Augustin sur Jean 114

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CENT QUATORZIÈME TRAITÉ

Jn 18,28-32

LE SAUVEUR AU TRIBUBAL DE PILATE

DEPUIS CES MOTS: "ILS CONDUISIRENT DONC JÉSUS A CAÏPHE, DANS LE PRÉTOIRE", JUSQU'A CES AUTRES: "AFIN QUE LA PAROLE DE JÉSUS FUT ACCOMPLIE, PAROLE QU'IL AVAIT DITE, INDIQUANT DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR".


On amène Jésus à Pilate, mais ses ennemis n'entrent pas dans le prétoire. Les hypocrites! Ils craignaient de se souiller en pénétrant dans un tribunal étranger, et ils ne craignaient pas de se souiller par un crime.



1. Voyons aujourd'hui, d'après le récit de l'évangéliste Jean, ce qui fut fait avec Notre-Seigneur ou relativement à Notre-Seigneur Jésus-Christ, chez le président Ponce-Pilate. Jean reprend, en effet, sa narration où il l'avait laissée, pour expliquer le reniement de Pierre. Il avait déjà dit: "Et Anne l'envoya lié à Caïphe, souverain pontife (1)". Puis, il était revenu à Pierre qu'il avait laissé se chauffant auprès du feu, dans le vestibule; enfin, après avoir raconté dans tous ses détails son triple reniement, il dit: "Ils conduisent donc Jésus vers Caïphe, dans le prétoire". Il avait déjà dit qu'il était envoyé à Caïphe par Anne, son collègue et son beau-père. Mais s'il est envoyé à Caïphe, pourquoi dans le prétoire? Le prétoire ne peut, en effet, signifier autre chose que le lieu où habitait Pilate le président; ou bien, de la maison d'Anne où ils s'étaient réunis tous les deux pour entendre Jésus, Caïphe s'était rendu, pour une cause urgente, au prétoire du président et avait laissé à son beau-père le soin d'entendre Jésus, ou bien Pilate avait établi son prétoire dans la maison de Caïphe. Cette demeure était si grande que, d'un côté, elle formait l'habitation de son maître, et, de l'autre, le tribunal du juge.

2. "Or, c'était le matin, et ceux-là", c'est-à-dire ceux qui conduisaient Jésus, "n'entrèrent pas dans le prétoire", c'est-à-dire dans cette partie de la maison qu'occupait Pilate, si toutefois c'était là aussi la maison de Caïphe. L'Evangéliste fait connaître la raison pour laquelle ils n'entrèrent pas. "C'était", dit-il, "afin qu'ils ne fussent pas


1. Jn 18,24.

souillés, mais pour qu'ils pussent manger la pâque". Ils étaient déjà, en effet, entrés dans le jour des azymes; et, en ces jours, c'était pour eux une souillure de pénétrer dans la demeure d'un étranger. O aveuglement impie! ils seraient souillés par la demeure d'un étranger, et ils ne le seraient point par leur propre crime! Ils craignaient d'être souillés par le prétoire d'un juge étranger, et ils ne craignaient pas de l'être par le sang de leur frère innocent! et je ne dis que cela, pour montrer où en était leur mauvaise conscience. Car si Celui que, dans leur impiété, ils conduisaient à la mort, était leur Seigneur, s'ils faisaient mourir l'auteur de la vie, il faut le reprocher, non à leur conscience, mais à leur ignorance.

3. "Pilate alla donc dehors vers eux et dit: Quelle accusation apportez-vous contre cet homme? Ils répondirent et lui dirent: "Si cet homme n'était pas un malfaiteur, nous ne vous l'eussions pas livré". Qu'on interroge ceux qu'il a délivrés des esprits immondes, les malades qu'il a guéris, les lépreux qu'il a purifiés, les sourds qui entendent, les muets qui parlent, les aveugles qui voient, les morts ressuscités et, ce qui surpasse tout le reste, les fous devenus sages, et ils répondront si Jésus est un malfaiteur. Mais ils disaient ce que Notre-Seigneur avait prédit par son Prophète: "Ils me rendaient le mal pour le bien (1)".

