Augustin, De la Genèse 315

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CHAPITRE 15. ANIMAUX SORTIS DES EAUX.

Gn 1,21-23

48. " Que les eaux produisent des reptiles à âmes vivants. " Pourquoi ces deux mots? Est-ce qu'il peut y avoir des âmes sans vie? Ne serait-ce pas qu'on a voulu faire ressortir ici le caractère de cette vie plus manifeste qui est le propre des animaux doués de sentiment et que n'ont pas les plantes? "Et des oiseaux qui volent sur la terre, sous le firmament du ciel. " Si les oiseaux ne volent pas dans la région de l'air très-pur on ne paraît aucun nuage, il est évident que cet air appartient au firmament, puisqu'il est dit qu'ils volent sur la terre, sous le firmament du ciel. " Et il en fut ainsi. " Le même ordre est toujours observé. C'est pourquoi nous trouvons encore les mots suivants, comme dans le récit des autres opérations, si on excepte la création de la lumière produite en premier lieu

49. " Et Dieu fit les grands poissons et tous les animaux rampants que les eaux produisirent selon leur espèce, et tout volatile ailé selon leur espèce. " Remarquons bien que les expressions: " selon leur espèce, " sont employées quand il s'agit de créatures qui se conservent et se propagent par reproductions séminales: en effet ces termes ont déjà paru au sujet des herbes et d'arbres. "Et tout volatile ailé. " Pourquoi ajouter le mot ailé? Peut-il exister de volatile sans ailes! Et si cela est possible, Dieu en a-t-il fait, puisque nous ne voyons nulle part qu'il en soit question? Mais enfin est-il un être qui puisse aucunement voler sans ailes? Les chauves-souris, les sauterelles, les mouches et toutes les autres créatures de ce genre, n'ont pas de plumes, il est vrai, mais les aile ne leur manquent pas. L'addition du mot " ailé " a eu pour fin de nous faire entendre qu'il ne s'agit pas uniquement des oiseaux, parce que les poissons, eux aussi, ont des ailes et volent sur la terre au milieu des eaux. C'est pour cela qu'au lieu du terme " oiseaux, " nous trouvons le terme général " volatiles ou êtres qui volent, " et ensuite, " volatile ailé. Et Dieu vit, que cela était bon. " Il faut encore comprendre ce détail comme dans les autres passages.

50. " Et bien les bénit en disant: Croissez, multipliez-vous et remplissez les eaux de la mer; et que les volatiles se multiplient sur la terre. " Dieu voulut que sa bénédiction produisit la fécondité, dont l'effet se révèle dans l'existence des descendants; afin qu'en vertu de cette bénédiction, des êtres créés faibles et mortels ne vissent pas périr avec eux leur espèce, mais qu'elle se conservât par d'autres êtres auxquels ils auraient donné naissance. Néanmoins, puisque les plantes même en naissant, conservent l'espèce et la ressemblance de celles qui meurent, pourquoi Dieu ne les a-t-il pas bénies? Est-ce parce qu'elles sont dépourvues du sentiment qui approche de la raison et que possèdent les animaux? Aussi bien, il est bon de remarquer que Dieu bénissant ce qu'il vient de créer se sert de la seconde personne, et leur adresse en quelque sorte (141) la parole comme s'ils l'écoutaient: " Croissez, multipliez-vous, dit-il, remplissez les eaux de la mer. " Cependant il ne garde pas dans son discours la même personne jusqu'à la fin de la bénédiction, puisqu'il dit ensuite, non pas : Multipliez-vous sur la terre : mais " Que les volatiles se multiplient sur la terre. " Que signifie ici la conduite de Dieu, sinon peut-être que le sens de ces animaux approche de la raison et pourtant s'en éloigne assez pour qu'ils soient incapables de saisir parfaitement la parole qu'on leur adresse, comme ceux qui ont l'intelligence et la raison en partage.

