Augustin, De la Genèse 307

307

CHAPITRE 7.

LE PREMIER JOUR. Gn 1,5

28. " Et alors se fit le soir puis le matin, et il y eut un premier jour. " Le nom, de jour ici a un autre sens que dans ces paroles: " Et Dieu appela la lumière, jour. " Il est pris de la même manière que quand nous disons par exemple: le mois a trente jours, comprenant dans cette expression la nuit aussi bien que le jour proprement dit, tandis que précédemment ce nom excluait la nuit. Le jour donc ayant été créé avec la lumière, il s'ensuit que le soir et puis le matin ont formé un premier jour, et qu'un jour est le temps qui va du commencement de l'un au commencement de l'autre, c'est-à-dire d'un matin jusqu'au matin suivant. C'est le sens que nous donnons au mot jour, quand nous y comprenons les nuits, comme je l'ai déjà fait observer.
Mais comment s'est fait le soir et comment s'est fait le matin? Pour créer la lumière et la séparer des ténèbres, Dieu a-t-il employé tout le temps qu'occupe la durée de la lumière sans y comprendre la nuit? Que devient alors ce qui est écrit: " Vous pouvez tout dès que vous le voudrez (1). " Dieu a-t-il besoin de la durée du temps pour faire quelque chose? Ou bien doit-on considérer les oeuvres de Dieu comme les oeuvres qui sont dans la pensée de l'artiste; les envisager, non dans le temps, mais dans la puissance qui produit par un acte immuable les choses mêmes qui changent sous nos yeux? Quand nous parions, les mots passent et se succèdent; mais il n'en est pas ainsi de l'artiste lui-même qui forme et qui contemple en repos la suite entière des paroles avec tout leur arrangement. C'est ainsi que Dieu agit en dehors du temps, lui qui peut tout ce qu'il veut; mais de leur côté les natures soumises au temps exécutent leur mouvement d'une manière temporelle. Peut-être donc que ces mots: " Et le soir eut lieu, puis le matin, pour former un premier jour, " doivent s'entendre de ce que la raison divine jugea possible ou nécessaire, et non de ce qui se passa dans la succession des instants. C'est en effet dans son intelligence que Dieu a contemplé son œuvre et à la lumière de l'Esprit-Saint qui a dit: " Celui qui est éternel a créé tout simultanément (2). " Mais c'est fort à propos que dans ce livre le récit nous présente les oeuvres de Dieu comme séparées les unes des autres par des intervalles de temps; et cette belle disposition que notre intelligence trop faible ne pouvait contempler d'un seul regard, devient pour ainsi dire accessible aux yeux même du corps grâce à l'ordre du discours.

1. Sg 12,18 - 2. Si 18,1

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CHAPITRE 8

CRÉATION DU FIRMAMENT. Gn 1,6-8

29. " Et Dieu dit : Qu'il y ait un firmament " au milieu de l'eau: et qu'il fasse séparation entre l'eau et l'eau. Et il en fut ainsi. Et Dieu fit le firmament, et sépara l'eau qui était au-dessus du firmament de celle qui était au dessous. " Y-a-t-il au dessus du firmament des eaux semblables à celles que nous voyons sous le firmament? Ou bien, comme en cet endroit l'écrivain sacré parait désigner l'eau sur laquelle était porté l'Esprit, l'eau où nous avons vu la matière du monde; ne faut-il pas entendre que cette eau a été divisée par l'interposition du firmament, et que l'eau inférieure est la matière corporelle et l'autre la matière animale? Car ce qui est ici appelé firmament sera appelé ciel plus loin. Mais parmi les corps il n'y a rien de plus élevé que les corps célestes. Autres en effet sont les corps célestes, autres les corps terrestres (1); et sans aucun doute les corps célestes sont les meilleurs. Je ne sais comment on pourrait appeler corps ce qui les dépasse, c'est peut-être une puissance soumise à la raison, à la raison dont la lumière nous fait connaître Dieu et la vérité; une nature qui étant susceptible d'être formée par la vertu et la prudence et trouvant dans la vigueur de celle-ci le moyen de fixer son agitation et d'acquérir une consistance qui la rend comme matérielle, a été par Dieu même justement désignée sous le nom d'eau; et cette eau serait au-dessus du ciel corporel, non pas localement, mais par sa qualité d'être incorporel. Du reste puisque le firmament a été appelé le ciel, c'est avec raison que l'on tient comme plus changeant et plus dissoluble ce qui est au dessous du ciel éthéré où tout est tranquille et bien affermi. Cette espèce de matière corporelle, ayant existé dans la confusion primitive, avant d'avoir la forme distincte et les qualités particulières, d'où elle prit le nom de firmament; il y a eu des hommes pour voir en elle, des eaux froides et visibles qui semblables à celles de la terre serment au dessus du ciel. Et ils ont voulu en donner pour preuve la lenteur de l'une des sept planètes appelée phainon, brillante, par les Grecs; laquelle est plus élevée que les autres, et met trente ans à parcourir le cercle de sa révolution dans le zodiaque : ils ont prétendu qu'elle est si tardive parce quelle est plus voisine des eaux froides qui couvrent la superficie du ciel. J'ignore comment on peut soutenir cette opinion parmi ceux qui s'occupent avec soin de ces questions. Mais il ne faut sur cela rien affirmer témérairement: il faut tout traiter avec précaution et modestie.

