Augustin, lettres - LETTRE XLVI. (Année 398)

LETTRE XLVII. (Année 398)

Réponse de saint Augustin aux questions de Publicola.

AUGUSTIN SALUE DANS LE SEIGNEUR SON HONORABLE ET TRÈS-CHER FILS PUBLICOLA.

1. Les troubles de votre esprit, depuis que votre lettre me les a révélés, sont devenus les miens; ce n'est pas que je sois fortement agité par toutes ces choses, comme vous me marquez que vous l'êtes vous-même; mais, je l'avoue, je me suis demandé avec inquiétude comment tous vos doutes pourraient. cesser; surtout parce que vous attendez de moi des réponses positives, afin de ne pas tomber dans des anxiétés plus profondes qu'auparavant. Je crois que cela n'est pas en mon pouvoir. De quelque manière que je vous présente ce qui me paraîtra à moi d'une entière certitude, si je ne parviens pas à vous persuader, vos doutes redoubleront. Ce qui peut me persuader peut ne pas persuader un autre. Cependant pour ne pas refuser à votre affection le léger concours de mes soins, je me suis déterminé à vous écrire après y avoir un peu réfléchi.

2. Vous vous demandez si on peut s'appuyer sur la fidélité de quelqu'un qui a juré par les démons de la garder. Considérez d'abord si celui-là ne pécherait pas deux fois qui, ayant juré par de faux dieux de garder fidélité, viendrait à la violer; en gardant la foi promise par un tel serment, il n'aura péché qu'en cela seul qu'il a juré par de pareils dieux; nul ne le reprendra d'avoir gardé sa parole. Mais en jurant par les dieux qu'il ne doit pas invoquer et en faisant ce qu'il ne doit pas contre la parole donnée, il a péché deux fois; et quant à celui qui s'appuie sur la fidélité d'un homme qu'il sait l'avoir jurée par de faux dieux, et qui la met à profit non pour le mal, mais pour ce qui est licite et bon, il ne participe pas au péché du jurement par les démons, mais il participe.au bon accord par lequel la foi promise est, gardée. Je ne parle pas ici de la foi qui fait donner le nom de fidèles à ceux qui sont baptisés dans le Christ; la foi chrétienne est bien différente et bien éloignée de la foi des opinions et des conventions humaines. Pourtant il n'est pas douteux que c'est un moindre mal de jurer avec vérité par un dieu faux que de jurer faussement par le vrai Dieu; plus la chose par laquelle on jure est sainte, plus le parjure mérite de châtiment. C'est une autre question de savoir si on ne pèche pas en demandant qu'on jure par les faux dieux, quand celui de qui on exige le serment adore les faux dieux. Pour cette question on peut s'aider des témoignages que vous avez rappelés vous-même sur Laban et Abimélech, si toutefois Abimélech jura par ses dieux comme Laban par le dieu de Nachor; c'est là, comme je l'ai (45) dit, une autre question. Elle m'embarrasserait peut-être sans les exemples d'Isaac et de Jacob et d'autres exemples qui peuvent se rencontrer dans les livres saints, pourvu toutefois que. ce qui est dit dans le Nouveau Testament, qu'il ne faut jurer en aucune sorte (1), ne fasse pas une nouvelle difficulté. Il me paraît que cela a été dit, non point parce que c'est un péché de jurer en toute vérité, mais parce que c'est un horrible péché de fausser son serment; et le divin Maître avait en vue de nous préserver d'un tel péril lorsqu'il nous exhorta à ne pas jurer du tout. Je sais que votre sentiment est tout autre; aussi n'avons-nous pas à disputer là-dessus, mais il s'agit d'aborder les questions sur lesquelles vous avez cru devoir me consulter. De même donc que vous ne jurez pas, n'obligez personne à jurer; l'Ecriture nous défend de jurer, mais je ne me souviens pas d'avoir lu dans les saintes Ecritures qu'il ne faille pas recevoir d'un autre son serment. C'est une tout autre question de savoir s'il nous est permis de profiter d'une sécurité qui découlerait des serments d'autrui; si nous ne voulons pas cela, je ne sais où nous trouverons sur la terre un coin pour y vivre, car nous devons aux serments des barbares la paix des frontières et aussi la paix de toutes les provinces. Et il s'en suivrait que la souillure n'atteindrait pas seulement les récoltes confiées à la garde de ceux qui jurent par les faux dieux, mais que tout ce qui est protégé par ces engagements deviendrait impur: ce serait si absurde que vos doutes à cet égard doivent entièrement disparaître.

