Augustin acc. évangélistes 206

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CHAPITRE 6, ÉPOQUE DE LA PRÉDICATION DE JEAN-BAPTISTE.


18. Vient ensuite ce qui a rapport à la prédication de Jean; et c'est un point que fait ressortir chacun des quatre évangélistes. En effet, saint Matthieu, après avoir écrit les dernières paroles que j'ai citées de lui, après avoir rappelé ce (148) témoignage d'un prophète: "Il sera appelé Nazaréen," continue ainsi son Evangile: "En ces jours Jean-Baptiste vint prêcher au désert de Judée (Mt 3,1)." Et saint Mc qui n'a rien dit de la Nativité, ni de la première ni de la seconde enfance du Seigneur, prend son récit à la prédication même de Jean Car voici comme il débute: "Cmmencement de l'Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu. Ainsi qu'il est écrit dans le prophète Isaïe . Voilà que,j'envoie mon ange devant ta face, et marchant devant toi, il te préparera le chemin. Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez la voie du Seigneur; rendez droits ses sentiers. Jean était dans le désert, baptisant et prêchant un baptême de pénitence pour la rémission des péchés, etc (Mc 1,1-4)." Saint Lc lui aussi, après ces mots: "Jésus croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes," parle aussitôt de la prédication de Jn et il dit: "La quinzième année de l'empire de Tibère César, Ponce-Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de la Galilée, Philippe, son frère, de l'Iturée et du pays de Trachonite, et Lysanias, d'Abilène; Anne et Caïphe étant grands-prêtres, le Seigneur fit entendre sa parole à Jn fils de Zacharie, dans le désert, etc (Lc 3,1-2)." Et l'Apôtre saint Jn qui domine de si haut les trois autres évangélistes, après avoir parlé du Verbe, Fils de Dieu, engendré avant tous les siècles de la création, puisque tout a été fait par lui, rappelle immédiatement la prédication et le témoignage de Jean- Baptiste: "Il y eut, dit-il, un homme envoyé de Dieu, qui s'appelait Jean (Jn 1,6)."
Considérons maintenant l'accord des quatre récits de l'Evangile, au sujet du saint précurseur. Je n'entends pas ici exposer en détail et réunir toutes les paroles, comme je l'ai fait un peu plus haut, quand il s'est agi des commencements du Christ né de Marie. J'ai ramené à une seule narration ce qu'en disent saint Matthieu et saint Lc pour montrer même aux esprits les moins exercés, qu'il n'y a pas la moindre contradiction entre les deux évangélistes et que l'un, en rappelant ce que l'autre tait ou en taisant ce que l'autre rappelle, n'empêche nullement de recevoir comme vrai ce que présente le récit de chacun. Cet exemple, tel que je l'ai donné ou tel qu'on peut le donner si l'on voit un ordre meilleur, suffit pour faire sentir à tout homme que dans les autres endroits semblables les choses peuvent se traiter comme dans celui-là.

19. Maintenant donc, comme je viens de le dire, voyons au sujet de Jean-Baptiste, l'accord des quatre auteurs des récits évangéliques. Saint Matthieu continue ainsi: "Or dans ces jours, Jean-Baptiste vint prêcher au désert de Judée." Saint Mc ne dit pas "dans ces jours," parce qu'il n'avait raconté précédemment aucun événement contemporain, qui lui permit d'user de cette formule. Saint Luc a marqué d'une manière plus précise par le nom des puissances terrestres, les temps de la prédication et du baptême de Jn quand il a dit: "La quinzième année de l'empire de Tibère César, Ponce-Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de la Galilée, Philippe, son frère, de l'Iturée et du pays de Trachonite et Lysanias, d'Abilène; Anne et Caïphe étant grands-prêtres, le Seigneur fit entendre sa voix à Jn fils de Zacharie, dans le désert." Ne croyons pas cependant que saint Matthieu ait voulu désigner l'époque où tous ces hommes exerçaient leur autorité, en disant: "Dans ces jours." On doit appliquer son expression à un espace de temps beaucoup plus étendu; car aussitôt qu'il nous a montré Jésus-Christ de retour d'Egypte après la mort d'Hérode (et sans aucune doute, le fait a eu lieu pendant la première ou la seconde enfance du Sauveur; autrement l'on ne pourrait justifier les paroles de saint Luc au sujet de sa présence et de sa conduite dans le temple de Jérusalem, à l'âge de douze-ans (Lc 2,41-50)) aussitôt, dis-je, qu'il nous a fait voir dans la personne de l'enfant Jésus, l'accomplissement de cet oracle: "J'ai rappelé mon Fils d'Egypte," saint Matthieu arrive à la prédication de Jean et dit aussitôt: "Dans ces jours, Jean-Baptiste vint prêcher au désert." Ce n'est pas qu'il entende seulement les jours de l'enfance de Jésus; il désigne toutes les années écoulées depuis la Nativité jusqu'au temps,de la prédication et du baptême de Jean-Baptiste, c'est-à-dire jusqu'au temps où nous voyons le Christ dans l'âge de la jeunesse, puisque le Sauveur était né la même année que le précurseur, et que, du reste, l'Evangile nous le présente comme ayant trente ans environ quand il fut baptisé par lui.