30. "Et Dieu dit: Qu'il y ait un firmament au milieu de l'eau, et qu'il fasse séparation entre l'eau et l'eau. Et il en fut ainsi " Après ces derniers mots, qu'était-il besoin d'ajouter : " Et Dieu fit le firmament et sépara l'eau qui était sous le firmament de celle qui était au dessus? " Car plus haut, après ces mots: " Dieu dit: Que la lumière soit et la lumière fut, " l'écrivain sacré n'a point ajouté " Et Dieu fit la lumière; " mais ici aux mots: " Dieu dit: qu'il y ait, et il y eut, " il ajoute: " Dieu fit le firmament. " Doit-on en conclure que dans cette lumière il ne fallait pas voir la lumière corporelle, et que conséquemment, Dieu c'est-à-dire la Trinité, l'a produite sans aucune créature pour intermédiaire; tandis que le firmament étant corporel, aurait reçu sa nature et sa forme par le moyen de quelque créature spirituelle? La Vérité même, pour la formation du firmament, aurait ainsi imprimé sur quelque nature spirituelle ce que celle-ci devait à son tour imprimer sur les corps; et pour ce motif il aurait été écrit: " Dieu dit: que le firmament se fasse et il fut fait; " il se fit peut-être d'abord dans la nature raisonnable pour se reproduire ensuite sur la nature corporelle.
Les mots qui viennent ensuite: " Et Dieu fit le firmament, et sépara l'eau qui est sous le firmament de celle qui est au dessus, " marquent-ils le concours qui lui fut prêté pour former le ciel? Ou bien si l'écrivain sacré dit ici ce qu'il n'a pas dit plus haut; n'est-ce pas pour varier le récit, pour empêcher la monotonie et parce qu'il ne faut pas tout polir avec trop de soin? Que chacun choisisse: seulement qu'on n'affirme rien témérairement; qu'on ne donne point pour connu ce qui est inconnu; qu'on se souvienne que c'est un homme qui étudie les oeuvres divines selon sa faiblesse.

1.

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CHAPITRE 9.

DIEU AGIT EN DEHORS DU TEMPS.

31. " Et Dieu appela le firmament ciel. " On peut appliquer ici, ce que j'ai dit précédemment au sujet des noms: car tout firmament n'est pas le ciel. " Et Dieu vit que son ouvrage était bon. " (135) Ici encore je me contenterais de renvoyer aux observations que j'ai faites plus haut, si je voyais le même ordre. Mais, dans le premier passage il y a : " Dieu vit que la lumière était bonne; " puis viennent seulement les mots : " Dieu sépara la lumière des ténèbres, et il appela la lumière jour, les ténèbres nuit; " tandis que dans le passage qui nous occupe maintenant, c'est après avoir exposé la formation du firmament et c'est après avoir dit : " Dieu appela le firmament ciel, " que l'écrivain sacré ajoute: " Et Dieu vit que cela " était bon.," Si la narration n'est pas ainsi variée pour prévenir la lassitude que fait naître la monotonie, nous sommes sans aucun doute obligés de reconnaître, d'entendre que cette marche exprime encore ici que " Dieu a fait tout d'un seul acte. " Aussi bien pourquoi est-il dit précédemment que Dieu d'abord approuva son ouvrage, et ensuite lui donna un nom, tandis qu'ici il lui donna d'abord un nom puis l'approuva? Cette différence ne marque-t-elle pas que l'opération de Dieu est indépendante du temps et que ses oeuvres mêmes y sont soumises? Nous voyons des intervalles de temps dans une exécution qui commence par un détail et finit par un autre, et en dehors de cette idée le récit serait impossible; mais Dieu pour produire ses ouvrages n'a pas besoin de la succession des instants. " Et alors se fit le soir puis le matin, et il y eut, un second jour. " Qu'on se rappelle ici ce que nous avons dit plus haut. Car je crois que les mêmes raisons se représentent avec la même valeur.

