Augustin, les Psaumes 20

DISCOURS SUR LE PSAUME XIX - LE CHRIST DANS SA PASSION

20 Ps 20


 Ce psaume est le chaut de la résurrection, qui est la Gloire de Jésus-Christ triomphant des Juifs ses ennemis, et devenant notre médiateur dans le ciel.

POUR LA FIN, PSAUME A DAVID Ps 19,1)

2001 1. Le titre nous est connu, ce n'est point le Christ qui parle, mais le Prophète qui parle au Christ, et qui chante l'avenir sous la forme d'un souhait.

2002 2. «Que le Seigneur vous exauce au jour de la tribulation Ps 19,2)». Qu'il vous exauce au jour que vous lui avez dit: «Mon Père, glorifiez votre Fils Jn 17,1)». «Que le nom du Dieu de Jacob vous protège». Car c'est à vous qu'appartient le plus jeune des deux peuples, puisque l'aîné doit servir le puîné (Gn 25,23)».

2003 3. «Qu'il vous protége du haut de son sanctuaire, et vous protége de Sion Ps 19,3); en sanctifiant votre corps mystique, ou l'Eglise, qui trouve sa sûreté dans la contemplation, et qui attend que vous reveniez des noces.

2004 4. «Qu'il se souvienne de tout votre sacrifice Ps 19,4)». Qu'il ne nous laisse pas oublier les outrages et les affronts que vous avez endurés pour nous. «Et qu'il rende suave le parfum de vos holocaustes». Et que la douleur de cette croix, sur laquelle vous vous êtes offert tout entier à Dieu, se change en la joie de la résurrection.

2005 5. «Diapsalma. Que le Seigneur vous donne selon votre coeur Ps 19,5)». Que le Seigneur vous exauce, non point selon les désirs de ceux qui vous ont persécuté dans l'espoir de vous anéantir, mais selon votre coeur qui connaît les fruits de votre passion. «Et qu'il accomplisse tous vos desseins»; qu'il accomplisse, non-seulement ce dessein qui vous a porté à donner votre vie pour vos amis Jn 15,13), afin que le grain mourût pour ressusciter en épis luxuriants (Ps 12,14), mais encore celui par lequel l'aveuglement est tombé sur une partie d'Israël, afin que la plénitude des nations entrât, et qu'ainsi tout Israël fût sauvé Rm 11,25)».

2006 6. «Nous tressaillerons dans votre salut». Nous tressaillerons de l'impuissance de la mort sur vous; car vous nous montrerez ainsi qu'elle sera impuissante à nous nuire. «Et nous trouverons notre gloire dans votre nom Ps 19,6)». Pour nous, confesser votre nom, nous conduira, non à notre perte, mais à la gloire.

2007 7. «Que le Seigneur vous accorde toutes vos demandes Ps 19,6)». Qu'il exauce non-seulement les prières que vous lui avez faites sur la terre, mais celles que vous lui faites en (201) notre faveur dans le ciel. «Je reconnais maintenant que le Seigneur a sauvé son Christ». L'esprit de prophétie m'a fait connaître que le Seigneur doit ressusciter son Christ. «Il l'exaucera de son sanctuaire céleste». Il l'exaucera, non-seulement quand sur cette terre il demandera d'être glorifié Jn 17,1), mais lorsque dans le ciel il intercédera pour nous, à la droite de son Père, et répandra l'Esprit-Saint sur tous ceux qui croiront en lui Ac 2). «Il y a dans sa droite une puissance de salut». Notre puissance est dans ses faveurs salutaires, alors qu'il nous soutient dans les afflictions, en sorte que c'est quand nous sommes faibles que nous devenons forts 2Co 12,10). Car le salut des hommes est vain Ps 59,13), quand il est de la gauche et non de la droite de Dieu, puisqu'ils s'enflent d'un excessif orgueil, tous ces pécheurs qui trouvent leur salut dans les biens du temps.

2008 8. «Ceux-ci mettent leur confiance dans leurs chariots, et dans leurs chevaux». Les uns se laissent entraîner dans les évolutions successives de la fortune, et les autres se prévalent avec orgueil de leurs honneurs, et y placent leur félicité, «Pour nous, notre joie est dans le nom du Seigneur, notre Dieu Ps 19,8)». Pour nous, notre espérance est dans les biens éternels, et sans chercher notre propre gloire,  nous tressaillerons au nom du Seigneur, notre Dieu.

2009 9. Ils se sont embarrassés, et sont tombés Ps 19,9). L'amour des biens temporels les a garrottés, ils ont craint que, s'ils laissaient vivre le Fils de Dieu, les Romains ne prissent leur pays Jn 11,48) et en se heurtant contre cette pierre de scandale et d'achoppement Rm 9,32), ils ont perdu l'espérance du ciel. Ils sont tombés dans l'aveuglement qui a frappé une partie d'Israël Rm 11,25); et, en voulant faire prévaloir leur propre justice, ils ont oublié celle de Dieu Rm 10,3). «Pour nous, au contraire, nous nous sommes relevés pour nous redresser». Pour nous, peuples de la Gentilité, nous étions des lierres, et Dieu a fait de nous des enfants d'Abraham Mt 3,9); nous ne cherchions point la justice, et nous l'avons embrassée Rm 9,30), et nous voilà relevés; ce redressement n'est point dû à nos forces, mais à la foi qui nous a justifiés.

2010 10. «Seigneur, sauvez le roi», afin qu'après nous avoir appris à combattre par sa passion, il offre aussi nos sacrifices, après s'être ressuscité d'entre les morts, et installé dans les cieux. «Exaucez-nous, au jour où nous vous invoquerons». Et comme il sera notre intercesseur, vous nous exaucerez quand nous vous offrirons nos voeux.


DISCOURS SUR LE PSAUME XX - LES REPRÉSAILLES DE LA PASSION.

21 Ps 21  

Ce psaume parait avoir le même sujet que le précédent; et, en l'appliquant à Jésus-Christ,  nous retrouvons facilement cette gloire de la résurrection et de l'ascension qui a su compenser les ignominies du Calvaire.

POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID Ps 20,1).

2101 1. Le titre nous est connu, c'est Jésus-Christ que chante le Prophète.

2102 2. «Seigneur, le roi s'applaudira de votre puissance». Seigneur, le Christ, dans son humanité, s'applaudira de cette puissance qui a revêtu de chair le Verbe éternel. «Et votre salut le fera tressaillir d'allégresse Ps 20,2)». Il trouvera sa joie dans cette force qui donne la vie à toute créature.

2103 3. «Vous avez accompli les désirs de son Coeur Ps 20,3)». Il avait désiré manger la Pâque Lc 22,15), puis donner sa vie quand il voudrait, et la reprendre encore à son gré Jn 10,18), et vous le lui avez accordé. «Et vous n'avez point rendu vaine la prière de ses lèvres Ps 20,3)». Il dit: «Je vous laisse ma paix Jn 14,17)». Et il en fut ainsi.

2104 4. «Vous l'avez prévenu par vos suaves  bénédictions Ps 20,4)». Et comme il en avait savouré les douceurs, le fiel de nos péchés ne l'a point suffoqué. - «Diapsalma. - Vous « avez placé sur sa tête une couronne de pierres précieuses». Au début de sa prédication, vous l'avez environné de ces pierres précieuses, qui furent ses disciples, et qui commencèrent à l'annoncer au monde.

2105 5. «  Il vous a demandé la vie, et vous la lui avez donnée Ps 20,5)». Vous lui avez accordé la résurrection que demandait cette prière : «Mon Père, glorifiez votre Fils Jn 17,1). Vous lui avez donné de longs jours pour l'éternité Ps 20,5)» les siècles de cette vie, qui mesurent la durée de son Eglise, et ensuite la durée des siècles éternels.

2106 6. «Sa gloire est grande à cause de votre salut Ps 20,6)». En le ressuscitant d'entre les morts, vous avez mis le comble à sa gloire. «Vous le chargerez de gloire et d'honneur». Vous ajouterez encore à sa gloire et à sa splendeur, en le plaçant, au ciel, à votre droite.

2107 7. «Sur lui retomberont vos bénédictions éternelles Ps 20,7)». Et voici les bénédictions que vous lui donnerez dans les siècles «Vous le remplirez de joie devant votre face». La vue de votre face jettera dans une joie ineffable cette humanité sainte qu'il a reportée près de vous.

2108 8. «C'est dans le Seigneur que le roi a mis son espoir». Ce roi sans orgueil, mais humble de coeur, espère dans le Seigneur. «Et il sera inébranlable dans la miséricorde du «Très-Haut Ps 20,8)». Et cette infinie miséricorde ne troublera point l'humilité qui l'a rendu obéissant jusqu'à la mort de la croix.

