Augustin, Catéchisme


TRAITÉS DU CATÉCHISME.


MÉTHODE

POUR ENSEIGNER AUX CATÉCHUMÈNES

LES ÉLÉMENTS DU CHRISTIANISME

ou

Traité du Catéchisme.

Traduction de M. CITOLEUX.


L'auteur, à la prière d'un diacre de Carthage, retrace les règles qui doivent guider le catéchiste. - Après avoir exposé la manière d'enseigner les vérités chrétiennes non-seulement avec méthode mais avec grâce et facilité, il joint l'exemple aux préceptes et propose deux discours comme modèles des instructions que l'on doit donner aux catéchumènes.



CHAPITRE PREMIER.

1001
BUT DE CE TRAITÉ.


1. Tu m'as prié, Déogratias mon frère, de t'adresser des conseils sur la manière de remplir tes fonctions de catéchiste. Chargé à Carthage, en qualité de diacre, d'initier au christianisme un grand nombre de personnes confiées à tes soins, sur la réputation dont tu jouis de savoir réunir, dans ton enseignement, la solidité de la doctrine à la grâce de l'élocution; tu hésites souvent, me dis-tu, sur la méthode à suivre pour enseigner avec facilité les vérités élémentaires qu'il faut croire pour obtenir le titre de chrétien. Tu me demandes où doit commencer, où doit finir cette exposition; s'il est nécessaire d'y ajouter quelques exhortations, ou s'il suffit de formuler simplement les préceptes dont l'observation est essentielle à celui qui veut embrasser la foi chrétienne et y conformer sa vie. Si j'en crois même tes aveux et tes plaintes, ta parole finit par devenir languissante et t'inspire du dégoût, loin de charmer le catéchumène et l'auditoire. Dans cette situation délicate, tu m'as prié, au nom rie la charité que je te dois, de vouloir bien, au milieu de mes travaux, t'adresser quelques conseils sur ce sujet.

1002 2. Pour moi, je trouve dans la charité et dans le sentiment des devoirs qui m'attachent, non-seulement à un ami en particulier, mais encore à l'Eglise en général, un motif impérieux de rendre sur-le-champ, avec un dévouement sans bornes, tous les services que me permettent d'offrir les bienfaits dont Dieu m'a comblés et qu'il m'impose envers ceux dont il a fait mes frères. Plus je désire voir se répandre au loin les trésors du Seigneur,plus je suis obligé d'adoucir les peines qu'éprouvent ses serviteurs et mes collaborateurs à les faire valoir; plus je dois, dans la mesure de mes forces, leur faciliter la tâche qu'ils brûlent de remplir.

CHAPITRE II.

1003
PAR QUEL SECRET L'AUDITEUR GOÛTE-T-IL SOUVENT UN DISCOURS DONT L'ORATEUR EST MÉCONTENT? LE PRÉDICATEUR DOIT AVANT TOUT PRÉVENIR L'ENNUI ET ÉGAYER SON ÉLOCUTION.


