Augustin et Maximin - CHAPITRE XXV. SAINT AUGUSTIN JUSTIFIE CETTE PROPOSITION QUE LE PÈRE EST PLUS GRAND QUE LE FILS, CONSIDÉRE COMME HOMME, ET QUE CELA SUFFIT À SA GLOIRE.

CHAPITRE 26. IL EST FAUX QU'AVANT L'INCARNATION, LE FILS DE DIEU SE SOIT RENDU HABITUELLEMENT VISIBLE AUX HOMMES.

1 . Le dernier point de votre discussion concerne la question de savoir comment Dieu apparut aux anciens, quand le Christ n'avait pas encore pris le corps humain dans lequel il s'est fait voir, puisque la nature divine est de soi invisible. Vous aviez vous-même reconnu d'abord, entre autres choses, que ni le Père, ni même le Fils ne se sont rendus visibles dans la substance de leur divinité, non-seulement aux hommes, mais encore aux puissances célestes; puis, changeant de sentiment; vous dites que le Fils s'est fait voir aux yeux mortels, même avant l'incarnation, et vous affirmez que ce passage de l'Apôtre: «Nul homme ne l'a vu, a et ne peut le voir (1)», regarde uniquement Dieu le Père; quant au Fils, dès l'origine du genre humain, il se serait rendu habituellement visible aux hommes. Voulant administrer les preuves de cette assertion, vous avez mis en avant beaucoup de textes des saintes Ecritures, qui n'ont pu vous être d'aucun secours. En effet, vous ne lisez nulle part que Moise ait écrit, comme vous l'affirmez, que le Fils s'est toujours fait voir depuis Adam, le premier homme, jusqu'à l'Incarnation. Vous dites qu'il décrit cela dans le livre de la Genèse; mais cette assertion est tellement erronée, qu'elle est même ridicule. Est-ce que le livre de la Genèse renferme en effet tous les événements accomplis depuis Adam jusqu'à l'incarnation de Jésus-Christ? Ou bien, est-ce que Moïse a vécu dans la chair, ou écrit les faits qui se sont passés jusqu'à l'époque de l'incarnation de Jésus-Christ? Voilà ce que vous affirmez, et vous pensez dire quelque chose, ou vous passez pour parler sérieusement, aux yeux de ceux qui sont incapables de discerner des erreurs aussi évidentes.

2. Inopportunité et maladresse des citations empruntées par Maximin aux deux premiers chapitres de la Genèse. - Après cela, à quoi bon, je vous le demande, nous rappeler que le Père a dit au Fils: «Faisons l'homme à notre

1. 1Tm 6,16

image et à notre ressemblance»; à quoi bon, je le répète? Aviez-vous donc tant de loisir de parler, que sans faire attention à prouver ce que vous vous étiez proposé, vous nous ressassiez- de mémoire et sans aucune utilité les passages de la Genèse? De ce que le Père a dit au Fils: «Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance», s'ensuit-il, comme preuve concluante, que le Christ s'est rendu visible aux hommes avant son incarnation? Puis vous citez ce texte: «Et Dieu fit l'hommme (1)»; et vous ajoute: Quel est ce Dieu, sinon le Fils? Et pour m'en imposer en quelque sorte par une citation tirée de mes oeuvres: Voilà certainement, dites-vous, ce que vous avez enseigné dans vos traités. Je ne veux pas rechercher ici jusqu'à quel point vous dites vrai, dès que je vois que ce que vous avancez n'a point de rapport à notre discussion. Il s'agit effectivement entre nous de savoir si le Christ s'est manifesté aux hommes dans la substance de sa divinité. Et vous dites Dieu a fait l'homme; puis vous ajoutez: Quel est ce Dieu, sinon le Fils? comme s'il eût été nécessaire pour cela que l'homme vît de ses yeux mortels le Dieu gui l'a créé? Mais s'il en était ainsi, tous les hommes verraient Dieu: quel autre en effet leur donne la vie au sein maternel? Vous poursuivez encore sur le même ton: Ce Fils, qui est le prophète de son Père, disait donc: «Il n'est pas bon que l'homme soit seul; faisons-lui une aide semblable à lui (2)». Si je vous demandais qui vous a dit que ces paroles sont du Fils, en quel embarras ne vous trouveriez-vous pas? Car l'Ecriture qui a dit: «Au commencement Dieu fit le ciel et la terre», sans désigner si c'est le Père, ou le Fils, ou le Saint-Esprit, ou la Trinité, qui est un seul Dieu, à qui il faille attribuer cette création, continue à nommer Dieu pour les autres oeuvres, et à le donner comme leur créateur, en employant ces expressions: «Et Dieu fut, et Dieu dit». C'est la même manière de parler dans cet endroit: «Et Dieu dit: Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance; et Dieu fut l'homme»; et dans cet autre: «Il n'est pas bon que l'homme soit seul; faisons-lui une aide semblable à lui». Qu'est-ce donc qui vous a persuadé que ceci a été dit par le Fils, et ce qui précède, par le Père? Comment, je vous le demande, voyez-vous, distinguez-vous que le