2109 9. «Que votre main se fasse sentir à tous vos ennemis Ps 20,9)» .Quand vous viendrez, pour nous juger, que votre pouvoir, ô roi, se fasse sentir à tous vos ennemis qui ne l'ont point compris dans votre humilité. «Que ceux qui vous haïssent ne puissent échapper à votre droite». Que cette gloire, qui vous fait régner à la droite de votre Père, rencontre au jour du jugement et châtie ceux qui vous haïssent, puisque sur la terre ils ne l'ont point connue.

2110 10. «Vous les embraserez comme une fournaise». La conscience de leur impiété sera pour eux comme un brasier intérieur. «Au jour de votre visage», ou quand vous manifesterez votre gloire. «Le Seigneur, dans sa colère, les frappera de terreur, et ils seront la proie des flammes Ps 20,10)». Troublés par les célestes vengeances, et en proie au remords, ils seront dévorés par les flammes éternelles.

2111 11. « Vous effacerez leurs fruits de la terre». Ces fruits sont terrestres, et doivent disparaître de la terre. «Et leur génération d'entre les fils des hommes Ps 20,11)». Vous anéantirez leurs oeuvres, ou vous ne compterez pas les hommes qu'ils ont pu séduire, parmi ceux que vous avez appelés à l'héritage éternel.

2112 12. «Parce qu'ils ont fait retomber leurs malheurs sur vous». Tel est le châtiment qu'ils ont provoqué, en cherchant à détourner, par votre mort, les maux qu'ils redoutaient, si vous eussiez été leur roi. «Ils ont formé des desseins qu'ils n'ont pu accomplir Ps 20,12)». Ils formaient ces desseins, quand ils disaient . «Il est avantageux qu'un seul homme meure pour tous Jn 11,50)»; dessein qu'ils n'ont pu accomplir, car ils ne savaient ce qu'ils disaient.

2113 13. «Vous leur tournerez le dos», car vous les placerez parmi ceux dont vous vous détournerez avec mépris. «Et dans ce que vous leur laissez, vous vous préparez leur visage Ps 20,13)». Ce que vous leur laissez, ce sont les désirs d'un royaume terrestre, et ces désirs stimuleront leur impudence ou leur visage, dans la passion que vous vous préparez.

2114 14. «Elevez-vous, Seigneur, dans votre  puissance». O vous, Seigneur, qu'ils n'ont point reconnu dans votre humilité, élevez-vous dans cette puissance qu'ils ont regardée comme une faiblesse. «Nous bénirons vos grandeurs, nous les célébrerons sur la harpe Ps 20,14)» Notre amour et nos oeuvres chanteront vos merveilles, nous les ferons connaître par toute la terre. (203)


PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXI - LES DÉTAILS DE LA PASSION

22 Ps 22  

Dans le premier discours saint Augustin expose le sens des paroles de David relatives à la passion, les insultes des Juifs, le crucifiement, le partage des vêtements de Jésus-Christ; puis les effets de l'Eucharistie. Dans le second discours, il s'applique à démontrer contre les Donatistes le règne universel de Jésus-Christ, qu'ils veulent scinder et restreindre à leur parti.

POUR LA FIN, SUR LE SECOURS DU MATIN, PSAUME DE DAVID Ps 21,1).

2201 1. Pour la fin, ou pour Jésus-Christ qui chante lui-même sa résurrection. Ce fut le matin du premier jour, après le sabbat, qu s'opéra cette résurrection Mt 28,1), par laquelle il fut reçu dans la vie éternelle, «et soustrait ainsi à l'empire de la mort Rm 6,9)». Tout le psaume s'applique à la personne du Crucifié car il commence par ces paroles que prononce le Sauveur, lorsque, du haut de la croix, il poussa un grand cri, représentant alors h vieil homme dont il avait revêtu la mortalité ; car notre vieil homme a été cloué à la croix avec lui (Rm 6,6):

2202 2. «O Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi; pourquoi m'avez-vous abandonné, bien loin de me secourir Ps 21,2)?» Vous n'avez garde de me secourir, puisque votre salut est loin des pécheurs Ps 119,155). «Les cris de mes péchés vous implorent», car cette prière n'est point celle d'un juste, mais d'un homme chargé de fautes. Celui qui prie à la croix, est en effet le vieil homme, qui ne sait pourquoi le Seigneur l'a délaissé. Ou bien encore: «Les rugissements de mes péchés vous empêchent de me secourir».

2203 3. «Seigneur, je vous invoquerai pendant le jour, et vous ne m'exaucerez point Ps 21,3).» O Dieu, dans les prospérités de cette vie, je vous demanderai qu'elles ne changent point, et vous ne m'écouterez point, parce que cette prière sera celle de mes péchés. «Je vous invoquerai la nuit, et ce ne sera point une folie pour moi». Si, dans les malheurs de cette vie, je vous demande le bonheur, vous ne m'exaucerez pas non plus. Et vous en agirez ainsi, non pour me jeter dans la folie, mais pour m'apprendre ce qu'il vous est agréable que je vous demande, non plus dans ces prières du péché qui désire la vie du temps, mais dans les supplications d'une âme qui se tourne vers vous, pour avoir la vie éternelle.

2204 4. «Mais vous habitez dans la sainteté, vous, la gloire d'Israël». Vous habitez le Saint des saints, et de là vient que vous n'écoutez point les prières défectueuses du péché. Vous êtes la gloire de celui qui vous contemple, et non de celui qui chercha sa propre gloire en goûtant le fruit défendu, en sorte que lei yeux de son corps furent ouverts, et qu'il voulut se dérober à votre présence et se cacher (Gn 3).

2205 5. «En vous ont espéré nos pères Ps 21,5)». Tous ces justes, qui n'ont point cherché leur gloire, mais la vôtre. «Ils ont espéré, et vous les avez sauvés».

2206 6. «Ils ont crié vers vous, et vous les avez délivrés Ps 21,6)». Ils vous ont fait entendre, non la voix des péchés qui éloigne le salut, et c'est pourquoi vous les avez délivrés. «Ils ont espéré en vous, et ils n'ont pas été confondus». Vous n'avez pas trompé l'espérance qu'ils avaient mise en vous, parce qu'ils ne comptaient point sur eux-mêmes.

2207 7. «Pour moi, je suis un ver de terre et  non plus un homme Ps 21,5)». Pour moi, qui ne parle plus en Adam, mais qui suis Jésus-Christ, sans aucun germe je suis né dans la chair, afin d'être, eu l'homme, au-dessus des hommes; et de la sorte, l'orgueil humain ne dédaignera plus mon abaissement. «Je suis l'opprobre des hommes, le rebut de la populace». Cet abaissement a fait de moi le rebut des hommes, au point que l'on disait, (204) comme un outrage et une malédiction : « Pour toi, sois son disciple Jn 9,28)»; tant le peuple avait de mépris pour moi.

2208 8. «Tous ceux qui me voyaient, m'insultaient Ps 21,8)». j'étais la dérision de tous ceux qui me voyaient. «Ils parlaient des lèvres, et  branlaient la tête». Ils parlaient des lèvres, et non du coeur.

2209 9. Car c'est par dérision qu'ils disaient, en branlant la tête: «Il a mis son espoir dans le  Seigneur, que le Seigneur le délivre; qu'il le sauve, s'il lui est cher Ps 21,9)». Tels étaient les paroles qui couraient sur leurs lèvres.

2210 10. «C'est vous, Seigneur, qui m'avez tiré des entrailles maternelles Ps 21,10)». C'est vous qui n'avez tiré, non-seulement du sein d'une vierge, car telle est la condition de tout homme, de naître en sortant du sein de sa mère; mais vous m'avez tiré du sein de cette nation juive où est encore enveloppé dans les ténèbres, sans arriver à la lumière du Christ, celui qui met son salut dans l'observation extérieure du sabbat, dans la circoncision, et autres cérémonies. «Vous êtes mon espérance dès la mamelle de ma mère». Seigneur, vous êtes mon espoir, non-seulement depuis que j'ai sucé les mamelles de la Vierge, car vous l'étiez bien auparavant; mais depuis que vous m'avez arraché aux mamelles, comme aux entrailles de la synagogue, afin de me soustraire au lait d'une coutume charnelle.

2211 11. «Vous êtes mon ferme appui dès le sein de ma mère Ps 21,11)». Dès le sein de cette synagogue qui m'a rejeté au lieu de me porter, et si je ne suis point tombé, c'est que vous m'avez soutenu. «Dès le ventre de ma mère, vous êtes mon Dieu». Oui, « dès le ventre de ma mère», car nonobstant cette enveloppe charnelle, je ne vous ai point oublié comme le petit enfant.

2212 12. «Vous êtes mon Dieu; ne vous éloignez pas de moi, parce que l'affliction est proche Ps 21,12)». Puisque vous êtes mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi, aux approches de la tribulation, qui est déjà dans ma chair. «Car il n'y a personne qui me vienne en aide». Qui me soutiendra, si ce n'est vous?