4. "Pilate leur dit donc: Prenez-le, et jugez-le selon votre loi. Mais les Juifs lui dirent: Il ne nous est pas permis de mettre quelqu'un à mort". Que veut dire leur


1. Ps 34,12.

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folle cruauté? Ne mettaient-ils pas à mort celui qu'ils livraient pour le faire mettre à mort? La croix ne fait-elle pas mourir? Ainsi deviennent insensés ceux qui attaquent la sagesse, au lieu de la suivre. Mais que signifient ces mots: "Il ne nous est pas permis de faire mourir quelqu'un?" S'il est un malfaiteur, pourquoi cela ne leur est-il pas permis? Est-ce que leur loi ne leur ordonne pas de ne point épargner le malfaiteur, surtout ceux qui, comme ils le croyaient de lui, cherchaient à séduire le peuple et à l'éloigner de son Dieu (1)? Mais il faut le croire, ils voulaient dire qu'il ne leur était pas permis de mettre quelqu'un à mort à cause de la sainteté de la fête qu'ils avaient commencé de célébrer. Déjà, pour ce motif, ils craignaient de se souiller en entrant dans le prétoire. Etes-vous endurcis à ce point, ô faux israélites? Votre trop grande malice vous a-t-elle fait perdre le sentiment, au point que vous ne vous croyiez pas souillés par le sang d'un innocent, par cette raison que vous le faites répandre par un autre? Cet homme que vous livrez à Pilate pour qu'il le mette à mort, Pilate le fera-t-il mourir de ses propres mains? Si vous n'avez pas voulu qu'il fût mis à mort, si vous ne lui avez pas dressé des embûches, si vous n'avez pas obtenu à prix d'argent qu'il vous fût livré, si vous ne l'avez pas saisi, chargé de chaînes et emmené de force, si de vos propres mains vous ne l'avez pas offert pour être mis à mort, si, par vos cris, vous n'avez pas demandé sa mort, alors vous pourrez vous vanter de ne l'avoir pas tué vous-mêmes. Mais si, en outre de toutes ces choses que vous avez faites, vous avez crié: "Crucifiez, crucifiez (2)", écoutez ce qu'à son tour le Prophète crie contre vous: "Enfants des hommes, vos dents sont des armes et des flèches, et votre langue est une épée tranchante (3)" . Voilà avec quelles . armes, avec quelles flèches et quelle épée vous avez tué le juste, quand vous avez dit qu'il ne vous était pas permis de faire mourir quelqu'un. Aussi, bien que, pour saisir Jésus, les princes des prêtres ne fussent pas venus eux-mêmes,,mais qu'ils eussent envoyé leurs satellites, dans ce même endroit de son récit l'évangéliste Luc dit: "Mais Jésus dit aux princes des prêtres, aux magistrats du temple et aux vieillards qui étaient venus


1. Dt 13,5. - 2. Jn 19,6. - 3. Ps 56,5.

vers lui: Vous êtes venus comme pour un voleur (1)". Et le reste. Ainsi, les princes des prêtres, au lieu de venir en personne, avaient envoyé des émissaires pour s'emparer de Jésus; mais n'étaient-ils pas venus eux-mêmes par suite de l'ordre qu'ils avaient donné? De même ceux qui, élevant leur voix impie ont crié pour faire crucifier Jésus-Christ, l'ont mis à mort, non par eux-mêmes, sans doute, mais par celui que leurs cris ont poussé à ce crime.

5. Notre évangéliste Jean ajoute: "Afin que s'accomplît la parole que Jésus avait dite, indiquant de quelle mort il devait mourir". Si dans ces paroles nous voulons voir une allusion à la mort de la croix, en sorte que les Juifs auraient dit: "Il ne nous est permis de faire mourir personne", parce que autre chose est d'être mis à mort, autre chose est d'être crucifié, je ne vois pas comment cela pourrait s'expliquer raisonnablement. Les Juifs ne font, en effet, que répondre à ces paroles de Pilate: "Prenez-le, et jugez-le selon votre loi". Ne pouvaient-ils pas le prendre et le crucifier eux-mêmes, si, en infligeant un semblable supplice, ils pensaient, selon leur désir, ne se rendre coupables de la mort de personne? Mais, on le voit facilement, il serait absurde qu'il leur fût permis de crucifier quelqu'un, tandis qu'il ne leur serait point permis de le mettre à mort. D'ailleurs, Notre-Seigneur parlant de sa mort, c'est-à-dire de sa mort sur la croix, ne dit-il pas qu'on le mettra à mort? C'est en effet ce que nous lisons en Marc: "Voilà que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré aux princes des prêtres et aux scribes, et ils le condamneront à mort, et ils le livreront aux Gentils et ils se moqueront de lui, et ils lui cracheront au visage, et ils le flagelleront, et ils le tueront, et le troisième jour il ressuscitera (2)". Notre-Seigneur, par ces paroles, montra donc de quelle mort il devait mourir, non qu'il voulût indiquer ici sa mort sur la croix, mais bien que les Juifs le livreraient aux Gentils, c'est-à-dire aux Romains. Car Pilate était romain, et c'étaient les Romains qui l'avaient envoyé comme gouverneur en Judée; cette parole de Jésus devait donc s'accomplir, c'est-à-dire, les Gentils devaient faire mourir Jésus après qu'on le leur aurait


