disant qu’il recevait des lettres de cent lieues auxquelles il ne répondait pas et que depuis quinze ans il n’avait pas eu un quart d’heure à lui. Il me fit dîner deux ou trois fois à la Providence ; il me faisait servir convenablement. Pour lui, il se tenait debout, se promenait dans la chambre en conversant avec moi et en mangeant pour son repas une petite soupe. Il avait soin de me verser à boire, pour lui, il ne prenait pas de vin.



Je crois devoir ajouter en terminant que malgré la connaissance personnelle que j’avais sur tout ce que je viens de déposer, j’ai voulu corroborer mes souvenirs en interrogeant les personnes des Noës qui pouvaient savoir quelque chose.



Qua responsione accepta, omissis coeteris interrogatoriis completum esse examen praedicti testis, qui aliunde ut circa quaedam facta Servi Dei deponeret inductus fuerat, Rmi Judices Delegati decreverunt, et per me Notarium Actuarium, de mandato Dominationum suarum Rmarum perlecta fuit eidem testi integra depositio ab ipso emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene audita, illam in omnibus confirmavit.



Quibus peractis, injunctum fuit praedicto testi, ut se suscriberet, prout ille statim, accepto calamo se subscripsit ut immediate sequitur



Ita pro veritate deposui



Fayot Jérôme





TEMOIN XXIX – MARGUERITE HUMBERT – 4 juin 1864

1321 (1321) Session 148 – 4 juin 1864 à 8h du matin



(1322) Juxta primum interrogatorium, monitus testi de vi et natura juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit :



Je connais la nature et la force du serment que je viens de faire et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas la vérité.



Juxta secundum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je m’appelle Marguerite Humbert, veuve Fayolle. Je suis née à Ecully, diocèse de Lyon. Je suis dans ma soixante-douzième année. Mon père se nommait François Humbert et ma mère Marguerite Béluse, soeur de la mère de Mr Vianney. Je suis une petite rentière.



Juxta tertium interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je m’approche fréquemment des sacrements de pénitence et d’Eucharistie. j’ai communié ce matin.



Juxta quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai jamais été recherchée devant aucun tribunal.



Juxta quintum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai jamais encouru aucune peine ni censure ecclésiastique.



Juxta sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Personne de vive voix ou par écrit ne m’a instruite de ce que j’avais à dire dans cette cause. Je n’ai lu aucun Article. Je dirai seulement ce que je sais.



Juxta septimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



J’ai toujours eu une grande affection pour Mr Vianney. Depuis sa mort le regardant comme un saint je l’invoque fréquemment dans mes prières. Je désire vivement sa Béatification, mais quoiqu’il soit mon parent, je ne la désire que pour la plus grande gloire de Dieu.



(1323) Juxta octavum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je ne puis pas dire le jour, le mois, ni l’année de sa naissance ; mais je sais qu’il est né à Dardilly, du mariage légitime de Matthieu Vianney et de Marie Béluse. Je sais aussi qu’ils élevaient très chrétiennement leurs enfants et qu’en particulier ils ont donné beaucoup de soin à l’éducation du Serviteur de Dieu. Le Serviteur de Dieu a été baptisé à Dardilly et il a fait sa première communion à Ecully dans la maison Pingon.



Juxta nonum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



J’ai entendu dire dans ma famille que lorsqu’il était tout jeune, il se cachait assez souvent pour prier. Une fois entre autre, il s’était retiré à l’écurie pour prier. Ses parents le cherchèrent pendant quelque temps sans le trouver, craignant que quelque malheur ne lui fût arrivé, lorsqu’enfin il le trouvèrent priant à l’écurie entre deux animaux. Sa mère lui fit quelques reproches à cause de la peine que son absence leur avait causée. Il leur promit qu’il n’y retournerait plus. Un peu plus tard il commença à travailler aux champs : mais comme il n’était pas assez fort pour suivre les autres, il éprouvait de grandes fatigues. Un religieux lui fit cadeau d’une petite statuette de la Sainte Vierge ; il la portait constamment sur lui. Lorsqu’il travaillait, il la jetait quelques pas devant lui et il lui semblait qu’il travaillait avec plus de force et moins de fatigue ; lorsqu’il avait atteint sa statue, il la jetait de nouveau devant lui, et ainsi soutenu par sa confiance à la Sainte Vierge, il faisait autant de travail que son frère, plus fort et plus âgé que lui. Je n’ai jamais rien entendu dire ni lui reprocher aucun défaut pendant ce temps-là.