2213 13. « Voilà qu'une foule de jeunes taureaux m'ont environné Ps 21,13)». Les attroupements d'un peuple dissolu font cercle autour de moi. «Des taureaux puissants m'ont investi». Et les chefs de ce peuple, joyeux de mon oppression, m'ont assiégé à leur tour.

2214 14. «Ils ont ouvert leur bouche contre moi Ps 21,14)». Leur bouche a livré passage, non point aux paroles de vos saintes Ecritures, mais aux cris de leurs passions. «Tel un lion saisit sa proie et rugit». La proie de ce lion, ce serait moi que l'on saisit et que l'on amène, et son rugissement: «Crucifiez-le, crucifiez-le Jn 19,26)

2215 15. «Je me suis écoulé comme l'eau, tous e mes os se sont dispersés Ps 21,15)». Je me suis écoulé comme l'eau, quand mes persécuteurs sont tombés; et mes disciples qui faisaient la solidité de l'Eglise ou de mon corps, se sont dispersés par la crainte. «Mon coeur s'est fondu comme la cire, au milieu de mes entrailles (Ps 21,15)». Ces paroles que la Sagesse a consignées à mon sujet dans les livres saints, demeuraient incomprises, comme des paroles dures et cachées; mais depuis qu'à la flamme de mes douleurs elles se sont comme liquéfiées, elles sont devenues évidentes, et se sont gravées dans la mémoire de mon Eglise.

2216 16. «Ma vigueur s'est desséchée comme l'argile Ps 21,16)». Mes douleurs ont desséché mes forces, non comme l'herbe, mais comme l'argile que le feu rend plus dure. «Ma langue s'est attachée à mon palais». Ceux par qui je devais parler ont gardé mes préceptes en eux-mêmes. «Vous m'avez réduit à la poussière de la mort». Vous m'avez jeté entre les mains de ces impies destinés à la mort, et que le vent balayera de la surface de la terre.

2217 17. «Des chiens sans nombre m'environnent Ps 21,17)». Voilà que j'étais environné de gens qui aboyaient, non plus au nom de la vérité, mais au nom de la coutume. «Le conseil des  méchants m'a assiégé; ils ont percé mes mains et mes pieds».Ils ont percé de clous mes mains et mes pieds.

2218 18. «Ils ont compté tous mes os Ps 21,18)» compter tous mes os étendus sur la croix. «Pour eux, ils m'ont regardé, ils m'ont considéré attentivement». Pour eux, c'est-à-dire dans la même aversion, ils m'ont regardé et considéré.

2219 19. «Ils se sont partagé mes vêtements, et ont tiré ma robe au sort Ps 21,19)». (205)

2220 20. «Pour vous, Seigneur, n'éloignez pas de moi votre secours Ps 21,20)». Mais vous, ô Dieu, ressuscitez-moi sans retard, et non point à la fin du monde, comme les autres hommes. «Pourvoyez à ma défense». Veillez sur moi, afin que nul ne me nuise.

2221 21. «Arrachez mon âme au glaive Ps 21,21)»: préservez mon âme des langues schismatiques; «et mon unique à la puissance des chiens» : Délivrez mon Eglise de ce peuple qui aboie, au nom de ses coutumes.

2222 22. «Sauvez-moi de la gueule du lion.» Sauvez-moi de cette bouche qui m'offre un royaume temporel. «Epargnez à ma faiblesse la corne des rhinocéros Ps 21,22)»: préservez mon humilité des hauteurs de ces orgueilleux qui s'élèvent d'une manière exclusive et ne souffrent aucun rival.

2223 23. «Je redirai votre nom à mes frères Ps 21,23)». J'annoncerai votre nom aux humbles, qui sont mes frères, et qui s'aiment réciproquement, comme je les ai aimés. «Je chanterai vos  louanges au milieu de mon Eglise». C'est avec joie que je publierai votre gloire dans mon Eglise.

2224 24. «Bénissez le Seigneur, vous qui le craignez Ps 21,24)». Vous qui craignez le Seigneur, ne cherchez point votre gloire, mais louez le Seigneur. «Chantez sa gloire, vous tous, enfants de Jacob». Glorifiez Dieu, vous tous enfants de celui que servit son aîné.

2225 25. «Craignez-le tous, vous qui êtes enfants d'Israël». Qu'ils craignent le Seigneur, tous ceux qui sont régénérés dans une vie nouvelle, et préparés à la vision de Dieu. «Car il n'a point dédaigné, ni rejeté la prière du pauvre Ps 21,25)». Il n'a témoigné aucun mépris pour la prière, cette prière qui était celle du pauvre sans enflure, étranger aux pompes frivoles, et non celle du pécheur dont les vices crient vers Dieu, et qui ne voulait point quitter cette vie misérable. «Il n'a point détourné de moi son visage», comme il l'a fait pour celui qui disait: «Je crierai vers vous, et vous ne m'écouterez point. Il m'a exaucé, quand j'ai crié vers lui».

2226 26. «C'est vous que je veux louer Ps 21,26)». Car je ne recherche point la gloire pour moi, puisque je me glorifie en vous qui habitez le sanctuaire, et que vous, gloire d'Israël, vous écoutez le saint qui:vous invoque. «C'est dans votre Eglise si étendue que je publierai votre gloire». Je vous bénirai dans cette Eglise répandue par toute la terre. J'offrirai mes voeux, en présence de ceux qui craignent mon Dieu. J'offrirai le sacrement de mon corps et de mon sang, devant ceux qui craignent le Seigneur.

2227 27. «Les pauvres mangeront et seront rassasiés Ps 21,27)». Ils mangeront, ceux qui sont humbles, qui méprisent le monde, et ils m'imiteront, et de la sorte, ils ne désireront point les biens de ce monde, et ne craindront point la pauvreté. «Ceux qui cherchent le Seigneur, le béniront». Car c'est de l'âme qu'il rassasie, que déborde sa louange. «Leurs coeurs vivront dans l'éternité». Car il est lui-même l'aliment de notre coeur.

2228 28. «Les nations les plus reculées se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui Ps 21,28)». Elles s'en souviendront; car Dieu était en oubli pour ces peuples nés dans la mort, et n'ayant de tendance que pour les biens extérieurs; et alors tous les confins de la terre se tourneront vers le Seigneur. «Tous les peuples de la terre se prosterneront en sa  présence». Tous les peuples de l'univers l'adoreront damas leurs coeurs.

2229 29. «C'est au Seigneur de régner, et il dominera les nations Ps 21,29)». C'est au Seigneur, et non aux hommes superbes qu'appartient l'empire, et il dominera les nations.

2230 30. «Tous les riches de la terre ont mangé, puis adoré». Les riches de la terre ont mangé l'humble chair de leur maître, et, bien qu'ils n'en aient pas été rassasiés comme les pauvres, jusqu'à imiter Jésus-Christ, ils l'ont néanmoins adoré. «Ils tomberont en sa présence, tous ceux qui s'abaissent sur la terre». Dieu seul voit la chute de tous ceux qui se las. sent de converser dans le ciel, et qui préfèrent étaler, ici-bas, l'apparence du bonheur aux yeux des hommes qui ne voient pas leur ruine. 

2231 31. «Mon âme, à son tour, vivra pour lui Ps 21,31)». Et mon âme qui paraît morte aux yeux des hommes, parce qu'elle méprise le monde, s'oubliera, pour vivre en Dieu. «Et ma postérité le servira». Mes oeuvres, ou ceux que je porterai à croire en lui, le serviront.

2232 32. «Elle sera prédite pour le Seigneur, la génération à venir Ps 21,32)». Les fidèles du Nouveau Testament seront célébrés à la louange (206) du Seigneur. «Et les cieux publieront sa justice». Les évangélistes annonceront sa justice. «Au peuple qui doit naître, et que le Seigneur a fait Ps 21,32)»; au peuple que la foi doit engendrer au Seigneur.



DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXI

Ps 22

DISCOURS prêché à la solennité de la Passion.