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CHAPITRE 7,DES DEUX HÉRODES.

20. Saint Luc rapporte qu'Hérode était tétrarque de Galilée quand Jésus-Christ, alors dans l'âge de la jeunesse, reçut le baptême de Jean (1); et saint Matthieu, que Jésus-Christ encore enfant quitta l'Egypte pour revenir en son pays après la mort d'Hérode. Plusieurs veulent trouver ici l'objet d'une difficulté sérieuse. Pour affirmer la vérité des deux passages, il faut, sans doute, reconnaître qu'il y a eu deux Hérodes. Comme aux yeux de tout le monde la chose est très-possible, quel n'est pas l'aveuglement de ces hommes qui ne cherchent qu'à calommier la vérité de l'Evangile, quand la moindre réflexion leur ferait voir qu'il s'agit de deux personnages appelés du même nom? C'est de quoi l'on trouve partout des exemples. Il est certain, en effet, que ce dernier Hérode était fils du premier; comme Archélaüs, que saint Matthieu place sur le trône de Judée après la mort de son père, à l'époque du retour d'Egypte (2);comme Philippe que saint Luc représente comme le frère du tétrarque Hérode et tétrarque lui-même de l'Iturée (3). Aussi bien le premier Hérode qui cherchait à faire mourir l'enfant Jésus avait le titre de roi: quant.à l'autre, son fils, il n'avait que celui de tétrarque; c'est-à-dire qu'il était gouverneur de l'une des quatre provinces formées alors de l'ancien royaume.

1 Lc 3,1-21 - 2 Mt 2,19-22. - 3 Mt 10-22.

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CHAPITRE 8,RETOUR A NAZARETH.

21. On voudra peut-être voir encore une autre difficulté. D'après saint Matthieu Joseph revenant d'Egypte n'osa aller en Judée avec l'enfant, parce qu'un fils d'Hérode, Archélaüs, y régnait à sa place. Mais comment peut-il aller en Galilée, où, d'après le récit de saint Lc régnait le tétrarque Hérode, un autre fils de ce tyran? La question suppose qu'il s'agit du même temPs Mais le temps dont parle saint Luc n'est plus celui où Joseph craignait pour l'enfant Jésus: les choses avaient tellement changé de face que la Judée n'était plus sous le sceptre d'Archélaüs, et qu'elle obéissait à Ponce-Pilate, qui n'était pas roi mais gouverneur des Juifs: alors les fils d'Hérode l'ancien administraient sous (autorité de Tibère César, non un royaume mais une tétrarchie. Il est clair que cette révolution n'avait pas encore eu lieu quand Joseph, craignant Archélaüs, roi de Judée, se transporta avec l'enfant dans la province de Galilée, où, du reste, était située Nazareth sa ville natale.

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CHAPITRE 9, MOTIFS DE PRÉFÉRENCE POUR LE SÉJOUR A NAZARETH.