1. Gn 1,26-27 - 2. Gn 2,18

648

Père a dit: «Que la lumière soit (1)», etc.; que le Père a dit enfin: «Faisons l'homme», et le Fils: «Faisons-lui une aide», tandis que l'Écriture n'emploie constamment d'autre formule que la suivante: «Dieu dit?» Que signifie cette témérité; cette présomption? Après cela, comme vous fondez ordinairement la supériorité relative du Père sur ce qu'il a dit: Que ceci ou cela soit, ce qui serait comme des ordres qu'il donne au Fils; et l'infériorité relative du Fils; sur sa soumission à remplir les ordres de son Père; que direz-vous sur ce passage: «Faisons l'homme?» Car ce n'est plus l'espèce de formule impérative adressée au Fils, comme précédemment. Que l'homme soit fait; mais: «Faisons l'homme», porte le texte sacré. Je ne demande pas quel est, à votre avis, celui qui s'est exprimé de la sorte car nous savons déjà par vous que ces paroles sont adressées par le Père au Fils. Pourquoi donc n'a-t-il pas dit: Qu'il soit fait; ou Faites; mais: «Faisons?» Est-ce que Dieu a commandé le reste, et le Fils mis ses ordres à exécution; tandis que tous deux auraient fait l'homme, le Père en donnant l'ordre et coopérant à l'oeuvre, le Fils né donnant point d'ordre, mais le mettant seulement à exécution? Mais si, selon vous, le Père a commandé, parce qu'il est écrit: «Dieu dit: Faisons l'homme», il faut admettre que le Fils, lui aussi, a commandé; car vous affirmez qu'il faut attribuer, non au Père, mais au Fils, ces expressions: «Faisons-lui une aide». Et de même que sur ce passage: «Et Dieu fit l'homme», vous voulez voir la soumission du Fils obéissant à l'ordre de son Père, parce que le Père venait de dire: «Faisons l'homme»; de même, quand nous lisons: «Le Seigneur envoya à Adam un profond sommeil, et prit une de ses côtes», et le reste, où se trouve décrite la création de l'aide donnée à l'homme, nous devons, d'après vous, comprendre que le Père s'est en cela montré docile à un ordre de son Fils, puisque vous, attribuez, non au Père; mais au Fils, ces paroles: «Faisons-lui une aide».

3. Maximin a promis de prouver que le Fils a apparu au premier homme et à la première femme. Qu'il tienne sa promesse; le défi lui en est jeté. - Mais je dis cela, comme si parmi les choses qu'il vous a plu de croire ou d'imaginer sur ce sujet, il y avait

1. Gn 1,1-27 - 2. Gn 2,18

quelque rapport avec le sujet qui nous occupe. Au fait, selon vous, ces paroles: «Faisons l'homme», contiendraient un ordre du; Père; et celles-ci: «Et Dieu fit l'homme», marqueraient l'obéissance du Fils: il vous plait également de dire que les paroles suivantes sont du Fils: «Il n'est pas bon que l'homme soit seul; faisons-lui une aide»; mais, en disant cela, il n'aurait pas donné d'ordre, parce qu'il vous convient de le penser: comment prouvez-vous que le Fils, qui a créé l'homme; s'est montré à lui? Comment prouvez-vous que le Fils, qui a dit: «Il n'est pas bon que l'homme soit seul; faisons-lui une aide», a été vu de l'homme, ou de la femme elle-même, si vous ne voulez pas qu'elle ait été créée par le Père, dans la crainte que le Père ne paraisse avoir obéi au Fils; mais que le Fils se commandant et s'obéissant pour ainsi dire à lui-même, ait donné l'ordre de la créer et l'ait créée réellement? Produisez la preuve de l'apparition du Fils en présence de l'homme et de la femme. Car vous aviez pro. mis de prouver que le Fils se serait montré aux yeux des hommes mêmes avant l'Incarnation. Mettez maintenant vos promesses à exécution. Pourquoi vous perdre dans le vague? Pourquoi trompez-vous notre attente, en ne tenant point votre promesse? Vous entassez des paroles qui ne sont d'aucune utilité, pour occuper un temps qui nous est nécessaire. Si le Fils a été vu de l'homme et de la femme, par la raison qu'il les a créés, posez en principe, si vous l'osez, que Dieu le Fils ne peut créer des êtres doués de la vue et qu'il ne peut être vu de ces mêmes êtres, quoiqu'ils voient d'autres choses..Que si Dieu le Fils peut créer ces êtres; car maintenant encore il crée tout ce qui voit, et cependant les yeux qu'il a créés ne peuvent le voir; que signifie alors ce que vous avez dit? Pour quel motif avez-vous fait entrer dans votre discours cette exposition du livre de la Genèse? Pourquoi nous avez-vous ravi dans des discours interminables et superflus un long espace de temps précieux?

4. Maximin prouve qu'Adam a tremblé de paraître devant Dieu, mais non pas qu'il l'ait vu. - Mais, observez-vous, le Fils s'est fait voir à Adam, puisque nous lisons qu'Adam a dit; «J'ai entendu votre voix, lorsque vous vous promeniez dans le paradis; et je me suis caché, parce que j'étais nu (1)». Voilà donc,

1. Gn 3,10

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bon homme que vous êtes, ce que vous auriez d'abord à nous répondre, pour exécuter votre promesse. Mais cet Adam s'est exprimé ainsi: «J'ai entendu votre voix»; il n'a pas dit: J'ai vu votre face ou votre visage. Et ce qu'il ajoute: «Je me suis caché, parce que j'étais nu», ne prouve pas qu'il ait vu Dieu, mais qu'il a craint de paraître devant lui. Car si, de ce qu'on entend quelqu'un, on le voit, il s'ensuit que Dieu le Père a été vu aussi, chaque fois qu'il a rendu de vive voix témoignage au Fils. Nous savons en effet, par l'Évangile, que le Père a parlé et qu'il a dit: «Vous êtes mon Fils bien-aimé, etc. (1)»; or, quand il a été entendu par les hommes, il ne leur a pas apparu pour cela. Par conséquent, lorsque furent prononcées les paroles que vous rappelez: «Qui t'a appris que tu étais nu?» et les suivantes, Dieu a pu être entendu, sans être vu. Convenez donc que vous n'avez encore rien dit de ce que vous aviez annoncé; et dites enfin quelque chose qui mérite les honneurs de la discussion, ou que nous puissions admettre comme un point favorable à votre cause.