2241 1. Je ne dois point garder sous silence, et vous devez écouter ce que le Seigneur n'a pas voulu taire dans ses saintes Ecritures. La passion de Notre-Seigneur est arrivée une fois, nous le savons; une seule fois le Christ est mort, l'innocent pour les coupables (I Pier. 3,18). Nous le savons, nous en avons la certitude, nous croyons d'une foi inébranlable, «que Jésus-Christ une fois ressuscité d'entre les u morts ne meurt plus, et que la mort n'aura plus d'empire sur lui Rm 6,9)». Ainsi l'a dit saint Paul: et de peur que nous ne venions à oublier ce-qui s'est fait une fois, nous en célébrons chaque année la mémoire. Est-ce à dire que Jésus-Christ meurt chaque fois que nous célébrons la Pâque? Néanmoins ce souvenir annuel nous remet en quelque sorte sous les yeux ce qui s'est fait une fois, et nous émeut aussi vivement que si nous voyions le Christ appendu à la croix, non pour lui insulter, mais pour croire en lui. Car à la croix il fut persillé, et on l'adore aujourd'hui qu'il est dans le ciel. N'est-il plus insulté aujourd'hui, et avons-nous encore à nous indigner contre les Juifs qui l'ont tourné en dérision à la croix, et non dans son règne céleste? Et qui donc se moque aujourd'hui du Christ? Plût à Dieu qu'il n'y en eût qu'un seul, que deux, qu'on pût même les compter ! Toute la paille qui est dans son aire, se rit de lui, et le bon grain gémit de voir le Seigneur insulté. Je veux en gémir avec vous; car voici le temps des pleurs. Nous célébrons la Passion du Sauveur; c'est le temps de gémir, le temps de pleurer, le temps de confesser nos fautes et d'en implorer le pardon. Et qui de nous pourrait verser autant de larmes qu'en méritent ses incomparables douleurs? Ecoutons le Prophète: «Qui donnera, dit-il, de l'eau à ma tête, et à mes yeux une source de larmes (Jérém. 9,1)?» Non, une source de larmes, fût-elle réellement dans mes yeux, ne suffirait point, quand nous voyons le Christ persiflé lorsque la vérité est si claire, et quand nul ne peut dire: Je ne savais pas. Car c'est à celui qui possède l'univers entier, que l'on ose bien en offrir une partie; c'est à celui qui est assis à la droite de son Père, que l'on dit: Qu'y a-t-il ici qui vous appartienne? et au lieu de toute la terre, on ne lui montre que l'Afrique.

2242 2. Que deviennent, mes frères, les paroles que vous venez d'entendre? Que ne pouvons-nous les écrire avec des larmes? Quelle est cette femme qui vint avec des parfums Mt 26,7)? De qui était-elle un symbole? N'est-ce point de l'Eglise? Que figurait le parfum qu'elle portait? N'est-ce point cette bonne odeur dont l'Apôtre a dit: Nous sommes en tous lieux la bonne odeur de Jésus-Christ 2Co 2,14)? Et saint Paul nous désigne aussi l'Eglise; car en disant: «nous sommes», il s'adresse aux fidèles. Et que leur dit-il? Nous sommes en tous lieux la bonne odeur de Jésus-Christ. Voilà donc saint Paul qui nous dit que les fidèles sont partout la bonne odeur de Jésus-Christ, et l'on ose le contredire? on soutient que l'Afrique seule est une bonne odeur, que le reste du monde n'a qu'une odeur fétide? Qui donc affirme que nous sommes en tous lieux la bonne odeur du Christ? L'Eglise. C'est cette bonne odeur que figurait ce vase de parfums répandu sur le Sauveur. Voyons si le Christ ne l'atteste pas lui-même. Quand des hommes zélés pour leurs intérêts, avares et voleurs, c'est-à-dire quand Judas disait de ce parfum : «Pourquoi le perdre ainsi? on aurait pu (207) vendre ce parfum précieux et en faire le bien des pauvres Mt 26,8)» . Quand il voulait vendre ainsi la bonne odeur de Jésus-Christ, que lui répond le Sauveur? «Pourquoi, dit-il, contristez-vous cette femme? Ce qu'elle a fait pour moi, est une bonne oeuvre Mt 26,10)».Qu'ai-je à dire encore, quand le Sauveur ajoute : «Partout où sera prêché l'Evangile dans tout l'univers, on dira à la louange de cette femme ce qu'elle vient de faire Mt 26,13)». Que peut-on ajouter à ces paroles ou en retrancher? Comment prêter l'oreille à ces calomniateurs? Le Seigneur a-t-il menti ou s'est-il trompé? Qu'ils choisissent, et qu'ils nous disent ou que la vérité a pu mentir, ou que la vérité a pu se tromper. «Partout où l'Evangile sera prêché», dit Jésus-Christ. Et comme si on lui demandait: Où donc sera-t-il prêché? «Dans tout l'univers», répond-il. Ecoutons notre psaume, voyons s'il parle dans le même sens. Ecoutons ce chant lugubre, et d'autant plus digne de nos larmes que l'on chante pour des sourds. Je serais étonné, -mes frères, que l'on chantât ce psaume aujourd'hui chez les Donatistes. Pardonnez-moi, mes frères, si je vous confesse mon étonnement, muais j'atteste le Christ miséricordieux, que je regarde ces hommes comme des pierres, s'ils n'entendent pas ces choses. Comment parler plus clairement, même à des sourds? On peut lire dans ce psaume la passion du j Christ aussi clairement que dans l'Evangile, et toutefois, il a été composé je ne sais combien d'années avant que le Sauveur fût né de la vierge Marie: c'était le héraut qui annonçait le juge à venir. Lisons-le donc, autant que nous le permettra le peu de temps qui nous reste, non pas autant que le voudrait notre douleur, mais, ainsi que je l'ai dit, autant que nous le permettra l'heure avancée.

2243 3. «O Dieu, mon Dieu, regardez-moi : Pourquoi m'abandonner ainsi?» Ce sont les mêmes paroles que nous avons entendues à la croix, quand le Seigneur s'est écrié: «Eli, Eli», c'est-à-dire, mon Dieu, mon Dieu «Lama sabachtani?» Pourquoi m'avez-vous abandonné? L'Evangéliste a traduit ces paroles, et dit que le Seigneur s'écria en hébreu: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'abandonnez-vous?» Que voulait dire le Seigneur? Car Dieu ne l'avait pas abandonné, puisque lui-même est Dieu, que le Fils de Dieu est Dieu, que le Verbe de Dieu est Dieu. Ecoutons dans son premier chapitre, cet Evangéliste qui répandait au dehors la surabondance qu'il avait puisée dans le coeur de Jésus( Jn 23,23); voyons si le Christ est Dieu. «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu». Ce Verbe donc, qui était Dieu, «s'est fait chair pour habiter parmi nous n. C'est ce Verbe qui était Dieu, et qui, s'étant fait chair, disait pendant qu'il était cloué à la croix: «Mon Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi, pourquoi m'avez-vous abandonné?» A quoi bon parler de la sorte, sinon parce que nous étions là nous-mêmes, et que l'Eglise est le corps de Jésus-Christ Ep 1,23)? Pourquoi dire: «Mon Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi, m'auriez-vous donc abandonné?» sinon pour stimuler notre attention, et nous dire en quelque manière: «C'est de moi qu'il est parlé dans ce psaume? Les cris de mes péchés éloignent de moi le salut». Quels péchés avait celui dont il est dit: «Qu'il n'a commis aucune faute, et que le mensonge ne s'est point trouvé dans sa bouche (I Pier. 2,23)?» Comment peut-il dire: «mes péchés n, sinon parce qu'il implore le pardon de nos fautes, et qu'il a voulu qu'elles devinssent ses fautes, afin que sa justice devînt notre justice?

2244 4. «Mon Dieu, je crierai vers vous pendant le jour, et vous ne m'exaucerez point; «pendant la nuit, et ce ne sera point une folie pour moi Ps 21,4)». Ainsi parle-t-il de lui-même, de vous, de moi; car il parlait au nom de son corps mystique qui est l'Eglise. A moins peut-être, mes frères, que vous ne croyiez que le Seigneur craignait de mourir quand il disait: « Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi  Mt 26,39)». Le soldat n'est jas plus valeureux que le général. «Il suffit au serviteur de ressembler au maître Mt 10,25)». Toutefois saint Paul, ce champion du roi Jésus, s'écriait: «Je me sens pressé des deux  côtés, j'ai le vif désir d'être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ Ph 1,23)». Va-t-il désirer la mort pour être avec le Christ, quand ce même Christ craignait de mourir? Qu'est-ce donc, sinon qu'il portait en lui notre infirmité, et qu'il parlait de la sorte au nom des fidèles déjà établis en son corps mystique, (208) et qui pourraient encore craindre la mort ? De là vient que cette prière était la prière des membres, et non du chef. Il en est de même de ces paroles: «J'ai crié vers vous le jour et la nuit, et vous ne m'exaucerez point». Beaucoup en appellent à Dieu dans l'affliction et ne sont point exaucés; mais c'est pour leur salut, et non parce qu'ils sont insensés. Paul demanda d'être délivré de l'aiguillon de la chair et ne l'obtint point; il entendit cette réponse: « Ma grâce te suffit, car la vertu use perfectionne dans la faiblesse 2Co 12,9)». Dieu donc ne l'exauça point; et ce refus, loin de l'accuser de folie, devait le former à la sagesse; car l'homme doit comprendre que Dieu est médecin, et que l'affliction est un remède pour nous guérir et non un châtiment qui aboutisse à la damnation. Pour vous guérir, on brûle, on tranche, et vous criez; le médecin est sourd à vos désirs, il cherche uniquement à vous guérir.

