Augustin, les Psaumes 111

DISCOURS SUR LE PSAUME CX - LES MERVEILLES DU SEIGNEUR

111 Ps 111
SERMON AU PEUPLE POUR LE JOUR DE PÂQUES.



L'Alleluia de la terre est l'image de l'Alleluia du ciel; et si les jours du Carême sont l'image des misères de la vie, auxquelles viennent succéder les jours de joie, ainsi en sera-t-il de la joie éternelle, succédant aux douleurs de la vie présente. Tant que l'on prêche les dix préceptes dans les quatre parties du monde, ce qui par la multiplication nous donne le nombre quarante, nous devons nous priver des plaisirs mondains, et si au nombre quarante on ajoute le dernier au nombre dix, nous obtenons cinquante, image de la récompense. - La confession par laquelle commence notre Psaume est une confession de louange, et le Prophète la fait dans l'assemblée des saints, alors que l'iniquité a disparu. Telle est la grande oeuvre du Seigneur, et nul ne va contre sa volonté, pas même l'impie qui doit revenir à lui ou subir le châtiment; cette grande maure est donc la justification de l'impie; oeuvre de véritable grâce, puisqu'elle ne vient point de nos mérites. Le Seigneur se réserve des temps pour ses prodiges et nous a dès ici-bas donné pour nourriture ce Verbe que nous posséderons éternellement. Il montrera aux saints la puissance de ses oeuvres ou la prédication de l'Evangile; lui seul peut nous juger, et non les hommes qui ont jugé les martyrs; lui seul donne le rédempteur qu'il a promis. Ce testament éternel est bien le Nouveau, puisque l'Ancien n'est plus. Loin de nous la Jérusalem terrestre avec ses promesses charnelles; ne cherchons que la sagesse dont le commencement est la crainte de Dieu; celui-là a l'intelligence, qui fait le bien, et sa récompense sera de siècle en siècle.

1. Voici les jours de chanter Alleluia: réveillez donc votre attention, mes frères, pour accueillir ce que Dieu nous suggère, afin de vous encourager et de nourrir cette charité qui nous fait adhérer au Seigneur pour notre bien. Réveillez votre attention, vous qui chantez si bien le Seigneur, vous enfants de la louange, et de la gloire éternelle de Dieu toujours vrai, toujours incorruptible. Soyez attentifs, ô vous, qui savez au fond de vos coeurs, et chanter au Seigneur, et jouer de la harpe: rendez-lui grâces en toutes choses 1, et louez Dieu, tel est l'Alleluia. Ces jours qui viennent passeront, il est vrai, et ils passeront pour revenir encore; mais ils nous désignent ce jour par excellence, qui ne vient point, qui ne passe point, qui n'est point annoncé par le jour d'hier, ni chassé par un lendemain. Et quand nous serons arrivés à ce jour, nous nous y attacherons pour no plus passer. Et comme en certain endroit nous chantons à Dieu: « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles 2» ; telle sera notre oeuvre dans le repos, notre travail dans l'inaction, notre occupation dans la quiétude, notre soin dans la tranquillité. De même qu'aux jours de carême, qui marquaient les afflictions de cette vie avant la résurrection du Sauveur, viennent succéder ces jours

1. Ep 5,19-20. - 2. Ps 83,5.

d'une joie solennelle, ainsi ce jour unique, qui sera donné après la résurrection au corps entier du Christ, c'est-à-dire à la sainte Eglise, viendra dans une joie sainte pour succéder à toutes les douleurs et à toutes les misères de cette vie. Quant à la vie présente, nous devons la passer dans la modération, en gémissant sous le poids du labeur, et dans les combats, en désirant nous revêtir de la gloire de cette maison céleste 1, et en nous abstenant des plaisirs du siècle: aussi est-elle figurée par ce nombre de quarante, qui détermine les jours de jeûne pour Moïse, pour Elie, pour le Seigneur 2. Ainsi la loi et les Prophètes, et l‘Evangile, auquel viennent rendre témoignage la loi et les Prophètes, puisque sur la montagne le Sauveur montra sa gloire au milieu de Moïse et d'Elie 3; la loi et les Prophètes, et l'Evangile nous ordonnent d'imposer en quelque sorte le jeûne de la tempérance à cette avidité pour des plaisirs mondains qui nous captivent jusqu'à nous faire oublier Dieu; et cela tout le temps que l'on prêche cette loi du décalogue dans les quatre parties du monde; en sorte que dix, multiplié par quatre, donne le nombre quarante. Quant à ces cinquante jours pendant lesquels nous chantons Alleluia, après la résurrection du

1. 2Co 5,2.- 2. Ex 34,28 1R 19,8 Mt 4,2. - 3. Mt 17,3.