Juxta decimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je sais qu’il avait déjà un certain âge lorsqu’il commença ses études. Il fut placé chez mon père à Ecully et allait prendre ses leçons de latin à la cure auprès de Mr Balley ; il pria ma mère de tremper toujours sa soupe avant d’y avoir mis le beurre. Lorsque par oubli on la trempait avec le bouillon ordinaire, il la mangeait avec un air triste et peiné ; au contraire lorsqu’il n’y avait point de beurre, il la mangeait avec joie et bonheur. Il étudiait avec beaucoup d’ardeur ; mais ses succès ne répondaient pas à son travail.



(1324) Juxta undecimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je sais qu’ayant eu le sort à la conscription, le Serviteur de Dieu fut obligé d’interrompre ses études. Il avait déjà sa feuille de départ lorsqu’il tomba malade à Lyon et entra à l’hôpital. Par affection et estime pour lui, beaucoup de personnes et surtout les membres de sa famille furent le voir. Je fus du nombre et eus le bonheur de passer avec lui une partie de la soirée et même de partager son petit repas. Il ne m’entretint presque que de Dieu et de la nécessité de se soumettre à sa Sainte Volonté. Je n’ai pas revu le Serviteur de Dieu à dater de ce moment jusqu’à son retour des Noës. J’ignore les détails précis de ce qui s’est passé pendant cet intervalle ; ma mère qui était au courant ne nous communiquait rien.



Mr Vianney reprit ses études immédiatement après son retour à Ecully ; mais cette fois, il logea à la cure auprès de son maître et commença à partager sa vie pénitente.



Juxta duodecimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je sais d’après ce que j’ai entendu répéter que Mr Vianney avait peu de facilité. Lorsqu’il fut question de se prononcer sur son entrée dans l’état ecclésiastique, il ne put répondre d’une manière convenable aux questions des examinateurs. Il fut donc rejeté. Mr Balley qui le connaissait parfaitement allégua que le jeune homme s’était troublé et obtint un nouvel examen de la part d’un des vicaires généraux. Les réponses furent jugées satisfaisantes et son admission fut prononcée. Je crois qu’il fut ordonné prêtre à Grenoble.



Juxta decimum tertium interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Après son ordination, il revint à Ecully comme vicaire. Il se fit aimer de tout le monde. On remarqua surtout qu’il se dépouillait de tout ce qu’il avait pour le donner aux pauvres. Il était pour tous un sujet d’édification ; il allait à l’église de grand matin et en tout temps. La voix publique dans la paroisse proclamait qu’il menait une vie pénitente et mortifiée avec son curé. A la mort de Mr Balley, la paroisse le demanda pour curé. Il disait à ma mère : « Je désire une paroisse pauvre et petite que je pourrais mieux gouverner et où je pourrais me sanctifier plus facilement. » Il resta comme vicaire très peu de temps avec Mr Tripier, successeur de Mr Balley. Le nouveau curé aimait à vivre comme les autres prêtres dans le ministère. J’ai entendu dire que Mr Vianney était un peu contrarié du régime nouveau introduit dans le presbytère.



(1325) Juxta decimum quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je suis restée une quinzaine d’années sans venir à Ars. Je me décidai à y venir à l’occasion de la maladie très grave d’une de mes filles. Il me reçut avec beaucoup de cordialité, pria les filles de la Providence de bien me traiter, parce que je l’avais bien soigné pendant ses études. Quand je lui parlai de mon enfant malade, il me dit de suite : « C’est un fruit mûr pour le Ciel. » Et il ajouta : « Pour vous, il vous faut des croix pour penser au bon Dieu. » L’enfant mourut quelque temps après d’une manière très édifiante. Avant de repartir, j’étais à l’église, hésitant intérieurement entre la pensée si je devais me confesser ou non. A l’instant il m’envoya une personne me dire de me présenter de suite au confessionnal. J’en fus très étonnée parce qu’il ne pouvait pas me voir de l’endroit où il confessait. J’obéis aussitôt, lui parlai du combat intérieur que j’avais éprouvé, fis ma confession et goûtai une grande joie et une grande paix intérieure.