3. De même, un chrétien qui, le sachant et pouvant l'empêcher, permet qu'on prenne dans son aire ou son pressoir quelque chose pour servir aux sacrifices des démons, commet un péché. S'il trouve la chose faite, ou s'il n'a pas pu s'y opposer, il peut se servir de ce qui reste sans avoir à redouter la moindre souillure, comme nous nous servons des fontaines où nous savons qu'on a puisé de l'eau pour les sacrifices. Il en est ainsi des bains. Nous ne faisons pas difficulté de respirer l'air auquel nous savons que s'est mêlée la fumée des autels et de l'encens des démons. Ce qui est interdit, c'est d'user ou d'avoir l'air d'user de quelque chose pour honorer les dieux étrangers, ou d'agir de telle manière que, malgré notre mépris pour ces dieux, nous portions à

1. Mt 5,34.

les honorer ceux qui ne connaissent point le fond de notre coeur. Et lorsque, après en avoir reçu le pouvoir, nous abattons,des temples, des idoles, des bois ou quelque chose de ce genre, il est bien évident que nous faisons cela en témoignage de détestation et non pas en témoignage d'honneur; cependant nous devons nous garder de nous en attribuer quoique ce soit pour notre usage personnel, de peur qu'il ne semble que nous ayons mis la main à cette démolition par pure cupidité et non point par piété. Mais quand ces restes du paganisme passent, au contraire, à un usage public ou au culte du vrai Dieu, ils sont en quelque sorte transformés, comme les hommes eux-mêmes qui abandonnent des pratiques impies et sacrilèges pour embrasser la vraie religion. C'est ce que Dieu nous enseigne par les témoignages que vous avez cités, quand il ordonne de prendre dans le bois sacré des dieux étrangers pour servir à l'holocauste, et de porter dans les trésors du Seigneur tout l'or, l'argent et l'airain de Jéricho. Il est écrit dans le Deutéronome: «Vous ne désirerez point leur or ni leur argent (des images taillées de leurs dieux), vous n'en prendrez rien pour vous, de peur que cela ne vous soit une occasion de chute, parce que cela est en abomination devant le Seigneur votre Dieu: vous ne porterez point dans votre demeure ce qui est digne d'exécration; autrement vous serez anathème comme l'idole même, et vous tomberez, et vous serez souillé par cette abomination, parce qu'elle est anathème (1).» Il résulte qu'il n'est permis ni de faire servir ces idoles à des usages particuliers, ni de les porter chez soi pour leur rendre des honneurs: c'est en cela que seraient l'abomination et l'exécration, et non pas dans le renversement public de ces images et dans la cessation d'un culte sacrilège.

4. Soyez sûr, pour ce qui touche aux viandes immolées aux idoles, que nous n'avons rien à faire au delà des prescriptions de l'Apôtre; rappelez-vous ses paroles; si elles étaient obscures, nous vous les expliquerions selon nos forces. On ne pèche point en mangeant, sans le savoir, quelque chose qu'on a d'abord rejeté comme ayant été offert aux idoles. Un légume, un fruit quelconque qui croît dans un champ appartient à celui qui l'a créé, parce que «la terre est au Seigneur ainsi que

1. Dt 7,25-26.

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tout ce qu'elle contient, et toute créature de Dieu est bonne (1).» Mais si le produit d'un champ est consacré ou sacrifié à une idole, il faut le considérer comme tel. Prenons garde, en refusant de manger des légumes provenant du jardin d'un temple d'idoles, de conclure que l'Apôtre n'aurait dû prendre aucune nourriture à Athènes, parce que cette ville était consacrée à Minerve. J'en dirai autant de l'eau d'un puits ou d'une fontaine dans un temple; il est vrai qu'on éprouvera plus de scrupules si on a jeté dans ce puits ou cette fontaine quelque chose qui ait servi aux sacrifices. Mais il en est de même de l'air que reçoit toute la fumée de ces autels; si on veut trouver ici une différence par la raison que le sacrifice dont la fumée se mêle à l'air n'est pas offert à l'air même, mais à une idole ou à un démon, et que parfois ce qu'on jette dans les eaux est un sacrifice aux eaux elles-mêmes, nous dirons que les sacrifices offerts sans cesse au soleil par des peuples sacrilèges, n'empêchent pas que nous nous servions de sa lumière. On sacrifie aussi aux vents, et nous nous en servons pour les besoins de notre vie, pendant qu'ils paraissent humer et dévorer la fumée des sacrifices. Si quelqu'un, ayant des doutes sur une viande immolée ou non aux idoles, finit par croire qu'il n'y a pas eu immolation, et mange de cette viande, il ne pèche pas; quoiqu'il ait pu penser auparavant qu'il y avait eu immolation, il ne le pense plus,: il n'est pas défendu de ramener ses pensées du faux au vrai. Mais si quelqu'un croit bien ce qui est mal et qu'il le fasse, il pèche, même en croyant faire bien; on appelle péchés d'ignorance ceux que l'on commet ainsi en prenant le mal pour le bien.

