Ars Procès informatif 1333

TEMOIN XXXI - MARIE RICOTIER – 6 juin 1864

1333 1333 Session 149 - 6 Juin 1864 à 9h du matin



1334 Juxta primum Interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit:

Je connais la nature et la force du serment que je viens de faire et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.



Juxta secundum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je m'appelle Marie Ricotier. Je suis née à Gleizé, diocèse de Lyon, le douze octobre mil sept cent quatre-vingt dix-huit. Mon père se nommait Claude Ricotier et ma mère Benoîte Marpot. Je vis de mon travail et d'une petite rente.



Juxta tertium Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je m'approche des sacrements de pénitence et d'Eucharistie quatre ou cinq fois par an. J'ai communié vendredi dernier, fête du Sacré Coeur.



Juxta quartum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je n'ai jamais comparu devant les tribunaux que comme témoin.



Juxta quintum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Je ne sache pas avoir encouru aucune peine ou censure ecclésiastique.



Juxta sextum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

Personne, de vive voix ou par écrit, ne m'a instruite de ce que j'avais à dire dans cette cause. Je n'ai pas lu les Articles du Postulateur. Je ne dirai que ce que je sais très bien.



Juxta septimum Interrogatorium, testis interrogatus respondit:

J'étais dévouée au Serviteur de Dieu et j'avais pour lui la plus grande estime. 1335 Depuis sa mort, je l'invoque et le prie avec confiance. J'ai obtenu à peu près tout ce que j'ai demandé par son intercession. Je le regarde comme un saint; je désire sa Béatification pour la plus grande gloire de Dieu.



Et quoniam praedictus testis accitus fuit ad explicanda quae spectant caritatem erga pauperes, omissis caeteris Interrogatoriis, interrogatus fuit super Interrogatorio decimo octavo, super quo ei lecto, respondit:

Entendant parler du Curé d'Ars comme d'un saint, je me transportai à Ars pour le voir. Il était alors à l'église, dans un petit banc à côté de l'autel, occupé à prier. Je fus singulièrement frappée de son air recueilli et surtout de la manière dont il jetait les yeux de temps en temps sur le tabernacle. Il semblait converser avec Dieu. En sortant, il me vit et me dit: Voulez-vous me parler? - Ne sachant trop que lui répondre: Venez voir quelque chose de très beau; mais c'est encore plus beau dans le Ciel. Il me fit voir les ornements de grand prix qu'il avait reçus du vicomte d'Ars. Depuis, je suis revenue souvent à Ars, jusqu'à ce qu'enfin, d'après son conseil, je m'y sois fixée, en mil huit cent trente-deux. J'achetai une maison; comme quelquefois j'entendais du bruit, j'en parlai au Serviteur de Dieu, qui me répondit que c'était le démon. Une fois en particulier, un bruit extraordinaire avait eu lieu à une heure après minuit. Dès le matin, j'allai raconter à Mr le Curé ce qui s'était passé. - J'ai entendu cette nuit à la cure et à la même heure le même bruit. Ce sont probablement des pécheurs qui se dirigent vers Ars pour se convertir; le démon en est irrité. J'ai remarqué que lorsqu'il doit venir quelque grand pécheur, des bruits semblables se font entendre. - Le Serviteur de Dieu m'a parlé souvent des bruits qui avaient lieu au presbytère pendant la nuit et il m'a dit qu'ils avaient commencé lors de l'établissement de la Providence.

Mr Vianney me chargeait souvent de faire différents achats pour lui et surtout pour la Providence. Il m'envoyait aussi vendre à Villefranche, chez Mr Dupont, différents objets en or ou en argent qu'on lui avait donnés. 1336 Le prix était employé à ses bonnes oeuvres, à l'érection et à la décoration de ses chapelles. Il ne gardait rien pour lui et se dépouillait de tout afin d'avoir de l'argent pour ses pauvres.

