Augustin, les Psaumes 35

DISCOURS SUR LE PSAUME XXXIV - CONFIANCE EN DIEU.

35 Ps 35,1-10


Le titre de ce psaume est : A David. Le double sens, attaché au nom de David, désigne deux qualités du Christ, et montre, comme le texte, que ce psaume s'applique au Christ, considéré en lui-même et dans ses membres. Sous ce double rapport, il souffre et cherche son secours en Dieu. Nous, qui souffrons, mettons aussi en Dieu notre confiance : 1. parce qu'il est notre salut. Pour venir à notre aide, il se sert de nous-mêmes, et des vertus qu'il nous inspire, comme d'une armure: notre âme, voilà son épée, son casque, sa cuirasse; nos vices, nos semblables, le démon, voilà nos ennemis; pour leur résister, il faut être juste, et c'est Dieu qui donne la justice. Quoi qu'en disent nos ennemis, quel que soit notre sort ici-bas, Dieu seul est notre salut et ce qu'il a fait dans tous les temps, et surtout à l'égard de Job en est la preuve. Il triomphe de nos ennemis en les convertissant ou en les condamnant; il punit les méchants par leur propre méchanceté Quant aux justes, il est leur unique souverain bien; ils doivent donc chercher en lui le sujet de joies et de leurs espérances. 2. Parce que le Christ est notre Chef, que nous sommes ses membres, et que comme il a été glorifié après avoir souffert, nous le serons nous-mêmes, si nous l'imitons. Environné d'ennemis acharnés à sa perte, il vécut dans l'innocence, la mortification, le jeûne, la prière et l'union avec Dieu, et triompha ainsi de leur malice. Imitons ce parfait modèle, et, puisque nous sommes condamnés à souffrir, souffrons, comme lui, pour la justice, Dieu nous sauvera, et, alors, la tranquillité et la joie seront notre partage.

PREMIER SERMON 


1. Votre charité ne l'ignore pas: la volonté de nos frères et coévêques nous a imposé l'obligation d'expliquer ce psaume de manière à ce que nous en tirions tous une instruction, car nous sommes tous les auditeurs de celui qui nous instruit les uns et les autres, et dont nous recevons les enseignements en qualité de condisciples.

Le titre de ce psaume ne peut nous arrêter longtemps, car il est court, et pour les enfants, de l'Eglise de Dieu surtout, il n'est pas difficile à comprendre. Le voici: «A David». Louange donc à David. David signifie: Homme d'un bras vigoureux, homme désirable. Louange donc à cet homme fort et désirable, qui a vaincu notre mort et nous a promis la vie. Car, pour vaincre notre mort, il s'est montré vigoureux il est désirable, puisqu'il nous a promis la vie éternelle. Et, de fait, qu'y a-t-il de plus fort que cette main, dont le contact a ressuscité un mort et l'a fait sortir vivant du cercueil? Qu'y a-t-il de plus fort que cette main, qui a vaincu le monde, sans porter le glaive, après avoir été clouée à la croix? Qu'y a-t-il de plus désirable que cet homme? Les martyrs ne l'avaient pas vu, et pourtant, ils ont voulu mourir pour mérite d'arriver jusqu'à lui. Louange donc à lui; à lui notre coeur; à lui notre langue: puise t-elle chanter des louanges dignes de lui! Puisse-t-il inspirer lui-même nos chants! Nulle louange n'est digne de sa majesté, s'il te daigne en accorder la grâce à celui qui entreprend de la lui offrir. Enfin, ce que note chantons maintenant, son esprit nous l'a enseigné par la bouche du Prophète, et de ces paroles où nous nous reconnaissons nous-mêmes, et lui avec nous. En nous exprimai! ainsi, nous ne lui faisons point injure, car du haut du ciel, quand personne ne le touchait et que nous luttions sur la terre, il a dit «Pourquoi me persécutes-tu?» Il nous faut donc. entendre sa parole, tantôt de no mêmes qui sommes son corps, tantôt de lui-même qui en est le Chef. Car, dans ce psaume on invoque Dieu contre ses ennemis, au milieu des tribulations de cette vie, et celui qui adresse cette invocation au Seigneur, est indubitablement le Christ, qui a souffert autrefois comme chef, et qui souffre aujourd'hui  (334) dans son corps, se servant néanmoins de ses tribulations pour communiquer à  tous ses membres la vie éternelle, et méritant, par ses immortelles promesses, le titre de désirable.

2. «Seigneur», dit-il, «jugez ceux qui me dont du mal: domptez mes persécuteurs 1». Si Dieu est pour nous, qui est-ce qui sera contre nous 2? Et comment Dieu nous procure-t-il son secours? Il ajoute: «Prenez vos n armes et votre bouclier: levez-vous pour me secourir». Admirable spectacle! Un Dieu armé pour ta défense! Quel est son bouclier? quelles sont ses armes? «Seigneur», dit encore ailleurs cet homme qui parle ici, « votre bonne volonté m'a couvert comme un bouclier 3». Si nous profitons bien de son aide, nous deviendrons nous-mêmes les armes avec lesquelles il nous protégera et frappera nos ennemis: car, si nos armes viennent de lui, flous lui servons nous-mêmes d'armure: tandis qu'il est armé de ceux qu'il a créés, ses créatures puisent en lui leurs moyens de défense. L'Apôtre nomme, quelque part, ces armes divines mises à notre portée: c'est le bouclier de la foi, le casque du salut, le glaive spirituel de la parole de Dieu 4. Le Seigneur nous a munis, comme vous l'avez entendu, d'armes admirables et indestructibles, invincibles et brillantes, vraiment spirituelles et invisibles, parce que nous ne voyons pas les ennemis que nous combattons. Si tu aperçois ton ennemi, il te faut des armes qu'on puisse voir: la toi en des choses que mous ne voyous pas, voilà notre force pour terrasser des adversaires invisibles.

