Augustin, les Psaumes 11915

QUINZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII - LES EFFETS DE LA GRÂCE

11915 Ps 119,49-71


Le Prophète supplie Dieu de se souvenir de sa promesse, non que le Seigneur oublie, mais parce que lui-même désire ardemment ce qu'il demande Cette parole d'espérance l'a consolé dans les épreuves de l'humiliation, l'en a fait triompher en lui donnant la vie du bien, en le soutenant contre l'apostasie dans la persécution. Celui qui est ainsi consolé, c'est l'homme tombé du paradis et relevé par la promesse du Rédempteur. Depuis le commencement il a pu se soutenir par la méditation des Jugements de Dieu, par sa miséricorde; et dans la nuit du péché, il s'est souvenu de Dieu, ce qui l'a fortifié contre les assauts du démon.

1. Considérons, avec le secours de Dieu, et expliquons ces versets de notre psaume: «Souvenez-vous de votre parole à votre serviteur, et qui m'a donné l'espérance. Cette espérance m'a consolé dans mon humilité, car votre parole m'a donné la vie 1». Est-ce que l'oubli est aussi citez Dieu, comme chez les hommes? Pourquoi donc le Prophète lui dit-il: «Souvenez-vous?» Il est vrai qu'en d'autres endroits de l'Ecriture on retrouve cette même expression: « Pourquoi m'avez-vous oublié 2?» et: « Pourquoi oublier notre misère 3?» et Dieu lui-même nous dit par son

1. Ps 118,49-50. - 2. Ps 41,10.- 3. Ps 43,24.


Prophète: «J'oublierai toutes ses iniquités 1» et beaucoup d'autres exemples semblables. Mais ces paroles ne doivent point s'entendre de Dieu comme on les entend des hommes. De itême en effet qu'on dit de Dieu qu'il se repent, quand contrairement à l'espérance des hommes, il change le cours des choses, sans néanmoins changer son dessein, puisque le dessein du Seigneur demeure éternellement 2 ; ainsi on dit qu'il oublie, quand il semble différer son secours, ou l'effet de sa promesse, ou ne peut châtier les pécheurs comme ils le méritent, ou toute autre chose semblable;

1. Ez 18,22, - 2. Ps 32,11.

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comme si ce que l'on espère, ou que l'on redoute, avait échappé à sa mémoire parce qu'on n'en voit pas l'accomplissement. C'est une manière morale de se mettre au niveau des hommes, quoique Dieu agisse de la sorte, avec une disposition fixe, sans aucun défaut de mémoire, sans obscurcissement d'intelligence, sans changement de volonté, Dès lors, dire au Seigneur: « Souvenez-vous», c'est montrer, c'est stimuler un désir dans celui qui réclame l'effet de la promesse, mais non rappeler au Seigneur ce qu'il aurait oublié. «Souvenez-vous», dit le Prophète, «de votre parole à votre serviteur»; c'est-à-dire, accomplissez ce que vous avez promis à votre serviteur; c'est-à-dire encore, cette parole qui contenait une promesse et qui m'a fait espérer.

2. «C'est elle qui m'a consolé dans mon humilité 1»: elle, c'est-à-dire cette espérance qui a été donnée aux humbles, comme le dit l'Ecriture: « Dieu résiste aux superbes, et donne la grâce aux humbles 2». De là cette maxime sortie de la bouche du Sauveur lui-même: « Quiconque s'élève sera abaissé; quiconque s'abaisse sera élevé 3». Et par cet abaissement nous n'entendons pas cette humilité de quiconque avoue ses péchés et ne s'arroge point la justice; mais celle d'un homme qui est tombé dans la tribulation ou dans quelque mépris dont Dieu a voulu châtier son orgueil, ou exercer sa patience et la mettre à l'épreuve Aussi le Psalmiste nous dit-il un peu plus loin: «Avant d'être humilié, j'ai commis-le péché». Et encore au livre de la Sagesse: « Demeure en paix dans la douleur; et au temps de l'humiliation, garde la patience; car l'or et l'argent s'épurent par la flamme, mais les hommes que Dieu accepte passent par le feu 3». En disant que Dieu accepte ces hommes, il nous donne cette espérance qui console dans l'humilité. Et quand le Seigneur Jésus prédisait aux disciples que ces humiliations leur viendraient de la part des persécuteurs, il ne les abandonna point sans espérance, mais il leur donna celle-ci qui doit les consoler: «Vous posséderez vos âmes par votre patience». Quant à votre corps que vos ennemis peuvent tuer,et en quelque sorte anéantir, un cheveu de votre tête ne périra point 6», nous