22. Veut-on nous faire encore une nouvelle objection, et nous demander comment saint Matthieu a dit que les parents de l'enfant Jésus se rendirent avec lui en Galilée, parce que la crainte d'Archélaüs les détourna d'aller en Judée: quand ils ont plus vraisemblablement fixé leur séjour dans cette province parla raison que leur ville était Nazareth de Galilée, comme le déclare saint Luc? Mais il faut comprendre que Joseph ayant ouï en Egypte, durant son sommeil, ces paroles de l'Ange: "Lève-toi, prends l'enfant et sa mère, et retourne dans la terre d'Israël, n y vit tout d'abord un ordre de se rendre en Judée; et sans doute par la terre d'Israël il put entendre, avant tout, le pays dont Jérusalem était le centre. Ensuite, ayant appris l'élévation d'Archélaüs sur le trône d'Hérode son père, il voulut d'autant moins s'exposer aux poursuites du tyran, qu'il pouvait considérer la Galilée comme étant aussi la terre d'Israël, puisque les habitants de cette province étaient aussi des Israëlites. On peut cependant résoudre encore cette objection d'une autre manière. Les parents de Jésus-Christ purent croire que Jérusalem, à cause du temple du Seigneur, était le seul séjour où il leur convint de s'établir avec cet enfant, dont les oracles célestes leur apprenaient tant de merveilles: et alors ils devaient, au retour d'Egypte, y fixer leur demeure, s'ils n'eussent redouté la présence du fils d'Hérode, dont l'ordre divin ne leur enjoignait pas de mépriser les menaces.

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CHAPITRE 10, VOYAGES À JÉRUSALEM.

23. On dira peut-être encore: Comment donc, au rapport de saint Lc les parents de Jésus allaient-ils, toutes les années de son enfance, à Jérusalem, puisque la crainte d'Archélaüs leur interdisait l'accès de la ville? Il me serait facile de répondre, lors même qu'un évangéliste nous aurait fait connaître le temps que dura le règne (150) d'Archélaüs en Judée. Il était possible, en effet, que le jour d'une fête solennelle qui attirait une immense multitude, Joseph et Marié, favorisés par la foule, se rendissent à Jérusalem secrètement avec l'enfant Jésus, pour le court espace de quelques heures, tout en craignant d'y demeurer les autres jours. Sans manquer à la religion, sans négliger la solennité, ils pouvaient ainsi rester inconnus et conjurer le péril qu'un séjour continuel ne leur eût pas permis d'éviter. Mais tous les évangélistes ayant gardé le silence sur le temps qu' a duré le règne d'Archélaüs, il y a un autre moyen d'expliquer le récit de saint Luc. Il suffirait de supposer que Joseph et Marie n'allèrent chaque année à Jérusalem avec l'enfant Jésus (Lc 2,41), qu'à dater du moment où le fils d'Hérode n'était plus à craindre. Si, à défaut de l'Evangile, quelque histoire digne de foi nous oblige à reconnaître que le règne d'Archélaüs fut assez long pour ôter à cette hypothèse tout fondement; la raison que j'ai donnée plus haut doit suffire. En redoutant le séjour de Jérusalem, les parents de Jésus ne voulaient point cependant négliger une fête solennelle du Seigneur, quand il leur était facile de s'y rendre sans être remarqués. Est-il inouï d'ailleurs que, saisissant l'opportunité des jours ou des heures, on vienne parfois dans des lieux où on redoute de demeurer?

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CHAPITRE 11, COMMENT LA PRÉSENTATION AU TEMPLE SE PEUT-ELLE CONCILIER AVEC LA COLÈRE D'HÉRODE?

