Augustin sur Jean 86

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QUATRE-VINGT-SIXIÈME TRAITÉ

Jn 15,15-16

L'AMITIÉ DE JÉSUS-CHRIST

SUR CES PAROLES: "MAIS VOUS, JE VOUS AI APPELÉS AMIS", JUSQU'A CES AUTRES. "AFIN QUE TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PÈRE EN MON NOM IL VOUS LE DONNE" .



En raison de son amitié pour nous, Jésus-Christ nous fera connaître dans le ciel tout ce que son Père lui a dit; mais si nous sommes ses amis, c'est un effet de sa grâce, mais non de notre foi ou de nos bonnes oeuvres antécédentes.



1. C'est avec raison qu'on se demande comment il faut entendre ce que dit Notre-Seigneur: "Mais vous, je vous ai appelés mes amis, parce que tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître". Car qui oserait affirmer ou croire qu'il y ait un seul homme capable de savoir tout ce que le Fils unique a appris de son Père? il n'est personne, en effet, qui comprenne seulement comment le Fils peut entendre la parole du Père, puisqu'il est l'unique parole du Père. Que signifie ce qu'il dit un peu plus bas, dans ce même discours adressé par lui à ses disciples, après la cène qui précéda sa passion: "J'ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant (1)?" Comment donc comprendre qu'il a fait connaître à ses disciples tout ce qu'il a appris de son Père, puisqu'il se refuse à leur dire beaucoup de choses, par ce motif qu'ils ne peuvent les porter maintenant? Pour cela, il faut comprendre que ce qu'il doit faire, il dit l'avoir déjà fait; car il a fait d'avance ce qui doit se faire plus tard (2). C'est ainsi qu'il dit par le Prophète: "Ils ont percé mes mains et mes pieds (3)"; il ne dit pas: Ils perceront; il en parle comme d'événements passés, et il les annonce comme devant arriver plus tard. Ainsi, en cet endroit, il dit avoir fait connaître à ses disciples ce qu'il savait devoir leur faire connaître en leur communiquant cette plénitude de la science dont l'Apôtre a dit: "Mais quand nous serons dans l'état parfait, ce qui est imparfait sera aboli". Au même endroit, il dit encore: "Maintenant je ne sais qu'en partie, mais alors je connaîtrai comme je


1. Jn 16,12. - 2. Is 45,11. - 3. Ps 21,18.


suis connu. Nous voyons maintenant par un miroir et en énigme; mais alors nous verrons face à face (1)". Ce même apôtre dit que nous avons été sauvés par le baptême de la régénération (2); et cependant ailleurs il dit: "C'est par l'espérance que nous avons été sauvés; or, l'espérance qui voit n'est plus l'espérance. Car, qui espère ce qu'il voit déjà? Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l'attendons avec patience (3)". C'est pourquoi son co-apôtre Pierre nous dit: "Celui en qui vous croyez maintenant, quoique vous ne le voyiez pas, quand vous le verrez, vous tressaillirez d'une joie inénarrable et glorieuse, et vous recevrez pour récompense de votre foi le salut de vos âmes (4)". Si donc nous sommes maintenant au temps de la foi, et si le salut des âmes est la récompense de la foi, qui doutera qu'il faille achever le jour dans la foi qui opère par la charité (5) pour, à la fin du jour, recevoir comme récompense, non-seulement la rédemption de notre corps, dont parle l'apôtre Paul (6), mais encore le salut de nos âmes dont parle l'apôtre Pierre? Dans le temps et dans cette vie mortelle, ces deux genres de félicités sont possédés en espérance, bien plus qu'en réalité. Mais il y a cette différence, que notre homme extérieur, c'est-à-dire notre corps, se détruit tous les jours, tandis que l'homme intérieur, c'est-à-dire notre âme, se renouvelle de jour en jour (7). Aussi, de même que nous attendons dans l'avenir l'immortalité de la chair et le salut des âmes, bien qu'on dise que nous sommes déjà 42 sauvés, à cause du gage que nous avons reçu, de même en est-il de la connaissance de toutes les choses que le Fils unique a apprises de son Père; nous devons l'espérer pour l'avenir, quoique Jésus-Christ dise ici nous l'avoir déjà donnée.

1. 1Co 13,10-12. - 2. Tt 3,5. - 3. Rm 8,24-25. - 4. 1P 1,8-9. - 5. Ga 5,6. - 6. Rm 8,23. - 7. 2Co 4,16.



