Augustin contre Cresconius - L'AFFAIRE DES MAXIMIENS

13. Eh bien! qu'en pensez-vous, illustre orateur? Que pouvez-vous encore m'objecter? Lisez ce qui suit; au nombre de ceux qu'il entraîne à sa suite, et qu'il enveloppe dans la chaîne de son sacrilège, remarquez Prétextat et Félicianus: je vois des hommes flétris du nom de sacrilèges, et ces hommes ce sont des évêques; prouvez-nous qu'ils ont expié leur crime, autrement tous vos raisonnements sont inutiles. N'êtes-vous pas forcé de céder,à la vérité.quand nous vous disons que ceux qui vous quittent pour venir à nous, couvrent leurs péchés par le lien de la paix et de la charité fraternelle, selon cette parole: «La charité couvre la multitude des péchés (1)?» Que direz-vous de ceux qui ont été baptisés par des évêques séparés de votre communion et


1. 1P 4,8

enchaînés dans la secte sacrilège de Maximien; n'est-il pas vrai que sans leur réitérer le baptême, vous les avez reçus dans la paix et la concorde? La seule, réponse que vous puissiez faire, n'est-ce pas de dire que vous avez ratifié dans ces malheureux les sacrements que nous ratifions également en vous? Avec cette réponse, vous serez conséquent avec vous-même et avec votre lettre. Voulant nous montrer que ce qui nous sépare, ce n'est pas l'hérésie, mais le schisme, vous avez dit dans cette lettre: «Il n'y a pour vous et pour nous qu'une seule et même religion, les mêmes sacrements et une conformité parfaite dans les observances chrétiennes». Vous ne pouviez pas condamner en termes plus formels le crime que vous commettez quand vous réitérez le baptême à ceux des nôtres que vous avez séduits, et dans lesquels vous avouez, vous sentez l'existence des mêmes sacrements. Quelle criminelle impudence peut donc vous porter à méconnaître dans ceux que l'univers chrétien baptise dans la sainte unité, ce que vous conservez dans ceux que Prétextat et Félicianus ont baptisés dans un schisme sacrilège? J'ai donc le droit de conclure que vous avez -vous-même résolu la question qui s'agite entre nous. En effet, tels évêques que vous aviez frappés d'une condamnation solennelle, qui avaient fait une active propagande pour détourner les peuples de se donner à vous, qui avaient cru devoir réitérer le baptême à ceux que vous aviez déjà baptisés, vous les avez reçus dans vos rangs sans leur imposer aucune dégradation, vous leur avez permis de participer avec vous à l'autel, vous n'avez nullement réitéré le baptême à ceux qu'ils avaient baptisés dans le schisme, enfin vous n'avez exigé de chacun d'eux aucune expiation pour leur sacrilège, parce que vous avez cru qu'ils étaient pleinement purifiés par le feu divin de la charité. Peut-on concevoir une réintégration plus parfaite? Mais hélas! pour qu'elle fût vraie, réelle, il faudrait que vous eussiez la même charité dans la véritable unité


14. Mais prenons les paroles mêmes de la lettre de Pétitien, dont vous vous êtes constitué l'ardent défenseur, et voyons comment vous vous tirez d'embarras dans cette cause des Maximiens, la seule que je me propose de traiter en réponse à votre lettre. Voici les (449) propres expressions de Pétilien: «Dans la justification d'un pécheur on ne doit faire attention qu'à la conscience de celui qui lui administre saintement le sacrement». A cela j'ai répondu: «Mais qu'arrivera-t-il, si la conscience du ministre est inconnue, et si par hasard elle se trouve souillée?» Comme cette question n'est nullement résolue par Pétilien, vous avez dû en entreprendre la solution, et alors vous avez argumenté, non pas contre moi, mais contre celui que vous cherchiez à défendre. Pétilien avait dit: «Dans la justification d'un pécheur on ne doit faire attention qu'à la conscience de celui qui lui administre saintement le sacrement». Avouant qu'on ne peut connaître une conscience cachée, vous avez répondu que, si on ne peut la voir en elle-même, on la voit dans la réputation publique dont elle jouit. Par conséquent, il n'est déjà plus vrai que ce soit la conscience du ministre qui purifie la conscience du sujet, mais bien la renommée dont jouit cette conscience. D'un autre côté, la renommée trompe elle-même bien souvent, par exemple quand elle célèbre la bonté d'un méchant, la chasteté d'un adultère, la piété d'un homme sacrilège. La renommée purifie donc, alors même qu'elle est menteuse. Supposez au contraire que tel pécheur réellement occulte jouit de la réputation véritable qu'il mérite; d'après vous cette réputation, loin de purifier, souille au contraire celui qui reçoit le baptême des mains de ce pécheur. Ainsi donc cette renommée que vous prenez pour arbitre dans une mauvaise cause, purifie quand elle est menteuse, et souille quand elle est véritable. En résumé, en serrant de près votre argumentation, on trouve comme conclusion que l'eau n'est pas menteuse quand la renommée est menteuse.


