Augustin, les Psaumes 8

DISCOURS SUR LE PSAUME VIII - LE PRESSOIR DE L'ÉGLISE

8 Ps 8

La grappe de raisin contient le vin et le marc: le marc formé des enveloppes a été nécessaire pour amener le vin à maturité; le pressoir le sépare de cette enveloppe protectrice. Telle est l'oeuvre de l'Eglise qui nourrit les petits du lait de la doctrine jusqu'à ce qu'ils deviennent adultes et prennent la solide nourriture des parfaits.

POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID, SUR LES PRESSOIRS. 

801 1. La teneur du psaume ne nous laisse rien voir à propos de ces pressoirs qui lui servent de titre, ce qui nous montrerait que souvent l'Ecriture nous désigne le même objet sous des figures multiples et variées. Nous pouvons donc, sous la dénomination de pressoirs, entendre l'Eglise, par la même raison qui nous l'a fait voir sous la figure d'une aire; car l'aire ou le pressoir, n'ont d'autre objet que d'ôter au blé ou au raisin ces enveloppes dont ils avaient besoin pour naître, pour croître et pour arriver à la maturité de la moisson ou de la vendange. Ces enveloppes ou ces soutiens sont, pour le blé, la paille dont il est dépouillé dans l'aire, et pour le vin, les grappes dont on l'extrait au pressoir. Il en est de même dans l'Eglise. Les bons y sont mêlés à la foule des hommes terrestres, mélange qui leur est nécessaire, et sans lequel ils ne pourraient naître, ni devenir aptes à la parole de Dieu; et les ministres de l'Eglise travaillent à les séparer de cette foule au moyen d'un amour spirituel. Ainsi en agissent aujourd'hui les bons qui mettent l'intervalle, non des lieux, mais de l'amour, entre eux et les méchants, bien que, selon le corps, ils soient présents avec eux dans les mêmes églises. Un autre temps viendra où le froment sera séparé pour les greniers et le vin pour les celliers du Père céleste, selon le mot de l'Evangile: «Il amassera le froment pour ses greniers, et jettera (155) la paille au feu inextinguible (Lc 3,17)». La même pensée peut s'exprimer par cette autre comparaison: Il mettra son vin en réserve dans ses celliers et jettera le marc aux animaux; et le ventre des animaux pourrait être comparé aux gouffres de l'enfer.

802 2. On peut encore entendre les pressoirs d'une autre manière, mais en les regardant toujours comme figure de l'Eglise. Le Verbe divin aurait pour emblème Je raisin; car on voit dans cette grappe suspendue au bois, que les émissaires d'Israël rapportaient de la terre promise (Nb 13,24), une figure de Jésus crucifié. Alors, quand le Verbe divin a besoin d'emprunter le son de la voix pour arriver à l'oreille des auditeurs, l'intelligence de ce Verbe est au son de la voix, comme le vin doux est au marc qui le contient; et cette grappe sacrée arrive à nos oreilles comme sous la violence des pressoirs. C'est là qu'elle se déchire; et le son de la voix est pour les oreilles, tandis que le sens arrive dans la mémoire des auditeurs comme dans un réservoir, pour se déverser ensuite dans la règle des moeurs et dans les mouvements de notre âme, comme le vin coule de la cuve dans les celliers, où il prendra sa force en vieillissant, si la négligence ne le laisse pas aigrir. Car il s'est aigri chez les Juifs, qui ont abreuvé le Seigneur de ce vinaigre (Jn 19,29). Au contraire, il aura de la douceur et de la force, le produit de cette vigne mystérieuse du Nouveau Testament que le Seigneur doit boire avec ses élus dans le royaume de son Père (Lc 22,18).

803 3. Souvent encore, le nom de pressoir désigne le martyre; car après avoir passé sous le pressoir de la persécution, les restes mortels de ceux qui ont donné leur vie pour Jésus-Christ sont jetés sur la terre comme le marc, tandis que les âmes ont pris leur essor pour le repos de l'éternel séjour. Mais ce sens figuratif ne s'éloigne point des fruits que produit l'Eglise. Le nom de pressoir donné à ce psaume nous reporte donc à l'établissement de l'Eglise, alors que le Seigneur ressuscitait pour monter au ciel. Ce fut alors qu'il envoya l'Esprit-Saint; et les disciples qui en étaient remplis, prêchèrent avec confiance la parole de Dieu, et formèrent des Eglises.

804 4. C'est pourquoi il est dit avec raison: «Seigneur, notre Dieu, que votre nom est grand par toute la terre (Ps 8,2) !» Mais comment ce nom est-il grand dans l'univers entier? et le Prophète répond: «C'est que votre magnificence est élevée au-dessus des cieux (Ps 8,2)». Le sens serait alors: Seigneur, qui êtes notre Dieu, dans quelle admiration vous jetez les habitants de la terre! puisque, de votre abaissement en ce monde, vous avez fait éclater votre gloire par-dessus les cieux: pour ceux en effet qui vous voyaient monter au ciel, et pour ceux qui y croyaient, cette ascension montrait avec quelle puissance vous en étiez descendu.

805 5. C'est de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite, à l'encontre de vos ennemis (Ps 8,3)». Par ces enfants nouveau-nés et à la mamelle, nous ne pouvons entendre que ceux dont l'Apôtre a dit: «Comme à des enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait et non des viandes solides (1Co 3,2)». Ils étaient figurés par ces autres enfants qui précédaient Jésus-Christ en chantant ses louanges, et en faveur desquels Jésus cita ce passage dans sa réponse aux Juifs qui le pressaient de leur imposer silence: «N'avez-vous donc point lu cette parole, dit le Sauveur: C'est de la bouche des enfants nouveau nés et à la mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite (Mt 21,16)?» Il a raison de ne point dire seulement: « Vous avez tiré votre louange»; mais, «une louange parfaite». Car il y a des fidèles dans l'Eglise, qui ont quitté le lait pour une nourriture plus solide, et c'est d'eux que parle saint Paul quand il dit: «Nous prêchons aux parfaits la sagesse divine (1Co 2,6)» mais ils ne sont pas seuls pour former l'Eglise, car s'ils étaient seuls, Dieu abandonnerait la faiblesse humaine. Or, c'est par égard pour cette faiblesse, qu'il veut donner pour nourriture, à ceux qui sont incapables de comprendre les choses spirituelles et éternelles, la foi historique de tout ce qui s'est accompli dans le temps, depuis les Patriarches et les Prophètes, par celui qui est l'incomparable puissance et la sagesse de Dieu, et particulièrement dans le mystère de l'Incarnation. Quiconque y adhère par la foi y trouve le salut, lorsque, entraîné par cette autorité, il se soumet aux préceptes qui le purifient, s'enracine solidement la charité, devient capable de (156) courir avec les saints, non plus comme l'enfant qui a besoin de lait, mais comme le jeune homme qui prend une nourriture solide, et peut comprendre la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur, connaître même l'amour de Jésus-Christ pour nous, qui surpasse toute connaissance (Ep 3,18-19).