24. Ceci peut également servir de réponse à ceux qui se demanderaient: puisque les mages avaient donné l'éveil au roi Hérode en lui apprenant la naissance d'un nouveau roi des Juifs, comment Joseph et Marie purent-ils, après les jours de la purification de la mère de Jésus, se rendre en sûreté avec l'enfant dans le temple de Jérusalem, pour y accomplir à son égard les prescriptions de la Loi du Seigneur, dont saint Luc rappelle le détail? Qui ne voit, en effet, que de nombreuses occupations pouvaient bien alors absorber l'attention d'Hérode et l'arracher à tout autre soin durant l'espace d'un jour? S'il ne paraît pas vraisemblable que malgré sa vive attente du retour des mages, qui devaient l'instruire de ce qui concernait l'enfant, Hérode ait laissé passer tant de jours avant de reconnaître qu'il était leur dupe; si l'on répugne à penser qu'il s'avisa seulement de prendre contre cet enfant la plus cruelle résolution et d'en faire mourir tant d'autres, quand fut écoulé le temps de la purification de Marie, quand furent terminées les cérémonies solennelles prescrites à l'égard des premiers-nés, et lorsque la sainte famille fut partie pour l'Egypte; il faut convenir cependant que beaucoup de graves affaires, dont j'omets le détail, purent distraire le souci du roi, et lui faire oublier son projet durant plusieurs semaines, ou en empêcher l'exécution. Il est impossible d'énumérer les causes qui purent donner ce tour aux événements, mais nul n'est assez étranger au monde, pour nier ou révoquer en douté qu'il pût s'en trouver beaucoup et de très-sérieuses. Qui ne peut se figurer combien d'autres nouvelles plus terribles, vraies ou fausses, purent arriver aux oreilles du roi, pour enlever son âme, par la vive appréhension de périls plus prochains, à la crainte que cet enfant, ce nouveau roi des Juifs, ne prit les armes, dans quelques années, contre lui ou contre ses fils, et l'occuper entièrement du soin de parer à des éventualités dont l'imminence appelait de promptes mesures? Mais, laissant de côté toutes ces raisons, voici ce que je dirai: Les Mages n'étant pas revenus vers Hérode pour l'instruire, celui-ci put croire qu'ils s'étaient laissé abuser en s'imaginant voir une étoile qui n'existait point, et que, n'ayant pas découvert l'Enfant qu'ils cherchaient, ils avaient eu honte de retourner à sa cour. Ainsi le roi aurait cessé de craindre et aurait abandonné son homicide dessein. Suivant cette hypothèse bien vraisemblable, Joseph aurait été averti dans son sommeil de fuir en Egypte avec l'enfant et sa mère quand, après les jours de la purification de Marie, après la démarche de la sainte famille au temple de Jérusalem, après la consommation de toutes les choses que nous fait connaître saint Luc (Lc 2,22-39), les paroles prophétiques de Siméon et d'Anne à l'égard de Jésus, en se propageant par les récits des témoins, allaient ranimer les craintes du roi, et le rappeler à sa première intention. Hérode comprenant ensuite, par la divulgation des faits accomplis et des discours prononcés dans le temple, que les mages s'étaient joués de lui, et voulant assurer la mort de Jésus-Christ, commanda alors ce massacre général dont parle saint Matthieu (Mt 2,3-16).

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CHAPITRE 12, PRÉDICATON DE JEAN-BAPTISTE.


23. Le même Evangéliste aborde ensuite ce qui regarde le précurseur: "En ces jours, dit-il, Jean-Baptiste vint prêcher au désert de Judée, et il disait: Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche: voici en effet Celui dont a parlé le prophète Is quand il a dit: Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur; rendez droits ses sentiers (1)." Saint Mc et saint Lc de leur côté, s'accordent à reconnaître que ce témoignage d'Isaïe concerne Jean-Baptiste. Car saint Luc lui appliqué encore plusieurs paroles qui suivent dans le texte du même prophète (2). L'Evangéliste saint Jean dit de plus que Jean-Baptiste s'est appliqué lui-même cet oracle, d'Isaïe (3) . comme du reste saint Matthieu rapporte ici certaines paroles du précurseur que les autres ne reproduisent pas. "Il vint prêcher au désert de Judée, et il disait: Faites pénitence; car le royaume des cieux est proche:" ces paroles de Jean-Baptiste ne sont pas rappelées dans les trois autres récits. Quant à ce que nous présente ensuite la narration de saint Matthieu qui ajoute: "Car c'est lui dont a parlé ainsi le prophète Isaïe: Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers;" on ne voit pas si l'évangéliste reprend son discours et s'il rappelle en son nom les paroles d'Is ou s'il continue à exposer la prédication de Jean-Baptiste, et à lui attribuer tout ce que contient ce passage: "Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche: voici, en effet celui dont le prophète Isaïe a parlé,", etc. En effet, on ne doit pas se préoccuper de ce que Jean-Baptiste, au lieu de dire: Je suis moi-même celui dont le prophète Isaïe a parlé; a dit: "Voici Celui dont le prophète Isaïe a parlé;" car cette forme de langage est familière aux Evangélistes saint Matthieu et saint Jean. En effet saint Matthieu dit en parlant de lui-même: Jésus vit un homme qui était assis au bureau des impôts (4);" et il ne dit pas: Jésus me vit. Et saint Jean (5) C'est là, dit-il, le disciple qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites; et nous savons que son témoignage est vraI," Il ne dit pas: C'est moi, ni: Mon témoignage est vraI,

