Augustin contre Cresconius - L'AFFAIRE DES MAXIMIENS

63. Vous vous êtes insurgé contre cet oracle divin formulé par saint Paul: «Lorsqu'un testament est confirmé, personne ne peut ni le casser ni y ajouter: Des promesses furent faites à Abraham et à sa race (1)». Vous avez osé briser ce testament et vous n'avez pas craint d'y ajouter les erreurs de Donat. Ainsi quand, dans ce même Testament, Dieu dit à Abraham: «Votre race sera comme les étoiles du ciel et comme le sable de la mer (2)», vous ne craignez pas de briser ce Testament; et, y substituant la secte de Donat, en faveur de laquelle rien ne rend témoignage, vous osez dire: «La vérité se trouve souvent avec le petit nombre; il n'est que trop ordinaire à la multitude de se tromper». Cela prouve que vous ne comprenez pas dans quel sens le Seigneur a dit que ce n'est que le petit nombre qui entré par la porte étroite (3), quand d'un autre côté il est dit également que beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident, et prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob (4). Dans l'Apocalypse nous trouvons de même une multitude innombrable d'élus de toute nation, de toute tribu et de toute langue (5). En soi le nombre des élus est donc très-nombreux, quoiqu'il soit très-faible comparativement au nombre de ceux qui doivent subir, avec le démon, les châtiments éternels. Quant aux élus, c'est-à-dire à ces froments destinés pour l'éternité à occuper les greniers du père de famille, tout en restant unis, par la charité, dans le monde tout entier, ils n'ignorent pas que, en attendant la purification dernière, ils doivent, dans ce monde, tolérer les tribulations et les peines qui leur viennent, soit de la part des hérétiques

1. Ga 3,15 - 2. Gn 22,17 - 3. Mt 7,14 - 4. Mt 8,11 - 5. Ap 8,9

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par leurs scandales et leurs violences, soit même de la part d'un trop grand nombre de ceux qui leur sont unis dans la même communion, et dont la vie coupable ou légère les assimile à la paille que la colère de Dieu rejettera un jour. Mais pourquoi chercher ailleurs des arguments contre vous? la cause des Maximiens, voilà la meilleure réponse que je puisse vous faire. En effet, si la vérité se trouve souvent dans le petit nombre et l'erreur dans ta multitude, souffrez donc que les Maximiens l'emportent autant sur vous par la vérité, que vous l'emportez sur eux par le nombre. Evidemment cette conclusion vous révolte. Alors cessez d'opposer orgueilleusement votre petit nombre à la multitude des nations catholiques, puisque vous ne voulez pas que les Maximiens se glorifient de leur petit nombre en comparaison de la multitude de vos coreligionnaires.


64. Quant à l'histoire que vous tracez des traditeurs africains, ignorez-vous donc, ou ne sentez-vous pas que, quand il s'agit de chercher la vérité, toute narration qui n'est pas suivie de preuves est une ineptie et une absurdité? Je ne m'occuperais même pas de vous réfuter, si je ne trouvais pas une réplique toute prête dans la cause des Maximiens. Nous lisons dans les saintes Ecritures: «Le Dieu des dieux, le Seigneur a parlé et il a appelé la terre depuis le levant du soleil jusqu'au couchant; c'est de Sion que lui vient toute sa gloire (1)».Cet oracle prophétique se trouve parfaitement confirmé par ces paroles du Sauveur dans l'Evangile: «Il fallait que le Christ souffrît, qu'il ressuscitât d'entre les morts le troisième jour, et qu'on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem (2)». Dans le Psaume: «Le Seigneur appela la terre depuis l'Orient jusqu'à l'Occident»; l'Evangile porte: «Dans toutes les nations». Au psaume: «C'est de Sion que lui vient toute sa gloire»; dans l'Evangile: «En commençant par Jérusalem» . Non-seulement Jésus-Christ est mort à Jérusalem, mais il y est ressuscité, de là il est monté au ciel, et c'est encore dans cette ville que, le jour de la Pentecôte, il a rempli du Saint-Esprit ses Apôtres et ses disciples au nombre de cent vingt; là encore, dans un seul jour il convertit trois mille personnes, et un autre jour,