3. Pour en venir à la question qui te préoccupe, je ne voudrais plus te voir songer avec tristesse au style plat et languissant que tu prétends remarquer dans tes instructions, Ces défauts échappent peut-être à ton auditeur, et tu te figures sans doute que ta parole ne mérite pas d'être écoutée, parce qu'elle ne répond pas assez à ton idéal. Moi-même je suis presque toujours mécontent de mes discours. Je me forme un idéal qui me ravit en moi-même aussi longtemps que je ne cherche pas à le rendre par la parole. Ne puis-je l'exprimer dans toute sa beauté? Je m'afflige en voyant que ma langue ne peut répondre aux inspirations de mon coeur. Car je voudrais faire entrer dans l'esprit des auditeurs ma pensée tout entière, et je sens que ma parole est incapable de produire cet effet. L'idée (61) pénètre dans mon esprit comme un rayon de lumière; mon langage se traîne, languit et la reflète à peine; pendant qu'il se débrouille, elle se perd damas ses mystérieuses profondeurs; toutefois, par une merveilleuse propriété, elle imprime dans la mémoire des traces qui subsistent avec les termes mêmes destinés à la fixer. Ces impressions donnent naissance aux signes phonétiques dont l'ensemble compose un idiome, le grec, le latin, l'hébreu, ou toute autre langue; que l'on pense seulement à ces signes ou qu'on les produise avec la voix, peu importe; les impressions de la pensée ne sont ni grecques, ni latines, ni hébraïques; elles ne sont particulières à aucun peuple, elles se forment dans l'esprit comme les traits se dessinent sur le visage. La passion de la colère est désignée en grec, en latin, en hébreu et dans les divers idiomes par un terme différent. L'expression de la colère sur la physionomie humaine n'est point un langage spécial à la Grèce ou à l'italie. Pour comprendre celui qui s'écrie: Iratus sum (1), je suis en colère, il faut être initié à la langue latine; mais que le mouvement d'une âme en courroux éclate sur le visage et se peigne dans tous les traits, il suffit de voir le jeu de la physionomie pour comprendre qu'elle exprime la colère. Or, il est impossible de retracer par la parole et de représenter aux oreilles de l'auditeur, avec l'évidence irrésistible de la physionomie, les traces que les idées laissent dans la mémoire ici tout est intérieur, là tout éclate au dehors. On peut ainsi mesurer l'intervalle qui existe entre l'apparition soudaine des idées et le langage, puisqu'il se forme plus lentement encore que les impressions dans la mémoire. Que faisons-nous donc? Ne songeant qu'aux intérêts de notre auditoire, nous voulons, malgré l'impuissance qui trahit nos efforts, exprimer les pensées comme nous les concevons; notre insuccès nous désespère; la pensée que notre travail est superflu nous fait tomber dans le découragement et le dégoût. La tiédeur et la faiblesse de nos discours, principe de notre découragement, s'accroissent par notre découragement même.

1004 4. L'attrait qu'inspire ma parole aux auditeurs empressés de m'entendre, me révèle qu'il y a dans mes discours moins de langueur que je ne l'imagine: au plaisir qu'ils éprouvent, je reconnais tout le profit qu'ils en tirent, et

1. Je suis en colère.

je n'ai garde de manquer au ministère dont je les vois recueillir tant de fruits. Fais comme moi. Puisqu'on te confie souvent l'instruction des catéchumènes, tu dois en conclure que-tes discours n'inspirent pas aux autres la même répugnance qu'à toi-même; surtout il ne faut pas croire qu'ils sont inutiles, parce que l'expression ne rend pas ta pensée comme tu la conçois; car, ta pensée reste souvent elle-même au-dessous des choses. Quel homme ici-bas ne voit pas la vérité comme dans un miroir et à travers des énigmes (1)? L'amour lui-même n'est pas assez fort pour percer les ténèbres dont la chair nous enveloppe, et pour pénétrer dans cette éternité resplendissante à laquelle empruntent un éclat tel quel les choses éphémères d'ici-bas. Mais une perfection de plus en plus haute rapproche sans cesse les justes de ce jour éternel, où l'on ne connaît plus le mouvement périodique du ciel, ni le retour de la nuit, de cette merveille que l'oeil de l'homme n'a point vue, que son oreille n'a point entendue, que son coeur n'a jamais conçue (2); de là vient surtout le mécontentement où nous laissent nos instructions aux catéchumènes: nous aspirons à des pensées sublimes, la simplicité du langage ordinaire nous rebute.
A dire vrai, la sympathie de l'auditeur dépend de la sympathie qu'il trouve en nous; notre joie se mêle à toute la trame de notre discours; avec la joie naît la facilité et la grâce. La difficulté n'est donc pas ici de montrer où doit commencer, où doit finir l'exposition des vérités de la foi; d'apprendre le secret d'y jeter de la variété, tantôt en la développant, tantôt en l'abrégeant, sans être incomplet; enfin de déterminer les cas qui exigent de l'ampleur ou de la précision dans le style; le point essentiel, c'est de donner des règles pour faire le catéchisme avec joie car, plus on sait plaire, plus l'enseignement est efficace. La raison n'en est pas difficile à trouver: Dieu aime celui qui donne avec joie (3), ce qui est plus vrai encore dans l'ordre spirituel que s'il était question d'un don pécuniaire. Mais, pour obtenir à propos cette joie attrayante, il faut la demander à Celui qui en a fait un précepte. Ainsi donc nous allons d'abord parler des justes limites où doit se renfermer la narration, comme tu me le demandes, puis de la méthode la plus propre à instruire et à toucher, enfin des moyens de plaire, selon les lumières que Dieu nous communiquera.