51. " Et la chose fut ainsi. " Assurément tout homme qui n'a pas compris jusqu'alors de quel jour il s'agit dans l'énumération de l'écrivain sacré, doit s'éveiller maintenant pour le comprendre. Réglées par Dieu d'une manière fixe, les générations chez ces animaux gardent une constance admirable, et il y a un nombre déterminé de jours assigné à chaque espèce pour ponter, mettre bas et couver leurs neufs: la sagesse de Dieu, qui atteint avec force d'une extrémité à l'autre et qui dispose tout avec douceur (1), conserve cet ordre qu'elle a établi. Comment donc en un seul jour les animaux dont il est parlé ici ont-ils pu concevoir, porter, mettre bas, couver leurs neufs, nourrir leurs petits, et enfin remplir les eaux de là mer et se multiplier sur la terre? Car nous lisons les mots " : Il en fut ainsi, " avant qu'il soit fait mention de soir. Mais, sans aucun doute, quand il est dit que le soir eut lieu, puis le matin, sous le nom de soir, nous est désignée la matière informe, et, sous le nom de matin, la forme imprimée à la matière par l'opération divine, puisque le matin forme le jour écoulé après cette opération. Dieu cependant n'a pas dit: Que le soir se fasse, ni : Que le matin soit. Car il ne s'agit que d'un simple rappel des choses qui ont été faites précédemment, le soir et le matin désignant la matière et la forme que l'écrivain sacré a déjà représentées comme l'oeuvre de Dieu. Quant aux défauts mêmes des choses, c'est-à-dire ce qui de la forme tend à la matière et au néant, si nous pensons à juste titre qu'ils sont indiqués dans le mot nuit, ce mot n'enseigne pas, il est vrai, que Dieu les ait faits, mais en disant : " Dieu sépara la lumière des ténèbres, " l'Écriture nous apprend qu'il en a été l'ordonnateur. Ainsi le mot soir doit désigner la matière informe qui malgré son extraction du néant, ne laisse pas d'exister avec la disposition à prendre une apparence, à revêtir des formes. Ou peut aussi comprendre sous le nom des ténèbres, le néant absolu que Dieu n'a pas fait et d'où il a tiré tout ce qu'il a daigné faire dans sa bonté ineffable, et dans son infinie puissance, laquelle a su opérer de rien tant et de si grandes choses.

1. Sg 8,1

52. " Alors se fit le soir, puis le matin; et il y eut un cinquième jour. " Nous voyons qu'après les mots : " Il en fut ainsi, " le narrateur n'a point ajouté le récit de l'exécution. L'ayant donné précédemment, il n'avait pas à le reproduire, comme si les choses eussent été faites une seconde fais. Dieu d'ailleurs, en vertu de cette bénédiction qui regarde la fécondité, ne formait pas de nouveaux êtres mais il conservait les espèces de ceux qu'il avait formés, en leur communiquant le pouvoir de donner naissance à d'autres qui leur succéderaient. C'est pourquoi nous ne trouvons pas non plus la conclusion ordinaire : " Et Dieu vit que cela était bon. " Nous l'avons vu plus haut, et il ne s'agissait ici que de la conservation future de l'objet par reproduction. Rien donc, en cet endroit, n'a été répété sinon les mots : " Et il fut fait ainsi, " après lesquels sont aussitôt mentionnés le soir et le main, dont les nom désignent, comme nous l'avons dit, l'achèvement de l'oeuvre quant à la matière et quant à la forme que revêt la matière. Voilà notre sentiment que nous sommes prêts toutefois à abandonner, si d'autres dans leurs recherches trouvent quelque close de meilleur et de plus relevé.

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CHAPITRE 16.

ANIMAUX TERRESTRES. CRÉATION DE L'HOMME. Gn 1,24-26

53. " Et Dieu dit : Que la terre produise des animaux vivants, chacun selon son espèce, les quadrupèdes, les serpents, les bêtes de la terre selon leur espèce, et le bétail selon son espèce, " Et la chose fut, ainsi. " Au sujet de l'addition du terme " vivants " à celui d'animaux, comme au sujet des mots : " chacun selon espèce " et de ces autres : " il en fut ainsi, " qui reviennent habituellement, il faut se rappeler nos observations précédentes et les appliquer ici. Dans notre langue, il est vrai, le nom de bête désigne en général tout animal privé de raison: cependant l'on doit distinguer ici les différentes espèces et comprendre que les quadrupèdes sont toutes les bêtes de charge, les serpents tous les animaux qui rampent sur la terre, les bêtes de la terre ou bêtes (142) sauvages, tous les quadrupèdes indomptés, enfin sous le nom de bétail il faut voir les quadrupèdes qui ne rendent pas de service par leur travail, mais donnent quelque revenu à ceux qui les nourrissent.