15. Mais pourquoi insister davantage quand nous voyons aujourd'hui Félicianus siéger au milieu de vos évêques après en avoir été si longtemps séparé, après avoir été lié à Maximien par la chaîne du sacrilège, sans que pour cela on ait réitéré le baptême à ceux qu'il avait baptisés? Je prie Pétilien de me dire dans quel état était alors cette conscience. Je lui donne lecture du décret du concile de Bagaïum, ainsi conçu: «Ce n'est pas sur lui seul que frappent les coups de la mort, trop juste châtiment de son crime; armé de la chaîne du sacrilège il en entraîne une multitude d'autres à sa suite, tous ceux dont il est écrit: Leurs lèvres distillent un venin d'aspic, et leur bouche est pleine de malédiction et d'amertume (1)». Au nombre de ces sacrilèges nous trouvons Félicianus qui, pour baptiser, s'est servi de ces lèvres empoisonnées, de cette bouche maudite, et cependant vous n'avez pas repoussé, détruit, annulé le baptême qu'il a conféré; et parce que cette eau baptismale a été consacrée par les paroles évangéliques, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, quelle que fût du reste la langue qui articulait ces paroles et la conscience qui les dictait, vous avez trouvé dans cette eau le cachet, non pas du mensonge, mais de la vérité. Au sujet de ce Félicianus dont la conscience était horriblement mauvaise, puisqu'il baptisait dans les chaînes du sacrilège, voulez-vous me dire quelle était la réputation publique dont il jouissait? J'ouvre de nouveau le décret du concile et je lis: «Sont coupables de ce crime fameux Victorien de Carcabianum», et sans parler des autres, «Prétextat d'Assurium et Félicianus de Mustitanum qui de leurs mains souillées ont formé le vase d'ignominie; sachez donc qu'ils sont condamnés par la sentence véridique du concile universel».


16. A ces textes formels que répondez-vous? Si quiconque est séparé de votre communion, perd le pouvoir de baptiser, d'où vient que les victimes du schisme de Maximien ont baptisé? Si celui qui pèche contre Dieu ne peut plus validement baptiser, d'où vient que des évêques liés par la chaîne du sacrilège ont baptisé? Si c'est la conscience sainte du ministre qui justifie le sujet, d'où vient que des hommes dont les lèvres distillaient le venin de l'aspic ont baptisé? Si dans la justification on ne doit faire attention qu'à la bonne réputation dont jouit la conscience du ministre, d'où vient que des hommes déclarés publiquement coupables d'un crime fameux ont pu donner le baptême? Félicianus vit encore; lui et tous ceux qu'il avait baptisés dans le schisme ont été réintégrés dans votre communion, et personne ne leur a réitéré le baptême. Malgré la doctrine de Pétilien, un homme souillé et d'une conscience sacrilège a pu baptiser; contrairement à vos principes le baptême a pu être conféré par un homme déclaré coupable d'un crime


1. Ps 13,3

450

fameux. Voilà la question, répondez. Mais croyez-en vos propres oeuvres, vous n'avez d'autre réponse à faire que celle que nous faisons nous-mêmes, nous qui affirmons que ce qui purifie la conscience du sujet ce n'est ni la conscience ni la réputation du ministre, mais uniquement la foi du sujet et la grâce de Dieu, non pas celle de l'homme. Que si l'on a omis de s'assurer de la bonne conscience du sujet, ou si sa foi était détruite, ou plus ou moins ébranlée, il ne reste plus qu'à travailler à la conversion des hommes, sans invalider aucunement les sacrements qui doivent rester partout essentiellement;les mêmes. Quand il s'est agi de ceux qui avaient été baptisés dans le schisme par Prétextat et par Félicianus, ne vous êtes-vous pas uniquement appliqués à corriger leur vie et leur volonté pour les empêcher de persévérer dans leur malheureux état, sans qu'il vous vînt à la pensée de violer leur baptême, quoiqu'il leur eût été conféré indignement par des ministres indignes?