2. "Ce n'est pas vous", dit-il, "qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis". Voilà une grâce ineffable. Car qu'étions-nous au moment où nous n'avions pas encore choisi Jésus-Christ et où, par conséquent, nous ne l'aimions pas encore? Comment celui qui ne l'a pas choisi peut-il l'aimer? Avions-nous alors en nous les sentiments que le Psalmiste manifeste dans ses chants: "J'ai choisi d'être le dernier dans la maison du Seigneur, plutôt que d'habiter dans les tentes des pécheurs (1)?" Evidemment non. Qu'étions-nous donc, sinon des méchants et des hommes perdus? Nous n'avions pas encore cru en lui, pour qu'il nous choisît; car si nous avions déjà cru, il ne nous aurait choisis qu'après avoir été choisi lui-même par nous. Pourquoi donc dirait-il: "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi", si sa miséricorde ne nous avait prévenus (2)? C'est ici que se réduit à rien le raisonnement de ceux qui défendent la prescience de Dieu contre sa grâce, et qui disent que si Dieu nous a choisis avant la création du monde (3), c'est parce qu'il a prévu que nous serions bons, et non pas qu'il nous rendrait bons. Ce n'est point là la parole de Celui qui dit: "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi". Car s'il nous avait choisis, parce qu'il a prévu que nous serions bons il aurait prévu en même temps que nous le choisirions les premiers. Nous ne pouvons être bons autrement, à moins qu'on n'appelle bon celui qui ne choisit pas le bien. Qu'a-t-il donc choisi en des hommes qui n'étaient pas bons? Car ils n'ont pas été choisis parce qu'ils étaient bons, vu qu'ils ne devaient l'être qu'à la condition d'être choisis. Autrement, la grâce n'est plus une grâce, si nous prétendons qu'elle a été précédée par les mérites. C'est, en effet, de ce choix de la grâce que l'Apôtre nous dit: "Ainsi donc, en ce temps-ci, le reste a été sauvé par l'élection de la grâce". Et aussi il ajoute: "Et si c'est par la grâce, ce n'est donc pas par les oeuvres; autrement, la grâce ne a serait plus la grâce (4)". Ecoute, ingrat,



1. Ps 83,11. - 2. Ps 58,11. - 3. Ep 1,4. - 4. Rm 11,5-6.


écoute: "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis". Tu ne peux pas dire: J'ai été choisi, parce que je croyais déjà; car si tu croyais en lui, tu l'avais déjà choisi. Mais écoute: "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi". Tu ne peux pas dire non plus: Avant de croire je faisais de bonnes oeuvres, c'est pour cela que j'ai été choisi. Car, quelle bonne oeuvre peut-il y avoir avant la foi, puisque l'Apôtre dit: "Tout ce qui ne vient pas de la foi est péché (1)". Après avoir entendu ces paroles: "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi", que pouvons-nous dire, sinon que nous étions méchants et que nous avons été choisis pour devenir bons par la grâce de Celui qui nous a choisis? Car il n'y aurait plus grâce si les mérites avaient précédé. Or, il y a grâce; elle ne trouve donc pas les mérites, mais elle les produit.

3. Et voyez, mes bien chers frères, comment il se fait que ceux que Jésus-Christ choisit ne soient pas encore bons, et comment il rend bons ceux qu'il choisit. "C'est moi", dit-il, "qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure". N'est-ce pas là ce fruit dont il avait déjà dit: "Sans moi vous ne pouvez rien faire (2)?" Il nous a donc choisis et établis, pour que nous allions et que nous portions du fruit. Nous n'avions donc produit aucun fruit en considération duquel il pût nous choisir. "Pour que vous alliez", dit-il, "et que vous portiez du fruit". Nous allons pour porter du fruit, et il est lui-même la voie par laquelle nous marchons, et dans laquelle il nous a placés pour que nous allions. C'est pourquoi en toutes choses sa miséricorde nous prévient. "Et que votre fruit", dit-il, "demeure, afin que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne". Que la charité demeure donc; c'est là notre fruit. Cette charité n'existe que dans nos désirs; elle ne peut encore être rassasiée, et tout ce que, par nos désirs, nous demandons au nom du Fils unique, le Père nous l'accorde. Mais tout ce qu'il n'est pas utile à notre salut de recevoir, n'allons pas nous imaginer que nous le demandons au nom du Sauveur. Ce que nous demandons au nom du Sauveur, c'est ce qui peut aider à notre salut.