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CHAPITRE 10.

LA TERRE SÉPARÉE DES EAUX. Gn 1,9-10

32. " Et Dieu dit: Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu et qu'apparaisse la partie aride: et il en fut ainsi. " Ce passage donne une nouvelle probabilité au sentiment d'après lequel nous disions tout-à-l'heure que sous le nom d'eau a été désignée la matière même du monde. Car si l'eau était partout, de quel lieu et en quel lieu pouvait-elle être réunie? Mais si le nom d'eau est appliqué à la confusion primitive de la matière, le rassemblement dont il s'agit doit être entendu du fait même de la formation, qui a donné à l'eau la nature que nous lui voyons maintenant. Et les mots qui viennent ensuite: " Que l'aride apparaisse, " peuvent marquer l'origine de la terre dans la forme qu'elle présente à nos regards. Car elle était invisible et sans ordre tant que la matière n'avait pas encore revêtu de forme distincte. Dieu dit donc: " Que l'eau de dessus le ciel se rassemble, " pour commander que la matière corporelle fût amenée à l'état de cette eau qui tombe sous nos sens. " Qu'elle se réunisse en un seul lieu; " c'est la propriété essentielle de la forme, qui nous est marquée ici dans le terme d'unité. Car être formé véritablement, c'est devenir un tout, un ensemble parfait. parce que le principe de toute forme est éminemment un. " Que la partie aride paraisse, " c'est-à-dire qu'elle prenne une -forme visible qui la dégage de la confusion. Du reste on comprend que l'eau doive se rassembler pour laisser paraître la partie aride; en d'autres termes la mer sans limites doit être resserrée pour rendre visible ce qu'elle recouvre.
" Et il en fut ainsi: " peut-être l'écrivain sacré veut encore ici marquer que le fait a eu lieu d'abord dans la nature spirituelle; de sorte que les paroles suivantes : " Et l'eau fut rassemblée en un seul lieu et la partie aride se montra, " ne paraîtraient point une superfétation, mais nous feraient entendre que l'œuvre matérielle a suivi l'opération intellectuelle et incorporelle.

33. " Et Dieu appela terre la partie aride, et donna le nom dé mer à l'eau rassemblée. " Le motif de ces noms vient encore appuyer notre sentiment. Aussi bien toute eau n'est pas la mer, ni toute partie aride, la terre. Il a donc fallu distinguer par des noms l'eau et la matière aride dont il s'agissait. Or on peut certainement, sans blesser d'aucune sorte la raison, entendre ici, comme plus haut, qu'avoir nommé, c'est pour Dieu, avoir formé et séparé. " Et Dieu vit que cela était bon. " L'ordre est le même que précédemment. Qu'on applique donc ici les observations que déjà nous avons faites.

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CHAPITRE 11.