Après sa grande maladie il vint passer quelques jours chez son frère à Dardilly. J’allai le voir. Je le trouvai déjà entouré d’une foule d’étrangers. Il descendit de sa chambre pour me parler. Entre autre chose il me dit : « Ma pauvre cousine, j’ai été bien malade ; j’ai été administré ; j’étais à toute extrémité. Le médecin, me tâtant le pouls, dit : ‘Il n’a plus que trente ou quarante minutes à vivre.’ Je pensais en moi-même : mon Dieu, il me faudra paraître devant vous les mains vides. Je m’adressai à la Sainte Vierge et à Sainte Philomène en leur disant : mon Dieu, si je suis encore utile sur la terre pour sauver quelques âmes…De suite je me suis senti mieux. » Il ajouta : « ma bonne cousine, quand vous serez auprès d’un moribond, lisez fort, parce que le malade entend, lors même qu’il paraît sans connaissance. »



Je ne sais si c’est dans la même circonstance, mais je me rappelle très bien qu’il m’a dit : « Dieu est toujours tout-puissant ; il peut toujours faire des miracles et il en ferait comme dans l’ancien temps, mais c’est la foi qui manque. » Et il pleurait en disant ces mots. Je dois ajouter que tout ce qu’il m’a dit au sujet des établissements que j’avais à faire, etc. est arrivé comme il me l’avait annoncé.





Qua responsione accepta, omissis coeteris interrogatoriis completum esse examen praedicti testis, qui aliunde ut circa primos annos Servi Dei deponeret inductus fuerat, Rmi (1326) judices Delegati decreverunt, et per me Notarium Actuarium, de mandato dominationum suarum Rmarum perlecta fuit eidem testi integra depositio ab ipsa emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene audita et intellecta, in eadem perseveravit, illamque in omnibus confirmavit, ac postea propria manu se subscripsit ut sequitur.



Marguerite Humbert



Ita pro veritate deposui



Marguerite Humbert





TEMOIN XXX - ANDRE VERCHERE – 4 juin 1864


1321 Session 148 - 4 Juin 1864 à 8h du matin


1326 1326 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit:

Je connais la nature et la force du serment que je viens de faire, et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.



Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je m'appelle André Verchère. Je suis né à Savigneux le deux Septembre mil sept cent quatre-vingt dix-huit. Non père se nommait Pierre Verchère et ma mère Claudine Lhotte. Je vis de mon travail.



Juxta tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je m'approche des sacrements de pénitence et d'Eucharistie trois fois par an. J'ai communié la dernière fois à Pâques.



1327 Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai jamais été traduit devant aucun tribunal.



Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai jamais encouru les censures ou les peines ecclésiastiques.



Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Personne ne m'a jamais dit ce que je devais déposer dans cette cause. Je n'ai lu aucun des Articles. Je ne dirai que ce que je sais très bien.



Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'avais une grande affection pour le Serviteur de Dieu. Depuis sa mort, je l'invoque de temps en temps; je le regarde comme un saint, car s'il n'est pas saint il n'y en aura point; il a mené la vie d'un saint. Que je serais heureux si je pouvais lui voir rendre les honneurs des bienheureux!



Et quoniam praedictus testis accitus fuit ad explicanda quae spectant daemonis vexationes, omissis caeteris Interrogatoriis, interrogatus fuit super Interrogatorio decimo octavo, super quo ei lecto, respondit:

Ma conviction profonde est que le Serviteur de Dieu a rempli tous ses devoirs et qu'il a pratiqué les vertus chrétiennes. Ce qui m'a le plus impressionné, c'est sa manière de prier, son grand amour pour les pauvres, sa vie pauvre et mortifiée. Quand il priait, il regardait de temps en temps le tabernacle en souriant. Il ne cessait de nous porter à aimer Dieu. Il travailla à faire d'Ars une excellente paroisse. Avant lui, elle ressemblait aux paroisses environnantes; on travaillait de temps en temps le dimanche au moment des récoltes; on faisait pour la fête patronale une vogue ou fête balladoire. Il parvint à obtenir la suppression complète de la danse. On a répété que une fois il avait donné de l'argent au musicien qui venait faire danser et qu'une autre fois il avait donné ou offert au cabaretier du village la somme qu'il espérait gagner.

