Augustin sur Jean 94

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QUATRE-VINGT-QUATORZIÈME TRAITÉ

Jn 16,5-7

L'ESPRIT CONSOLATEUR

DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS: "MAIS JE NE VOUS AI PAS DIT CES CHOSES DÈS LE COMMMANDEMENT, PARCE QUE J'ÉTAIS AVEC VOUS", JUSQU'A CES MOTS: "MAIS SI JE M'EN VAIS JE VOUS L'ENVERRAI".



Pendant que Jésus-Christ était avec ses Apôtres, il pouvait les consoler; une fois éloigné d'eux, il devait leur envoyer le Paraclet pour remplir cet office à leur égard: devenus alors moins charnels, ils seraient plus à même d'avoir en eux le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et d'en éprouver la divine influence. L'Esprit-Saint, en les fortifiant au milieu de leurs épreuves, devait aussi convaincre de péché les ennemis du Sauveur.



1. Lorsque le Seigneur Jésus eut prédit à ses disciples les persécutions qu'ils auraient à souffrir après qu'il se serait séparé d'eux, il ajouta ces paroles: "Je ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement, parce que j'étais avec vous; mais maintenant je vais à Celui qui m'a envoyé". Il faut d'abord voir s'il ne leur avait pas prédit auparavant les persécutions qu'ils devaient endurer. Les trois autres Evangélistes semblent indiquer qu'il les leur avait prédites avant la Cène (1). Selon Jean, c'est après le repas qu'il leur fit cette observation: "Mais je ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement, parce que j'étais avec vous". Pour résoudre cette difficulté, ne pourrait-on pas dire que les Evangélistes représentent Jésus-Christ comme étant sur le point de souffrir, au moment où il parlait ainsi? Il ne les leur avait donc pas dites, lorsqu'il avait commencé d'être avec eux, puisqu'il ne les leur dit qu'au moment de s'en éloigner et de retourner à son Père. Ainsi donc, même selon ces Evangélistes, se trouve vraie cette parole qu'il dit ici: "Je ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement". Mais alors, comment pourrons-nous ajouter foi à l'Evangile de Matthieu?



1. Mt 24,9 Mc 13,9-13 Lc 21,12-17.


D'après lui le Seigneur n'attendit pas, pour annoncer ces choses, l'approche de sa passion, lorsqu'il allait célébrer la Pâque avec ses disciples, il les avait prédites dès le commencement, lorsqu'il choisit par leur nom ses douze Apôtres et qu'il les envoya exercer le divin ministère (1). Que veulent donc dire ces paroles: "Mais je ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement, parce que j'étais avec vous?" Le voici: Ce qu'il leur dit maintenant du Saint-Esprit, à savoir qu'il viendrait en eux et rendrait témoignage au moment où ils auraient à souffrir les maux qu'il leur annonçait, il ne le leur avait pas dit dès le commencement, parce qu'il était avec eux.

2. Ce consolateur ou avocat (car le mot grec de Paraclet veut dire l'un et l'autre) n'était donc nécessaire qu'après le départ de Jésus-Christ; aussi ne leur en avait-il point parlé lorsqu'il avait commencé d'être avec eux, parce qu'il les consolait lui-même par sa présence. Mais comme il se trouvait sur le point de s'éloigner d'eux, il devait leur annoncer la venue de Celui qui, en répandant la charité dans leurs coeurs, leur ferait prêcher avec confiance la parole de Dieu; en rendant



1. Mt 10,17.


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témoignage à Jésus-Christ dans leurs coeurs, il leur ferait rendre aussi témoignage extérieurement, et les empêcherait de se scandaliser quand les Juifs ennemis les chasseraient de leurs synagogues et les mettraient à mort, croyant rendre hommage à Dieu: le motif de tout cela était que la charité supporte tout (1) et qu'elle devait être répandue dans leurs coeurs par le don du Saint-Esprit (2). Le sens de tout ce passage est donc celui-ci: Parle don du Saint-Esprit, il ferait de ses disciples ses martyrs, c'est-à-dire ses témoins; en conséquence de son opération, ils supporteraient donc les persécutions les plus cruelles, et enflammés par ce feu divin, jamais ils ne sentiraient se refroidir leur ardeur pour la prédication: "Je vous ai donc dit ces choses", ajoute-t-il, "afin que quand l'heure en sera venue, vous vous rappeliez que je vous les ai dites (3)". Je vous ai dit ceci, c'est-à-dire, non-seulement vous souffrirez ces choses, mais aussi quand le Paraclet sera venu, il rendra témoignage de moi, de peur que, redoutant ces persécutions, vous gardiez le silence; de là il résultera que vous aussi vous rendrez témoignage de moi. "Mais je ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement, parce que j'étais avec vous" et que je vous consolais par ma présence corporelle, en me manifestant à vos sens d'une manière proportionnée à leur faiblesse.