1. Ps 118,10.- 2. Jc 4,6 1P 5,5.- 3. Lc 14,11 Lc 18,14, - 4. Si 2,4-5. - 5. Lc 21,19. - 6. Lc 21,18.

dit-il. Telle est l'espérance donnée au corps du Christ, ou à l'Eglise, pour la consoler dans son humilité. C'est à propos de cette espérance que l'apôtre saint Paul nous dit: «Si nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous l'attendons par la patience 1». Mais cette espérance regarde les biens éternels. Or, il y a une autre espérance très-propre à nous consoler dans l'abaissement de la tribulation, et qui a été donnée aux saints dans la parole de Dieu qui leur promet la grâce, de peur qu'ils ne viennent à succomber. C'est de cette espérance que l'Apôtre nous dit: « Dieu est fidèle, et ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces; mais il vous fera profiter de la tentation, afin que vous puissiez persévérer 2». Telle est encore l'espérance que nous donnait la bouche du Sauveur: «Cette nuit Satan a demandé à vous cribler comme le froment, et j'ai prié pour toi, Pierre, afin que la foi ne t'abandonne point 3». C'est encore cette espérance qu'il nous donne dans la prière qu'il nous a enseignée. et où il nous fait dire: « Ne nous induisez pas en tentation 4». C'était en quelque-sorte promettre aux siens qui seraient en danger ce qu'il veut qu'ils lui demandent. C'est donc de cette espérance qu'il nous est mieux d'entendre cette parole du psaume: «C'est elle qui m'a consolé dans mon humilité, car votre parole m'a donné la vie 5». D'autres avec plus de fidélité ont traduit, non point Verbum ou «parole», mais Eloquium ou langage. Il y a en effet dans le grec logion ou Eloquium, tandis que c'est logos qui signifie Verbum.

3. Nous lisons ensuite: «Les superbes me provoquaient sans cesse par l'iniquité; mais je n'ai point abandonné votre loi 6». Par ces superbes, il veut nous faire entendre les persécuteurs des saints; c'est pourquoi il ajoute: «Mais je n'ai point abandonné votre loi», car c'était à une telle apostasie que tendait la persécution. C'est avec raison qu'il les accuse d'avoir sans cesse commis l'iniquité; car, non-seulement ils étaient impies, mais ils poussaient les saints à l'impiété. Or, dans cette humilité, ou plutôt dans cette affliction, se trouve la consolation de l'espérance, qui nous a été donnée dans la parole de Dieu, promettant des secours aux martyrs, de peur que

1. Rm 8,25. - 2. 1Co 10,13. - 3. Lc 22,31-32. - 4. Mt 6,13. - 5. Ps 118,50 - 6. Ps 118,51.

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leur foi ne vienne à défaillir: on trouve aussi la présence de l'Esprit-Saint qui répare les forces de ceux qui souffrent, afin qu'ils puissent échapper au filet des chasseurs, et dire «Sans la présence du Seigneur parmi nous, ils nous auraient dévorés tout vivants 1».

4. Quand il dit: « Cette espérance m'a consolé dans mon humiliation», n'entendrait-il point cette humiliation de celle où tomba l'homme, quand il fut condamné à la mort à cause du péché si malencontreusement commis dans le paradis de délices 2? C'est en effet par cette humiliation que l'homme est devenu semblable à la vanité, elle qui a fait passer ses jours comme l'ombre 3; c'est elle qui a fait de nous tous des enfants de colère, et pour toujours, si ceux qui avant la création du monde 4 ont été prédestinés pour le salut éternel, ne sont réconciliés avec Dieu par le Médiateur; et c'est en ce Médiateur que les anciens justes mettaient leur espérance, quand l'esprit de prophétie le leur montrait venant en sa chair. Alors la promesse faite à nos pères au sujet d'un médiateur, pourrait être cette promesse dont il est ici question si nous leur prêtons ce langage au sujet de la même promesse: «Souvenez-vous de votre parole à votre serviteur, et dans laquelle vous m'avez donné l'espérance». C'est elle qui m'a consolé dans mon humiliation, c'est-à-dire dans ma mortalité: «Car cette parole m'a donné une vie nouvelle»: en sorte que, destiné à la mort, j'ai néanmoins conçu l'espoir de vivre. «Quant aux superbes, ils agissaient toujours d'une manière criminelle» : car l'assujettissement à la mort n'a pas dompté leur orgueil. « Mais je n'ai point apostasié votre loi 5», comme les superbes voulaient m'y contraindre.

5. «Je me suis souvenu, Seigneur, de vos jugements, depuis le commencement, et j'ai été consolé»: ou, comme on lit en certains exemplaires, exhortatus sum, j'y ai trouvé de l'encouragement. Le verbe grec parekleten peut avoir ces deux significations, Depuis le commencement donc, à l'origine de la race humaine, «je me suis souvenu de vos jugements au sujet des vases de colère destinés a la perdition 7»; et j'ai été consolé, parce que là aussi j'ai compris les trésors de votre gloire pour les vases de votre miséricorde.

1. Ps 123,2-3. - 2. Gn 3,23.- 3. Ps 143,4.- 4. Ep 1,4-5. - 5. Ps 118,49-51. - 6. Ps 118,52. - 7. Rm 9,22-23.

6. «La défaillance m'a saisi, quand j'ai vu les pécheurs abandonner votre loi. Vos oracles étaient mes cantiques dans le sein de mon exil 1»: ou, comme d'autres ont traduit, «dans le lieu où j'étais étranger».Telle est l'humiliation de l'homme banni du paradis, de la Jérusalem d'en haut, exilé dans ce lieu où il est mortel; c'est de Jérusalem que descendait à Jéricho cet homme qui tomba entre les mains des voleurs; mais à cause de la miséricorde que montra pour lui le samaritain 2,il chanta dans le lieu de son exil les oracles de Dieu. Et toutefois, la vue des pécheurs qui abandonnaient la loi divine, redoublait son ennui, car il lui fallait converser avec eux, au moins pour un temps, jusqu'à ce que le vent ait passé dans l'aire. On peut aussi accorder ces deux versets avec chaque partie du verset précédent; en sorte que ces paroles: « Je me suis souvenu, ô Dieu, de vos jugements depuis le commencement», peuvent se rapporter à celles-ci: «La défaillance m'a saisi à la vue des pécheurs qui abandonnent votre loi»; et ce mot: «Je me suis consolé», à ces paroles: « Dans le lieu de mon exil, je chantais vos oracles».