2245 5. «Pour vous, ô gloire d'Israël, vous habitez dans le sanctuaire Ps 21,4)». Vous habitez en ceux que vous sanctifiez, et à qui vous faites comprendre que si vous repoussez des demandes, c'est pour le bien de ceux qui supplient, et que vous en exaucez d'autres pour leur propre perte. Ce fut pour l'avantage de saint Paul que Dieu rejeta sa prière, et pour la confusion de Satan qu'il accueillit la sienne. Il avait demandé de tenter Job ce qui lui fut accordé Jb 1,11). Les démons demandèrent d'entrer dans les pourceaux, et Jésus le leur permit Mt 8,31). Ainsi les démons sont exaucés, l'Apôtre ne l'est pas: mais ils sont exaucés pour leur confusion; et dans l'intérêt de son salut, l'Apôtre ne le fut point. «Ce n'est point pour me convaincre de folie. Vous êtes la gloire d'Israël et vous habitez dans vos saints». Pourquoi n'exaucez-vous pas même ceux qui sont à vous? Mais pourquoi parler ainsi? Souvenez-vous de dire toujours: Grâces à Dieu, devant cette foule d'assistants, et plusieurs sont venus qui ne viennent point d'ordinaire. Je dis donc pour tous que l'affliction n'est pour le chrétien qu'une épreuve, s'il n'abandonne pas le Seigneur. Quand l'homme est heureux au dehors, le chrétien est dans un délaissement intérieur. Le feu est mis à la fournaise, et cette fournaise de l'orfèvre est le symbole d'un grand mystère. Il y a là de l'or, il y a de la paille, il y a du feu qui agit dans un lieu resserré. Le feu est le même, l'effet en est bien différent; il réduit la paille en cendre et ôte à l'or ses scories. Ceux en qui habite le Seigneur deviennent ainsi meilleurs par l'affliction, ils sont éprouvés comme l'or. Si donc le démon notre ennemi demande quelqu'un et qu'il l'obtienne de Dieu, alors, soit dans les maladies corporelles, soit dans la perte des biens, soit dans la mort de ses proches, que le chrétien maintienne son coeur entre les mains de celui qui ne l'abandonne et qui ne paraît fermer l'oreille à sa douleur que pour écouter ensuite sa prière avec miséricorde. L'artisan qui nous a faits sait ce qu'il doit faire, il sait aussi comment nous réconforter. C'est un habile architecte qui a construit l'édifice, il sait réparer ce qui a pu s'en écrouler.

2246 6. Ecoutez encore ce que dit le Prophète: «En vous ont espéré nos pères; ils ont espéré, et vous les avez délivrés Ps 21,5)». Nous savons, pour l'avoir lu dans les Ecritures, combien de nos pères Dieu a délivrés, parce qu'ils espéraient en lui, Il a délivré de l'Egypte tout le peuple d'Israël Ex 12,51). Il a délivré les trois jeunes hommes des flammes de la fournaise; il a délivré Daniel de la fosse aux lions ), et Susanne d'une accusation mensongère ): tous l'invoquèrent, tous furent délivrés Da 11,2). A-t-il fait défaut à son Fils, au point de ne point l'exaucer sur la croix? Pourquoi donc n'est-il pas délivré à l'instant, celui qui a dit: «Nos pères ont espéré en vous, et vous les avez délivrés?»

2247 7. «Pour moi, je suis un ver et non pas un homme Ps 21,7)». Un ver et non pas un homme. L'homme aussi est un ver, mais celui-ci est un ver et non pas un homme. Pourquoi pas un homme? Parce qu'il est Dieu. Pourquoi s'est-il abaissé au point de se dire «un «ver? n Est-ce parce qu'un ver naît de la chair spontanément comme le Christ est né de la vierge Marie? Il est donc un ver? Et toutefois il n'est pas un homme. Pourquoi un ver? Parce qu'il est mortel, parce qu'il est né de la chair, parce qu'il est né d'une vierge et sans le concours d'aucun homme. Pourquoi n'est-il pas un homme? Parce que le Verbe était au commencement, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu Jn 1,1).

2248 8. «Je suis l'opprobre des hommes, le (209) rebut de la populace Ps 21,7)». Voyez combien il a souffert; et avant le récit de sa passion, afin de l'écouter avec des gémissements plus sincères, voyez d'abord les douleurs qu'il endure et ensuite voyez pourquoi. Quel est le fruit de sa passion? Voilà que nos pères ont espéré et ont été délivrés de l'Egypte. Et, comme je l'ai dit, tant d'autres l'ont invoqué, et sans aucun retard ont été délivrés dès cette vie, sans attendre la vie éternelle. Job lui-même, livré à Satan qui l'avait demandé, en proie aux ulcères et aux vers Jb 1,11), recouvra néanmoins la santé dès cette vie, et des richesses doubles de celles qu'il avait perdues Jb 42,11). Pour le Sauveur, il est flagellé, et nul secours; il est couvert de crachats, et nul secours; il est souffleté, et nul, secours; il est élevé en croix, et nulle délivrance; il s'écrie: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné Mt 28)?» et nul secours. Pourquoi donc, mes frères? Pourquoi tout cela? Quelle est la récompense de tant de. douleurs? Tout ce qu'il endure est une rançon. Que peut-il acheter au prix de tant de douleurs? Récitons le psaume et voyons ce qu'il contient. Cherchons d'abord ce qu'il a souffert, et ensuite pourquoi: et comprenons combien sont ennemis du Christ ceux qui confessent les douleurs qu'il a endurées et qui lui en dérobent le prix. Ecoutons donc tout cela dans le psaume, et voyons ce qu'il a souffert et pour quel motif. Retenez ces deux points: qu'a-t-il souffert et pourquoi? J'explique maintenant ce qu'il a souffert, sans trop m'y arrêter: les paroles du psaume vous l'expliqueront mieux que moi. Voyez, chrétiens, ce qu'endure le Seigneur; il est «l'opprobre des hommes et le rebut de la populace».

2249 9. «Tous ceux qui me voyaient me persiflaient, ils parlaient des lèvres et branlaient la tête. Il a espéré en Dieu, que Dieu le délivre, que Dieu le sauve puisqu'il se plaît en lui n. Mais pourquoi les Juifs parlaient-ils ainsi? C'est parce que le Christ s'était fait homme, et qu'ils le traitaient en homme.

2250 10. «Parce que c'est vous qui m'avez tiré du sein maternel Ps 21,8-9)». Parleraient-ils ainsi contre ce Verbe qui était au commencement, ce Verbe qui était en Dieu? Mais ce Verbe, par qui tout a été fait, n'a été tiré des entrailles maternelles que parce que le Verbe a été fait chair et a habité parmi nous. «Parce que vous m'avez tiré du sein de ma mère, vous êtes mon Dieu dès que j'ai sucé la mamelle Ps 21,10)». Avant tous les siècles vous êtes mon Père, mais vous êtes mon Dieu depuis que j'ai sucé la mamelle.

2251 11. «Du sein de ma mère, j'ai été reçu dans vos bras», afin que vous fussiez mon unique espérance; c'est l'homme, et l'homme dans sa faiblesse, le Verbe fait chair, qui parle ainsi. «Dès le sein de ma mère, vous êtes mon Dieu Ps 21,11)». Non point mon Dieu par vous-même; par vous-même vous êtes mon Père; et mon Dieu seulement depuis que j'ai passé par le sein de ma mère.

2252 12. «Ne vous éloignez pas de moi; car la tribulation est proche, et il n'y a personne  pour me secourir Ps 21,12)». Voyez comme il est abandonné, et malheur à nous, s'il nous abandonnait. «Il n'y a personne pour nous secourir».

2253 13. «De jeunes taureaux sans nombre, des taureaux puissants m'ont environné Ps 21,13)». Voilà le peuple et le prince, le peuple ou les jeunes taureaux sans nombre, les princes ou les taureaux puissants.

2254 14. «Ils fondent surmoi, la gueule entr'ouverte, comme le lion qui déchire et qui rugit Ps 21,14)». Ecoutez ces rugissements dans l' Evangile: «Crucifiez-le, crucifiez-le Jn 19,6)».

2255 15. «Je me suis répandu comme l'eau, et mes ossements ont été dispersés Ps 21,15)». Il appelle ossements, les disciples les plus fermes, car les os sont la solidité des corps. Quand ces ossements furent-ils dispersés? Quand il leur dit: «Voilà que je vous envoie, comme des brebis au milieu des loups Mt 11,6)». Il dispersa donc ses disciples les plus solides, et il se répandit comme l'eau. L'eau répandue lave ou arrose; le Christ s'est répandu comme l'eau, pour laver nos souillures et arroser nos âmes. «Mon coeur s'est fondu comme une cire au milieu de mes entrailles». C'est son Eglise qu'il appelle ses entrailles. Comment son coeur est-il devenu comme une cire? Son coeur, c'est l'Ecriture, ou plutôt la Sagesse renfermée dans-les saintes Ecritures. L'Ecriture était un livre fermé, que nul ne comprenait; le Seigneur a été cloué à la croix, et alors elle est devenue claire comme la cire liquéfiée, et les plus faibles (210) esprits ont pu la comprendre. C'est de là que le voile du temple a été déchiré Mt 27,51) et, ce qui était voilé, mis à découvert.