CRÉATION DES VÉGÉTAUX. Gn 1,11-12

34. " Et Dieu dit : Que de la terre sortent des herbes portant, selon leur espèce, une semence d'où puissent naître des herbes semblables; que la terre donne des arbres qui portent du fruit renfermant la semence propre à les reproduire selon leur espèce. " Après la formation de la terre et de la mer, Dieu leur a donné leurs noms et a approuvé son oeuvre, ce qu'il ne faut pas entendre de plusieurs actes successifs, (136) comme nous l'avons remarqué plus d'une fois, car on ne doit d'aucune sorte attribuer à l'ineffable action de Dieu le besoin de se développer dans les intervalles du temps; mais ici on ne lit pas tout aussitôt, comme pour les deux jours précédents : " Le soir se fit puis te matin et il y eut un troisième jour. " Mais on voit une nouvelle opération : " Que de la terre sortent des herbes portant, selon leur espèce, une semence d'où puissent naître des herbes semblables: que la terre donne des arbres qui portent du fruit renfermant la semence propre à les reproduire selon leur espèce. " Rien de pareil n'a été dit ni de la lumière qui brille à nos yeux, ni du firmament, ni de l'eau, ni de la partie aride. Aussi bien la lumière n'a pas de lignée qui lui succède; du ciel -ne naît pas un autre ciel; de nouvelles terres, de nouvelles mers ne sortent pas de la terre et de la mer pour les remplacer. S'il a donc fallu dire ici : " portant semence selon leur espèce, renfermant une semence selon leur espèce et pour la reproduction d'êtres semblables; " c'est qu'il s'agit de choses qui en périssant laissent à d'autres, produites par elles, leur forme et leur ressemblance.

35. Or tous les végétaux dont il est parlé ici sont de telle sorte sur la terre qu'ils y tiennent par la racine, en font la continuation, et néanmoins s'en séparent de quelque manière. Aussi bien je pense que dans le récit, le nom de terre conserve ta signification qu'il a dans le passage précédent, puisque les choses dont il s'agit ont été faites le même jour que cette terre parut. Dieu cependant par un nouvel ordre commande à la terre de les produire. Puis viennent encore les mots : " Et il fut fait ainsi " et après les mots : " Il fut fait ainsi; " nous trouvons comme plus haut le détail même de l'exécution : " La terre donna de l'herbe portant, selon son espèce, une semence d'où devait naître de l'herbe semblable, et des arbres portant du fruit qui renfermait en lui-même la semence propre à les reproduire selon leur espèce. " Et enfin on lit de nouveau : " Dieu vit que cela était bon. " Ainsi donc la terre et les plantes apparaissent dans un seul jour, et cette double parole de Dieu sert à les distinguer. S'il n'en d pas été de même pour la distinction de la terre et de la mer; c'est, je crois, parce qu'il fallait mieux marquer des choses qui naissent et meurent et dont les espèces se propagent par une suite de reproductions séminales. Ou bien est-ce parce que la terre et la mer ont pu être formées simultanément, non-seulement dans la création idéale et rationnelle où tout s'est l'ait à la fois, mais même dans leur apparition sensible et leur réalité corporelle; tandis que les arbres et toutes les plantes ne pouvaient naître, à moins que la terre où elles devaient germer ne les eût précédés? est-ce pour cela qu'il fallait un nouvel ordre de Dieu afin de marquer la distinction de la terre et des végétaux, qui néanmoins devaient être faits le même jour que la terre, d'autant qu'ils y tiennent par la racine et en sont pour ainsi dire la continuation? Mais on peut demander aussi pourquoi Dieu ne leur a pas donné des noms. Cette omission vient-elle de leur multitude, qui empêchait de les désigner chacun par un nom particulier? La question trouvera mieux sa réponse plus loin, quand nous remarquerons d'autres choses encore que Dieu n'a point nommées, comme il a nommé la lumière, le ciel, la terre et la mer : "Alors eut lieu le soir, puis le matin et il y eut un troisième jour. "

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CHAPITRE 12.

LE JOUR ET LA NUIT. Gn 1,14

36. " Et Dieu dit : Qu'il y ait des flambeaux dans le firmament du ciel, afin qu'il luisent sur la terre et séparent le jour de la nuit; qu'ils servent de signes et fassent les temps, les jours et les années: qu'ils soient dans le firmament du ciel pour y resplendir et qu'ils luisent sur la terre. " C'est au quatrième jour qu'ont paru les flambeaux dont il est dit : " Qu'ils fassent les jours. " Que sont donc les trois jours passes sans eux? ou comment pourront-ils former les jours si, en leur absence, des jours ont déjà pu exister? Ce rôle leur est-il attribué parce qu'au moyen de leurs différents aspects les hommes peuvent mieux se rendre compte de la durée et des intervalles du temps? Ou bien cette énumération précédente de jours et de nuits a-t-elle pour objet de distinguer entre les négations ou les défauts que Dieu n'a pas faits, et les natures qu'il a faites? Le matin désigne-t-il les qualités des choses créées, et le soir, ce qui leur manque? Car les créatures en tant que Dieu les a formées sont bonnes et d'une beauté irréprochable: mais, pour ce qui est d'elles-mêmes, elles ont des défauts et inclinent au néant parce qu'elles en sortent; et si elles subsistent, ce n'est (137) point par la vertu de leur essence qui vient du néant, mais par l'action de l'Etre souverain qui les fait exister dans leur genre et dans l'ordre qu'il leur a marqué.