1. Rm 14,23. - 2. Jn 15,5.


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QUATRE-VINGT-SEPTIÈME TRAITÉ

Jn 15,17-19

AMOUR D'AUTRUI

DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS-CHRIST: "CE QUE JE VOUS COMMANDE, C'EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES", JUSQU'A CES AUTRES: "MAIS MOI JE VOUS AI CHOISIS DU MONDE; C'EST POURQUOI LE MONDE VOUS HAIT".



Si Dieu nous a choisis, c'est afin que nous produisions des fruits de salut, c'est-à-dire, et principalement, afin que nous nous aimions les uns les autres, et même le monde, notre ennemi, non en tant que mauvais, mais en tant que créé par Dieu.



1. Dans la leçon de l'Evangile qui a précédé celle-ci, le Seigneur avait dit: "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis, et qui vous ai établis, afin que vous alliez et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure, afin que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne". Il vous souvient que nous vous avons dit sur ces paroles ce que le Seigneur nous a donné de vous dire. Dans la leçon dont vous venez d'entendre la lecture, il dit: "Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres". Par là, devons-nous comprendre que c'est là notre fruit dont il a dit: "Je vous ai choisis afin que vous alliez, et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure?" Enfin, il ajoute

"Afin que tout ce que vous demanderez au Père, il vous le donne"; il nous le donnera assurément, si nous nous aimons les uns les autres; et cet amour mutuel, c'est lui qui nous le donnera, car il nous a choisis alors que nous ne portions point de fruit. Ce n'est pas nous, en effet, qui l'avons choisi, et il nous a établis pour que nous portions du fruit, c'est-à-dire pour que nous nous aimions les uns les autres; sans lui nous ne pouvons pas plus porter ce fruit que les branches séparées du cep ne peuvent produire de raisin. Notre fruit n'est donc autre que la charité; l'Apôtre la définit: "Le fruit d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère (1)". Par elle, nous nous aimons les uns les autres; par elle nous aimons Dieu. Car nous ne nous aimerions pas les uns les autres d'un véritable amour, si nous n'aimions


1. 1Tm 1,5.


pas Dieu. Quiconque aime Dieu, aime le prochain comme soi-même; mais celui qui n'aime pas Dieu ne s'aime pas lui-même. Dans ces deux préceptes de la charité sont renfermés toute la loi et les Prophètes (1). C'est là notre fruit, c'est celui que Notre-Seigneur nous ordonne de porter, quand il nous dit: "Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres". C'est pourquoi l'apôtre Paul, voulant recommander le fruit de l'Esprit à l'encontre des oeuvres de la chair, commence par là: "Le fruit de l'Esprit", dit-il, "c'est la charité". Il rapporte ensuite les autres vertus dont la charité est la source à laquelle elles se rattachent. "Ce sont la joie, la paix, la longanimité, la douceur, la bonté, la foi, la mansuétude, la continence (2)".

Qui est-ce qui peut se réjouir convenablement, s'il n'aime le bien qui seul peut réjouir? Où trouver la véritable paix, si ce n'est en celui qu'on aime véritablement? Est-il possible d'avoir la:longanimité nécessaire pour persévérer dans le bien, si l'on n'aime pas avec ardeur? Qui sera bienfaisant, s'il n'aime celui qu'il assiste? Qui est bon, s'il ne le devient en aimant? Comment avoir la foi qui sauve, si l'on n'a pas celle qui opère par la charité? Qui est-ce qui est doux d'une manière utile, si la charité ne règle passa douceur? Et qui peut s'abstenir de ce qui déshonore, sans aimer ce qui honore? C'est donc avec raison que notre bon Maître nous recommande si souvent la charité, comme la seule vertu qui doive être commandée, puisque sans elle les autres biens ne peuvent servir de rien, et qu'on ne peut l'avoir sans



1. Mt 22,40. - 2. Ga 5,22.


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avoir les autres biens qui communiquent à l'homme la bonté.