5. Je ne suis pas d'avis qu'on puisse tuer un. homme pour éviter d'être tué soi-même, à moins par hasard (2) qu'on ne soit soldat ou revêtu d'une fonction publique, de façon qu'on ne frappe pas pour soi-même, mais pour les autres, pour une cité. par exemple où l'on réside avec une légitime autorité (3). Mais c'est parfois

1. Ps 23,1 1Co 10,25-26 1Tm 4,4. - 2. Le texte porte: nisi forte sit miles. Il nous paraîtrait étrange de traduire le mot forte par peut-être, comme on l'a fait; il n'a pas pu entrer dans l'esprit de saint Augustin de mettre en doute le droit de la guerre, de repousser la force par la force. L'évêque d'Hippone s'en est expliqué dans une lettre au comte Boniface, où il trace aux gens de guerre leurs devoirs. - 3. Saint Augustin avait déjà exprimé son sentiment à cet égard dans le premier livre du Libre arbitre, chap. V; il pense comme Evode qu'on n'est pas exempt de péché aux yeux de, Dieu quand on se souille du meurtre d'un homme pour défendre des choses qu'il faut mépriser. Il y aurait ici une distinction à faire. Il n'est pas permis de tuer pour ne défendre que son or ou son argent et ce qu'on appelle les biens de la terre, mais la vie est d'un prix supérieur à tous les biens d'ici-bas. Saint Augustin, en refusant le droit de tuer à celui qui est dans le cas de légitime défense de soi-même, avait sans doute présent ce passage de saint Ambroise, au troisième livre des Offices, chap. IV: «Il ne parait pas qu'un homme chrétien, juste et sage, doive défendre sa vie par la mort d'autrui: lors même qu'il tomberait entre les mains d'un voleur armé, il ne peut pas frapper qui le frappe, de peur qu'en défendant sa vie il ne compromette la piété.» Saint Cyprien, dans sa lettre 57,dit en termes positifs: «Il n'est pas permis de tuer, mais il faut se laisser tuer.» Et, dans sa lettre 57,saint Cyprien dit encore: «Il n'est pas permis de tuer a celui qui fait du mal à des innocents.» L'opinion commune des théologiens catholiques, soutenus par l'autorité de saint Thomas, n'est pas conforme sur ce point au sentiment de saint Augustin, de saint Ambroise et de saint Cyprien. Ils pensent que, dans un cas de nécessité extrême et pour défendre sa vie, un homme peut en tuer un autre.

fois rendre service aux gens que de les effrayer de quelque manière, dans le but de les empêcher de faire le mal. Il a été dit: «Ne résistons pas au mal (1),» pour que nous ne nous plaisions pas dans la vengeance qui nourrit le coeur du mal fait à autrui, et non pas pour que nous négligions de réprimander ceux qui méritent de l'être. Par conséquent, celui qui aura élevé un mur autour de son champ ne sera pas coupable de la mort de l'homme écrasé par le renversement de ce mur. Un chrétien n'est pas non plus coupable d'homicide parce que son boeuf ou son cheval a tué quelqu'un; autrement il faudrait dire que les boeufs des chrétiens ne doivent pas avoir des cornes, leurs chevaux des pieds, leurs chiens des dents. Lorsque l'apôtre Paul, informé que des scélérats lui dressaient des embûches, en eut averti le tribun et eut reçu une escorte armée (2), il ne se serait pas imputé à crime l'effusion de sang, si ces misérables étaient tombés sous les coups des soldats armés. A Dieu ne plaise qu'on veuille nous rendre responsables du mal qui pourrait arriver contre notre volonté dans ce que nous faisons de bon et de licite! Autant vaudrait-il nous interdire les instruments de fer, soit pour les usages domestiques, soit pour le labourage, par la raison qu'on pourrait se tuer ou tuer quelqu'un; il faudrait n'avoir aussi ni arbre ni corde, de peur qu'on ne se pende, et ne plus construire de fenêtres, de peur qu'on ne s'en précipite. Si je voulais continuer ici, je n'en finirais pas. Y'a-t-il, à l'usage des hommes, quelque chose de bon et de permis d'où le mal ne puisse sortir?

6. Il me reste à parler, si je ne me trompe, de ce chrétien en voyage que vous supposez vaincu par le besoin de la faim, ne trouvant de la nourriture que dans un temple d'idoles, et n'y rencontrant personne; vous me demandez

1. Mt 5,39. - 2. Ac 23,17-24.

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s'il doit se laisser mourir de faim plutôt que de toucher à cette nourriture. De ce que cette viande est dans le temple, il ne s'en suit pas qu'elle ait été offerte aux idoles; un passant a pu laisser là les débris de son repas volontairement ou par oubli. Je réponds donc brièvement: ou il est certain que cette viande a été immolée aux idoles, ou il est certain qu'elle ne l'a pas été, ou bien on n'en sait rien; si l'immolation est certaine, mieux vaut qu'un chrétien ait la force de s'en abstenir; si on sait le contraire, ou si on ne sait rien, on peut, pressé par le besoin, manger de cette viande sans aucun scrupule de conscience.




LETTRE XLVIII. (Année 398)

Saint Augustin se recommande aux prières des moines de l'île de Capraia; il dit dans quel esprit il faut aimer le repos et pratiquer les bonnes oeuvres, et comment il faut se tenir toujours prêt pour les besoins de l'Eglise.