7. « Pendant la nuit, je me suis souvenu de votre nom, ô mon Dieu, et j'ai gardé votre loi 3». Cette nuit est l'humiliation avec l'ennui de la mortalité. Il y a nuit pour ces méchants qui commettent sans cesse l'iniquité, nuit encore dans cette défaillance à la vue des pécheurs qui abandonnent la loi dc Dieu; nuit enfin dans ce lieu d'exil, jusqu'à ce que vienne le Seigneur pour éclairer ce qu'il y a de plus caché dans les ténèbres, manifester les pensées des coeurs, et alors chacun recevra de Dieu la louange 4. Dans cette nuit donc l'homme doit se souvenir du nom du Seigneur, afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur

aussi est-il écrit: «Ce n'est point à nous, Seigneur, ce n'est point à nous, mais à votre nom qu'il faut donner la gloire 6». Car ce n'est point en cherchant sa propre gloire, mais celle de Dieu, comme ce n'est point par sa propre justice, mais par celle de Dieu, celle qui est un don de Dieu, que chacun garde la loi du Seigneur, ainsi que l'a dit le Prophète: « Je me suis souvenu de votre nom, Seigneur,

1. Ps 118,53-54. - 2. Lc 10,30 Lc 10,37. - 3. Ps 118,55.- 4. 1Co 4,5.- 5. 1Co 1,31.- 6. Ps 113,1.

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et j'ai gardé votre loi». Il ne l'eût point gardée, s'il s'était appuyé sur sa propre vertu, oubliant le nom du Seigneur. « Car c'est dans le nom du Seigneur qu'est notre secours 1».

8. Aussi le Prophète nous dit-il ensuite : « Elle m'est arrivée, parce que j'ai recherché vos justices 2»; oui, vos justices par lesquelles vous justifiez l'impie, et non les miennes, qui, loin de me rendre juste, me donnent de l'orgueil. Car le Prophète n'était point de ceux qui ignorent la justice venant de Dieu, et qui en voulant établir la leur, n'aboutissent qu'à se soustraire à celle de Dieu 3. Ces justices, dès lors, qui rendent justes gratuitement et par la grâce ceux qui ne peuvent le devenir par eux-mêmes, ont été nommées plus à propos justifications: car le grec ne porte point dikaiosunas, ou justices, mais dikaiomata, ou justifications. Mais que veut dire le Prophète dans ces paroles: «Elle m'est arrivée?» Qui, elle? la loi peut-être? Car il avait dit: « J'ai gardé votre loi»; et c'est à cette phrase qu'il joint cette autre : « Elle a été pour moi», comme s'il disait : Cette loi a été la mienne. Mais ne nous arrêtons point à montrer comment la loi de Dieu est devenue la sienne, car le mot grec, traduit en latin, nous indique suffisamment qu'il ne s'agit point de loi dans cette parole: « elle est devenue pour moi». Car le mot loi est masculin dans cette langue, et c'est à propos d'un nom féminin qu'il est dit: celle-ci est devenue pour moi. Il faut donc chercher plus haut ce qui lui a été fait, puis comment «celle-ci», quelle qu'elle soit, est devenue pour lui. «Celle-ci», dit-il, «est devenue pour moi»: or, ce n'est point cette loi, sens qui est rejeté par le grec. C'est peut-être cette nuit, car dans le verset supérieur il est dit: « Toute la nuit je me suis souvenu de votre nom, ô mon Dieu, et j'ai gardé votre loi»; puis il continue: «Celle-ci est devenue pour moi»; or, si ce n'est pas la loi, c'est la nuit qui est devenue pour lui. Mais que signifie alors, cette nuit m'est arrivée parce que j'ai recherché vos justifications? C'est plutôt la lumière qui a été faite pour lui, et non la nuit, parce qu'il a recherché les justifications de Dieu. On peut aussi entendre, elle est devenue pour moi, dans le sens de elle a été faite pour moi, elle m'est devenue utile, Car si l'on entend par nuit, comme on le peut très bien, l'humiliation

