Augustin, du Baptême


LIVRE PREMIER

Validité et Nullité du Baptême Hérétique.

Saint Augustin y prouve que le baptême peut être conféré hors de la communion catholique par des hérétiques ou des schismatiques. Toutefois ce n'est pas de leurs mains qu'on doit le recevoir, et il ne sert de rien tant que l'on reste volontairement dans te schisme ou l'hérésie

CHAPITRE PREMIER. VALIDITÉ DU BAPTÊME ET DE L'ORDINATION DES SCHISMATIQUES.

1. Dans ma réponse à la lettre de Parménien, j'ai promis de traiter plus à fond la question du baptême (Contre la lettre de Parménien, liv. 2,ch. 11V); et même, en dehors de toute promesse de ma part, je devrais encore entreprendre ce travail, pour faire droit aux instantes supplications qui me sont adressées par mes frères. M'appuyant donc sur le secours du Seigneur, je me propose, non-seulement de réfuter et de résoudre les difficultés que nous opposent les Donatistes, mais encore de justifier de tout schisme le bienheureux martyr Cyprien, sur l'autorité duquel ils osent s'appuyer pour s'obstiner dans leur perversité, et fermer les yeux à l'évidence de la vérité. A tous ceux que n'aveugle pas la fureur du parti pris, je prouverai que Cyprien, loin de les autoriser, les condamne et les réprouve.
2. Dans les livres que je viens de rappeler, j'ai dit hautement que le baptême peut être conféré en dehors de la communion catholique, comme il peut y être possédé et conservé. Tous les Donatistes n'affirment-ils pas que les apostats conservent en eux le caractère du baptême? Et, en effet, qu'un apostat se repente de son crime et revienne à résipiscence, on ne lui rend pas le baptême, ce qui prouve qu'on le regarde comme l'ayant conservé. De même, s'il s'agit de ceux qui par le schisme se sont séparés de l'Eglise, il n'est pas moins certain qu'ils conservent le baptême reçu avant leur séparation; car s'ils font pénitence, et rentrent dans l'unité, on ne leur réitère pas le sacrement, ce qui prouve qu'on les regarde comme n'ayant pu perdre, par leur crime, le baptême qu'ils avaient précédemment reçu. Or, si l'on peut validement posséder le baptême hors de I'Eglise, pourquoi donc ne pourrait-on pas l'y conférer validement? Mais, me direz-vous, cette collation du baptême hors de l'Eglise n'est pas légitime; je vous réponds La possession du baptême hors de l'Eglise n'est pas légitime, et cependant elle existe; de même la collation n'est pas légitime, et cependant elle est valide. Hors de l'Eglise le baptême que vous aviez reçu vous devenait inutile pour le salut, tandis qu'il recouvre son efficacité dès que vous êtes rentré dans l'unité; de même, dès que vous rentrez dans l'unité, le sacrement qui vous avait été inutilement conféré hors de l'Eglise, commence à produire en vous ses (67) nombreux effets. C'est donc une erreur de soutenir que ce qui a été donné n'a pas été donné; ou d'affirmer que tel homme n'a pu donner ce qu'il assure avoir reçu validement. En effet, dès qu'un homme est baptisé, il possède le sacrement de baptême, et dès qu'il est ordonné, il a le droit et le pouvoir de baptiser. Or, de même que celui qui est baptisé ne perd pas le sacrement de baptême, en se séparant de l'unité; de même en se jetant dans le schisme, celui qui a été ordonné ne perd pas le droit de conférer le baptême. Aucun de ces deux sacrements ne saurait être outragé: si l'un des deux quitte les méchants, l'autre les quitte également; et si l'un des deux persévère au milieu des méchants, l'autre y persévère au même titre. De même donc qu'on ratifie le baptême que n'a pu perdre celui qui s'était séparé de l'unité; de même on doit ratifier le baptême conféré par un ministre, qui, en se séparant de l'unité, n'avait pas perdu le sacrement de l'ordination. On ne réitère pas le baptême à ceux qui, rentrant dans l'unité, avaient reçu ce sacrement avant de tomber dans le schisme; de même on ne réitère pas l'ordination à ceux qui, rentrant dans l'unité, avaient été ordonnés avant de tomber dans le schisme: si l'Eglise le juge utile, elle leur permet d'administrer ce qu'ils administraient; et si, pour les punir, elle leur refuse cette autorisation, elle ne laisse pas de les regarder comme réellement ordonnés et s'abstient de leur imposer les mains, comme elle les impose aux laïques. Félicianus, par exemple, avait-il donc perdu le baptême et l'ordination, en quittant les Donatistes pour embrasser la secte de Maximien? Est-ce que ces mêmes Donatistes n'ont pas ouvert leurs rangs à tous ceux que Félicianus avait baptisés pendant qu'il appartenait au schisme de Maximien? Ainsi donc, des hommes qui n'avaient jamais appartenu à l'Eglise, ont pu recevoir de la main des Donatistes et des Maximianistes ce que ceux-ci n'avaient pas perdu en se séparant de l'unité. J'en conclus que c'est une impiété sacrilège de vouloir rebaptiser l'unité catholique, et que nous sommes parfaitement dans la vérité lorsque nous refusons d'invalider les sacrements, alors même qu'il ont été conférés dans le schisme. En effet, les schismatiques sont avec nous dans les points sur lesquels ils pensent comme nous; comme aussi ils se séparent de nous dans les points sur lesquels ils ont une doctrine différente de la nôtre. Rappelons-nous qu'il s'agit ici de matières essentiellement spirituelles, et qu'il serait absurde de vouloir leur appliquer les lois qui régissent les mouvements corporels dans leur rapprochement ou leur éloignement. L'union des corps s'opère par la conjonction des mêmes lignes; de même le contact des esprits s'opère par la conjonction des volontés. Si donc, celui qui s'est séparé de l'unité, prétend faire autre chose et user de pouvoirs qu'il n'a pas reçus dans l'unité, par cela même il s'éloigne et se sépare; au contraire, tant qu'il ne fait que ce qui se fait dans l'unité, et observe les conditions essentielles qui lui ont été enseignées, en cela du moins il reste et persévère dans l'unité.