5. De l'apparition de Dieu à Abraham. - Ce Dieu, objectez-vous, est apparu également à Abraham. Nous ne pouvons nier en effet cette apparition de Dieu à Abraham. L'Écriture la décrit elle-même avec la fidélité la plus scrupuleuse, et de la manière la plus détaillée: «Dieu, dit-elle, lui apparut près du «chêne de Mambré». Mais ici encore il n'est pas déclaré expressément si c'est le Père ou le Fils qui apparut. L'Écriture, en faisant ce récit, nous enseigne que trois hommes parurent auprès d'Abraham; or, dans ces trois bommes, on peut reconnaître plutôt la Trinité même, qui est un seul Dieu. Je vois enfin trois personnages, et Abraham ne les nomme pas Seigneurs, mais le Seigneur, parce que la Trinité comprend, il est vrai, trois personnes, mais un seul Seigneur Dieu. Voici d'ailleurs le récit textuel de l'apparition: «Levant les yeux, il vit trois hommes qui se tenaient debout après de lui; et les ayant vus il courut de la porte de sa tente au-devant d'eux, et il se prosterna à terre, en disant: Seigneur, si j'ai trouvé grâce devant vous, ne passez pas votre serviteur». Nous voyons ici apparaître trois hommes, un seul Seigneur désigné,

1. Mc 1,11

et cet unique Seigneur prié de ne pas passer son serviteur, parce qu'il convient que Dieu visite ceux qui le servent. Abraham entretient ensuite ses trois hôtes au pluriel: «Qu'on apporte maintenant de l'eau, et que je lave vos pieds, et reposez-vous sous cet arbre, jusqu'à ce que je serve du pain, et mangez; puis vous continuerez votre chemin, après vous en être détournés pour votre serviteur». Il est évident, par cette invitation, qu'Abraham envisageait ses hôtes comme des hommes; car, sans cette raison, il ne leur eût pas offert l'hospitalité, dans le but de restaurer leurs forces défaillantes. Et l'Écriture met leur réponse au nombre pluriel: «Et ils dirent: Fais comme tu as dit». Au lieu de: Il dit, elle porte textuellement: «Ils dirent». Puis, quand le repas fut préparé, «Il le servit devant eux, dit l'Écriture, et ils mangèrent». Elle ne dit pas: Il servit devant lui, et il mangea. Mais quand fut venu le moment de promettre à Abraham le fils qu'il aurait de Sara, comme il s'agissait d'un bienfait divin, qui lui était offert en retour de sa généreuse hospitalité, l'Écriture ne met les paroles suivantes que dans la bouche d'un seul: «Où est Sara, ton épouse?» Le texte ne porte pas en effet: Ils lui dirent, mais: «Il lui dit: Où est Sara, ton épouse?» Et un peu plus loin, l'Écriture fait voir qui s'exprime ainsi; car voici ce qu'elle ajoute, après que Sara se fut mise à rire: «Le Seigneur dit ensuite à Abraham: Pourquoi Sara a-t-elle ri en elle-même?» et dans toute la suite du texte jusqu'à la fin, c'est le Seigneur seul qui est censé parler toujours au singulier. Après cela, le texte sacré parle au pluriel, et comme si les personnages dont il s'agit étaient des hommes: «Ces hommes, dit-elle, s'étant levés, se tournèrent du côté de Sodome et de Gomorrhe; et Abraham allait avec eux, les reconduisant». Puis l'Écriture revient de nouveau au singulier, et s'exprime ainsi: «Alors le Seigneur dit: Pourrai-je cacher à Abraham ce que je dois faire?» Ensuite vient la promesse faite à Abraham d'une postérité glorieuse et innombrable, et l'annonce de la ruine de Sodome. Et l'Écriture reprend de la manière suivante: «Et ces hommes partirent de là, et s'en allèrent à Sodome; mais Abraham était encore devant le Seigneur. Et s'approchant, Abraham lui dit: Ne perdez pas le juste avec l'impie; le juste (650) pourra-t-il être traité comme l'impie?» Puis, après cet entretien du Seigneur avec Abraham,!'Ecriture reprend: «Après que le Seigneur eut cessé de parler à Abraham, il se retira, et Abraham retourna chez lui. Et sur le soir, deux anges vinrent à Sodome». Ce sont ceux dont elle avait parlé précédemment en ces termes: «Ces hommes partirent de là et s'en allèrent à Sodome». Mais elle n'avait pas dit qu'ils étaient deux, tandis qu'elle avait montré dès le commencement trois hommes apparaissant à Abraham, le saint patriarche leur donnant l'hospitalité, puis les accompagnant à leur départ et marchant avec eux.