17. C'est donc en vain que, pour prouver que nous ne pouvions pas conférer le baptême, vous nous avez poursuivis d'indignes accusations, nous reprochant publiquement les crimes d'idolâtrie, d'apostasie, de persécution. Ce sont là de pures calomnies. Mais enfin, quoi qu'il en soit, toujours est-il que la conscience des Maximiens, convaincue du crime de sacrilège et condamnée comme telle, a pu conférer le baptême, et ce baptême non-seulement vous ne l'avez point invalidé, mais vous enseignez vous-mêmes qu'il peut être conféré par des persécuteurs; et en effet vous avez cruellement persécuté les Maximiens, ce qui ne vous a pas empêché de baptiser et de soutenir que vous seuls avez le droit de baptiser.


18. Vous objectez cette parole de la loi: «Je ne veux pas que l'huile du pécheur oigne votre tête (1)».D'abord ce passage n'est pas ainsi formulé, et ensuite vous ne lui conservez pas son sens véritable. Quoi qu'il en soit, n'était-ce donc pas l'huile des pécheurs, cette huile versée par des évêques sacrilèges tels que Prétextat et Félicianus? Vous citez également: «Celui qui est baptisé par un mort, quel fruit peut-il retirer de sa purification (2)?» Ici encore vous manquez d'attention et vous n'avez pas l'intelligence de ce


1. Ps 140,5 - 2. Si 34,30

que vous lisez. Toutefois comprenez toute la portée de cette sentence élégante de Bagaïum «Rien n'est à désirer comme l'union étroite de la paix et de la concorde, selon cette parole: La justice et la paix se sont embrassées (1); mais, quoique portés par une onde véritable, les membres de quelques-uns, dispersés par le naufrage, sont venus se jeter contre les écueils les plus arides; comme autrefois pour les Egyptiens, les rivages sont couverts des malheureux qui périssent, et le plus grand châtiment qui leur soit réservé dans ce genre de trépas, c'est qu'après avoir exhalé leur âme dans des eaux vengeresses, leurs corps restent privés de sépulture» . Ainsi donc, non-seulement ils étaient morts, mais encore privés de sépulture; comment donc ont-ils pu baptiser? Et ceux qu'ils ont baptisés, quel fruit ont-ils pu retirer de colle purification, puisque c'est là le sens que vous donnez à ce texte cité plus haut, et comment avez-vous pu les recevoir sans leur réitérer le baptême? Dans votre réponse à ma lettre vous m'accusez d'avoir soutenu que l'idolâtrie est le plus grand de tous les crimes, et que je n'ai fait d'exception que contre celui qui s'en rend coupable. De votre côté vous insistez énergiquement pour prouver qu'aucun pécheur ne doit être excepté, puisqu'il est dit: «Je ne veux pas que l'huile du pécheur oigne ma tête»; jetez les yeux sur Félicianus et Prétextat, et dites-moi s'ils n'étaient pas pécheurs quand le concile proclamait hautement qu'ils étaient enveloppés avec Maximien dans la chaîne du sacrilège. Osez soutenir, osez prétendre, osez seulement dire que s'ils étaient pécheurs, c'étaient des pécheurs occultes, quand la sentence même les proclame coupables de ce crime fameux. Et puis, enfin, supposé que leur péché eût été léger; supposé même qu'il eût été occulte, en citant le passage que j'ai rapporté et que vous interprétez faussement, est-ce que vous ne prétendez pas qu'il n'excepte aucun pécheur? S'il en est ainsi, que deviendrez-vous donc? où fuirez-vous? dans quelle sombre retraite pourrez-vous vous cacher avec vos sacrilèges, avec vos évêques coupables d'un crime fameux, avec vos cadavres restés sans sépulture?


