Augustin contre Cresconius - L'AFFAIRE DES MAXIMIENS

77. Vous parlez également du jardin fermé et de la fontaine scellée, mais il est évident que vous ne comprenez rien à ce langage figuré. «Si», dites-vous, «ce jardin est fermé, et cette fontaine scellée, comment celui qui est hors de ce jardin, c'est-à-dire de l'Église, et hors de la fontaine, c'est-à-dire séparé du baptême; peut-il donner ce qu'il n'a pas?» Demandez à Félicianus s'il était dans le jardin fermé, quand on lui offrait un délai pour faciliter son retour à ce (477) même jardin fermé. Par hasard en aurait-il volé la fontaine, ce qui lui permettait de baptiser ses laïques dans le schisme de Maximien? Et s'il avait volé la fontaine, où donc vos évêques baptisaient-ils? Et ce délai, dont on fait si grand bruit, était-ce un moyen de les disperser, en attendant que ces voleurs revinssent au jardin avec la fontaine? N'étaient-ils pas des faux prophètes quand, au moyen des crimes dont ils chargeaient calomnieusement Primianus, ils trompaient les foules et les enrôlaient dans leur schisme? N'étaient-ils pas des loups rapaces, quand, à force de séductions jetées dans le troupeau de Primianus, ils entraînaient les simples dans leur division? Vous niez les dilapidations sans nombre accomplies par vos coreligionnaires sur les propriétés d'autrui et leurs bruyants excès d'ivresse (1). Niez autant que vous pouvez; je ne crains pas que ce soit là un motif qui vous empêche de vous réconcilier avec nous. Mes paroles, quelque sévères qu'elles soient, sont-elles comparables à celles que votre sentence de condamnation a fulminées contre les Maximiens? Vous niez la fureur des Circoncellions, ainsi que le culte sacrilège et profane de ceux qui se faisaient un devoir religieux de se précipiter du haut des rochers les plus abrupts. Vous ne niez pas cependant que «à l'exemple des Egyptiens d'autrefois, les rivages étaient couverts de mourants, et le plus grand châtiment que leur réservait ce cruel trépas, c'est que leurs cadavres furent privés de la sépulture». Vous insistez surtout sur cette privation de sépulture. Là gisaient Félicianus et Prétextat; et s'ils sont revenus à la vie parmi vous, que dites-vous du baptême qu'ils ont conféré, pendant qu'à vos yeux ils n'étaient que des cadavres?


78. Vous me reprochez d'être sorti des voies de paix et de douceur que j'avais promis de suivre, en commençant ma lettre; ta preuve, dites-vous, c'est que j'ai flétri du nom de satan Pétilien lui-même. Si j'ai comparé quelque chose à Satan, ce n'est ni Pétilien, ni un Donatien quel qu'il fut, mais l'erreur même des Donatiens, aux liens de laquelle je veux arracher tous les hommes que j'aime. Lisez plus attentivement que vous ne l'avez fait, et vous en trouverez la preuve. Et puis enfin, si quelques paroles un peu dures me sont échappées, rappelez-vous donc ce que


1. Réfut. de Pétil. liv. 1,n. 26.

vous avez dit non pas de l'erreur des Maximiens, mais de leurs propres personnes. Que Pétilien imite donc: Félicianus, et pour étouffer sa colère, qu'il sache que je ne désire que la paix.