6. Suite du même sujet, et apparition des deux anges à Loth. Loth ne reconnut qu'un seul Seigneur dans les deux anges, comme Abraham dans ses trois hôtes. - Vous vous hâtez donc peut-être un peu trop, d'affirmer que c'était Notre-Seigneur Jésus-Christ seul, qui portait la parole à Abraham et lui faisait la promesse; et que ses deux compagnons étaient deux anges, qui vinrent à Sodome comme des anges envoyés par leur Seigneur. Mais attendez: pourquoi vous pressez-vous? Considérons toutes les circonstances avec soin, et voyons d'abord ce que dit le Seigneur à Abraham: «Le cri de Sodome et de Gomorrhe s'augmente de plus en plus, et leurs péchés se sont aggravés considérablement. Je descendrai donc, et je verrai si leurs oeuvres sont en rapport avec le cri qui est venu jusqu'à moi». Ici, il promet de descendre en personne à Sodome, et cependant, il n'y est pas descendu lui-même, mais les deux anges. Car, «dès qu'il eut cessé de parler à Abraham, il se retira, et Abraham retourna chez lui. Et sur le soir», comme il a été dit, «deux anges vinrent à Sodome». Que sera-ce, si l'on trouve aussi dans ces deux anges un seul Seigneur, qui, suivant sa parole, est descendu à Sodome en la personne de ses anges? Ne sera-t-il pas.évident que dans la personne des trois hôtes d'Abraham il n'apparut qu'un seul Seigneur, et que. ces trois personnages ne figuraient rien autre chose que la Trinité elle-même? Mais voyons si la sainte Ecriture nous prouve qu'il u'y eut, ainsi que je l'ai dit, même dans les deux anges, qu'un seul Seigneur, afin que vous ne voyiez pas ici une assertion toute gratuite de ma part, Donc «sur le soir, deux anges vinrent à Sodome; et Loth», dit!'Ecriture, «était assis à la porte de Sodome. Les ayant vus, il se leva, alla au-devant d'eux, et les adora la face contre terre». Vous voyez ici des anges adorés par un homme juste, et vous ne voulez pas que l'adoration soit rendue au Saint-Esprit, tandis que, de votre aveu, il est certainement élevé au-dessus de tous les anges? Mais, direz-vous, il les prenait pour des hommes; car il leur a offert, comme tels, l'hospitalité. C'est précisément ce qui vous confond encore davantage: car vous ne voulez pas de l'adoration pour le Saint-Esprit, quoiqu'il soit supérieur à tous les anges, et vous voyez les honneurs de l'adoration rendus, par des justes, même à des hommes inférieurs aux anges! Mais, direz-vous encore, c'est le Seigneur qu'a adoré Loth: oui, dans les deux anges, qu'il prenait pour des hommes, il a reconnu que le Seigneur se montrait comme dans ses prophètes. Ainsi se trouve donc déjà faite la preuve, que j'avais promis de donner d'après la sainte Ecriture . que le même Seigneur, qui se retira, suivant le texte sacré, dès qu'il eut cessé de parler à Abraham, descendit à Sodome en la personne des deux anges, suivant qu'il l'avait dit, et qu'il fut reconnu en eux par un homme juste. Loth leur donna donc l'hospitalité comme à des saints de Dieu, en qui il reconnut Dieu lui-même, puisque, comme Abraham, il ignorait qu'ils fussent des anges. Ce sont ces patriarches que désigne l'épître aux Hébreux, quand elle dit, à propos de l'hospitalité: «C'est par la foi que plusieurs ont exercé l'hospitalité envers les anges, sans les connaître (1)». Ayant donc reçu ses hôtes, sans savoir qu'ils fussent des anges, sachant néanmoins qui était en eux, autant qu'il lui était. possible de le reconnaître par une révélation du Seigneur, il sortit avec eux de Sodome, (je passe sous silence les autres circonstances qui se produisirent dans l'intervalle); et avant de quitter la ville, dit le texte sacré, «ces hommes dirent à Loth: «Avez-vous ici des gendres, ou des fils, ou des filles?Si vous avez encore quelque autre proche dans la ville, faites-le sortir d'ici: car nous allons détruire ce lieu, parce que leur cri s'est élevé devant le Seigneur, et le Seigneur nous a envoyés pour le perdre». C'est ainsi qu'eut lieu cet incendie de Sodome, allumé par les anges sur les ordres du Seigneur;

1. He 13,2

651

le Seigneur était cependant lui-même en la personne de ces anges; car, en envoyant ses messagers, il ne se sépare point d'eux. Il descendit donc à Sodome en leur personne, suivant qu'il l'avait prédit, quand il parlait avec Abraham; après quoi il est dit qu'il se retira, et que les anges vinrent vers le soir à Sodome. Puis un peu plus loin, à peine eurent-ils entraîné Loth hors de la ville et lui eurent-ils dit, comme le rapporte l'Écriture: «Sauve ta vie, ne regarde point en arrière et ne t'arrête point dans tout ce pays; sauve-toi sur la montagne, de peur que tu ne sois surpris», Loth leur répondit: «Seigneur, puisque votre serviteur trouvé grâce devant vous, je vous prie, etc.» Quand il eut fini de parler et se fut choisi une petite ville pour s'y réfugier, l'Écriture ajoute qu'il lui fut répondu: «J'ai tenu compte encore de la prière que tu me fais de ne pas détruire la ville dont tu me parles, hâte-toi donc de te sauver en ce lieu-là: car je ne pourrai point accomplir ma parole que tu n'y sois a entré (1)». Qui lui adressa cette réponse, sinon celui auquel il avait dit: «Seigneur, je a vous prie?» Or, d'après les termes de .l'Ecriture, c'est à deux et non pas à un seul qu'il avait parlé: «Loth», dit-elle, «leur répondit: Je vous prie, Seigneur». Loth reconnut donc un seul Seigneur en la personne des deux anges, comme Abraham en la personne de ses trois hôtes.

7. Les trois hôtes d'Abraham représentent la Trinité; les deux anges envoyés à Loth représentent le Fils et le Saint-Esprit. - Vous n'avez pas besoin de dire: Celui qui était le Seigneur et parlait avec Abraham, s'était retiré; et ceux qui étaient venus seuls à Sodome, étaient ses deux anges; car tee trois qui apparurent à Abraham sont tous appelés hommes, conformément à l'usage de l'Écriture, qui donne le nom d'hommes aux anges. Et Abraham ne se montra pas plus humble ni plus rempli de déférence à l'égard de l'un deux qu'à l'égard des deux autres, mais à tous il lava également les pieds, à tous il fit également les honneurs d'uni festin. Donc, il reconnut Dieu dans tous les trois. C'est pourquoi l'Écriture avait déjà dit auparavant que Dieu lui avait apparu au chêne de Mambré, à l'ombre duquel il servit les trois hôtes, qu'il contempla des yeux de son corps; mais ce