Toutefois, mes très-chers, n'allez pas croire que, parmi nos armes, celles qui nous tiennent lieu de bouclier doivent toujours être considérées comme telles; que celles qui tiennent la place du casque, soient toujours un casque, et que la cuirasse soit toujours une cuirasse. Les armes matérielles restent les mêmes, quoiqu'on puisse donner une autre destination, au fer qui a servi à les fabriquer, et changer ainsi une épée en une hache; mais nous voyons l'Apôtre lui-même parler, tantôt de la cuirasse de la foi, et, tantôt, du bouclier de la foi. La foi peut donc être, eu même temps, et bouclier et cuirasse: bouclier, parce qu'elle reçoit et repousse les traits de l'ennemi; cuirasse, parce qu'elle les

1. Ps 35,1-2. - 2. Rm 8,31.- 3. Ps 5,13. - 4. Ep 6,16-17.

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empêche de transpercer ta poitrine. Voilà nos armes; mais celles de Dieu?

Nous lisons en quelque endroit: «Arrachez mon âme aux impies: retirez votre framée aux ennemis de votre bras 1». Ceux qu'il désigne d'abord sous le nom «d'impies», il les appelle dans le verset suivant: «Les ennemis de votre bras»; et ce qu'il entend en premier lieu, par «mon âme», il en parle ensuite sous le nom de «votre framée», c'est-à-dire, votre épée. Dans son langage, la framée de Dieu et son âme avaient donc le même sens. «Arrachez», dit-il, «mon âme aux «impies», c'est-à-dire, «retirez votre framée aux ennemis de votre bras». Car vous prenez mon âme en vos mains, et vous mettez -mes ennemis hors de combat. Mais qu'est-ce que notre âme, si brillante, si grande, si pénétrante, si polie, si flamboyante, si étincelante des feux de la sagesse, que vous la supposiez? Qu'est-ce que notre âme? De quoi est-elle capable, si Dieu lui-même ne la tient et ne s'en sert pour combattre? La meilleure framée, quand elle n'est pas aux mains d'un guerrier, gît inutile. Nous avons dit qu'à nos armes on ne peut donner un nom unique et constamment le même, parce que les unes et les autres sont susceptibles d'un autre emploi: ainsi en est-il des armes de Dieu, puisque, à l'entendre, l'âme du juste est la framée de Dieu, ou bien le trône de Dieu, ou bien encore le temple de la sagesse. Il fait donc de notre âme tout ce qu'il veut; puisqu'elle est entre ses mains, qu'il s'en serve selon son bon plaisir.

3. Qu'il se lève donc, selon l'expression de celui qui l'invoque, qu'il prenne ses armes, qu'il se lève pour nous secourir ! D'où peut-il se lever? La même voix le lui dit ailleurs «Levez-vous: pourquoi dormez-vous, Seigneur 2?» Quan,d on dit que Dieu dort, c'est que nous dormons: si l'on dit qu'il se lève, c'est que nous sortons nous-mêmes des bras du sommeil. Car le Seigneur dormait dans la barque, et parce que Jésus dormait, la barque était battue par les flots: il n'en eût pas été de même, si Jésus avait, veillé. Ta barque, c'est ton coeur: Jésus dans ta barque, c'est la foi dans ton coeur. Si ta foi occupe tes pensées, ton coeur est tranquille à l'abri des tempêtes; mais si tu as perdu le souvenir de ta foi, le Christ dort, prends garde de faire naufrage, emploie ta dernière ressource, éveille

1. Ps 21,21. - 2. Ps 43,23. -

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le, dis-lui: Seigneur, levez-vous, nous périssons, afin qu'il commande à la tempête et que le calme se fasse dans ton coeur 1. Toutes les tentations s'éloigneront, ou seront, du moins, impuissantes contre toi, quand le Christ, comme la foi te l'enseigne, veillera dans ton coeur: «Levez-vous»; qu'est-ce donc à dire? Manifestez-vous, apparaissez, faites sentir votre présence. «Levez-vous» donc «pour me secourir».

4. «Tirez votre épée et fermez tout passage à ceux qui me persécutent 2». Quels sont tes persécuteurs? Peut-être ce voisin que tu as offensé; celui dont tu as blessé les intérêts, ou celui qui veut s'emparer de ton bien, ou celui à l'encontre duquel tu prêches la vérité, ou encore, celui dont tu blâmes les vices, ou enfin, celui dont tu condamnes la mauvaise vie par ta bonne conduite. Tels sont déjà nos ennemis et nos persécuteurs: mais nous devons savoir qu'il nous faut combattre d'autres adversaires, des ennemis invisibles: l'Apôtre nous en avertit par ces paroles: «Ce n'est pas contre la chair et le sang», c'est-à-dire, contre des hommes, «que nous avons à combattre»; ce n'est point contre des ennemis que nous apercevons, mais contre des adversaires que nous ne voyons pas : «c'est contre les princes, les puissances et les maîtres du monde de ces ténèbres 3». Par maîtres du monde, il entendait le diable et ses anges; mais il était à craindre que ses paroles fussent mal comprises, et que le monde parût être gouverné par le diable et ses anges; et, comme on donne le nom de monde à l'ensemble des choses créées dont le tableau se déroule sous nos yeux, et aussi, à la multitude des pécheurs et de ceux qui aiment le monde, en un mot, à ceux dont il a été dit: «Et le monde ne l'a point connu 4»; et encore: «Le monde tout entier est sous «l'empire de l'esprit malin 5», l'Apôtre a clairement fait connaître de quel inonde il désignait les maîtres: «Du monde de ces ténèbres». Maîtres du monde, dis-je, maîtres de ces ténèbres. L'expression «de ces ténèbres» ne peut donc, non plus, nous laisser aucun doute sur le sens de ces paroles. De quelles ténèbres le diable et ses anges sont-ils les maîtres? De tous les infidèles, de tous les pécheurs, dont il a été dit: «La