806 6. «C'est de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite, à cause de vos ennemis». Par ennemis de ce qu'a fait Jésus, et Jésus crucifié, nous devons entendre en général, tous ceux qui défendent de croire à l'inconnu, et qui nous promettent une connaissance claire. Telle est la conduite des hérétiques et de ceux que leurs superstitions idolâtres ont fait appeler philosophes: non qu'il soit mauvais de promettre la science, mais ils veulent écarter la foi qui est l'échelle salutaire et indispensable pour nous élever à une certitude dont l'objet ne peut être que les choses éternelles. Cette négligence d'un moyen si utile et si nécessaire nous prouve à elle seule, qu'ils n'ont point cette science promise au mépris de la foi. «C'est donc de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle, Seigneur, que vous avez tiré une louange parfaite», en nous disant par votre Prophète: « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point (Is 7,9 suiv. les LXX)», et en nous disant vous-même: «Bienheureux ceux qui n'ont point vu et qui l'ont cru (Jn 20,29). A cause de vos ennemis», de ces mêmes hommes à l'occasion desquels vous avez dit: «Je vous rends grâces, Dieu du ciel et de la terre, qui avez dérobé ces mystères aux sages, pour les révéler aux petits (Mt 11,25)». Le Seigneur les appelle sages, non qu'ils le soient en effet, mais parce qu'ils croient l'être. «Afin de détruire l'ennemi et le défenseur (Ps 8,3)». Quel ennemi, sinon l'hérétique, à la fois ennemi et défenseur de la foi chrétienne, qu'il attaque, et que néanmoins il paraît défendre? On pourrait encore appeler ennemis et défenseurs, les philosophes du siècle: carie Fils de Dieu est la force et la sagesse de Dieu, qui éclaire tous ceux que la vérité a rendus sages. Or, ces philosophes, ainsi nommés parce qu'ils font profession d'aimer la sagesse, paraissent la défendre, bien qu'ils en soient les ennemis, puisqu'ils ne cessent de prêcher des superstitions dangereuses, et de porter les hommes au culte des éléments de ce monde.

807 7. «Pour moi, je considère vos cieux, l'ouvrage de vos doigts (Ps 8,4)». Nous lisons que Dieu écrivit la loi de son doigt, pour la donner à Moïse, son saint et fidèle serviteur (Ex 31,18), et dans ce doigt de Dieu. beaucoup d'interprètes voient l'Esprit-Saint. Si donc par les doigts de Dieu, nous pouvons entendre aussi les ministres remplis de l'Esprit-Saint, parce que c'est lui qui agit en eux: comme ce sont eux qui nous ont préparé toutes les divines Ecritures, il nous est permis aussi d'entendre par les cieux les livres de l'un et de l'autre Testament. Il est dit aussi de Moïse, que les mages de Pharaon, voyant qu'il les surpassait, s'écrièrent: «Celui-ci est le doigt de Dieu (Ex 8,19)». Quoique cette expression d'Isaïe: «Le ciel sera replié comme un livre (Is 34,4)», s'applique au ciel éthéré, on peut très-bien l'entendre encore dans le sens allégorique des livres de l'Ecriture. «Pour moi donc, je considère les cieux qui sont l'ouvrage de vos mains», c'est-à-dire, je lirai, je comprendrai ces Ecritures, que vous avez écrites par vos ministres, que dirigeaient l'Esprit-Saint.

808 8. On peut donc aussi voir les livres saints, dans ces cieux dont il disait auparavant : «Votre magnificence est élevée au-dessus des cieux», ce qui signifiait: Parce que votre magnificence est plus élevée que les cieux, et qu'elle surpasse toutes les paroles des Ecritures; voilà que vous avez tiré de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle, la louange la plus parfaite, en contraignant à commencer par croire aux saintes Ecritures, ceux qui désirent arriver à la connaissance de votre grandeur; et cette grandeur est bien au-dessus des Ecritures, puisqu'elle surpasse tous les efforts et toutes les expressions du langage. Dieu donc a voulu abaisser les Ecritures jusqu'au niveau des enfants nouveau-nés et à la mamelle, comme l'a dit un autre psaume: «Il a abaissé les cieux et il est descendu (Ps 17,19)»: et il l'a fait à cause de ses ennemis, qui détestent la croix de Jésus-Christ, et dont les discours orgueilleux ne peuvent même, en disant la vérité, devenir utiles aux enfants nouveau-nés et à la mamelle. C'est ainsi qu'est détruit l'ennemi et le défenseur, qui veut défendre tantôt la sagesse, tantôt le nom du Christ, et qui (157) attaque néanmoins la vérité dont il garantit la prompte intelligence, puisqu'il ruine la foi qui en est la base. On peut le convaincre encore de ne posséder point la vérité, puisqu'en ruinant la foi qui est l'échelle pour y arriver, il prouve qu'il en ignore le chemin. Si donc on veut détruire ce téméraire, cet aveugle prometteur de la vérité, qui en est à la fois l'ennemi et le défenseur, il faut regarder les cieux, l'ouvrage des doigts de Dieu, c'est-à-dire comprendre les saintes Ecritures qui s'abaissent jusqu'à cette lenteur des enfants qu'elles nourrissent d'abord par l'humble croyance des faits historiques accomplis pour notre salut, qu'elles fortifient ensuite jusqu'à les élever à la sublime intelligence des vérités éternelles. Ces cieux donc, ou les livres saints, sont l'ouvrage des doigts de Dieu, puisqu'ils sont écrits par le Saint-Esprit qui animait les saints et agissait en eux. Pour ceux qui ont cherché leur gloire plutôt que le salut des hommes, ils ont parlé sans l'Esprit-Saint, en qui sont les entrailles de la divine miséricorde.

809 9. «Je verrai donc les cieux, l'ouvrage de vos doigts, la lune et les étoiles que vous avez établies (Ps 8,4). C'est dans le ciel que sont établies la lune et les étoiles; parce que l'Eglise universelle, souvent désignée par la lune, et les églises particulières, que désignerait, selon moi, la dénomination d'étoiles, sont basées sur les saintes Ecritures, que nous avons reconnues dans la dénomination des cieux. Dans un autre psaume, nous verrons plus à propos comment le nom de lune convient à l'Eglise, en expliquant cette parole: «Les pécheurs ont bandé leur arc pour percer, dans l'obscurité de la lune, les hommes au coeur droit (Ps 10,3)».

810 10. «Qu'est-ce que l'homme pour que vous vous souveniez de lui, ou le fils de l'homme pour que vous le visitiez (Ps 8,5)?» On peut se demander quelle est la différence entre l'homme et le fils de l'homme; car s'il n'y en avait aucune, le Prophète n'aurait pas dit avec la disjonctive: «L'homme ou le fils de l'homme». Si le Prophète avait dit: « Qu'est-ce que l'homme pour que vous vous souveniez de lui, et le fils de l'homme pour que vous le visitiez? il semblerait faire une répétition du mot homme». Mais en disant: «L'homme, ou le fils de l'homme», il montre qu'il met entre ces deux expressions une différence. Retenons bien d'abord que tout fils de l'homme est un homme, bien que tout homme ne soit point fils de l'homme; car Adam est un homme sans être fils de l'homme, Il est donc bien de remarquer ici quelle est la différence entre l'homme et le fils de l'homme: et alors ceux qui portent l'image de l'homme terrestre qui n'est point fils de l'homme, sont désignés par le nom d'hommes, tandis que l'on appellerait fils de l'homme, ceux qui portent l'image de l'homme céleste (1Co 15,49). L'homme terrestre, c'est le vieil homme, tandis qu'on appelle homme nouveau (Ep 4,22) l'homme céleste. Mais l'homme nouveau provient du vieil homme, puisque la régénération spirituelle ne s'opère que par le changement de notre vie terrestre et mondaine; et c'est ce qui le fait appeler fils de l'homme. Ici donc l'homme est terrestre, le fils de l'homme est céleste; le premier est loin de Dieu, tandis que l'autre est devant lui; alors il se souvient de l'un qui est à une longue distance, et il visite l'autre en l'éclairant à la lumière de sa face. Car «le salut est loin des pécheurs (Ps 118,155), et sur nous, ô Dieu, est empreinte la lumière de votre face ()». Ainsi encore, dans un autre psaume, le Prophète associe les hommes aux animaux, dit que Dieu les sauve avec les bêtes de somme, non sans doute en leur communiquant sa lumière intérieure, mais par une extension de sa miséricorde qui descend avec bonté jusqu'aux dernières créatures: car Dieu sauve les hommes charnels comme il sauve les animaux; mais il sépare les fils des hommes, de ces hommes qu'il associait aux animaux; il les proclame, bienheureux d'une manière plus relevée, et par l'effet de la vérité qui les éclaire, et de la source de vie qui se répand en eux. « Seigneur», dit-il, «vous sauverez les hommes et les animaux, selon que vous multipliez votre bienveillance, ô Dieu. Mais les enfants des hommes espéreront à l'ombre de vos ailes, ils seront enivrés de l'abondance des biens de votre maison, vous les abreuverez au torrent de vos délices. Car c'est en vous qu'est la source de la vie, et dans votre lumière nous verrons la lumière. Etendez votre miséricorde à ceux qui vous connaissent (Ps 35,7-11). Ainsi, le Seigneur dans sa bonté se souvient (158) de l'homme, comme il se souvient des animaux, car cette bonté s'étend jusqu'à ceux qui sont éloignés de lui; mais il visite le fils de l'homme quand il étend sur lui sa miséricorde pour le couvrir comme de ses ailes, quand il l'éclaire à la splendeur de sa propre lumière, l'abreuve de ses délices, l'enivre de l'abondance de sa maison, et lui fait oublier les misères et les égarements de sa vie passée. C'est ce fils de l'homme, ou cet homme nouveau, qu'enfante avec douleur et gémissement la pénitence du vieil homme. Cet homme, quoique nouveau, s'appelle néanmoins charnel, tant qu'il est nourri de lait: «Je n'ai pu», dit l'Apôtre, «vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels». Et pour leur montrer qu'ils sont régénérés en Jésus-Christ, il ajoute: «Je vous ai traités comme de petits enfants en Jésus-Christ, vous donnant du lait, non une nourriture solide (1Co 3,1-3)». Pour cet homme nouveau, retombé dans sa première vie, ce qui arrive souvent, c'est qu'il encourt le reproche d'être homme: « N'êtes-vous pas des hommes», dit saint Paul, «et ne marchez-vous pas tout à fait comme des hommes 1Co 3)?»