1. Lc 22,52. - 2. Mc 10,33.

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livré: c'était ce que le Sauveur avait prédit. Aussi, quand Pilate, qui était juge romain, voulut le rendre aux Juifs, afin qu'ils le jugeassent selon leur loi, ils refusèrent de l'accepter, en disant: "Il ne nous est permis de tuer personne". Et ainsi fut accomplie la parole que Jésus avait dite d'avance sur sa mort, à savoir que les Juifs livreraient Jésus aux Gentils et que ceux-ci le mettraient à mort. En cela, ils devaient être moins coupables que les Juifs, car, en agissant comme ils l'ont fait, les Juifs ont -voulu paraître étrangers à sa mort, et ils n'ont réussi qu'à fournir la preuve, sinon de leur innocence, du moins de leur folie.




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CENT QUINZIÈME TRAITÉ

Jn 18,33-40

BARABBAS PRÉFÉRÉ A JÉSUS

DEPUIS CES MOTS: "PILATE ENTRA DONC DE NOUVEAU DANS LE PRÉTOIRE", JUSQU'A CES AUTRES: "OR, BARABBAS ÉTAIT UN VOLEUR".


Pilate dit à Jésus: "Es-tu roi?" - "Oui", répond le Sauveur, "mais mon royaume n'est pas de ce monde". Le gouverneur propose donc au périple d'acquitter le Christ: mais le peuple demande Barabbas.


1. Ce que Pilate dit à Jésus-Christ, et ce que Jésus-Christ répondit à Pilate, voilà ce que nous examinerons et traiterons dans ce discours. Après qu'il eut dit aux Juifs: "Prenez-le et jugez-le selon votre loi", les Juifs lui répondirent: "Il ne nous est permis de faire mourir personne. Pilate entra alors de nouveau dans le prétoire, et il appela Jésus et lui dit: Es-tu le roi des Juifs? Et Jésus lui répondit: Dis-tu cela de toi-même, ou bien les autres te l'ont-ils dit de moi?" Certes, Notre-Seigneur savait et ce qu'il demandait lui-même, et ce que Pilate allait lui répondre. Et cependant il a voulu que cela fût dit, non pour le savoir lui-même, mais pour qu'on écrivît ce qu'il voulait nous apprendre. "Pilate répondit: Est-ce que je suis Juif? Ta nation et les Pontifes t'ont livré à moi; qu'as-tu fait? Jésus répondit: Mon royaume n'est point de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes ministres combattraient pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais maintenant mon royaume n'est point d'ici". Voilà ce que le bon Maître voulait nous faire savoir. Mais auparavant il fallait nous démontrer combien était vaine l'opinion qu'avaient de son royaume et les Gentils, et les Juifs qui avaient appris à Pilate ce qu'il disait. Fallait-il le punir de mort, parce qu'il prétendait à une royauté à laquelle il n'avait pas droit, ou bien comme si les rois avaient coutume d'en vouloir aux autres rois, et que sa royauté dût être funeste aux Romains ou aux Juifs? Ce que dit Notre-Seigneur

"Mon royaume n'est pas de ce monde", etc., il aurait pu le répondre à cette première question du Gouverneur: "Es-tu le roi des Juifs?" Mais, en l'interrogeant à son tour et en lui demandant s'il disait cela de lui-même, ou bien s'il l'avait appris des autres, il a voulu, par sa propre réponse, montrer que les Juifs lui en avaient fait un reproche comme d'un crime auprès du gouverneur. Il découvrait ainsi "la vanité des pensées des hommes (1)", qu'il connaissait d'avance. Et après la réponse de Pilate, il répondait bien plus convenablement et avec plus d'opportunité et aux Juifs et aux Gentils: "Mon royaume n'est pas de ce monde". S'il avait répondu sur-le-champ à la première question de Pilate, il n'aurait semblé répondre qu'aux seuls Gentils, qui pensaient ainsi de lui, et non pas aux Juifs. Mais maintenant, en répondant . "Est-ce que je suis juif? ta nation et les pontifes t'ont livré à moi", Pilate empêche de


1. Ps 93,11.

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soupçonner et de croire qu'il a dit de lui-même que Jésus était le roi des Juifs, et il montre bien que les Juifs le lui ont dit. Ensuite, en disant: "Qu'as-tu fait?" il montre assez que c'était là le crime qu'on lui imputait; c'était dire, en d'autres termes: Si tu ne dis pas que tu es roi, qu'as-tu donc fait pour qu'on fait livré à moi? Comme s'il était tout naturel de livrer au juge, pour être puni, Celui qui se disait roi; mais s'il ne se disait pas roi, il fallait lui demander quelle autre chose il avait faite pour mériter d'être livré au juge.