2. Mais pour cette charité nous devons supporter patiemment même les rancunes du inonde; car il faut que le monde nous haïsse, puisqu'il voit repousser ce qu'il aime. Mais Notre-Seigneur nous donne par son exemple une grande consolation. Après avoir dit: "Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres", il ajoute aussitôt: "Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant, vous". Pourquoi les membres s'élèveraient-ils au-dessus de la tête? Tu refuses de faire partie du corps, si tu ne veux pas t'exposer, comme ton modèle, à la haine du monde. "Si vous étiez du monde", dit-il, "le monde aimerait ce qui serait à lui". Il adresse évidemment ces paroles à toute l'Eglise; car elle se trouve souvent elle-même désignée sous le nom de monde, comme en cet endroit: "Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde (1)"; et en cet autre passage . "Le Fils dé l'homme n'est "pas venu pour juger le monde, mais pour a que le monde fut jugé par lui (2)". Jean dit dans une de ses épîtres: "Nous avons pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ le Juste; il est la victime de propitiation pour nos péchés, non-seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux de tout le monde (3)". Tout le monde, c'est donc l'Eglise, et tout le monde hait l'Eglise. Le monde hait donc le monde; le monde ennemi hait le monde réconcilié; le monde damné hait le monde sauvé; le monde corrompu liait le monde qui a été purifié.

3. Mais ce monde que Dieu se réconcilie en Jésus-Christ, qui est sauvé par Jésus-Christ et à qui tout péché est remis par Jésus-Christ, ce monde a été choisi dans le monde ennemi, condamné et corrompu. De cette masse qui avait péri tout entière en Adam sont tirés des vases de miséricorde, et ces vases d'élection constituent le monde qui appartient à la réconciliation; et voilà le monde que déteste cet autre monde tiré de la même masse, mais contenu dans des vases de colère destinés à la perdition (4). Enfin, après avoir dit: "Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui", Notre-Seigneur ajoute incontinent:



1. 2Co 5,19. - 2. Jn 3,16. - 3. 1Jn 2,1-2. - 4. Rm 9,21-23.


"Mais parce que vous n'êtes point du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, le monde vous hait". Ils étaient donc du monde, mais ils en avaient été tirés, pour n'en faire plus partie, et ils n'en avaient été tirés ni par leurs mérites, car ils n'avaient préalablement accompli aucune bonne oeuvre, ni par leur nature qui avait été viciée tout entière jusque dans sa racine, par le libre arbitre; ils en avaient été tirés par une grâce toute gratuite, c'est-à-dire par une véritable grâce. Celui qui a tiré le monde du monde l'a fait digne d'être élu, mais il ne l'a pas trouvé tel, "parce que le reste a été sauvé par une élection de la grâce". "Or", dit l'Apôtre, "si c'est par la grâce, ce n'est "donc pas par les oeuvres, autrement la grâce ne serait plus la grâce (1)."

4. Mais, demandera quelqu'un, ce monde de la perdition qui hait le monde de la rédemption, comment s'aime-t-il lui-même? Il s'aime, saris doute, mais d'un amour faux et non d'un amour véritable; ainsi, à proprement parler, il se hait et ne s'aime pas véritablement. "Car, celui qui' aime l'iniquité, hait son âme (2)". Cependant, on dit que le monde s'aime, parce qu'il aime l'iniquité qui le rend méchant. On dit de même qu'il se hait, parce qu'il aime ce qui lui nuit. Il hait donc sa nature; il aime le vice. Il hait ce qu'il est devenu par un effet de la bonté de Dieu; il aime ce qu'il a fait lui-même en lui par sa libre volonté. C'est pourquoi, si nous voulons bien le comprendre, il nous est défendu, et, en même temps, commandé de l'aimer. Il nous est défendu de l'aimer par ces paroles: "Gardez-vous d'ai"mer le monde (3)". Nous avons ordre de l'aimer, car Jésus-Christ nous a dit: "Aimez vos ennemis (4)". Ces ennemis, c'est le monde qui nous hait. Nous avons donc défense d'aimer dans le monde ce qu'il aime en lui-même, et nous avons ordre d'aimer en lui ce qu'il hait en lui-même, c'est-à-dire l'ouvrage de Dieu et les différentes consolations de sa bonté. Nous avons donc défense d'aimer en lui le vice et ordre d'aimer la nature, puisqu'en lui-même il aime le vice et qu'il hait la nature. Ainsi l'aimerons-nous et le haïrons-nous comme il convient, puisqu'il s'aime et se hait d'un amour désordonné.



1. Rm 11,5-6. - 2. Ps 10,6. - 3. 1Jn 2,15. - 4. Lc 6,27.



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QUATRE-VINGT-HUITIÈME TRAITÉ

Jn 15,20-21

PERSÉCUTION DU MONDE

DEPUIS CES MOTS DE JÉSUS-CHRIST: "SOUVENEZ-VOUS DE MA PAROLE, ETC.", JUSQU'A CES AUTRES: "MAIS ILS VOUS FERONT TOUTES CES CHOSES, PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT PAS CELUI QUI M'A ENVOYÉ".