54. " Et Dieu fit les bêtes de la terre selon leur espèce, tout bétail selon son espèce, et tous les serpents de la terre selon leur espèce. " Cette répétition : " La chose fut ainsi ; - Dieu fit les bêtes de la terre, etc. " doit être entendue suivant la règle que nous avons présentée plus haut. Le mot de bétail comprend ici, je crois, les animaux qui vivent sous le soin et dans la dépendance de l'homme. " Et Dieu vit que cela était bon. " Cette conclusion doit être prise dans le même sens que partout ailleurs.

55. " Et Dieu dit : " Faisons l'homme à notre " image et à notre ressemblance. " Ici encore nous avons à remarquer un rapprochement et une différence entre les animaux. D'après le texte, l'homme fut créé le même jour que les bêtes. Aussi bien compose-t-il avec elles la masse de tous les animaux terrestres. Mais parce qu'il a en partage le noble privilège de la raison, selon laquelle il est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, on s'occupe de lui séparément, après qu'on a conclu pour les animaux de la terre, dans les termes accoutumés: " Dieu vit que cela était bon. "

56. Il faut de plus remarquer que pour le reste Dieu ne dit pas: " Faisons, " et qu'en révélant cette circonstance à l'écrivain sacré, l'Esprit-Saint a voulu encore indiquer la supériorité de la nature humaine. Or à qui Dieu a-t-il dit : "Faisons, " quand il s'est agi de créer l'homme, sinon au Verbe, à qui, pour le reste, il disait : Fiat : que cela soit? Car toutes choses ont été faites par lui et rien n'a été fait sans lui (1). Mais quelle est, à notre avis, la raison de cette différence? Pourquoi le terme fiat, si ce n'est pour. marquer l'opération du Fils exécutant l'ordre du Père? et pourquoi ensuite faisons, si ce n'est pour marquer l'opération de tous deux? Ou bien tout ce que fait le Père, le fait-il par le Fils, et quand il est dit, au sujet de l'homme, : " Faisons, " est-ce en vue d'apprendre à l'homme, pour qui l'Ecriture Sainte a été dictée, que ce que fait le Fils en accomplissant la volonté du Père, le Père le fait aussi lui-même? Et le mot " faisons " doit-il lui montrer ici que partout ailleurs où nous lisons : " Qu'il soit fait ; et il fut fait; " le commandement et l'exécution n'on point été séparés, mais ont eu lieu ensemble?

1. Jn 1,3

57. " Et Dieu dit: Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. " Toute image est ressemblante à celui dont elle est l'image ; et néanmoins tout ce qui ressemble à quelqu'un n'est pas pour cela son image. Par exemple, les figures dans un miroir étant des images sont ressemblantes,de même les portraits dans la peinture. Cependant si de deux objets l'un ne résulte pas de l'autre, aucun d'eux ne peut être dit l'image de l'autre, Car une image véritable, c'est la copie immédiate de celui qu'elle imite. Pourquoi donc, après avoir dit, " à notre image, " ajouter encore : " et à notre ressemblance ; " comme si une image pouvait ne pas ressembler à l'original? Il semble qu'il aurait suffi de dire : " à notre image. "
Mais le ressemblant diffère-t-il de la ressemblance, comme l'homme chaste diffère de la chasteté, comme l'homme fort diffère de la force même ; en sorte que les choses ressemblantes ne le soient qu'en participant à la ressemblance, comme ce qui est fort l'est par la force, comme ce qui est chaste l'est par la chasteté? Il faut l'avouer, c'est dans un langage peu propre que l'on dit de notre image qu'elle est notre ressemblance, quoique l'on puisse dire en toute vérité qu'elle nous ressemble. Il en est donc de la ressemblance qui se communique comme gela chasteté qui rend chaste tout ce qui l'est la chasteté pour être chaste n'a besoin de la participation de qui que ce soit; au contraire ce qui est chaste ne l'est que par la participation de la chasteté :et sans aucun doute cette perfection se trouve en Dieu, où se trouve de même cette sagesse que nulle participation ne rend sage, mais qui rend sage tout ce qu'il l'est. C'est donc dans ce sens que la ressemblance de Dieu par laquelle toute choses ont été faites, est proprement appelée ressemblance; elle est ressemblante non en vertu de la participation de quelque ressemblance, mais comme étant elle-même la première ressemblance, dont la participation rend ressemblant tout ce que Dieu a fait par elle.