1. Ps 123,8. - 2. Ps 118,56. - 3. Rm 10,3.

de cette vie mortelle, où les coeurs se dérobent mutuellement, et où ces ténèbres produisent des tentations graves et sans nombre, en sorte que pendant cette nuit passent et repassent les bêtes des forêts, les lionceaux rugissants qui demandent à Dieu leur nourriture; ce même lion rugissant et cherchant sa nourriture, et dont le Seigneur a dit ce que nous avons déjà rappelé: «Cette nuit Satan a demandé à vous cribler comme le froment 2»; c'est-à-dire, pendant cette nuit où passent et repassent les bêtes des forêts, le lion gigantesque a demandé à Dieu sa nourriture: assurément, cette humiliation dans ce lieu d'exil, que l'on peut bien appeler nuit, devient utile à ceux qui y sont à l'épreuve, et qui apprennent à ne point s'élever par l'orgueil; crime pour lequel nous sommes plongés dans cette nuit. «Le commencement de l'orgueil chez l'homme, c'est de se séparer de Dieu 3». Mais comme il est justifié gratuitement, et afin de s'avancer dans l'humilité, dans toutes ces tentations auxquelles il est exposé pendant cette nuit, maintenant qu'il a reçu l'intelligence, qu'il répète ce verset du psaume que nous lirons bientôt: « Il m'est bon que vous m'ayez humilié, afin que j'apprenne vos oeuvres de justice 4». Dire en effet: «Il m'est bon que vous m'ayez humilié», qu'est-ce autre chose que dire de cette humilité, qui est appelée nuit: « Elle a été pour moi», c'est-à-dire, elle m'a été avantageuse? Mais pourquoi? parce que j'ai recherché votre justice, et non la mienne.

9. Nous pouvons encore donner un autre sens à ces mots: «Celle-ci est devenue pour moi». Ce ne serait alors ni la loi ni la nuit que désignerait le pronom «celle-ci», mais il aurait le sens que nous avons donné à cette expression d'un autre psaume: Unam petii, sans dire ce que signifie «une», ou quelle est cette «une», dont il dit, « je la demanderai encore». Le genre féminin est ici mis pour le neutre; car il est contre notre usage de dire: Unam petii, j'ai demandé une seule, saris marquer à quoi se rappode cette « seule». On dirait mieux: Unum petii. J'ai demandé cela « seulement», d'habiter dans la maison du Seigneur. Dans ces espèces d'adjectifs neutres latins, on n'exige pas le nom neutre qui demeure sous-entendu, comme un bien, un don, ou quelque chose de semblable; mais

1. Ps 103,21.- 2. 1P 5,8.- 3. Si 10,14.- 4. Ps 118,71.

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cette expression neutre peut désigner soit un nom masculin, soit un nom féminin, soit même ce que l'on veut désigner sans distinction de genre, et dans le langage ordinaire. Le Prophète a donc pu dire en cet endroit: « Celle-ci m'est arrivée», comme il aurait dit: «Ceci m'est arrivé». Mais si nous demandons quoi, voyons ce qui a été dit auparavant: « Je me suis souvenu pendant la nuit de votre nom, ô mon Dieu, et j'ai recherché votre loi». Ceci m'est arrivé, c'est-à-dire de garder votre loi, non par moi-même, mais cela m'est arrivé par vous, parce que j'ai recherché vos justices, et non les miennes. «C'est Dieu, en effet», dit l'Apôtre, «qui opère en nous le vouloir et le faire selon sa bonne volonté 1». Et le Seigneur dit encore par son Prophète: «Et je ferai que vous marchiez dans mes justifications, et que vous observiez et pratiquiez mes jugements 2». Quand donc le Seigneur nous dit: « Je ferai en sorte que vous observiez et que vous pratiquiez mes jugements», le Prophète a raison de dire: Ceci m'est arrivé; et à celui qui voudrait savoir ce qui lui est arrivé, il peut répondre ce qu'il a dit plus haut: « De garder la loi de Dieu». Mais ce sermon est déjà bien long, il est mieux, dès lors, de réserver la suite à un autre discours, avec la grâce de Dieu.

1. Ph 2,13. - 2. Ez 36,27.



SEIZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII - L'UNION A DIEU.

11916 Ps 119,57-63


Tout homme qui garde la loi du Seigneur, a le Seigneur en partage. Mais comme il ne saurait garder cette loi sans le secours de l'Esprit-Saint, il doit l'invoquer. Fortifié par ce secours, il se détournera de l'iniquité, ne craindra ni les embûches du démon, ni les scandales des hommes, et confessera plus hautement le Seigneur à mesure que s'élèvera la persécution. Alors le Christ s'unit à son serviteur, et par une faveur nouvelle, il en fait un serviteur par amour, et non par crainte.

1. Dans notre long psaume nous entreprenons d'expliquer, avec le secours de Dieu, les versets suivants: «Le Seigneur est ma portion», ou, comme d'autres ont traduit: « Seigneur, vous êtes mon héritage 1». Ces deux expressions signifient-elles que tout homme a sa part en Dieu, dès lors qu'il s'attache à lui, selon cette parole: «Il m'est bon de m'attacher au Seigneur 2?» Ce n'est point en effet parce qu'un homme existe qu'il est dieu, mais il le devient par sa participation à celui qui est seul et vrai Dieu. Ou bien le Seigneur est-il notre portion à la manière dont les hommes se choisissent ici-bas, ou obtiennent par le sort, celui-ci telle portion, celui-là telle autre qui le fait vivre; et qu'en un certain sens le partage des justes serait le Seigneur qui leur donne la vie éternelle? Ces deux sens n'ont rien d'absurde. Mais écoutons ce qui suit: «Je l'ai dit, c'est de garder

1. Ps 118,57. - 2. Ps 72,28.

votre loi». Qu'est-ce à dire: «Ma portion, Seigneur, je l'ai dit, c'est de garder votre loi», sinon que le Seigneur sera notre héritage à mesure que nous garderons sa loi?