J'étais souvent à la Providence et j'aidais les directrices de cet établissement. Mr Vianney, en venant prendre ses repas, se plaignait de temps en temps de n'avoir point d'argent pour ses oeuvres ou pour ses pauvres. Eh bien, Mr le Curé, lui dis-je, si vous vendiez quelque chose, je pourrais bien acheter. La proposition, faite en riant, fut acceptée sérieusement. Depuis ce moment, le Serviteur de Dieu m'a offert différents objets, que j'ai achetés et payés comptant, au-delà de leur valeur. C'est ainsi que j'ai eu d'abord des objets ayant appartenu à Mr Balley, puis des souliers, un chapeau, une soutane, des meubles, etc. Voici comment avaient lieu ces marchés. Il m'apportait toutes sortes d'objets; s'ils étaient petits, il les cachait sous son bras; s'ils étaient plus considérables, il les faisait porter à la Providence.

Un jour, il m'apporta une petite boîte en me disant: J'ai besoin de quarante sous; voici une boîte en carton avec une jolie fleur, elle les vaut bien; et si elle ne les vaut pas, elle les pèse bien. - Que voulez-vous que je fasse de cela? - Mais il y a là un pauvre qui m'attend... Je m'exécutai aussitôt.

Un autre jour, il me dit: Je suis à chercher ce que j'ai encore à vendre. Comme il m'avait déjà vendu la poêle dans laquelle il faisait ses matefaims, la marmite qui lui servait à faire cuire ses pommes de terre, je lui répondis: Et votre panier dans lequel vous mettiez votre pain des pauvres? - Ah! c'est vrai! Il l'envoya chercher au grenier par Catherine Lassagne. Ce panier n'avait point d'anse, point de couvercle et était percé au fond. Il vaut bien trente sous, dit-il en me le présentant. - Que voulez-vous que j'en fasse? Il est tout percé. - Oh! je sais bien le raccommoder!... A l'instant, il détache son rabat et le met sur le trou. Je lui comptai les trente sous.

1337 Un autre jour, il se plaignait, à la Providence, de n'avoir plus rien à vendre et cependant il avait besoin d'argent: Je ne puis vendre ma soutane, elle n'est pas à moi... - Mais, Mr le Curé, lui dis-je en riant, vous avez vos dents! - Eh bien! combien m'en donnerez-vous? - Cinq francs pièce, répondis-je en pensant que la proposition ne serait pas acceptée. - Cinq francs, reprit-il, c'en vaut la peine! Et il se mit en devoir d'arracher les deux dents qui étaient ébranlées. - Oh! Monsieur le Curé, ne les arrachez pas, je vous en laisse la jouissance; voulez-vous toutes me les vendre? - M'en donnerez-vous cinq francs? - Très volontiers. - Me les donnerez-vous de suite? - Oui, Mr le Curé.- Il se mit à les compter; elles étaient au nombre de douze: Eh bien! c'est soixante francs! Allez les chercher de suite, je vous attends. J'allai aussitôt chercher les soixante francs et les lui donnai en présence des trois directrices, témoins de ce marché. Un médecin lui arracha une dent et la garda pour sa peine. Mr Vianney vint m'offrir cinq francs en restitution, car il devait me les livrer lorsqu'elles tomberaient. Le même fait se renouvela une autre fois. Il va sans dire que je ne voulus pas reprendre l'argent.

L'Évêque diocésain avait revêtu le Curé d'Ars des insignes du canonicat; cette cérémonie eut lieu à l'entrée de l'église d'Ars. Mr Vianney refusait de le recevoir et priait Mgr de le donner à son compagnon. Pour toute réponse, Mgr mit le camail sur ses épaules et entonna le Veni Creator. Le Serviteur de Dieu dut le garder et accompagner sa Grandeur à l'autel, mais à son air triste et abattu, on voyait la peine intérieure qu'il ressentait. Après le départ de l'Évêque, il chercha immédiatement à le vendre pour en employer le prix à ses oeuvres. Je revenais de Villefranche et je lui rendais compte d'une commission dont il m'avait chargée. Vous arrivez bien à propos, dit-il, je veux vous vendre mon camail. Je l'ai offert à Mr le Curé d'Ambérieux, qui n'a pas voulu m'en donner douze francs; vous m'en donnerez bien quinze. - Mais il en vaut plus. - Vous m'en donnerez vingt alors. - Je lui en donnai vingt-cinq, en ajoutant: Ce n'est pas sa valeur; mais je m'informerai du prix. Je sus qu'il avait été confectionné au noviciat des soeurs de St Joseph à Bourg et qu'il avait coûté cinquante francs. Je comptai encore vingt-cinq francs, en lui disant que je lui en laissais la jouissance. Mr le Curé fut si content qu'il me dit: Que Mgr m'en donne encore un autre, et j'en ferais l'argent! Il voulut que je l'emportasse tout de suite. Si Mgr, ajouta-t-il, exige que je le porte, je le trouverai bien chez vous. Sachant que Mgr avait été un peu peiné de ce marché, il écrivit une lettre d'excuses où se peignait toute son humilité et où il exposait qu'il ne l'avait vendu que parce qu'il avait besoin d'argent. Mgr Chalandon, célébrant lui-même le service de la quarantaine, fit connaître le contenu de cette lettre, les larmes aux yeux. 1338 Mr le Curé vint me trouver un jour en me disant: Je veux envoyer le prix d'une fondation; il me manque deux cents francs; voudriez-vous me les donner pour cette aube qui m'appartient? Je consentis encore à ce marché. J'ai en ma possession une foule d'objets que j'ai achetés ainsi pour contribuer à ses bonnes oeuvres.