79. Sachez aussi que je n'ai pas contre vous l'ombre même d'un ressentiment, quoique vous n'ayez pas craint de m'opposer indirectement les Manichéens, pour me rappeler l'erreur de mon adolescence. Si je regrette cette page de ma vie, j'ai confiance dans l'éternelle gloire de mon Libérateur, et je vous invite à vous procurer et à lire tout ce que j'ai écrit contre cette funeste hérésie des Manichéens. Vous reconnaîtrez alors par vous-même avec quelle foi et quelle assurance j'ai défendu contre eux la vérité chrétienne, et avec quelle perspicacité j'ai surpris et déjoué leurs ruses et leurs mensonges. Croyez donc à la sincérité de ma conversion, vous qui croyez si fermement que Félicianus s'est attaché de tout coeur à Primianus, quoique celui-ci, dans la cause de Maximien, l'eût accusé de tous les crimes et solennellement condamné. Après s'être séparé de Maximien, peut-être Félicianus a-t-il écrit contre son ancien maître dans l'hérésie; mais veuillez remarquer que je n'étais qu'adolescent, laïque et catéchumène, quand je tombai dans l'erreur, tandis que Félicianus touchait déjà à la vieillesse, et portait le caractère épiscopal, quand il leva le drapeau du schisme contre l'évêque dont il est aujourd'hui le fidèle collègue, et qu'il avait voulu supplanter en lui opposant un autre évêque. Toujours avec la courtoisie qui vous distingue, vous avez fait adroitement allusion à une lettre dans laquelle notre primat ne cachait point son aversion contre moi; mais vous, avez sans doute oublié de dire que, mis en demeure, dans un concile, de prouver ce qu'il avait avancé sous l'inspiration de la colère, il rétracta tout ce qu'il avait dit, me fit ses excuses et provoqua lui-même la condamnation de sa lettre. Cette condamnation, je puis vous en donner lecture. Eh bien! lisez-moi, si vous le pouvez, une pièce authentique dans laquelle Félicianus rétracte purement et simplement, non pas seulement les accusations lancées par lui contre Primianus, mais la condamnation dont il l'a frappé; de son côté, du moins, Primianus a-t-il rétracté la teneur de la sentence qu'il a formulée contre Primianus? Lors (478) même que vous pourriez m'exhiber ces pièces, notre cause ne serait pas encore égale. En effet, notre primat n'avait dressé contre moi qu'un réquisitoire; reconnaissant qu'il était faux, il le condamna et implora son pardon, sans craindre d'humilier sa dignité de primat, et voulant ainsi réaliser dans sa personne cette belle parole de l'Ecriture: «Plus vous êtes élevé, plus vous devez vous humilier en tout, et vous trouverez grâce devant Dieu (1)». Or, Félicianus et Primianus ne se sont pas contentés de se porter accusateurs l'un contre l'autre, ils se sont constitués juges et se sont condamnés réciproquement; et, après cette condamnation réciproque, ils ont fait la paix. Nous ne reprocherions pas au Donatisme la paix que se donnent des évêques, après s'être réciproquement condamnés, s'ils ne rejetaient pas la paix de Jésus-Christ dans l'univers tout entier.


80. Vous pouvez voir maintenant qu'il y avait exagération de votre part à prétendre que vous avez répondu à tout ce qui est renfermé dans ma lettre. Si vous croyez avoir répondu, parce que vous n'avez pas voulu garder le silence, j'avoue que vous avez répondu, mais je maintiens que vous n'avez pas répondu à tout. Et si en prenant la peine de me répondre, vous vous proposiez de réfuter ce que j'avais dit, j'avoue que vous avez répondu sur beaucoup de points, mais que vous n'avez rien réfuté. Si donc vous voulez jeter un regard attentif sur tout ce que j'ai dit, il me semble que vous comprendrez facilement que si vous refusez d'engager une conférence avec nous, ce n'est pas précisément dans le but d'échapper au danger de la chicane et de la dispute, la dispute n'étant pas possible quand on ne cherche que la vérité et qu'on ne combat point pour la vaine gloire; ce qui vous arrête, c'est donc la conviction que votre cause est mauvaise. Dussions-nous même nous borner uniquement à la cause des Maximiens, vous pouvez voir que vous n'avez absolument rien à répondre. C'est donc bien injustement que vous me reprochez de n'agir que par arrogance et dans le but de faire montre d'une éloquence invincible; tout ce que je désirais, c'était d'éclairer les lecteurs et de leur faire comprendre que la cause que nous soutenons contre vous repose sur des principes d'une telle évidence qu'elle n'a besoin que d'être


1. Si 3,20

exposée pour être acceptée, et que c'est en vain que pour la soutenir on se croirait obligé de recourir à de grands frais de rhétorique.