Quiconque aime Dieu et le sert avec une crainte pure, est en butte à la haine du monde, car le monde déteste Jésus-Christ et ses serviteurs, et il les persécute à cause de leur justice, que ses vices ne sauraient souffrir.



1. Le Seigneur, pour exhorter ses serviteurs à supporter avec patience les haines du monde, n'a rien ni de plus grand ni de meilleur à leur proposer que son exemple; car, comme dit l'apôtre Pierre, "Jésus-Christ a souffert, nous laissant un exemple, afin que "nous suivions ses traces (1)". Et si nous le faisons, c'est avec le secours de Celui qui a dit "Sans moi vous ne pouvez rien faire". Enfin, après avoir dit: "Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous", il ajoute ce que vous venez d'entendre dans ce qui vous a été lu de l'Évangile: "Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite: le serviteur a n'est pas plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront; s'ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre". En disant: le serviteur n'est pas plus grand que son Maître, ne nous montre-t-il pas avec évidence comment nous devons entendre ce qu'il avait dit peu auparavant: "Je ne vous appelle plus serviteurs (2)?" Maintenant il les appelle serviteurs, puisqu'il leur dit: "Le serviteur n'est pas plus grand que son maître: s'ils m'ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront". Il est donc manifeste qu'il s'agit du serviteur qui ne reste pas dans la demeure pour toujours (3) et qui est animé de la crainte que la charité met dehors (4), lorsque Jésus-Christ dit: a Je ne vous appelle plus serviteurs". Mais quand il dit, comme ici: "Le serviteur n'est pas plus que son maître; s'ils m'ont persécuté, vous aussi ils vous persécuteront", il veut parler du serviteur à crainte



1. 1P 2,21. - 2. Jn 15,5 Jn 15,18. - 3. Jn 8,35. - 4. 1Jn 4,18.


chaste, qui demeure dans les siècles des siècles (1); car ce serviteur doit s'entendre dire "Courage, bon serviteur, entre dans la joie de ton Seigneur (2)".

2. "Mais", continue le Sauveur, "ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent pas Celui "qui m'a envoyé". Quelles sont toutes ces choses, sinon ce qu'il vient de dire: "Ils vous haïront et vous persécuteront et mépriseront votre parole?" Car s'ils se contentaient de ne pas garder leur parole sans les haïr et sans les persécuter, ou bien si, tout en les haïssant, ils ne les persécutaient pas, alors il ne serait pas vrai de dire: ils vous feront toutes ces choses. "Mais ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom"; n'est-ce pas dire: c'est moi qu'ils haïront en vous, moi qu'ils persécuteront en vous, et parce que votre parole et ma parole ils ne la garderont pas? "Car ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom", non à cause du vôtre, mais "à cause du mien". Ceux qui font ces aloses à cause de mon nom, sont d'autant plus malheureux que sont plus heureux ceux qui les souffrent à cause de ce même nom; comme dit Notre-Seigneur lui-même dans un autre endroit: "Bienheureux ceux qui souffrent persécution à cause de la justice (3)", c'est-à-dire à cause de moi, ou bien "à cause de mon nom"; car, suivant l'enseignement de l'Apôtre: "Jésus-Christ nous a été donné de Dieu comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption, afin que, selon qu'il est écrit, celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur (4)". Il



1. Ps 18,10. - 2. Mt 25,21. - 3. Mt 5,10. - 4. 1Co 1,30-31.




46



est vrai que les méchants font aussi ces choses aux méchants, mais ce n'est pas à cause de la justice; c'est pourquoi ils sont tous malheureux, et ceux qui les font, et ceux qui les souffrent. Les bons les font aussi aux méchants: mais quoique les bons les fassent pour la justice, cependant les méchants ne les souffrent point pour ce motif.