811 11. Le fils de l'homme a donc été visité tout d'abord dans la personne de cet Homme-Dieu, né de la vierge Marie. L'infirmité de cette chair, que daigna porter la Sagesse divine, et les ignominies de la passion, ont fait dire au Prophète: «Vous l'avez rendu quelque peu inférieur aux anges (Ps 8,6)». Puis il se hâte de marquer la gloire de sa résurrection et de son ascension: «Vous l'avez couronné de gloire et d'honneur, en l'établissant sur toutes les oeuvres de vos mains (Ps 8,7)». Comme les anges sont aussi l'oeuvre des mains de Dieu, nous croyons que le Fils unique de Dieu est au-dessus des anges, comme nous croyons qu'il n été quelque peu inférieur aux anges, dans les ignominies de sa naissance temporelle et de sa passion.

812 12. «Vous avez mis tout à ses pieds (Ps 8,8)». Tout, dit le Prophète, sans exception; et afin qu'on ne pût entendre ces paroles dans un autre sens, l'Apôtre veut que la foi les accepte ainsi, quand il dit: «Excepté celui-là seul qui lui a tout assujetti (1Co 15,27). Il s'appuie, dans l'Epître aux Hébreux, sur le témoignage de ce Psaume, quand il nous ordonne de croire que tout est soumis à Jésus-Christ (He 2,8), sans aucune exception. Toutefois le Prophète ne paraît pas beaucoup ajouter, quand il énumère « toutes les brebis, les boeufs, et même les bêtes sauvages; les oiseaux du ciel, les poissons de la mer qui se promènent dans ses sentiers (Ps 8,9)». Il paraît négliger les Vertus, les Puissances, et toutes les armées angéliques, négliger même les hommes, pour soumettre à Jésus-Christ les animaux: à moins que par les boeufs et les brebis, nous n'entendions les âmes saintes, qui produisent les fruits de l'innocence, ou qui travaillent à rendre la terre fertile, c'est-à-dire à obtenir des hommes terrestres une régénération dans les biens spirituels. Par ces âmes saintes, nous devons donc entendre non-seulement les hommes, mais aussi les anges, si nous vouIons conclure de ce verset que tout est soumis à Jésus-Christ Notre-Seigneur. Car il n'y aura plus rien qui ne lui soit soumis, si les princes d'entre les esprits, pour ainsi parler, lui sont assujettis. Mais comment prouver que par brebis, on peut entendre les plus élevés en sainteté, non-seulement des hommes, mais encore des créatures angéliques? Est-ce par ce que le Sauveur nous dit qu'il a laissé quatre-vingt-dix-neuf brebis sur les montagnes, ou dans les hauteurs des cieux, afin de descendre pour une seule (Mt 18,12 Lc 15,4)?Par cette brebis tombée, si nous entendons la nature humaine déchue en Adam, parce que Eve avait été tirée de son côté (Gn 2,22), ce qu'il n'est pas temps d'examiner ici pour le traiter d'une manière spirituelle, il ne reste plus pour les quatre-vingt-dix-neuf brebis, que des natures angéliques et non des âmes humaines. Quant aux boeufs,  il est facile de les entendre des anges car si l'Ecriture désigne les hommes quand elle dit: «Vous ne lierez point la bouche au boeuf qui foule le grain (Dt 25,4)», c'est que les hommes, en portant la parole de Dieu, sont des messagers comme les anges (Saint Augustin joue sur le mot Angelus, messager ; d'où evangelizare, porter la parle): combien nous sera-t-il plus facile de désigner sous la figure des boeufs, les anges eux-mêmes, ces messagers de la vérité, puisque les évangélistes qui partagent leur nom, sont désignés par les boeufs (1Co 9,9 1Tm 5,8)? Donc, «vous lui avez assujetti toutes les brebis et tous les boeufs», c'est-à-dire toutes les créatures spirituelles; et par là, (159) nous comprenons aussi tous les hommes qui vivent saintement dans l'Eglise ou sous les pressoirs, et qui sont désignés maintenant sous la figure de la lune et des étoiles.