2. Mais comment la peut-il garder sans le don et le secours de l'Esprit qui vivifie, de peur que la lettre ne tue 1, et que le péché à l'occasion du précepte ne soulève dans l'homme toute concupiscence 2? Il faut donc invoquer cet Esprit, et c'est alors que la foi obtient de lui ce qu'ordonne la loi: quiconque en effet invoquera le nom du Seigneur sera sauvé 3. Aussi voyez ce qu'ajoute le Prophète: « J'ai imploré votre présence du fond de mon coeur». Et pour montrer comment il a prié: «Ayez pitié de moi», dit-il, «selon votre parole». Et comme il a été exaucé et secouru par celui qu'il avait invoqué: «J'ai réfléchi», nous dit-il, «à mes voies, et j'ai ramené mes pieds

1. 2Co 3,6. - 2. Rm 7,8. - 3. Jl 2,32 Rm 10,13.

dans le sentier de vos préceptes 1». Je les ai ramenés de mes voies qui m'ont déplu, et je les ai fait marcher dans vos préceptes qui seront leur sentier. Dans plusieurs exemplaires, on ne lit point: «Parce que j'ai réfléchi», comme dans quelques-uns, mais simplement: «j'ai réfléchi». Cette phrase encore: «J'ai détourné mes pieds», se lit ailleurs: «Parce que j'ai réfléchi et que vous avez détourné mes pieds», pour attribuer plutôt à la grâce de Dieu une telle conversion, selon cette parole de l'Apôtre: «C'est Dieu qui agit en vous 2»; c'est à lui que l'on dit: «Détournez mes yeux afin qu'ils ne voient point la vanité». Si donc il détourne les yeux afin qu'ils ne voient point la vanité, pourquoi ne détournerait-il pas les pieds de peur qu'ils ne s'égarent? C'est encore pour cela qu'il est écrit: «Mes yeux sont toujours fixés sur le Seigneur, parce qu'il détournera tues pieds des embûches 3». Mais qu'on lise: vous avez détourné mes pieds, ou bien j'ai détourné mes pieds, nous ne pouvons le faire que par celui dont le Prophète a imploré la présence de tout son coeur, et à qui il a dit: « Ayez pitié de moi, selon votre parole», c'est-à-dire selon votre promesse. Car ce sont les fils de la promesse qui composent la postérité d'Abraham 4.

3. Enfin, après avoir obtenu ce bienfait de la grâce: «Je suis prêt», dit le Prophète, « et rien ne une trouble dans l'accomplissement de vos préceptes 5». Quelques-uns ont traduit: « Pour garder vos préceptes»; d'autres, «afin de garder»; d'autres encore, «à garder», d'après le grec tou phulaxastai.

4. Pour montrer combien il est prêt à garder les préceptes du Seigneur, le Prophète ajoute: «Les filets des pécheurs m'ont environné, mais je n'ai point oublié votre loi 6». Ces filets des pécheurs sont les obstacles des ennemis, soit spirituels, comme le diable et ses anges, soit charnels, comme les incrédules, en qui le démon agit comme il lui plaît 7. Car ces funes peccatorum du latin, ne signifient point filets des péchés, mais bien filets des pécheurs, comme on le voit par le grec 8. Quand par leurs menaces ils effraient les justes, et les détournent de souffrir pour la loi de Dieu, ils les environnent de leurs filets, et les retiennent, pour ainsi dire, de leurs cordes. Ils

1. Ps 118,58-59. - 2. Ph 9,13 - 3. Ps 24,15. - 4. Rm 9,8-9.- 5. Ps 118,60. - 6. Ps 118,61,- 7. Ep 2,2. - 8. Amartolon .

traînent en effet leurs péchés comme une longue chaîne 1, dont ils s'efforcent de garrotter les saints, et quelquefois Dieu le permet. Mais enlacer le corps ce n'est point enlacer l'âme, puisque notre interlocuteur n'a point oublié la loi de Dieu, et en effet la parole de Dieu n'est point enchaînée 2.

5. «Au milieu de la nuit», dit le Prophète, «je me levais pour vous rendre témoignage, à cause des jugements de votre justice 3». Car c'est par un jugement de la justice divine que les liens des pécheurs environnent le juste. C'est ce qui a fait dire à l'apôtre saint Pierre que voici le temps auquel «Dieu doit commencer son jugement par sa propre maison. Et s'il commence par nous», dit-il, «quelle sera la fin de ceux qui ne croient point à l'Evangile? Et si le juste à peine est sauvé, que deviendront le pécheur et l'impie 4?» Or, il parlait ainsi des persécutions qu'endurait l'Eglise, quand les filets des pécheurs l'environnaient de toutes parts. Dès lors, par milieu de la nuit, on doit entendre, je crois, le plus terrible moment de la persécution. «Je me levais», dit l'interlocuteur, parce que la persécution l'affligeait, sans l'abattre; elle l'exerçait au contraire et le faisait lever: c'est-à-dire que la tribulation lui donnait des forces pour confesser le Seigneur avec plus de courage.