1. Mt 8,24. - 2. Ps 35,3. - 3. Ep 6,12. - 4. Jn 1,10. - 5. 1Jn 5,19

lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres «ne l'ont point comprise». Enfin, comme beaucoup d'entre eux ont reçu le don de la foi, que leur dit le même apôtre? «Car, autrefois, vous étiez ténèbres; mais, maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur 1». Tu ne veux pas que le diable te gouverne? Passe à la lumière. Mais comment passeras-tu à la lumière, si Dieu ne tire son épée, s'il ne t'arrache des mains de tes ennemis et de tes persécuteurs? Et comment tire-t-il son épée? Nous avons déjà vu quelle est cette épée de Dieu: c'est l'âme du juste. Que les justes abondent, et le Seigneur tire son épée, et tout passage est fermé aux ennemis; car, en nous parlant de cette épée et de sa sortie du fourreau, l'Apôtre nous avertit de vivre avec justice, et il dit ensuite: «Afin que, n'ayant rien de mauvais à dire contre nous, notre adversaire soit saisi d'une crainte respectueuse 2». Tout passage lui est fermé parce qu'il ne peut rien trouver à dire contre les saints.

5. Qui est-ce qui peut former les justes? Ou plutôt, quel langage tiennent les adversaires qui nous persécutent? Que disent les ennemis invisibles dont nous avons parlé? Les saint sont-ils condamnés au silence? Les ennemis invisibles, qui s'acharnent à la perte de l'homme, suggèrent à son coeur cette pensée surtout, que Dieu ne nous aide pas: par là, ils nous portent à chercher du secours ailleurs, afin de nous trouver incapables de leur résister et de s'emparer de nous. Voilà ce qu'ils nous suggèrent. Nous devons nous mettre particulièrement en garde contre ces perfides conseils, dont il est question dans un autre psaume: «Une multitude d'ennemis s'élèvent contre moi; plusieurs disent à mon âme: Elle n'a point de salut à espérer de son Dieu 3». A l'encontre d'un tel langage, que lisons-nous ici? « Dites à mon âme: C'est moi qui suis ton salut». Lorsque vous aurez dit à mon âme: «Je suis ton salut», elle vivra dans la justice, et je n'appellerai à mon secours personne autre qui vous.

6. Que lisons-nous ensuite? «Que ceux qui cherchent mon âme soient couverts de confusion et de honte 4». Car ils ne la cherchent que pour la perdre. Puissent-ils la bien chercher; car, dans un autre psaume, il

1. Ep 5,8.- 2. Tt 2,8. - 3. Ps 3,2-3.- 4. Ps 35,4.

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adresse aux hommes ce reproche, qu'aucun d'eux ne cherche son âme: «Il ne me reste aucun moyen de fuir, et nul ne cherche mon âme 1». Quel est celui qui dit: «Nul ne cherche mon âme?» Ne serait-ce point peut-être celui de qui le Prophète a dit si longtemps d'avance: «Ils ont percé de clous mes mains et mes pieds; ils ont compté tous mes os; ils ont pris plaisir à me regarder et à me considérer; ils ont partagé mes vêtements et jeté le sort sur ma robe 2?» Tout cela se passait sous leurs yeux, et, parmi eux, personne qui cherchât son âme! Frères, invoquons-le donc, et prions-le de dire à notre âme: «Je suis ton salut», et d'ouvrir ses oreilles pour qu'elle l'entende dire: « Je suis ton salut». Il le dit, en effet, mais il s'en trouve qui restent sourds à sa voix; c'est pourquoi, lorsqu'ils sont plongés dans la tribulation, ils entendent plutôt la voix des ennemis qui les poursuivent. S'il leur manque quelque chose, si l'angoisse les oppresse, si les biens temporels leur font défaut, ils ont, d'ordinaire, recours aux démons, ils veulent consulter les suppôts des démons, et vont trouver les démons; et, ainsi, les ennemis invisibles qui poursuivaient leur âme, s'en sont approchés, y sont entrés, l'ont combattue, en sont devenus les maîtres, l'ont vaincue et ont dit : «Elle n'a point de salut à espérer de son Dieu». Elle est restée sourde à ces paroles: «Je suis ton salut. - Dites à mon âme: Je suis ton salut, afin que ceux qui la cherchent soient couverts de confusion et de honte». Oui, vous lui dites: «Je suis ton salut». J'écouterai le Seigneur qui me dit: « Je suis ton salut»; je ne chercherai mon salut que dans le Seigneur, mon Dieu. Le salut me vient du côté de la créature, mais c'est lui qui en est la source; et quand je porte mes regards vers les montagnes d'où j'attends mon secours, ce ne sont point les montagnes qui me l'envoient, mais le Seigneur, Créateur du ciel et de la terre 3. Dans les nécessités temporelles, Dieu se sert de l'homme pour venir à ton aide, mais lui-même est ton Sauveur. L'ange est, entre ses mains, un instrument pour te secourir, mais c'est toujours lui qui te sauve. Toutes choses dépendent de lui: pour cette vie terrestre, il vient en aide, aux uns d'ici, aux autres de là:

1. Ps 141,5. - 2. Ps 21,17-19. - 3. Ps 140,1-2.

la vie éternelle est un don qui ne vient que de lui. Lorsque tu éprouves les nécessités de I la vie, tu ne possèdes pas ce que tu cherches, mais tu as près de toi celui que tu cherches cherche donc celui qui ne peut jamais te manquer. Que ses dons te soient ravis: est-ce que tu perds, en même temps, celui qui t'en a comblé? Qu'on te rende ces preuves de sa munificence: oi sera ta fortune? Sera-t-elle dans les biens que tu auras récupérés? Ne sera-t-elle pas)Plutôt en celui qui te les avait ravis pour t'éprouver, et qui te les a rendus pour te consoler? Car il nous console, lorsqu'il nous accorde ces dons; mais il nous console, comme si nous étions des voyageurs: -comprenons donc bien ce que c'est que voyager. Cette vie tout entière, et tout ce qui sert à ton usage pendant sa durée, tu dois les considérer comme le voyageur considère une hôtellerie, et non comme le propriétaire considère sa maison; ne l'oublie pas: si tu as déjà fait du chemin, il t'en reste encore à faire; si tu as suspendu ta marche, c'est pour prendre de nouvelles forces, et non pour t'arrêter.

7. Il y en a qui disent: Dieu, qui est bon et magnifique, qui règne au plus haut des cieux, qui est invisible, éternel et incorruptible, nous donnera la vie éternelle; il nous communiquera cette incorruptibilité qu'il nous a promise en nous promettant la résurrection; mais, pour les choses du temps, pour les biens de cette vie terrestre, ils sont du domaine des démons; ils appartiennent aux puissances de ces ténèbres. Par de telles paroles, lorsqu'ils sont possédés de l'amour des choses du monde, ils en écartent Dieu, comme si elles ne le concernaient en rien; et, par d'abominables sacrifices, par je ne sais quels moyens ou quels perfides conseils venant des hommes, ils cherchent à se procurer des avantages temporels, tels que de l'argent, une lemme, des enfants et tout ce qui peut charmer le cours de la vie humaine, ou en retarder la marche trop rapide.

La divine Providence a pris soin de démontrer la fausseté de cette opinion: Dieu a voulu nous convaincre qu'il n'est pas étranger aux affaires du temps, et qu'il tient toutes choses sous sa dépendance; d'abord les biens éternels qu'il nous a promis pour l'avenir, et aussi les biens temporels qu'il donne à qui bon lui semble et quand il le juge opportun;

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car il sait à qui il doit les accorder, à qui il doit les refuser, de la même manière que le médecin sait distribuer ses remèdes, parce qu'il connaît mieux les besoins d'un malade que le malade lui-même. Pour nous donner cette conviction, le Seigneur a partagé les siècles entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Dans l'Ancien Testament, ses promesses ont pour objet les biens de cette vie; dans le Nouveau, elles ont trait au royaume des cieux. Dans l'un et dans l'autre, le culte de Dieu et les moeurs sont réglés par des prescriptions presque semblables, mais les promesses y paraissent différentes; la puissance prescriptive du supérieur, l'obligation d'obéir chez l'inférieur y sont les mêmes, mais la récompense ne l'est pas. Il a été dit, en effet, aux anciens: Vous entrerez en possession de la terre promise; vous y régnerez; vous y triompherez de vos ennemis; vous ne leur serez point soumis dans ce pays; vous y jouirez d'une complète abondance; vous y engendrerez des enfants 1. Ces avantages temporels furent promis; mais ils l'étaient en figure. Tu peux supposer que quelques-uns ont vu, pour eux, l'accomplissement de telles promesses; et, de fait, il en a été ainsi pour plusieurs. Une contrée a été donnée aux enfants d'Israël; ils reçurent des richesses en partage; des femmes stériles et presque parvenues à la vieillesse ont prié Dieu; elles ont mis en lui leur espérance; elles n'ont cherché d'autre secours que le sien même pour devenir mères, et elles ont mis au monde des enfants. Leur coeur n'est point resté sourd à cette parole du Seigneur: «Je suis ton salut». Si cette parole est vraie pour les choses de l'éternité, pourquoi ne le serait-elle pas dans les affaires du temps?

Dieu en a donné la preuve dans la cause du saint homme Job. Le diable n'est à même de ravir les biens de ce monde qu'autant qu'il en a reçu le pouvoir de la part du souverain Maître. Il a pu porter envie au saint; a-t-il été capable de lui nuire? Il a pu l'accuser; a-t-il été capable de le condamner? A-t-il pu lui ôter quoi que ce fût, même un ongle, même un cheveu, avant d'avoir dit à Dieu «Laissez aller votre main 2?» Qu'est-ce à dire:

«Laissez aller votre main? o Donnez-moi le pouvoir. 111e reçut; il tenta Job; Job fut tenté; néanmoins, le tenté demeura

1. Ex 23,25-31. - 2. Jb 1,11.

victorieux, et le tentateur fut vaincu; car Dieu, qui avait permis au diable de dépouiller de tout son serviteur, n'avait point abandonné celui-ci intérieurement, et il s'était fait de l'âme de Job un glaive pour vaincre l'esprit malin. Combien vaut cela? Je parle de l'homme. Vaincu au paradis 1; victorieux sur un fumier; au paradis, le diable s'est servi de la femme pour en triompher; sur le fumier, il a triomphé du diable et de la femme. «Tu «as», dit-il, «parlé comme une d'entre les femmes insensées. Si nous avons reçu des biens de la main de Dieu, pourquoi ne supporterions-nous pas les maux qu'elle nous envoie 2?» Comme il avait bien entendu ces paroles: «Je suis ton salut!»