AUGUSTIN ET LES FRÈRES QUI SONT AVEC LUI,A SON CHER ET TRÈS-DÉSIRÉ FRÈRE ET COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, EUDOXE, ET AUX FRÈRES QUI SONT AVEC LUI,SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Quand nous songeons au repos dont vous jouissez dans le Christ, nous nous sentons reposés nous-mêmes dans votre charité, malgré le poids et la diversité de nos travaux. Nous ne sommes qu'un même corps sous un chef unique; vous avez nos labeurs comme nous avons vos loisirs; «si un membre souffre, tous souffrent aussi, et si un membre reçoit quelque gloire, tous les membres se réjouissent avec lui (1).» C'est pourquoi nous vous avertissons, nous vous demandons, nous vous conjurons, par la profonde humilité du Christ et sa grandeur miséricordieuse, de vous souvenir de nous dans vos saintes oraisons que nous croyons plus vives et meilleures que les nôtres; car bien souvent nos prières se trouvent comme frappées et affaiblies par les ombres et le bruit des occupations séculières; ce n'est pas pour nos propres affaires que nous subissons tout ce tracas; ceux pour qui nous agissons nous contraignent à faire mille pas, et nous nous imposons d'en faire avec eux deux mille autres (2); aussi notre fardeau est si grand que nous respirons à peine. Nous croyons, cependant, que celui vers qui s'élèvent les gémissements des captifs (1) nous délivrera, grâce à vos prières, de toutes nos tribulations, si nous persévérons dans le ministère où il a daigné nous établir avec promesse de récompense.

1. 1Co 12,26. - 2. Mt 5,41.

2. Pour vous, frères, nous vous exhortons, dans le Seigneur, à demeurer fidèles à vos résolutions jusqu'à la fin; si l'Eglise, notre mère, vient à vous demander quelque oeuvre, tenez-vous en garde à la fois contre une ardeur trop vive et trop impatiente, et contre les caressantes inspirations d'un trop grand amour du repos; mais obéissez doucement et soumettez-vous pleinement à Dieu qui vous gouverne, qui dirige dans la justice les coeurs dociles et enseigne ses voies à ceux qui sont doux (2). Ne préférez point votre repos aux besoins de l'Eglise: si aucun homme de bien n'avait voulu l'assister dans son enfantement, vous n'auriez jamais pu naître à la vie spirituelle. De même qu'il faut tenir le milieu entre le feu et l'eau pour ne pas être brûlé ni submergé, ainsi nous devons régler notre route entre les hauteurs de l'orgueil et l'abîme de la paresse, «ne «nous détournant ni à droite ni à gauche,» comme dit l'Ecriture (3). Il en est qui, pour trop craindre de se laisser emporter vers la droite, se précipitent dans les profondeurs de la gauche; et d'autres, pour trop s'écarter de la gauche et ne pas être engloutis dans une languissante et molle oisiveté, se laissent corrompre par le faste et la vanité, et s'évanouissent en,étincelles et en fumée. Ainsi donc, frères très-chers, aimez le repos, mais pour y apprendre à ne plus aimer les choses de la terre, et souvenez-vous qu'il n'y a pas de lieu dans l'univers où ne puisse nous tendre des piéges celui qui craint que nous ne reprenions notre essor vers Dieu; l'ennemi de tout bien craint que nous ne le jugions après avoir été ses esclaves pensez qu'il n'y aura pas pour nous de repos parfait jusqu'à ce que «l'iniquité soit passée (4),» et que la «justice se change en jugement (5).»

3. Lors donc que vous faites quelque chose avec courage, ardeur ou vigilance, soit dans les oraisons, soit dans les jeûnes, soit dans les aumônes; quand vous secourez les indigents ou que vous pardonnez les injures,-comme Dieu nous a pardonné à nous-mêmes dans le Christ (6); quand vous triomphez des mauvaises habitudes, que vous châtiez votre corps et le réduisez en servitude (7); quand vous endurez patiemment

1. Ps 79,11. - 2. Ps 24,10. - 3. Dt 17,11. - 4. Ps 57,2. - 5. Ps 93,15. - 6. Ep 4,32. - 7. 1Co 9,27.

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les tribulations et qu'avant tout vous vous supportez avec amour les uns les autres (car que supportera-t-il celui qui ne supporte pas son frère?); quand vous découvrez. l'astuce et les embûches du tentateur, et que, «avec le bouclier de la foi, vous repoussez et vous éteignez ses traits enflammés (1);» quand vous chantez et vous psalmodiez au fond de vos coeurs pour le Seigneur (2), ou que vos voix s'unissent à vos âmes, faites tout pour la gloire de Dieu, qui «opère tout en tous (3); conservez-vous si bien dans la ferveur de l'esprit (4) que votre âme ne mette sa gloire que dans le Seigneur (5).» Telle est la voie droite; on y marche avec les yeux attachés sur le Seigneur, parce que «c'est lui qui retirera du piège nos pieds (6).» Cette manière de vivre n'est pas brisée par les affaires, ni refroidie par le repos; elle n'est. ni: turbulente ni accablée, ni audacieuse, ni timide, ni précipitée, ni pesante. Faites ces choses et le Dieu de paix sera avec vous (7).