CHAPITRE II. LE BAPTÊME, POUR LES ADULTES, N'EST EFFICACE QUE DANS L'UNITÉ.


3. Ainsi donc les Donatistes sont avec nous sur certains points, et sur d'autres ils se sont séparés de nous. Quant aux points sur lesquels ils sont avec nous, toute liberté d'action leur est laissée; mais quant aux doctrines qui nous séparent, nous les invitons à venir apprendre de nous, ou à revenir réapprendre la seule doctrine salutaire et véritable. C'est vers ce but que tendent tous nos efforts; ce que désire notre charité, c'est leur conversion et leur retour sincères. Nous ne leur disons pas: Gardez-vous de donner; mais: Gardez-vous de donner dans le schisme. A ceux qui nous paraissent devoir accepter le baptême, nous ne disons pas: Gardez-vous de le recevoir; mais Gardez-vous de le recevoir dans le schisme. Je suppose que tel homme, placé dans une nécessité extrême, ne trouve aucun catholique pour lui conférer le baptême, et avec la disposition sincère de conserver la paix catholique, reçoive des mains d'un schismatique le sacrement qu'il aurait reçu dans l'unité catholique; dans le cas où il mourrait aussitôt, nous n'hésiterions pas à le regarder comme catholique. Si la mort l'épargnait, dès qu'il aura fait acte de présence corporelle dans cette société catholique à laquelle il a toujours été uni par le coeur, non seulement nous ne désapprouverons pas sa conduite, mais nous lui prodiguerons des (68) éloges aussi sincères que mérités. En effet, n'a-t-il pas cru à la présence de Dieu dans son coeur, par cela même qu'il conservait l'unité? et n'a-t-il pas prouvé qu'il ne voulait pas mourir avant d'avoir reçu le baptême dont il proclamait hautement l'institution divine, quel que fût du reste le ministre qui le lui conférât? Mais je suppose, au contraire, que tel homme, pouvant se faire baptiser dans l'unité catholique, se laisse séduire par la perversité de son esprit, et choisisse le baptême schismatique: plus tard il réfléchit, l'Eglise catholique lui apparaît la seule société où puisse produire tous ses effets ce sacrement qu'il a pu recevoir ailleurs, mais qui ne peut sauver les adultes que dans l'unité; enfin il pense même à revenir à cette unité; or, je dis que dans de telles dispositions cet homme est pervers et criminel, et d'autant plus criminel qu'il est plus instruit. Car il ne doute pas que c'est dans l'unité qu'il doit recevoir le baptême, comme c'est dans l'unité seule que ce sacrement peut produire ses effets, n'importe à quelle source il soit allé le demander.