37. " Et Dieu dit : Qu'il y ait des flambeaux dans le firmament du ciel afin qu'ils luisent. " Ceci regarde-t-il seulement les astres fixes ou encore les astres qui sont en mouvement? Mais les deux luminaires, l'un plus grand et l'autre moindre, dont il s'agira d'abord, se comptent parmi ces derniers. Comment donc tous les astres, sans exception, ont-ils été faits dans le firmament du ciel, puisque les astres mobiles ont chacun leur globe ou leur cercle particulier? Faut-il entendre ici par le ciel l'ensemble universel de la machine céleste qui contient tous les astres, et sous laquelle règne dans la région supérieure un air pur, calme et serein ; sous laquelle s'agitent aussi plus bas les vents et les tempêtes? Et parce que l'Ecriture dit tantôt les cieux et tantôt le ciel, comme en cet endroit on le firmament est appelé ciel, ne serait-ce point peut-être l'interprétation véritable? " Afin qu'ils luisent sur la terre et qu'ils séparent le jour et la nuit. " Puisque Dieu avait déjà séparé la lumière des ténèbres, et qu'il avait appelé la lumière jour et les ténèbres nuit, n'est-il pas évident qu'il avait séparé le jour de la nuit? Que veut donc dire ce que nous lisons maintenant au sujet des luminaires : " Qu'ils fassent la séparation entre le jour et la nuit? " Dieu ordonne-t-il que cette séparation ait lieu de telle sorte, par le moyen des luminaires célestes, que le seul usage des yeux corporels dans l'observation du phénomène suffise pour le constater; tandis qu'auparavant la division qu'il avait faite aurait seulement été saisie par des hommes d'un esprit sûr et d'une raison lucide? Ou bien ne s'agit-il pas d'un autre jour et d'une autre nuit? Dans la division précédente le jour ne marque-t-il pas les formes déjà imprimées à la matière, et la nuit, la partie de cette même matière, qui restait encre à former; au lieu que maintenant, le jour et la nuit dont il est parlé sont ceux qu'on voit se succéder l'un à l'autre dans le mouvement du ciel : ce qui serait impossible sans le lever et le coucher du soleil?

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CHAPITRE 13.

LES ASTRES. Gn 1,14-19

38. " Qu'ils servent de signes et fassent les temps, les jours et les années. " Il me semble les mots signes, temps, s'expliquent l'un par l'autre et qu'on ne doit pas entendre une chose sous le nom de signes et une autre chose sous le nom de temps. Ici, en effet, il s'agit des temps qui avec leurs intervalles distincts annoncent qu'au dessus d'eux règne l'éternité fixe et immuable. Ainsi le temps apparaît comme un signe, ou, en d'autres termes, comme une sorte de vestige de l'éternité. De même, les mots suivants : " jours et années, " montrent que les temps dont il est parlé sont ceux qui se divisent en jours par la conversion des astres fixes; en années vulgaires parla révolution du soleil dans le Zodiaque; en années moins sensibles et moins connues parla même révolution de tout astre mobile dans son orbite. Car s'il n'est pas fait mention des mois, c'est peut-être parce que le mois n'est autre chose qu'une année de la lune; de sorte que douze années de la lune seraient une année de cet astre que les Grecs appellent Phaëton, comme aussi trente années du soleil, une année de la planète qu'ils appellent Phaïnôn. Et peut-être la grande année, dont plusieurs ont longuement écrit, consiste-t-elle dans l'intervalle du temps que met l'ensemble des astres à revenir au même point et à reprendre son premier aspect. Ou bien en comprenant que les astres déterminent les jours et les années, comme nous venons de le dire, faut-il entendre, sous le mot signes, l'indication certaine de la route à suivre dans la navigation, et par les temps, les différentes saisons, comme le printemps, l'été, l'automne et l'hiver, parce que c'est avec le cours des astres que les saisons changent, se succèdent et conservent leur ordre?