Après un marché assez important comprenant différents meubles, le Serviteur de Dieu m'a donné le reçu suivant:

J'ai reçu de Melle Ricotier la somme de soixante francs pour le prix d'un lit à quatre colonnes rondes de trois pieds de hauteur, avec une paillasse de toile ordinaire et une couverture bleue, le dessin en forme de petites corbeilles, déjà déchirée, les rideaux bleus aussi déchirés; le ciel de lit de même choix, les tringles en fer, une pente simple, une petite mauvaise table en bois cerisier, une chaise à grand dossier. Bien convenu que la dite Melle Marie Ricotier ne pourra prendre possession qu'après ma mort. Si dans le cas elle meurt avant moi, les dits objets me resteront pour toujours, sans que ses héritiers puissent jamais les réclamer.

Fait à Ars 25 9bre 1841. Jean Marie Baptiste Vianney, curé d'Ars.



Après la vente de sa montre, dont je lui laissais pareillement la jouissance, il me donna le titre suivant:

Ma montre, qui est en argent et à répétition, appartiendra à mademoiselle Marie Ricotier, demeurant à Ars, après ma mort. 30 Juin 1842. Jean Marie B. Vianney, curé d'Ars.



Je connais un beau trait de charité de la part de Mr Vianney. Une orpheline, qui avait été élevée à la Providence, vola dans cet établissement, le jour de Noël, l'argent de la Propagation de la foi, le gage des enfants et du linge en assez grande quantité. En l'apprenant, Mr le Curé défendit de la poursuivre. Elle revint au bout de six mois, paraissant bien convertie et très malheureuse. Mr Vianney, sachant qu'elle était près du village et se cachait, lui envoya par une personne de confiance de la nourriture et des vêtements, en l'assurant qu'il lui pardonnait de tout son coeur. Le jour de l'Assomption de la même année, elle prit à la cure une somme de quatre cent dix-huit francs, honoraires de messes, et cinq cents francs destinés à la Providence. Mr le Curé refusa de la faire poursuivre. Elle venait d'être placée sur sa recommandation à la maison du Bon Pasteur à Bourg, lorsque l'autorité judiciaire, avertie, la fit saisir et juger. Mr Vianney fut obligé de faire sa déposition auprès du juge d'instruction, qui eut la bonté de se transporter à Ars. Cette déposition était si pleine des sentiments de charité et de bonté, qu'on la lut deux fois au tribunal, tant elle excita l'admiration des juges.

La soutane que je tiens du Serviteur de Dieu est tellement usée qu'elle a perdu sa couleur; elle est toute rapiécée avec des morceaux d’étoffe différente et cousus de sa propre main.



Qua responsione accepta, omissis caeteris Interrogatoriis, completum esse examen praedicti testis, qui aliunde ut circa quaedam facta Servi Dei deponeret inductus fuerat, Rmi Iudices delegati decreverunt, et per me Notarium Actuarium, de mandato Dominationum suarum Rmarum perlecta fuit eidem testi integra depositio ab ipso emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene audita et intellecta, in eadem perseveravit, illamque in omnibus confirmavit.