4. Que votre charité ne se plaigne point de tout ce que j'ai dit dans cette lettre. Je ne vous ai point exhortés sur ce que je crois que vous ne faites pas; mais j'ai pensé que vous me recommanderiez beaucoup à Dieu, si vous mêliez le souvenir de mes paroles aux oeuvres que vous accomplissez par sa grâce; car j'avais déjà connu pair la renommée, et récemment nos frères Eustase et André nous ont rapporté, à leur retour d'auprès. de vous, la bonne odeur du Christ qui s'exhale de votre sainte vie. Eustase vient de nous précéder dans l'éternel repos, où l'on n'entend point ces flots du temps pareils à ceux dont votre île est battue; il ne désire plus retourner à Capraïa, parce qu'il n'a plus besoin de cilice (8).

1. Ep 6,16. - 2. Ep 5,19. - 3. 1Co 10,31 1Co 12,6. - 4. Rm 12,11. - 5. Ps 33,3. - 6. Ps 24,15. - 7. 2Co 13,11.

8. Pour comprendre ces derniers mots, il faut savoir que dans l'île de Capraïa on faisait autrefois beaucoup de cilices en poil de chèvre à l'usage des religieux; Capraïa tire son nom du grand nombre de chèvres qu'on rencontre dans l'île.




LETTRE XLIX. (Année 399)

Saint Augustin marque avec précision les points sur lesquels il faut qu'on s'explique sur la question du donatisme.

AUGUSTIN, ÉVÊQUE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE, A HONORÉ, ÉVÊQUE DU PARTI DE DONAT.

1. Nous avons fort goûté le projet que vous avez bien voulu nous communiquer par notre très-cher frère Héros, homme digne de louange en Jésus-Christ, de discuter avec nous dans des lettres, sans ce tumulte inséparable de la foule; une telle discussion doit commencer et s'achever avec une entière douceur et paix d'esprit, selon les paroles de l'Apôtre: «Il ne faut pas que le serviteur du Seigneur soit en contestation, mais il faut qu'il soit doux envers tous, capable d'enseigner, patient, et qu'il reprenne avec bonté ceux qui pensent autrement que lui (1).» Marquons donc en peu de mots les points sur lesquels nous souhaitons que vous nous répondiez.

2. Nous voyons l'Eglise de Dieu, que l'on nomme l'Eglise catholique, répandue dans tout l'univers, selon ce qui a été annoncé, et nous ne croyons pas devoir douter de l'accomplissement si évident de la sainte prophétie, confirmée par le Seigneur dans l'Evangile, et par les Apôtres qui ont étendu cette même Eglise. Cela a été prédit, car en tête du très-saint livre des psaumes il est écrit sur le Fils de Dieu: «Le Seigneur m'a dit: vous êtes mon fils, je «vous ai engendré aujourd'hui; demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage, et j'étendrai votre possession jusqu'aux extrémités de la terre (2).» Le Seigneur Jésus-Christ lui-même dit que son Evangile se répandra chez toutes les nations (3). Saint Paul, avant que la parole de Dieu fût parvenue en Afrique, disait au commencement de son Epître aux Romains: «Par, qui (Jésus-Christ) nous avons «reçu la grâce et l'apostolat, pour faire obéir «en son nom toutes les nations à la foi (4).» L'Apôtre, parti de Jérusalem, prêcha l'Evangile dans toute l'Asie et jusqu'en Illyrie, et partout il établit et fonda des Eglises; ce n'était pas lui, mais la grâce de Dieu qui était avec lui, comme il le témoigne lui-même (5). Quoi de plus visible et de plus clair, quand nous lisons dans ses Epîtres les noms des contrées et des villes où il a passé? Il écrit aux Romains, aux Corinthiens, aux Galates, aux Ephésiens, aux Philippiens, aux Thessaloniciens, aux Colossiens. Saint Jean écrit aussi aux sept Eglises dont il mentionne l'établissement dans ces régions, et dont le nombre sept représente, croyons-nous, l'Eglise universelle Ephèse, Smyrne, Sardes, Philadelphie, Laodicée, Pergame, Thiatyre (6). Il est évident que nous

1. 2Tm 2,24-25. - 2. Ps 2,7-8. - 3. Mt 24,14. - 4. Rm 1,5. - 5. 1Co 15,10. - 6. Ap 1,11.

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sommes en communion avec toutes ces Eglises, comme il est évident que vous ne communiquez pas avec elles.