1 Mt 3,1-3. - 2 Mc 1,3 Lc 3,4. - 3 Jn 1,23. - 4 Mt 9,9. - 5 Jn 21,24.

Notre-Seigneur, dit très-souvent: Le. fils de l'homme (1) et, le Fils de Dieu; au lieu de dire: Mo1,Il dit ailleurs (2): "Il fallait que le Christ souffrît et ressucitât d'entre les morts;" et non pas: Il fallait que je souffrisse. Après avoir dit:Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche;" Jean-Baptiste a donc pu lui-même ajouter et s'appliquer les paroles suivantes: "Car voici Celui dont le prophète Isaïe a parlé," etc. Par conséquent, après avoir rapporté les paroles sorties de la bouche du précurseur, saint Matthieu reprendrait seulement son discours, à l'endroit où nous lisons: "Or, Jean avait un vêtement de poil de chameau" etc. S'il en est ainsi, l'on ne doit pas s'étonner que, pressé de rendre témoignage de lui-même, le précurseur ait dit, suivant le rapport de l'évangéliste saint Jean: "Je suis la voix de celui qui crie dans le désert (3)," comme il l'avait déjà dit quand il recommandait de faire pénitence. Au sujet du vêtement et du régime de vie de Jean-Baptiste, saint Matthieu dit donc en continuant son récit: "Or, Jean avait un vêtement de poil de chameau, et une ceinture de cuir, autour des reins; il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage." C'est ce que saint Mc dit aussi et presque dans les mêmes termes mais les deux autres n'en parlent pas.

26. Saint Matthieu dit ensuite: "Alors les habitants de Jérusalem, ceux de la Judée et de tout le pays des environs du Jourdain venaient à lui; et, en confessant leurs péchés, ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain. Mais voyant venir à son baptême plusieurs des Pharisiens et des Sadducéens il leur dit: Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère qui va tomber sur vous? Faites donc de dignes fruits de pénitence; et ne songez pas à dire en vous-mêmes: Nous avons pour père Abraham. Car je vous déclare que Dieu peut faire naître de ces pierres mêmes des enfants d'Abraham. Déjà la cognée est à la racine des arbres; donc tout arbre qui ne produit pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu. Moi, je vous baptise dans l'eau pour vous amener à la pénitence; mais Celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de porter sa chaussure. C'est lui qui vous baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu. Il a le van à la main, et il nettoiera complètement son aire; il amassera son blé dans le grenier, mais il brûlera