813 13. «Et même les animaux des champs». Et même, n'est point inutile ici. D'abord, parce que ces troupeaux des champs peuvent s'entendre des brebis et des boeufs; car si les chèvres sont les animaux des rochers et des lieux escarpés, les brebis et les boeufs seront les animaux des campagnes. Donc, après avoir énuméré « les brebis, les boeufs, et les animaux des champs», on peut fort bien se demander quels sont ces animaux des champs, -puisque l'on peut désigner ainsi les brebis et les boeufs. Mais l'expression, «et même, insuper», nous force à y trouver je ne sais quelle différence; et cette expression, «et même», embrasse non-seulement les animaux des champs, mais les oiseaux du ciel, les poissons de la mer, qui parcourent les sentiers de l'abîme. Quelle est donc cette différence? Rappelons-nous les pressoirs, où le vin est mêlé au marc, et l'aire qui contient la paille et le froment (Mc 3,12), et les filets qui renferment de bons et de mauvais poissons (Mt 13,47), et l'arche de Noé, qui abrite des animaux purs et des animaux impurs (Gn 7,8); et vous verrez que l'Eglise ici-bas, jusqu'au jour du jugement, renferme non-seulement des brebis et des boeufs, c'est-à-dire de saints laïques et de saints ministres, mais «encore des animaux des champs, des oiseaux du ciel, des poissons de la mer, qui parcourent les sentiers de l'abîme». Ces animaux des champs figurent très-bien les hommes qui mettent leur joie dans les voluptés charnelles, où ils n'ont rien d'escarpé, rien de fatigant à gravir. On peut appeler campagne, cette voie large qui conduit à la mort (Gn 4,8); Abel fut tué dans la campagne (Ps 35,7). Aussi devons-nous craindre qu'en descendant ces montagnes de la justice divine, dont le Prophète a dit: «Votre justice, ô Dieu, est comme les plus hautes montagnes», pour nous mettre à l'aise dans les facules voluptés de la chair, nous ne soyons égorgés par le démon. Maintenant, dans ces oiseaux du ciel voyons les orgueilleux, dont il est dit «Ils opposent leur bouche au ciel (Ps 72,9).Voyons-les s'élever à des hauteurs comme sur l'aile des vents, ceux qui disent: «Nous glorifierons notre parole, nos lèvres sont indépendantes, qui dominera sur nous (Ps 11,5)?» Voyez encore dans les poissons de la mer, ces curieux qui parcourent sans cesse les sentiers de l'abîme, ou qui cherchent dans le gouffre du siècle les biens temporels: biens futiles, qui doivent périr aussi promptement que les sentiers tracés sur la mer disparaissent, quand l'eau se rejoint après avoir livré passage au vaisseau qui fuyait, ou à tout autre nageur. Le Prophète ne dit pas seulement qu'ils parcourent ces sentiers de l'abîme, mais qu'ils les parcourent sans cesse, perambulans, pour montrer leur infatigable obstination à rechercher des choses futiles et peu durables. Ces trois vices capitaux, la volupté charnelle, l'orgueil, la curiosité, renferment tous les péchés. Saint Jean me paraît les énumérer en disant: «Gardez-vous d'aimer le monde, car tout ce qui est dans le monde, est convoitise de la chair, convoitise des yeux, ambition du siècle (Jn 2,15-16)». C'est dans les yeux que règne la curiosité. Il est facile de voir à quoi se rapportent les autres convoitises. Telle fut aussi la triple tentation de l'Homme-Dieu, par la nourriture, ou l'appétit de la chair, quand le démon lui dit: « Faites que ces pierres se changent en pain (Mt 4,3)»; par la vaine gloire, alors qu'il le porta sur une haute montagne pour lui montrer et lui promettre tous les royaumes de la terre, s'il veut l'adorer; par la curiosité, quand il lui suggéra de se précipiter du haut du temple, afin de voir si les anges le soutiendraient. Et comme cet ennemi ne put faire prévaloir aucune de ces suggestions, il est dit dans l'Evangile, «que Satan épuisa toute tentation (Lc 4,13)». Dans le sens des pressoirs, tout est mis sous les pieds de Jésus-Christ, non-seulement le vin, mais le marc; non-seulement les brebis et les boeufs, c'est-à-dire les âmes saintes des fidèles, soit dans le peuple chrétien, soit chez les ministres, mais encore les animaux de la volupté, les oiseaux de l'orgueil, les poissons de la curiosité. Or, ces sortes de pécheurs, nous en sommes témoins, sont dans l'Eglise confondus avec les bons et les saints. Que Dieu donc agisse dans son Eglise, qu'il sépare du marc le vin pur. Quant à nous, travaillons à devenir un vin excellent, à compter parmi les brebis et les boeufs; mais ne figurons jamais, ni dans le marc de raisin, ni parmi les animaux des (160) campagnes, ni parmi les oiseaux du ciel, ni parmi ces poissons de la mer toujours parcourant les sentiers de l'abîme. Toutefois ces animaux n'ont pas qu'une seule signification, et pourraient s'expliquer autrement; cela dépend du lieu où ils se trouvent, et ailleurs ils ont une autre signification. Il est de règle que, dans les symboles, il faut examiner, d'après la pensée du texte, la signification d'une figure. Tel est l'enseignement du Christ et des Apôtres. Répétons donc le dernier verset, par lequel déjà le Prophète avait commencé, et disons: «Seigneur, notre Dieu,  que votre nom est admirable sur toute la terre!» Car, après avoir exposé le texte du psaume, il est bon d'en redire le premier verset qui en contient toute la pensée.


DISCOURS SUR LE PSAUME IX - LES ACTES MYSTÉRIEUX DE JÉSUS-CHRIST.

9 Ps 9

Ces actes secrets consistent dans son avènement, tellement humble que les Juifs ne l'ont point connu, et dans cette sagesse mystérieuse qui lui fait abandonner aux impies les prospérités temporelles; piège funeste auquel ils seront, pris! tandis qu'il attire à lui les justes en les châtiant dès ici-bas.

901 1. Ce psaume a pour titre: «Pour la fin, psaume de David, pour les secrets du Fils (Ps 9,1)». On peut se demander quels sont ces mystères du Fils: mais comme ce Fils n'est point précisé, nous devons comprendre que c'est le Fils unique de Dieu. En effet, le psaume qui porte en inscription: Pour le fils de David, ajoute: «Quand il fuyait devant son fils Absalon (Ps 3,1)». Nominer celui-ci, c'était ne laisser aucun doute sur le fils dont il était question; et toutefois il n'est pas dit seulement: «Devant la face du fils Absalon», mais bien: «De son fils». Or, ici comme il n'est pas dit: «Son fils», et comme d'ailleurs beaucoup de passages regardent les Gentils, le psaume ne peut s'entendre d'Absalon; et d'ailleurs la guerre que ce fils de perdition fit à son père, n'a aucun rapport avec les Gentils, puisque le peuple seul d'Israël se divisa contre lui-même (2S 15). Ce psaume est donc le chant des mystères du Fils unique de Dieu. Car le Sauveur se veut désigner lui-même, quand il dit simplement: Le Fils, sans rien ajouter; ainsi dans ce passage: «Si le Fils vous délivre, vous aurez la vraie liberté (Jn 8,36)», il ne dit pas: «Le Fils de Dieu», mais simplement: Le Fils, laissant à juger de qui il est fils. Cette expression ne convient qu'à ce Fils par excellence, que l'on peut reconnaître dans notre langage, quand même il ne serait pas désigné plus spécialement. C'est ainsi que nous disons: Il pleut, il lait beau, il tonne, -et autres manières de parler, sans préciser qui fait ces choses, parce que l'auteur par excellence s'offre de lui-même à notre esprit, sans être plus désigné. Quels sont donc les mystères du Fils? D'abord cette expression nous fait comprendre que le Fils a des actes connus, dont on distingue ceux que l'on appelle secrets ou mystérieux. Or, comme nous croyons à deux avènements du Sauveur, l'un accompli et que les Juifs n'ont pas compris; l'autre à venir, que nous attendons tous; comme le premier, ignoré des Juifs, a été avantageux aux Gentils, on peut fort bien entendre par les mystères ou les secrets du Fils, ce premier avènement, où l'aveuglement a frappé une pat-tic d'Israël, jusqu'à ce que la plénitude des nations entrât dans l'Eglise (Rm 11,25). Pour l'homme attentif, l'Ecriture insinue aussi deux jugements, l'un occulte, et l'autre évident. Le jugement occulte se fait actuellement, selon cette parole de saint Pierre: «Voici le temps où Dieu va commencer le jugement par la maison du (161) Seigneur (1P 4,17)». Ce jugement occulte est don la peine qui stimule chaque homme à se purifier, ou l'avertit de retourner à Dieu, ou le frappe d'un aveuglement qui le perdra. s'il méprise la voix et les corrections du Seigneur. On appelle manifeste, ce jugement dans lequel Jésus-Christ viendra juger les vivants et les morts, où tous confesseront que c'est de lui que viendront et aux bons la récompense, et aux méchants le supplice. Mais cette confession faite alors, loin de remédier au malheur, portera la damnation à son comble. Il est probable que le Seigneur parlait de ce double jugement, dont l'un est occulte et l'autre manifeste, quand il disait: «Celui qui croit en moi, a passé de la mort à la vie, et ne tombera point au jugement  (Jn 5,24)»; c'est-à-dire au jugement visible. Car, passer de la mort à la vie, par une de ces afflictions, dont le Seigneur châtie ceux qu'il reçoit parmi ses enfants, c'est là le jugement occulte. «Celui qui ne croit point», disait-il encore, «est déjà jugé (Jn 3,18)», c'est-à-dire, que le jugement occulte de Dieu le prépare au jugement manifeste. Le Sage nous parle aussi de ces deux sortes de jugements, quand il dit: « Votre jugement les a livrés à la dérision comme de jeunes insensés; et ceux que ce jugement n'a pas corrigés ont éprouvé le sévère jugement de Dieu (Sg 12,25-26)». Ils sont donc réservés aux châtiments justes et sévères du jugement manifeste, ceux que ne redresse point le jugement secret du Seigneur. Ce psaume alors nous entretient des mystères du Fils, c'est-à-dire et de cet avènement dans son humilité, si utile aux nations, quand il tenait les Juifs dans l'aveuglement, et de cette peine dont Dieu se sert dans le secret, non pour damner les pécheurs, mais soit pour exercer la foi de ceux qui se convertissent, soit pour déterminer les autres à se convertir, soit afin de préparer à la damnation par l'aveuglement ceux qui demeurent dans l'impénitence.