1.
1Co 12,12. - 2. 1Co 2,9. - 3. 2Co 9,7.

62



CHAPITRE 3.

1005
EN QUOI CONSISTE UNE NARRATION COMPLÈTE AU POINT DE VUE DU CATHÉCHISME? ELLE DOIT AVOIR POUR FIN LA CHARITÉ. L'ANCIEN TESTAMENT PRÉPARE L'AVÈNEMENT DE JÉSUS-CHRIST, DESTINÉ A ÉTABLIR LA CHARITÉ.



5. Pour faire une narration complète, le catéchiste doit débuter par le premier verset de la Genèse: «Au commencement Dieu créa le ciel et la terre (1)», et descendre jusqu'à l'histoire contemporaine de l'Eglise. Pour atteindre ce but, il n'est pas nécessaire de réciter par coeur le Pentateuque, les livres des Juges, des Rois et d'Esdras, ensuite tout l'Evangile et les Actes des Apôtres, les eût-on appris mot pour mot, ou de développer en détail tous les événements historiques contenus dans ces ouvrages; un pareil récit serait déplacé et fort peu nécessaire. Il suffit de tout embrasser sous un coup d'oeil général, en faisant un choix des événements les plus merveilleux, les plus capables de captiver l'esprit, et en les distribuant par époques. Loin de faire passer rapidement ce tableau sous les yeux, sans lever pour ainsi dire le rideau, il faut s'arrêter pour l'analyser en quelque sorte et le mettre dans tout son jour, afin de le présenter avec toute sa grandeur à la vue et à l'admiration des auditeurs: sur tout le reste il faut passer légèrement et le faire rentrer dans l'ensemble. Grâce à cette méthode, les faits que nous voulons signaler sont mis en relief, l'auditeur les aborde sans fatigue et s'abandonne au mouvement de la narration; sa mémoire n'est pas surchargée et il recueille aisément nos leçons.

1006 6. Dans ces récits, il ne suffit pas d'avoir en vue la fin du précepte, c'est-à-dire la charité qui sort d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère (2), pour y rattacher toutes nos paroles: il faut encore fixer l'esprit de notre auditeur sur ce principe et l'y ramener sans cesse. Tout ce que nous lisons dans les saintes Ecritures, avant la venue de Notre-Seigneur, n'a été écrit que pour mettre en lumière son avènement et prédire l'Eglise, qui n'est que le peuple de Dieu répandu parmi toutes les nations et formant le corps de

1.
Gn 1,1.- 2. 1Tm 1,5.

Jésus-Christ. Il faut en effet regarder comme membres de 1'Eglise tous les saints qui ont vécu avant son avènement et qui ont cru qu'il viendrait sur la terre, avec la même foi que nous croyons qu'il y est venu. Jacob en naissant présenta d'abord la main dont il tenait le pied de son frère, sorti le premier du sein maternel: la tête parut ensuite, entraînant après elle tout le corps i; or, la tête surpasse en dignité et en puissance et les membres qu'elle entraîne après elle et la main qui la précéda: l'ordre naturel était interverti par le mode d'apparition. C'est une figure de Jésus-Christ. Avant de se manifester dans la chair et de sortir du sein de l'éternité, pour apparaître sous la figure humaine, comme le médiateur entre Dieu et les hommes et le Dieu suprême qui est béni dans les siècles des siècles, il présenta, dans la personne des saints patriarches et des prophètes, une partie de son corps sacré: c'était comme la main qui annonçait sa future naissance. Le peuple orgueilleux qui le précédait, fut enlacé dans les liens de la loi dont il l'étreignit comme avec les cinq doigts de la main. Car il ne cesse durant cinq époques distinctes de faire prédire et annoncer sa venue; par une analogie non moins frappante, le législateur des Hébreux écrit cinq livres. Ces esprits orgueilleux, abandonnés à leurs pensées charnelles et cherchant à établir leur propre justice, virent la main du Christ se fermer pour les étreindre et les arrêter, au lieu de s'ouvrir pour leur prodiguer les bénédictions: «leurs pieds furent enchaînés, et ils tombèrent; nous nous sommes dressés au contraire et nous restons debout (3)». Ainsi donc, pour revenir à ma pensée, quoique le Seigneur Jésus ait fait paraître une partie de son corps dans la personne des saints qui omit précédé sa naissance, il n'en forme pas moins la tête de l'Eglise qui est son corps (4); tous ces saints se sont rattachés au corps dont il est le Chef, par leur foi en Celui qu'ils annonçaient. Loin de s'en séparer en le devançant, ils s'y sont réunis en le suivant. La main peut précéder la tête sans cesser d'en dépendre. Par conséquent, tout ce qui- a été écrit avant nous, a été écrit pour notre instruction (5) C'était la figure de ce qui nous était réservé; «tous ces événements leur arrivaient en figure, et ils sont