19. Pour toute réponse vous nous demandez «de quel droit nous nous attribuons le pouvoir de baptiser, quand en même temps


1. Ps 64,11

451

nous soutenons que tous ceux qui, ont ce droit peuvent en user sans aucun égard au mérite de leurs oeuvres, à l'innocence de la vie; ce qui revient, sur nos lèvres, à un aveu implicite des crimes qui nous sont reproches, puisque nous accordons même aux pécheurs la faculté de baptiser». Autant vaudrait dire que notre confiance en nos propres mérites va jusqu'à nous insurger contre Dieu, jusqu'à nous faire croire que plus nous sommes justes, plus notre baptême justifie. Mais nous savons, pour ne l'oublier jamais, qu'aucun homme ne doit se confier dans sa propre justice: voilà pourquoi nous ne cessons de proclamer que le baptême tire toute sa vertu de Jésus-Christ et non des hommes, et qu'il ne varie aucunement selon la variété des mérites des hommes. Je pourrais m'étendre longuement sur cette vérité, mais je préfère me servir du résumé que vous nous offrez. Vous avez approuvé, sans l'annuler aucunement, le baptême conféré par les Maximiens, que vous flétrissez cependant du,nom d'aspics, de vipères, de parricides, de cadavres égyptiens et d'autres dénominations semblables que le concile de Bagaïum leur prodigue avec une abondance qui nous assure une victoire très-facile. En effet, n'est-il pas évident que vous êtes vous-mêmes parfaitement convaincus que l'efficacité du baptême ne dépend ni des mérites du ministre ni de ceux du sujet, mais de la sainteté et de là vertu qui lui ont été communiquées par celui qui a institué ce sacrement? d'où il suit que le baptême devient une cause de ruine pour ceux qui en font un mauvais usage, tandis qu'il est un principe de salut pour ceux qui en usent saintement.

20.Je m'étonne que dans la discussion vous vous soyez déterminé à parler de Cyprien, dont la doctrine est en flagrante contradiction avec la vôtre, même dans les lettres que vous lui attribuez et où il est dit qu'on doit annuler le baptême conféré .par des hérétiques ou des .schismatiques. Remarquez cependant que si nous avons encore à discuter cette doctrine, ce ne peut-être que contre les Maximiens, et en général contre tous ceux qui ne reconnaissent pas le baptême conféré dans vos rangs ou dans les nôtres. Quant à la question débattue entre nous, vous l'avez résolue avec une incroyable facilité, puisque vous avez confirmé le baptême conféré dans le schisme de Maximien, par Prétextat et Félicianus, et qu'ainsi vous avez formellement condamné la prétendue doctrine de Cyprien et de tous ceux qui adhéraient à son parti. Ne dites pas que si les Orientaux se sont détachés de vote communion, c'est parce que, dans la suite, ils ont embrassé notre opinion et se sont mis volontairement en contradiction avec la doctrine que jusque-là ils avaient professée sur le baptême. Si cette conduite, et il serait important dé le prouver, a été réellement tenue par quelques orientaux, on doit avouer qu'ils ont changé d'opinion; mais vous-mêmes, en acceptant le baptême conféré dans le schisme de Maximien, n'avez-vous pas changé d'opinion? et cependant vous restez toujours une secte à part, repoussant toute communion avec les Orientaux.