2256 16. «Ma force a été durcie comme l'argile Ps 21,16)». Admirable expression pour dire mon nom s'est affermi par mes douleurs. De même que l'argile est molle avant de passer par le feu, et solide quand elle en sort; de même le nom du Seigneur, méprisé avant la passion, en est sorti glorieux. « Ma langue s'est attachée à mon palais». Comme ce membre n'est utile que pour-parler, le Sauveur appelle sa langue, les prédicateurs, et ils se sont attachés à son palais pour puiser la sagesse dans ses secrètes profondeurs. «Et vous m'avez réduit à la poussière de la mort».

2257 17. «Voilà qu'une meute de chiens m'environne, que le conseil des méchants m'assiége Ps 21,17)». Voyez encore l'Evangile. «Ils ont percé mes mains et mes pieds».Alors s'ouvrirent ces plaies, dont un disciple incrédule toucha les cicatrices. Il avait dit: «Si je ne mets mon doigt dans la blessure des clous, je ne croirai point». Jésus lui dit alors: «Venez, mettez votre doigt, ô incrédule». Et il y mit sa main, et il s'écria «Mon Seigneur, et mon Dieu» . Et Jésus: Parce que tu m'as vu, tu as cru; bienheureux ceux qui croient sans voir (20, 25, 28). «Ils ont percé mes mains et mes pieds».

2258 18. «Ils ont compté tous mes os Ps 21,18)», quand il était étendu sur la croix. On ne peut mieux exprimer l'extension du corps sur la croix, qu'en disant: «ils ont compté tous mes os».

2259 19. « Ils m'ont regardé, ils m'ont considéré attentivement Ps 21,19)». Ils ont considéré, mais sans comprendre; ils ont regardé, mais sans voir. Leurs yeux voyaient la chair, mais leur coeur ne s'élevait pas jusqu'au Verbe. « Ils se sont partagé mes vêtements». Ses vêtements sont les sacrements. Remarquez, mes frères, que ses vêtements ou ses sacrements ont bien pu être divisés par l'hérésie; mais il y avait là une robe, que nul ne peut diviser. «ils ont tiré ma robe au sort». « Il y avait là»,dit l'Evangéliste, «sa tunique tissue d'en haut Jn 19,27)». Donc, tissue dans le ciel, tissue par le Père, tissue par l'Esprit-Saint. Quelle est cette robe, sinon la charité que l'on ne peut partager? Quelle est cette robe, sinon l'unité? On la tire au sort, parce que l'on ne peut la diviser. Les hérétiques ont bien pu diviser les sacrements, mais non diviser la charité. Impuissants à la partager, ils se sont retirés, mais elle demeure dans son intégrité. Le sort l'a donnée à quelques-uns; celui qui la possède, est en sûreté; car nul ne peut le jeter hors de l'Eglise catholique; et si l'homme du dehors commence à l'avoir, on l'y introduit, comme le rameau d'olivier porté par la colombe (Gn 8,11).

2260 20. «Pour tous, ô mon Dieu, n'éloignez pas de moi votre secours Ps 21,20)». Ainsi en fut-il, et Dieu le ressuscita le troisième jour. «Pourvoyez à ma défense».

2261 21. «Arrachez mon âme à la framée Ps 21,21)» ; c'est-à-dire à la mort. Une framée est un glaive, et par le glaive il a voulu entendre la mort. «Et mon unique à la main des chiens». Cette âme, et cette unique, c'est son âme et son corps; c'est son Eglise qu'il appelle unique. « A la main», c'est-à-dire au pouvoir des chiens. Qui sont les chiens? Ceux qui aboient commue des chiens, sans savoir à qui ils s'en prennent. On ne leur fait rien, et néanmoins ils aboient. Que fait au chien un passant? le chien l'aboie pourtant. Aboyer aveuglément, sans savoir ni contre qui, ni pour qui, c'est là être chien.

2262 22. «Sauvez-moi de la gueule du lion Ps 21,22)». Vous connaissez ce lion rugissant qui rôde autour de nous, cherchant quelqu'un à dévorer 1P 5,8). «Epargnez à mon humilité la corne du rhinocéros». Il n'appelle rhinocéros que les orgueilleux; aussi a-t-il ajouté: «Mon humilité».

2263 23. Vous avez entendu les douleurs que le Christ a endurées, et les prières qu'il a faites pour en être délivré: considérons, maintenant, pourquoi il a souffert. Mais voyez d'abord, mes frères, à quoi bon porter le nom de chrétien, quand on n'est point dans cet héritage pour lequel le Christ a souffert? Nous avons entendu ce qu'il a enduré; qu'on comptât ses os, qu'on le tournât en dérision, qu'on partageât ses vêtements, qu'on tirât sa robe au sort, qu'on dispersât ses ossements; c'est ce que nous apprend le psaume, et ce que nous lisons dans l'Evangile. Voyons pourquoi. O Christ, Fils de Dieu, vous ne souffririez point, si vous ne le vouliez pas, montrez-nous doue le fruit de (211) votre passion. Ecoutez, nous dit-il, quel est ce fruit: je ne le cache point; mais l'homme est sourd à mes paroles. Ecoutez donc bien quel est ce fruit acheté par mes douleurs. «J'annoncerai votre nom à mes frères». Voyons s'il ne prêche le nom du Seigneur à ses frères, que dans une partie du monde. «J'annoncerai votre nom à mes frères, je vous chanterai au milieu de l'Eglise Ps 21,23)». C'est ce qui s'accomplit maintenant. Mais voyons quelle est cette Eglise: «Je vous chanterai au milieu de l'Eglise». Voyons donc l'Eglise pour laquelle il a souffert.

2264 24. «Louez le Seigneur, vous qui le craignez Ps 21,24)». L'Eglise du Christ est donc partout où l'on craint et où l'on bénit Dieu. Or, voyez, mes frères, si dans ces jours il n'y a point de sens dans le chant de l'Amen, et de l'Alléluia qui retentit par toute la terre. Est-ce que Dieu n'y est pas craint? Est-ce que le Seigneur n'y est pas béni? Voilà que Donat s'en vient nous dire: Il n'y a plus de crainte, et le monde entier a péri, il a tort de dire le monde entier; n'en restera-t-il donc qu'une faible part en Afrique? Mais le Christ n'a-t-il donc pas une parole pour fermer la bouche à ces prédicateurs? N'a-t-il pas une parole pour leur arracher la langue? Cherchions, nous la trouverons peut-être. Quand le Christ doit u bénir Dieu au milieu de l'Eglise», c'est de notre Eglise qu'il parle. «Bénissez le Seigneur, «vous qui craignez Dieu n. Voyons si nos adversaires louent le Seigneur, afin de coin-prendre si c'est bien d'eux qu'il parle, s'il est béni dans leur Eglise. Comment bénissent-ils le Christ, ceux qui prêchent qu'il a perdu toute la terre, que le diable l'a conquise sur lui, qu'il ne lui en reste qu'une partie? Mais voyons encore, et que le psaume parle avec plus de clarté, qu'il s'explique avec plus d'évidence; qu'il n'y ait plus besoin d'interprétation, qu'il mie reste aucun doute. «Glorifiez-le, race entière de Jacob». Peut-être diront-ils encore: C'est nous qui sommes la race de Jacob. Voyons s'ils sont en effet cette race,

2265 25. «Qu'il soit craint de toute la postérité d'Israël Ps 21,25)». Qu'ils disent encore qu'ils sont la race d'Israël, nous leur permettons de le dire. «Car il n'a point méprisé ni  rejeté la prière des pauvres». De quels pauvres? de ceux qui ne présumaient point d'eux-mêmes. Jugeons par là s'ils sont pauvres, ceux qui disent: «Nous sommes justes», quand Jésus-Christ dit lui-même: «Les cris de mes péchés éloignent de moi le salut Ps 21,2)». Mais qu'ils disent encore ce qu'il leur plaira. «Il n'a point détourné de moi son visage, et quand je criais vers lui il m'a exaucé Ps 21,25)». En quoi l'a-t-il exaucé, pour quel motif?