1. Gn 35,25. - 2. Ces cinq époques vont être déterminées plus bas, n. 39. - 3. Ps 19,9. - 4 Col 1,18. - 5. Rm 15,4

63

écrits pour notre instruction, de nous qui «nous trouvons à la fin des temps (1)»


CHAPITRE IV.

1007
LA VENUE DE JÉSUS-CHRIST A EU POUR BUT ESSENTIEL D'ÉTABLIR LE RÈGNE DE LA CHARITÉ: C'EST A LA CHARITÉ QUE DOIT TENDRE TOUTE NARRATION EMPRUNTÉE AUX ÉCRITURES SUR JÉSUS-CHRIST.


7. Quelle a été la cause principale de la venue de Jésus-Christ, sinon l'amour que Dieu nous portait et qu'il voulait nous témoigner par une preuve éclatante, la mort de Jésus-Christ, dans le temps même que nous étions encore ses ennemis (2)? Il est venu pour nous montrer que le but du précepte et l'accomplissement de la loi sont tout entiers dans la charité (3). Il a voulu nous apprendre à nous aimer les uns les autres et à donner notre vie pour nos frères, comme il a donné la sienne pour nous (4): il a voulu qu'en voyant Dieu nous aimer le premier (5), et livrer son Fils unique à la mort pour nous tous (6), sans l'épargner, l'homme, jusqu'alors insensible, eût honte de ne pas rendre amour pour amour. Rien n'éveille l'amour avec autant de force que de faire les premières avances: l'âme la plus rebelle à ce sentiment ne saurait sans cruauté refuser d'y répondre. C'est là une vérité que font éclater les attachements les plus bas et les plus criminels.
Quand un amant veut faire partager sa passion, il songe à tous les moyens en son pouvoir de déclarer son amour et d'en découvrir les transports: il prend les dehors de la justice, afin d'avoir le droit de réclamer comme une dette la sympathie du coeur qu'il veut séduire; sa passion s'avive et s'enflamme, en voyant troublée du même feu la personne dont il convoite la possession; tant il est vrai que la sympathie fait sortir un coeur froid de son indifférence et redouble l'amour en celui qui déjà en éprouvait les ardeurs! Il est donc bien évident que rien ne contribue davantage à faire naître ou à développer l'amour que l'aveu de ce sentiment, l'espoir qu'il sera partagé, les avances de celui qui l'éprouve le premier. Combien ce caractère de l'amour empreint dans les liaisons les plus criminelles est-il plus sensible dans l'amitié! N'évitons-nous pas avant tout

1.
1Co 10,11. - 2. Rm 5,6-9. - 3. 1Tm 1,5 Rm 13,10. - 4. 1Jn 3,16.- 5. 1Jn 4,10.- 6. Rm 8,32.

de déplaire à un ami, dans la crainte de lui laisser croire que nous ne l'aimons pas ou que notre amitié est moins vive que la sienne? S'il le croyait, en effet, il mettrait plus de réserve et de froideur dans ces rapports intimes que l'amitié crée entre les hommes; et, quand il ne pousserait pas la faiblesse jusqu'à laisser toute sa sympathie se refroidir à cause de cette offense, il se renfermerait dans une amitié où le calcul supprimerait les épanchements du coeur.
Il est surtout à remarquer que, si les grands veulent être aimés des petits et qu'ils s'y attachent en proportion de leur dévouement et de leur affection, les petits répondent à la sympathie des grands par une ardente amitié. L'amitié, en effet, a d'autant plus d'attrait qu'elle est moins un transport inspiré par la nécessité, qu'un épanchement de la générosité; ici, elle vient de la charité, là, du besoin. Or, supposez un inférieur sans espoir d'obtenir jamais l'amitié de son supérieur: n'éprouverait-il pas un bonheur indicible, s'il voyait celui dont il n'aurait jamais osé attendre un bienfait si précieux, prendre les devants et daigner lui déclarer son amour? Mais peut-il y avoir une disproportion plus étonnante qu'entre Dieu et l'homme, le juge et le coupable? Et quel coupable! il s'était livré à la domination des puissances de l'orgueil, incapables de lui donner le bonheur, et cela, avec d'autant plus d'aveuglement qu'il avait moins compté sur la Providence de l'Etre infini, qui ne veut pas signaler son pouvoir par le mal, mais le faire sentir par le bien.