2. Ecoutez donc, Juifs et Gentils; écoutez, hommes circoncis; écoutez, hommes incirconcis; écoutez tous, royaumes de la terre. Je n'empêche pas votre domination sur ce monde: "Mon royaume n'est pas dans ce monde". Ne craignez pas de cette crainte insensée dont fut saisi Hérode l'ancien, lorsqu'on lui annonça la naissance de Jésus-Christ et que, sous l'impression de la crainte bien plus que de la colère, il fit massacrer tant d'enfants (1) afin de ne pas manquer de le faire mourir lui-même. Mais, dit Jésus, "Mon royaume n'est pas de ce monde". Que voulez-vous de plus? Venez à un royaume qui n'est pas de ce monde. Venez-y parla foi et ne devenez pas cruels par la crainte. Il est vrai que, dans une prophétie, Notre-Seigneur dit en parlant de Dieu le Père: "Pour moi, j'ai été par lui établi roi sur Sion, sa montagne sainte (2)". Mais cette Sion et cette montagne ne sont pas de ce monde. Qu'est-ce, en effet, que son royaume? Ce sont ceux qui croient en lui et auxquels il dit: "Vous n'êtes pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde". Et cependant, il veut qu'ils soient dans le monde. C'est pourquoi, en parlant d'eux il dit à son Père: "Je ne prie pas pour que vous les enleviez du monde, mais pour que vous les préserviez du mal (3)". C'est aussi pourquoi il ne dit pas ici: "Mon royaume n'est pas dans ce monde, mais n'est pas de ce monde". Et quand il le prouve en ajoutant: "Si mon royaume était de ce monde, mes ministres assurément combattraient pour que je ne fusse pas livré aux Juifs", il ne dit pas: "Mais maintenant mon royaume" n'est pas ici, mais bien n'est pas d'ici". Ici, en effet, se trouve son royaume jusqu'à la fin du monde, et il renferme dans son sein de l'ivraie mêlée au bon


1. Mt 2,3 Mt 2,16. - 2. Ps 2,6. - 3. Jn 17,16.

grain jusqu'à ce que vienne la moisson. La moisson; c'est la fin du monde; car alors les moissonneurs, c'est-à-dire les anges, viendront et enlèveront de son royaume tous les scandales (1); assurément, cela ne pourrait se faire si son royaume n'était ici. Cependant il n'est pas d'ici; car il est comme un voyageur en ce monde. C'est à son royaume qu'il dit

"Vous n'êtes pas du monde, mais moi je vous ai tirés du monde (2)". Ils étaient donc du monde, quand ils n'étaient pas encore son royaume et qu'ils appartenaient au prince du monde. Ils sont du monde tous les hommes créés à la vérité par le vrai Dieu, mais engendrés de la souche corrompue et damnée d'Adam; ils sont devenus ce royaume qui n'est plus de ce monde tous ceux qui, venus de là, ont été régénérés en Jésus-Christ. C'est ainsi que Dieu nous a arrachés à la puissance des ténèbres et nous a transportés dans le royaume du Fils de son amour (3). C'est de ce royaume qu'il dit: "Mon royaume n'est pas de ce monde"; ou bien: "Mon royaume n'est pas d'ici".

3. "C'est pourquoi Pilate lui dit: Tu es donc roi? Jésus répondit: Tu le dis, oui, je suis roi". Il ne craignit pas d'avouer qu'il était roi. Mais par ces mots: "Tu le dis", il conserve toute sa liberté. Il ne nie pas qu'il soit roi (car il est roi d'un royaume qui n'est pas de ce monde) et il n'avoue pas qu'il soit roi d'un royaume qui passe pour être de ce monde. C'est ce que pensait celui qui disait: "Donc tu es roi", et à qui il fut répondu: "Tu le dis, oui, je suis roi". Notre-Seigneur emploie ces mots. "Tu le dis", comme pour dire: Tu es un homme charnel et tu parles d'après les sentiments de la chair.