TEMOIN – ABBE JEAN-BAPTISTE DESCOTES – 7 juin 1864

1341 (1341) Session 150 – 7 juin 1864 à 8h du matin



(1342) Juxta primum interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti, et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis respondit :



Je connais la nature et la force du serment que je viens de faire et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas la vérité.



Juxta secundum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je m’appelle Jean Baptiste Descôtes, je suis né à Pont-de-Veyle, diocèse de Belley, le seize août mil huit cent dix-huit. Mon père se nommait Claude François Descôtes et ma mère Marie-Angélique Louise Ponant. Je suis prêtre missionnaire du diocèse.



Juxta tertium interrogatorium, testis interrogatus respondit :



J’ai le bonheur d’offrir tous les jours le Saint Sacrifice de la messe.



Juxta quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai jamais comparu devant aucun tribunal.



Juxta quintum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je ne sache pas avoir encouru aucune censure ou peine ecclésiastique.



Juxta sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai été instruit par personne de ce que j’avais à dire ou de ce que je devais taire dans cette cause. Je n’ai lu aucun des Articles du Postulateur. Je ne dirai donc que ce que je sais très bien.



Juxta septimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



J’avais pour le Serviteur de Dieu une très grande estime et une profonde vénération. J’ai eu le bonheur de le voir de bien près et d’admirer ses vertus héroïques. Je le regarde comme un très grand saint. Je l’invoque et demande des grâces par son intercession. Je désire sa béatification et sa canonisation, mais uniquement pour la plus grande gloire de Dieu.



(1343) Et quoniam praedictus testis accitus fuit ad explicanda quae spectant quaedam facta circa virtutes, dona supernaturalia, tumulationem et formam sepulchri, omissis coeteris interrogatoriis, statim interrogatus fuit primo super interrogatorio decimo octavo, super quo ei lecto, respondit :



Ma conviction profonde est que le Serviteur de Dieu a pratiqué jusqu’à sa mort, au degré héroïque toutes les vertus chrétiennes. Je n’ai jamais remarqué aucun manquement et je n’ai entendu citer aucun fait semblant prouver qu’il ait manqué à quelque vertu dans une circonstance donnée. J’ai remarqué dans lui la perfection des vertus. Je ne me lassais pas de l’admirer. Ce qui cependant m’a le plus impressionné, c’est son détachement, son esprit de sacrifice, sa patience et sa parfaite égalité d’âme.



J’avais exprimé plusieurs fois au Serviteur de Dieu le désir d’avoir des reliques. Un soir il me fit monter dans sa chambre et me montra un grand nombre de petits reliquaires. J’en pris un dans mes mains et le regardai avec plus d’attention à cause des reliques précieuses qu’il contenait. Il s’en aperçut et me dit en souriant : « Vous voudriez bien avoir ce reliquaire, mais je ne veux pas vous le donner. » Il m’en présenta un autre que j’acceptai avec reconnaissance en lui disant : « Je ne voudrais pas que vous vous privassiez de ce reliquaire auquel vous paraissez tenir. » Le lendemain matin il me fit monter dans sa chambre et me présentant le reliquaire qu’il m’avait refusé la veille, il me dit : « Veuillez accepter ce reliquaire, vous avez paru y tenir hier ; je vous le donne. » Sur mon refus, il insista et m’obligea à l’accepter en ajoutant : « Prenez-le, ça me fera plaisir. » Mon impression fut qu’il s’était reproché d’avoir paru tenir la veille à ce reliquaire.



Rentrant un soir à la cure, le Serviteur de Dieu trouva un pauvre, qui lui demanda l’aumône. A l’instant il vida ce qu’il avait dans la poche de sa soutane entre les mains du pauvre en disant : « Tenez, je vous donne tout ce que j’ai. » Je remarquai avec les autres témoins de ce trait de charité qu’il y avait plusieurs pièces d’argent mêlées avec les pièces de cuivre.