6. Mais commue tout cela ne s'opère qu'au moyen de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, voilà que tians cette prophétie le Sauveur va joindre sa voix à la voix de son corps mystique. Car c'est bien le chef, je crois, que nous entendons dans ces paroles: «Je u suis associé à tous ceux qui vous craignent et u qui gardent vos préceptes 5». Ainsi qu'il est marqué dans l'Epître aux Hébreux: «Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés viennent tous d'un seul. C'est pourquoi il ne rougit point de les appeler ses frères». Et un peu après: « Comme donc les enfants sont revêtus de chair et de sang, lui-même aussi en a été revêtus 6». Mais qu'est-ce dire autre chose sinon qu'il leur est associé? Nous ne pourrions en effet participer à sa divinité, si lui-même ne participait à notre nature mortelle. Dans un autre endroit de l'Evangile cette participation à la divinité est ainsi énoncée: « Il a donné le pouvoir de devenir

1 Is 5,18.- 2. 2Tm 2,9.- 3. Ps 118,62.- 4. 1P 4,17-18. - 5. Ps 118,63. - 6. He 2,11 He 2,14.

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enfants de Dieu à ceux qui croient en son nom, qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu 1». Et comme, pour nous accorder cette faveur, il a pris part à notre mortalité, l'Evangéliste continue: « Et le Verbe s'est fait chair, et a demeuré parmi nous». Cette participation nous donne la grâce de craindre Dieu d'une crainte chaste, et d'accomplir ses commandements. C'est donc Jésus-Christ qui parle dans cette prophétie: mais certaines paroles appartiennent à ses membres dans l'unité du corps, qui ne forme qu'un seul homme répandu dans l'univers entier, et qui s'accroît avec le cours des

1. Jn 1,12-13.

siècles; d'autres paroles appartiennent au chef lui-même. C'est ce qu'il nous marque dans ces mots: «Je suis associé à tous ceux qui vous craignent, et qui gardent vos préceptes». Et comme il a pris part avec ses frères, Dieu avec les hommes, l'immortel avec les mortels, voilà que le grain est tombé en terre, afin d'y mourir et de produire ainsi beaucoup de fruits; et c'est de ces fruits qu'il nous dit aussitôt: «La terre est pleine de la miséricorde du Seigneur». Et comment, sinon parce que l'impie est devenu juste? Et afin d'avancer rapidement dans la science de la grâce, le Prophète ajoute: «Enseignez-moi vos ordonnances».



DIX-SEPTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII - LES BIENS DE LA GRÂCE

11917 Ps 119,65-78


Le Prophète remercie le Seigneur de lui avoir donné l'amour qui bannit la crainte. Il demande au surplus la douceur ou l'attrait que l'on goûte à faire le bien, la discipline ou l'intelligence des leçons que Dieu nous donne par l'affliction, et la science qui devient utile quand elle est unie à la piété. Les deux premières s'acquièrent par l'expérience, mais la science ne s'acquiert pas sans l'intelligence qui vient de Dieu, ainsi que la force d'accomplir ce que nous savons, qui est la foi efficace. Adam devenu pécheur fut humilié, et Dieu lui donna les moyens de redevenir juste: tels sont les moyens que nous devons étudier et pratiquer en dépit des orgueilleux.

1. Les versets de notre psaume, que nous voulons exposer avec le secours de Dieu, commencent par celui-ci: «Seigneur, vous avez signalé votre bonté envers votre serviteur, selon votre parole, ou plutôt selon votre promesse 1». Mais l'expression grecque Chrestoteta, est tantôt traduite par « douceur», tantôt par «bonté». Toutefois, comme il peut se trouver une douceur dans le mal, quand on met son plaisir dans ce qui est illicite et honteux; comme il peut s'en trouver dans les plaisirs charnels dont l'usage est permis, nous devons donner à cette «douceur», appelée par les grecs Chrestoteta, le sens d'une faveur spirituelle. C'est pour cela que nos interprètes ont traduit «bonté», et dès lors: « Vous avez fait un acte de douceur envers votre serviteur», n'aurait d'autre sens, à mon avis, que celui-ci: Vous m'avez fait aimer le bien. Car c'est une

1. Ps 118,65.

grande faveur de Dieu que ce plaisir qu'on trouve dans le bien. Mais qu'une bonne oeuvre commandée par la loi ne soit faite que par la crainte du châtiment, et non par l'amour de la justice, parce que l'on craint Dieu, et non parce qu'on l'aime, c'est une oeuvre servile et non une oeuvre libre. «Or, l'esclave ne demeure pas éternellement dans la maison, mais le fils y demeure éternellement 1», car la charité parfaite chasse la crainte 2. «Vous avez donc fait, ô mon Dieu, un acte de douceur envers votre serviteur», en faisant un fils de celui qui était esclave: «Selon votre parole», c'est-à-dire selon votre promesse, afin que pour tout enfant d'Abraham 3 votre promesse soit affermie par la foi.