1 Mt 9,6 Mt 16,27. - 2 Lc 24,46. - 3 Jn 1,23.

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la paille dans un feu qui ne s'éteindra jamais." Nous trouvons toutes ces pensées dans le récit de saint Lc qui cite presque textuellement ces mêmes paroles attribuées à Jean-Baptiste. Quand les deux Évangélistes diffèrent pour les termes, ils ne diffèrent nullement pour le sens. Ainsi, selon le premier, le précurseur parle de cette manière: "Ne songez pas à dire en vous-mêmes Nous avons pour père Abraham;" et, selon le second: "Ne vous mettez pas à dire: Nous avons pour père Abraham." Ainsi, quand, plus loin, le texte de saint Matthieu nous présente ces paroles: "Moi, je vous baptise dans l'eau pour vous amener à la pénitence;" celui de saint Luc montre d'abord les différentes classes de la foule demandant ce quelles doivent faire, et rappelle que Jean les engagea à multiplier les bonnes oeuvres comme des fruits de pénitence; particularités que saint Matthieu ne rapporte pas: puis, à l'encontre de cette fausse idée que Jean pourrait bien être le Messie, viennent les mêmes paroles Moi, je vous baptise dans l'eau;" sans être accompagnées des mots: "Pour vous amener à la pénitence." Selon saint Matthieu., le précurseur dit ensuite: "Celui qui doit venir après moi est plus puissant que moi;" et selon saint Luc: "Il en vient un autre qui est plus puissant que moI," Nous lisons dans saint Matthieu; "Je ne suis pas digne de porter sa chaussure;" et dans saint Luc: "Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure," paroles que reproduit aussi saint Mc tout en omettant beaucoup d'autres détails . Car, après avoir parlé du vêtement et de la nourriture du précurseur, il ajoute: "Et Jean prêchait en disant
Il en vient un autre derrière moi, qui est plus puissant que moi; et je ne suis pas digne, en me prosternant devant lui, de délier les cordons de sa chaussure. Moi, je vous ai baptisés dans l'eau; lui, vous baptisera dans le Saint-Esprit." Pour ce qui regarde la chaussure, il diffère donc de saint Lc par cette addition En me prosternant devant luI," Au sujet du baptême il diffère de saint Luc et de saint Matthieu en ce qu'il ne dit pas: "Et dans le feu," mais seulement: "dans le Saint-Esprit." Saint Luc nous fait lire aussi bien que. saint Matthieu et suivant le même ordre: "Il vous baptisera dans, l'Esprit et dans le feu." Toute la différence c'est que le mot Saint," n'est pas dans le récit de saint Luc comme dans celui de saint Matthieu, où nous trouvons: "Il vous baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu (1)." L'Evangéliste saint Jean confirme les trois récits, dans ce passage: "Jean-Baptiste lui rend témoignage en s'écriant: Voilà celui dont je vous disais: Celui qui vient après moi, m'a été préféré parce qu'il était avant moi (2)." Par là, en effet, l'Evangéliste déclare que Jean-Baptiste a prononcé ces paroles dans le temps où les trois autres les lui font dire, et qu'ensuite il les a rappelées et répétées quand, il s'est écrié: "Voilà celui dont je vous disais: Celui qui vient après moi, etc."

27. Demanderait-on maintenant quelles sont les paroles qu'a prononcées Jean-Baptiste; celles de saint Matthieu, ou celles de saint Lc ou celles de saint Mc dans le peu de citations qu'il t'ait? Pour ne pas se préoccuper de cette question, il suffit de comprendre que la connaissance de la vérité résulte des pensées elles-mêmes et non des termes dans lesquels elles sont formulées. En effet, tel évangéliste n'est pas contraire à tel autre, parce qu'on trouve dans sa relation un ordre différent. De même il n'y a pas d'opposition, quand l'un rapporte ce que l'autre passe sous silence. Il est évident, en effet, que chaque évangéliste a écrit suivant ses souvenirs, et a donné son récit en plus ou moins de mots, selon qu'il était porté à l'étendre ou à l'abréger, tout en présentant néanmoins la même pensée.

28. De là ressort assez clairement une observation très-importante. Puisque la vérité de l'Evangile est parvenue au plus haut point d'autorité, par là même qu'elle repose sur la parole de Dieu, sur cette parole qui, subsistant éternelle et immuable au-dessus de toute créature, a été par l'intermédiaire de la créature communiquée au moyen de signes temporels et du langage humain, nous ne devons accuser personne de mensonge, quand plusieurs, venant à faire le récit d'une même chose qu'ils se souviennent d'avoir vue ou entendue, ne le font pas de la même manière ni dans les mêmes termes; soit que la différence regarde la narration; soit que des mots se trouvent remplacés par d'autres mots équivalents; soit que tel narrateur omette une particularité qui ne se présente pas à sa mémoire ou qui pourra se comprendre d'après les autres parties du récit; soit qu'en faveur de certains points qu'il se propose surtout de raconter, chacun veuille, afin de pouvoir y donner le temps convenable, ne