3. Mais, dira quelqu'un, si, quand les méchants persécutent les bons à cause du nom de Jésus-Christ, les bons souffrent pour elle; assurément, c'est aussi à cause de la justice que les méchants leur font ces choses: et s'il en est ainsi, quand les bons persécutent les méchants à cause de la justice, il s'ensuit que les méchants souffrent aussi pour la justice. Car si les méchants peuvent persécuter les bons à cause du nom de Jésus-Christ, pourquoi ne pourraient-ils pas souffrir de la part des bons une persécution à cause du nom de Jésus-Christ, c'est-à-dire à cause de la justice? Le motif pour lequel les bons font ces choses n'est pas celui pour lequel les méchants les souffrent, puisque les bons les font à cause de la justice, et que les méchants les souffrent à cause de l'injustice; le motif pour lequel les méchants font ces choses ne peut donc être celui pour lequel les bons les souffrent, puisque les méchants agissent à cause de l'injustice, et que les bons souffrent à cause de la justice. Comment donc pourra être vraie cette parole: "Ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom", puisqu'ils les font non pas à cause de son nom, c'est-à-dire à cause de la justice, mais à cause de leur iniquité? Cette question se trouvera résolue, si nous entendons ces paroles: "Ils vous feront toutes ces choses à "cause de mon nom n, en ce sens que tout se rapporte aux justes, comme s'il était dit: Vous souffrirez de leur part toutes ces choses à cause de mon nom, et alors: "ils vous feront ces choses", signifie: vous souffrirez ces choses. Mais si ces paroles: "à cause de mon nom", doivent s'entendre comme s'il disait, à cause de mon nom qu'ils haïssent en vous (et on peut dire aussi à cause de la justice qu'ils haïssent en vous), alors quand les bons font souffrir persécution aux méchants, on peut dire avec raison qu'ils le font à cause de la justice, pour l'amour de laquelle ils persécutent les méchants, et à cause de l'iniquité qu'ils haïssent dans les méchants; de la sorte on peut dire aussi que les méchants souffrent et à cause de l'iniquité qui se trouve punie en eux, et à cause de la justice qui s'exerce à les châtier.

4. Autre question: les méchants persécutent aussi leurs pareils; par exemple, les rois et les juges impies, tout en persécutant les fidèles, punissaient aussi les homicides, les adultères et tous les scélérats qui, à leur connaissance, agissaient contre les lois publiques. Alors, comment expliquer ce que dit le Seigneur: "Si vous étiez du monde, le monde assurément aimerait ce qui serait à lui (1)". Or, le monde n'aime pas ceux qu'il punit; et cependant nous voyons qu'il punit le plus souvent tous ces crimes, à moins que le monde soit et dans ceux qui punissent ces crimes et aussi dans ceux qui les aiment. Donc ce monde, qui se compose des méchants et des impies, nuit à ce qui lui appartient par l'intermédiaire des hommes qui punissent les scélérats, et il aime ce qui lui appartient par le ministère des hommes qui favorisent ceux dont ils partagent les crimes. Donc, quand le Sauveur dit: "Ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom", ces paroles signifient: ou bien vous souffrirez à cause de mon nom, ou bien ils feront ces choses à cause de mon nom, parce que en vous persécutant, ils persécutent ce qu'ils haïssent en vous, et il ajoute: "parce qu'ils ne connaissent point Celui qui m'a envoyé"; ce qui doit s'entendre de cette science dont il est écrit: "Vous connaître, c'est la sagesse parfaite (2)". Ceux qui connaissent de la sorte le Père qui a envoyé le Christ, ne persécutent en aucune façon ceux que Jésus-Christ est venu recueillir; car ils sont eux-mêmes recueillis par lui.



1. Jn 15,19. - 2. Sg 6,16.


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QUATRE-VINGT-NEUVIÈME TRAITÉ

Jn 15,22-23

L'INFIDÉLITÉ, CAUSE DE PERDITION

DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR: "SI JE N'ÉTAIS PAS VENU, ET SI JE NE LEUR AVAIS PAS PARLÉ", JUSQU'À CES AUTRES: "QUI ME HAIT, HAIT AUSSI MON PÈRE".



Sous le nom de monde persécuteur, Jésus-Christ entendait les Juifs opiniâtrement aveugles, qui l'avaient vu sans vouloir le reconnaître, et qui ne pouvaient pas plus s'excuser de leur incrédulité, que ceux qui périssent pour ne l'avoir pas du tout connu ou pour n'avoir pas eu le courage de se soumettre à lui.