1. Ps 49,1-2 - 2. Lc 24,46-47

cinq mille personnes à la foi de son corps mystique, l'Eglise; enfin, c'est de Jérusalem que l'Eglise toujours croissante se répandit et se répand encore dans toute la Judée et la Samarie et dans toutes les nations de l'univers. C'est ce prodige que le Sauveur, sur le point de monter au ciel, annonçait à ses disciples: «Vous rendrez témoignage de moi à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre (1)». Telle est donc cette Eglise; commençant à Jérusalem, elle va dans toutes les nations portant les fruits abondants de sa diffusion toujours féconde; voilà aussi ce qui nous fait dire que, grâce à la divine providence, le monde tout entier tend à devenir chrétien. Or, cette Eglise, appelée depuis l'Orient jusqu'à l'Occident, n'a pu être souillée par l'apostasie de quelques africains, apostasie dont elle n'avait aucune connaissance, si les rejetons sacrilèges de Maximien n'ont pas souillé ses collègues, ceux du moins qui ne lui ont pas imposé les mains; peu importe d'ailleurs qu'ils l'aient félicité de la condamnation lancée contre lui par Primianus, et qu'ils aient, à leur tour, condamné Primianus lui-même. Ils étaient tous enfoncés dans le schisme, et cependant on leur a offert un délai pour opérer leur retour.


65. Je vous avais dit: «Nous avons bien plus de raison de vous reprocher à vous mêmes ce crime d'apostasie (2)»; vous me répondez que j'avoue donc que vous avez des raisons de nous reprocher ce crime. A ce propos vous me rappelez les règles de la grammaire sur l'emploi et la signification du comparatif qui, loin de détruire le premier terme, le confirme et l'augmente. Vous ajoutez: «Probable et plus probable sont l'un par rapport à l'autre, comme bien et mieux, mal et pire, horrible et plus horrible».Vous concluez: «Si vous avez plus de probabilité, nous sommes donc au moins dans la probabilité». Dans les trois livres précédents j'ai répondu longuement et peut-être trop longuement à cette objection, quand elle s'est présentée en son lieu et place, et je vous ai montré que le comparatif au lieu d'augmenter le terme qu'il affecte, le diminue quelquefois et le détruit. De là ce mot de Virgile: «O Dieux, accordez mieux aux hommes pieux (3)... Je veux de meilleurs auspices (4)». Lisez attentivement,


1. Ac 1,8 - 2. Réfut. de Pétilien, Liv. 1,n. 23. - 3. Géorg. liv. 3,v. 513. - 4. Enéid. liv. 3,v. 498, 499.

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vous trouverez plusieurs exemples de ce genre. Mais ne vous étonnez-vous pas que je n'aie point trouvé d'exemple en ma faveur dans cette cause des Maximiens, à l'occasion de laquelle je vous adresse cette réponse générale? Prenons ce pompeux et éloquent décret du concile de Bagaïum; il y est dit: «Il s'est trouvé une cause plus salutaire pour empêcher le poison de se glisser dans tous les membres et pour couper d'un seul coup la blessure à son origine». D'après vos principes ce mot salutaire devait être employé au positif, et non pas au comparatif. Que le venin se glisse dans les membres, n'est-ce pas une chose pernicieuse, au lieu d'être salutaire? Couper la blessure d'un seul coup à son origine était donc une chose plus salutaire, quoiqu'il ne fût aucunement salutaire, mais bien plutôt regrettable de laisser la contagion du mal s'abattre sur tous les membres. De même nous pouvons avoir plus de probabilité pour vous reprocher le crime d'apostasie, quoique vous n'en ayez aucune à nous le reprocher à nous-mêmes.