39. Qu'ils soient dans le firmament du ciel "pour y resplendir et que la terre en soit éclairée. " Il avait d'abord été dit : " Qu'il y ait des luminaires dans le firmament du ciel, afin qu'ils luisent sur la terre. " Pourquoi donc cette répétition? Au sujet des plantes il est commandé qu'elles portent leur semence, qu'il y ait en elles une semence selon leur espèce pour en reproduire de semblables. Le contraire serait-il marqué quant aux luminaires célestes dans les termes : qu'ils soient et qu'il y ait? Le sens serait-il celui-ci : qu'il y ait des luminaires et qu'ils n'engendrent pas, mais qu'il soient eux-mêmes? " Et il en fut ainsi. " L'ordre de la narration est le même que précédemment.

40. " Et Dieu fit deux luminaires : un plus grand à la tête du jour, un moindre à la tête (138) de la nuit, et les étoiles. " On verra bientôt dans quel sens les deux luminaires sont à la tête du jour ou de la nuit. Quant aux étoiles qui viennent ensuite, l'on peut douter si elles sont aussi à la tête de la nuit. Quelques-uns veulent entendre ici que le second luminaire a été tout d'abord la pleine lune, parce qu'elle se lève aussitôt que vient la nuit, c'est-à-dire un peu après le coucher du soleil. Mais il est absurde que l'on commence à compter non du premier mais du 16e ou du 15e jour. Il ne faut pas alléguer comme une difficulté, que la lune, du moment quelle a été faite, a dû avoir toute sa perfection. Car elle est parfaite en quelque jour que ce soit; seulement les hommes ne la voient dans son plein que quand toute la partie tournée vers eux regarde le soleil. Mais en rapport avec cet astre, quand elle est sous lui elle paraît n'être plus, cependant elle est encore pleine, parce qu'elle est éclairée de l'autre côté; ne présentant à la terre que sa face obscure, elle ne peut être vue de ceux qui habitent la terre. Mais c'est là une chose qu'on ne peut pas enseigner en peu de mots. Il faudrait des dissertations assez subtiles et l'usage de certaines figures visibles.

41. " Et Dieu les mit dans le firmament du ciel, pour que la terre en fût éclairée. " Comment l'écrivain sacrée fait-il dire à Dieu : " Que des luminaires se fassent dans le firmament? " Et, comment dit-il après cela : " Dieu fit les luminaires et les mit dans le firmament; " comme s'ils avaient été faits hors du ciel pour y être ensuite placés, quand déjà, par sa parole, Dieu avait ordonné qu'ils y fussent faits? Veut-il encore marquer ici, que Dieu n'a pas opéré suivant l'usage des hommes, mais que la chose a été rapportée comme elle peut l'être à des hommes? Veut-il obliger à comprendre que si de la part de ces derniers faire et placer sont deux actes différents, ce n'est qu'un seul et même acte de la part de Dieu, qui place ces objets en les faisant et les fait en les plaçant?

42. " Qu'ils président au jour et à la nuit, et " fassent la séparation entre le jour et la nuit. " Les mots précédents : " à la tête du jour " et " à la tête de la nuit, " sont expliqués par ceux-ci : " Qu'ils président au jour et à la nuit. " Ce terme, " a la tête, " doit donc être compris dans le sens, de premier rang. Aussi bien parmi les objets qui frappent les yeux, il n'en est pas de plus remarquable dans le jour que le soleil, ni dans la nuit que la luné ou les étoiles. D'où résulte encore que l'ambiguïté du texte précédent, au sujet de ces dernières, ne doit plus faire sur nous aucune impression, et nous devons croire qu'elles ont été mises au firmament pour être à la tête de la nuit, c'est-à-dire y tenir avec la lune le premier rang. " Et Dieu vit que cela était bon. " C'est le même ordre que plus haut. Remarquons bien que Dieu n'a pas ici donné de noms. On aurait pu dire : Dieu donna aux luminaires le nom d'astres; mais tout, luminaire n'est pas un astre.

43. " Alors se fit le soir, puis le matin, et il y eut un quatrième jour. " Si nous arrêtons notre idée à ces jours que marquent le lever et le coucher du soleil; en comprenant que le lever du soleil a été le temps de sa création, et son coucher, le temps de la création des autres astres, nous aurons le premier jour et non le quatrième. Mais quiconque sait que le soleil brille sur d'autres points quand nous avons la nuit, et qu'ailleurs règnent les ténèbres quand le soleil nous éclaire, considérera d'une manière plus profonde l'énumération de ces jours.