2. «Enseignez-moi la douceur, la discipline, la science», dit le Prophète, «car j'ai cru à

1. Jn 8,35. - 2. 1Jn 4,18. - 3. Rm 4,16.

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vos commandements 1». Il demande alors l'accroissement et la perfection de ces dons en lui; autrement, après avoir dit: «Vous avez agi avec douceur envers votre serviteur», comment pourrait-il ajouter: « Enseignez-moi la douceur», sinon pour connaître de plus en plus la grâce divine par la douceur du bien? Ils avaient la foi, en effet, ceux qui disaient: « Seigneur, augmentez en nous la foi 2». Et tant que l'on vit en ce monde, ce doit être là le refrain de ceux qui avanceront dans la vertu. A la douceur le Prophète ajoute «et l'instruction», ou, comme on lit dans plusieurs manuscrits, «et la discipline». Mais ce mot discipline que les grecs appellent paideian, se met dans les saintes Ecritures pour exprimer une science qui s'acquiert péniblement, comme on le voit dans ces paroles: « Le Seigneur châtie celui qu'il aime, il frappe de verges tous ceux qu'il reçoit au nombre de ses enfants 3». Cette instruction s'exprime dans les saintes Ecritures par disciplina qui est la traduction du grec paideia. Tel est le mot que nous trouvons dans le grec de l'Epître aux Hébreux, et que le traducteur latin a exprimé par disciplina: « Toute discipline, quand on la reçoit, semble causer de la tristesse, et non de la joie; mais ensuite elle donne à ceux qui ont combattu de recueillir en paix les fruits de la justice 4». Celui donc sur qui Dieu verse sa douceur, c'est-à-dire celui à qui il inspire le goût du bien; et pour m'expliquer plus clairement, celui à qui Dieu donne l'amour de Dieu et du prochain à cause de Dieu, doit prier avec ferveur, afin que ce don s'accroisse en lui, et lui fasse non-seulement mépriser pour lui les autres plaisirs, mais endurer pour lui toutes les douleurs. C'est pourquoi le mot discipline est convenablement uni au mot douceur. Car il faut la désirer et la demander, non-seulement pour une douceur ou une bonté médiocre, laquelle serait toutefois la sainte charité; mais cette charité, fût-elle si grande que la violence du châtiment, loin de l'éteindre, ne fît que l'animer en la frappant, comme le vent anime la flamme; pour elle encore la discipline est désirable. C'était donc peu de dire: «Vous avez fait un acte de douceur envers votre serviteur», si le Prophète ne demandait à Dieu de lui enseigner la douceur, et une telle douceur qu'il pût souffrir avec patience la plus sévère 

1. Ps 118,66.- 2. Lc 17,5.- 3. He 12,6.- 4. He 12,11.

discipline. En troisième lieu vient la science car si la science est plus grande que la charité, loin d'édifier, elle produit l'enflure 1. C'est donc lorsque la science qui accompagne la douceur est suffisante pour résister sans s'éteindre aux afflictions qui accompagnent la discipline, c'est alors qu'elle devient utile, cri montrant à l'homme ce qu'il a mérité, les dons qu'il a reçus de Dieu, dons qui lui font comprendre qu'il peut alors ce qu'il ne croyait point pouvoir et ce qu'il ne pouvait en effet par lui-même.

3. Pourquoi, néanmoins, le Prophète ne dit-il pas: Donnez-moi; mais: «Enseignez-moi?» Comment enseigner la douceur, si elle ne se donne point? Il en est beaucoup en effet qui savent ce qui ne leur est point agréable; ils en ont la connaissance, mais n'y trouvent aucune douceur. Car on ne saurait apprendre la douceur, si l'on ne trouve de la douceur à l'apprendre. Il en est de même de la discipline, qui est une peine propre à nous corriger; elle ne s'apprend que quand on l'éprouve; c'est-à-dire que ce n'est ni l'attention, ni la lecture, ni la réflexion qui nous la donne, mais l'expérience. Pour ce qui est de la science, dont le Prophète nous parle en troisième lieu quand il dit: « Enseignez-moi», ce n'est qu'en nous instruisant que Dieu nous la donne. Qu'est-ce en effet qu'instruire, sinon donner la science? Ce sont là deux choses tellement corrélatives, que l'une ne saurait exister sans l'autre. Nul en effet n'est instruit s'il n'apprend, et nul n'apprend si on ne l'instruit. Et dès lors qu'un disciple n'est point capable de comprendre ce que son maître enseigne, le maître ne saurait dire: Je lui ai enseigné, mais il n'a rien appris; il peut dire au contraire: J'ai dit ce qu'il fallait dire, mais il n'a pas appris, parce qu'il n'a pu rien percevoir, rien saisir, rien comprendre. Car le disciple aurait appris, si le maître l'eût instruit. Aussi, quand le Seigneur veut nous instruire, il nous donne d'abord l'intelligence, sans laquelle un homme ne saurait apprendre ce qui tient à la doctrine d'en haut; c'est pour cela que le Prophète va dire à Dieu : «Donnez-moi l'intelligence, afin que j'apprenne vos commandements 2». Aussi bien, quand un homme en veut instruire un autre, il peut dire ce que le Sauveur après sa résurrection disait à ses disciples; mais il ne saurait faire

1. 1Co 8,1.- 2. Ps 118,78.