66. Maintenant, si j'ai accusé d'apostasie votre évêque, Silvanus de Cirté, j'en avais pour preuve les actes municipaux, rédigés à Cirté même par Munatius Félix, intendant de la république. En effet, voici ce que nous y lisons: «Quand on fut arrivé à la bibliothèque, les armoires se trouvèrent vides. Silvanus présenta une cassette en argent et une lampe de même métal, et dit qu'il les avait trouvées derrière un coffre. Victor lui répliqua: La mort vous attendait si vous n'aviez pas trouvé ces objets. Félix ajouta: «Cherchez avec plus de soin encore, peut-être reste-t-il encore quelque chose. Silvanus lui répondit: Il ne reste plus rien, car nous avons tout jeté». Ces détails furent insérés dans les actes du consulaire Zénophile; pendant l'inscription, au milieu d'une multitude de dépositions des témoins, Zénophile fit cette question: «Quelles fonctions remplissait Silvanus dans la cléricature? Victor répondit: «La persécution s'enflamma sous l'épiscopat de Paul; Silvanus était alors sous-diacre». A ce témoignage évident tiré des actes publics, et pour en diminuer la crédibilité, vous croyez opposer quelque chose de bien plus important, quand vous rappelez la sentence formulée par Silvanus contre Cécilianus pour punir les traditeurs; vous en concluez que celui qui se montre si sévère contre les traditeurs n'a pu être traditeur lui-même. Mais où donc trouvez-vous, des juges plus sévères que ces infâmes vieillards qui réclamaient avec tant d'instances la mort de Suzanne, au moment même où leur conscience leur reprochait amèrement le crime qu'ils feignaient de punir dans cette femme (1)? Mais ne parlons pas de ces faits. Que direz-vous de Félicianus? Est-ce qu'il ne condamne pas avec Primianus le crime qu'il a commis avec Maximien? Si sa sentence est plus mitigée, en est-elle moins impudente? S'il l'eût voulu, au lieu de condamner faussement le crime d'apostasie dans la personne de Cécilianus, il pouvait fort bien condamner ce même crime dans sa propre personne; et, après l'avoir expié par satisfaction salutaire, prendre, sans être évêque, la défense de Cécilianus dont il connaissait l'innocence. Est-ce que Félicianus, qui avait également condamné Primianus, malgré son innocence, n'a pas pu se ranger ensuite du côté de sa victime sans la souiller aucunement et sans se voir atteint dans aucuns des honneurs dus à son épiscopat?


67. J'avais dit: «Je ne sais de quels apostats vos ancêtres veulent parler; mais, du moins, puisqu'ils les accusent d'apostasie, ils devraient prouver leurs accusations». Or, vous supposez que j'ai voulu dire que vos ancêtres devaient, avant d'accuser, être bien sûrs de leurs accusations. Ce qui le prouve, c'est votre réponse elle-même: «C'est ce qu'ils ont fait; voilà pourquoi ils ont conclu que le baptême n'existait plus parmi vous».Lisez donc d'abord attentivement le texte auquel vous vous proposez de répondre; tâchez d'en comprendre le sens, et gardez-vous de le dénaturer. J'ai dit qu'en accusant nos évêques d'apostasie, les vôtres devaient prouver leurs accusations, non pas à leurs propres yeux, mais à ces Eglises d'outre-mer, qui regardaient comme innocents ceux qui étaient ainsi l'objet de ces terribles accusations. En condamnant Primianus, est-ce que les Maximiens ne paraissaient pas convaincus de sa culpabilité? mais il ne s'ensuit pas que leur conviction était partagée par ceux qui se trouvaient à une grande distance et qui, par faveur ou par jalousie, pouvaient porter un jugement que la secte de Donat eût facilement ratifié. Or, ce même Primianus, condamné


1. Da 13

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d'abord par cent évêques, fut plus tard absous par trois cent dix autres évêques, au tribunal desquels les cent premiers couraient grand risque d'être eux-mêmes condamnés. Avant de prononcer leur sentence, les uns et les autres ont dû se faire à eux-mêmes une conviction, d'autant plus que, tandis qu'ils appartenaient à la secte, Primianus en était exclu s'il venait à rejeter la pénitence qui lui était offerte. Supposons donc qu'ils n'aient pu faire partager leur conviction à là multitude de leurs collègues et à toutes les églises de leur communion disséminées dans toute l'Afrique; supposons que, mieux éclairés, ils aient annulé leur sentence, puisque.tous les hommes sont faillibles quand il s'agit de juger un de leurs frères; supposons enfin qu'ils aient acquis une certitude absolue sur sa culpabilité, mais sans pouvoir la communiquer à là multitude des autres églises; n'est-il pas vrai que par prudence et par sagesse ils devraient tolérer patiemment un homme qu'ils connaissent coupable, plutôt que de se jeter dans un schisme impie et de se séparer de tant d'innocents, qui n'ont de ces faits aucune connaissance? Ils réaliseraient ainsi cette maxime, pleine de piété et de charité, de saint Cyprien: «Quoiqu'il paraisse y avoir de la zizanie dans l'Église, que rien ne fasse obstacle à notre foi et à nôtre charité; surtout ne sortons pas de l'Église, parce que nous voyons de la zizanie dans l'Église (1)».Cette sage conduite leur serait très-avantageuse si, restant purs dans le sein de l'Église, ils y toléraient la paille qu'ils ne peuvent séparer avant le jour des justices éternelles. Mais si c'est ainsi qu'ils auraient dû agir, même dans cette secte erronée que vous croyez la véritable Église, vos ancêtres ü'auraient-ils pas dû agir de la même manière et ne jamais se séparer de cette unité catholique qui est la seule véritable? En effet, si tout membre de votre secte, ignorant complètement la cause de Primianus, le croit innocent, quoiqu'il ait été condamné par cent évêques, et cela parce qu'il a été justifié par un nombre d'évêques beaucoup plus grand encore; les catholiques qui ignorent la cause de Cécilianus n'ont-ils pas parfaitement le droit de le croire innocent, puisque non-seulement en Afrique, mais dans toutes les contrées de l'univers, tous nos évêques ou bien l'ont cru