CHAPITRE 3. AFFIRMATIONS CONTRADICTOIRES DES CATHOLIQUES ET DES DONATISTES.

4. Nous affirmons deux choses, savoir que l'Eglise possède le véritable baptême et qu'elle seule le confère légitimement: ces deux choses sont niées par les Donatistes. Nous affirmons ensuite que les Donatistes possèdent également le véritable baptême, mais qu'ils le confèrent illégitimement; de leur côté, ils proclament avec emphase le premier de ces deux points, c'est-à-dire qu'ils possèdent le véritable baptême; quant à la collation illégitime qu'ils font de ce sacrement, ils ne veulent pas l'avouer. Ainsi, de ces quatre propositions, trois nous sont exclusivement personnelles, une seule nous est commune à eux et à nous. Seuls, nous soutenons contre eux que l'Eglise catholique possède le véritable baptême, qu'il n'y a qu'elle pour le conférer légitimement, et que la collation qui en est faite par les Donatistes est illégitime; quant à l'existence du véritable baptême parmi eux, ils l'affirment, et nous le leur concédons facilement. Or, je suppose dans un homme le désir de recevoir le véritable baptême; il est convaincu d'ailleurs que c'est uniquement dans l'Eglise catholique qu'il doit chercher le salut, et que c'est là seulement que le baptême de Jésus-Christ peut produire ses précieux effets, lors même qu'il aurait été reçu dans le schisme; d'un autre côté, c'est dans la secte de Donat qu'il veut être baptisé, dit-il, puisque Donatistes et catholiques, tous sont unanimes à attribuer à cette secte la possession du véritable baptême. Que cette considération le frappe, j'y consens, mais qu'il réfléchisse également aux trois autres propositions. En effet, s'il a pris le parti d'adopter les trois maximes que nos adversaires rejettent, tout en préférant la doctrine émise en même temps par les catholiques et par les Donatistes, à celle qui nous est exclusivement personnelle; je dois d'abord constater que son choix est tout à notre avantage, puisqu'il préfère nos affirmations aux négations correspondantes de nos adversaires. Or, nous disons que l'Eglise catholique possède le véritable baptême; les Donatistes le nient. Nous disons que l'Eglise catholique confère légitimement le baptême; les Donatistes le nient. Nous disons que la collation du baptême faite par les Donatistes est illégitime; les Donatistes le nient. Donc, puisque sur tous les points contradictoirement affirmés ou niés par les catholiques et par les Donatistes, c'est à nous qu'il donne la préférence, qu'il se montre conséquent et qu'il fasse ce que seuls nous lui disons de faire. Quant à la seule vérité sur laquelle les uns et les autres nous tombons d'accord, elle doit lui apparaître avec un caractère de certitude que n'ont pas sans doute, à ses yeux, les propositions émises par nous et niées par nos adversaires. Catholiques et Donatistes, nous affirmons tous que le baptême de Jésus-Christ se trouve dans la secte de Donat; cette affirmation doit donc lui paraître plus certaine que toutes celles que nous formulons seuls, nous catholiques. Mais, d'un autre côté, quand nous affirmons que l'Eglise catholique possède également le baptême de Jésus-Christ, tandis que les Donatistes le nient, c'est notre parole qu'il doit croire et non pas celle des Donatistes, puisqu'il a pris le sage parti de nous donner la préférence toutes les fois qu'il y a contradiction entre nous et nos adversaires. De même nous disons que l'Eglise catholique confère légitimement le baptême, les Donatistes le nient; donc, c'est à nous qu'il doit s'en rapporter. Enfin, nous affirmons (69) que la collation du baptême faite par les Donatistes est illégitime; les Donatistes le nient; par conséquent, toujours d'après la même règle, c'est nous qu'il doit accepter comme juges, Par conséquent, c'est en vain qu'il se croirait le droit de recevoir dans cette secte un sacrement qu'elle possède, il est vrai, nous en convenons tous, mais que selon nous du moins elle ne doit pas administrer. N'oublions pas que le néophyte dont je parle est intimement convaincu que c'est à nous qu'il doit s'en rapporter, toutes les fois qu'il y a contradiction entre nous et les Donatistes. S'il veut être en sûreté, qu'il reçoive donc le baptême là où il se trouve, et là seulement où l'on peut le conférer légitimement; au contraire, qu'il se garde bien de le recevoir dans une secte, qui le possède, il est vrai, mais à laquelle nous refusons le droit de l'administrer, nous dont l'opinion doit être pour lui sa règle de conduite. Supposé même que la collation faite par les Donatistes, sans lui paraître absolument illégitime, lui parût seulement douteuse, tandis que la collation faite par les catholiques lui paraît de tous points légitime, je dis qu'il pécherait mortellement, par cela seul que, sur un point nécessaire au salut, il négligerait ce qui est certain pour embrasser le parti douteux. Ce qui prouve qu'il est assuré de la légitimité du baptême dans l'Eglise catholique, c'est la résolution qu'il a prise d'entrer dans cette Eglise après avoir été baptisé dans le schisme. Quant à la légitimité du baptême des Donatistes, le moins qu'il puisse faire, c'est de la regarder comme douteuse, puisque ceux dont il doit préférer le témoignage le lui affirment sans hésiter. Qu'il préfère donc le certain à l'incertain, et qu'il reçoive le baptême là où il est certain de sa légitimité; tel est le seul parti qui lui reste à prendre, puisqu'il se proposait de revenir à l'Eglise catholique, après avoir reçu le baptême dans le schisme.