81. Je ne dirai donc pas de votre erreur que c'est la bête à trois têtes, car vous êtes un trop charmant correcteur des mots; je me contente de l'appeler une calomnie à trois branches. Je ne dis pas davantage que nous devons lui opposer le dard à trois armures, que nous fournit la cause des Maximiens, je dis, plus simplement, une défense à trois parties. Je ne dis pas: «Frappez-les au front», ou bien: «Fermez-leur la bouche»; je dis simplement: Enchaînez leur impudence, réfutez leurs discours. Parce que les termes sont changés, et que j'ai substitué le sens propre au sens figuré, s'ensuit il que la cause des Maximiens soit changée, quand cette cause seule suffisait pour vous confondre et vous faire comprendre, si vous êtes sages et prudents, que le seul parti qui vous reste, c'est de déposer votre haine aveugle et de faire la paix avec nous?


82. Enfin, s'agit-il de la communion, non pas des péchés des autres, mais des divins sacrements? il est certain que vous avez été en communion avec des évêques condamnés, et qu'en parlant des autres sacrilèges qui étaient en communion avec Maximien con damné, il a été dit dans votre concile que les rameaux sacrilèges n'avaient pas souillé les plantes elles-mêmes. S'agit-il de la persécution? après avoir condamné vos ennemis vous les avez persécutés, et après les avoir irrités vous les avez corrigés par la persécution. S'agit-il du baptême? vous avez ratifié le baptême qui avait été conféré dans un schisme sacrilège. Pourquoi donc produire encore inutilement des textes mal compris de la sainte Ecriture, à moins que vous ne vouliez vous mettre dans l'impossibilité de connaître la vérité et d'échapper à l'erreur? «Il est écrit: Si quelqu'un se flatte d'aimer la dispute, pour nous, nous n'avons pas cette habitude (1)». Ainsi vous ne regardez pas comme ami de la dispute ce Restitutus, qui pour ravir quelques modestes cellules et quelques petits champs à Salvius de Membrèse, a réveillé tous les échos du forum et soufflé la controverse aux quatre coins de l'Afrique. Regarderez-vous comme partisan de la chicane celui qui, dans le but unique, non


1. 1Co 12,16

479

pas d'usurper ou d'enlever, mais de communiquer l'héritage céleste à ceux qui marchent dans une voie qui ne peut les y conduire, engage avec eux des discussions, où la franchise le dispute seule à la charité? «Il est écrit», dites-vous: «Ne dites rien à l'oreille de l'imprudent, dans la crainte qu'il ne tourne en dérision vos discours les plus sensés (1)». Si vous ne nous croyez pas des hommes prudents, abstenez-vous de nous confier vos secrets; le Sauveur n'avait avec les Pharisiens aucune confidence intime et secrète; et cependant, toutes les fois qu'il entendait leurs murmures ou leurs accusations, il ne manquait pas de les- réfuter. Prouvez-nous publiquement, sinon pour nous corriger, du moins pour nous convaincre, que si vous reveniez à l'unité, vous seriez à l'instant même souillés au contact de l'univers chrétien, vous qui supportez au milieu de vous, sans aucune atteinte, la présence de Félicianus, condamné solennellement par trois cent dix évêques. «Il est écrit: «Ne répondez pas à un imprudent pour satisfaire son imprudence, dans la, crainte que vous ne veniez à lui ressembler». Mais oublieriez-vous ce qui suit immédiatement ces paroles: «Répondez-lui pour confondre son imprudence, dans la crainte qu'il ne se décerne à lui-même un brevet de sagesse (2)?» Faites de même; faites en sorte que votre réponse ne favorise pas notre imprudence, mais répondez de manière à la confondre. Dites-nous, je vous prie, comment vous avez parfaitement confirmé le baptême conféré par les Maximiens en plein schisme, tandis que vous invalidez le baptême donné dans les Eglises que Jésus-Christ lui-même a fondées par le ministère des Apôtres.