902 2. «Je vous confesserai, Seigneur, dans toute l'étendue de mon coeur (Ps 9,2)» Douter quelque peu de sa providence, ce n'est point confesser Dieu de tout son coeur; mais comprendre, dans les mystérieux desseins de la sagesse divine, combien se dérobe à nos regards la récompense de celui qui dit: «Nous goûtons la joie dans les afflictions (Rm 5,3)» ; comment toutes les peines corporelles qui nous affligent doivent aboutir à exercer ceux qui se convertissent à Dieu, ou à porter les pécheurs à se convertir, ou à préparer à la dernière et juste vengeance les pécheurs endurcis; et de la sorte, rapporter au gouvernement de la divine Providence, tous ces événements que les insensés attribuent témérairement au hasard, et nullement à l'action divine; c'est là confesser Dieu. «Je publierai toutes vos merveilles». C'est publier toutes les merveilles de Dieu, que découvrir la main de Dieu, non-seulement dans ce qu'elle opère de visible sur le corps, mais dans son action invisible et bien supérieure sur les âmes. Car les hommes terrestres et qui jugent par les yeux, verront une plus grande merveille dans la résurrection corporelle de Lazare, que dans la résurrection spirituelle de Paul le persécuteur (Jn 11,44 Ac 9). Mais comme un miracle visible est pour l'âme un appel à la lumière, et qu'un miracle invisible éclaire celle qui obéit à cet appel; c'est raconter toutes les merveilles de Dieu, que croire aux miracles visibles, et de là s'élever à l'intelligence des miracles invisibles.

903 3. «Je me réjouirai en vous, et en vous je tressaillerai d'allégresse (Ps 9,3)». Ni ce monde, ni les voluptés de la chair, ni les saveurs qui flattent le palais et la langue, ni les odeurs suaves, ni l'harmonie des sons passagers, ni les couleurs si variées des corps, ni les vaines louanges des hommes, ni les épousailles et une postérité périssable, ni la surabondance des biens temporels, ni l'étude profane de ce que renferment les espaces, ou de tout ce qu'amène la succession des temps, rien de tout cela, Seigneur, «n'est le sujet de ma joie; mais en vous, je tressaille d'allégresse», ou plutôt dans ces mystères du Fils, qui a «marqué sur notre front l'empreinte de votre lumière, ô mon Dieu (Ps 4,7)». Car «vous les cacherez, dit le Prophète, dans le secret de votre face (Ps 30,21)». C'est donc vous qui faites la joie et l'allégresse de ceux qui racontent vos merveilles; et il racontera vos merveilles, celui que nous annonce le Prophète, et qui viendra faire, non sa propre volonté, mais la volonté de son Père qui l'a envoyé (Jn 6,38).

904 4. Nous commençons donc à voir que c'est Jésus-Christ qui parie dans ce psaume. Car le (162) verset suivant porte: « Je chanterai votre nom, ô Très-Haut, car vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière (Ps 9,4)». Or, quand l'ennemi de Jésus-Christ rebroussa-t-il en arrière, sinon quand il lui fut dit: «Retire-toi en arrière, Satan (Mt 4,10)?» Car alors celui qui voulait par la tentation se mettre en avant, dut reculer en arrière, puisqu'il échoua dans ses tentatives de séduction, et n'obtint aucun avantage. L'homme terrestre est en arrière, mais l'homme céleste, quoique venu le dernier, est néanmoins en avant. «Le premier homme est terrestre, et vient de la terre, le second est céleste, et vient du ciel (1Co 15,47)». C'est de la race du premier que venait celui qui a dit: «Celui qui vient après moi a été fait avant moi (Jn 1,15)», et l'apôtre saint Paul, oubliant ce qui est derrière lui, se porte à ce qui est en avant (Ph 3,13). L'ennemi donc rebroussa en arrière quand il échoua auprès de l'homme céleste qu'il tentait, et il se retourna vers les hommes terrestres qu'il pouvait dominer. Nul homme, dès lors, ne peut prendre le devant sur cet ennemi, et le fa-ire rebrousser en arrière, si ce n'est celui qui a échangé l'image de l'homme terrestre contre l'image de l'homme céleste (1Co 15,49). Nous pouvons encore, sans absurdité, par «mon ennemi» entendre, si nous l'aimons mieux, ou le pécheur en générai, ou l'homme idolâtre. Alors ces paroles : «Vous avez fait rebrousser mon ennemi en  arrière», n'exprimeront point un châtiment, nais un bienfait, et un bienfait tel qu'on ne peut rien lui comparer. Quoi de plus heureux que d'abjurer son orgueil, et de renoncer à précéder le Christ, comme si nous étions en santé mais sans avoir besoin du médecin; mais de préférer suivre le Christ qui, appelant son disciple à la perfection, lui dit: «Suivez-moi (Mt 19,21)?» Il vaut mieux néanmoins appliquer au démon cette parole: «Vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière». Car le démon a été forcé de reculer, même dans la persécution des justes, et il est plus avantageux pour nous de subir ses poursuites, que de le suivre, comme s'il était pour nous un guide et un chef, Chantons donc le nom du Très-Haut qui a fait rebrousser l'ennemi en arrière, puisqu'il est bien mieux pour nous de fuir ses poursuites, que de le suivre quand il veut nous conduire. Car nous avons une retraite et un asile caché dans les mystères du Fils: «Et le Seigneur deviendra notre refuge (Ps 89,1).»

905 5. «Ils seront abattus et anéantis en votre présence (Ps 9,5)». Qui donc tombera pour être anéanti, sinon le pécheur et l'impie? «Il tombera», parce qu'il n'aura plus de force; «il sera anéanti», parce qu'il cessera d'être impie; «en votre présence», c'est-à-dire, quand il vous connaîtra, comme fut anéanti celui qui a dit: «Je vis, non pas moi, mais le Christ vit en moi (Ga 2,20)». Mais pourquoi «l'impie sera-t-il abattu et anéanti en votre présence?» C'est, répond le Prophète: «Parce que vous m'avez rendu justice, et que vous vous êtes déclaré pour ma cause (Ps 9,5)» ; c'est-à-dire, vous avez tourné à mon avantage et ce jugement dans lequel je parus être jugé, et cette condamnation que les hommes prononcèrent contre moi, en dépit de ma justice et de mon innocence. Car tout cela servit au Fils de Dieu pour notre délivrance: ainsi le pilote appelle sien, le vent qui lui sert pour une heureuse navigation.