3. C'est pourquoi nous vous demandons de ne pas craindre de nous répondre comment il a pu se faire que le Christ ait perdu son héritage répandu sur la terre entière, et qu'il ait été 'tout à coup réduit aux seuls Africains, et encore pas à tous, car l'Eglise catholique est aussi en Afrique, parce que Dieu a voulu qu'elle s'étendît dans le monde entier, et il l'a ainsi prédit. Votre parti, au contraire, qui porte le nom de Donat, n'est pas dans tous les lieux où ont retenti les écrits, les discours et les actions des apôtres. Ne dites pas que notre Eglise ne s'appelle point catholique, mais macarienue, comme vous la nommez; vous devez savoir, et, si vous l'ignorez, vous pourriez apprendre très-aisément que dans toutes ces régions d'où l'Evangile s'est répandu à travers l'univers, on ne connaît ni le nom de Donat ni le nom de Macaire. Vous ne pouvez pas nier que votre parti s'appelle le parti de Donat, et qu'il est désigné sous ce nom partout où se rencontrent des hommes de votre communion. Daignez donc nous apprendre comment il se fait que le Christ ait perdu son Eglise dans toute la terre, et de quelle manière il a commencé à ne plus avoir d'Eglise que parmi vous; c'est à vous qu'il appartient de répondre à cela; il suffit à notre cause que nous voyions dans l'univers l'accomplissement de la prophétie et des saintes Ecritures. Voilà ce que j'ai dicté, moi Augustin, parce gale depuis longtemps je veux m'entretenir de ces matières avec vous. Il me paraît, à cause de notre voisinage, que nous pouvons traiter ces questions par lettres et sans bruit, avec l'aide de Dieu, autant que le besoin de la vérité nous le demandera.




LETTRE L. (Année 399)

Saint Augustin se plaint du meurtre de soixante chrétiens, et propose de remplacer une statue d'Hercule dont la disparition ou la destruction avait été la cause ou le prétexte de cette sanglante atrocité. Les Bénédictins ont donné cette lettre sans observation. Le traducteur Dubois prévient son lecteur qu'il ne la donne que pour servir de nombre et pour n'être pas obligé de changer le chiffre de celles qui suivent; elle lui paraît trop impertinente pour qu'il l'attribue à saint Augustin; de plus, il n'y reconnaît pas le style de l'évêque d'Hippone. Nous ne trouvons, quant à nous, rien d'extraordinaire dans le ton de cette lettre; il nous semble naturel qu'un évêque s'émeuve du meurtre de soixante chrétiens, et les railleries qu'il se permet à l'endroit d'Hercule n'ont pas besoin qu'on les justifie. Nous avons vu d'ailleurs, lettre XVIIIe, avec quelle habileté le grand docteur pouvait manier l'ironie. Peut-être le style de cette lettre offre-t-il quelque chose qui n'est pas la manière accoutumée de saint Augustin; mais fût-elle partie d'une main étrangère, nous n'aurions pas moins cru devoir lui laisser sa place, non pour servir de nombre, mais pour reproduire une pièce d'un curieux intérêt historique, au sujet des soixante martyrs de Suffec, dont le martyrologe romain a gardé la mémoire (le 30 août).

AUGUSTIN, ÉVÊQUE, AUX CHEFS ET AUX ANCIENS DE LA COLONIE DE SUFFEC (1).

L'énorme crime que votre cruauté a commis, au moment où on s'y attendait le moins, frappe la terre et le ciel; sur vos places publiques et dans vos temples on voit encore des traces de sang, et vos rues retentissent de meurtres. Chez vous on a enfoui les lois romaines, la salutaire terreur de la justice est foulée aux pieds; les empereurs ne sont assurément ni respectés ni redoutés. Le sang innocent de soixante de nos frères a coulé dans votre cité; celui qui en a le plus tué a reçu le plus de louanges et a tenu le premier rang dans votre sénat. Venons maintenant à ce qui est pour vous l'affaire principale. Si vous prétendez que l'hercule était à vous, nous vous le rendrons; il y a encore des métaux, les pierres ne manquent pas, on trouve plusieurs sortes de marbres, et les ouvriers abondent. On se hâte de sculpter votre dieu, on est en train de l'arrondir et de l'orner; nous y ajoutons du vermillon pour son visage, afin que vos fêtes sacrées en reçoivent plus d'éclat. Du moment que l'Hercule était à vous, nous nous cotisons pour vous acheter un dieu fait par votre artiste. Mais si nous vous rendons votre Hercule, rendez-nous tant de frères auxquels vous avez arraché la vie.




LETTRE LI. (399 ou 400)

Saint Augustin s'adresse à Crispinus, évêque donatiste de Calame, et voudrait l'amener à une discussion par écrit, afin qu'on ne lui fasse pas dire le contraire de ce qu'il dit; il relève des contradictions frappantes dans la conduite des donatistes.

AUGUSTIN A CRISPINUS.

1. Je n'ai pas donné d'autre titre à ma lettre parce que ceux de votre parti me blâment de mon humilité; vous pourriez croire que je veux par là vous faire injure, si je ne vous