4. Notre-Seigneur ajoute ensuite: "Je suis né et je suis venu au monde pour rendre témoignage à la vérité". Le pronom dont se sert le texte latin: in hoc natus sum, ne doit pas s'entendre en ce sens: Je suis né dans -cette chose; mais bien: Je suis né pour cela, tout comme il est dit: "C'est pour cela que je suis venu dans le monde". Dans le texte grec il n'y a aucune ambiguïté. Par là il a manifestement voulu, en cet endroit, rappeler cette naissance temporelle par laquelle, après s'être incarné, il est venu dans le monde, et non pas cette naissance sans commencement par laquelle il était le Dieu par qui le


1. Mt 13,38 Mt 13,41. - 2. Jn 15,19. - 3 Col 1,13.

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Père a créé le monde. Il dit donc qu'il est né et qu'il est venu en ce monde, qu'il est né d'une Vierge pour cela, c'est-à-dire pour cette fin, pour rendre témoignage à la vérité. Mais comme la foi n'appartient pas à tous (1), il ajoute: "Quiconque est de la vérité, entend ma voix", c'est-à-dire l'entend intérieurement; c'est-à-dire encore, obéit à ma voix; c'est la même chose que s'il disait: Croit en moi. Quand Jésus-Christ rend témoignage à la vérité, il se rend évidemment témoignage à lui-même; c'est lui, en effet, qui a dit: "Je suis la vérité (2)", et en un autre endroit il dit: "Moi, je rends témoignage de moi-même (3)". Par ces autres paroles: "Quiconque est de la vérité, entend ma voix", il nous fait souvenir de la grâce par laquelle il nous appelle selon son bon plaisir. C'est de ce bon plaisir que l'Apôtre nous dit: "Nous savons qu'à ceux qui aiment Dieu, toutes choses tournent à bien, à ceux qui ont été appelés selon la volonté de Dieu (4)", selon la volonté de Celui qui appelle, et non pas de ceux qui sont appelés. Ceci est plus clairement exprimé en un autre endroit: "Collaborez à l'Evangile selon la puissance de Dieu qui nous sauve et noua appelle par sa sainte vocation, non d'après nos oeuvres, mais d'après sa volonté et sa grâce (5)". Si nous supposons qu'il s'agisse de la nature dans laquelle nous avons été créés, comme la vérité nous a tous créés, qui est-ce qui ne serait pas de la vérité? Mais ce n'est pas à tous que la vérité a donné d'entendre la vérité, c'est-à-dire d'obéir à la vérité et de croire à la vérité; et cela sans aucun mérite antécédent, de peur que la grâce ne soit plus une grâce. Si Notre-Seigneur avait dit: Quiconque entend ma voix est de la vérité; alors celui-là serait regardé comme étant de la vérité, qui obtempérerait à la vérité. Mais il n'a pas parlé ainsi; il a dit: "Quiconque est de la vérité, entend ma voix". Par conséquent, il n'est pas de la vérité, parce qu'il entend sa voix.; mais il entend sa voix, parce qu'il est de la


1. 2Th 3,2. - 2. Jn 14,6. - 3. Jn 8,18. - 4. Rm 8,18. - 5. 2Tm 1,8-9.

vérité, c'est-à-dire parce que ce don lui a été accordé par la vérité. Qu'est-ce que cela veut dire? Rien que ceci: Il croit en Jésus-Christ par un don de Jésus-Christ.

5. "Pilate lui dit: Qu'est-ce que la vérité?" Et il n'attendit pas pour entendre sa réponse; mais, "ayant dit cela, il sortit de nouveau vers les Juifs, et leur dit: Je ne trouve aucun crime en lui. Mais c'est pour vous une coutume que je vous délivre un criminel à Pâques: voulez-vous donc que je vous délivre le roi des Juifs?" Je crois qu'aussitôt que Pilate eut dit: "Qu'est-ce que la vérité", il lui revint en mémoire cette coutume qu'avaient les Juifs de se faire remettre un criminel à Pâques. Aussi il n'attendit pas que Jésus lui fit connaître, par sa réponse, ce que c'est que la vérité; car il s'était rappelé la coutume en vertu de laquelle il pouvait le leur remettre pour Pâques; évidemment il le désirait beaucoup et ne voulait apporter à cette mesure aucun retard. Cependant, on ne put l'empêcher de croire que Jésus-Christ était le roi des Juifs; on aurait dit que la vérité, sur la nature de laquelle il questionnait Jésus, avait gravé cette inscription dans son coeur, comme il la fit lui-même graver sur la croix. Mais, "en entendant cela, tous crièrent de nouveau et dirent: Non pas celui-ci, mais Barabbas. Or, Barabbas était un larron". Nous ne vous blâmons pas, ô Juifs, de ce que pour Pâques vous délivrez un coupable, mais nous vous condamnons parce que vous tuez un innocent. Et cependant, s'il n'en était pas ainsi, la vraie Pâque n'aurait pas lieu. Mais les Juifs, dans leur erreur, retenaient une ombre de la vérité et, par une admirable disposition de la sagesse divine, la vérité de cette même ombre était réalisée par ces hommes menteurs. Car, pour l'accomplissement de la vraie Pâque, Jésus-Christ était immolé comme une brebis. Suit maintenant le récit des traitements injurieux que Pilate et sa cohorte firent subir à Jésus-Christ; nous l'expliquerons dans un autre discours.