3. "Mais maintenant je m'en vais à Celui qui m'a envoyé, et aucun de vous", ajoute-t-il, "ne me demande: Où allez-vous?" Il veut dire qu'il s'en ira, mais qu'aucun d'eux n'aura besoin de lui demander où il va, parce qu'ils le verront de leurs propres yeux. Tout à l'heure ils lui avaient demandé où il devait aller, et il leur avait répondu qu'où il devait aller ils ne pouvaient le suivre maintenant (4). Ici il promet qu'il s'en ira, mais qu'ils n'auront pas besoin de lui demander où il va. En effet, quand il s'éleva du milieu d'eux, une nuée le reçut, et ils n'eurent pas besoin de le questionner pour savoir s'il allait au ciel; ils l'y conduisirent du regard (5).

4. "Mais parce que je vous ai dit ces choses", ajoute Notre-Seigneur, "la tristesse a rempli votre coeur". Il voyait en effet ce que ses paroles devaient produire dans leurs coeurs. Comme ils n'avaient pas encore



1. 1Co 13,7. - 2. Rm 5,5.- 3. Jn 16,4. - 4. Jn 13,36. - 5. Ac 1,9-11.


intérieurement la consolation que devait leur procurer l'Esprit-Saint, ils craignaient de perdre la présence visible de Jésus-Christ; et ne pouvant douter qu'ils allaient bientôt le perdre, puisqu'il le leur disait et qu'il ne leur avait jamais rien dit que de vrai, leur tendresse humaine pour lui était contristée; car le chagrin de ne plus le voir de leurs yeux oppressait leur coeur. Pour lui, il savait ce qui leur était plus avantageux; il savait que bien préférable est la vue intérieure dont le Saint-Esprit devait les doter pour leur consolation, non pas en se montrant à leurs yeux avec un corps humain, mais en se répandant lui-même dans leurs coeurs par la foi. Enfin il ajoute: "Mais je vous dis la vérité, il vous est utile que je m'en aille; car si je ne m'en vais point, le Consolateur ne viendra point en vous; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai". C'est comme s'il disait: Il est utile pour vous que cette forme d'esclave soit enlevée d'auprès de vous. Verbe fait chair, j'habite au milieu de vous, sans doute; mais je ne veux plus que vous m'aimiez d'une manière charnelle, et que contents de ce lait, vous désiriez être toujours des enfants. "Il vous est utile que je m'en aille, car si je ne m'en vais pas, le Consolateur ne viendra pas à vous". Si je ne vous enlève pas les aliments délicats dont je vous ai nourris jusqu'à présent, vous n'aurez pas faim d'un aliment plus solide. Si, dans les sentiments d'un amour charnel, vous vous attachez à la présence de mon corps, vous serez incapables de m'aimer selon l'Esprit. Car quel est le sens de ces paroles: "Si je ne m'en vais pas, le Consolateur ne viendra pas en vous; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai?" Tout en restant ici, ne pouvait-il pas l'envoyer? Qui oserait le dire? En effet, Jésus ne s'était pas éloigné du séjour qu'habitait le Consolateur, et s'il était venu du Père, il n'avait point, pour cela, quitté le sein du Père. Bien qu'en restant ici-bas, n'aurait-il pas pu l'envoyer? Mais au moment du baptême du Christ, nous avons vu l'Esprit-Saint descendre du ciel et se reposer sur sa tête (1). Je ne dis pas assez: Jamais ils n'ont pu être séparés l'un de l'autre. Que signifient donc ces mots: "Si je ne m'en vais pas, le Consolateur ne viendra pas en vous?" Le voici: Vous ne pouvez recevoir l'Esprit-Saint tant que vous continuerez à ne



1. Jn 1,32.


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connaître le Christ que selon la chair. C'est pourquoi l'Apôtre, qui alors avait reçu le Saint-Esprit, nous dit: "Et si nous avons connu "Jésus-Christ selon la chair, maintenant "nous ne le connaissons plus ainsi (1)". Car il ne connaît pas selon la chair la chair même de Jésus-Christ, celui qui connaît selon l'Esprit le Verbe fait chair; c'est ce que voulait nous apprendre le bon Maître quand il disait: "Si je ne m'en vais pas, le Consolateur ne viendra pas vers vous; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai".

5. Quand Jésus-Christ se fut éloigné corporellement de ses disciples, ils jouirent spirituellement, non-seulement de la présence du Saint-Esprit, mais de celle du Père et du Fils. Car si Jésus-Christ s'était éloigné d'eux de manière à ce que le Saint-Esprit demeurât en eux à sa place et non pas avec lui, que serait devenue la promesse qu'il leur avait faite: "Voici que je suis avec vous jusqu'à la a consommation des siècles (2)"; et cette autre: "Le Père et moi nous viendrons vers lui et nous ferons en lui notre demeure (3)?" il promettait donc de leur envoyer le Saint-Esprit de telle sorte qu'il serait lui-même toujours avec eux. Ainsi, comme de charnels et de grossiers ils devaient devenir spirituels, ils devaient aussi devenir plus capables de posséder en eux le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Nous devons le croire, le Père ne peut se trouver en n'importe qui sans le Fils et le



1. 2Co 5,16. - 2. Mt 28,20. - 3. Jn 14,23.