1008 8. Si donc le but essentiel de la venue de Jésus-Christ a été d'apprendre à l'homme la portée de l'amour que Dieu avait pour lui, afin de lui montrer à rendre amour pour amour et à chérir son prochain, en suivant tout ensemble les préceptes et l'exemple de Celui qui s'est rapproché le plus étroitement de notre coeur quand il a embrassé dans son amour non-seulement le prochain, mais les hommes les plus éloignés; si les saints livres écrits avant son avènement n'ont eu d'autre objet que de le prédire, et que tout ce qui a été écrit depuis sous le sceau de l'autorité divine a raconté Jésus-Christ et fait une loi de l'amour; il faut évidemment rattacher à la charité, non-seulement la loi et les prophètes contenus dans le double commandement (64) d'aimer Dieu et le prochain, où se résumait toute l'Ecriture au moment où parlait Notre-Seigneur, et l'ensemble des Ecritures postérieurement composées sous l'inspiration divine et confiées au souvenir des âges.
L'Ancien Testament est le symbole mystérieux du Nouveau; le Nouveau, la révélation éclatante de l'Ancien. Les âmes charnelles qui comprennent matériellement ces symboles, sont aujourd'hui, comme autrefois, esclaves d'une crainte coupable. Dociles à la révélation, les âmes pures qui autrefois ont vu s'ouvrir devant leurs pieuses investigations le sens caché des Ecritures ou qui aujourd'hui le cherchent sans orgueil, de peur que le côté lumineux ne se change pour elles en ténèbres, ont compris selon l'esprit et ont été affranchies parle don de la charité. Or, l'envie est l'ennemie mortelle de la charité, l'orgueil, le principe de l'envie. Notre-Seigneur Jésus-Christ, l'Homme-Dieu, est donc tout ensemble et la révélation de l'amour de Dieu pour les hommes et le modèle de l'humilité ici-bas, afin de guérir notre orgueil démesuré par un remède plus puissant encore. Quelle misère profonde que l'homme orgueilleux! mais quelle miséricorde plus profonde encore qu'un Dieu humble! Que la charité soit donc le principe auquel se rattachent tous tes discours; dans toutes tes instructions, fais en sorte que l'auditeur croie ce qu'il écoute, espère ce qu'il croit, et aime ce qu'il espère.


CHAPITRE V.