2266 26. «Vous êtes l'objet de ma louange Ps 21,26)». Il met sa gloire en Dieu pour nous apprendre à ne point présumer de l'homme. Qu'ils disent encore ce qu'ils voudront. Déjà ils commencent à sentir l'effet du feu qui s'approche: «Car nul ne peut se dérober à sa chaleur Ps 18,7)». Qu'ils disent encore: Nous ne présumons pas non plus en nous-mêmes, et c'est en Dieu que nous mettons notre gloire; qu'ils disent même: «Je chanterai vos louanges dans une grande assemblée». Il me semble qu'ici le Christ les touche au coeur. Qu'est-ce, mes frères, qu'une grande Eglise? Appellerait-on grande Eglise un coin de la terre? Une grande Eglise, c'est l'univers entier. Quelqu'un voudrait-il contredire le Christ? Voici vos paroles, ô Christ: «Je chanterai vos louanges dans une grande Eglise»; dites-nous donc quelle est cette Eglise ! Vous êtes resserré dans un coin de l'Afrique; vous avez perdu le monde entier, vous avez versé votre sang pour tous; mais l'ennemi a envahi vos domaines. Si nous parlons ainsi, mes frères, c'est comme pour l'interroger, car nous savons ce qu'il y aurait à répondre. Supposons néanmoins que nous ignorons ce qu'il dit: sa réponse n'est-elle point: Attendez, je vais parler de manière à lever tous les doutes? Ecoutons donc ce qu'il va dire. Pour moi, je voulais prononcer, et ne point laisser aux hommes la liberté d'interpréter cette parole du Christ: « Dans une grande Eglise». Et tu viens me dire qu'il est resserré à l'une des extrémités? Ils oseront encore nous dire: Notre assemblée est grande, que dites-vous de Bagaï et de Tamugade? Si le Christ n'a plus un mot pour les confondre, ils diront que la Numidie seule est cette grande Eglise.

2267 27. Voyons encore, écoutons Jésus-Christ. «J'accomplirai mes voeux en présence de ceux qui le craignent Ps 21,26)». Quels sont les voeux du Christ? le sacrifice qu'il offrit à Dieu. Savez-vous quel sacrifice? Les fidèles savent les (212) voeux accomplis par le Christ en présence de ceux qui le craignaient. Car voici ce qui suit: «Les pauvres mangeront et seront rassasiés Ps 21,27)». Bienheureux donc ces pauvres qui mangent ainsi pour être rassasiés ! Donc, les pauvres mangent. Quant aux riches, ils ne sont pas rassasiés, parce qu'ils n'ont pas faim. Les pauvres mangeront. Il était un pauvre, ce Pierre le pêcheur, et Jean cet autre pêcheur, et Jacques son frère Mt 4,18), et même le publicain Matthieu Mt 9,9). Ils étaient des pauvres, tous ces autres qui mangèrent et qui furent rassasiés, parce qu'ils souffrirent comme la victime qu'ils mangeaient. Car le Christ a donné ses douleurs comme il a donné ses festins; c'est celui qui souffre comme lui, qui est rassasié. Les pauvres l'imitent, car ils souffrent pour suivre les traces de Jésus-Christ. «Ces pauvres mangeront». Comment sont-ils pauvres? «C'est qu'ils louent le Seigneur, ceux qui le recherchent Mt 9,9)». Les riches se louent eux-mêmes, les pauvres louent le Seigneur. Comment donc sont-ils pauvres? C'est qu'ils bénissent le Seigneur, qu'ils recherchent le Seigneur, et que le Seigneur est le trésor des pauvres; d'où vient que leur maison est dénuée, tandis que leur coeur est plein de richesses, Que le riche travaille à remplir ses coffres, le pauvre cherche à remplir son coeur: et quand leur coeur est enrichi, ils bénissent le Seigneur, ceux qui le recherchent. Voyez, mes frères, en quoi consiste la richesse de ces vrais pauvres; elle ne loge, ni dans les coffres, ni dans les greniers, ni dans tes celliers. «Leurs coeurs vivront dans l'éternité».

2268 28. Ecoutez-moi donc, mes frères. Le Christ a souffert, il a enduré tout ce que vous avez entendu; nous avons cherché le but de ses douleurs, et il s'est mis à nous dire: «J'annoncerai votre nom à mes frères, je vous chanterai au milieu de l'Eglise». Mais ils répliquent: Nous sommes cette Eglise. «Qu'il soit redouté dans la postérité d'Israël». Et eux de dire: Nous sommes la postérité d'Israël. «Il n'a point rejeté ni dédaigné la «prière des pauvres». Ils disent encore Nous sommes ces pauvres. «Il n'a pas détourné de moi son visage». Jésus-Christ, notre Seigneur, n'a pas détourné sa face de lui-même, ou de son corps, qui est l'Eglise. «En vous est ma louange». Et vous voulez vous louer vous-mêmes. Mais, nous répondront-ils, c'est bien lui que nous chantons aussi. «Je remplirai mes voeux en présence de ceux qui le craignent». Les fidèles savent que c'est un sacrifice de paix, un sacrifice de charité, le sacrifice de son corps: nous ne pouvons aujourd'hui nous étendre à ce sujet. «Je remplirai mes voeux devant ceux qui me craignent». Mangez, publicains, mangez pêcheurs, mangez, imitez le Seigneur, souffrez, et vous serez rassasiés. Le Seigneur lui-même est mort; les pauvres meurent à leur tour, et la mort des disciples vient s'ajouter à la mort du maître. Pourquoi? montrez-m'en l'utilité. «Les extrémités de la terre se ressouviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui(Ps 21,30)». Hélas! mes frères, pourquoi nous demander ce que nous répondrons aux partisans de Donat? Ce psaume que nous lisons ici aujourd'hui se ht encore aujourd'hui chez eux. Gravons-le sur nos fronts, marchons avec lui, ne donnons aucun repos à notre langue, et répétons sans cesse: Le Christ a souffert, voilà que ce négociant divin nous montre ce qu'il vient d'acheter, son sang qu'il a répandu en est le prix. Il portait ce prix dans une bourse divine; et cette bourse s'est répandue sous le coup d'une lance impie, et il en est sorti la rançon du monde entier. Que viens-tu me dire, ô hérétique? N'est-ce point le prix de l'univers entier? l'Afrique seule serait-elle rachetée? tu n'oserais le dire. Tout l'univers a été racheté, diras-tu, mais il a échappé au Christ. Quel ravisseur a donc. fait perdre au Christ ce qui lui appartenait? «Voilà que tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui». Que ces paroles vous suffisent donc. S'il était dit: Les confins de la terre, et non, «tous les confins de la terre», ils pourraient nous répliquer: Nous avons en Mauritanie ces confins de la terre. Mais, ô hérétique, il a dit: «Tous les confins de la terre», oui, «tous»; où donc pourras-tu fuir, pour éviter cette réponse? Nul moyen d'échapper; il ne te reste que la porte pour entrer.

2269 29. Toutefois, mes frères, je ne veux pas établir une dispute, de peur que l'on attribue quelque valeur à mon discours. Ecoutez donc le psaume, et lisez-le. Voilà que le Christ a souffert, son sang est répandu; voilà d'une part le Rédempteur, et d'autre part la rançon. Qu'on me dise l'objet racheté. Mais pourquoi (213) le demander? puisqu'on pourrait me répondre O insensé, à quoi bon les questions? Tu as un livre, et dans ce livre le prix de la rançon, et l'objet racheté. Vous pouvez y lire : «Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui». Oui, les confins de la terre s'en souviendront. Mais les hérétiques l'ont oublié, aussi le leur lit-on chaque année. Croyez-vous qu'ils prêtent l'oreille, quand le lecteur répète : «Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui?» Mais ce n'est peut-être qu'un verset, et vous aviez l'esprit distrait, ou vous parliez au voisin, quand on a lu ce passage; voyez pourtant comme il le répète, et force les sourds d'entendre: «Toutes les nations de la terre se prosterneront pour l'adorer». Il est encore sourd, et n'entend pas plus, frappons de nouveau. «Au Seigneur appartient l'empire, et il dominera les nations». Retenez bien, mes frères, ces trois versets. Aujourd'hui on les chante aussi chez eux, à moins qu'ils ne les aient effacés. Pour moi, mes frères, je suis tellement frappé, tellement hors de moi-même, qu'une telle surdité, une telle dureté de coeur me jette dans la stupeur, et je me prends à douter quelquefois s'ils ont ces passages dans leurs livres. Aujourd'hui tous les fidèles accourent à l'Eglise, aujourd'hui tous prêtent l'oreille attentivement à la lecture de ce psaume, tous demeurent en suspens à cette lecture. Mais fussent-ils inattentifs, n'y a-t-il que ce seul verset: «Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui?» Vous vous éveillez, vous frottez encore vos yeux: «Et les peuples de la terre se prosterneront en sa présence». Vous vous réveillez, vous êtes encore assoupis, écoutez: «Au Seigneur appartient l'empire, et il dominera toutes les nations».