906 6. «Vous êtes monté sur votre siége, vous qui jugez avec équité (Ps 5)». Tel peut être le langage du Fils à son Père, dans le même sens qu'il disait: « Vous n'auriez aucun pouvoir sur moi s'il ne vous était donné d'en-haut (Jn 19,11)», regardant comme un effet de l'équité de son Père et de ses propres secrets, que le juge des hommes ait été jugé pour le salut des hommes. Peut-être est-ce l'homme qui dit à Dieu: «Vous êtes monté sur votre trône, vous qui jugez dans l'équité»; désignant son âme sous le nom d'un trône, et alors son corps serait la terre, appelée escabeau des pieds du Seigneur (Is 46): car Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde (2Co 5,19). Peut-être est-ce l'âme de l'Eglise, déjà parfaite, sans tache et sans ride (Ep 5,27), digne des secrets du Fils, parce que le roi l'a introduite dans sa demeure secrète (Ct 1,3), l'âme de l'Eglise qui dit à son Epoux: «Vous êtes monté sur «votre trône, vous qui jugez avec justice», parce que vous êtes ressuscité d'entre les morts, pour vous élever au ciel et vous asseoir à la droite du Père. On peut, sans blesser les règles de la foi, donner à ces paroles, l'une ou l'autre de ces trois interprétations.

907 7. «Vous avez châtié les nations, et le (163) méchant a péri Ps 9,6)». Il est mieux d'appliquer ces paroles à Jésus-Christ que d'en faire son langage. Quel autre a châtié les nations pour en faire disparaître l'impie, comme il le fit, après son-ascension? Car alors il envoya l'Esprit-Saint, dont furent remplis les Apôtres qui prêchèrent avec confiance la parole de Dieu et accusèrent avec liberté les péchés des hommes. Leurs réprimandes firent disparaître l'impie, qui fut justifié et devint pieux. «Vous avez effacé son nom pour le siècle, et «dans les siècles des siècles(Ps 9,6)», Le nom de l'impie a disparu, car on ne peut appeler impie celui qui croit au vrai Dieu; son nom est donc effacé pour le siècle, c'est-à-dire, pendant que s'écouleront les jours du siècle. «Et dans les siècles des siècles». Qu'est-ce que le siècle du siècle, sinon la durée dont le siècle n'est que l'image et comme l'ombre? Car cette révolution des temps qui se succèdent, alors que la lune croît et décroît, que le soleil revient chaque année dans sa gloire, que le printemps, que l'été, que l'automne et que l'hiver ne s'en vont que pour revenir encore, tout cela nous donne une certaine image de l'éternité. Mais la durée qui subsiste dans une immuable continuité, s'appelle siècle de ces siècles qui s'écoulent; elle est pour eux, comme le vers que vous avez dans l'esprit à l'égard de celui que vous prononcez de la voix. Le premier se comprend, le second s'entend, a sa mesure dans le premier, qui est l'oeuvre de l'art et qui demeure, tandis que le second passe dans l'air avec le son de la voix. C'est ainsi que le siècle qui passe trouve son modèle dans le siècle immuable, que l'on appelle siècle des siècles. Celui-ci demeure chez le divin ouvrier, il est en permanence dans la sagesse et dans la puissance de Dieu: tandis que celui-là en mesure l'action dans chaque créature. Peut-être encore n'est-ce qu'une répétition, et qu'après avoir dit: « Dans le siècle», pour qu'on ne l'entendît point du siècle qui s'écoule, le Prophète aura ajouté: « Et dans le siècle du siècle». Car il y a dans la version grecque: eis ton aiona, kai eis ton aiona tou aionos . Ce que plusieurs versions latines ont exprimé, non point en disant: «Dans le siècle, et dans le siècle du siècle»; mais bien: «Dans l'éternité et dans le siècle des siècles». Le nom de l'impie est donc détruit pour l'éternité, c'est-à-dire, que jamais à l'avenir il n'y aura plus d'impies; et si leur nom ne peut subsister dans ce siècle, il ne tiendra point dans le siècle des siècles.

908 8. «Les framées de l'ennemi ont fait défaut jusqu'à la fin  (Ps 9,7) ». Ici, l'ennemi est au singulier, et non au pluriel. Or, cet ennemi, dont les armes ont fait défaut, quel est-il, sinon le démon, dont les armes sont les mille formes de l'erreur, qu'il emploie comme des glaives pour tuer les âmes? Mais à l'encontre de ces glaives, et pour les anéantir, il y a le glaive du Seigneur, dont il est dit au psaume septième: «il brandira son glaive, si vous ne retournez à lui». C'est lui peut-être qui est le terme où doit échouer la force des glaives ennemis, qui doivent prévaloir jusqu'à lui. Aujourd'hui, il travaille en secret, mais au dernier jugement, il resplendira de tout son éclat. C'est lui encore qui détruit les cités; car, après avoir dit que la puissance doit être en défaut, le Prophète ajoute: «Et vous avez détruit leurs cités». Une âme devient la ville de Satan, quand les conseils artificieux et mensongers lui établissent en quelque sorte une cour, qui se fait obéir par ses membres chacun dans son usage, comme par autant de satellites et de ministres; les yeux servent la curiosité, les oreilles ses instincts licencieux, et elles recueillent tout propos qui porte à la débauche, les mains exercent la rapine et toute violence criminelle, et les autres membres soumis à une semblable tyrannie, travaillent dans ces desseins pervers. La populace de cette ville consisterait dans ces appétits sensuels et ces mouvements tumultueux de l'âme, qui soulèvent journellement dans l'homme des conflits séditieux. Il y a donc une cité partout où vous trouverez un roi, une cour, des ministres et un peuple. Et dans les villes déréglées nous ne verrions point tant de maux,- s'ils n'existaient d'abord dans chacun des citoyens, qui sont pour les cités des germes et des éléments. Ces cités donc, Jésus-Christ les détruit quand il en chasse le prince, ainsi qu'il est dit: «Le prince de ce siècle a été chassé dehors (Jn 12,31)»: la parole de la vérité porte le ravage dans ces royaumes, y étouffe les pernicieux desseins, y réprime les affections honteuses, y réduit en servitude l'action des membres et des sens, qui doivent servir à l'oeuvre de la justice et du bien; et ainsi s'accomplit cette parole de l'Apôtre :(164)  «Que le péché ne règne plus dans notre corps mortel (Rm 6,12)», et le reste du passage. Alors l'âme apaisée se trouve en état d'acquérir le repos et le bonheur éternel. «Leur mémoire a péri avec fracas (Ps 9,7)»,c'est-à-dire, la mémoire des impies. « Avec fracas», l'impiété ne se détruit pas sans bruit. Car nul homme n'arrive au calme du silence, à la paix profonde, s'il n'a d'abord fait à ses vices une guerre bruyante. Ou bien, «avec fracas», signifierait que la mémoire de l'impie périt avec ce fracas que fait ordinairement l'impiété.

909 9. «Tandis que le Seigneur demeure éternellement (Ps 9,8). A quoi bon dès lors ces frémissements des nations et ces vaines machinations des peuples contre le Seigneur et contre son Christ (Ps 2,1-2)», puisque le Seigneur demeure éternellement? «Il a préparé son «trône pour le jugement, et il jugera l'univers dans l'équité (Ps 2,1-2)». C'est quand il a été jugé qu'il a préparé son trône. La patience qu'il a montrée nous méritait le ciel, et ce Dieu caché dans l'homme, stimulait notre foi. C'est là le jugement occulte du Fils. Mais parce qu'il doit venir d'une manière visible et dans sa gloire pour juger les vivants et les morts, il s'est préparé un trône par un jugement caché. «Et il jugera ouvertement le monde «selon la justice», c'est-à-dire qu'il rendra à chacun selon son mérite, en plaçant les agneaux à sa droite et les boucs à sa gauche (Mt 25,33). «  Il jugera les peuples dans la justice», c'est la répétition de ce qui vient d'être dit, «qu'il jugera l'univers dans l'équité». Dieu donc ne jugera point à la manière des hommes qui ne voient point le coeur, et qui en viennent plus souvent à renvoyer les coupables qu'à les condamner; mais il jugera dans l'équité, selon la justice, selon le témoignage de la conscience, et selon que leurs pensées les accuseront ou les défendront (Rm 2,15).