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CHAPITRE 14. CRÉATION DE L'EAU.

Gn 1,20

44. " Et Dieu dit : Que les eaux produisent des reptiles vivants et des êtres qui volent sur la terre, sous le firmament du ciel. Et cela fût fait ainsi. " Les animaux qui nagent ont été appelés reptiles, parce qu'ils n'ont pas de pieds pour marcher. Ou bien en est-il d'autres qui, sous les eaux rampent sur la terre? Doit-on compter ici parmi les êtres qui volent les poissons qui ont des écailles, ou les autres qui n'ayant pas d'écailles se soutiennent au milieu des eaux, par ces nageoires qui ressemblent à des ailes? Ce point peut être l'objet d'un doute. Car du reste on peut demander pourquoi la formation des volatiles est attribuée à l'eau et non à l'air. Il est impossible en effet d'admettre que le texte regarde uniquement ces oiseaux à qui les eaux sont familières, comme les plongeons, les canards et tous ceux de mêmes moeurs : s'il n'était ici question que ces derniers il serait parlé ailleurs des autres, parmi lesquels on en voit qui évitent l'eau jusqu'à ne boire jamais. Mais peut-être en cet endroit le nom d'eau est-il appliqué à l'air inférieur, qui environne et touche la surface de la terre. Aussi bien la rosée jusque (139) dans les nuits les plus sereines en atteste la nature humide; et même il se condense en nuée. Or une nuée n'est autre chose que de l'eau, comme remarquent ceux qui font route à travers les nuages sur les montagnes, ou bien encore au milieu des brouillards dans la plaine. Du reste c'est l'air où volent les oiseaux; et ils ne peuvent, dit-on, voler dans la région plus élevée et plus pure qui contient l'air proprement dit, attendu que cet air est trop subtil pour les porter. On affirme qu'il n'y a jamais là ni nuage ni rien qui tienne de la tempête. Le vent y est tellement nul, qu'au rapport de certains personnages qui gravissaient chaque année, pour y offrir des sacrifices le mont Olympe, dont la couche de l'air humide, parait-il, n'atteint pas le sommet; des lettres gravées dans le sable sur le haut de cette montagne étaient retrouvées l'année suivante sans aucune altération.

45. Aussi l'on peut, sans choquer la raison, penser que ce qui est appelé dans les Ecritures firmament du ciel, s'étend jusqu'aux espaces occupés par l'air humide; on petit croire aussi que la région de cet air si tranquille et si pur fait partie du firmament. On peut comprendre en effet, sous le nom de firmament, cette tranquillité même, ainsi qu'une grande portion des choses créées, et delà ce me semble, les paroles que nous lisons dans plusieurs Psaumes : " Votre vérité, ô Dieu, s'étend jusqu'aux nuées (Ps 35,6 Ps 57,11). " Car il n'est rien de plus stable ni de plus serein que la vérité et c'est sous la région de l'air parfaitement calme et serein, que se forment les nuages. Encore que l'on comprenne dans un sens figuré ces paroles du roi-prophète, toujours est-il qu'elles ont leur raison d'être dans une certaine ressemblance des objets, et qu'aussi bien l'ensemble de la création corporelle plus stable et plus pure, contenue dans l'espace qui s'étend du haut du ciel jusqu'à la région de l'air humide, où règnent les nuages et les tempêtes, figure admirablement la vérité. La formation des oiseaux qui volent sur la terre sous le firmament du ciel est donc avec raison attribuée à l'eau, parce que l'air qui soutient leur vol peut recevoir convenablement le nom d'eau. Dès lors aussi, il est facile de comprendre pourquoi il n'est fait aucune mention expresse de l'air, comment il n'est parlé ni du temps, ni du mode de sa création. Sous le nom d'eaux nous devons voir l'air inférieur, et sous le nous de firmament l'air supérieur; de sorte qu'il n'est aucun élément dont il ne soit question.