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CENT SEIZIÈME TRAITÉ

Jn 19,1-16

JÉSUS CONDAMNÉ A MORT

DEPUIS CES PAROLES: "ALORS DONC, PILATE SAISIT JÉSUS ET LE FLAGELLA". JUSQU'À CES AUTRES "OR, ILS PRIRENT JÉSUS ET L'EMMENÈRENT".


Pour assouvir la rage des Juifs, Pilate fait flageller Jésus; les Juifs redoublent de fureur: "Il s'est dit le Fils de Dieu, il s'est fait roi: si tu l'acquittes, tu n'es pas l'ami de César". A ces mots, le faible gouverneur craint pour sa place, et il livre le Christ à ses ennemis.


1. Les Juifs s'étaient écriés qu'ils voulaient voir Pilate leur délivrer, pour la Pâque, non point Jésus, mais Barabbas, le larron; non point le Sauveur, mais un meurtrier; non point le distributeur de la vie, mais celui qui l'avait enlevée à autrui. "Alors Pilate saisit Jésus et le flagella". En cela, l'unique dessein de Pilate était, sans doute, d'assouvir la rage des Juifs par le spectacle de ses tourments, de les forcer ainsi à se déclarer satisfaits, et de les amener à ne point pousser la cruauté jusqu'à le faire mourir. Voilà pourquoi le même gouverneur permit encore à sa cohorte de faire ce qui suit. Peut-être aussi l'ordonna-t-il, quoique l'Evangéliste n'en dise rien. Il dit en effet ce que firent ensuite les soldats, mais il ne dit pas que Pilate l'ait ordonné. "Et les soldats", continue-t-il, "tressant une couronne d'épines la placèrent sur sa tête et ils l'enveloppèrent d'un vêtement de pourpre, et ils venaient vers lui et ils disaient: "Salut, roi des Juifs, et ils lui donnaient des soufflets". Ainsi s'accomplissait tout ce que Jésus-Christ avait prédit de lui-même. Ainsi il formait les martyrs à supporter tout ce que les persécuteurs voudraient leur faire endurer. Ainsi, en voilant pour un temps sa puissance redoutable, il leur faisait d'avance imiter sa patience. Ainsi ce royaume, qui n'était pas de ce monde, triomphait du monde superbe, non par la force de ses armes, mais par l'humilité de ses souffrances. Ainsi ce grain qui devait multiplier était semé au milieu d'outrages horribles, pour fructifier au sein d'une gloire admirable.

2. "Pilate sortit de nouveau et leur dit: Voilà que je vous l'amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve aucune cause en lui. Jésus sortit donc, portant une couronne d'épines et un vêtement de pourpre, et il leur dit: Voilà l'homme". Il paraît par là que les soldats ne l'avaient pas ainsi traité à l'insu de Pilate; il l'avait commandé, ou du moins permis, à cette fin, comme nous l'avons indiqué plus haut, que ses ennemis bussent à longs traits ses outrages et n'eussent désormais plus soif de son sang. Jésus sort devant eux portant une couronne d'épines et un vêtement de pourpre; il ne brillait pas de l'éclat du pouvoir, mais il apparaissait couvert d'opprobres, et on leur dit: "Voilà l'homme". Si c'est au roi que vous portez envie, maintenant épargnez-le; vous le voyez jeté à bas, il a été flagellé, couronné d'épines, revêtu d'un habit de théâtre; il a été moqué, accablé d'outrages amers et souffleté: son ignominie est complète, que votre colère s'apaise. Mais loin de s'apaiser, leur rage s'enflamme et prend de nouvelles proportions.

3. "Lors donc que les pontifes et les ministres l'eurent vu ils criaient: Crucifie! Crucife-le! Pilate leur dit: Prenez-le, et le "crucifiez, car je ne trouve point de cause en lui. Les Juifs lui répondirent: Nous avons une loi, et selon la loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait le Fils de Dieu". Voilà un second motif de haine bien plus grand que le premier. Car c'était peu de chose à leurs yeux, d'avoir illicitement osé se déclarer roi; et cependant, dans les deux cas, Jésus n'a rien usurpé frauduleusement. On ne saurait en douter: il est le Fils unique de Dieu, et par Dieu il a été établi roi au-dessus de Sion sa montagne sainte; et l'un et l'autre seraient maintenant démontrés, s'il n'aimait mieux se montrer d'autant plus patient qu'il était plus puissant.