8. «Que ceux qui cherchent mon âme soient couverts de confusion et de honte». Vois de quels hommes il s'agit: «Priez», dit-il, «pour vos ennemis 3». Mais il y a ici une prophétie ce qui se dit sous forme de désir, s'explique dans le sens d'une prophétie. Que ceci et que cela se fasse, ne veut rien dire autre chose que: ceci et cela se fera. Comprenez donc ainsi la prophétie: «Que ceux qui recherchent mon âme soient couverts de confusion et de honte». Quel sens donner à ces mots: «Qu'ils soient couverts de confusion et de honte?» Ils seront couverts de confusion et de honte. L'événement a justifié la prophétie. Plusieurs, en effet, ont été couverts d'une salutaire confusion; plusieurs, devenus honteux et animés d'une piété sincère, ont quitte les rangs des persécuteurs du Christ pour entrer en société avec ses membres. N'en cherchez pas la cause ailleurs que dans leur confusion et leur honte. Il a donc désiré leur bien.

Les vaincus sont de deux sortes; on est vaincu en deux manières; car la défaite doit aboutir à un retour vers le Christ, ou à une condamnation par le Christ. Il est fait ici une allusion à ces deux sortes de vaincus; mais cette allusion est obscure, et elle a besoin d'être expliquée. Il faut entendre, de ceux qui se convertissent, ces paroles: «Que ceux qui cherchent mon âme, soient couverts de confusion et de honte; qu'ils passent en arrière!» Qu'ils ne marchent pas les premiers, mais qu'ils viennent à la suite; qu'ils ne donnent pas de conseils, mais qu'ils es reçoivent. Car Pierre a voulu prendre le pas sur le Seigneur, quand le Seigneur parlait

1. Gn 3,6. - 2. Jb 2,10. -  3. Mt 5,44

par avance, de sa passion; il voulut, en quelque sorte, lui donner un conseil salutaire, comme si un malade pouvait en donner à son médecin. Et que dit-il au Seigneur, malgré les assurances que ce Lui-ci lui donnait de ses souffrances à venir? «Seigneur, n'y pensez pas»; prenez pitié de vous: «Il n'en sera pas ainsi». Il a voulu primer et laisser le second rang au-Seigneur. Que lui dit celui-ci? «Satan, retourne en arrière 1». Tu es un démon en marchant devant moi; en me suivant, tu seras mon disciple. A ceux dont nous parlons s'applique donc ceci: «Qu'ils passent en arrière et qu'ils soient confondus, ceux qui ont de mauvais desseins «contre moi». En effet, dès qu'ils auront commencé à ne plus occuper que le second rang, ils ne penseront plus au mal et ils désireront le bien.

9. Et les autres? Car tous ne sont pas vaincus pour convertir et pour croire. Plusieurs persistent dans leur entêtement; beaucoup conservent, dans leur coeur, la volonté de marcher les premiers; et, s'ils ne la manifestent pas au grand jour, ils la nourrissent pourtant en eux-mêmes, et la mettent en oeuvre, lorsque l'occasion s'en présente. Touchant de tels hommes, que lisons-nous ensuite? «Qu'ils deviennent comme de la poussière en face du vent 2». Il n'en est pas ainsi des impies, il n'en est pas ainsi: mais ils sont comme la poussière que le vent disperse de dessus la face de la terre 3. Le vent, c'est la tentation, la poussière, c'est le pécheur Quand vient la tentation, la poussière s'enlève; elle ne demeure point en place, elle ne peut résister. «Qu'ils deviennent comme de la poussière en face du vent, et que l'ange du Seigneur les tourmente, que leur chemin soit obscur et glissant». Chemin bien capable d'épouvanter ! Où est celui que n'effraie pas la seule vue des ténèbres? A quel homme n'inspire pas de crainte la seule-perspective d'un chemin gus-mut? Au milieu de la nuit, dans un sentier dangereux, comment diriger tes pas? Où placeras-tu sûrement ton pied? Ces deux maux, telles sont les grandes punitions des hommes. Les ténèbres, c'est l'ignorance; le chemin glissant, c'est la luxure. «Que leur chemin soit obscur et glissant, et que l'ange du Seigneur les poursuive». Lorsque, environné de ténèbres et engagé dans un sentier dan-

1. Mt 16,22-23. - 2. Ps 34,5. - 3. Ps 1,4.

gereux, un homme s'aperçoit qu'il va tomber s'il remue seulement le pied, il se résigne peut-être à attendre la lumière du jour; mais ici se trouve l'ange du Seigneur, qui les poursuit. Le prophète leur a bien moins désiré qu'il ne leur a prédit un pareil avenir. Animé de l'Esprit de Dieu, il décrit leur punition telle que Dieu la leur inflige par un jugeaient infaillible, plein de bonté, juste, saint, tranquille, sans être troublé par la co1ère ou par un zèle chagrin, ou par la volonté d'exercer une vengeance, mais par sa justice, qui doit punir les vices; néanmoins, c'est une prophétie.

10. D'où proviennent de si grands maux? Quelle en est là cause? Ecoute, la voici: «Parce que sans aucun sujet ils ont voulu me «faire périr dans le piége qu'ils m'ont tendu en secret». Il est ici question de notre Chef: les Juifs ont fait cela; ils ont caché leurs piéges scélérats. A qui ont-ils caché leurs -piéges? A celui qui voyait le coeur de ces traîtres. Il était au milieu d'eux comme un ignorant; on eût dit qu'il était leur dupe; et, pendant qu'ils croyaient le tromper, ils étaient eux-mêmes pris dans leur propre piège. Il vivait au milieu d'eux avec toutes les apparences d'un dupe, parce que nous devions nous-mêmes vivre au milieu de pareils hommes, et devenir infailliblement victimes de leur fourberie. Il connaissait, à n'en pas douter, celui qui devait le trahir, et cet instrument, le plus nécessaire à l'accomplissement de leur oeuvre, il le choisit entre ses douze apôtres, afin que même un si petit nombre de personnes ne fût point sans renfermer un méchant. Il voulait par là nous donner un exemple de patience, parce que nous devions vivre nous-mêmes parmi les méchants, soit que nous les connussions, soit que nous ne les connussions pas: il nous fallait les supporter: il est donc devenu un modèle de patience pour te soutenir au moment où tu commenceras à vivre au milieu des mécréants. L'école du Christ, composée de douze disciples, n'a pas pris fin avec eux; c'est pourquoi nous devons être d'autant plus fermes, lorsque nous voyons s'accomplir dans l'Eglise ce qui a été prédit sur le mélange des hommes mauvais. Dans cette école, on ne voyait pas encore la réalisation des promesses faites à la race d'Abraham: on n'y apercevait point non plus l'aire du sein de laquelle (339) devait sortir la multitude des grains destinés à remplir les celliers du père de famille. Pourquoi donc, lorsqu'on bat le blé, n'y laisse-t-on pas la paille, comme en un lieu convenable, jusqu'à ce qu'on vannera le grain pour la dernière fois, puisque ce que vous avez entendu doit s'accomplir à l'égard des méchants?