1. Gn 18 Gn 19

n'est pas de ses yeux charnels, mais des yeux du coeur qu'il vit Dieu en eux, c'est-à-dire qu'il le comprit et le reconnut même; de même que Loth reconnut Dieu dans les deux anges, ne leur parlant point comme à plusieurs, mais à un seul, et n'entendant aussi qu'un seul d'entre eux répondre à sa prière. Abraham entendit Dieu d'abord par l'organe de ses trois hôtes, puis seulement par l'organe de celui qui était resté à parler avec lui, quand les deux autres allèrent à Sodome; quant à Loth, il entendit également un seul Seigneur par les deux anges, le conjurant de lui accorder sa délivrance, et recevant de lui la réponse à sa demande: puisque tous deux, je veux dire Abraham et Loth, prenaient les anges pour des hommes, mais croyaient voir Dieu en leur personne. Pourquoi donc cette Trinité visible et cette unité intelligible, sinon pour.nous faire comprendre que le Père et le Fils et le Saint-Esprit étaient trois, sans être néanmoins trois seigneurs et trois dieux, mais un seul Seigneur Dieu? Mais vous avez dit: Ce Dieu s'est fait voir à Abraham, sachant que vous aviez lu ce qui est écrit, que Dieu apparut à Abraham au chêne de Mambré; et voulant prouver . en quelque manière que c'était le Fils qui avait apparu à ce patriarche,vous avez passé sous silence les trois personnages dont parle l'Écriture, vous n'en avez absolument rien dit, de peur de nous laisser entendre que les trois personnes de la Trinité sont un Dieu d'une seule substance, de même que les trois hommes apparus à Abraham n'avaient qu'une substance identique: car l'Écriture avait dit déjà: «Dieu apparut à Abraham»; ce qui excluait trois dieux: «Dieu apparut», porte le texte, et non pas Trois dieux apparurent; et Abraham vit trois personnages, mais il rendit ses adorations à un seul, ne voulut pas être passé par lui; et les réponses de la divinité lui furent adressées par un seul. Et il ne crut pas voir deux dieux dans la personne de deux d'entre eux . car Loth, lui aussi, vit deux personnages, et cependant ne reconnut qu'un seul Seigneur. Il me semble que les anges étaient une figure du Fils et du Saint-Esprit; car ils se dirent envoyés; de la Trinité qui est Dieu, il n'y a que le Père qui ne soit pas envoyé; le Fils et le Saint-Esprit ont reçu une mission, mais ils ne sont pas pour cela d'une nature différente, car les hommes, qui les figuraient, étaient (652) d'une seule et même substance. Vous avez donc eu l'habileté de passer sous silence un passage de l'Ecriture qui pouvait vous confondre. Et après avoir dit: Ce Dieu apparut à Abraham, ayant l'intention de faire croire que d'après la Genèse, le Fils s'était seul rendu visible à Abraham, vous n'avez pas voulu rapporter les circonstances de cette apparition, de peur qu'on n'y reconnût pas le Fils seul, mais la Trinité qui est Dieu.

8. Abraham n'a pas vu le Fils de Dieu dans cette vie, mais il s'est réjoui de son apparition future. - Vous dites: Si vous voulez croire que le Fils a apparu à Abraham, le Fils unique l'a affirmé lui-même eu ces termes dans le saint Evangile: «Abraham, votre père, a désiré avec ardeur de voir mon jour; il l'a vu et il a été comblé de joie (1)». O admirable promesse d'une discussion et d'une démonstration sérieuse! Comme si le Fils de Dieu avait dit: Abraham votre père a désiré me voir; il m'a vu, et il en a été comblé de joie! Mais quand bien même il aurait ainsi parlé, on pourrait l'entendre en ce sens, que le saint patriarche aurait vu le Fils de Dieu des yeux du coeur, et non des yeux de la chair: ce qui est précisément le sujet en discussion. Or, Jésus-Christ s'étant servi de ces expressions: «Abraham a désiré voir mon jour; il l'a vu et il en a été comblé de joie», pourquoi ne pas entendre par le jour du Christ, celui où il devait apparaître dans la chair; temps qu'Abraham a pu voir en esprit comme les autres Prophètes, et dont il a pu, comme eux, se réjouir? Ici, la preuve que vous aviez en vue et que vous aviez promise, fait donc encore défaut.

9. L'ange qui lutta avec Jacob n'était pas le Fils de Dieu lui-même, mais peut très-bien être considéré comme une figure du Fils de Dieu. - Après cela, vous en venez à la lutte de Jacob avec un ange, que la Genèse elle-même appelle à la fois homme et Dieu. Voici en effet le texte: «Jacob demeura seul, et il y eut un homme qui lutta contre lui jusqu'au matin. Cet homme vit qu'il ne pourrait le surmonter, et il lui toucha la largeur de la cuisse, et la largeur de la cuisse de Jacob se dessécha, tandis qu'il luttait contre lui. Et il lui dit: Laissez-moi aller, car l'aurore commence déjà à monter. Mais Jacob lui répondit: Je ne vous laisserai point

1. Jn 8,56

aller que vous ne m'ayez béni. Cet homme lui demanda: Comment vous appelez-vous? Il lui répondit: Je m'appelle Jacob; et la même homme ajouta:On ne vous appellera plus à l'avenir Jacob, mais Israël, parce que vous avez été fort contre Dieu et que vous êtes puissant contre les hommes. Jacob lui fit cette demande: Dites-moi votre nom; Il lui répondit: Pourquoi demandez-vous mon nom? Et il le bénit en ce même lieu, Jacob appela ce lieu Vision de Dieu, en disant: J'ai vu Dieu face à face, et ma vie a été sauve (1)». Vous vous efforcez de faire voir par ce passage que le Fils a paru visiblement sur la terre, même avant son incarnation: s'il n'est pas absurde de voir ici une figure du Christ, à cause de la prophétie relative à l'avenir, attendu que, Jacob devait un jour paraître l'emporter sur le Christ, dans la personne de ses enfants qui mirent le Christ en croix; attendu aussi qu'il devait voir le Christ face à face en la personne de ses enfants, et que l'âme des Israélites, témoins éclairés des lumières de la foi, devait être sauvée; cependant le prophète Osée dit clairement que cet homme luttant avec Jacob était un ange. Voici en effet ce qu'il a écrit au sujet de Jacob: «Il supplanta son frère dans le sein de sa mère, et il prévalut dans le combat contre Dieu, il fut plus fort que l'ange et il l'emporta sur lui (2)». Ainsi donc, (le même que la Genèse appelle à la fois homme et Dieu celui qui lutta avec Jacob, de même ce Prophète le nomme à la, fois Dieu et ange. De cette sorte, celui qui était un ange fut qualifié du nom d'homme, comme, par contre, le nom d'homme fut appliqué à ceux qui apparurent à Abraham, quand lui et son neveu Loth reçurent des anges sans le savoir. Dieu était donc dans l'ange, comme il est dans l'homme, surtout quand il parle par l'organe de l'homme. Or, le Christ a été figuré par cet ange, de même que par l'homme. Qu'était-ce en effet qu'Isaac, fils d'Abraham, sinon le Christ en figure, quand il fut conduit comme une brebis pour, être immolés, et, pareil au Seigneur portant sa croix, fut chargé lui-même du bois sur lequel il devait être étendu? Enfin, pourquoi nous étonner que Jésus ait été symbolisé par un ange, si nous le voyons figuré non-seulement paru n homme, mais encore par une brebis? Qu'était-ce