CHAPITRE IV. C'EST UN CRIME DE DEMANDER LE BAPTÊME AUX DONATISTES.

5. Quelqu'un m'objectera peut-être qu'il ne comprend pas comment il peut se faire que les Donatistes, possédant le baptême véritable, ne puissent le conférer légitimement. Tout d'abord je lui fais remarquer qu'en appliquant à leur collation du baptême la note d'illégitimité, nous ne faisons contre eux que ce qu'ils font eux-mêmes contre ceux qui se sont séparés de leur secte. Je lui propose également comme terme de comparaison ce qui constitue les insignes propres de la milice; en dehors de la milice, ces insignes peuvent être portées et conférées par les déserteurs; et cependant, quoique ces déserteurs n'aient le droit ni de les porter ni de les conférer, on ne laisse pas de les conserver à celui qui rentre librement dans les rangs de l'armée. D'un autre côté, tout autre est la condition de ceux qui, par imprudence, s'affilient à une secte hérétique, la prenant pour l'Eglise catholique, et tout autre la condition de ceux qui savent qu'il n'y a d'Eglise catholique que celle qui, réalisant en elle-même les prophéties, étend ses rameaux jusqu'aux confins de la terre, croît au sein de la zizanie, et, affligée des scandales qui l'entourent, aspire après le repos éternel et s'écrie avec le Psalmiste: «J'ai crié vers vous des confins de la terre; quand mon âme languissait sous le poids de la douleur, vous m'avez exalté sur la pierre». Cette pierre, c'est Jésus-Christ, en qui, selon l'Apôtre, nous sommes ressuscités et glorifiés (Ep 2,6), non pas encore en réalité, mais en espérance. De là ces autres paroles du Psalmiste: «Vous m'avez retiré de l'abîme, parce que vous vous êtes fait mon espérance, ma force et mon soutien contre la fureur de mon ennemi Ps 60,3-4)». En effet, appuyés sur ces promesses divines comme sur une tour inexpugnable, non-seulement nous n'avons rien à craindre, mais nous pouvons repousser victorieusement les assauts de cet ennemi qui revêt ses loups de la peau des brebis (Mt 7,15), et leur fait crier partout: «Le Christ est ici, le Christ est là (Mt 34,23) ». A l'aide de ces séductions, ces loups cruels finissent par arracher à la cité universelle, fondée sur la montagne, un grand nombre de ses habitants, qu'ils étouffent et dévorent dans les étreintes de leur rage. Et des hommes qui savent ce qui les attend, osent encore recevoir le baptême de Jésus-Christ, en dehors de la communion de l'unité du corps de Jésus-Christ, sauf à rentrer ensuite dans cette communion avec le baptême qu'ils auront reçu dans le schisme? Ils auront sans doute le baptême de Jésus-Christ, mais ne savent-ils (70) pas qu'ils se posent en adversaires de l'Eglise de Jésus-Christ, le jour même où le baptême leur est conféré? N'est-ce pas le plus grand des crimes? et des hommes auraient l'audace de dire: Qu'il me soit permis de commettre ce crime, ne fût-ce que pour un seul jour? S'il doit entrer dans l'Eglise catholique, je demande pour quelle raison? Parce que, me répondront-ils, c'est un crime d'appartenir à la secte de Donat et d'être séparé de l'unité catholique. Par conséquent, autant vous passez de jours dans cette secte mauvaise, autant de jours vous passez dans le mal. On pourra dire, sans doute, que le mal s'accroît avec le nombre des jours, et qu'il diminue dans la même proportion, selon le petit nombre des jours; pourtant, vous n'irez pas jusqu'à dire qu'il n'y a aucun mal. Or, quel besoin vous presse donc de commettre ce mal, ne fût-ce que pour un jour, ne fût-ce que pour une heure? Celui qui éprouverait ce besoin pourrait tout aussi bien demander à l'Eglise, et voire même à Dieu, la permission d'apostasier, ne fût-ce que pour un jour. S'il ne craint pas d'être hérétique ou schismatique pour un jour, pourquoi craindrait-il d'être apostat pour un jour? Je cherche, mais en vain, la raison de cette différence.