11. Mais enfin, qu'arrivera-t-il? «Sans sujet ils m'ont caché la scélératesse de leur piége». Qu'est-ce à dire: «Sans sujet?» Je ne leur ai fait aucun mal: je ne leur ai nui en rien: «Ils m'ont injustement couvert d'outrages». Qu'est-ce à dire: «Injustement?» Ils ont dit des faussetés; il n'ont apporté aucune preuve. «Qu'un piège dont ils ne se doutent pas vienne les surprendre». Magnifique récompense ! Rien de plus juste. Ils m'ont tendu un piége, et ils l'ont caché pour m'empêcher de l'apercevoir: qu'un piége leur soit tendu, et qu'ils ne le voient pas. Je connais leur piége: quel est celui qui leur sera tendu? Celui qu'ils ne voient pas. Voyons s'il ne le nomme pas? «Qu'un piége dont ils ne se doutent pas vienne les surprendre». Ils lui en ont tendu un; un autre leur est-il réservé? Non. Mais alors? Chacun d'eux est enlacé dans ses propres péchés comme dans l'inextricable infinité des petits cheveux: ils sont trompés par cela même dont ils se sont servis pour tromper les autres: les moyens qu'ils ont employés pour nuire à autrui, tourneront à leur propre détriment: car il est dit ensuite: «Qu'ils soient eux-mêmes pris dans le piège qu'ils ont tendu en secret». Comme si quelqu'un oubliait qu'il a préparé pour un autre un breuvage empoisonné, et qu'il le boive lui-même; ou, comme si on creusait une fosse pour y faire tomber ses ennemis pendant la nuit, et que, ne se souvenant plus de ce qu'on a fait, on y tombe le premier en se promenant en ces parages. Il en est ainsi, mes frères; croyez-moi donc sans hésiter, soyez-en sûrs; et, si une raison élevée et éclairée par la prudence vous le permet, voyez, examinez la vérité de mes paroles.

Les méchants ne nuisent à personne avant de se nuire à eux-mêmes; il en est de la méchanceté comme du feu. Tu veux mettre le feu quelque part? Il faut que l'instrument dont tu te sers, brûle le premier; s'il ne brûle pas, il est incapable de porter le feu ailleurs. C'est une torche: tu l'approches de l'objet que tu prétends incendier: n'est-il pas indispensable que cette torche, placée entre tes mains, soit enflammée la première, pour qu'elle puisse communiquer la flamme à d'autres objets? La méchanceté vient de toi; ne seras-tu pas le premier sur lequel elle exercera ses ravages? Si l'on blesse un arbre là où il s'enfonce enterre, est-ce qu'on n'endommage pas aussi ses racines? Je te le dis: il peut se faire que ta malice ne nuise à personne autre, mais il est impossible qu'elle ne te nuise pas. Car, en quoi le saint homme Job dont nous avons parlé tout à l'heure, a-t-il souffert du dommage? Il est dit dans un autre psaume: «Comme un rasoir affilé, vous avez fait votre tromperie». Que fait-on avec un rasoir affilé? On fait tomber des cheveux, chose inutile. A quoi donc réussis-tu vis-à-vis de celui à qui tu prétends causer du dommage? Si le méchant, auquel tu veux nuire, se met d'accord avec toi pour opérer le mai, c'est sa malice, et non la tienne, qui lui devient nuisible. Si, au contraire, la malice est étrangère à son âme, et que, dans la pureté de son coeur, il soit soumis à la voix qui lui dit: «Je suis moi-même ton salut», l'homme intérieur reste, chez lui, à l'abri de tes attaques extérieures; mais la malice, qui vient du fond de ton coeur, t'enlève d'abord tes propres forces Tu as le coeur gâté; c'est de là que ce ver rongeur est sorti, ne laissant dans ton âme rien de sain. «Qu'ils soient pris dans le piège qu'ils ont caché, et qu'ils tombent eux-mêmes dans le filet qu'ils ont tendu».

En entendant tout à l'heure ces paroles: «Qu'un piége, dont ils ne se doutent pas, vienne les surprendre», tu croyais peut-être autre chose. Dans ta pensée il s'agissait peut. être d'un malheur inévitable, résultat d'une cause cachée. Dans quel piège sont-ils donc tombés? dans celui de leur propre méchanceté, qu'ils ont dérobée à mes regards. N'est-ce pas ce qui est advenu aux Juifs? Dieu triomphé de leur malice, et leur malice les a vaincus. Il est ressuscité pour nous: ils ont trouvé la mort en eux-mêmes.