1. Gn 32,24-30 - 2. Os 12,3-4 -3 Is 53,7

653

effectivement que ce bélier retenu par les cornes à un buisson, si ce n'est le Christ attaché à la croix, ou encore couronné d'épines? Or, Abraham immola ce bélier à la place de, son fils, qu'il avait reçu l'ordre d'épargner (1). Dieu a ainsi voulu épargner l'homme, mais en même temps nous enseigner, par cette victime figurative, le mystère à venir de l'effusion du sang divin de Jésus-Christ dans sa passion. Si donc vous pensez que l'ange qui a lutté avec Jacob, ne tilt pas la figure, mais la réalité du Christ, vous pouvez dire pareillement que le bélier, immolé par le patriarche Abraham, fut le Christ non pas en figure, mais en personne; vous pouvez dire que la pierre, frappée d'une verge, et d'où sortit pour le peuple une eau très-abondante (2), fut le Christ, non pas en figure, mais en personne. Car l'Apôtre s'exprime ainsi: «Ils buvaient de la pierre spirituelle a qui les suivait; or, cette pierre était le Christ (3)». Ces figures n'étaient pas les réalités elles-mêmes; elles étaient l'image dies choses à venir; elles se présentaient aux regards des mortels, par l'intermédiaire de la créature inférieure, et surtout par le ministère des anges, Dieu intervenant en cela par sa puissance, mais néanmoins voilant toujours la nature soit du Père, soit du Fils, soit du Saint-Esprit.

10. Blasphème de Maximin, quand il suppose le Fils et le Saint-Esprit accessibles ait changement. - C'est donc à tort que vous affirmez que le Fils de Dieu s'est montré aux hommes, et que le Père ne leur a pas apparu; puisque le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit ont pu également se faire voir par l'intermédiaire de la créature, mais qu'aucun n'a été vu dans s'a substance. Dieu, comme il convient à la faiblesse des sens de l'homme, s'est donc montré à lui en figure plutôt qu'en réalité. Par conséquent, il n'a pas été vu tel qu'il est: car c'est là ce qui est promis aux saints dans la vie future; ce qui fait dire à l'apôtre Jean: «Mes bien-aimés, nous sommes dès à présent enfants de Dieu, mais ce que nous serons un jour ne paraît pas encore: nous savons que quand il se montrera dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est (3)». Les Apôtres ont donc vu le Seigneur, même en ce monde; ils l'ont vu,

1. Gn 22,6-13 - 2. Ex 17,6 - 3. 1Co 10,4 - 4. 1Jn 3,2

mais non pas tel qu'il est. Enfin, Moïse désirait qu'il lui fût donné de le voir, lors même qu'il parlait avec lui face à face, selon le langage de l'Ecriture (1). Ayant exposé cette doctrine dans notre thèse précédente, j'aurais voulu que vous entendissiez la lecture de tout ce que j'avais écrit sur mes tablettes; mais vous avez passé outre, comme si vous n'aviez pas entendu. Alors ne mettant point de différence entre voir Dieu dans sa substance ou le voir par l'intermédiaire de sa créature, vous en êtes venu à soutenir ce blasphème horrible, que le Fils unique de Dieu était accessible au changement dans ce qui constitue sa divinité elle-même; vous avez pensé, en effet, qu'on devait attribuer exclusivement au Père ces mots qui sont, dites-vous, dans l'Ecriture «Je suis celui qui suis, et je n'ai pas changé», comme si le Fils et le Saint-Esprit avaient changé, quand ils apparurent visiblement, l'un en naissant d'une femme, et l'autre en se montrant aux regards humains sous la forme d'une colombe ou de langues de feu. Je vous ai déjà répondu sur cet article, quand j'ai fait voir que vous étiez dans l'impuissance de réfuter ce que j'ai avancé. Or, afin que vous compreniez comment Dieu a dit: «Je suis celui qui suis, et je n'ai pas changé», ou plutôt, comme porte le texte sacré: «Je suis le Seigneur, et je ne change point (2)», et que ces paroles sont, non pas du Père exclusivement, mais du Dieu unique, qui est la Trinité elle-même; écoutez ce passage du Psalmiste: «Seigneur, dès le commencement vous avez fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de vos mains: ils périront; mais pour vous, vous demeurerez; ils périront tous comme des vêtements; vous ferez qu'ils changeront de forme comme un manteau, et ils seront changés; mais pour vous, vous êtes toujours le même, et vos années ne finiront point (3)». Et la sainte Ecriture atteste dans l'épître aux Hébreux que ce passage regarde le Fils de Dieu (4). Maintenant qui ne voit que ces mots: «Les cieux changeront, mais vous, vous êtes toujours le même», ne signifient rien autre chose que: Vous ne changerez pas? Par conséquent Dieu le Fils a aussi le droit de dire: «Je suis celui qui suis, et je n'ai pas changé»; ou: «Je suis le Seigneur, et je ne change point». Pour vous,

1. Ex 33,11-13 - 2. Ex 3,14 Ml 3,6 - 3. Ps 101,26-28 - 4. He 1,10-12

654

si vous avez appliqué ces paroles uniquement au Père, c'est afin de faire croire que le Fils pouvait changer dans sa substance: de sorte qu'en prenant la nature humaine, il se serait changé en homme. Vous ne rétracterez un blasphème aussi énorme, qu'à la condition de croire que le Fils, en se revêtant de la nature humaine, a pris ce qu'il n'était point, sans rien perdre pour cela de ce qu'il était.