L’oeuvre de la Providence lui était très à coeur, parce qu’il l’avait fondée, parce que c’est là qu’il faisait ses catéchismes, auxquels les pèlerins aimaient tant à assister et parce que dans cette maison, on faisait (1344) l’éducation chrétienne d’un grand nombre d’orphelines. L’autorité diocésaine crut devoir mettre à la tête de cet établissement des Soeurs de Saint Joseph ; mais par-là même, l’oeuvre de la Providence fut transformée ; il n’y eut plus d’orphelines. Mr Vianney se soumit avec son obéissance habituelle, mais plus d’une fois je lui ai entendu exprimer la peine qu’il avait eu à faire le sacrifice de cette oeuvre.



Le Serviteur de Dieu était dans l’habitude de bénir tous les jours après sa messe, différents objets de piété. Immédiatement après il apposait, à la sacristie, sa signature sur des livres et des images qu’on lui présentait. La foule se précipitait, se poussait ; chacun voulait passer le premier. Le voyant un jour plus pressé que d’habitude et remarquant son calme parfait, je m’avisai de lui dire : « Mr le Curé, il faut que vous soyez bien patient. – Mon camarade, reprit-il tout doucement, ce n’est pas sans peine que j’y suis arrivé. » J’ai remarqué bien des fois que Mr Vianney était naturellement très vif et très nerveux, et que la patience a dû en effet lui coûter beaucoup.



Dans ses conversations et dans ses rapports avec les missionnaires il était très gai, affable et d’une exquise amabilité. Il avait volontiers le mot pour rire, la répartie prompte et spirituelle. Allant une année en vacances, je passai à Ars ; la foule des pèlerins était considérable et mon confrère m’engageait à rester ; je refusai, parce que je tenais à voir ma vieille mère. Mr le Curé survint au moment même et instruit du débat, il se tourna gracieusement vers moi en me disant : « Mon ami, si vous n’avez point de charité, vous vous en irez ; si vous avez un peu de charité, vous resterez avec nous. » N’ayant rien à répondre, mon parti fut pris, je restai.



Je donnais la mission à Ars l’année qui précéda la mort du Serviteur de Dieu. Un soir j’allais monter en chaire, lorsqu’il me dit : « C’est cette fois que vous allez nous convertir. » Je m’avisai de répondre : « Oh ! Mr le Curé, vous n’avez rien à craindre ; je réponds de vous. » Prenant un air sérieux : « Mon ami, dit-il, vous ne savez pas ce que c’est que de passer d’une cure au tribunal de Dieu. »



Juxta vigesimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Ma conviction est que le Serviteur de Dieu avait reçu un don tout particulier pour convertir les pécheurs. J’ai entendu citer un grand nombre de faits. J’ai été témoin des deux suivants, qui ont laissé dans moi un profond souvenir.



(1345) Une demoiselle qui se destinait à la vie religieuse vint à Ars accompagnée de sa mère. Ne pouvant pas s’adresser à Mr le Curé, à cause de la foule, elle vint me trouver, et après sa confession, elle me dit : « Monsieur, j’aurais un grand service à vous demander : ma mère est depuis longtemps éloignée des sacrements, elle a lu beaucoup de mauvais livres ; c’est une voltairienne, et elle dit avoir perdu la foi. Pourriez-vous la recommander d’une manière particulière au saint Curé d’Ars ? Je voudrais bien qu’elle pût lui parler, mais je suis sûre qu’elle n’y consentira pas. » Elle me la fit connaître et je lui promis d’en parler à Mr le Curé. Le soir me trouvant à la sacristie, avec Mr le Curé, je lui dis : « Vous avez ici une dame voltairienne qui ne s’est pas confessée depuis très longtemps et qui n’est pas disposée à le faire. Sa fille que j’ai vue et qui est très pieuse, m’a chargée de vous parler de sa pauvre mère. » Il me répondit de suite : « Où est-elle cette femme ? » Dans le moment elle se trouvait par hasard près de la porte de la sacristie. Je la lui montrai. Il sort à l’instant et s’approchant d’elle, il lui dit doucement : « Vous voulez vous confesser ma bonne dame ? – Non, Monsieur, répondit-elle avec vivacité. – Allons, ma bonne dame, vous y penserez ce soir, et vous viendrez me trouver demain. » La dame ne put pas fermer l’oeil de toute la nuit. Le matin, elle vint trouver le curé d’Ars, commença sa confession générale, fit une retraite et se convertit.