58. Si donc il a été dit, non-seulement " à l'image, " mais encore " à la ressemblance ; " c'est peut-être polir montrer que cette image n'est pas ressemblante à Dieu comme participant à quelque ressemblance de lui, mais qu'elle est sa ressemblance même et qu'à elle doivent participer toutes les choses dont il est dit qu'elles ressemblent à cet original divin. C'est ainsi (143) qu'il en est de la chasteté dont la participation fait les âmes chastes; de la sagesse qui se communique aux âmes pour les rendre sages; et de la beauté qui rend beau tout ce qui l'est. Si Dieu avait seulement dit: " à notre ressemblance, " on ne verrait pas que cette ressemblance est prise sur lui; et s'il avait dit seulement: " à notre image, " tout en déclarant que la similitude est prise sur lui, il n'aurait pas marqué que l'image lui ressemble jusqu'à être sa ressemblance même. Or de même qu'il n'est rien de plus chaste que la chasteté, rien de plus sage que la sagesse, rien de plus beau que la beauté, il n'est rien non plus qui puisse être ni que l'on puisse dire ou imaginer plus ressemblant que la ressemblance. On comprend de là qu'au Père est tellement semblable sa Ressemblance, qu'elle exprime avec une entière perfection toute la plénitude de sa nature.

59. Mais combien ne contribue pas à la beauté de chaque Être, cette Ressemblance divine par qui toutes choses ont été faites? Cette étude dépasse de beaucoup les lumières de l'esprit humain; on peut cependant l'aborder de quelque manière, et il suffit d'observer que tout objet qui s'offre soit aux sens soit à la raison, doit à la similitude de ses parties son caractère d'unité. Les âmes raisonnables sont appelées sages grâce à la sagesse divine, et cette sagesse ne s'étend pas plus loin: car nous ne pouvons nommer sages ni les bêtes ni bien moins encore les arbres, ni le feu, l'air, l'eau, la terre, quoique ces choses, en tant qu'elles sont, subsistent par la sagesse de Dieu. Niais nous disons que les pierres se ressemblent, que les animaux se ressemblent; comme nous le disons et des hommes et des anges. De plus, en considérant chaque créature en particulier, nous disons que la terre est vraiment la terre, parce qu'elle a toutes ses parties semblables entre elles; que toute partie de l'eau est semblable aux autres parties et que sans cela l'eau ne saurait être l'eau; que si une quantité quelconque de l'air ne ressemblait pas au reste, il serait impossible de tout point que ce fût de l'air; et que la moindre étincelle de feu ou le moindre rayon de lumière n'est bien du feu ou de la lumière que par une exacte ressemblance avec toutes les autres étincelles ou tous les autres rayons. Il en est ainsi d'une pierre, d'un arbre, du corps de n'importe quel animal, et on peut penser et affirmer, que si les parties n'en étaient pas semblables entre elles, non-seulement ces objets n'auraient pas la nature des êtres de leurs espèces, mais en eux-mêmes et pris à part ils n'en auraient aucune. Nous voyons du reste qu'un corps est d'autant plus beau qu'il se compose de parties plus semblables entre elles. Quant aux âmes, des moeurs semblables les unissent d'amitié les unes aux autres ; mais de plus, dans une même âme, des actions et des vertus semblables, sans lesquelles il ne saurait y avoir de constance, sont l'indice de la vie bienheureuse. En tout cela cependant nous voyons des traits que nous pouvons dire semblables, nous ne voyons pas là ressemblance elle-même.
Si donc l'univers est formé d'êtres qui ont entre eux quelque ressemblance, si chacun d'eux en restant ce qu'il est n'en contribue pas moins à former ce grand ensemble que Dieu a créé et qu'il gouverne; il est certain que toutes les créatures ont été faites par la Ressemblance suréminente, immuable et inaltérable de Celui à qui doit l'être tout ce qui existe, et que de là leur vient la beauté qui consiste dans le merveilleux rapport de leurs parties. Toutes cependant n'ont pas été faites à la ressemblance même de Dieu, c'est l'avantage des seules natures raisonnables. Ainsi tout a été fait par elle ; mais il n'y a que les êtres spirituels qui aient été créés pour elle.