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Seigneur, ils ne marquent pas un temps qui finit et qui passe, mais bien l'éternité bienheureuse; car le denier, ou nombre dix, ajouté à quarante, nous rappelle cette récompense accordée àux fidèles ouvriers pendant cette vie, et que le Père de famille octroie aux derniers comme aux premiers. Ecoutons donc ce peuple de Dieu, qui chante les louanges débordant de son coeur. Ce psaume, en effet, nous montre un homme qui bondit dans les tressaillements de sa joie; il nous montre en figure ce peuple de Dieu dont le coeur exhale des flots d'amour, ou plutôt le corps du Christ, délivré de tous maux.

2. «Seigneur, je vous confesserai dans toute l'étendue de mon coeur 1». Ce mot de confession ne marque pas toujours l'aveu des péchés, il exprime aussi la louange de Dieu confessée avec piété. L'une de ces confessions est donc dans les pleurs, l'autre dans la joie: l'une montre au médecin sa blessure, l'autre rend grâces de sa guérison. Cette confession de notre psaume nous montre un homme, non-seulement délivré de tous maux, mais encore séparé de tous les méchants. Voyons dès lors en quel lieu il rend à Dieu cette confession dans toute l'étendue de son coeur. C'est, dit-il, dans le conseil, dans l'assemblée des justes; de ces justes, je crois, qui seront assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël 2. Là, il n'y aura plus d'hommes d'iniquité: plus de Judas dont on doive tolérer les vols; plus de Simon Magicien, qui veuille être baptisé, et acheter l'Esprit-Saint dans la pensée de le revendre 3; plus d'Alexandre Chaudronnier, pour faire beaucoup de mal 4, plus de faux frère, se glissant à la faveur d'une peau de brebis, tous pécheurs que l'Eglise doit supporter en cette vie, mais qu'elle bannira de l'assemblée de tous les justes. Voilà «ces grandes oeuvres du Seigneur,accomplies selon toutes ses volontés 5», qui ne laissent sans miséricorde aucun aveu des fautes, non plus que l'iniquité sans châtiment; puisque «Le Seigneur châtie ceux qu'il reçoit au nombre de ses enfants 6». Et si le juste n'est sauvé qu'à peine, que deviendront le juste et l'impie 7? Que l'homme fasse donc son choix. Les ouvrages de Dieu ne sont point réglés de telle sorte que la créature, dans son libre arbitre, puisse dominer

1. Ps 111,1.- 2. Mt 19,28.- 3. Ac 8,13 Ac 8,18-19.- 4. 2Tm 4,14.- 5. Ps 111,2.- 6. He 12,6.- 7. 1P 4,18.

la volonté du Créateur, bien qu'elle agisse contrairement à cette volonté. Dieu ne veut point le péché en toi; il le défend; mais si tu pèches, ne va point t'imaginer que l'homme ait fait sa volonté, et qu'il soit arrivé à Dieu ce que Dieu ne voulait pas; de même que Dieu veut que l'homme ne pèche point, il veut aussi pardonner au pécheur, afin que celui-ci revienne et qu'il vive; de même il veut punir celui qui persévère finalement dans le péché, afin que nul opiniâtre n'échappe à la puissance de sa justice. Quelque soit donc ton choix, tu ne saurais éluder la volonté du Tout-Puissant, qui s'accomplira sur toi. «Les oeuvres du Seigneur sont grandes, accomplies selon toutes ses volontés».