12. Voilà le sort réservé aux méchants qui veulent me nuire. Pour moi, que deviendrai-je? Quel sera mon partage? «Mon âme se réjouira dans le Seigneur», comme dans celui qui lui aura dit: «Je suis moi-même ton salut». Ne recherchant, à vrai dire, aucune richesse eu dehors de lui, ne désirant avoir en abondance

1. Ps 51,4.

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ni les plaisirs ni les biens de la terre, aimant Dieu comme son véritable Epoux, sans espoir de récompense, sans demander à recevoir de lui ce qui pourrait la charmer, mais en se proposant comme l'unique objet de son bonheur. Car, pourrai-je entrer en possession d'un objet meilleur que Dieu? Je suis aimé de Dieu: il t'aime aussi; voici ses propositions: demande ce que tu veux. Si l'empereur te disait: Demande ce que tu veux comme tu te hâterais de demander la dignité de tribun ou de comte ! Que de choses tu désirerais recevoir pour toi et pour les autres ! Dieu te dit: Demande ce que tu veux; que lui demanderas-tu donc? Elargis le cercle de tes pensées; donne toute leur ampleur à tes désirs de posséder; écarte autant que possible les limites de ton ambition; dilate tes convoitises. Ce n'est pas le premier venu qui te dit: Demande ce que tu veux; c'est le Dieu tout-puissant. Si tu es amateur de domaines, tu voudras posséder toute la terre tu désireras que tous ceux qui viennent au monde soient tes fermiers ou tes serviteurs et quand tu aurais toute la terre, que posséderais-tu? Si tu demandes la mer, tu ne pourras vivre dans son sein: les poissons qu'elle renferme seront au-dessus des atteintes de ton avarice. Mais, peut-être, posséderas-tu les îles? Elève-toi au-dessus de ce monde; et, quoique des ailes te manquent pour voler dans les airs, demandes-en l'immensité; porte ton ambition jusque dans le ciel; demande à devenir le maître du soleil, de la lune et des étoiles, car celui qui les a créés, t'a dit: Demande ce que tu veux. Et, cependant, tu ne trouveras rien de plus précieux ni de meilleur que celui qui -a fait toutes choses. Demande à posséder le Créateur lui-même, et en lui, et par lui tu posséderas tout ce qu'il a fait. Tout est digne d'être aimé, parce que tout est beau; mais, qu'y a-t-il de-plus beau que lui? En tout, il y a de la puissance; mais qu'y a-t-il de plus puissant que lui? Et il ne veut plus rien ardemment que se donner lui-même à toi. Si tu trouves mieux, demande-le; nais si tu demandes autre chose, tu lui fais injure, et tu te portes du dommage, parce que tu lui préfères ses créatures, quand il veut se donner lui-même à toi, et te donner, en sa personne, le Créateur de toutes choses.

Dans ces sentiments d'amour, une âme lui a dit: «Seigneur, est-ce que vous êtes mon partage 1?» C'est-à-dire: Vous êtes mon partage. Que ceux qui désirent des richesses choisissent ce qu'ils veulent; qu'ils prennent leur part dans les biens de ce monde: pour moi, vous êtes mon partage; je vous ai choisi. Et encore: «Vous êtes la part de mon héritage». Qu'il te possède, afin que tu le possèdes: tu seras son domaine; tu seras sa maison. Il possède une âme pour lui faire du bien; en le possédant on en tire avantage.

Est-ce que tu peux lui être de quelque utilité? «J'ai dit au Seigneur: Vous n'avez pas besoin de mes biens 2. Mon âme se réjouira dans le Seigneur; elle trouvera toute sa consolation dans son Sauveur». Le salut qui vient de Dieu, c'est le Christ, «car mes yeux ont vu votre salut 3».

13. «Tous mes os vous diront: Seigneur, qui est semblable à vous?» Où est l'homme capable d'interpréter ces paroles d'une manière digne d'elles? Selon moi, on doit se borner à les prononcer, et ne point essayer de les expliquer. Pourquoi y chercher tel ou tel sens? Qu'y a-t-il de pareil à ton Seigneur? Tu l'as devant toi. «Tous mes os vous diront: Seigneur, qui est semblable à vous? Les méchants m'ont entretenu de choses agréables; «mais, Seigneur, qu'elles sont différentes de votre loi 4!» Il s'est trouvé des persécuteurs qui ont dit: Adore Saturne, adore Mercure. Et on leur a répondu: Je n'adore pas les idoles: «Seigneur, qui est semblable à vous?» Les idoles omit des oreilles et n'entendent pas, des yeux et ne voient pas 5. «Seigneur, qui est semblable à vous?» Vous avez fait l'oeil pour voir et l'oreille pour entendre. Mais, a-t-on ajouté, je n'adore pas les idoles, parce qu'elles sont l'oeuvre d'un artisan. - Adore donc les arbres et les montagnes; ils ne sont sortis des mains d'aucun ouvrier. - «Seigneur, qui est semblable à vous?» On me montre des objets terrestres, et c'est vous qui avez créé la terre ! - On tourne peut-être alors ses regards vers les créatures placées au-dessus de nous, et l'on me dit: Adore la lune, adore ce soleil qui, du haut des cieux, pareil à un immense flambeau, donne au jour son éclat. Et moi, je réponds avec énergie: «Seigneur, qui est semblable à vous?» Vous avez fait la lune et les étoiles, le soleil a reçu de vous les feux

1. Ps 72,26,- 2. Ps 15,2-5. - 3. Lc 2,30. - 4. Ps 119,85. - 5. Ps 113,5-6.

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ardents qui le font présider au jour: vous êtes l'auteur des harmonies du ciel ! - Il y a d'autres créatures, elles sont invisibles et meilleures; peut-être me dira-t-on aussi : Honore les anges, adore-les: - et, ici encore, je m'écrierai: «Seigneur, qui est semblable à vous?» Les anges eux-mêmes sont sortis de vos mains. Que seraient-ils, s'ils ne vous voyaient pas? Rien. Il vaut bien mieux vous posséder avec eux, que tomber, loin de vous, dans les abîmes, pour les avoir adorés.