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4. Quand donc Pilate eut entendu cette parole, il craignit davantage et il entra de nouveau dans le prétoire et dit à Jésus . "D'où es-tu? Mais Jésus ne lui donna point de réponse". Ce silence de Notre-Seigneur Jésus-Christ n'eut pas lieu qu'une seule fois. Si, en effet, nous comparons les récits de chaque évangéliste, nous verrons qu'il se produisit et chez les princes des prêtres, et chez Hérode, où, comme le raconte Luc, Pilate l'avait envoyé pour être interrogé, et chez Pilate lui-même (1). Ainsi se vérifiait la prophétie où il avait été dit de lui: "Comme l'agneau devant celui qui le tond reste sans voix, ainsi il n'a pas ouvert la bouche (2)". Elle se réalisa évidemment quand il ne répondit pas à ceux qui l'interrogeaient. Quoiqu'il ait assez souvent répondu à certaines questions, cependant, à cause des circonstances où il n'a pas voulu répondre, il a été comparé à un agneau, afin que son silence le fit reconnaître non comme coupable, mais comme innocent. Toutes les fois que, dans le cours de son jugement, il a gardé le silence, c'est en qualité d'agneau qu'il n'a pas ouvert la bouche; en d'autres termes, s'il se taisait, ce n'était point comme un coupable qui se serait vu convaincre de ses crimes, mais comme un agneau plein de douceur immolé pour les péchés des autres.

5. "Pilate lui dit donc: Tu ne me parles point? Tu ne sais donc pas que j'ai le pouvoir de te crucifier et que j'ai le pouvoir de te renvoyer? Jésus lui répondit: Vous n'auriez sur moi aucun pouvoir, s'il ne vous avait été donné d'en haut. C'est pourquoi celui qui m'a livré à vous a un plus grand péché". Voilà qu'il répond; mais toutes les fois qu'il ne répond pas, il agit non pas à la manière d'un coupable ou d'un trompeur, mais à la manière d'un agneau, c'est-à-dire d'un homme simple et innocent qui n'ouvre pas la bouche. Aussi, quand ne répondait pas, il se taisait comme une brebis; quand il répondait, il enseignait comme un pasteur. Apprenons donc ce qu'il nous dit, et ce qu'il nous a encore enseigné par l'Apôtre: "Qu'il n'y a point de pouvoir qui ne vienne de Dieu (3)"; et que celui qui, par envie, livre au pouvoir un innocent pour le faire mettre à mort, est plus coupable que le


1. Mt 26,63 Mt 27,14 Mc 14,61 Mc 15,5 Lc 23,7-9 Jn 19,9. - 2 Is 53,7. - 3. Rm 13,1.

pouvoir lui-même, s'il le met à mort par crainte d'un pouvoir plus grand. Pilate avait reçu de Dieu son pouvoir, mais il était toujours sous la puissance de César. C'est pourquoi Notre-Seigneur lui dit: "Tu n'aurais contre moi aucun pouvoir", c'est-à-dire, si petit que soit celui que tu possèdes, "si ce pouvoir", quel qu'il soit, "ne t'avait été donné d'en haut". Mais je sais ce qu'il est, il n'est pas grand au point de te rendre tout à fait indépendant; "c'est pourquoi celui qui m'a livré à toi a un plus grand péché". Celui-là, en effet, m'a livré à ton pouvoir par envie, et toi, tu n'exerces sur moi ce même pouvoir que par crainte. Sans doute, la crainte ne doit pas porter un homme à faire mourir son semblable, surtout quand celui-ci est innocent; mais c'est un plus grand mat de le faire mourir par envie que de le faire mourir par crainte. Aussi le Maître de vérité ne dit pas: "Celui qui m'a livré à toi" a un péché, comme si, en cela, Pilate n'en avait pas lui-même; mais il dit: "Il a un plus grand péché", afin de lui faire comprendre qu'il en avait aussi un; car ce péché n'est pas réduit à rien parce que l'autre est plus grand.

6. "Dès lors Pilate cherchait à le délivrer". Que signifient ces mois "dès lors?" Ne l'avait-il pas déjà cherché auparavant? Lis ce qui précède, et tu verras que dès auparavant il cherchait à renvoyer Jésus. Par ces mots: "dès lors", il faut entendre à cause de cela, c'est-à-dire, pour ne pas commettre le péché de mettre à mort l'innocent qui lui avait été livré, quoique son péché fût moindre que celui des Juifs, qui le lui, avaient livré pour le faire mourir. "Dès lors", c'est-à-dire, pour ne pas faire ce péché, "il cherchait", non-seulement depuis ce moment, mais depuis le commencement, "à le renvoyer".