21. Mais quelle belle occasion de. dérouler les flots de votre éloquence vous est ouverte parce passage de ma lettre: «Quiconque reçoit le sacrement de baptême, soit d'un ministre fidèle, soit d'un pécheur, doit placer toute son espérance en Jésus-Christ!» Ce sont ces paroles qui vous arrachent l'exclamation suivante: «O sublime pouvoir du prêtre! ô admirables préceptes de justice de la part d'un bon père! Ne mettez», dit-il, «aucune distinction entre un ministre fidèle et un ministre perfide; regardez du même oeil le juste et l'impie; il ne sert à rien de vivre saintement, puisque ce que peut le juste, le pécheur le peut également. Peut-on imaginer quelque chose de plus inique qu'une semblable doctrine, qui permet à un pécheur de justifier, à un homme souillé de laver, à un homme impur de purifier, à un infidèle de donner la foi, à un criminel de conférer l'innocence?» Ce sont là les propres expressions dont vous vous servez pour me réfuter. Cependant jamais je n'ai ni pensé ni écrit de telles horreurs. Entre le ministre fidèle et le ministre perfide nous mettons une énorme différence, non pas au point de vue du sacrement que tous deux possèdent, mais au point de vue du mérite personnel; la preuve en est que ce même sacrement est pour l'un un principe de salut, et pour l'autre un droit au châtiment. Il n'est pas même vrai de dire que ce que peut le juste, le pécheur le peut également; car si le pécheur peut baptiser, il est certain que dans cet état il ne peut parvenir au bonheur du ciel; d'un autre (452) côté, ce n'est pas celui qui confère le baptême qui purifie, lave, sanctifie et rend innocent; c'est là l'oeuvre exclusive de la grâce de Dieu agissant sur une conscience bien disposée. Voyez vous-même s'il n'y aurait pas quelque différence entre Primianus et Félicianus, puisqu'aujourd'hui Primianus siège au milieu de trois cent dix évêques qui avaient dit de Maximien: «Ses lèvres distillent un venin d'aspic, ses pieds se portent rapides à l'effusion du sang, la tribulation et le malheur le poursuivent dans ses voies; il ne connaît pas le chemin de la paix, et la crainte de Dieu n'est pas devant ses yeux (1)». Est-ce qu'au moment de cette sentence il n'était pas souillé, impur et coupable, lui qui, «de ses «propres mains, a façonné le vase d'ignominie?» n'était-il pas infidèle, puisque «ses «lèvres distillaient un venin d'aspic?» n'était-il pas criminel, puisqu' «il s'était rendu «coupable d'un crime fameux?» Et cependant ce même Maximien siège comme votre évêque à côté de Primianus, et tous ceux qu'il a baptisés pendant son schisme sont regardés par vous comme suffisamment purifiés.


22. Et vous combattez encore contre la vérité, et vous ne voulez pas convenir que «c'est toujours Jésus-Christ qui donne là foi, que c'est Jésus-Christ qui est la source unique du chrétien; que c'est en Jésus-Christ que le chrétien doit prendre racine; que Jésus-Christ est la tête du chrétien». A ces paroles que j'opposais à Pétilien vous ajoutez: «C'est là aussi ce que nous enseignons, c'est là ce que nous voulons, mais nous cherchons par quel ministre ces effets se produisent plus sûrement». Vous ne remarquez donc pas que ces arguments ne sauraient convaincre Pétilien, dont vous prenez si ardemment la défense en essayant de réfuter ma lettre. N'a-t-il pas dit clairement: «C'est la conscience du saint ministre qui purifie la conscience du sujet; car celui qui demanderait la foi à un coupable, ne recevrait pas la foi mais un titre au châtiment?» Dites-moi donc quelle place il laisse à Jésus-Christ pour purifier la conscience du baptisé; dites-moi de qui le sujet reçoit la foi, si c'est la conscience du saint ministre qui purifie celle du baptisé, et si en demandant la foi à un pécheur, ce n'est pas la foi que l'on reçoit, mais


1. Ps 13,3

un titre au châtiment. Vraiment vous paraissez écrasé sous le poids si lourd de la vérité; c'est ce que vous prouvez assez quand vous déclarez que vous voulez que ce soit Jésus-Christ qui donne la foi, et qui purifie le chrétien, pour le faire entrer dans une vie nouvelle;-d'un autre côté, vous demandez par qui ces effets se produisent plus sûrement, parce qu'ils ne peuvent se produire sans ministre. Vous sortez donc de la doctrine de Pétilien qui n'a pas dit que l'on fait attention à la conscience du ministre, par le moyen de laquelle Jésus-Christ purifie la conscience du sujet, ou par le moyen de laquelle Jésus-Christ donne la foi. Il affirme au contraire que c'est la conscience du ministre qui purifie la conscience du sujet. Il n'a pas dit non plus que quiconque demande la foi par un ministre perfide, loin de recevoir la foi, ne reçoit qu'un titre au châtiment, t'eût été déclarer trop ouvertement que le ministre n'est que l'instrument dont Jésus-Christ se sert pour donner la foi. Il a dit d'une manière absolue: «Celui qui aura reçu la foi d'un ministre perfide.» Comme pour mieux prouver sa thèse il ajoute: «Toute chose dépend de sa source et de son origine; une chose qui n'aurait pas de principe d'existence ne serait rien»; il est clair qu'il entendait parler ici du ministre lui-même, dont la conscience est le principe et non l'instrument de la purification du sujet; d'on il concluait: c'est ce ministre qui est l'origine, la source, et la tête du baptisé, c'est-à-dire de sa purification.