Saint-Esprit; le Père et le Fils ne le peuvent non plus sans le Saint-Esprit, le Fils ne le peut pas davantage sans le Père et le Saint-Esprit; le Saint-Esprit, sans le Père et le Fils, en est incapable, et de même en est-il du Père et du Saint-Esprit sans le Fils. Car où est l'un d'eux, là se trouve la Trinité tout entière, un seul Dieu. Mais il fallait ainsi parler de la Trinité, afin que, sans qu'il y ait diversité de substance, la distinction des personnes fût clairement exprimée. Ceux qui l'entendent comme il,faut n'admettent aucune distinction de nature.

6. Voici ce qui suit: "Et quand il sera venu, il convaincra le monde touchant le péché, touchant la justice et touchant le jugement. Touchant le péché, parce qu'ils ne croient point en moi; touchant la justice, parce que je m'en vais au Père et que vous ne me verrez plus, et touchant le jugement, parce que le prince de ce monde est jugé (1)". Jésus-Christ parle ici comme s'il n'y avait de péché qu'à ne pas croire en lui; comme si la justice consistait à ne point voir Jésus-Christ, et comme s'il n'y avait pas d'autre jugement que celui où le prince de ce monde, c'est-à-dire le diable, a été jugé. Question très-obscure qu'il n'est pas possible de développer dans ce discours; car, en voulant l'abréger, on l'obscurcirait davantage. Remettons à un autre discours, pour l'expliquer autant que Dieu nous y aidera.



1. Jn 16,8-11.



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QUATRE-VINGT-QUINZIÉME TRAITÉ

Jn 16,8-11

LE MONDE CONVAINCU

SUR CES PAROLES DE LA LEÇON PRÉCÉDENTE: "QUAND IL SERA VENU, IL CONVAINCRA LE MONDE TOUCHANT LE PÉCHÉ ET TOUCHANT LA JUSTICE, ETC."




Jésus-Christ avait par lui-même convaincu le monde de péché, mais le Saint-Esprit devait le faire plus spécialement par les Apôtres, en les remplissant de charité et en les délivrant de toute crainte. Il devait convaincre les Juifs et les infidèles à cause de leur incrédulité en elle-même et comparée à la foi des justes qui croient sans voir Jésus-Christ homme. Il devait aussi les convaincre que le démon et tous ses imitateurs sont jugés depuis longtemps et condamnés de Dieu.



1. Au moment où il promettait d'envoyer l'Esprit-Saint, Jésus dit ces paroles: "Lorsqu'il sera venu, il convaincra le monde touchant le péché, touchant la justice et (61) touchant le jugement". Qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce que le Seigneur Jésus-Christ n'a pas convaincu le monde touchant le péché, lorsqu'il a dit: "Si je n'étais pas venu et si je ne leur avais parlé, ils n'auraient pas eu de péché; mais maintenant ils n'ont point d'excuses pour leur péché?" Mais afin que personne ne puisse dire que ces dernières paroles regardent exclusivement les Juifs et ne concernent nullement le monde, n'a-t-il pas dit dans un autre endroit: "Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui (1)?" Ne l'a-t-il pas convaincu touchant la justice, quand il a dit: "Père juste, le monde ne vous a pas connu (2)?" Ne l'a-t-il pas convaincu touchant le jugement, puisqu'il assure qu'il dira à ceux qui seront placés à sa gauche: "Allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges (3)?" Il y a dans l'Evangile beaucoup d'autres passages où Jésus-Christ convainc le monde touchant toutes ces choses; d'où vient donc qu'il attribue cette action au Saint-Esprit comme une action qui lui est propre? Ne serait-ce point parce que Jésus-Christ, ayant parlé exclusivement à la nation des Juifs, ne semble pas avoir convaincu le monde; car on ne regarde comme convaincu que celui qui entend celui qui le convainc? Mais le Saint-Esprit, par l'organe des disciples répandus dans tout l'univers, a convaincu, non pas une seule nation, mais le monde entier. C'est ce que Notre-Seigneur leur dit un peu avant de remonter au ciel: "Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a disposés dans sa puissance. Mais vous recevrez la vertu de l'Esprit-Saint qui descendra sur vous, et vous me rendrez témoignage dans Jérusalem, et dans toute la Judée, et dans Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre (4)". C'est là convaincre le monde. Mais qui osera dire que l'Esprit-Saint convainc le monde par les disciples de Jésus-Christ, et que Jésus-Christ ne le convainc pas lui-même, lorsque l'Apôtre s'écrie: "Voulez-vous éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle en moi (5)?" Ceux que convainc l'Esprit-Saint, Jésus-Christ les convainc donc aussi lui-même. Mais le Saint-Esprit devait répandre dans leurs coeurs (6) la charité qui



1. Jn 15,19-22. - 2. Jn 17,25. - 3. Mt 25,41. - 4. Ac 1,7-8. - 5. 2Co 13,3. - 6. Rm 5,5.


chasse dehors la crainte (1), crainte qui aurait pu les empêcher de convaincre un monde frémissant de rage et disposé à les persécuter. C'est pour cela, j'imagine, que Notre-Seigneur a dit: "C'est lui qui convaincra le monde"; n'était-ce pas dire, en d'autres termes: C'est lui qui répandra dans vos coeurs la charité; et par là toute crainte ayant disparu, vous aurez la liberté de convaincre? Nous vous l'avons dit souvent: Les oeuvres de la Trinité ne sont pas plus imputables à une de. ses personnes qu'à une autre (2); mais chaque personne doit être distinguée des autres de telle sorte que nous n'introduisions aucune division dans leur unité, ni aucune confusion dans leur Trinité.