1 Mt 3,3-12 Mc 1,6-8 Lc 3,7-17. - 2 Jn 1,15.

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toucher que légèrement d'autres détails et non les développer entièrement; soit que, pour éclaircir la pensée et la mettre dans tout son jour, l'un d'eux, sans rien ajouter aux choses elles-mêmes, ajoute cependant au simple récit, des paroles qui les font mieux connaître; soit que, gardant bien la mémoire des faits dont il a été témoin, il ne puisse malgré ses efforts se rappeler aussi, pour les reproduire littéralement, tous les discours qui ont frappé ses oreilles. Si l'on prétend que les évangélistes devaient, sous l'action de l'Esprit-Saint, jouir du privilège de ne pas différer l'un de l'autre, même dans la nature, l'ordre et le nombre des expressions, c'est qu'on ne comprend point que plus est grande l'autorité des évangélistes, plus il importe aux autres hommes dans l'exposition de la vérité d'être rassurés par leur exemple; pour n'avoir aucunement à redouter l'accusation de mensonge, quand ils différeront entre eux dans le narré d'un même fait comme les écrivains sacrés, dont l'exemple pourra les justifier. Comme il n'est permis ni de dire ni de penser qu'un évangéliste a menti, on devra reconnaître, qu'un homme n'aura pas menti non plus, quand il lui sera arrivé pour ses souvenirs ce qu'on sait être arrivé aux évangélistes. Et plus la morale exige qu'on s'abstienne du mensonge, plus il est à propos qu'un exemple de si haute autorité nous ait été mis sous les yeux; pour régler notre jugement et nous empêcher de crier au mensonge lorsque plusieurs récits d'un événement nous offrent des différences semblables à celles des quatre Evangiles; pour nous faire aussi comprendre, ce qui intéresse au plus haut point l'enseignement de la foi, que nous devons moins chercher et considérer l'exacte conformité des termes que la vérité des choses; quand nous pouvons dire que sans user du même langage, plusieurs ont énoncé cependant la même vérité pour s'être accordé sur le fond et les pensées.

29. Qu'y a-t-il donc qui doive paraître contraire dans ces passages des évangélistes que je viens de mettre en regard? Faut-il voir une opposition entre celui qui l'ait parler ainsi Jean-Baptiste.: "Je ne suis pas digne de porter sa chaussure;" et ceux qui lui font dire: "Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure?" Il semble, en effet, qu'il y a, non pour les termes, ni l'ordre des mots, ni certaine forme particulière de langage, mais dans la chose elle-même une différence entre porter la chaussure," et "délier les cordons de la chaussure." On peut donc avec raison demander ce que Jean-Baptiste a dit qu'il n'était pas digne de faire; si c'est ale porter la chaussure ou d'en délier les cordons. Car s'il n'a dit que l'une des deux choses, celui-là seul qui a pu la rapporter parait être le narrateur véridique: et celui qui a écrit l'autre, sera regardé, sinon comme ayant voulu tromper, du moins comme ayant été trompé par une mémoire infidèle. Mais il faut écarter des évangélistes toute erreur, non-seulement celle qui résulte du mensonge, mais celle même qui vient de l'oubli; c'est pourquoi, s'il importe d'entendre sous les expressions porter la chaussure" et délier les cordons de la chaussure," deux idées vraiment différentes, que penserons-nous devoir conclure pour; l'exacte intelligence des récits évangéliques, sinon que Jean-Baptiste a dit l'une et l'autre chose, soit dans plusieurs discours, soit dans les mêmes? Car il a pu parler ainsi Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure ni de la porter. Alors les évangélistes en rappelant, l'un la première proposition, l'autre la seconde, ont tous également fait un récit véridique. Cependant, en parlant de la chaussure du Seigneur, Jean-Baptiste a eu seulement en vue de montrer la grandeur suprême du Seigneur et sa propre bassesse; qu'un évangéliste ait écrit: "Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure," ou: "Je ne suis pas digne de porter sa chaussure,", il a toujours rendu la même idée, exprimé le même sens, quand, mettant dans la bouche du précurseur un langage quelconque au sujet des souliers du divin Maître, il a également fait ressortir son intention de montrer combien Jésus lui était supérieur. Une règle dont le souvenir sera d'un très-grand avantage dans tout le cours de ce traité sur l'accord des évangélistes, c'est donc de ne pas regarder comme erroné le langage de celui qui en faisant, certains changements aux dis cous d'un personnage, expose néanmoins son idée et son intention, aussi exactement que celui qui rapporte rigoureusement toutes ses paroles; par là nous apprenons avantageusement qu'il ne faut chercher qu'à se rendre compte de la pensée et de la volonté de celui qui parle.


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CHAPITRE 13,DU BAPTÊME DE JÉSUS.