CHAPITRE V. OBJECTION: RÉPONSE.

6. J'ai préféré, dit-il, recevoir le baptême de Jésus-Christ, là où il se trouve, de l'avis de tous les adversaires. Mais ceux dans les rangs desquels vous devez vous réfugier vous affirment que, dans le schisme, toute collation du baptême est illégitime, tandis que ceux dont vous devez vous séparer soutiennent qu'il y est légitimement conféré. Or, n'oubliez pas que toutes les fois qu'il y a division entre les Donatistes et les catholiques, c'est à ces derniers que vous donnez la préférence; par conséquent, vous devez regarder comme fausse ou du moins comme très-douteuse, la proposition qu'émettent ici les Donatistes, et préférer ce qui est vrai à ce qui est faux, ou ce qui est certain à ce qui est incertain. Que l'Eglise catholique, dans les rangs de laquelle vous devez vous réfugier après avoir reçu ailleurs le baptême, puisse légitimement vous administrer ce sacrement, c'est ce que tous les catholiques vous affirment, c'est ce que vous avouez vous-même. En effet, si vous en doutiez, comment ne douteriez-vous pas de l'obligation où vous êtes d'entrer dans nos rangs? Admettons, si vous voulez, que l'on puisse douter que la collation du baptême dans la secte de Donat soit réellement un péché; comment ne pas regarder comme certainement coupable celui qui ne va pas chercher le baptême dans la seule société où il soit certain que la collation de ce sacrement n'est pas un péché? Quant à ceux qui par ignorance se font baptiser dans la secte de Donat, regardant cette secte comme I'Eglise de Jésus-Christ, ils sont assurément moins coupables que ceux qui agissent en connaissance de cause; et cependant ils ne laissent pas de recevoir, de ce sacrilège du schisme, une blessure véritable qui n'en est pas moins profonde, quoiqu'il y en ait d'autres plus profondes encore. S'adressant à quelques-uns de ses auditeurs, le divin Maître leur disait:«Au jour du jugement vous serez traités plus sévèrement que les habitants de Sodome (Mt 11,24)»; de là faudrait-il conclure que les Sodomites ne seront pas tourmentés, parce que d'autres le seront davantage?