60. La substance raisonnable a donc été faite en même temps par la ressemblance et à la ressemblance de Dieu. Car aucune nature ne s'interpose entre elles. Aussi bien l'esprit de l'homme, mais il ne le voit que dans l'état d'une vie pure et bienheureuse, ne s'attache et ne s'unit réellement qu'à la vérité, appelée la ressemblance, l'image et la sagesse du Père. C'est donc à bon droit qu'on entend de la partie intérieure et principale de l'homme, c'est-à-dire de son esprit, les mots: " Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. " En effet ce qui fait la valeur de l'homme, c'est ce qui tient en lui le premier rang, c'est ce qui le distingue des bêtes. Le reste, quoique beau en son genre, lui est commun avec les autres animaux, et conséquemment n'est pas de grand prix dans l'homme. A moins cependant que la forme du corps humain dressé pour regarder le ciel ne soit une raison de croire que lui aussi a été fait à la ressemblance de Dieu ; parce que comme cette divine ressemblance ne se détourne pas du Père, ainsi le corps de l'homme ne se détourne pas du ciel pour s'incliner vers la terre à la manière des autres animaux. Mais encore la comparaison ne doit pas être admise de tout point. Car notre (144) corps diffère beaucoup du ciel, tandis que dans cette ressemblance, qui est le Fils, il ne peut rien y avoir qui ne ressemble au type divin. Partout ailleurs les semblables diffèrent entre eux de quelque côté; mais la ressemblance elle-même n'a rien qui ne soit ressemblant. Le Père cependant est le Père; le Fils n'est que le Fils. Car, bien qu'on soit obligé de reconnaître qu'il n'y a en lui absolument aucune dissemblance dès qu'il est appelé la ressemblance du Père, on Mail reconnaître aussi que te Père n'est pas seul puisqu'il a sa ressemblance (1).

1. Ce qui suit ne fut ajouté qu'après coup. 1 Rétract. ch. 18

61. " Et Dieu dit : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. " Ce qui précède au sujet de ces divines ;paroles que nous présente l'Écriture, suffit, il est vrai, pour montrer que la ressemblance de Dieu à laquelle l'homme a été créé, peut être entendue du Verbe même de Dieu, c'est-à-dire de son Fils unique; mais il ne s'en suit pas que l'homme soit l'image parfaite du Père et sa ressemblance en tout égale à lui. L'homme cependant est aussi l'image de Dieu, comme le déclare ouvertement l'Apôtre en disant: "L'homme ne doit point voiler sa tête, attendu qu'il est l'image et la gloire de Dieu. (1). " Mais cette image a été faite à l'image de Dieu ; elle n'est pas égale et coéternelle à celui dont elle est l'image, et ne le serait pas quand même l'homme n'aurait jamais péché.
Maintenant voici, selon nous, le seras à préférer dans ces divines paroles. S'il est dit, non au singulier mais au pluriel: " Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, " c'est que l'homme n'a pas été créé à l'image ou du Père seul, ou du Fils seul, ou du Saint-Esprit seul, mais à l'image de la Trinité même, de cette Trinité qui est Trinité sans laisser d'être un seul Dieu, et un seul Dieu sans laisser d'être Trinité.
Aussi bien nous ne lisons pas que le Père parlant au Fils lui ait dit : Faisons l'homme à votre image ou à mon image; mais nous lisons, au nombre pluriel : " Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance ; " et qui oserait exclure le Saint-Esprit de cette pluralité? Comme les trois personnes ne sont pas plusieurs Dieux mais un seul Dieu, on doit voit que la conclusion présentée ensuite par l'Écriture quand elle dit an nombre singulier. " Et Dieu fit l'homme à son image de Dieu, " ne signifie pas que Dieu le Père a créé l'homme à l'image de son Fils : Comment serait vraie l'expression à notre image, " que mous voyons plus haut, si l'homme avait été créé seulement à l'image du Fils? Mais par cela même que Dieu a dit : " à notre image, " et que la parole de Dieu est nécessairement vraie, il faut entendre les mors qui viennent ensuite dans l'Écriture : " Dieu fit l'homme à l'image de Dieu; " comme s'il y avait : La Trinité fit l'homme à son image.