2270 30. Que pourraient-ils répliquer? je ne sais; qu'ils s'en prennent aux saintes Ecritures, et non plus à nous. Voilà le livre, qu'ils le combattent. A quoi sert de dire: C'est nous qui -avons sauvé les Ecritures, qu'on aurait brûlées? Elles sont sauvées pour te brûler, ô hérétique. A quoi bon les sauver? Ouvre-les donc pour les lire. Tu les a sauvées, et tu les combats. Pourquoi sauver de la flamme ce que tu effaces de la langue?Je n'en crois rien, je ne puis croire que tu les aies sauvées; non, tu ne les as pas sauvées, je n'en crois rien. Les nôtres, au contraire, ont raison de dire que tu les as livrées. il prouve sa trahison, celui qui refuse d'exécuter un testament qu'on lui alu. On le lit devant moi, et je m'y rends; devant toi, et tu contestes. Quelle main l'a jeté au feu? Est-ce la main de celui qui l'accepte et le suit, ou la main de celui qui est chagrin qu'il existe encore, et qu'on le puisse lire? Mais je ne veux plus connaître le sauveur de ce livre; peu importe de quelle manière et dans quelle caverne on l'ait trouvé, c'est le testament de notre père; je ne connais ni les voleurs qui voulaient le soustraire, ni les persécuteurs qui le voulaient brûler: de quelque part qu'il nous vienne, il doit être lu. Pourquoi disputer? Nous sommes frères, à quoi bon plaider? Notre père n'est point mont sans testament. Il en a fait un, et il est mort; après sa mort, il est ressuscité. On dispute sur l'héritage d'un défunt, tant que le testament n'est pas devenu public: dès que le testament se produit en public, tous gardent le silence, afin qu'on l'ouvre et qu'on le lise. Le juge l'écoute avec attention, les avocats se taisent, les huissiers font faire silence, tout le peuple demeure en Suspens, pour laisser lire les paroles d'un défunt, qui est sans mouvement dans le sépulcre. Cet homme est donc sans vie sous la pierre, mais ses paroles ont une valeur: et c'est quand Jésus-Christ est assis dans le ciel, que l'on conteste son testament? Ouvrez donc, et lisons. Nous sommes frères, pourquoi ces disputes? Soyons plus paisibles, notre père ne nous a pas laissés sans testament. Et celui qui a fait ce testament, vit dans l'éternité, il entend nos voix, il connaît celle qui est à lui. Lisons donc, à quoi bon disputer? Prenons possession de l'héritage, quand nous l'aurons trouvé. Ouvrez le testament, et lisez donc un des premiers psaumes: «Demande-moi e. Mais qui parle ainsi? Peut-être n'est-ce pas Jésus-Christ. Vous avez encore au même endroit: «Le Seigneur m'a dit: Vous êtes mon Fils, c'est aujourd'hui que je vous ai engendré Ps 2,7)». Donc est-ce le Fils de Dieu qui parle, ou le Père qui parle à son Fils? Et que dit-il à ce Fils? «Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et ton empire embrassera tous les confins de la terre Ps 2,8)». Souvent, mes frères, quand on conteste au sujet d'un champ, on s'enquiert des possesseurs qui  (214) avoisinent, et entre tel ou tel voisin, on cherche l'héritier à qui il est échu ou qui en est l'acheteur. Auprès de quels voisins s'informer? Auprès de ceux qui possèdent les propriétés environnantes. Mais celui qui n'a aucune borne à son héritage n'a aucun voisin, Or, de quelque part que vous vous tourniez, c'est le Christ qui est possesseur. Tu as en héritage les confins de la terre, viens, possède avec moi la terre entière. Pourquoi m'intenter un procès pour m'appeler en partage? Viens ici, c'est un avantage de perdre ton procès puisque tu auras le tout. Quel sujet pour toi de disputer? J'ai lu le testament, et tu disputes encore? Viendras-tu nous objecter qu'il a dit: «Les confins de la terre, et non, tous les confins? Lisons donc alors. Qu'avons-nous lu? «Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui. Toutes les nations de la terre se prosterneront en sa présence. L'empire est au Seigneur, et il dominera les nations». C'est donc à lui et non à vous qu'appartient la domination. Reconnaissez donc et le Seigneur votre maître, l'héritage du Seigneur.

2271 31. Mais vous aussi, qui voulez avoir une possession à part, et non plus avec nous dans l'unité du Christ, car vous voulez dominer sur la terre et non régner avec lui dans le ciel, vous possédez vos demeures. Nous sommes allés quelquefois les trouver, mes frères, et pour leur dire: Cherchons la vérité, trouvons la vérité. Et eux de nous répondre: Gardez ce que vous avez; tu as tes brebis, j'ai les miennes; laissez mes brebis en paix comme j'y laisse les vôtres. Grâces à Dieu, j'ai mes brebis, et il a ses brebis, qu'a donc racheté le Christ? Ah! qu'elles ne soient ni à toi ni à moi, ces brebis, mais bien à celui qui les a rachetées, à celui qui les a marquées de son caractère ! «Ni celui qui plante n'est rien, ni celui qui arrose, mais c'est Dieu qui donne l'accroissement 1Co 3,7)». Pourquoi donc avoir tes brebis et moi mes brebis? Si le Christ est avec toi, que mes brebis y aillent aussi, car elles ne sont pas à moi; et si le Christ est avec nous, que tes brebis y viennent aussi, puisqu'elles ne sont pas à toi. Qu'elles entrent dans leur héritage en nous baisant le front et les mains, et que les enfants étrangers disparaissent. Elles ne m'appartiennent pas, dit-il. Qu'est-ce à dire? Voyons si elles ne vous appartiennent pas, voyons si vous n'en avez pas revendiqué la possession. Je travaille au nom du Christ, toi au nom de Donat; car si c'est pour le Christ, le Christ est partout. Tu dis «Le Christ est ici Mt 24,23)», et moi je dis qu'il est partout. « Enfants, louez le Seigneur, bénissez le nom du Seigneur».D'où viendra cette louange? Et jusqu'où ira-t-elle? «De l'Orient jusqu'au couchant, bénissez le nom du Seigneur Ps 111,1)». C'est là l'Eglise que je vous montre, c'est là ce qu'a acheté le Christ et ce qu'il a racheté, c'est pour cela qu'il a donné son sang. Mais toi, que dis-tu? C'est aussi pour lui que je recueille. «Celui qui ne ramasse «point avec moi, te répond-il, celui-là disperse Mt 12,30)». Or, tu divises l'unité, tu veux un domaine à part. Pourquoi donc avoir le nom du Christ? C'est parce que tu as prétendu que le nom fût comme un titre qui garantît ta possession. N'est-ce point là ce que font plusieurs à l'égard de leur maison? Pour la garantir contre l'avidité d'un larron puissant, le maître y place le titre d'un autre homme puissant, titre mensonger. Il veut être possesseur de sa maison, et pour se l'assurer, il met au frontispice un titre d'emprunt, afin qu'en lisant ce nom d'un homme puissant dans le monde, un ravisseur soit saisi de frayeur et s'abstienne de toute violence. C'est ce que firent nos hérétiques lorsqu'ils condamnèrent les Maximianistes. Ils allèrent trouver les juges, et pour montrer des titres qui les fissent regarder comme évêques, ils récitèrent les canons de leur concile. Alors le juge demanda: Est-il ici quelque autre évêque du parti de Donat? L'assemblée répondit: Nous ne reconnaissons qu'Aurèle qui est catholique. Dans la crainte des lois, ils n'ont parlé que d'un seul évêque. Mais pour se faire écouter du juge, ils empruntaient le nom du Christ et couvraient de ses titres leur possession. Que le Seigneur le leur pardonne dans sa bonté, et qu'il revendique son héritage partout où il retrouve ses titres; sa miséricorde est assez grande pour leur faire cette grâce, et pour ramener dans son Eglise tous ceux qu'il rencontrera sous le nom du Christ. Voyez, mes frères, quand un prince trouve ses titres sur quelque domaine, n'a-t-il pas le soin de le revendiquer en disant: S'il n'était mon domaine, il ne porterait pas mes (215) titres? J'y trouve mon nom, le domaine est à moi; tout domaine m'appartient quand il porte mon nom. Change-t-il jamais ses titres? Le titre d'autrefois est le titre d'aujourd'hui; l'héritage peut changer de maître et non de titre. De même, quand ceux qui ont reçu le baptême du Christ reviennent à l'unité, nous ne changeons pas les titres, nous ne les effaçons point; mais nous reconnaissons les titres de notre roi, le nom de notre prince. Que disons-nous? Héritage infortuné, sois le domaine de celui dont tu portes les titres; tu portes le nom du Christ, ne sois donc pas l'héritage de Donat.

2272 32. C'est beaucoup nous étendre, mes frères; mais gardez-vous d'oublier ce que nous avons lu. Je vous le répète, et il faut souvent le redire; au nom de ce jour sacré, ou plutôt, des mystères que l'on y célèbre, je vous en supplie, n'oubliez pas ces paroles: «Toutes les nations de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui.Tous les peuples de la terre se prosterneront en sa présence. L'empire est au Seigneur, et il dominera les peuples». En face d'un titre si clair, si authentique de la possession du Christ, fermez l'oreille aux paroles d'un imposteur. Toute contradiction est la parole d'un homme, ceci est la parole de Dieu. 



Augustin, les Psaumes 20