Un officier, qui depuis longtemps ne s’était pas confessé, vint à Ars consulter le Curé sur des affaires temporelles. Comme il était très pressé, il nous pria de lui procurer l’avantage de parler un instant à Mr Vianney. Mr le Curé étant venu peu d’instants après, nous lui dîmes qu’un officier désirait lui parler. Ils passèrent ensemble dans la sacristie de la chapelle de la Providence. Que se passa-t-il ? je l’ignore, ce que je sais, c’est qu’ils allèrent à l’église, après un court entretien ; c’est que je vis cet officier à la sacristie pleurant et son catéchisme à la main ; c’est qu’il se confessa, communia le lendemain, vint nous trouver plein de joie, nous assurant qu’il ne tarderait pas à revenir à Ars témoigner à Dieu sa reconnaissance.



Une jeune personne de Lyon devait venir terminer la veille de l’Ascension, la confession qu’elle avait commencée auprès de moi. Deux jours avant, elle arriva en me disant « Mon Père, je viens avant le temps que vous m’aviez fixé, parce que Mr le Curé me rencontrant ce matin sous le clocher (1346) m’a dit : - Mon enfant, vous êtes de Lyon ? – Oui, mon Père. – Partez vite : on vous attend chez vous. » Je lui demandai si elle avait reçu quelque nouvelle fâcheuse. Elle me répondit que non, mais qu’elle était très effrayée des paroles de Mr le Curé. Je la rassurai, terminai sa confession et lui recommandai de m’écrire dès qu’elle serait arrivée. Le lendemain je reçus d’elle une lettre renfermant ces mots : Mr le Curé avait bien raison ; c’est à six heures du matin qu’il me disait qu’on me demandait chez nous, et à quatre heures, c’est-à-dire deux heures avant, ma soeur que j’avais quittée pleine de santé était morte, et par le fait, ma présence dans ma famille était nécessaire.



C’était pendant la mission d’Ars. Un soir, Mr le Curé confessait à la sacristie où je me trouvais moi-même, me préparant à monter en chaire. Tout à coup, il quitte son pénitent, s’approche de moi et me dit : « Mon ami, savez-vous ce qui m’est arrivé ? – Mais non, Mr le Curé, qu’est-ce que c’est ? – Depuis longtemps j’étais tourmenté au sujet de la Salette. Une nuit, après avoir combattu longtemps, je finis par dire : « Mon Dieu, je crois. Cependant je voudrais bien que vous me donnassiez quelque signe ou quelque preuve. » Aussitôt après je fus tranquille ; mais voici ce qui arriva. Figurez-vous qu’un matin, j’étais là à confesser, lorsqu’arriva tout à coup un prêtre, grand comme vous ; sans me saluer il me dit brusquement : « Mr le Curé, que pensez-vous de la Salette ? » Je lui répondis : « Mon ami, je crois qu’on peut et qu’on doit y croire. » Il me tourna le dos et s’en alla sans me dire autre chose. Je ne sais pas qui il est, ni d’où il vient. Ce n’est pas tout, le soir avant de me coucher, je trouvai ma table toute couverte de pièces d’or. Je les ramassai, comme vous pensez bien ; j’avais justement besoin d’argent. Le lendemain matin en me levant, je trouvai encore ma table couverte de pièces d’or. Pensez-vous que d’après cela je doive croire à la Salette ? – A votre place, j’y croirais, lui répondis-je. »



Juxta vigesimum quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Après la cérémonie des funérailles, le corps du Serviteur de Dieu enfermé dans un double cercueil, chêne et plomb, fut déposé dans la chapelle de Saint Jean Baptiste, en attendant que le caveau où l’on devait le descendre fût préparé. Ce caveau de forme ordinaire est creusé au milieu de l’église. Le corps repose sur des traverses en bois et le caveau est recouvert d’une pierre tumulaire. J’étais présent à la cérémonie. Je crois me rappeler qu’un procès-verbal a été dressé à cette occasion.



(1347) Qua responsione accepta, omissis coeteris interrogatoriis, completum esse examen praedicti testis, qui aliunde ut circa quaedam facta Servi Dei deponeret inductus fuerat, Rmi Judices Delegati decreverunt, et per me Notarium Actuarium, de mandato Dominationum suarum Rmarum perlecta fuit eidem testi integra depositio ab ipso emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene audita et intellecta, in eadem perseveravit, illamque in omnibus confirmavit.