23. Sur ce point ce n'est plus à Pétilien, dont vous n'avez pas soutenu les conclusions, mais à vous-même que je réponds, en vous faisant observer que pour prouver votre doctrine, ce n'est plus Pétilien que vous invoquez. Si j'en crois votre lettre; vous soutenez, contrairement à ce que dit Pétilien, que ce n'est pas la conscience du ministre qui purifie le sujet, lui donne la foi ou devient l'origine, la source et la tête du fidèle; vous affirmez, au contraire, que c'est Jésus-Christ qui purifie la conscience du sujet par l'organe de la conscience du ministre, et que c'est par le même moyen que Jésus-Christ donne également la foi, qu'il devient l'origine du chrétien, que le chrétien prend racine en Jésus-Christ et a pour chef Jésus-Christ. Vous convenez donc que tout cela se fait par Jésus-Christ, mais vous cherchez par quel moyen (453) ces effets se produisent plus sûrement; sans nier qu'ils ne puissent se produire par un mauvais ministre, vous concluez qu'on est plus sûr quand le ministre est bon. N'est-ce pas là le sens de ces paroles: «C'est là ce que nous voulons, ce que nous enseignons; mais nous demandons par qui ces effets se produisent plus sûrement?» Ainsi donc c'est toujours Jésus-Christ qui purifie, soit par la conscience souillée du ministre infidèle, soit plus sûrement encore par la conscience pure du ministre fidèle. C'est Jésus-Christ qui donne la foi, soit par le ministre mauvais, soit mieux encore par le saint ministre; c'est Jésus-Christ qui devient l'origine du chrétien, soit parle dispensateur infidèle, soit mieux encore par le dispensateur fidèle; c'est en Jésus-Christ que le chrétien implante ses racines, soit par le laboureur coupable, soit mieux encore par le laboureur innocent; Jésus-Christ enfin peut devenir la tête du chrétien, par Félicianus, mais il le deviendra bien mieux par Primianus.


24. Il est dès lors très-facile de comprendre que sur cette matière il ne peut y avoir qu'une bien faible différence pour nous séparer, si tant, est qu'il y en ait. Moi aussi je déclare que les sacrements sont bien mieux administrés par un saint ministre que par un pécheur; mais ce mieux ne peut venir que de ce qui regarde le ministre personnellement, en qui on doit toujours désirer que sa vie et ses moeurs soient à la hauteur de ses sublimes fonctions. Quant au sujet, lors même qu'il lui arriverait de s'adresser à un ministre infidèle, il aurait toujours à se reposer avec une entière confiance sur le Seigneur dont nous connaissons les paroles: «Faites ce qu'ils vous disent, mais ne faites pas ce qu'ils font, car ils disent bien et n'agissent pas de même (1)». J'ajouterai même qu'il est également à désirer que le sujet puisse aimer la probité et la sainteté du ministre, afin de pouvoir les imiter plus facilement; mais, malgré cela, je soutiens et j'affirme que les sacrements ne sont ni plus vrais ni plus saints, quand ils sont administrés par un ministre d'une sainteté personnelle plus grande. En effet, ce qui constitue essentiellement la vérité et la sainteté de ces sacrements, c'est leur institution même par un Dieu vrai et saint; il peut donc arriver qu'en se présentant


1. Mt 23,3

pour faire partie du peuple de Dieu, tel homme rencontre un ministre qui lui conférera plus facilement le baptême, ou un autre dont il imitera plus efficacement la conduite. En effet, ce dont il est assuré, c'est que le sacrement de Jésus-Christ est saint, lors même qu'il serait administré par un homme moins saint ou bien par un pécheur. D'un autre côté, il sait parfaitement que cette sainteté du sacrement ne sera pour lui qu'un titre au châtiment, s'il le reçoit dans de mauvaises dispositions, ou s'il ne mène pas une conduite conforme à cette sainteté du sacrement qu'il a reçu.