1. Lettre à Maxim.

innocent, ou bien ont ignoré qu'il fût coupable? Il suit de là qu'il a pu être absous par ceux qui connaissaient son innocence; qu'il. n'a pu être condamné par ceux qui ne le savaient pas coupable; et enfin,que, lors même qu'il aurait été absous, parce que le juge se serait laissé, corrompre, cette injustice ne peut être connue de ceux qui ne l'ont pas jugé. Ainsi donc, par. un véritable sacrilège, vous vous séparez de l'unité de tant de peuples innocents; qui, n'ayant pu être juges en cette matière, ignorent ou bien qu'il y ait eu des juges, ou bien le résultai du jugement; et qui, dans cette situation, doivent plutôt croire à., des juges, choisis, qu'à des: accusateurs vaincus.


68. Vous vous rappelez que j'ai établi mon raisonnement sur quatre propositions, bien distinctes. Vous avez adopté la quatrième, et en effet, c'était la seule que vous pussiez accepter; et encore suffit-elle pour vous infliger une défaite facile. En supposant que les documents sur lesquels repose le crime de trahison aient été produits de part et d'autre, j'ai raisonné ainsi: Ou bien tous ces documents sont vrais des deux côtés, ou bien ils sont faux des deux côtés; ou bien les nôtres sont vrais et les vôtres faux, ou bien les nôtres sont faux et les vôtres vrais. Les trois premières hypothèses nous assuraient promptement la victoire. Pourquoi donc n'avez-vous pas compris que la quatrième se tournait également.contre vous; ou plutôt pourquoi, dans le but sans doute de vous rendre inintelligible:à vos lecteurs, avez-vous cherché à entasser toutes les obscurités possibles sur la question qui restait à discuter? Plus tard, si besoin est, nous reprendrons cette thèse; mais aujourd'hui nous devons nous contenter des points qui réclament nécessairement une solution.


69. Voyons cependant si nous ne pourrions pas trouver une solution dans ce miroir éclatant que je vous propose, c'est-à-dire dans la cause des Maximiens. Après la mort des acteurs et des témoins, il a pu se faire que la question de communion fût un jour agitée entre les successeurs de vos évêques et des leurs. Les Maximiens pourront dire que Primianus a été condamné par cent et quelques évêques, et ils produiront à l'appui, soit la sentence rendue à .Carthage, soit celle de Cébarsussium. De leur côté, vos (473) coreligionnaires produiront la sentence du concile de Bagaïum. Les Maximiens demanderont qu'on regarde comme parfaitement prouvés tous les crimes attribués à Primianus, et dont mention est faite dans la sentence. Est-ce que vos coreligionnaires ne pourront pas dire avec plus de vérité: Si ces crimes que vous reprochez à un mort sont vrais, prouvez qu'ils ont été dénoncés à nos ancêtres et que vous en avez prouvé l'authenticité? Si vous avez tenté cette démonstration sans y parvenir, nos ancêtres n'ont pu être souillés par des crimes qu'ils n'avaient pas commis, et qui, fussent-ils vrais, ne leur ont pas été démontrés tels. A plus forte raison doit-il en être ainsi, si vous n'avez pas même tenté cette démonstration. Comment donc pouvons-nous assumer aujourd'hui la responsabilité d'un crime que les contemporains de Primianus ont ignoré et nié, et qui, à ce titre, n'a pu les atteindre d'aucune manière? C'est donc au nom même de l'évidence que nous vous convainquons de schisme, puisque vous vous séparez de nous pour des crimes que nous n'avons pas commis,, dont la réalité n'a pas été démontrée à nos ancêtres, quand cependant cette démonstration était rigoureusement exigée. Si tel est le langage que les peuples et les clercs habitant les mêmes localités que les trois cent dix évêques qui ont tenu le concile de Bagaïum contre les Maximiens; si, dis-je, tel est le langage que pourront justement tenir des Africains à des Africains, des Numides et des Maures en grand nombre, à quelques Byzacéniens et Provinciaux; à combien plus forte raison, quand il s'agit des crimes, fussent-ils vrais, de je ne sais quels apostats africains, tel doit être le langage adressé aux Africains par l'univers tout entier, surtout que dans l'Afrique même se trouve un si grand nombre de catholiques, unis par les liens de la plus étroite charité aux catholiques du monde tout entier. Ajoutons que ces documents relatifs à des crimes étrangers, et dont vous essayez de me prouver la véracité, n'incriminent en quoi que ce soit les peuples du monde, puisque ces crimes n'ont pu être prouvés à ces peuples, quand la preuve était nécessaire; je n'examine pas si vous avez essayé de la donner. Si donc je me sépare de ces peuples, dont l'innocence sur ce point est de la dernière évidence, je deviens nécessairement coupable de schisme et de sacrilège. Enfin, et pour couper court à tous vos efforts ait sujet de ces documents, je vous déclare que nous, condamnons les apostats défunts, mais que; nous ne nous séparons pas des vivants innocents.