Quibus peractis, injunctum fuit praedicto testi, ut se suscriberet, prout ille statim, accepto calamo se subscripsit ut immediate sequitur



Ita pro veritate deposui



Joannes Baptista Descôtes





TEMOIN – ANTOINE MANDY – 5 août 1864

1353 (1353) Session 152 – 5 août 1864 à 8h du matin



(1356) Juxta primum interrogatorium, monitus testis de vi et natura juramenti et gravitate perjurii, praesertim in causis Beatificationis et Canonizationis, respondit :



Je connais la nature et la force du serment que je viens de faire et la gravité du parjure dont je me rendrais coupable si je ne disais pas toute la vérité.



Juxta secundum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je m’appelle Antoine Mandy ; je suis né à Ars le quatorze mai mil sept cent quatre vingt dix-neuf. Mon père se nommait Antoine Mandy et ma mère Benoîte Cinier. Je ne possède qu’une modique fortune.



(1357) Juxta tertium interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je m’approche des sacrements de pénitence et d’Eucharistie plusieurs fois dans l’année. Ma dernière communion a eu lieu à Pâques.



Juxta quartum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai jamais été traduit en justice devant aucun tribunal.



Juxta quintum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je n’ai encouru ni peines ni censures ecclésiastiques.



Juxta sextum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Personne de vive voix ou par écrit ne m’a instruit de ce que j’avais à dire dans cette cause. Je n’ai lu aucun Article. Je dirai ce que je sais selon l’exacte vérité.



Juxta septimum interrogatorium, testis interrogatus respondit :



Je désire vivement la Béatification de Mr Vianney, uniquement pour la gloire de Dieu. Quand je songe à la vie mortifiée de Mr le Curé, à tout ce que mon père m’en a raconté, je me dis à moi-même que s’il n’est pas saint, personne ne l’est.



Et quoniam praedictus testis accitus fuit ad confirmanda seu explicanda quaedam facta relative ad virtutes et ad dona supernaturalia, omissis coeteris interrogatoriis, statim interrogatus fuit super interrogatoria decimo octavo :



J’avais dix-neuf ans à l’entrée de Mr Vianney, comme curé dans la paroisse d’Ars. Quand j’eus vingt (et) un ou vingt-deux ans il était question de bruits qui se faisaient entendre au presbytère et mon père m’envoya avec Cotton, jardinier de la comtesse d’Ars passer la nuit à la cure. Nous dîmes à Mr Vianney de nous appeler au moindre bruit. Plusieurs fois il nous appela en disant : « Jeunes gens, entendez-vous ? » Et nous de répondre que nous n’entendions rien. Les bruits n’arrivaient pas jusqu’à nous. Nous avons passé ainsi dix à douze nuits au presbytère.



Mon père faisait les provisions de Mr le Curé qui se sont élevées à certaines années jusqu’à cinq ou six cent boisseaux de blé. Ces provisions étaient destinées à l’alimentation de la maison de Providence (1358) qu’il avait fondée. J’ai entendu raconter par mon père la multiplication du blé, de la pâte et du vin. Mon père croyait à ces témoignages de la bonté de Dieu. Pendant les années qui suivirent le jubilé de mil huit cent vingt-six, de même qu’antérieurement pendant la mission de Trévoux, j’ai été souvent envoyé par mon père le samedi, afin d’accompagner Mr le Curé à sa rentrée dans la paroisse. Nous suivions rarement la route la plus courte et la mieux tracée, même au milieu des neiges et des froids de l’hiver. Mr le Curé avait toujours à exercer son zèle auprès de différentes personnes. Le trajet était toujours fort court tant le Serviteur de Dieu savait l’abréger en me parlant de Dieu et en citant des traits on ne peut plus intéressants de la vie des saints. S’il m’arrivait de faire remarquer quelques fois l’intensité du froid, ou de la difficulté des chemins, sa réponse était toujours prête : « Les saints, mon ami, en ont bien souffert davantage. Offrons cela au bon Dieu. » Dès qu’il cessait ces entretiens spirituels, on récitait le chapelet. Aujourd’hui encore je garde l’édifiant souvenir de ses saintes conversations.