2. Le Seigneur explique ensuite ce qu'il a voulu dire par ces mots: "Touchant le péché, et touchant la justice, et touchant le jugement. Touchant le péché", dit-il, "parce qu'ils n'ont pas cru en moi". Il place ce péché avant tous les autres, et comme s'il n'y en avait pas d'autre. En effet, tant que celui-là subsiste, les autres demeurent, mais s'il disparaît, les autres sont remis. "Touchant la justice", continue-t-il, "parce que je vais au Père, et bientôt vous ne me verrez plus". Ici il faut d'abord examiner si chacun doit être convaincu touchant le péché de la même manière qu'il doit être convaincu touchant la justice. En effet, si le pécheur doit être convaincu précisément parce qu'il est pécheur, faut-il penser que le juste sera convaincu parce qu'il est juste? Loin de là. Car si parfois le juste est convaincu, c'est qu'il le mérite. Il est écrit en effet: "Il n'est point de juste sur la terre qui fasse le bien et ne pèche point". C'est pourquoi, lorsque le juste est convaincu, il est convaincu touchant le péché, et non touchant la justice. Quand nous lisons dans les divines Ecritures: "Gardez-vous de devenir juste à l'excès (3)", il ne s'agit pas de la justice du sage, mais de l'orgueil du présomptueux. Celui donc qui devient trop juste, devient par là même trop injuste. Celui qui se fait trop juste est celui qui se dit sans péché, ou qui pense devoir attribuer sa justice, non pas à la grâce de Dieu, mais à la suffisance de sa volonté; tout en vivant dans la droiture, il n'est pas juste, mais il est enflé d'orgueil, puisqu'il croit être ce qu'il n'est pas. De quelle façon le monde sera-t-il donc



1. Jn 4,18. - 2. Traité XX. - 3. Si 7,21.


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convaincu touchant la justice? Il le sera touchant la justice de ceux qui croient; il est convaincu touchant le péché, parce qu'il ne croit pas en Jésus-Christ; et il est convaincu touchant la justice de ceux qui croient. Car, pour être condamnés, il suffira aux infidèles d'être comparés aux fidèles. C'est ce qui ressort de l'explication donnée à ce sujet par Notre-Seigneur. En effet, pour donner plus de clarté à ce qu'il vient de dire, il ajoute: "Touchant la justice, parce que je vais au Père et que bientôt vous ne me verrez plus". Il ne dit pas: Et ils ne me verront plus, car, en parlant d'eux, il venait de dire: "Parce qu'ils n'ont pas cru en moi". Lorsqu'il explique ce qu'il appelle péché, c'est d'eux qu'il parle en ce passage: "Parce qu'ils n'ont pas cru en "moi". Mais quand il définit la justice touchant laquelle le monde doit être convaincu, il se tourne vers ceux à qui il parlait et leur dit . "Parce que je vais au Père et que bien"tôt vous ne me verrez plus". Ainsi, le monde est convaincu touchant son propre péché, et touchant la justice d'autrui de la même manière que les ténèbres sont convaincues touchant la lumière. "Car", dit l'Apôtre, "tout ce qui est répréhensible est manifesté par la lumière (1)".Combien grand est le péché de ceux qui ne croient pas, c'est ce qui peut se voir non-seulement par le péché lui-même, mais encore par la vertu de ceux qui croient. Et comme les infidèles ont l'habitude de dire: Comment pouvons-nous croire ce que nous ne voyons pas, il a fallu faire connaître la justice de ceux qui croient, par ces mots: "Parce que je vais au Père, et que bientôt vous ne me verrez plus". Bienheureux, en effet, ceux qui ne voient pas et qui croient (2). Ceux qui ont vu Jésus-Christ n'ont pas été félicités de leur foi pour avoir cru ce qu'ils voyaient, c'est-à-dire le Fils de l'Homme; mais pour avoir cru ce qu'ils ne voyaient pas, c'est-à-dire le Fils de Dieu. Mais lorsque sa forme d'esclave se fut elle-même dérobée à leurs yeux, alors se trouva parfaitement accomplie cette parole: "Le juste vit de la foi (3)". "Car la foi", telle que la définit l'Epître aux Hébreux, "est la substance des choses que nous devons espérer, et la preuve de celles que nous ne voyons point".