70. J'avais dit: «Si vous avez entre les mains des documents véritables, produisez-les en face de l'Eglise catholique, c'est le moyen pour vous de rester dans l'Eglise et d'en faire chasser les coupables». A cela que vous a-t-il plu de répondre? «Nous nous sommes séparés», dites-vous, «parce que vous étiez vous-mêmes sortis de l'Eglise, tandis que les nôtres continuaient seuls à former l'Eglise catholique».Et si les Maximiens vous tenaient le même langage, ne répondriez-vous pas que des hommes qui prétendent former l'Eglise véritable avec moins de, cent évêques, malgré la multitude de leurs adversaires à la tête desquels marchent plus de trois cents évêques; que ces hommes, dis-je, ne méritent pas qu'on prenne la peine de les réfuter, ils ne méritent qu'un immense ridicule. Et, pour mieux le prouver, vous ne manqueriez pas de faire remarquer que dans toutes les contrées de l'Afrique où les Maximiens sont en nombre, on y trouve toujours des disciples de Primianus; tandis que dans les contrées les plus nombreuses et les plus vastes de l'Afrique, on ne trouverait pas un seul Maximien, à moins qu'il ne soit voyageur. Comment donc osez-vous dire que c'est la secte de Donat qui compose seule l'Eglise universelle, appelée de l'Orient à l'Occident par la Vérité même, et rendue reine et maîtresse de toutes les nations de la terre? Ne voyez-vous pas que votre secte est concentrée en Afrique, tandis que l'Eglise, dont vous vous êtes séparés, embrasse non-seulement l'Afrique, mais toutes les contrées de la terre? Mais peut-être que c'est votre secte qui a expulsé cette Eglise? De grâce n'expulsez pas de vos lèvres de semblables paroles; le front de l'homme couronne son visage, mais n'est pas sous son bras. Est-ce donc votre secte qui a excommunié l'Eglise? Mais, si c'est notre Eglise qui a été chassée, cette Eglise dont le Seigneur a dit à Abraham: «Toutes les nations seront bénies dans votre race (1)»; dont il a été prédit: «A la fin des temps la montagne du Seigneur se manifestera, et toutes les nations de la terre formeront cercle autour d'elle (2)»; et


1. Gn 22,18 - 2 Is 2,2

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encore: «Tous les confins de la terre se souviendront et se tourneront vers le Seigneur, et toutes les nations adoreront en sa présence (1)»; cette Eglise enfin dont il est dit qu'elle fructifie et se répand dans le monde tout entier (2); dont le Seigneur a dit qu'elle se dilate dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem (3); si, dis-je, c'est cette Eglise qui est chassée, vous ne voyez donc pas qu'en se retirant elle emporte avec elle la loi de Dieu, les Prophètes, les psaumes, les Apôtres, l'Evangile, tout le Testament et l'héritier lui-même?

Voyez et tremblez, et séchez d'horreur en face d'une telle conséquence. Voyez où vous en êtes et rentrez dans l'Eglise; car ce n'est pas vous qui avez chassé l'Eglise, mais c'est vous qui êtes sortis de son sein. Comprenez jusqu'où peut aller l'aveuglement de la fureur. Qu'on dise que Maximien a chassé Primianus, aussitôt on se prend à rire; et vous ne frémissez pas d'horreur quand on vient vous dire que la secte de Donat a rejeté loin d'elle les travaux des Apôtres, alors même qu'ils fructifient et croissent dans le monde tout entier?