7. J'avoue que peut-être la vérité que j'énonce a pu pendant quelque temps rester inconnue ou douteuse. Mais depuis que tous ceux qui réfléchissent s'empressent de se convertir et d'implorer leur guérison, l'ignorance n'est plus possible pour les autres, et leur crime n'en devient que plus grave, puisqu'ils s'y abandonnent avec plus d'obstination et de perversité. Depuis qu'on a vu les Maximianistes solennellement condamnés, puis quelque temps après réconciliés, ainsi que tous ceux qu'ils avaient baptisés hors de la communion de Donat, et par là même dans le schisme et dans le sacrilège; depuis que tout cela a été sanctionné et confirmé par leur concile, il ne peut plus y avoir de difficultés à résoudre, toute la question est parfaitement résolue. Entre nous et les Donatistes restés fidèles à Primianus, il est maintenant hors de doute que le baptême de Jésus-Christ peut être non-seulement possédé, mais même conféré par ceux qui sont hors de l'Eglise. De même qu'ils sont contraints d'avouer, dans tous ceux qui furent baptisés par Félicianus, la possession du baptême (71) vériable, puisqu'ils les ont reçus dans leurs rangs, avec le seul baptême qui leur avait été conféré dans le schisme; de même nous disons qu'en dehors de la communion catholique, le véritable baptême de Jésus-Christ peut être conféré par ceux qui sont retranchés de cette communion; car, malgré leur schisme, ils n'ont pa,s perdu ce sacrement. De plus ils soutiennent qu'en réintégrant dans leur secte tous les dissidents baptisés dans le schisme par Félicianus, s'ils ne leur ont pas réitéré le baptême, du moins ils ont détruit la cause qui frappait d'une complète stérilité le baptême reçu dans le schisme. Nous disons, nous, que ce bienfait n'est conféré par Dieu que dans la communion catholique, à tous ceux qui reviennent à l'unité et quittent les hérésies ou les schismes dans lesquels ils avaient reçu le baptême. Ce bienfait n'a pas four effet de leur donner ce qu'ils n'avaient pas, c'est-à-dire le sacrement de baptême, mais de conférer à ce sacrement une efficacité qu'il ne possédait ni dans le schisme, ni dans l'hérésie.


CHAPITRE VI. LES DONATISTES CONFONDUS PAR LEURS PROPRES SECTES.

8. Entre nous et les principaux donatistes groupés autour de Primianus, évêque de Carthage, il n'y a plus de controverse possible. En effet, ce qu'ils avaient toujours refusé aux insinuations de la charité, Dieu lui-même le leur a arraché par la conduite qu'ils se sont vus obligés de suivre à l'égard des Maximianistes. Toutefois je continue la discussion, pour leur prouver qu'ils n'ont pas même à alléguer en leur faveur la sévérité qu'ils déploient à se refuser à toute communication avec ces quelques donatistes dont le petit nombre est amplement compensé par la sincérité. Lors même que ces quelques malheureux seraient tous maximianistes, nous n'aurions pas le droit de dédaigner leur salut. Mais voici qu'il s'agit de la plus petite des sectes du donatisme; car toutes ces petites sectes reprochent à leur soeur la plus grande, c'est-à-dire à celle qui a pour chef Primianus, d'avoir reconnu comme valide le baptême conféré par les Maximianistes; toutes soutiennent que le véritable baptême n'appartient qu'à elles, à l'exclusion absolument, soit de cette société qui se dit l'Eglise catholique, parce qu'elle est répandue sur toute la terre, soit même de la secte qui est restée la plus nombreuse parmi toutes les sectes du donatisme, soit enfin de toutes les autres quelles qu'elles soient. Si toutes ces petites sectes voulaient écouter la voix, non pas de l'homme, mais de l'évidence et de la vérité s'il leur plaisait de dompter les élans de leur perversité, ce n'est pas au plus gros tronçon du donatisme qu'elles retourneraient; mais, frappées de leur stérilité propre, elles viendraient s'enter à la fécondité de la racine catholique. En tant que toutes ces sectes ne sont pas contre nous, elles sont pour nous; mais en tant qu'elles ne recueillent pas avec nous, elles dissipent.


CHAPITRE VII. PREUVES TIRÉES DE L'ÉVANGILE.