Mr Vianney a mangé quelquefois chez mon père, maire d’Ars, jamais par invitation. Il arrivait quelquefois à l’heure du repas et alors il y prenait part avec plaisir, acceptant une pomme de terre et ne craignant pas de prendre un peu de vin en offrant une santé à toute la famille.



Mr le Curé était très occupé dans les missions. J’ai entendu quelques fois des méchants ou des contradicteurs me dire : « Oh ! votre curé ! Il est bien comme les autres. » Et je leur répondais : « Vous vous trompez, il y a longtemps que je le suis (l’observe) ; c’est un saint. » Sa bonté, sa charité, sa mortification m’ont toujours frappé beaucoup, ainsi que tous ceux qui en ont été les témoins. Nous voyions en lui un homme de Dieu tellement pénétré de son amour qu’il le faisait irrésistiblement passer dans le coeur de tous ses auditeurs.



Depuis la mort de Mr le Curé, j’en suis (1359) plus touché encore toutes les fois que j’y pense. On prêche bien, mais on ne parle pas comme lui.



Mr Vianney passait presque tout son temps à l’église ; il ne donnait que peu de temps au sommeil. Je l’ai su en allant le chercher pendant la nuit pour venir auprès de mon père, de ma mère et de mes autres parents malades : c’est presque toujours au confessionnal que je l’ai trouvé, malgré qu’il ne fût encore qu’une heure ou deux heures du matin. Il m’est arrivé de trouver à ces heures plus de trente ou quarante personnes auprès de son confessionnal. La personne chargée de veiller à l’ordre parmi les pèlerins m’opposait dans une circonstance de la résistance et ne voulait pas me laisser arriver à Mr le Curé. Elle élevait la voix et comme j’insistais, Mr Vianney, me reconnaissant, sortit à l’instant, laissa là ses pénitents et daigna se rendre auprès de mon père malade. C’est ainsi qu’il se conduisait toutes les fois qu’on recourait à lui pour l’exercice de son ministère. Il quittait tout et se dévouait à ses paroissiens.



Mr Vianney avait un soin particulier d’inspirer le renoncement et le sacrifice. « Quand vous avez bien envie d’une chose, disait-il souvent, faites-en le sacrifice à Dieu. C’est le moyen le plus sûr de lui être agréable. » Sa charité ne s’étendait pas seulement envers ses chères enfants de la Providence. Mon père qui était chargé de son grenier et moi-même nous avons eu plus d’une fois à conduire des sacs de blé par son ordre à de pauvres familles de la paroisse ou d’ailleurs. Je sais aussi par mon père qu’il a été chargé de payer de la part de Mr Vianney des loyers et de remettre des sommes d’argent à des malheureux. La charité de Mr le Curé, comme celle de Dieu, couvrait la multitude des péchés, il donnait à tous, sans distinction de bons et de mauvais. « La charité est toujours agréable à Dieu : elle obtient son effet et touchera peut-être un jour le pécheur endurci. Si on abuse, disait-il, tant pis. Dieu est toujours servi. »



Mr Vianney parlait souvent des croix ; il en a eu à porter, mais on ne s’en apercevait jamais. Les peines que lui causaient les dérèglements des cabarets et des danses, le jour de la fête patronale, l’engagèrent plusieurs fois à se servir de mon père, afin de désintéresser à ses frais les personnes des bénéfices probables (1360) qu’elles pouvaient faire. C’est ainsi que par sa charité il coupa court aux plus grandes sources de désordre.



Qua responsione accepta, omissis coeteris interrogatoriis completum esse examen praedicti testis, qui aliunde ut circa quaedam facta Servi Dei deponeret inductus fuerat, Rmi Judices Delegati decreverunt, et per me Notarium Actuarium, de mandato Dominationum suarum Rmarum perlecta fuit eidem testi integra depositio ab ipso emissa a principio usque ad finem, qua per ipsum bene audita, illam in omnibus confirmavit, ac postea propria manu se subscripsit ut sequitur.



Ita pro veritate deposui.



Antoine Mandy




Ars Procès informatif 1333