1. Le Seigneur avait dit plus haut à ses disciples: "S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi: s'ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre, mais ils vous feront toutes ces choses à cause de a mon nom, parce qu'ils ne connaissent pas: "Celui qui m'a envoyé". Si nous voulons savoir de qui il parlait de la sorte, nous trouvons qu'il prononça ces paroles aussitôt après avoir dit: "Si le monde vous hait, sachez a qu'il m'a haï avant vous". Ce qu'il ajoute ici: "Si je n'étais pas venu, et si je ne leur a avais parlé, ils n'auraient point de péché", montre plus clairement qu'il parle des Juifs. C'est donc des Juifs qu'il, disait les paroles que nous avons rapportées; cela ressort de la liaison du discours. En effet, ceux dont il dit . "Si je n'étais pas venu et si je ne leur avais a parlé, ils n'auraient point de péché", sont les mêmes que ceux dont il a dit:"S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi; s'ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre; mais ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent pas Celui qui m'a envoyé". En effet, immédiatement après ces paroles Notre-Seigneur ajoute: "Si je n'étais pas venu et si je ne leur avais parlé, ils n'auraient point de péché". Or, les Juifs ont persécuté Jésus-Christ, l'Evangile le dit formellement: c'est donc des Juifs, et non pas des gentils, que parle le Sauveur: ce sont les Juifs qu'il a voulu désigner sous le nom de ce monde qui hait le Christ et ses disciples; mais ils ne sont pas seuls à former ce monde, car le Christ nous a montré que ses disciples eux-mêmes en font partie. Or, que signifient ces paroles: "Si je n'étais pas venu, et si je ne leur avais parlé, ils n'auraient a point de péché?" Est-ce que les Juifs étaient sans péché, avant que Jésus-Christ vint à eux dans sa chair? Qui serait assez insensé pour le dire? Par le nom général de péché dont se sert Notre-Seigneur, il faut entendre, non pas toute espèce de péché, mais un certain péché énorme. C'est ce péché qui retient tous les autres péchés; et quiconque ne l'a pas, tous les autres péchés lui seront remis: voici en quoi consiste le péché, c'est qu'ils n'ont pas cru en Jésus-Christ; car il était venu pour qu'on crût en lui: par conséquent, si Jésus-Christ n'était pas venu, ils n'auraient point commis ce péché. Autant sa venue en ce monde a été salutaire pour ceux qui ont cru en lui, autant elle a été funeste pour ceux qui n'ont point cru; et comme il était le chef et le prince des Apôtres, on peut dire de lui ce qu'ils ont dit d'eux-mêmes: "Pour les uns, il a été une odeur de vie pour la vie, et pour d'autres une odeur de mort pour la mort (1)".

1. 2Co 2,16.

2. Il ajoute: "Maintenant ils n'ont point d'excuse de leur péché"; ces paroles pourraient nous embarrasser et nous faire demander si ceux vers lesquels Jésus-Christ n'est pas venu, et auxquels il n'a pas parlé, peuvent tirer de là une excuse de leur péché. S'ils n'en ont point, pourquoi Jésus-Christ dit il, en cet endroit, que les Juifs n'ont point d'excuse, précisément parce qu'il est venu et qu'il leur a parlé? Mais s'ils en ont une, cette excuse les exemptera-t-elle de tout châtiment, ou bien adoucira-t-elle seulement leur peine? Avec l'assistance de Dieu, je répondrai de mon mieux à ces questions. Ceux vers lesquels Jésus-Christ n'est pas venu, et auxquels 48 il n'a pas parlé, auront une excuse non pas de tout péché, mais du péché de n'avoir pas cru en lui: de ce nombre ne sont pas ceux vers lesquels il est venu par ses disciples et auxquels il a parlé par ses disciples, comme il le fait maintenant. Car, par son Eglise, il est venu vers les nations, et par elle il leur parle. A cela se rapporte ce qu'il dit: "Qui vous reçoit me reçoit (1), et qui vous méprise me méprise (2)". "Voulez-vous", dit l'apôtre Paul, "éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle en moi (3)?"

1. Mt 10,40. - 2 Lc 10,10. - 3. 2Co 13,3.


3. Il reste à savoir si ceux qui ont été ou qui sont prévenus par la mort avant l'arrivée de Jésus-Christ par son Eglise, ou avant d'entendre prêcher son Evangile, pourront avoir cette excuse. Ils pourront assurément l'avoir, mais ils n'éviteront point, pour cela, la damnation. "Tous ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi; et tous ceux qui ont péché sous la loi, seront jugés par la loi (4)"? Comme le mot a périr" est plus terrible que le mot être jugé, ces paroles de l'Apôtre semblent montrer que, loin de les aider, cette excuse ne fera qu'aggraver leur peine. Car ceux qui voudront s'excuser sur ce qu'ils ne l'ont pas entendu annoncer, "périront sans la loi?"