71. Etes-vous trompé ou trompeur, quand, oubliant ou feignant d'oublier ce que j'ai rappelé si fréquemment, vous me faites dire «que l'Eglise catholique n'est pas ce froment du Seigneur dont il est parlé dans «la sainte Ecriture?» Les greniers du Père de famille ne seront ouverts qu'au froment pur, et, dans sa condition actuelle, l'Eglise est mêlée à la paille, en attendant la purification. C'est là ce qui vous accable et vous perdra sans retour si vous ne vous convertissez pas. En effet, n'avez-vous pas dit que vous ne pouvez pas tolérer la paille dans l'aire du Seigneur, d'où vous avez impudemment conclu que vous êtes le pur froment? Mais n'avez-vous pas clairement prouvé que vous n'êtes que la paille, puisque, soulevés par de vaines calomnies et agités vainement comme la poussière légère que le van met en mouvement, vous êtes sortis avant le grand jour de la purification? Elle est donc bien de vous et non pas de nous, cette fausse et arrogante parole «Pourquoi la paille avec le froment (4)?» Jérémie, en la prononçant, l'appliquait aux vains songes et aux fausses révélations des


1. Ps 21,28 - 2 Col 1,6 - 3. Lc 24,47 - 4. Jr 23,28

Prophètes; et Parménien, cependant, n'a pas craint de les mettre sur vos lèvres pour nous en faire l'application. Interrogez également Maximien, et vous verrez qu'il ne rend pas de lui-même un autre témoignage. Et, en effet, c'est le propre de tous ceux qui se séparent de l'unité de Jésus-Christ d'afficher orgueilleusement la prétention d'être seuls les vrais chrétiens et de condamner tous les autres, non-seulement ceux qui connaissent leur débat, mais encore ceux qui n'ont jamais entendu prononcer leur nom.


72. En parlant du Testament du Seigneur, j'avais dit: «Qu'on donne lecture de ce qui est produit de part et d'autre». Vous reprenez avec votre élégance ordinaire, et vous vous écriez: «N'est-ce point là faire l'aveu du crime, qu'on donne lecture de ce qui est produit de part et d'autre? N'est-ce pas dire: Je suis certain que les nôtres ont a tout brûlé, tandis que vous avez tout conservé pour le reproduire?» Eh bien! si avec cette assurance qui vous distingue vous demandiez à Maximien de vous exhiber un exemplaire de la loi, afin que vous puissiez lui citer l'histoire de Dathan, Coré et Abiron, engloutis tout vivants dans le sein de la terre (1), et proposés comme modèles aux Maximiens par le concile de Bagaïum, est-ce que cet argument ne serait pas d'autant plus fort qu'il serait puisé dans le livre même de Maximien? J'ai donc pu demander «qu'on donnât lecture du Testament tel qu'il est produit de part et d'autre», sans qu'on pût voir dans cette parole l'aveu du crime; on ne devait y trouver que l'assurance que me donnait la vérité. Pouvait-on engager une lutte plus courtoise et plus brillante qu'en demandant que vous produisiez vous-même, si c'était possible, les passages dont la lecture devait vous condamner? Je ne suis assurément pas privé des moyens de me justifier; mais il me semblait que, pour faciliter et assurer votre conviction, je n'avais rien de mieux à faire que de prouver que vos propres armes se, tournaient contre vous, tandis qu'elles vous serviraient d'un impénétrable bouclier, si vous vouliez bien vous convertir.


73. Contre l'universalité de l'Eglise vous avez cru devoir répéter toutes les inepties depuis longtemps connues. Je leur dois également une réponse. Vous formez en Afrique