910 10. «Et le Seigneur est devenu le refuge du pauvre (Ps 9,10)». Quelles que soient les poursuites de cet ennemi qui a dû rebrousser eu arrière, comment nuirait-il à ceux qui trouvent un asile dans le Seigneur? Il sera leur refuge, si dans ce monde, dont Satan est le prince, ils choisissent la pauvreté, ne s'attachant à rien de ce qui échappe à notre avidité pendant cette vie, ou que nous abandonnons à la mort. C'est à ces pauvres que le Seigneur  sert de refuge. «Il est leur appui dans les jours de bonheur, dans la tribulation (Ps 9,10)». C'est lui qui fait le pauvre, puisqu'il chante celui qu'il reçoit au nombre de ses enfants (He 12,6). Car le Prophète nous explique «l'appui dans les jours de bonheur», quand il ajoute:

«Dans la tribulation». L'âme, en effet, ne se tourne vers Dieu, qu'en répudiant le monde, alors que la fatigue et la douleur viennent se mêler à ses plaisirs si frivoles, si dangereux et si funestes.

911 11. «Qu'ils espèrent en vous ceux qui connaissent votre nom (Ps 9,11)», en cessant de mettre leur espoir dans les richesses, et dans les autres charmes de ce monde. L'âme qui se détache du monde, et qui cherche en qui mettre son espérance, se réfugie avec bonheur dans la connaissance du nom même de Dieu. A la vérité, ce nom se trouve aujourd'hui dans toutes les bouches; mais le connaître, c'est connaître aussi Celui dont il est le nom. Car un nom n'est pas tel par lui-même, il n'a de valeur que dans sa signification. Or, il est dit: «Le Seigneur est son nom (Jr 33,2)». Connaître son nom, c'est donc se mettre avec plaisir à son service. « Et qu'ils espèrent en vous, ceux qui connaissent votre nom». Le Seigneur dit encore à Moïse «Je suis celui qui suis (Ex 3,14), et tu diras aux enfants d'Israël : Celui qui est, m'a envoyé. Que ceux-là donc, Seigneur, espèrent en vous qui connaissent votre nom», de peur qu'ils ne mettent leur espoir dans les biens qui passent avec la rapidité du temps, qui n'ont rien que le futur et le passé. A peine ce qu'ils ont de futur est-il arrivé, qu'il est déjà passé. On l'atteint avec empressement, on le perd avec douleur. Mais dans la nature divine, il n'y a rien de futur qui ne soit point encore, rien de passé qui ne soit plus; être, c'est là tout ce qu'elle est, c'est l'éternité. Qu'ils cessent donc de mettre leur espoir et leur amour dans les biens du temps, qu'ils élèvent leur espérance jusqu'à l'éternité, ceux qui connaissent le nom de celui qui a dit: «Je suis celui qui suis», et dont il est écrit: «Celui qui est, m'a envoyé. Parce que vous n'abandonnerez pas, Seigneur, ceux qui vous cherchent». Le chercher, c'est ne plus chercher des biens passagers et périssables, puisque «nul ne peut servir deux maîtres (Mt 6,21)». (165)

912 12. «Chantez au Seigneur qui habite en Sion (Ps 9,12)», est-il dit à ceux qui cherchent le Seigneur, et qu'il n'abandonne pas. Il habite Sion, qui signifie contemplation, et nous offre l'image de l'Eglise actuelle, comme Jérusalem figure l'Eglise à venir ou la cité des saints qui jouissent déjà de la vie des anges, puisque Jérusalem signifie vision de la paix. Or, la contemplation précède la vision, comme l'Eglise d'ici-bas précède la cité immortelle et éternelle qui nous est promise; mais elle ne la précède que dans l'ordre du temps sans la surpasser en dignité, car la fin où nous tendons est plus honorable que l'effort que nous faisons pour y arriver; or, notre effort actuel, c'est la contemplation, par laquelle nous arriverons à la vision. Mais si dès aujourd'hui le Seigneur n'habitait dans l'Eglise. de la terre, la plus attentive contemplation pourrait aboutir à l'erreur. Aussi est-il dit: «Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple (1Co 3,17)»; et: «Le Christ habite dans l'homme intérieur et dans vos coeurs par la foi (Ep 3,16-17)». Il nous est donc ordonné de chanter au Seigneur qui habite en Sion, afin que nous chantions de concert les louanges du Dieu qui habite en son Eglise. «Annoncez parmi les peuples ses merveilles (Ps 9,12)». C'est ce qui a été fait, et se fera toujours.

913 13. «Le Seigneur s'est souvenu d'eux, en recherchant leur sang répandu (Ps 9,13)». Comme si les Apôtres, envoyés porter l'Evangile aux peuples, répondaient à cette injonction: « Publiez ses merveilles parmi les peuples», et disaient: «Seigneur, qui pourra croire à notre parole (Is 53,1)?» et: «Chaque jour, votre amour nous fait égorger ?». Le Prophète a raison d'ajouter que pour les chrétiens persécutés, le fruit de la mort sera la grande acquisition de l'éternité: «Parce que le Seigneur se souvient d'eux et venge leur sang». Mais pourquoi le Prophète a-t-il choisi de préférence cette expression: «Leur sang?» Répondrait-il à cette question que pourrait lui faire un homme ignorant et faible dans la foi: «Comment prêcheront-ils chez ces infidèles qui doivent les égorger (Ps 43,22)?» et dirait-il: «Le Seigneur se souviendra d'eux, et vengera leur sang», c'est-à-dire, viendra le dernier jugement pour mettre à découvert la gloire des victimes et le châtiment des bourreaux? Car nul n'entendra cette expression: «Dieu s'est souvenu d'eux», comme s'il avait pu les oublier; mais parce que le dernier jugement ne doit arriver qu'après un long espace de temps, le Prophète s'accommode au langage des hommes faibles, qui s'imaginent que Dieu oublie, parce qu'il agit avec plus de lenteur qu'eux-mêmes ne voudraient. C'est pour eux encore qu'il est dit plus bas: «Il n'a point oublié le cri des pauvres (Ps 9,13)» c'est-à-dire, il n'a point oublié, comme vous le pensez; et comme si, après avoir entendu ce mot: «Il s'est souvenu», ils disaient: «Il avait donc oublié»: «Non», dit le Prophète, «il n'oublie point le cri du pauvre».