14. «Tous mes os vous diront: Seigneur, qui est semblable à vous?» O corps du Christ, ô sainte Eglise, que tous tes os disent : «Seigneur, qui est semblable à vous?» Et si tes chairs ont disparu sous l'effort de la persécution; que tes os, du moins, disent encore: «Seigneur, qui est semblable à vous?» Car il a été dit des justes: «Le Seigneur aime tous leurs os; aucun d'eux ne sera brisé 1». Comment énumérer tous les justes dont les os ont été brisés pendant la persécution? Enfin, le juste vit de la foi 2,et l'impie est justifié par le Christ 3; et quel est l'homme ainsi ramené à la justification, sinon celui qui croit et qui confesse sa foi, puisque l'on croit de coeur pour être justifié, et que l'on confesse de bouche pour être sauvé 4? Parce qu'il a cru de coeur et confessé de bouche, le larron a été justifié sur la croix, même après que ses crimes l'eurent conduit aux pieds du juge, et de là au dernier supplice; car le Seigneur n'aurait pas dit à un scélérat non encore justifié: «Tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis 5» Et, cependant, on a brisé ses os. En effet, lorsqu'on arriva pour enlever les corps à cause de la proximité du sabbat, on s'aperçut que le Seigneur était déjà mort, et on ne lui brisa pas les os 6 .Pour les autres, comme ils vivaient encore, on les leur brisa, afin de hâter leur mort par ce supplice, et ainsi de pouvoir les détacher plus vite de la croix et les ensevelir. Le larron, qui persévéra dans son impiété jusque sur la croix, fut-il le seul à qui on brisa les os, et n'en fut-il pas de même de celui qui crut de coeur pour être justifié et confessa de bouche pour être sauvé? Qu'est donc devenue cette promesse: «Le Seigneur garde tous leurs os; aucun d'eux  ne sera brisé?» Mais n'est-ce pas que, dans le corps du Seigneur, les os sont tous

1. Ps 33,21. - 2. Rm 1,17. - 3. Rm 4,5. - 4. Rm 10,10. - 5. Lc 23,43. - Jn 19,33.

les justes, chrétiens au coeur énergique, pleins de courage, intrépides en face des persécutions et des tentations, incapables de consentir au mal? Et comment résister à toutes les tentations? Comment demeurer ferme, quand les persécuteurs vous disent: Voilà le vrai Dieu; voilà ce qu'il est; qu'il vienne et soit ton sauveur; il y a ici je ne sais quel grand. prêtre, au sommet de la montagne; si tu es pauvre, c'est peut-être parce que ce Dieu ne vient pas à ton secours; prie-le, il t'aidera; tu ne fais point monter vers lui tes supplications: voilà, sans doute, pourquoi tu es malade; prie-le, et la santé te sera rendue; peut-être encore est-ce pour ce motif que tu n'as pas d'enfants: adresse-toi donc à lui, et tu en auras? Celui qui appartient au corps du Seigneur et ht partie de ses os, repousse tous ces conseils et répond: «Seigneur, qui est semblable à vous?» Si vous daignez m'accorder, mène dès cette vie, ce que je recherche, donnez-le. moi; mais si vous ne voulez pas me l'accorder, soyez ma vie, car je ne cesse point de vous chercher. En sortant de ce monde, oserai-je paraître devant vous, la tête haute, si j'ai adoré un autre que vous, si je vous ai offensé? Grande est sa miséricorde ! Il nous engage à bien vivre et il nous cache le dernier de nos jours, celui de notre mort, pour que nous ne puissions rien nous promettre de l'avenir. Je fais mal aujourd'hui et je vis; demain je cesse d'agir ainsi. Et si demain tu n'es plus? Sois donc du nombre des os du Christ, et dis-lui: «Seigneur, qui est semblable à vous? Tous mes os diront: Seigneur, qui est semblable à vous? C'est vous qui tirez le pauvre des mains de ceux qui sont plus forts que lui, et celui qui est abandonné et dans l'indigence, de celles de ses ennemis qui le dépouillent».

15. Ce psaume a été lu aujourd'hui jusqu'ici, et nous l'avons expliqué de même: mais afin que ce que nous avons dit ne devienne point pour vous un sujet d'ennui, nous n'y ajouterons rien. Arrêtons-nous donc à ces paroles: «C'est vous qui tirez le pauvre des mains de ceux qui sont plus forts que lui». Qui est -libérateur, si ce n'est celui dont le bras est robuste? Cet autre David délivrera le pausa des mains de ceux qui sont plus forts que lui. Le démon avait été le plus fort; il s'était rendu maître de toi: il t'avait vaincu, parce

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que tu avais consenti à ses suggestions; mais qu'a fait celui dont le bras est puissant? «Personne n'entre dans la maison d'un homme robuste pour en enlever les meubles, avant d'avoir réduit cet homme à l'impuissance 1». Par sa puissance auguste et digne d'admiration, il à réduit le diable à l'impuissance il a tiré son épée pour lui fermer tout passage, poser délivrer le pauvre et l'indigent dénués de tout secours 2. Quel est, en effet, ton protecteur, sinon le Seigneur, à qui tu dis:

1. Mt 12,29. - 2. Ps 70,12.

«Seigneur, vous êtes mon aide et mon Rédempteur?» Si tu veux présumer de tes forces, ta présomption sera pour toi une cause de chute: si tu t'appuies sur les forces d'un autre, sache qu'il voudra, non te venir en aide, mais devenir ton maître. Recherche donc, comme ton soutien, celui-là seul qui a racheté les hommes, qui les a rendus libres, qui a donné son sang pour en faire un peuple d'acquisition et conférer à ses serviteurs le titre de frères.

1. Ps 18,15.



Augustin, les Psaumes 35