25. Dites-moi, je vous prie: si par hasard celui que Primianus a baptisé dans votre communion vit de la manière la plus indigne, tandis que celui que Fécilianus a baptisé dans le schisme de Maximien vivrait d'une manière excellente, auquel des deux pensez-vous que sera ouvert le royaume des cieux? Est-ce à celui qui reste mauvais, quoique, selon vous, il ait été baptisé par un saint ministre; ou bien à celui qui est parfaitement chrétien, quoique, selon le concile de Bagaïum, il ait été baptisé par un ministre sacrilège? Vous dites peut-être, et vous avez raison, qu'un bon chrétien ne saurait être dans le schisme. Je suis parfaitement de votre avis; cependant il peut y avoir dans votre communion un homme sacrilège, le fût-il d'une manière occulte, et qui néanmoins aurait été baptisé par Primianus, dont vous affirmez l'innocence. Or, si celui à qui Félicianus, encore sacrilège, a conféré le baptême, peut recouvrer l'innocence en quittant le schisme et en rentrant dans la communion de l'Eglise; direz-vous qu'alors le baptême revêt en lui des qualités qu'il n'avait pas, et que c'est là ce qui explique que cet homme puisse devenir meilleur? Vous avez pu vous-mêmes en faire l'expérience, puisque sans invalider ni leur réitérer le baptême, vous avez reçu dans vos rangs ceux qui avaient été baptisés par Félicianus et Prétextat pendant la durée de leur schisme et de leur sacrilège. Mais peut-être qu'en employant le comparatif vous vouliez simplement parler au positif, quand vous avez dit: «Nous cherchons par quel ministre ces effets se produisent plus sûrement»; comme si vous aviez dit: Nous cherchons par quel ministre ces effets peuvent se produire; ce qui signifierait qu'ils ne se (454) produiraient pas par un ministre mauvais. Je ne fais pas ici de chicane de mots, je vous indique seulement que vous auriez plutôt dû demander par qui ces effets se produisent, que de demander par qui ils se produisent convenablement. En effet, cette dernière phrase fait supposer qu'il serait possible que Jésus-Christ ne donnât pas convenablement la foi, qu'il ne fût pas convenablement l'origine et la tête du chrétien, que le chrétien ne fût pas convenablement enraciné en Jésus-Christ. Ou bien ces effets ne se produisent pas, ou bien ils se produisent sans doute convenablement.


26. Toutefois, si nous traitons cette matière, c'est pour empêcher qu'on ne quitte l'union avec le bon grain, à cause des mauvais dispensateurs, non pas de leurs propres sacrements, mais des sacrements divins qui se trouveront toujours et nécessairement mêlés au froment, jusqu'au jour où le Seigneur purifiera son aire. Se séparer de l'unité de Jésus-Christ ou rester dans le schisme, c'est assurément un mal et un grand mal; du reste, il n'est pas possible qu'au lieu de donner la foi à un schismatique, Jésus-Christ le jette dans une erreur sacrilège; que celui-ci implante ses racines en Jésus-Christ, ou que Jésus-Christ soit l'origine et la tête du schismatique. Et cependant, si Jésus-Christ confère le baptême, le baptême sera conféré; si le sujet reçoit le baptême, le baptême sera réellement reçu, non pas pour la Vie éternelle, mais pour le châtiment éternel, s'il persévère dans ce schisme. Enfin, lors même que cela arriverait, ce serait toujours une erreur de prétendre qu'alors ce malheureux a rendu mauvais le bien qu'il possédait; il ne l'a pas rendu mauvais; mais, en restant mauvais lui-même, il répondra du bien qu'il a détruit par son péché.