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ce qu'il fit: l'Evangile nous dit en effet: « Alors il leur ouvrit l'esprit afin qu'ils comprissent les Ecritures, et il leur dit 1». Nous lisons dans l'Evangile ce qu'il leur dit alors; mais s'ils comprirent ses paroles, c'est qu'il leur ouvrit l'esprit qui comprend. Dieu donc nous apprend la douceur en nous inspirant un charme secret; il nous enseigne la discipline, en nous ménageant l'affliction; il nous enseigne la science, en nous donnant la connaissance. Mais il y a des choses que nous apprenons seulement pour les connaître, d'autres pour les faire, et quand Dieu nous les enseigne, il le fait de telle sorte que nous sachions ce qu'il faut savoir, en nous découvrant la vérité, et que nous fassions ce qu'il faut faire, en nous inspirant la douceur. Car ce n'est pas en vain que le Prophète lui dit: « Enseignez-moi, afin que j'accomplisse votre  volonté 2». Enseignez-moi de telle sorte que je l'accomplisse, non content de la savoir. Car cette volonté saintement accomplie, c'est le fruit que nous devons rendre au laboureur qui nous cultive. Mais l'Ecriture nous dit ensuite: « Le Seigneur donnera la douceur, et notre terre donnera son fruit 3». Quelle est cette terre, sinon celle dont il est dit à celui qui donne la douceur: «Mon âme est pour vous une terre sans eau».

4. Après avoir dit: «Enseignez-moi la douceur, la discipline et la science», le Prophète ajoute: « Parce que j'ai cru à vos commandements»; et l'on pourrait demander avec quelque raison pourquoi il ne dit point: J'ai obéi; mais: J'ai cru. Autres en effet sont les commandements, et autres les promesses. Nous recevons les commandements pour les accomplir et mériter par là de recevoir les promesses. Aux promesses donc la foi, aux préceptes l'obéissance. Que signifie dès lors, «j'ai cru à vos commandements», sinon j'ai cru que ces commandements ne viennent point d'un homme, mais de vous, bien que vous les ayez annoncés par le ministère des hommes? Donc, parce que j'ai cru que ces préceptes viennent de vous, que cette foi m'obtienne la grâce d'observer ce que vous avez commandé. Qu'un homme vienne me donner cet ordre à l'extérieur, me donnerait-il intérieurement la force de l'accomplir? Enseignez-moi donc la douceur en m'inspirant

1. Lc 24,45-46.- 2. Ps 142,10.- 3. Ps 84,13.- 4. Ps 142,6.

la charité; enseignez-moi la discipline en me donnant la patience; enseignez-moi la science en éclairant mon esprit. «Parce que j'ai cru à vos préceptes». J'ai cru, ô mon Dieu, que vous-même les avez intimés, et que vous donnez à l'homme la force d'accomplir ce que vous lui commandez.

5. « J'ai péché avant d'être humilié, c'est pourquoi j'ai gardé votre parole 1», ou d'une manière plus expressive: «J'ai gardé votre promesse», afin de n'être plus humilié. Par cette humiliation il est mieux d'entendre celle que dut subir Adam, en qui toute créature humaine fut comme viciée dans sa racine, et soumise à la vanité 2,parce qu'elle ne voulut pas être soumise à la vérité. Et cette expérience a servi aux vases de miséricorde à rejeter l'orgueil, à embrasser l'obéissance, à faire disparaître pour jamais nos misères.

6. «Vous êtes doux, ô mon Dieu»; ou, comme on lit dans plusieurs exemplaires: «C'est vous qui êtes doux, ô mon Dieu 2». D'autres encore: «Vous êtes doux»; d'autres: «Vous êtes bon»: dans le sens que nous avons assigné plus haut à cette expression. «Et dans votre douceur, enseignez-moi vos justifications». C'est avoir une véritable volonté d'accomplir les ordonnances du Seigneur, que vouloir les apprendre, dans la douceur, de ce même Dieu à qui il dit: «C'est vous, ô mon Dieu, qui êtes doux».

7. Enfin il poursuit: «L'iniquité des superbes s'est multipliée envers mois 4»;c'est-à-dire, l'iniquité de ceux à qui n'a servi de rien l'humiliation de l'homme après le péché. «Mais moi, je m'attacherai, de tout mon coeur, à sonder vos commandements». Quelque nombreuse que soit l'iniquité, dit-il, la charité ne se refroidira point en moi 5. Il peut parler de la sorte, celui qui apprend les ordonnances de Dieu dans sa douceur. Plus il y a de douceur dans les préceptes de celui qui nous aide à les accomplir, et plus aussi celui qui les aime les étudie, afin de les pratiquer à mesure qu'il les connaît, et de les mieux connaître par la pratique; car les accomplir est le moyen de les mieux connaître.

8. « Leur coeur s'est épaissi comme le lait 6». De qui, sinon de ces orgueilleux dont il dit que l'iniquité s'est multipliée envers lui? Par

1. Ps 118,67.- 2. Rm 8,20. - 3. Ps 118,68. - 4. Ps 69.- 5. Mt 24,12.- 6. Ps 117,70.




Augustin, les Psaumes 11915