1. Nb 16,31

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la secte de Donat; à côté de vous se trouve la secte de Maximien, mais qui n'est qu'un schisme ou un démembrement de la vôtre, car en Afrique même on ne la rencontre pas partout où vous siégez, tandis que là où des Maximiens se rencontrent, on y trouve aussi des Donatiens. D'autres schismes se sont aussi formés parmi vous, comme les Rogatiens, dans la Mauritanie Césarienne; les Urbaniens, dans un petit coin de la Numidie, et quelques autres encore; mais tous ces schismes sont restés dans les lieux mêmes où ils se sont produits. La preuve à laquelle on reconnaît que ce sont eux qui se sont séparés de vous, et que ce n'est pas vous qui vous êtes séparés d'eux, c'est que partout où ils sont, l'on vous y trouve également, tandis qu'on ne les trouve pas partout où vous êtes, à moins qu'ils n'y soient comme voyageurs. Il en est de même de l'Eglise catholique dont Cyprien a dit: «qu'elle étend sans cesse, avec une abondance toujours nouvelle, ses rameaux sur toute la face de la terre (1)». En effet, partout elle supporte les scandales de ceux qui, grâce surtout au vice de l'orgueil, se sont séparés de son sein, les uns dans une contrée, les autres dans une autre, n'ayant tous de commun entre eux que cette ostentation qui leur fait dire: «C'est ici qu'est Jésus-Christ, c'est là qu'il est». Ils oublient donc que depuis longtemps le Sauveur nous a prévenus de ne point ajouter foi à leur parole (2). En effet, la voie qu'il montre n'est pas celle dont il est parlé dans les psaumes: «Afin que nous connaissions votre voie sur la terre, et votre salut dans toutes les nations (3)». Pour eux il ne s'agit pas de toutes les nations, mais de telle communion, dans telle contrée particulière: «Le voici ici, le voilà là». Ils restent là où ils tombent, et se dessèchent sur le lieu même de leur séparation. Mais tandis que, fragments sans vie, ils gisent chacun dans sa contrée particulière, la véritable Eglise, sans quitter cette contrée, va toujours se répandant sur toute la terre. Ne les cherchez point dans toutes ces contrées habitées par l'Eglise, ils n'y sont point; c'est à peine si quelques-unes de leurs feuilles desséchées y sont dispersées par le vent de l'orgueil.


74. Cette Eglise, qui, selon la parole de saint Cyprien, «étend ses rameaux sur toute


1. Liv. de l'Unité de l'Eglise. - 2. Mt 24,23 - 3. Ps 66,3

la terre avec une fécondité toujours nouvelle», établira son règne pacifique sur une multitude de nations barbares, bien au-delà des frontières de l'empire romain. Vous avez vous-même compris et pressenti cette diffusion miraculeuse, et vous dites: «Je passe sous silence les nations barbares les plus lointaines, la Perse avec ses rits nombreux, la Chaldée avec ses astres, l'Egypte avec ses superstitions, les Mages avec leurs divinités; viendra le jour où tout cela ne sera plus, car, par la providence de Dieu, le monde tout entier tend à devenir chrétien». On ne pouvait mieux dire. Ajoutons que c'est ainsi que s'accomplira la promesse faite à Abraham: «Toutes les nations seront bénies dans votre race (1)». «Toutes les nations»; l'écrivain sacré ne dit pas Tous les hommes de toutes les nations. Il faut donc que jusqu'à la séparation opérée par le jugement suprême, non-seulement toute la terre soit couverte de la fécondité toujours croissante de l'Eglise, mais que cette Eglise elle-même soit toujours mêlée à la multitude dé ses ennemis, dont la rage et l'impiété ont pour mission d'exercer sa piété et de purifier sa vertu. De là cet oracle adressé par le Seigneur à Isaac: «Je confirmerai avec toi le pacte que j'ai formé avec Abraham ton père; je multiplierai ta race comme les étoiles du ciel, je te donnerai, à toi et à ta race, la terre tout entière, et toutes les nations seront bénies dans ta postérité (2)». Le Seigneur dit également à Jacob: «Ta race sera comme le sable de la terre, elle se dilatera au-delà de la mer jusqu'en Afrique, jusqu'à l'Aquilon, jusqu'à l'Orient, et toutes les tribus de la terre seront bénies en toi (3)». Dans l'Ecriture, cette expression «au-delà de la mer» désigne les plages occidentales; cette interprétation résulte d'une lecture attentive. Si vous aviez voulu produire ce Testament et l'accepter, vous ne seriez pas exclusivement restés sur le sol africain.