1. Suffec était une ville épiscopale de la Bysacène, ancienne province représentée aujourd'hui par la Régence de Tunis.

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demandais pas de me traiter de la même manière que je vous traite. Que vous dirai-je de la promesse que vous m'aviez faite ou que j'avais instamment sollicitée de vous à Carthage? De quelque façon que les choses se soient passées, n'en parlons plus, de peur que ce qui nous reste à accomplir n'en soit entravé.. Aujourd'hui, Dieu aidant, il n'y, a plus d'excuse, si je ne me trompe; nous sommes tous les deux en Numidie, et les lieux que nous habitons nous rapprochent l'un de l'autre (1). J'ai entendu dire que vous vouliez disputer encore avec moi sur la question qui nous divise. Voyez combien en peu de mots toutes les ambiguïtés disparaissent; répondez à cette lettre si vous voulez bien, et peut-être cela suffira, non-seulement à nous, mais encore à ceux qui désirent nous entendre; et si cela ne suffit pas, écrivons jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits. Quel plus grand avantage pourrions-nous retirer du voisinage des villes où nous sommes? Quant à moi, je suis décidé à ne plus m'occuper de ces questions avec vous, si ce n'est par lettres, pour que rien de ce qui aura été dit ne puisse être oublié, et pour que ceux qui s'appliquent à ces choses, et qui ne pourraient pas assister à nos conférences, ne soient pas trompés. Vous avez coutume de débiter des faussetés sur ce qui s'est passé, et de le raconter comme il vous plaît; c'est peut-être plus par erreur que par intention de mentir. C'est pourquoi, si cela vous plaît, n'en jugeons que par les choses présentes.

Vous n'ignorez pas sans doute qu'aux temps de l'ancienne loi le peuple commit le crime de l'idolâtrie, et qu'un livre de prophéties fut brûlé par un roi impie (2); ces deux crimes furent moins sévèrement punis que le schisme, ce qui prouve toute la gravité de ce dernier mal aux yeux de Dieu. Vous vous rappelez comment la terre s'ouvrit pour engloutir tout vivants les auteurs du schisme, et comment le feu du ciel dévora ceux qui y avaient adhéré (3). L'idole fabriquée et adorée, le livre saint brûlé n'attirèrent pas sur les coupables d'aussi terribles châtiments.

2. Pourquoi donc, vous qui avez coutume de nous reprocher. ce crime qui n'est pas prouvé contre nous et qui l'est beaucoup contre vous, ce crime d'avoir livré les Ecritures du

1. Il y a environ quinze lieues d'Hippone à Calame. Nous avons trouvé des vestiges de la voie romaine entre ces deux cités. Voir notre Voyage en Algérie (Etudes Africaines), chap. 13. - 2. Jr 36,23. - 3. Nb 16,31-35.

Seigneur pour être brûlées devant les menaces, de la persécution, pourquoi, dis-je, avez-vous maintenu dans l'épiscopat des pontifes que vous aviez condamnés pour crime de schisme «par et la bouche véridique d'un concile universel (1),» des pontifes comme Félicien de Musti (2) et Prétextat d'Assuri? Ils n'étaient pas, comme vous le dites aux ignorants, du nombre de ceux qui échappaient à la sentence, si, avant l'expiration d'un délai fixé par votre concile, ils rentraient dans votre communion; mais ils furent de ceux que vous condamnâtes sans délai le jour même où un délai fut par vous accordé aux autres. Si vous le niez, je le prouverai; votre concile parle; nous avons dans nos mains les actes proconsulaires, avec le témoignage desquels vous l'avez déclaré plus d'une fois. Préparez, si vous le pouvez, une autre manière de vous défendre; nier ce que j'établirais si aisément ne serait qu'une perte de temps. Si donc Félicien et Prétextat étaient innocents; pourquoi ont-ils été condamnés? S'ils étaient coupables, pourquoi ont-ils été réintégrés? Si vous prouvez leur innocence, pourquoi ne croirions-nous pas que ceux qui furent condamnés par vos prédécesseurs., réunis en bien plus petit nombre, étaient innocents, lorsque trois cent dix de leurs successeurs, à qui on a donné: le titre superbe d'organe véridique d'un «concile universel,» ont pu faussement condamner pour crime de schisme? Et si vous prouvez que Félicien et Prétextat ont été à bon droit condamnés, que vous reste-t-il pour vous défendre de les avoir maintenus sur leurs sièges, sinon de vanter outre mesure l'importance et le bien de la paix, et de montrer qu'il faut supporter ces crimes mêmes pour ne pas rompre le lien de l'unité? Plût à Dieu que vous pratiquassiez cela, non de bouche, mais de toutes les forces du coeur 1 Vous reconnaîtriez sans doute que des calomnies d'aucune sorte ne doivent rompre la paix du Christ par toute la terre, s'il est permis en Afrique, dans l'intérêt du parti de Donat, de recevoir des évêques condamnés pour un schisme sacrilège.

3. Vous avez coutume aussi de nous reprocher de vous persécuter par les puissances temporelles; je ne dispute pas avec vous là

1. Il s'agit ici du conciliabule schismatique de Bagaie,auquel les donatistes donnaient le nom de Concile universel. - 2. Musti était situé sur la route de Carthage à Théveste; ses ruines s'appellent Enchir-mest; on y voit un arc de triomphe encore debout.