3. Mais pourquoi dire: "Désormais vous



1. Ep 5,13. - 2. Jn 20,29. - 3. Rm 1,17 Ha 2,4 He 10,1.


ne le verrez plus?" Il ne dit pas: Je vais au Père et vous ne me verrez pas, comme s'il eût voulu indiquer le temps plus ou moins long, mais défini, pendant lequel ils seraient privés de le voir; mais en disant: "Désormais vous ne me verrez plus", lui qui est la vérité, semble annoncer d'avance qu'ils ne le verront jamais plus. La justice consiste-t-elle donc à ne voir jamais Jésus-Christ et à croire néanmoins en lui? Pourtant, la foi dont vit le juste n'est louée que parce qu'elle croit voir un jour Jésus-Christ qu'elle ne voit pas maintenant- Enfin, d'après cette notion de la justice, ne devrions-nous pas dire que l'apôtre Paul n'était pas juste, puisqu'il avoue avoir vu Jésus-Christ après son ascension dans le ciel (1); ce qui est bien le temps dont il dit: "Désormais vous ne me verrez plus?" D'après cette notion de la justice, il n'était donc pas juste le très-glorieux Etienne qui s'écria, lorsqu'on le lapidait: "Je vois le ciel ouvert et le Fils de l'Homme se tenant à la droite de Dieu (2)?" Que signifie donc ce passage: "Je vais au Père et désormais vous ne me verrez plus?" Vous ne me verrez plus tel que je suis en ce moment où je me trouve avec vous. Alors, en effet, il était encore mortel et revêtu d'une chair semblable à celle du péché (3), il pouvait éprouver la faim et la soif, être fatigué et dormir. Voilà Jésus-Christ tel qu'il était et tel qu'ils ne devaient plus le voir lorsqu'il aurait passé de ce monde à son Père. En cela consiste la vraie justice de la foi, dont parle l'Apôtre: "Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi maintenant". Ce sera donc par votre justice, continue Notre-Seigneur, que le monde sera convaincu, "parce que je vais au Père, et que désormais vous a ne me verrez plus"; car vous croirez en moi, bien que vous ne me voyiez plus; et quand vous me verrez tel que je serai, vous ne me verrez pas tel que je suis maintenant au milieu de vous: vous me verrez non pas humilié, mais exalté; vous me verrez non pas mortel, mais éternel; vous me verrez non pas sur le point d'être jugé,mais prêt à juger, et par cette foi qui sera la vôtre, c'est-à-dire par votre justice, l'Esprit-Saint convaincra le monde d'incrédulité.

4. Il le convaincra aussi "touchant le jugement, parce que le prince de ce monde a



1. 1Co 15,8. - 2. Ac 7,55. - 3. Rm 8,3. - 4. 2Co 5,16.


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a été jugé". Quel est ce prince du monde? Evidemment celui dont il dit en un autre endroit: "Voici que le prince du monde vient, et il ne trouvera rien en moi (1)"; c'est-à-dire rien qui lui donne droit sur moi, rien qui lui appartienne; c'est-à-dire encore, aucun péché. C'est par le péché seul, en effet, que le diable est prince du monde. Car le diable n'est le prince ni du ciel, ni de la terre, ni de tout ce qu'ils renferment, s'il s'agit du monde entendu dans le sens dans lequel l'Evangéliste emploie ce mot, quand il dit: "Et le monde a été fait par lui" Le diable est le prince du monde; oui, mais de ce monde à l'endroit duquel l'Evangéliste ajoute: "Et le monde ne l'a pas connu (2)"; car il veut désigner par là les hommes infidèles dont le monde entier est rempli, au milieu desquels gémit le monde fidèle ou ceux qu'a choisis d'entre le monde Celui par qui le monde a été fait, et dont il dit lui-même: "Le Fils de l'homme n'est pas venu pour juger le monde, mais pour que le monde fût sauvé par lui (3)". Le monde est jugé et condamné par lui; le monde est secouru et sauvé par lui. Car comme un arbre est couvert de feuilles et de fruits, comme une aire est remplie de paille et de grains, ainsi le monde est plein d'infidèles et de fidèles. Le prince de ce monde, c'est donc le prince de ces ténèbres, c'est-à-dire des infidèles, du milieu desquels est arraché le monde de ceux à qui il est dit . "Vous avez été autrefois



1. Jn 14,31. - 2. Jn 1,10. - 3. Jn 3,17.


ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur (1)". C'est le prince de ce monde dont il est dit ailleurs: "Maintenant, le prince de ce monde a été jeté dehors (2)". Certainement il a été jugé, et par suite de son jugement il a été irrévocablement destiné au feu éternel. C'est touchant ce jugement par lequel a été jugé le prince de ce monde, que le Saint-Esprit convaincra le monde; car il sera jugé avec son prince, qu'il imite dans son orgueil et son impiété. "Car si Dieu", comme dit l'apôtre Pierre, "n'a point épargné les anges qui ont péché, mais en les repoussant dans les prisons ténébreuses de l'enfer, il a voulu les conserver pour les juger et les punir (3)"; comment le Saint-Esprit ne convaincrait-il pas le monde de ce jugement, quand c'est par l'inspiration du Saint-Esprit lui-même que l'Apôtre a ainsi parlé? Que les hommes croient donc en Jésus-Christ, afin de n'être pas convaincus touchant le péché de leur infidélité, qui retient tous les autres péchés: qu'ils passent au nombre des fidèles, afin de n'être pas convaincus touchant leur justice, qu'ils n'auront pas imitée; qu'ils prennent garde au jugement à venir, afin de n'être point jugés avec le prince de ce monde, qu'ils imitent, quoiqu'il ait été jugé. Car pour empêcher le funeste orgueil des hommes de croire qu'on lui pardonnerait, il a fallu l'effrayer par le supplice des anges superbes.