1. 1Co 11,7

62. Quelques-uns pensent que si le mot ressemblance n'est pas répété ici et que si l'Écriture n'a pas dit: Dieu fit l'homme à l'image et à la ressemblance de Dieu; c'est que l'homme fut alors créé seulement à l'image de Dieu : quant à la ressemblance, disent-ils, elle lui était réservée pour plus tard, à la résurrection des morts. Ils supposent qu'il peut y avoir quelque image sans ressemblance. Mais il est hors de doute que ce qui ne ressemble aucunement à quelqu'un, n'en est pas non plus l'image. Cependant pour ne point paraître traiter ceci avec les seules lumières de la raison, nous nous appuyerons sur l'autorité de l'Apôtre saint Jacques. Il dit en parlant de la langue : " Par elle nous bénissons Dieu et par elle, en même temps, nous maudissons les hommes qui ont été faits à la ressemblance de Dieu (1). "

1. Jc 3,9
Traduction de M. l'abbé Tassin.





DE LA GENÈSE AU SENS LITTÉRAL.


Cette traduction est l'oeuvre de M. Citoleux.

400

LIVRE PREMIER. CRÉATIONS PRIMITIVES 1.

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CHAPITRE PREMIER.

DIVERS SENS DE L'ÉCRITURE. PREMIERS MOTS DE LA GENÈSE.

1. L'Ecriture se divise en deux parties, comme nous le fait entendre le Seigneur lui-même, quand il compare un docteur versé dans la science du royaume de Dieu à un père de famille " qui "tire de son trésor des choses anciennes et des choses nouvelles (2); " ces deux parties s'appellent aussi les deux Testaments. Dans les saints Livres, il faut toujours examiner la révélation des vérités éternelles, le récit des événements, les prophéties, les préceptes et les avis moraux. A propos des événements on se demande s'il suffit de prendre les faits au sens figuré, et s'il ne faut pas encore les accepter et en soutenir l'authenticité comme faits historiques. Qu'il y ait des allégories dans l'Ecriture, c'est ce qu'aucun chrétien n'oserait nier, pour peu qu'il songe aux paroles de l'Apôtre quand il dit: " Toutes ces choses leur arrivaient pour nous servir de figures (3) ; " ou quand il cite ces mots de la Genèse: " Ils seront deux en un même Corps (4), " pour exprimer le mystère auguste de l'union de Jésus-Christ avec son Eglise (5).

1. Gn 1,1-5 - 2. Mt 13,52 - 3. 1Co 10,11 - 4. Gn 2,24 - 5. Ep 5,31-32

2. Puisque l'Ecriture admet cette double interprétation, cherchons, en dehors de toute allégorie, le sens attaché à ces mots : " Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. " Faut-il entendre par là l'origine du temps, les éléments primitifs de la création ou le principe suprême, je veux dire le Verbe, Fils unique de Dieu? En outre, comment Dieu peut-il se manifester, et, sans cesser d'être immuable, créer des êtres soumis aux changements du temps? Que signifient les mots ciel et terre? Représentent-ils les esprits et tes corps que renferment le ciel et la terre, ou seulement les corps? En supposant qu'une soit point ici question des esprits, les termes de ciel et de terre ne servaient-ils qu'à désigner la matière dans les régions supérieures ou inférieures de l'espace? Sous les mots de ciel et de terre faut-il voir la substance matérielle ou spirituelle en l'absence de toute forme : je veux dire la vie de l'esprit, tel qu'il peut exister en lui-même, avant de s'être uni au Créateur, union qui fait sa beauté et sa perfection, et sans laquelle il ne possède pas sa forme véritable; je veux dire aussi la vie du corps, tel qu'on peut le concevoir dépouillé de toutes les propriétés que révèle la matière, quand elle a atteint sa perfection et que les corps ont pris les formes susceptibles d'être perçues par la vue ou tout autre sens?