83. A la fin de votre lettre vous avez jugé à propos de résumer, dans une courte analyse, les principales idées que vous aviez largement développées dans le corps de l'ouvrage, afin d'en raviver le souvenir dans l'intelligence du lecteur. J'userai de la même méthode, mais de ma part ce ne sera pour tromper ni vous ni les autres. D'abord ce n'est pas faire preuve d'arrogance que de chercher ou d'affirmer la vérité. La discussion que vous pensiez interminable a été parfaitement terminée, non-seulement par les hommes prudents et craignant Dieu; mais vous-mêmes, en vous engageant dans la cause des Maximiens,


1. Pr 23,9 - 2. Pr 26,4-5

vous avez résolu à tout jamais une question que vous regardiez comme insoluble. Ce n'est pas à une dispute, mais à une conférence que nous vous invitons, vous qui n'avez pas craint d'appeler les Maximiens devant les tribunaux. Vous avez reconnu le baptême de Jésus-Christ dans tous ceux qui s'étaient fait baptiser par les Maximiens schismatiques, quoique vous ayez déclaré que le baptême ne saurait être conféré hors de l'Eglise. En acceptant le baptême conféré par des sacrilèges hors de l'Eglise, vous avez déclaré fausse la doctrine qui enseignait que les bons seuls pouvaient s'approcher de la fontaine de l'Eglise. Vous êtes contraints d'avouer que vos ancêtres, c'est-à-dire l'Eglise à laquelle nous appartenons, n'ont pu être souilles par les crimes de thurification et d'apostasie, dont vous accusez gratuitement quelques-uns de ses membres, et dont jamais vous n'avez pu prouver l'authenticité. Ces crimes fussent-ils vrais, vous devez avouer que nos ancêtres n'en ont pas été souillés, puisque vous affirmez vous-mêmes, en plein concile, que les rameaux sacrilèges de Maximien n'ont pas souillé les plantes sur lesquelles ils ont été greffés, c'est-à-dire, les sectaires mêmes de Maximien, auxquels vous offriez un délai pour faciliter leur retour. Et si nos ancêtres n'ont pu être souillés par ces crimes qui leur étaient étrangers, combien moins devons-nous l'être nous-mêmes qui ne sommes venus que si longtemps après. Quant aux persécutions, quoique vous ayez l'habitude d'en soulever de très-cruelles contre nous et contre la vérité, cependant il est vrai de dire que les persécutions ont été pour vous le moyen le plus efficace pour faire rentrer les Maximiens dans le devoir; aussi, quoique le délai ne fût accordé qu'à ceux qui n'étaient pas nommément condamnés, vous n'avez pas craint, après l'expiration de ce délai, de recevoir tous ceux qui se sont présentés. Quant au baptême qu'ils avaient conféré hors de votre communion, soit pendant le délai, soit après, vous l'avez reçu dans toute son intégrité, sans l'invalider en quoi que ce fût. Si donc tout ce que vous pouviez nous opposer est d'avance réfuté par la seule affaire des Maximiens, veuillez me pardonner, si quelque parole un peu trop dure de ma part a pu vous offenser. Tout africain que vous êtes, et habitant l'Afrique, vous n'aviez aucune connaissance de cette grande affaire des (480) Maximiens, soulevée au coeur même de l'Afrique; il a fallu que ma lettre vous inspirât la pensée de prendre, quoique bien tard, des informations sur ce point, et encore ces informations vous étant données fausses par vos évêques intéressés à mentir, vous comprenez aujourd'hui que vous étiez sur ce point dans une déplorable illusion. Craignez donc la justice de Dieu: gardez-vous de chercher dans les crimes supposés de quelques Africains inconnus une arme avec laquelle vous prétendriez frapper tant de nations chrétiennes, qui enlacent le monde tout entier dans les liens d'une admirable unité. Et puisque, dans le but d'assurer la paix du Donatisme, vous n'avez pas hésité d'ouvrir- vos rangs à des schismatiques que vous aviez solennellement condamnés, empressez-vous d'assurer la paix de Jésus-Christ en rentrant dans le sein de l'Eglise, qui n'a jamais condamné de coupables avant d'être parfaitement assurée de leurs crimes.

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.


Des circonstances, complètement indépendantes de notre volonté, nous ont malheureusement forcé d'insérer, à la fin du treizième volume, les autres traités de saint Augustin contre les Donatistes. (NOTE DE L'EDITEUR)





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