1. Ep 5,8. - 2. Jn 12,31. - 3. 2P 2,4.


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QUATRE-VINGT-SEIZIÈME TRAITÉ

Jn 16,12-13

IMPOSSIBILITÉ DE TOUT COMPRENDRE


SUR CES PAROLES: "J'AI ENCORE BEAUCOUP DE CHOSES A VOUS DIRE; MAIS VOUS NE POUVEZ LES PORTER MAINTENANT: MAIS QUAND CET ESPRIT DE VÉRITÉ SERA VENU, IL VOUS ENSEIGNERA TOUTE VÉRITÉ".



Jésus avait des choses à dire à ses Apôtres; mais ils ne pouvaient encore les porter: était-ce parce qu'ils n'étaient pas encore assez courageux pour mourir en faveur de la foi? Quelles étaient ces choses? Nous n'en savons rien, et ce serait de notre part une impardonnable témérité de prétendre le deviner et le dire. Contentons-nous d'avoir en nous l'esprit de charité qui nous disposera, pour la jour de l'éternité, à voir Dieu face à face dans le ciel, et à contempler ce que nous ne pouvons porter maintenant.



1. Dans ce chapitre du saint Evangile, où le Seigneur dit à ses disciples: "J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant", la première question à examiner est celle-ci: Comment, après avoir dit plus haut: "Tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître (1)", peut-il dire en cet endroit: "J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant?" Comment il a pu parler de ce qu'il n'avait pas encore fait comme d'une chose faite, à la manière dont le Prophète témoigne que Dieu agit pour les choses à venir, lorsqu'il dit: "Il a fait les choses qui doivent arriver (2)", c'est ce que nous vous avons exposé, comme nous avons pu, en expliquant ces paroles de Notre-Seigneur. Maintenant vous voulez, sans doute, savoir quelles sont ces choses que les Apôtres ne pouvaient pas encore porter. Mais qui de nous osera se dire capable de comprendre ce que les Apôtres ne pouvaient comprendre? N'attendez donc pas de moi que je vous dise des choses que je ne comprendrais peut-être pas, si un autre me les disait; et que vous ne pourriez comprendre vous-mêmes, lors même que je serais assez capable pour vous dire des choses aussi élevées au-dessus de vous. Sans doute, il peut se trouver parmi vous des personnes capables de comprendre ce que les autres ne peuvent pas saisir. Et si elles ne peuvent comprendre toutes les choses auxquelles le divin Maître faisait allusion quand il disait:



1. Jn 15,15. - 2 Is 45,11 suiv. les Septante.


"J'ai encore beaucoup de choses à vous dire"; peut-être en comprendront-elles quelques-unes. Mais quelles sont ces choses que Notre-Seigneur n'a pas dites? Il serait téméraire de vouloir les deviner et les dire. Les Apôtres n'étaient pas encore capables de mourir pour Jésus-Christ, au moment où il leur disait: "Vous ne pouvez me suivre maintenant". Aussi le premier d'entre eux, Pierre, qui eut la présomption de croire qu'il le pouvait, fit tout le contraire de ce qu'il pensait (1); et cependant, dans la suite, et des hommes et des femmes, et des enfants et des jeunes filles, des jeunes gens et des vierges, des vieillards et des adolescents innombrables ont reçu la couronne du martyre, et il s'est trouvé que les brebis ont pu ce que les pasteurs ne pouvaient pas porter, quand le Seigneur leur parlait ainsi. Fallait-il, au moment où ces brebis se trouvaient obligées de combattre jusqu'à la mort pour la vérité, et de répandre leur sang pour le nom et la doctrine de Jésus-Christ, fallait-il donc leur dire: Qui d'entre vous osera se croire propre au martyre, puisque Pierre n'en était pas encore capable, même lorsque le Christ l'instruisait de sa propre bouche? Ainsi, me dira quelqu'un, aux fidèles chrétiens qui désirent savoir quelles sont ces choses dont le Seigneur disait alors: "J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant", il ne faut pas répondre: Si les Apôtres ne pouvaient pas les porter, encore moins le



1. Jn 13,36-38.


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pouvez-vous; car peut-être plusieurs pourront entendre ce que Pierre ne pouvait encore entendre; de même que plusieurs peuvent souffrir le martyre, ce que Pierre ne pouvait pas encore souffrir: ils le pourront d'autant mieux que le Saint-Esprit est venu en eux, tandis qu'il n'avait pas encore été envoyé alors, et que Notre-Seigneur ajoute aussitôt: "Mais quand sera venu cet Esprit de vérité, il vous enseignera toute vérité" . Par là, en effet, il leur montrait que s'ils ne pouvaient porter ce qu'il avait à leur dire, c'est que l'Esprit-Saint n'était pas encore venu en eux.