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dessus; je ne veux pas vous dire tout ce que vous mériteriez pour l'énormité d'un si grand sacrilège, et je me tais sur la modération que la douceur chrétienne n'a cessé de nous inspirer; mais je dirai ceci: Pourquoi, si cela est un crime, pourquoi avez-vous persécuté violemment ces maximianistes au moyen des juges envoyés par ces empereurs que notre communion a enfantés à la foi de l'Évangile? Pourquoi les avez-vous chassés de leurs basiliques, de ces basiliques où les trouva le schisme naissant? Pourquoi les en avez-vous chassés par le tumulte des disputes publiques, par la puissance des ordres reçus et l'intervention violente des soldats appelés à votre secours? Des traces récentes nous montrent ce qu'ils ont souffert dans cette attaque; les écrits témoignent des ordres donnés, et, quant aux faits, ils sont publiés dans ces pays mêmes qui honorent pieusement la mémoire d'Optat, votre tribun (1).

4. Enfin, vous êtes dans l'habitude de dire que nous n'avons point le baptême du Christ, et qu'il n'existe que dans votre communion. Je pourrais disserter longuement ici; mais il n'en est plus besoin contre vous qui avez admis le baptême des maximianistes avec Félicien et Prétextat. Tous ceux qu'ils ont baptisés, lorsqu'ils étaient en communion avec Maximien et que vous travailliez devant les tribunaux à les chasser de leurs basiliques, comme les actes le rapportent; tous ceux, dis-je, qu'ils ont baptisés à cette époque sont restés aven eux et avec vous; oui, de tous ceux qu'ils ont baptisés ostensiblement dans le crime du schisme, non-seulement en cas de maladies dangereuses, mais encore pendant les solennités pascales, dans leurs nombreuses églises et dans leurs grandes cités, il n'en est pas un seul auquel on ait réitéré le baptême. Plût à Dieu que vous pussiez prouver que ceux que Félicien et Prétextat avaient inutilement et publiquement baptisés dans le crime du schisme, ont été utilement et secrètement rebaptisés par eux, après que vous eûtes admis ces deux évêques dans vos rangs! En effet, s'il fallait baptiser une seconde fois ceux-là, il fallait ordonner ceux-ci une seconde fois; car, en se séparant de vous, les deux évêques avaient perdu le caractère de l'épiscopat, s'ils ne pouvaient plus baptiser en dehors de votre communion; et si, en se séparant

1. Ce fut cet Optai, évêque donatiste de Tamugas, qui força les donatistes à réintégrer, dans leur communion, Félicien de Musti et Prétextai d'Assuri, dont il est parlé dans cette lettre.

de vous, ils avaient gardé leur caractère d'évêque, ils avaient pu évidemment baptiser. Si au contraire ils l'avaient perdu, ils auraient dû, en revenant à vous, être de rechef ordonnés, afin de recouvrer ce qu'ils n'avaient plus. Mais ne craignez rien: autant il est certain qu'ils sont revenus avec le même caractère d'évêque qu'ils avaient en vous. quittant, autant il est sûr que ceux qu'ils ont baptisés dans le schisme de Maximien sont rentrés avec eux dans votre communion sans aucune réitération du baptême.

5. Où donc trouver assez de larmes pour déplorer que le baptême des maximianistes soit admis, et qu'on souffle sur le baptême du monde entier? Que vous ayez condamné Félicien, condamné Prétextat après les avoir entendus ou sans les entendre, avec ou sans justice, je né m'en occupe pas en ce moment; mais dites-moi: quel évêque des Corinthiens a été entendu ou condamné par quelqu'un des vôtres? Avez-vous entendu quelque évêque des Galates, des Ephésiens, des Colossiens, des Philippiens, des Thessaloniciens et de toutes les autres cités dont il a été dit: «Toutes les nations de la terre seront en adoration en sa présence (1)?» Et cependant le baptême des maximianistes est admis, et on repousse le baptême de tous ces chrétiens, qui n'est pas le baptême de tel ou tel, mais de celui dont il a été dit: «C'est celui qui baptise (2).» Mais je ne m'arrête pas à ceci; regardez ce qui est devant vous, voyez ce qui frapperait les yeux d'un aveugle: le baptême est avec des gens condamnés et n'est point avec ceux qu'on n'a pas entendus! Il est avec des gens nommément expulsés de votre communion pour crime de schisme, et n'est pas avec ceux qui vous sont inconnus, qui habitent des pays lointains, qui n'ont jamais été accusés, jamais jugés! Il est avec des Africains séparés d'une portion de l'Afrique, et n'est pas avec les habitants des contrées d'où l'Évangile est venu en Afrique! Pourquoi vous chargerai-je davantage? Répondez seulement à tout ceci. Voyez combien, dans votre concile, on fait peser sur les maximianistes le sacrilège du schisme; voyez les persécutions que vous leur avez infligées par les puissances judiciaires; voyez leur baptême que vous avez admis en les admettant eux-mêmes après- les avoir condamnés. Et dites-moi, si vous le pouvez, comment il vous sera possible

1. Ps 21,28. - 2. Jn 1,33.

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de tromper les ignorants et d'expliquer pourquoi vous demeurez séparés de toute la terre par un schisme bien plus criminel que celui que vous vous glorifiez d'avoir condamné dans les maximianistes. Que la paix du Christ triomphe heureusement dans votre coeur!





Augustin, lettres - LETTRE XLVI. (Année 398)