3. Ou bien, faut-il entendre, par le mot ciel, la créature immatérielle, parfaite et bienheureuse du moment qu'elle reçut l'être ; par le mot terre, la matière imparfaite encore? car, est-il dit, " la terre était invisible, sans forme, et les ténèbres étaient sur l'abîme, " expressions qui semblent désigner dans la matière l'absence de toute forme. Faut-il voir dans ce passage l'imperfection naturelle aux deux substances; au corps, par ce que la terre était invisible et sans forme; " à l'esprit, parce que les ténèbres étaient sur l'abîme? " L'abîme ténébreux serait dans ce cas une métaphore pour désigner l'état primitif de l'esprit, avant qu'il s'unisse à son Créateur; cette union étant l'unique moyen de mettre en lui l'ordre, pour faire disparaître l'abîme, et la lumière, polir chasser les ténèbres? Dans quel sens devons-nous aussi entendre que " les " ténèbres étaient sur l'abîme? " Serait-ce que la lumière n'existait pas encore? Car si elle eût existé, elle serait élevée et comme répandue, dans les (146) régions supérieures : ce qui se fait dans les âmes lorsqu'elles s'attachent à la lumière immuable et toute spirituelle qui est Dieu.

402

CHAPITRE 2.

Fiat lux : DIEU A-T-IL PRONONCÉ CETTE PAROLE PAR L'ENTREMISE D'UNE CRÉATURE OU PAR SON VERBE? (Gn 1,3)

4. Comment Dieu a-t-il dit: " Que la lumière " soit? " Est-ce dans le temps ou dans l'éternité de son Verbe? Or, le: temps implique le changement ; dès lors Dieu n'a pu prononcer cette parole que par l'entremise d'une créature, puisqu'il est en dehors de tout changement. Mais si Dieu s'est servi d'une créature pour dire : " que la lumière soit, " comment la lumière serait-elle le premier être créé, puisqu'il aurait existé antérieurement une créature qu'il aurait employée pour dire que la lumière soit? " Faudrait-il, en se fondant sur le passage, " au commencement Dieu créa le ciel et la terre, " admettre que la lumière n'a pas été créée au début, et que des lors une créature céleste a pu faire entendre dans la succession de la durée cette parole : " Que la lumière soit? " S'il en était ainsi, ce serait à l'instant où fut créée la lumière visible aux yeux du corps, que Dieu aurait employé un pur esprit, créé antérieurement et au moment même qu'il fit le ciel et la terre, pour prononcer le Fiat lux, comme le pouvait prononcer par un mouvement intérieur et mystérieux, cette sorte de créature sous l'inspiration divine.

5. Ou bien encore, quand Dieu: dit : " que la lumière soit, " aurait-il fait entendre un son matériel semblable à celui qui éclata, quand il dit : " Vous êtes mon Fils bien-aimé (1)? " et par le moyen de la créature à qui il donna l'être au moment qu'il fit le ciel et la terre; et avant la création de la lumière destinée à paraître au son de celle voix? Et s'il en était ainsi, dans quelle langue aurait été prononcée là parole divine; " Que la lumière soit?" Les langues ne se diversifièrent qu'après le déluge, lorsqu'on éleva la tour de Babel (2). Quelle serait donc cette langue simple, uniforme, dans laquelle Dieu aurait fait entendre : " Que la lumière soit? " Quel serait l'être qui dut entendre, comprendre cette parole et lui servir comme d'écho? Mais n'est ce pas là un songe creux et une conjecture de la chair?

1. Mt 3,17 - 2. Gn 11,17

6. Que faut-il donc dire? L'idée cachée sous ces mots, "fiat lux, " n'est-elle pas, au lieu du son même des mots, la véritable voix de Dieu? Et cette idée, n'est-elle pas de la nature même du Verbe dont il est dit : " Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu? " Car, si " tout a été fait par lui (1). " il est manifeste qu'il a fait également la lumière, au moment où Dieu a dit : " Que la lumière soit. " D'après ce principe, la parole divine : " Que la lumière soit, " est éternelle ; car le Verbe de bien, Dieu au sein de Dieu, Fils unique de bien, est coéternel à son Père. Toutefois, la parole divine émise dans le Verbe éternel, n'a produit les créatures que dans le temps. Bien qu'en effet les expressions humaines d'époque, de jour, aient rapport à la durée, la désignation de l'instant où un acte divin doit s'accomplir est éternelle dans le Verbe ; quant à l'acte, il s'accomplit au moment où doit se réaliser la conception du Verbe, qui reste en dehors de tonte époque, parce que tout en lui est éternel.