2. Maintenant, le Saint-Esprit est descendu sur les fidèles; donc accordons pour un instant qu'ils peuvent porter les choses que les disciples ne pouvaient porter, avant d'avoir reçu le Paraclet: en sommes-nous pour cela plus avancés? En savons-nous mieux quelles sont ces choses que Notre-Seigneur n'a pas voulu dire? Sans doute, nous les saurions s'il nous les avait dites, et si, par conséquent, nous les lisions ou les entendions lire. Car autre chose est de savoir si vous ou moi nous pouvons les porter; autre chose est de savoir ce qu'elles sont, qu'elles puissent ou ne puissent pas être portées. Et comme Notre-Seigneur a gardé le silence, qui de nous pourra dire: C'est telle ou telle chose? ou si quelqu'un ose le dire, comment le prouvera-t-il? Qui est assez vain ou téméraire, quand il aurait dit des choses vraies à qui il aura voulu et comme il aura voulu, pour affirmer, sans s'appuyer sur aucun témoignage divin, que ce sont bien réellement les choses qu'alors le Seigneur a voulu taire? Qui de nous osera agir ainsi? Ne serait-ce pas nous rendre coupables d'une très-grande témérité, puisqu'en nous ne se trouve l'autorité ni des Prophètes, ni des Apôtres? En effet, il ne nous suffirait pas de l'avoir lu dans les livres revêtus de l'autorité canonique, qui ont été écrits après l'ascension du Seigneur; ce ne serait rien de l'avoir lu; il y faudrait encore lire en même temps que c'est là une de ces choses que le Seigneur ne voulut pas alors dire à ses disciples, parce qu'ils ne pouvaient les porter. Prenons pour exemple ce que nous lisons au commencement de cet Evangile: "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était a en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était au commencement en Dieu (1)"; et ce qui suit.



1 Jn 1,1-2.


Ces paroles ont été écrites après sa mort; il n'est pas dit que le Seigneur Jésus les ait prononcées pendant qu'il était sur cette terre; mais un de ses Apôtres les a écrites sous l'inspiration du Saint-Esprit; si je disais que ces paroles sont de celles que le Seigneur n'a pas voulu dire alors, parce que ses disciples ne pouvaient les porter, qui est-ce qui en écouterait parler avec une telle témérité? Mais si l'Apôtre lui-même l'affirme en rapportant ces paroles, qui est-ce qui refuserait de croire à un témoignage pareil?

3. Il est aussi, ce me semble, singulièrement absurde de dire que les disciples ne pouvaient alors porter ce que nous trouvons sur les choses invisibles et sublimes dans les lettres écrites par les Apôtres après l'Ascension, et dont il n'est pas rapporté que c'est le Seigneur qui les leur a apprises, pendant qu'il était avec eux. Pourquoi alors n'auraient-ils pas pu porter des choses que chacun peut lire dans leurs livres, que chacun peut porter, quand même il ne les comprendrait pas? A la vérité, il y a, dans les saintes Ecritures, plusieurs choses que les infidèles ne peuvent comprendre lorsqu'ils les lisent ou les entendent, et qu'ils ne peuvent porter lorsqu'ils les ont lues ou entendues. Ainsi les païens ne peuvent comprendre que le monde a été fait par un crucifié; ainsi les Juifs ne comprennent pas que Celui qui n'observe pas le sabbat, comme eux, soit le Fils de Dieu; ainsi les Sabelliens ne comprennent pas que la Trinité est Père, Fils et Saint-Esprit; les Ariens, que le Fils est égal au Père, et le Saint-Esprit égal au Père et au Fils; les Photiniens, que Jésus-Christ est non pas seulement un homme semblable à nous, mais encore Dieu égal à Dieu le Père; les Manichéens, que Jésus-Christ, par qui doit s'opérer notre délivrance, a daigné naître de la chair et dans la chair; et tous les autres hommes engagés dans des sectes perverses et différentes ne peuvent supporter tout ce qui, dans les saintes Ecritures et dans la foi catholique, se trouve contraire à leurs erreurs: ainsi en est-il de nous; nous ne pouvons supporter leurs vanités sacrilèges ni leurs folies mensongères. Qu'est. ce, en effet, que ne pouvoir porter une chose? C'est ne pas la regarder d'une âme égale! Mais tout ce qui, après l'ascension du Seigneur, a été écrit avec la vérité et l'autorité canonique, où est le fidèle, où est le (66) catéchumène privé encore de l'Esprit-Saint, puisqu'il ne l'a pas encore reçu par le baptême, qui ne le lise ou ne l'entende lire avec plaisir; bien qu'il ne le comprenne pas encore comme il faut? Comment les Apôtres, même avant de recevoir le Saint-Esprit, n'auraient-ils pas pu porter quelqu'une des choses qui ont été écrites après l'ascension du Seigneur, puisque maintenant les catéchumènes les portent toutes, même avant de recevoir le Saint-Esprit? Car, si on ne leur explique pas les mystères révélés aux fidèles, ce n'est point qu'ils ne puissent les porter; mais en voilant ces mystères à leurs yeux et en les enveloppant d'un secret respectueux, on veut leur inspirer un désir plus ardent de les connaître.