7. "Mais les Juifs criaient: Si vous le renvoyez, vous n'êtes pas ami de César, car quiconque se fait roi se déclare contre César". En lui faisant peur de César, pour le décider à faire mourir Jésus-Christ, ils crurent inspirer à Pilate une frayeur plus grande qu'en lui disant: "Nous avons une loi, et d'après la loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait le Fils de Dieu". Il n'avait pas craint leur loi jusqu'à le mettre à mort; il craignit davantage le Fils de Dieu, qu'il ne voulait pas faire mourir. Mais il n'eut pas ici le courage de mépriser César, l'auteur de son pouvoir, (130) comme il avait méprisé la loi d'une nation étrangère.

8. L'Evangéliste continue en disant: "Mais Pilate ayant entendu ces paroles, conduisit Jésus dehors et s'assit à son tribunal, au lieu appelé Lithostrotos, en hébreu Gabbatha; or, c'était le jour de la préparation de la Pâque, environ vers la sixième heure". Quant à l'heure où Notre-Seigneur fut crucifié, il se présente une grande difficulté à cause du témoignage d'un autre Evangéliste qui dit: "Il était la troisième heure et ils le crucifièrent (1)". Lorsque nous en serons au passage où l'on raconte son crucifiement, nous la discuterons, comme nous pourrons, si Dieu nous en fait la grâce. Quand donc Pilate fut assis à son tribunal, "il dit aux Juifs: Voici votre roi; mais ils criaient: mort! mort! crucifie-le. Pilate leur dit: "Je crucifierai donc votre roi?" Il s'efforce encore de surmonter la crainte qu'ils lui ont inspirée en prononçant le nom de César; il essaie, en leur disant: "Je crucifierai donc votre roi?" de toucher par leur propre confusion ceux que n'a pu toucher l'ignominie de Jésus-Christ; mais bientôt il se laisse vaincre par la,crainte.

9. Car "les pontifes répondirent: Nous n'avons de roi que César. Alors il le leur livra pour être crucifié". En effet, il eût semblé aller ouvertement contre César, si au moment où les Juifs déclaraient n'avoir point d'autre roi que César, il eût voulu admettre un autre roi; c'est ce qu'il aurait fait en renvoyant, sans le punir, un homme qu'on lui avait livré et dont on demandait la mort, précisément parce qu'il avait osé se dire roi. "Il le leur livra


1. Mc 15,25.

donc, afin qu'il fût crucifié". Mais, tout à l'heure, désirait-il autre chose quand il leur disait: "Prenez-le vous-mêmes et le crucifiez"; ou bien encore: "Prenez-le vous-mêmes et jugez-le selon votre loi?" Pourquoi les Juifs refusèrent-ils alors si obstinément et dirent-ils: "Il ne nous est permis "de faire mourir personne (1)?" Pourquoi font-ils maintenant de si vives instances pour qu'il soit mis à mort, non par eux, mais par le président? Pourquoi refusaient-ils alors de l'accepter pour le mettre à mort, tandis que maintenant ils consentent à ce qu'il soit mis à mort? Ou bien, s'il n'en est pas ainsi, pourquoi est-il dit: "Alors il le leur livra pour qu'il fût crucifié?" Y a-t-il quelque différence? Oui, il y en a une grande; car il n'est pas dit: "alors il la leur livra pour qu'ils le crucifiassent; mais, pour qu'il fût crucifié"; c'est-à-dire, pour qu'il fût crucifié en vertu du jugement et du pouvoir du président. L'Evangéliste nous dit qu'il leur fut livré, pour montrer qu'ils étaient complices du crime auquel ils s'efforçaient de se montrer étrangers; car Pilate n'eût pas agi ainsi, s'il n'avait vu que c'était là leur désir. Pour les paroles qui suivent: "Mais ils prirent Jésus et l'emmenèrent", elles peuvent se rapporter aux soldats, appariteurs du président; car plus loin il est dit plus clairement: "Quand donc les soldats l'eurent crucifié". Cependant, si l'Evangéliste attribue tout aux Juifs, c'est avec justice; car il est vrai de dire qu'ils ont pris eux-mêmes ce qu'ils ont demandé avec tant d'empressement, et qu'ils ont fait eux-mêmes ce qu'ils ont extorqué; mais nous traiterons ce qui suit dans un autre discours.


1. Jn 18,31. - 2. Jn 14,23.


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Augustin sur Jean 114