46. Mais, dira-t-on peut-être : Si par les mots " Que l'eau se rassemble, " nous comprenons que l'eau a été faite et tirée de la confusion primitive de la matière, nous savons aussi que ce rassemblement a reçu de Dieu le nom de mer. Comment donc pouvons-nous comprendre qu'alors a été créé l'air inférieur, qui n'est jamais désigné sous le nom de mer, encore qu'il puisse être appelé eau? - Devant cette objection, il me semble que ces mots : " Que la partie aride se montre, " insinuent non-seulement la formation de la terre elle-même, mais de plus celle de l'air épais qui en touche la surface. En effet, c'est par sort intermédiaire que la terre est éclairée et devient visible. Ainsi dans le seul mot: " que l'aride paraisse, " sont entendues toutes les choses sans lesquelles ne pourrait paraître la terre. C'est-à-dire qu'il s'agit à la fois et de sa formation, et de son dégagement du sein des eaux, et de l'air dont elle est environnée et par lequel la lumière lui arrive des hautes régions du monde.
Ou plutôt les termes: " Que l'eau se rassemble, " ne regardent-ils pas plutôt cet air dont nous parlons, puisqu'on le voit se réduire en eau quand il se condense? Ce qui est appelé rassemblement des eaux et ensuite mer, pourrait donc bien être le simple résultat de la condensation de l'air; de sorte que la partie non rassemblée, c'est-à-dire non épaissie jusqu'à ce point et qui en touchant la terre s'élève au dessus d'elle, serait une eau capable de soutenir le vol des oiseaux, et qu'on pourrait également lui donner les deux noms d'eau plus déliée et d'air moins subtil. Mais quand on demande pourquoi cet air a été fait, l'Ecriture ne donne point de. réponse. Serait-il vrai, comme plusieurs le soutiennent, que les humides exhalaisons de la mer et de la terre forment cette couche d'air qui, plus épais que l'air supérieur parfaitement pur, se trouve en état de soutenir le vol des oiseaux; mais que beaucoup moins dense que les eaux dans lesquelles nous nous lavons, il semble près d'elle un élément sec et de la nature de l'air proprement dit? Alors de même qu'il n'était pas besoin de parler de l'air supérieur, si pur et si tranquille, puisqu'il est compris dans le firmament; de même, après avoir parlé de la terre et de la mer, qu'était-il besoin de parler encore de l'air inférieur, s'il est formé par leurs exhalaisons et n'est autre chose que l'eau disséminée en vapeur pour servir au vol des oiseaux?

47. Aussi bien l'on n'a pas dit non plus comment furent créés les sources et les fleuves; et ceux qui s'occupent plus spécialement de ces matières enseignent que par des ascensions, dont le fait en lui-même échappe complètement à nos sens, une vapeur douce se dégageant de la mer est élevée vers le ciel; que de là résultent les nuées, qu'ensuite les pluies venant humecter la terre, celle-ci laisse couler et dégoutter par différentes voies, dans ses cavités secrètes, une masse d'eau capable de former des sources, soit petites, soit suffisantes pour donner naissance à des fleuves. Comme une preuve de leur sentiment, ils allèguent que la vapeur de l'eau de mer sera soumise à l'ébullition, devient dans les replis du couvercle où elle s'arrête, un liquide qui n'a plus d'amertume pour le goût. Du reste tout le monde, à peu d'exceptions près, sait bien que les sources en diminuant témoignent du besoin qu'elles ont de la pluie. L'histoire sainte elle-même nous prête ici son autorité. Elie le prophète demandant la pluie dans un temps de sécheresse commande à son serviteur de regarder la mer tandis qu'il prierait. Celui-ci voyant s'élever un très-petit nuage annonça au roi inquiet que la pluie allait tomber : et en effet le roi fuyant alors en fut bientôt couvert (1R 18,43-44). David dit encore : " Seigneur, qui appelez l'eau de la mer et la répandez sur la surface de la terre (Am 5,8 Am 9,6). " La mer donc ayant été nommée, il aurait été superflu de parler des autres eaux, soit, comme nous l'avons déjà dit, de celles qui donnent la rosée et qui par leur subtilité font un air propre à soutenir le vol des oiseaux, si elles ne sont autre chose que l'effet des exhalaisons; soit de celles des sources et des fleuves, si elles viennent des pluies que fournit la mer et que la terre absorbe pour la rendre ensuite à l'océan.



Augustin, De la Genèse 307