11. Dilemmes auxquels ne peut échapper Maximin. - Je demande ensuite quel est celui qui apparut dans le buisson tout en feu, que les flammes ne consumaient point. L'Ecriture, il est vrai, déclare que c'était un ange: «L'ange du Seigneur lui apparut», dit-elle, «au milieu d'un buisson ardent». Qui mettrait en doute que ce fût Dieu lui-même en la personne de l'ange? Mais quel était ce Dieu? Etait-ce le Père, ou bien le Fils? Vous allez dire: c'était le Fils; car vous ne voulez pas absolument que le Père ait apparu aux yeux des hommes, même par l'intermédiaire de ses créatures. Mais quelque parti que vous preniez, je réponds aux deux termes. Si c'était le Père, il a apparu lui aussi aux hommes; si c'était le Fils, le Fils n'est pas non plus accessible au changement. Car, quand Moïse eut demandé qui était celui qui l'envoyait, celui-ci lui répondit: «Je suis celui qui suis». Qu'est-ce à dire, sinon: Je ne change pas; suivant ce texte du Prophète, que vous avez invoqué vous-même: «Je suis celui qui suis, et je n'ai pas changé?» Il dit encore à Moïse: «Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob (1)». Ayez le front, si vous le pouvez, de nier que Dieu le Père soit le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob; et si ce n'était pas lui, c'était le Fils qui parlait du milieu du buisson ardent. Or, si c'était le Père, confessez que Dieu le Père a, lui aussi, apparu aux hommes. Et s'ils sont, l'un et l'autre, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, comme vous l'avouez, pourquoi hésitez-vous de les proclamer tous les deux un seul Dieu? Car Jacob est ce même Israël, aux enfants de qui s'adressent ces paroles: «Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est un seul et unique Seigneur (2)».

1. Ex 3,2 Ex 3,14-15 - 2. Dt 6,4

12. La divinité est invisible aux yeux mortels, dans sa substance; elle ne se change pas non plus en formes visibles; mais quand elle apparaît, c'est par le moyen d'une créature, qui peut être vue des yeux de la chair. - Reconnaissez donc comme vrai ce que j'ai sou. tenu; que la divinité peut, quand il lui plaît, se faire voir aux yeux mortels, non quant à sa substance, qui est invisible et immuable, mais par le moyen d'une créature qu'elle choisit à cet effet. Par conséquent, je n'ai pas avancé ce que vous avez voulu me faire dire ou faire dire à mes paroles, que la divinité, en apparaissant aux patriarches, s'était rendue visible, tandis qu'auparavant j'avais dit qu'elle était invisible; mais je me suis exprimé de cette manière: Quand la divinité se montrait aux anciens, elle apparaissait visible par l'intermédiaire de la créature qu'elle avait choisie à cet effet; car elle était tellement invisible en sa propre nature, que Moïse lui-même, parlant avec Dieu face à face, disait: «Si j'ai trouvé grâce devant vous, montrez-vous à moi vous-même ouvertement (1)». Voilà ce que j'ai dit: relisez, et vous trouverez que j'ai dit vrai, et que vous n'avez pas voulu ou pu me comprendre. Entendez donc ce même point de doctrine que je vais exposer un peu plus longuement. Je dis que la divinité du Père et du Fils et du Saint-Esprit est invisible aux yeux mortels dans sa nature et sa substance. Maintenant, loin de moi de prétendre qu'elle se change en des formes visibles, car je dis qu'elle est immuable. Quand elle apparaît aux yeux des mortels, comme il lui plaît, il ne reste donc plus qu'à l'entendre en ce sens qu'elle le fait par le moyen d'une créature, dont elle fait choix, et qui peut se faire voir aux regards mortels.

13. Maximin se trompe, en disant du Père; Seul il ne peut être contenu, et seul il est immense. - D'où vient qu'après avoir dit du Père: Il est seul invisible, proposition qui a déjà été suffisamment discutée, vous ajoutez: Seul il ne peut être contenu, et seul il est immense? Car nous ne lisons pas de Dieu que rien ne puisse le contenir. Je ne sais vraiment pourquoi vous vous servez d'une pareille expression. En effet, s'il ne peut être contenu, comment se fait-il que non-seulement le Fils, mais encore le Père, viennent à l'homme, ainsi que le déclare le Fils lui-même, et qu'ils font en lui leur demeure (2)? Je pense qu'ils sont contenus par celui en qui ils établissent leur demeure. Peut-être direz-vous: Ils sont contenus, non pas en tout, mais en partie? Dites

1. Ex 33,11-13 - 2. Jn 25,23

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ce que vous voudrez, car on vous répondra: Ceux qui peuvent être contenus, au moins en partie, ne sont pas de ceux dont on peut dire, que rien ne peut les contenir. Ne vous a-t-il pas suffi de prétendre qu'il né pouvait être contenu, et n'avez-vous pas ajouté qu'il était immense, afin de mieux faire sentir la première qualification que vous lui donnez? c'est-à-dire, que la nature humaine n'est pas capable de le contenir tout entier, parce qu'il est immense? Mais on peut en dire autant, même du Fils. Car nul ne contient en soi le Verbe unique, au point d'oser dire qu'il le contient en toute manière. Certes nous ne mettons pas en doute qu'il soit, lui aussi, immense. Je vous le demande, en effet, de qui entendez-vous ce passage de l'Ecriture: «Il est grand et n'a point de bornes, il est élevé et immense?» Car voici ce qui est dit du même un peu plus loin: «C'est lui qui est notre Dieu, et nul ne peut lui être comparé; c'est lui qui a trouvé toutes les voies de la vraie science, et qui l'a donnée à Jacob, son serviteur, et à Israël, son bien-aimé. Après cela il a été vu sur la terre, et il a conversé parmi les hommes (1)?» Quel est celui qui est dépeint de la sorte? qui est, je vous prie, «grand et sans bornes, élevé et immense, et qu'on a vu sur la terre, conversant parmi les hommes?» Je vois à quelles erreurs et à quelles angoisses vous êtes en proie . Vous craignez de dire que c'est le Père, quand vous entendez ces mots: «Il a été vu sur la terre, et il a conversé parmi les hommes», car vous convenez que le Père est invisible quant à sa substance, et vous ne voulez pas qu'il ait été vu des hommes par le moyen de sa créature. Vous craignez de dire que c'est le Fils, quand vous entendez ces autres paroles: «Il n'a point de bornes, il est élevé et immense». Car vous n'accordez qu'au Père l'attribut de l'immensité. Vous craignez de dire que c'est le Saint-Esprit, quand vous entendez ces mots «C'est lui qui est notre Dieu», car vous ne voulez pas que le Saint-Esprit soit Dieu. Que ferez-vous, que répondrez-vous, ô homme qui refusez d'être catholique, parce que vous seriez tenu de confesser que le Christ a été vu sur la terre en la forme de serviteur, sans néanmoins cesser d'être immense en la forme de Dieu, dans laquelle il est demeuré invisible? «C'est lui qui est notre Dieu, et l'autre