- 4. Rm 2,12.


4. Mais on se demande avec raison: Ceux qui, ayant entendu la loi, l'ont méprisée, ou même lui ont résisté non-seulement en les combattant, mais en poursuivant de leur haine ceux qui la leur prêchaient, doivent-ils être rangés dans le nombre de ceux à qui l'Apôtre annonce un sort moins sévère, lorsqu'il dit "qu'ils seront jugés par la loi". Mais si autre chose est de périr sans la loi et autre chose d'être jugé par la loi; si, d'ailleurs, le premier cas est beaucoup plus à redouter que le second; sans aucun doute, ceux dont nous parlons ne doivent certainement pas subir la peine plus légère, indiquée par l'Apôtre; ce n'est pas sous la loi qu'ils ont péché, mais ils n'ont voulu en aucune manière recevoir la loi de Jésus-Christ; autant que cela dépendait d'eux, ils ont donc voulu qu'elle fût anéantie. Ceux-là pèchent sous la loi, qui sont sous la loi, c'est-à-dire, qui la reçoivent et la reconnaissent comme sainte, qui regardent ses commandements, comme saints, justes et bons (5). C'est par faiblesse qu'ils n'accomplissent pas ce qu'elle leur commande, sans qu'ils doutent le moins du monde de la justice de ses prescriptions. On peut en quelque manière distinguer ces sortes de gens de ceux dont il est dit qu'ils périront sans la loi; si cependant ce que dit l'Apôtre: "Ils seront jugés par la loi", devait s'entendre comme s'il disait: ils ne périront pas, je m'étonnerais qu'il en fût ainsi; car, pour qu'il parlât en ce sens, il ne s'agissait ni des infidèles, ni des fidèles, mais seulement des gentils et des Juifs. Or, à moins de trouver leur salut dans ce Sauveur qui est venu chercher ce qui était perdu (1), les uns et les autres seront indubitablement réservés à la perdition. On peut néanmoins dire, que cette perdition sera plus complète pour les uns et moins pénible pour les autres, c'est-à-dire que, dans leur perte, les uns souffriront des peines plus graves et les autres des peines plus légères. Quel qu'il soit, il périt pour Dieu, celui qui par son supplice est privé de la béatitude que Dieu donne à ses saints; et comme il y a diversité de péchés, non moins grande est la diversité des supplices. Comment s'établit cette proportion? C'est ce que la sagesse divine juge avec plus de profondeur que l'homme ne peut l'imaginer par ses conjectures, ou (exprimer par ses paroles. Ce qui est certain, c'est que ceux vers lesquels Jésus-Christ est venu, et auxquels il a parlé, ne pourront pas s'excuser du grand péché d'infidélité, en disant: Nous ne l'avons pas vu, nous ne l'avons pas entendu, soit que cette excuse soit tout à fait rejetée par Celui dont les jugements sont impénétrables, soit qu'il l'accepte, sinon pour les délivrer de toute condamnation, au moins pour les condamner moins sévèrement.

- 5. Rm 7,12. 1. Lc 19,10.



5. "Celui qui me hait", dit Notre-Seigneur, a hait aussi mon Père". Quelqu'un nous dira peut-être: Qui est-ce qui peut haïr celui qu'il ne connaît pas? Or, avant de dire: "Si je n'étais pas venu, et si je ne leur avais parlé, "ils n'auraient point de péché", Jésus avait dit à ses disciples: "Ils vous feront ces choses, parce qu'ils ne connaissent pas Celui qui m'a envoyé". Comment donc, s'ils l'ignorent, peuvent-ils le haïr? Car si ce qu'ils prennent pour lui, n'est pas lui, mais bien je ne sais quelle autre chose, ce n'est pas lui qu'ils haïssent, mais bien le fantôme qu'ils imaginent, ou plutôt dont ils supposent faussement l'existence. Cependant si l'on ne pouvait haïr ce que l'on ne connaît pas, la Vérité même ne nous aurait pas dit de son Père, qu'on ne le connaît pas et en même temps qu'on le hait. Mais comment cela se peut-il faire? C'est ce que, avec l'aide de Dieu, nous essaierons de vous montrer; mais ce ne sera pas aujourd'hui, car il est temps de finir ce discours.





Augustin sur Jean 86