914 14. Mais quel est, dirai-je, ce cri du pauvre que le Seigneur n'oublie point? Est-ce le cri exprimé dans les paroles suivantes: «Prenez-moi, Seigneur, en pitié, voyez à quelle humiliation me réduisent mes ennemis (Ps 9,14)?» Pourquoi donc ne disait-il pas au pluriel: «Prenez-nous en pitié, Seigneur, et voyez à quelle humiliation nous réduisent nos ennemis?»  comme si tant de pauvres criaient ensemble; et dit-il: «Prenez-moi en pitié,  Seigneur», comme s'il n'y avait qu'un seul pauvre? Est-ce que celui-là seul parle au nom des saints qui, étant riche, s'est fait pauvre pour nous (2Co 8,9)? Lui aussi dirait alors: «C'est vous qui me relevez des portes de la mort, afin que je publie vos louanges aux portes de la ville de Sion (Ps 9,15)». Car c'est Jésus-Christ qui relève l'homme, non-seulement cet homme dont il s'est revêtu, et qui est le chef de l'Eglise; mais chacun de nous, qui sommes les membres de son corps, et il nous élève au-dessus des convoitises dépravées qui sont les portes du trépas, puisque c'est par là que nous allons à la mort. Et la mort est déjà dans ces joies que procurent les jouissances, quand nous acquérons ce qu'il était criminel de désirer: «Car la convoitise est la racine de tous les maux ()». Aussi peut-on l'appeler porte de la mort, car une veuve qui vit dans les délices est déjà morte (). Or, c'est par la convoitise que nous entrons dans les délices, comme par les portes de la mort. Mais les portes de Sion sont les saints désirs qui aboutissent à la vision de la paix dans la sainte Eglise. C'est donc dans ces portes qu'il nous faut publier toutes les louanges du Seigneur, afin (166) que l'on ne donne pas aux chiens ce qui est saint, ni les perles aux pourceaux (Mt 7,6), Les premiers préfèrent aboyer toujours, plutôt que de rechercher avec soin; les autres ne veulent ni aboyer ni chercher, mais se vautrer dans la fange de leurs voluptés. Mais quand on loue le Seigneur avec de saintes affections, alors il accorde à ceux qui demandent, il se manifeste à ceux qui le cherchent, il ouvre à ceux qui frappent. Ces portes de la mort s'entendraient-elles des sens du corps, des yeux qui s'ouvrirent en Adam, quand il eut goûté du fruit défendu (Gn 3,7), et au-dessus desquels s'élèvent ceux qui ne recherchent point les biens visibles, mais les invisibles? «Ce qui est visible, en effet, n'est que temporel, tandis que les biens invisibles sont éternels (2Co 4,18)»; et alors les portes de Sion ne seraient-elles pas les sacrements et les principes de la foi que Dieu veut bien ouvrir à ceux qui frappent, afin qu'ils parviennent à connaître les secrets du Fils? «Car ni l'oeil n'a vu, ni l'oreille n'a entendu, ni le coeur de l'homme n'a compris, ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment (2Co 2,9)» ici finirait alors ce cri des pauvres, qui n'est point en oubli pour le Seigneur.

915 15. Voyons la suite. «Je serai dans la joie, à la vue du Sauveur qui vient de vous (Ps 9,16)» ; c'est-à-dire, je trouverai mon bonheur dans le Sauveur que vous m'avez donné, qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ, la force et la sagesse de Dieu  (1Co 1,24). Tel est donc le langage de l'Eglise, affligée ici-bas et sauvée par l'espérance: tant que le jugement du Fils est caché, elle s'écrie avec espoir: «Je tressaillerai dans s le Sauveur que vous m'avez donné»; parce que sur la terre, elle est sous le poids des violences ou des erreurs de  l'idolâtrie. «Les nations sont tombées dans la fosse qu'elles avaient creusée (Ps 9,16)». Voyons ici comment le pécheur a toujours trouvé son châtiment dans ses propres oeuvres, et comment ceux qui ont voulu faire violence à l'Eglise sont demeurés dans la dégradation qu'ils voulaient lui faire subir. Ils voulaient tuer des corps, et eux-mêmes tuaient leurs âmes. «Leur pied s'est engagé dans le piège qu'eux-mêmes avaient «caché (Ps 9,16)». Ce piége caché, c'est la pensée fourbe, et par le pied de l'âme, on peut comprendre l'amour, qui s'appelle convoitise et débauche quand il est dépravé, affection et charité quand il est droit. C'est l'amour qui pousse l'âme vers le lieu où elle veut arriver; et ce lieu n'est point un espace occupé par une forme corporelle, mais le plaisir où elle se réjouit que l'amour l'ait fait aboutir. Or, la convoitise aboutit au plaisir dangereux, la charité aux chastes délices. De là vient que la convoitise est appelée une racine (Tim. 6,10). La charité aussi est appelée racine, quand il s'agit de ces divines semences qui tombent dans les lieux pierreux, où elles doivent se dessécher sous les feux du soleil, parce qu'elles n'ont pas une racine profonde (Mt 13,5); ainsi sont stigmatisés ceux qui reçoivent avec joie la parole de la vérité, mais qui cèdent facilement aux persécutions, parce que la charité seule peut résister. L'Apôtre dit encore: «Afin que nous ayons la charité pour base et pour racine, et que par là nous puissions résister (Ep 3,17)». Donc le pied des pécheurs, ou l'amour, s'engage dans le piége qu'ils avaient caché, parce qu'en goûtant le plaisir d'un acte trompeur, livrés qu'ils sont par le Seigneur aux désirs d'un coeur déréglé (Rm 1,24), ils se laissent enlacer par ce plaisir, de manière à n'oser plus en dégager leur affection pour la porter à des objets sérieux. Au premier effort qu'ils tenteront, ils gémiront dans leur âme, comme le forçat qui veut dégager des fers son pied captif; et, succombant à la douleur, ils ne voudront plus se sevrer de ces plaisirs homicides. Ainsi donc, «dans ce piège qu'ils avaient caché», ou dans leurs desseins artificieux, «leur pied demeure «engagé», c'est-à-dire, leur amour est arrivé par la fraude à cette joie futile qui enfante la douleur.

916 16. «On reconnaît le Seigneur à l'équité de ses jugements (Ps 9,17)». Tels sont en effet les jugements de Dieu, qu'il ne sort point du calme de sa félicité, ni des secrets de sa sagesse qui servent d'asile aux âmes bienheureuses, pour lancer contre les pécheurs le fer, la flamme, ou les bêtes féroces, et les livrer aux tourments. Comment donc sont-ils tourmentés, et comment le Seigneur exerce-t-il ses jugements? «C'est dans l'oeuvre de ses mains», dit le Prophète, «que le pécheur s'est enlacé».

917 17. Il y a ici: «Cantique de Diapsalma (Graec. LXX, ode diapsalmatos)». Autant que je puis en juger, c'est l'indice d'une joie secrète, causée par la séparation (167) actuelle, non de lieu, mais d'affection, entre les pécheurs et les justes, commise dans l'aire on sépare déjà le bon grain de la paille. Le Prophète continue: «Que les pécheurs soient précipités dans l'enfer (Ps 9,18)». Qu'ils soient livrés en leurs propres mains alors que Dieu les épargne, et enlacés dans leurs joies mortelles. «Ainsi que toutes les nations qui oublient le Seigneur (Ps 9,18)», car elles ont refusé de connaître le Seigneur, et il les a livrées au sens réprouvé (Rm 1,28).

918 18. «Car le pauvre ne sera pas éternellement en oubli (Ps 9,19)»: lui qui paraît oublié maintenant, quand le bonheur de cette vie semble s'épanouir pour les pécheurs, et que la tristesse est pour le juste; mais, dit le Prophète, «la patience des affligés ne périra pas éternellement». Cette patience leur est nécessaire maintenant pour supporter les impies, dont ils sont séparés déjà par l'affection, jusqu'à ce qu'ils le soient tout à fait au dernier jugement.

919 19. «Levez-vous, Seigneur, et que l'homme ne s'affermisse point (Ps 9,20)». Le Prophète appelle de ses soupirs le jugement dernier; mais avant qu'il arrive: «Que les nations, dit-il, soient jugées en votre présence», c'est-à-dire dans le secret et sous l'oeil de Dieu, puisqu'il n'y a pour le comprendre que le petit nombre des saints et des justes. «Seigneur, faites peser sur eux le joug d'un législateur (Ps 9,21)»; qui serait, si je ne me trompe, l'Antéchrist, dont l'Apôtre a dit «que l'homme de péché se révélera (1Th 2,3). Que les peuples sachent bien qu'ils ne sont que des hommes»», et puisqu'ils refusent d'être délivrés par le Fils de Dieu, d'appartenir au Fils de l'homme, d'être enfants des hommes, ou des hommes nouveaux, qu'ils soient assujettis à l'homme, c'est-à-dire au vieil homme du péché, puisqu'ils sont eux-mêmes des hommes.




Augustin, les Psaumes 8