4. C'est pourquoi, mes très-chers, ne vous attendez pas à ce que nous vous parlions des choses que le Seigneur n'a pas voulu alors dire à ses disciples, parce qu'ils ne pouvaient encore les porter; avancez-vous plutôt dans "la charité répandue en vos coeurs par l'Esprit-Saint qui vous a été donné (1)"; par là, votre esprit se remplira de ferveur, votre coeur aimera les choses spirituelles; ainsi pourrez-vous saisir cette lumière et cette voix spirituelles, que les hommes charnels ne peuvent supporter, qui ne brille nullement aux yeux du corps, qui ne fait entendre aucun bruit aux oreilles du corps, mais qui se manifeste à la vue et à l'ouïe intérieures de l'âme; car on n'aime pas ce qu'on ignore entièrement. Mais comme on aime ce que l'on connaît même faiblement, l'amour fait qu'on en vient à connaître mieux et plus entièrement. Si donc vous faites des progrès dans la charité que l'Esprit-Saint répand dans vos coeurs, "il vous enseignera toute vérité"; ou selon que portent d'autres textes, "il vous conduira dans toute vérité". C'est pourquoi il a été dit: "Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité (2)". Et ainsi vous n'aurez point pour maîtres des personnes qui vous parlent extérieurement pour vous apprendre ce que le Seigneur n'a pas voulu dire alors; Dieu lui-même vous instruira (3). De la sorte, tout ce que vos lectures et les discours dont vos oreilles ont retenti, vous ont appris, et tout ce que vous avez cru touchant la nature de Dieu, qui n'est ni corporelle,ni renfermée en



1. Rm 5,5. - 2. Ps 85,11. - 3. Jn 6,45.


un lieu, ni étendue comme une grande masse dans des espaces infinis, mais qui est tout entière partout et parfaite et infinie, vous pourrez vous en faire une idée, salis avoir recours ni à l'éclat des couleurs, ni aux figures formées par des lignes, ni aux sons des lettres, ni à une suite de syllabes; vous pourrez le comprendre par l'intermédiaire seul de votre intelligence. Mais ce que je vous dis est peut-être du nombre des choses que le Christ n'a pas voulu dire à ses Apôtres, et cependant, vous l'avez reçu; et non-seulement vous avez pu le porter, mais vous l'avez entendu avec plaisir. Lorsqu'il parlait encore extérieurement à ses disciples, le Christ leur dit: "J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant"; pourtant, si ce maître intérieur voulait nous dire ce que je viens de dire sur la nature incorporelle de Dieu, et nous le dire intérieurement comme il le dit aux saints anges, qui voient toujours la face du Père (1), nous ne pourrions pas encore le porter. Aussi, je ne pense pas que cette parole: "Il vous enseignera toute vérité", ou bien, "il vous conduira dans toute vérité", puisse s'accomplir en cette vie dans l'âme de chacun. (Car, quel homme vivant dans ce corps qui se corrompt et qui appesantit l'âme (2), peut connaître toute vérité, puisque l'Apôtre nous dit: "Nous ne connaissons qu'en partie?") Mais par le Saint-Esprit, dont nous recevons le gage dès à présent (3), nous parviendrons un jour à la plénitude parfaite de la science dont nous parle le même Apôtre, lorsqu'il dit: "Mais alors nous verrons Dieu face à face", et encore: "Maintenant je ne le connais qu'en partie, mais alors je le connaîtrai comme je suis connu de lui (4)". Paul voulait dire qu'en cette vie nous ne savons pas tout; c'est là un degré de perfection que le Seigneur nous a promis pour l'avenir, comme un effet de la charité de l'Esprit-Saint; car il nous a dit. "Il vous enseignera toute vérité"; ou bien: "Il vous conduira dans toute vérité".

5. Cela étant, mes très-chers frères, je vous avertis, dans la charité de Jésus-Christ, d'éviter les séducteurs impurs et les sectes saturées de turpitude dont l'Apôtre dit: "Mais ce qu'ils font en secret, il est honteux de le dire (5)" . Après vous avoir enseigné ces



1. Mt 18,10. - 2. Sg 9,15. - 3. 2Co 1,22. - 4. 1Co 13,9-12. - 5. Ep 5,12.


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impuretés horribles, que les oreilles humaines, quelles qu'elles soient, ne peuvent souffrir, ils pourraient nous dire que ce sont les choses dont le Seigneur a dit: "J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant". Ils seraient capables de prétendre que c'est par l'influence du Saint-Esprit qu'on peut supporter ces choses immondes et indicibles. Il y a des choses mauvaises que la pudeur humaine, toute petite soit-elle, ne peut supporter; il y a aussi des choses bonnes que le sens humain ne peut porter, parce qu'il est écourté. Les premières se rencontrent dans les corps impudiques, les dernières se trouvent éloignées de toute espèce de corps: les unes sont commises par la chair impure, les autres sont à peine comprises par les purs esprits. "Renouvelez-vous donc dans l'esprit de votre âme (1), et comprenez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait (2), afin qu'enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre avec tous les saints quelle est la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur de ce mystère, et connaître aussi la charité de Jésus-Christ qui surpasse toute science, afin que vous soyez remplis de toute la plénitude de Dieu (3)". Le Saint-Esprit vous enseignera toute vérité, en répandant de plus en plus la charité dans vos coeurs.



1. Ep 4,23. - 2. Rm 12,2. - 3. Ep 3,17-19.





Augustin sur Jean 94