27. Vous me demandez peut-être de prouver mon assertion. Mais que puis-je vous répondre autre chose que ce que j'ai établi dans cet ouvrage? Lisez le décret de Bagaïum; jetez les yeux sur Félicianus et Prétextat; quoique schismatiques, ils ont conféré le baptême; et cependant ministres et sujets ont été accueillis dans vos rangs, sans que les uns fussent dégradés, sans que les autres fussent rebaptisés. Vous n'avez donc plus à demander si le baptême, quand il est conféré par un saint ministre, est en lui-même meilleur que quand il est administré par un mauvais ministre. En effet, le baptême conféré par Primianus, dont la sainteté, pour vous, n'est aucunement douteuse, n'est pas meilleur que le baptême conféré par Félicianus, dont vous avez hautement proclamé les crimes. Maintenant vous devez comprendre dans quel sens l'Apôtre a dit: «Celui qui est quelque chose, ce n'est ni celui qui plante, ni celui qui arrose, mais Dieu qui donne l'accroissement (1)». Avouez dès lors que c'est bien en vain que vous avez dit: «De même que pour planter et pour arroser on recherche un colon habile et diligent; de même, dans le sacrement de baptême, on recherche le ministre le plus juste». Félicianus n'était assurément ni diligent, ni fidèle, ni très-juste, il était bien plutôt négligent pour son salut, infidèle et très-injuste, quand, selon la sentence de vos trois cent dix évêques, il était en communion avec Maximien et enveloppé par la chaîne du sacrilège; ce qui ne l'empêchait pas de conférer un baptême que jamais vous n'avez invalidé.


28. Vous comprenez également que votre cause est entièrement étrangère à ce passage que vous empruntez au Prophète: «Je vous donnerai des pasteurs selon mon coeur, et ils vous conduiront avec sagesse dans les gras pâturages (2)». Ce n'est évidemment pas selon le coeur de Dieu que Félicianus était sacrilège et qu'il conduisait ses ouailles dans le schisme et l'erreur; et cependant il baptisait; et, en recevant ceux qu'il avait baptisés, vous avez reconnu que la grâce du baptême n'était pas son oeuvre, mais l'oeuvre de Dieu. Vous voyez, dès lors, dans quel sens j'ai rappelé ce passage de la sainte Ecriture: «C'est dans le Seigneur plutôt que dans l'homme qu'on doit placer sa confiance (3)». Jugez donc, dans la cause qui nous occupe, de quelle futilité était cette réponse que vous avez faite à ma citation: «Précisément parce que c'est en Dieu, et non pas dans l'homme, que vous placez votre espérance et votre confiance, vous devez vous montrer plus désireux de trouver, pour l'administration de ce sacrement, un ministre juste et fidèle; il est vrai que c'est de Dieu que nous viennent la foi et la justice, mais c'est dans ses ministres que ces vertus nous apparaissent». Tant que Félicianus est resté coupable de son crime fameux, trouviez-vous


1. 1Co 3,7 - 2. Jr 3,15 - 3. Ps 117,8

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en lui ces traces de justice et de foi? Et cependant c'était bien le baptême qu'il conférait; et quand ceux qu'il avait baptisés furent reçus parmi vous, vous prétendez leur avoir donné la justice, quoique leur baptême n'ait jamais été invalidé!


29. Vous me posez cette question: «Si le baptême ne doit jamais être invalidé, quelque soit du reste le ministre qui le confère, pourquoi les Apôtres ont-ils baptisé après saint Jean?» Répondez vous-même à la question que je vais vous poser: Puisque les Apôtres ont baptisé après saint Jean pourquoi ne rebaptisez-vous pas après Félicianus ceux qu'il a baptisés dans le schisme? Cela doit vous suffire pour vous faire comprendre que tout ce que l'on peut dire du baptême de saint Jean n'a aucun rapport à la question qui nous occupe. J'ignore ce que vous pensez quand vous entendez l'apôtre saint Pierre dire aux Juifs, déjà baptisés du baptême de Moïse: «Que chacun d'entre vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1)». L'Apôtre pensait-il que trop de générations les éloignaient de celui qui avait séparé les flots de la mer Rouge devant les pas de leurs ancêtres (2)? Direz-vous que les Juifs du, temps de l'Apôtre étaient réellement baptisés parce qu'ils descendaient de ces Juifs que Moïse avait baptisés (3)? Alors, pour être logique, dites que tous ceux qui naissent de parents chrétiens sont par là même baptisés.Vous comprenez vous-même l'absurdité d'une telle affirmation. Quoi qu'il en soit, lors même que les Apôtres n'auraient pas baptisé après Moïse, j'aurais toujours le droit de vous demander pourquoi vos évêques n'ont pas baptisé après Félicianus, l'adepte sacrilège de Maximien.



Augustin contre Cresconius - L'AFFAIRE DES MAXIMIENS