9. Je crains qu'on ne m'accuse de n'avoir à fournir que des arguments humains dans une question restée du reste assez obscure pendant les premiers siècles de l'Eglise jusqu'au schisme de Donat. Les docteurs les plus illustres, les Pères les plus distingués, quoique toujours unis dans les liens de la paix, ont parfois très-chaudement discuté sur ce point et porté pour leurs propres diocèses des décisions quelque peu différentes, jusqu'à ce qu'enfin l'on vît intervenir la sentence solennelle d'un Concile général qui dissipa toutes les hésitations. A l'appui de cette décision je veux apporter des témoignages de l'Evangile, pour prouver, avec l'aide de Dieu, qu'il entre parfaitement dans les desseins du Seigneur de guérir, par l'application des remèdes de l'Eglise, les plaies réelles qui en tenaient éloigné l'hérétique ou le schismatique; quant à ce qui demeure sain en eux, l'Evangile nous ordonne de le constater et de l'approuver, et non pas de le repousser comme une souillure. Le Seigneur nous dit dans l'Evangile: «Celui qui n'est pas avec moi est contre moi, et celui qui ne recueille pas avec moi dissipe». Mais voici qu'un jour les disciples rapportent à leur Maître qu'ils ont rencontré tel homme qui chassait les démons au nom de Jésus et qu'ils l'en ont empêché, pal-ce qu'il n'était pas du nombre des disciples. «Ne l'empêchez pas», répond le Sauveur, «car celui qui n'est pas contre vous est (72) pour vous. Personne ne peut opérer de prodige en mon nom et parler mal de moi (Mc 9,38-39 Lc 9,30)». Puisqu'il n'y avait rien à corriger dans cet homme, ne doit-on pas regarder comme étant en sûreté celui qui, en dehors de la communion de l'Eglise, recueille au nom de Jésus-Christ, quoiqu'il soit séparé de la société chrétienne? Mais alors il faut donc accuser formellement de mensonge ces paroles pourtant si claires: «Celui qui n'est pas avec moi est contre moi, et celui qui ne recueille pas avec moi dissipe?» Et si, de la part des disciples, leur zèle à empêcher cet homme n'était répréhensible que parce qu'ils agissaient par ignorance, ce qui n'empêche pas qu'en réalité la conduite de cet homme était mauvaise et coupable; comment donc le Sauveur défend-il à ses disciples d'empêcher cet homme: «Gardezvous de l'empêcher?» Et comment dès lors reconnaître comme vraie cette parole explicite: «Celui qui n'est pas contre vous est pour vous?» Puisque cet étranger n'opérait ses prodiges qu'au nom de Jésus-Christ, n'était-il pas pour les disciples et non pas contre eux? Il s'agit donc de concilier ces deux sentences dont chacune est infailliblement vraie, quoique toutes deux paraissent contradictoires: «Celui qui n'est pas pour moi est contre moi, celui qui ne recueille pas avec moi dissipe»; et cette autre: «Gardez-vous de l'empêcher, car celui qui n'est pas contre vous est pour vous». Or, toute contradiction disparaît dès que vous admettez que cet bomme méritait des félicitations en tant qu'il entourait le nom de Jésus d'une vénération réelle, vénération qui le rapprochait de l'Eglise au lieu de l'en séparer; au contraire il méritait d'être blâmé en tant qu'il refusait d'entrer dans la société des disciples, car alors il dissipait tout ce qu'il pouvait recueillir; enfin, supposé qu'il se fût présenté pour entrer dans l'Eglise, tout ce qu'on pouvait faire pour lui ce n'était pas de lui conférer ce qu'il avait déjà, mais de le purifier de sa faute et de son erreur.


CHAPITRE VIII.UN SEUL MEMBRE MALADE MET TOUT LE CORPS EN DANGER.