1. Baruch, 3,26, 36-38.

peut lui être comparé». Quel est cet autre, sinon l'antéchrist, que la vraie foi ne considère pas comme le vrai Christ, mais que l'exécrable erreur des Juifs attend à la place de celui-ci?

14. Conclusion et récapitulation du traité. - Si vous souhaitez, et si vous demandez, comme vous le dites, d'être instruit des divines Ecritures, considérez les divins oracles qui ont rapport à la matière que nous discutons. N'allez point vous égarer dans un grand nombre de textes, qui ne vous sont d'aucune utilité; prenez plutôt le sage parti de vous taire que de parler pour ne rien dire, quand vous ne trouvez rien à répondre à l'évidence de la vérité. Vous montrez par là que vous craignez d'être dévoilé devant vos disciples. Plût au ciel que vous fussiez tellement revêtu du Christ, que vous ayez à coeur de faire de vos disciples les disciples du Christ plutôt que les vôtres! Car je ne regrette pas, autant que le Seigneur m'en a fait la grâce, toute la peine que je me suis donnée, afin que vous et vos disciples deveniez avec moi les disciples d'un même maître. Mais si, après avoir promis depuis tant de temps de répondre à ce traité, vous ne devez y faire d'autres réponses que celles, par exemple, que vous faisiez récemment, soit à mes questions, soit aux développements de ma pensée, vous ne m'opposerez point par là de réponses sérieuses; et vous ne vous tairez pas, afin de tromper d'une manière quelconque des esprits dénués d'intelligence. De tous les points que j'ai discutés, comme je l'ai pu, il ressort donc assez clairement qu'il y a une seule vertu, une seule substance, une seule divinité, une seule majesté, une seule gloire, commune au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit; parce que la Trinité elle-même est notre unique Seigneur Dieu, dont il est dit «Ecoute, Israël: le Seigneur ton Dieu est un seul et unique Seigneur (1)». Or, ces paroles ont été dites, quand le Seigneur guidait seul son peuple, et qu'aucun autre dieu n'était connu de lui. Car le Christ lui aussi guidait ce peuple, puisque l'Apôtre dit: «Ne tentons pas le Christ, comme l'ont tenté quelques-uns d'entre eux (2)»: donc, ou le Christ est Dieu, ou il est un dieu étranger. Ce Dieu est donc le Père et le Fils et le Saint-Esprit, autrement, la Trinité qui est un seul Dieu; à qui seul nous devons le service qui n'est dû

1. Dt 6,4 - 2. 1Co 10,9

656

qu'à Dieu, suivant ces paroles: «Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul (1)». Nous ne refusons pas ce service au Christ, dont nous sommes les membres, ni au Saint-Esprit dont nous sommes les temples. Cette Trinité, qui est un seul Dieu, dit

«Je suis le Seigneur, et il n'y en a point d'autre que moi (2)». Le Christ, que vous reconnaissez également pour Seigneur et pour Dieu, est aussi Seigneur; et le Saint-Esprit est le Seigneur de sa maison, c'est-à-dire de son temple. Il est effectivement cet Esprit du Seigneur, dont il est dit: «Le Seigneur est Esprit; or, là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté (3)». C'est cette Trinité, ce Dieu unique dont parle l'Apôtre, en disant: «Il n'y a pas d'autre Dieu que le Dieu unique (4)». Et quand vous entendez ces paroles, vous n'oseriez pas nier la divinité du Fils unique. Ce Dieu, qui est Trinité, parle en ces termes: «Je suis celui qui suis, et je n'ai point changé (5)». Le Christ ne change pas, car l'Ecriture lui adresse ces mots: «Vous changerez les cieux, et les cieux seront

1. Dt 6,13 - 2. Dt 32,39 - 3. 2Co 3,17 - 4. 1Co 8,4 - 5. Ex 3,14 Ml 3,6

changés; pour vous, vous êtes toujours le même (1)»; l'Esprit de vérité ne changera pas non plus, puisqu'il est la vérité immuable, à qui Jésus-Christ lui-même rend un honneur si élevé, qu'il dit: «Il vous est utile que je m'en aille: car si je ne m'en vais point, le Consolateur ne viendra pas à vous (2)»; et encore: «Quiconque aura blasphémé contre le Fils de Dieu, il lui sera pardonné; mais pour celui qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit, il ne lui sera point pardonné (3)». Et après avoir dit de lui-même: «Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles (4)», il dit du Saint-Esprit: «Afin qu'il demeure avec vous éternellement (5)». Si vous vous rendez paisiblement à ces témoignages et autres semblables, qui nous ont demandé beaucoup de temps pour être trouvés et corrigés tous en. semble, vous deviendrez, suivant la prière et le désir que vous en exprimez, disciple des saintes Ecritures, et nous aurons la joie de trouver en vous un frère.

1. Ps 100,27-28 - 2. Jn 16,7 - 3. Mt 12,32 - 4. Mt 28,20 - 5. Jn 14,16

Traduction de M. l'abbé POGNON.


Augustin et Maximin - CHAPITRE XXV. SAINT AUGUSTIN JUSTIFIE CETTE PROPOSITION QUE LE PÈRE EST PLUS GRAND QUE LE FILS, CONSIDÉRE COMME HOMME, ET QUE CELA SUFFIT À SA GLOIRE.