1. Jn 1,1-3

403

CHAPITRE 3.

QU'EST CE QUE LA LUMIÈRE? POURQUOI DIEU N'A-T-IL PAS DIT: Fiat cœlum, COMME IL A DIT : Fiat lux?

7. La lumière est créée ; mais quelle est son essence? faut-il y voir une créature intelligente ou un agent physique? Dans le premier cas, elle serait le premier être créé et arrivé à la perfection en vertu de la parole souveraine. Car nommée d'abord le ciel, selon le passage : " Au commencement Dieu créa le ciel et la terre," elle aurait été rappelée au Créateur, par la parole : " Que la lumière soit, " et cette expression signifierait comment cette créature s'est attachée à Dieu et a été éclairée par lui.

8. Pourquoi a-t-il été dit : " Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, " et n'a-t-il pas été écrit : Au commencement Dieu dit : que le ciel et la terre soient, et le ciel et la terre furent, en racontant cette création sois la même forme que celle de la lumière? L'Écriture veut-elle embrasser sous l'expression générale de ciel et de terre la création tout entière, puis exposer en détail comment Dieu a agi, en répétant à chaque création spéciale : " Dieu dit, " pour exprimer que Dieu a fait par son Verbe toutes ses œuvres?

404

CHAPITRE 4.

AUTRE RÉPONSE A LA MÊME QUESTION.

9. Ne serait-ce pas qu'au moment où se produisait dans son imperfection la substance simple ou composée il n'y avait point lieu de prononcer le fiat de la puissance créatrice? En effet le Verbe inséparable du Père, en qui Dieu prononce tout éternellement sans employer ni sons, ni langage successif, puisque c'est seulement à là lumière coéternelle de cette Sagesse qu'il a engendrée ; le Verbe, dis-je, n'est pas pris pour modèle par la créature grossière au moment où elle n'a aucune ressemblance avec l'être premier, souverain, et que, par son imperfection même elle tend au néant. Elle imite au contraire la perfection de ce Verbe, intimement uni au Père dans l'immobile éternité, lorsqu'en s'attachant, à sa manière, à l'Etre absolu et éternel, c'est-à-dire à son Créateur, elle se façonne en quelque sorte et acquiert sa perfection. Dès lors, ne faut-il pas entendre par le flat de l'Écriture la parole toute spirituelle que Dieu prononce ou son Verbe coéternel, attirant à lui les créatures encore imparfaites, afin que, dépouillant leur grossièreté, elles arrivent au degré de perfection qu'il, veut donner à chacune d'elles? Comme elles imitent, dans cette période de leur développement, et selon leur capacité, Dieu le Verbe, je veux dire le Fils de Dieu coexistant avec son Père, ayant les mêmes attributs et la même essence, puisqu'ils ne sont qu'un (1), et comme elles ne prennent plus modèle sur le Verbe, lorsque, s'écartant du Créateur, elles se condamnent à l'imperfection et au néant, il n'est pas question du Fils en tant que Verbe, mais en tant que principe de la création, dans ce passage " Au commenceraient, Dieu fit le ciel et la terre, " passage qui fait entendre que la créature à son origine manquait de forme et de perfection. Mais il est question du Fils, qui est aussi le Verbe, dans ces mots : " Dieu dit: que la lumière soit. " Ainsi par le mot de commencement ou de principe on fait entendre l'origine de la créature tenant de Dieu une existence encore imparfaite; en nommant le Verbe, on révèle le perfectionnement de la créature qu'il s'est rattachée, afin qu'elle se formât en s'unissant au Créateur, et en imitant, à sa manière, l'original immuablement uni au Père, lequel l'engendre éternellement égal a lui-même.

1. Jn 10,30


Augustin, De la Genèse 315