30. Saint Matthieu continue ainsi: "Alors Jésus vint de Galilée près du Jourdain trouver (154) Jean pour être baptisé par lui. Mais Jean s'en défendait en disant: C'est moi qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi? Jésus lui répondit: Laisse-moi faire maintenant, car c'est ainsi que nous devons accomplir toute justice. Alors Jean cessa de lui résister." Les trois autres évangélistes disent pareillement que Jésus vint trouver Jn et tous trois rapportent qu'il fut baptisé par lui; mais ils gardent le silence sur ce que nous voyons dans le récit de saint Matthieu, savoir les paroles de Jean au Seigneur et les réponses du Seigneur à Jean (1).

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CHAPITRE 14,VOIX DU CIEL APRÈS LE BAPTÊME DE JÉSUS.

31 . Saint Matthieu dit ensuite: "Jésus ayant été baptisé sortit aussitôt de l'eau; et en même temps les cieux lui furent ouverts, et il vit l'Esprit de Dieu descendre en forme de colombe et se reposer sur lui . Et au même instant on entendit une voix du ciel qui dit Celui-ci est mon Fils bien aimé, en qui je me complais." C'est ce que racontent pareillement deux autres évangélistes, saint Mc et saint Luc. Ils exposent cependant d'une manière différente les paroles de la voix qui se fit entendre du ciel: mais c'est toujours la même pensée. Car, d'après ce que nous avons dit précédemment, on doit voir le même sens et l'expression de la même idée dans la leçon de saint Matthieu: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé," et dans celle de saint Mc et de saint Luc: "Vous êtes mon Fils bien-aimé." Sans doute il n'y eut, dans ce discours venu d'en haut, qu'une seule des deux locutions, mais saint Matthieu, en écrivant: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé," aura voulu marquer le but de la voix du ciel, qui était de faire connaître aux auditeurs la filiation divine de Jésus-Christ; il a voulu montrer que les paroles: "Vous êtes mon Fils," furent prononcées de la même manière que si la voix eût dit à la foule: "Celui-ci est mon Fils." Car elle n'apprenait pas à Jésus-Christ ce qu'il savait bien; mais elle l'apprenait à ceux qui étaient là et pour qui elle se faisait entendre.
Maintenant la voix du ciel a-t-elle dit: "En qui je me complais, in quo mihi complacui," ou: "Je mets en vous ma complaisance, in te complacui," ou enfin: "Il me complaît en vous,

1 Mt 3,13-15 Mc 1,9 Lc 3,21 Jn 1,32-34.

in te complacuit mihi (1)? "On est libre d'admettre l'une ou l'autre de ce Trois leçons, pourvu que l'on comprenne qu'en rapportant différemment les paroles, les Evangélistes ont rendu la même pensée. La différence des Ex pressions a même l'avantage de nous faire mieux saisir l'idée, que si tous l'avaient rap portée dans les mêmes termes, et d'écarter le danger d'une fausse interprétation . Car celui qui voudrait, sous les mots: "En qui je me complais, in quo mihi complacui," voir le Père se plaisant à lui-même dans le Fils, est averti de son erreur par le texte de saint Marc: "En vous je complais, in te complacuI," De même, voulons-nous par cette seule leçon: "in te complacui," entendre que, dans le Fils le Père plaît aux hommes? nous sommes détrompés par le texte de saint Luc: in te complacuit mih1,Donc, quelque soit l'Évangéliste dont le récit nous présente le texte exact des paroles de la voix céleste, on voit clairement que les autres n'ont varié les termes que pour rendre le même sens plus saisissable. Ainsi, d'après les trois réunis, la voix du ciel a voulu dire: Je mets en vous mon bon plaisir; et cela signifie J'ai résolu de faire par vous ce qui me plaît . Dans certaines copies de l'Évangile selon saint Lc au lieu de la leçon que nous venons de mettre sous les yeux, on lit cet oracle du Psalmiste: "Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui (2) ." Il est vrai qu'on ne montre ces mots dans aucune des copies grecques les plus anciennes. Mais si quelques exemplaires dignes de foi peuvent confirmer cette variante, que faut-il conclure, sinon que la voix céleste, dans un ordre quelconque, a dit l'une et l'autre chose?


Augustin acc. évangélistes 206