1009
IL FAUT EXAMINER AVEC SOIN LE MOTIF QUI DÉTERMINE LE CATÉCHUMÈNE A SE FAIRE CHRÉTIEN.

9.La juste sévérité de Dieu, si propre à jeter dans les coeurs une impression salutaire de terreur, doit servir aussi de fondement à l'édifice de la charité. Le bonheur de se voir aimé par Celui que l'on craint doit inspirer la confiance de l'aimer à son tour, et tout ensemble la honte de blesser sa tendresse, fût-on assuré de l'impunité. Il n'arrive guère, ou plutôt il n'arrive jamais, qu'on prenne la résolution de se faire chrétien sans avoir été touché de la crainte de Dieu. Veut-on embrasser le christianisme, comme l'unique moyen de plaire à ceux dont on attend les faveurs, ou d'éviter la vengeance et les ressentiments de ses ennemis? On aspire moins à devenir chrétien qu'à le paraître. La foi n'est pas un hommage tout extérieur; c'est l'adhésion d'un esprit convaincu. Mais la miséricorde divine touche souvent les esprits par le ministère du catéchiste; elle fait naître, sous l'influence de sa parole, les sentiments dont ils avaient résolu d'affecter les dehors: la droiture de leurs intentions doit marquer pour nous l'instant où ils se présentent à nos instructions. Nous ignorons sans doute l'heure où le catéchumène est présent de coeur comme il l'est de corps; mais, cette intention ne fût-elle pas en lui, nous devons tâcher d'y entraîner sa volonté: existât-elle en germe, nos efforts pour la développer ne seraient pas superflus, encore que nous ne sussions ni la circonstance ni l'instant où elle a été conçue. Le moyen le plus simple, quand il est praticable, serait de s'éclairer, dans l'entourage du catéchumène, de ses dispositions secrètes et des motifs qui le déterminent à embrasser la religion. Si cette source de renseignements nous est interdite, interrogeons-le lui-même, afin de prendre dans ses réponses le point de départ de nos instructions. Se présente-t-il dans le but tout hypocrite de servir ses intérêts ou de les sauvegarder? Il mentira; or, c'est de ce mensonge même qu'il nous faut partir, non pour le réfuter comme s'il était évident, mais pour en prendre occasion d'approuver, sans songer à la sincérité ou à l'hypocrisie de ses paroles, et de faire ressortir la beauté du motif qu'il nous présente, afin de lui inspirer le désir d'être réellement ce qu'il veut paraître. Allègue-t-il un motif incompatible avec les sentiments dont doit être pénétré un esprit qui veut embrasser la foi chrétienne? Représente-lui doucement son erreur, comme si elle venait de l'ignorance et du défaut d'instruction; montre-lui quelle est la véritable foi du christianisme avec une précision énergique, afin d'éviter le danger d'anticiper sur une exposition complète ou de la faire à un esprit encore mal disposé: par là tu réussiras peut-être à lui inspirer la résolution que les préjugés ou l'hypocrisie l'empêchait de prendre.


CHAPITRE VI.

LE CATÉCHISTE DOIT EMBRASSER DANS SES INSTRUCTIONS L'HISTOIRE DE L'ÉGLISE DEPUIS LA CRÉATION JUSQU'À NOS JOURS.


1010 10. S'il répond qu'un avis du ciel, une terreur mystérieuse, lui a inspiré la résolution de (65) devenir chrétien, la sollicitude de la Providence pour les hommes nous fournira un début aussi naturel qu'attrayant. De ces miracles et de ces visions surnaturelles, il faut ramener sa pensée aux principes plus infaillibles, aux oracles plus sûrs des saints livres, en lui faisant sentir que c'est par un effet de la miséricorde divine qu'il a reçu cet avis, avant d'avoir donné son adhésion à l'Ecriture. Il est essentiel de lui représenter que le Seigneur, en l'avertissant lui-même, en lui inspirant le désir d'embrasser le christianisme et de devenir membre de l'Eglise, en l'instruisant enfin par des prodiges et des révélations, n'a voulu que l'engager à suivre paisiblement la voie sûre que lui traçait d'avance l'Ecriture: là, il apprendra moins à chercher des miracles visibles qu'à espérer les merveilles qui échappent aux regards; ce ne sera plus pendant son sommeil, mais les yeux ouverts, qu'il sera instruit. Après ce début, il faut exposer l'histoire de l'Eglise, depuis la création, où tout était bien (1) en sortant des mains de Dieu, jusqu'à nos jours; chaque événement, chaque acte doit être rattaché à ses causes et par conséquent aboutir à cette fin de la charité, qu'on ne doit jamais perdre de vue dans ses actions, comme dans ses paroles. Si des grammairiens, dont la science égale la réputation, essaient d'expliquer les mythes imaginés par les poètes, sans autre dessein que d'amuser les esprits qui se repaissent de chimères, en leur assignant un but pratique aussi frivole, il est vrai, et aussi favorable à la curiosité mondaine que ces fictions elles-mêmes, quelles précautions ne devons-nous pas prendre pour éviter que les vérités saintes, apparaissant dans nos récits sans les principes qui les expliquent, n'inspirent plus qu'une croyance fondée sur une jouissance de l'imagination ou sur une dangereuse curiosité? Toutefois, gardons-nous de sacrifier la suite du récit au développement de ces causes, en laissant notre enthousiasme et notre parole se perdre dans le dédale d'une discussion trop abstraite: la vérité seule du raisonnement doit relier les faits comme un fil d'or qui rassemble des pierres précieuses sans eu troubler l'agencement par un éclat trop vif.