Sa charité était connue de tout le monde; il secourait les malheureux qui avaient recours à lui; il donnait sans compter et autant qu'il avait. 1328 Je sais qu'il payait les loyers de pauvres familles. J'avais pour locataire une nommée Marie Beugon. C'est Mr le Curé qui lui remettait le prix du loyer. Ma femme était malade, je l'étais pareillement; Mr Vianney vint me visiter et voyant que je n'étais pas à l'aise, il me donna six francs. Il remettait souvent de l'argent aux personnes qui venaient à Ars en pèlerinage et qui n'avalent pas de quoi payer les frais du séjour ou du retour. Je sais que des personnes lui ont donné des souliers neufs; au lieu de les porter, il les remettait aux pauvres.

J'ai entendu parler bien des fois du peu de nourriture qu'il prenait. Il m'a fait manger plus d'une fois à la Providence lorsque j'y travaillais. Il me faisait servir convenablement; il versait à boire avec gaîté, en ajoutant que ça me ferait de bien. Comme lui ne buvait pas, je lui disais: Et vous, Mr le Curé, vous ne buvez pas. - Non, mon ami, je ne puis pas boire le vin. Pendant tout ce temps, il se tenait debout.

Il ne prenait point de précaution contre le froid; il ne portait point de manteau, ne voulait point de chauffe-pieds au confessionnal. Il faisait pitié de voir quand il sortait du confessionnal et venait dire sa messe. Tous ses membres tremblaient. Le soir seulement, quand il rentrait dans sa chambre, il se chauffait auprès d'un feu qu'on lui avait préparé.

C'était pendant l'hiver de mil huit cent vingt-sept, je crois. Depuis plusieurs jours, Mr Vianney entendait dans sa cure un bruit extraordinaire. Il ne savait d'où il provenait et soupçonnait qu'il avait à faire à des voleurs. (On avait reçu depuis peu des ornements d'église de grande valeur, qu'on tenait à la cure.) Il vint me trouver et me dit: J'entends la nuit beaucoup de bruit; je ne sais si ce sont des voleurs. Voudriez-vous venir coucher à la cure? - Très volontiers, Mr le Curé; je vais charger mon fusil.- La nuit venue, je me rendis à la cure. Je causais et me chauffais avec Mr le Curé jusqu'à dix heures. A ce moment, j'allais me coucher dans la chambre qui m'était destinée. Vers une heure et demie du matin, j'entendis secouer avec violence la poignée et le loquet de la porte de la cour. 1329 En même temps, j'entendis comme des coups de massues contre la même porte, et ils retentissaient dans le presbytère comme le bruit du tonnerre. Je sautai à bas de mon lit, saisis mon fusil et ouvris la croisée pour voir ce que c'était. Je n'ai rien vu. Le bruit continua quelques moments, mais moins fortement, dans une autre partie du presbytère. Pendant tout le temps que dura le bruit, c'est-à-dire l'espace de cinq minutes, toute la maison trembla. Mes jambes se mirent à trembler et je m'en suis ressenti pendant huit jours. Dès que le bruit commença, Mr le Curé éclaira une lampe et vint dans ma chambre. Avez-vous entendu du bruit, me dit-il? - Oui, certainement; j'ai ouvert la croisée et n'ai rien vu. - Qu'en pensez-vous? - Je crois que c'est le diable. - Eh bien! Verchère, il faut retourner nous coucher. Je le fis et n'entendis plus rien. Dans la journée, il me proposa de revenir à la cure.- Non, Monsieur le Curé, à moins que nous ne soyons deux.

Mr Vianney s'adressa à deux autres jeunes gens, qui passèrent au presbytère huit nuits consécutives. Ils couchèrent ensemble dans la même chambre, entendirent du bruit comme moi, à ce qu'ils m'ont assuré, mais ils ne se levèrent pas. Il y avait de la neige et le lendemain il n'y avait aucune trace de pas. Des jeunes gens montèrent au clocher pour faire la garde mais ils ne virent et n'entendirent rien.



Qua responsione accepta, omissis caeteris Interrogatoriis, completum esse examen praedicti testis, qui aliunde ut circa primos annos Servi Dei deponeret inductus fuerat, Rmi Judices Delegati decreverunt, et per me Notarium Actuarium, de mandato Dominationum suarum Rmarum, perlecta fuit eidem testi integra depositio ab ipso emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene audita et intellecta, in ea(m)dem perseveravit, illamque in omnibus confirmavit. 1330



Ars Procès informatif 1309