75. Vous le dites vous-même: «Non, nous ne sommes pas en communion avec les Novatiens, les Ariens, les Patripassiens, les Valentiniens, les Patriciens, les Appellistes, les Marcionites, les Ophites et autres hérétiques qui mériteraient plutôt le nom de fléaux redoutables, que celui-même de sectaires». Cependant, partout où vous


1. Gn 22,18 - 2. Gn 26,3-4 - 3. Gn 28,14

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les trouvez, vous y trouvez aussi l'Église catholique, comme vous la trouvez avec vous en Afrique. Mais il ne suit pas de là que partout où l'on rencontre l'Église catholique on vous y rencontre, vous ou quelque autre hérésie. A ce signe ne peut-on pas reconnaître quel est l'arbre qui étend ses rameaux sur toute la terre, et toujours avec une fécondité nouvelle, comme aussi quels sont les rameaux qui ne puisent pas leur vie dans le tronc unique, et restent gisants et desséchés dans les lieux qu'ils occupent? Cependant, comme le dit l'Apôtre, en parlant des Israélites: «S'ils ne persévèrent pas dans l'infidélité, ils seront entés de nouveau. Car Dieu est tout-puissant et peut en les greffant leur rendre la vie (1)». Non pas, sans doute, qu'ils doivent de nouveau recevoir le baptême qu'ils ont reçu sans changement de la souche principale; mais ils reprendront la vie en puisant à la racine de la charité et de l'unité, dont ils ne se sont séparés que pour se dessécher dans la stérilité de leur haine. N'avez-vous pas cru pouvoir, sans réprouver leur baptême, réintégrer Félicianus et Prétextat, que Maximien avait détachés du tronc pour se les attacher? Et en effet, cette réintégration leur eût été très-utile, si, au lieu de les rattacher à votre rameau rompu, vous et eux vous étiez venus vous enter sur la racine catholique.

76. Mais, en vérité, je ne sais plus que répondre quand je vous vois- interpréter en faveur de votre cause dés paroles que j'ai prononcées et que je redis avec la même confiance: «Le baptême n'est d'aucune utilité pour ceux qui se séparent de l'unité; cependant il est clair qu'ils possèdent ce baptême, puisqu'on ne le leur réitère pas quand ils reviennent à l'Église».Vous armant de ces paroles, vous en concluez que «le baptême qu'ils avaient reçu n'a été d'aucune utilité pour ceux de nos ancêtres qui ne «sont pas rentrés dans l'unité u . Si vous borniez là vos assertions, il n'y aurait plus d'autre question à éclaircir entre nous, que de savoir quelle est l'Église dans laquelle le baptême produit tous ses effets. Mais loin de convenir que nous avons le baptême, quoiqu'il ne profite pas, vous prétendez, au contraire, que nous ne l'avons pas, puisque ceux qui se flattaient de nous le donner, l'auraient


1. Rm 11,23

perdu en se séparant de votre Église: De là vient que vous n'avez pu, et que jamais vous ne pourrez répondre à cette proposition, telle que je l'ai formulée: «Une preuve évidente que les dissidents possèdent véritablement le baptême, c'est qu'on ne le leur réitère pas quand ils reviennent à l'unité». Si, en vous quittant, Félicianus a perdu son baptême, pourquoi, quand il est rentré dans vos rangs, ne lui avez-vous pas rendu ce qu'il avait perdu, et réitéré le baptême? Supposé même que Maximien revienne vers vous, certainement le baptême ne lui serait pas réitéré, et cependant c'est ce qu'on devrait aire, s'il l'a réellement perdu. Voici vos propres paroles à ce sujet: «Tous ceux qui sont retenus dans son schisme, sous le poids de leur condamnation, ont perdu tout à la fois et le baptême et l'Eglise».Dès lors, puisqu'à leur retour on leur rend l'Église, qu'on leur rende aussi le baptême. Si en se retirant ils ont perdu le baptême, qu'ils le recouvrent en rentrant. Puisque ce n'est pas là votre manière d'agir, vous avouez donc que, malgré leur séparation d'avec l'Église, ils ont encore le baptême, quoiqu'il ne leur soit d'aucune utilité. Les ministres ne donnent que ce qu'ils ont; si vous êtes baptisés par eux hors de l'Église, vous recevez réellement le baptême, mais ce baptême reste absolument sans effet. De même donc qu'à ceux qui reviennent on ne rend point ce qu'ils n'ont pas perdu; de même on ne doit pas leur réitérer le baptême qu'ils ont reçu, mais faire en sorte que ce baptême, qui pouvait exister hors de l'Église, mais ne produisait aucun effet, produise ces effets par l'Église dans les sujets comme dans les ministres. Je conclus et j'affirme que mes paroles ne favorisent en aucune, manière votre erreur, et que vous avez dû les laisser sans réponse.



Augustin contre Cresconius - L'AFFAIRE DES MAXIMIENS