1.
Gn 1.


CHAPITRE VII.

1011
PRÉMUNIR LE CATÉCHUMÈNE CONTRE LES SCANDALES. ENSEIGNEMENT DE LA MORALE.


11. Le récit achevé, il faut inculquer la foi au dogme de la résurrection. Sans cesser de consulter la portée d'intelligence du catéchumène, non moins que le temps si court dont nous disposons, il est essentiel de combattre les vains sarcasmes des incrédules et d'établir le principe de la résurrection des corps, du jugement dernier, favorable aux bons, terrible aux méchants, équitable pour tous; puis, après avoir indiqué avec horreur et tremblement les supplices réservés aux impies, célébrer en soupirant le royaume préparé aux justes et aux fidèles, la cité céleste et son éternelle béatitude. Il faut alors prémunir et fortifier la faiblesse humaine contre les tentations et les scandales qui se produisent soit au dehors, soit au dedans de l'Eglise; je veux dire contre le paganisme, le judaïsme, l'hérésie, au dehors; contre la paille qui couvre l'aire du Seigneur, au dedans. Sans doute il serait déplacé de réfuter les erreurs de toutes sortes et d'opposer une proposition contradictoire à chaque hérésie; mais il faut montrer, autant que la circonstance le permet, que ces scandales ont été prédits, que ces tentations servent à l'édification des fidèles, et qu'on en trouve le remède dans la patience même dont Dieu nous donne l'exemple en permettant à ces erreurs de se perpétuer jusqu'à la fin des siècles.
Quand le catéchumène est suffisamment armé contre les méchants dont la foule impie ne remplit que matériellement les églises, il convient de lui exposer délicatement et en raccourci les principes d'une vie pure et chrétienne. L'avarice, l'ivrognerie, les jeux frauduleux, l'adultère, la fornication, le goût des spectacles, les opérations de la magie, les enchantements, l'astrologie, les secrets superstitieux autant que chimériques de la divination, pourraient le séduire et l'entraîner par l'espoir de l'impunité, quand il verrait de prétendus chrétiens aimer, pratiquer, justifier ces égarements et y engager les autres par leurs conseils. Il faut donc lui montrer la fin réservée aux malheureux qui persévèrent dans ces péchés, la raison qui les fait tolérer dans l'Eglise, dont ils seront un jour retranchés, et cela, d'après le témoignage même des saints (66) livres. Il faut aussi l'avertir qu'il trouvera dans l'Eglise une foule de chrétiens éprouvés, véritables citoyens de la Jérusalem céleste, du moment qu'il marchera sur leurs traces. En dernier lieu, il faut lui recommander avec force de ne jamais fonder son espoir sur un homme; car un homme ne peut guère découvrir les caractères de la sainteté dans un autre homme; et, quand on le pourrait, on doit imiter les saints, en sachant bien que notre sanctification ne vient pas d'eux, mais de celui-là même qui a sanctifié nos propres modèles. Ce principe produira une conséquence à laquelle on ne saurait attacher trop de prix. Celui qui nous écoute, ou plutôt qui écoute Dieu par notre organe, ne sera point tenté, quand il deviendra plus vertueux et plus instruit, et qu'il marchera avec ferveur dans les voies de Jésus-Christ, d'attribuer ses progrès à notre influence ou à lui-même; il saura s'aimer, ainsi que nous et les personnes qui lui sont chères, en Celui et par Celui qui a répondu à sa haine par la tendresse, et a gagné son amour en le justifiant. Tu n'as pas besoin sans doute de leçons pour apprendre à resserrer ou à étendre tes développements, selon le temps plus ou moins long dont l'auditoire et toi pouvez disposer; c'est un précepte que la nécessité seule enseigne mieux que tous les maîtres.


CHAPITRE VIII.

MÉTHODE POUR INSTRUIRE LES PERSONNES ÉCLAIRÉES.