10. Prenons pour exemple Corneille encore païen. On ne saurait dire que ses prières n'ont pas été exaucées, ou que ses aumônes n'ont pas été agréées. Un ange ne lui fut-il pas envoyé? Ne mérita-t-il pas de contempler la face de ce messager céleste, par l'organe duquel, sans le concours d'aucun homme, il aurait pu recevoir la connaissance de toutes les vérités nécessaires? D'un autre côté, tout ce qu'il pouvait y avoir de bon dans ses prières et dans ses aumônes, ne devait lui être d'aucune utilité tant qu'il ne serait pas incorporé à l'Eglise par le lien de la paix et de la société chrétienne? Voilà pourquoi Dieu lui-même lui ordonne d'aller trouver Pierre, et c'est par ce dernier que Corneille apprend à connaître Jésus-Christ; c'est par lui qu'il est baptisé; c'est par lui qu'il est incorporé au peuple chrétien et qu'il devient membre réel de cette communion à laquelle il n'appartenait jusque-là que par la similitude des bonnes oeuvres (Ac 10). Supposé que, se confiant orgueilleusement dans le bien qu'il possédait, il eût méprisé le bien qu'il ne possédait pas encore, ce mépris n'eût-il pas été pour lui tout à la fois un malheur et un crime? De même ceux qui, se séparant de la société catholique, violent les lois de la charité et brisent les liens de l'unité, peuvent être envisagés par nous à un double point de vue. Ou bien ils refusent absolument de faire ce qui a été fait pour eux dans l'Eglise, et renoncent à tout sans aucune exception; alors, si les adeptes qu'ils ont pu se créer manifestent le désir d'entrer dans l'Eglise, on doit leur conférer tout ce qu'ils n'ont pas reçu. Au contraire, s'ils administrent quelques sacrements, quant à ces sacrements ils ne sont pas séparés de l'Eglise et ne cessent pas de lui appartenir, quoique sur les autres points ils aient criminellement brisé avec elle. Par conséquent, ceux qu'ils se sont associés appartiennent à l'Eglise au même titre qu'ils lui appartiennent eux-mêmes; et s'ils veulent entrer dans l'Eglise, il suffit de guérir leurs blessures sans toucher aux parties saines qu'ils présentent; vouloir guérir en eux ce qui est sain, ce serait bien plutôt les blesser. Ainsi donc, en conférant le baptême, les schismatiques guérissent de la blessure de l'idolâtrie ou de l'infidélité, mais ils impriment la blessure plus grave encore du schisme ou de l'hérésie. En effet, nous voyons dans le peuple de Dieu le glaive frapper les idolâtres (Ex 23), tandis que la terre entr'ouvre (73) ses entrailles pour engloutir les schismatiques (Nb 16). D'un autre côté l'Apôtre s'écrie: «Lors même que j'aurais toute la foi suffisante pour transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité je ne suis rien».
11. Prenons pour comparaison tel malade présenté à un médecin comme atteint d'une blessure grave dans l'une des parties nécessaires de son corps. Le médecin déclare que la mort est imminente si le membre blessé n'est point soumis à un prompt traitement; comment supposer que ceux qui ont apporté ce malheureux seront assez insensés pour répondre au médecin: Comptez et voyez tous ceux de ses autres membres qui sont parfaitement sains, est-ce que tous ses membres sains ne pourront pas, pour conserver la vie, ce qu'un seul membre pourrait pour provoquer la mort? Loin de tenir un semblable langage, ils demandent la guérison pour le membre malade, sans que le médecin ait à s'occuper des membres sains; ils le conjurent d'appliquer des remèdes prompts et efficaces à cette seule partie dont la blessure menace d'une mort certaine les autres parties dont pourtant la santé est jusque-là florissante.De même je demande de quoi il peut servir à l'homme de posséder dans toute son intégrité la foi ou le sacrement de la foi, si le schisme a tué en lui la charité dont la mort suffit à elle seule pour conduire à la ruine éternelle les autres dons les plus parfaits? Pour empêcher cet effroyable malheur, la miséricorde de Dieu se répand à flots pressés sur le monde par le moyen de l'unité de la sainte Eglise et par le lien de la paix, afin que toutes les brebis égarées reviennent au bercail et soient guéries par le puissant remède de la réconciliation. Parce que nous disons des schismatiques qu'ils ont quelque chose de sain, qu'ils se gardent bien d'en conclure qu'ils jouissent d'une santé parfaite; et parce que nous leur dévoilons telle blessure dont ils sont atteints, pourquoi conclueraient-ils qu'ils doivent guérir ce qui est sain? Ainsi donc, quant à l'intégrité du sacrement, les Donatistes sont avec nous, puisqu'ils ne sont pas contre nous; mais quant à la blessure que leur a faite le schisme, puisqu'ils ne recueillent pas avec le Christ, ils dissipent réellement. Qu'ils ne se glorifient pas de ce qu'ils possèdent. Pourquoi, surtout, jeter des regards orgueilleux sur les quelques parties saines qu'ils peuvent posséder? Qu'ils daignent aussi regarder humblement la triste blessure qui leur est faite, qu'ils envisagent non pas seulement ce qu'ils ont, mais encore ce qui leur manque.


Augustin, du Baptême