1012 12. Voici un point essentiel Quand une personne d'un esprit cultivé se présente à toi pour se faire instruire, si elle est déterminée à embrasser le christianisme et prêle à recevoir le baptême, elle a déjà, selon toute vraisemblance, acquis une connaissance assez étendue de nos saintes lettres, et elle n'a d'autre intention que de participer aux sacrements de I'Eglise. Ces personnes, en effet, n'attendent pas le moment d'embrasser la foi pour s'instruire; elles pèsent auparavant leurs motifs, et, chaque fois qu'elles trouvent un confident, elles lui découvrent leurs pensées et leurs sentiments. Dans cette circonstance, il faut être court; et, loin de s'appesantir sur les vérités qu'elles connaissent, on doit les effleurer avec tact, en leur disant que nos dogmes sont telle et telle vérité qui leur est sans doute familière. On expose ainsi, dans une énumération rapide, tous les principes qu'il faudrait inculquer aux simples et aux ignorants. Grâce à celle méthode, un homme éclairé ne se voit point enseigner, comme à l'école d'un maître, ce qu'il sait déjà; et, en revanche, s'il ignore quelque chose, il l'apprend par la revue même que nous avons l'air de faire de ses connaissances. Il ne sera point inutile de lui demander quels motifs l'ont déterminé à se faire chrétien; si tu t'aperçois qu'il a puisé ses convictions dans la lecture de livres canoniques ou d'excellents traités, débute par l'éloge de ces ouvrages, en admirant, à des degrés divers, l'autorité infaillible de l'Ecriture, et l'exactitude jointe à l'élégance de ses interprètes; attache-toi à faire ressortir dans l'Ecriture l'expression féconde, par sa simplicité même, des vérités les plus sublimes, et dans les traités qu'elle inspire, selon le mérite de chaque auteur, une éloquence d'un tour plus pompeux et plus orné, appropriée à l'orgueil et par là même à la faiblesse des esprits. Il est important de lui faire dire quels ont été ses auteurs favoris, les ouvrages qu'il a médités de préférence et qui l'ont déterminé à embrasser le christianisme. Cet aveu obtenu, si nous avons lu ces ouvrages ou que nous ayons appris, par la renommée dont ils jouissent dans l'Eglise, qu'ils ont pour auteur un représentant illustre de la foi catholique, empressons-nous de les approuver. Au contraire, est-il tombé sur les ouvrages d'un hérétique, et, dans son ignorance des erreurs opposées à la religion, s'y est-il arrêté comme à l'expression de la foi catholique, il faut lui démontrer avec force la prééminence que mérite l'autorité de l'Eglise universelle unie à celle des génies supérieurs qui, dans le domaine des vérités qu'elle enseigne, ont brillé par leurs controverses et leurs écrits.
Reconnaissons cependant que les auteurs mêmes qui sont morts dans la foi catholique, après avoir légué à la postérité des ouvrages écrits sous l'inspiration chrétienne, soit qu'ils aient été mal compris, soit qu'ils n'aient pas eu la vigueur d'esprit nécessaire pour remonter aux principes les plus élevés, et pour s'attacher à la vérité sans être dupes de la vraisemblance, ont laissé dans certains passages des germes d'hérésie que des esprits aventureux et téméraires ont développés. Il n'y a pas lieu de s'en étonner; l'Ecriture (67) même, l'expression la plus pure de la vérité n'est pas à l'abri de ce péril. Que de gens, non contents de mal interpréter la pensée de l'écrivain sacré ou d'offenser le dogme, fautes qu'on pardonne aisément à la faiblesse humaine quand on la voit disposée à les reconnaître, s'acharnent, s'acharnent avec une opiniâtreté et un orgueil invincibles à justifier leurs méprises et leurs erreurs, et, en rompant avec l'unité catholique, donnent naissance aux opinion les plus dangereuses! -Voilà les principes qu'il faut développer, dans une conférence sans prétention, aux esprits qui s'élèvent au-dessus du vulgaire par leur érudition et leurs lumières, quand ils aspirent à entrer dans la société chrétienne; on doit prendre le ton dogmatique, pour les préserver des erreurs où entraîne la présomption, mais il ne faut le prendre que dans la mesure même de l'humilité dont ils sont capables. Quant aux vérités qui constituent la saine et pure doctrine, soit qu'on raconte, soit qu'on raisonne, il faut toucher brièvement les points relatifs à la foi, à la morale, aux tentations, en observant la méthode supérieure dont je viens de tracer les règles.



Augustin, Catéchisme