3. «Ses oeuvres sont la confession et la magnificence 1». Quelle oeuvre plus admirable que la justification de l'impie? Mais on dira peut-être que l'oeuvre de l'homme est antérieure à cette magnificence de Dieu, et qu'il mérite d'être justifié quand il a confessé ses fautes: «Le publicain, en effet, sortit du temple justifié, beaucoup plus que le pharisien; car il n'osait point lever les yeux au ciel, mais il battait sa poitrine en disant : «O Dieu, ayez pitié de moi, qui suis un pécheur». C'est donc dans la justification du pécheur que resplendit la magnificence de Dieu, dans l'élévation de quiconque s'humilie, et l'abaissement de celui qui s'élève 2. Telle est la magnificence du Seigneur, que celui à qui l'on a beaucoup remis, aime davantage 3. Telle est enfin la magnificence du Seigneur, «qu'il y ait surabondance de grâce où il y avait abondance de péché 4». Mais cela vient peut-être des oeuvres de l'homme. «Non, cela ne vient point des oeuvres, est-il dit, de peur qu'on ne s'enorgueillisse. Car nous sommes l'ouvrage de Dieu, créés en Jésus-Christ, par les bonnes oeuvres 5». Or, l'homme ne saurait faire une oeuvre de justice, s'il n'est d'abord justifié. « Croire en eu celui qui justifie l'impie 6», c'est commencer par la foi, en sorte que ses bonnes oeuvres ne démontrent point ce qu'il a mérité auparavant, mais bien ce qu'il a reçu ensuite. D'où vient donc alors cette confession? Elle n'est point encore une oeuvre de justice, mais la réprobation du mal. Quoi qu'il en soit, néanmoins, ô homme, ne te glorifie pas de cette confession ;


1. Ps 101,3. - 2. Lc 18,13-14. - 3. Lc 7,42-48. - 4. Rm 5,20. - 5. Ep 2,9-10. - 6. Rm 4,5.

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quiconque, en effet, «se glorifie, doit se glorifier dans le Seigneur 1. Qu'avez-vous que vous ne l'ayez reçu 2?» Ce n'est donc pas seulement la magnificence qui justifie l'impie, mais la magnificence et la confession sont l'oeuvre du Seigneur Pourquoi dire, en effet, que Dieu fait miséricorde à qui lui plaît, et qu'il laisse endurcir qui lui plaît? Y a-t-il néanmoins injustice en Dieu? Loin de là. « Sa justice demeure de siècle en siècle». Mais toi, ô homme de ce siècle, qui es-tu pour répondre à Dieu 3?

4. « Le Seigneur a consacré la mémoire de ses merveilles», en humiliant l'un, en exaltant l'autre. « Il a consacré la mémoire de ses merveilles 4», en se réservant pour le temps opportun des prodiges extraordinaires, dont la faiblesse humaine, éprise des nouveautés, pût conserver le souvenir, bien que ses miracles de chaque jour soient plus grands. Il crée dans toute la terre une infinité d'arbres, et nul n'y prend garde; qu'il en dessèche un seul de sa parole, voilà le coeur des hommes dans l'admiration 5; mais: « Il a consacré la mémoire de ses merveilles», et ces miracles, que l'habitude n'aura point en quelque sorte avilis à nos yeux, se graveront principalement dans les âmes attentives.

5. Mais à quoi ont servi les miracles, sinon à faire craindre le Seigneur? Et à quoi servirait la crainte, « si le Seigneur, dans sa miséricorde et dans sa bonté, ne donnait la nourriture à ceux qui le craignent 6?» Nourriture incorruptible, pain descendu du ciel 7,qu'il nous a donné sans que nous l'eussions mérité. Car le Christ est mort pour les impies 8; et nul autre que le Seigneur ne pouvait donner une semblable nourriture avec une miséricordieuse bonté. Si donc il nous a fait un tel don pour cette vie; si le pécheur, pour être justifié, a reçu le Verbe fait chair, que ne recevra-t-il point quand il sera glorifié dans le ciel? « Car il se souviendra dans tous les siècles de son alliance», et n'ayant donné qu'un gage, il n'a point tout donné.

6. «Il fera voir à son peuple la puissance de ses oeuvres 9». Qu'ils ne s'affligent point, ces saints d'Israël, qui ont tout quitté pour le

1. 1Co 1,31. - 2. 1Co 4,7. - 3. Rm 9,14 Rm 9,18 Rm 9,20. - 4. Ps 111,4.- 5. Mt 21,29 Mt 21,20. - 6. Ps 111,5.- 7. Jn 6,27. - 8. Rm 5,6. - 9. Ps 111,6.

suivre; qu'ils ne s'affligent point, en disant: « Qui donc pourra être sauvé? puisqu'il sera plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux 1». Il leur montrera la puissance de ses oeuvres; car ce «qui est difficile aux hommes, devient facile à Dieu. Il leur donnera l'héritage des nations 2». L'Evangile a passé aux nations, et l'on a enjoint aux riches de ce siècle de n'être point orgueilleux, de ne mettre point leur espérance dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant 3,à qui devient facile ce qui est difficile aux hommes. C'est ainsi que plusieurs ont été appelés, ainsi qu'on s'est emparé de l'héritage des nations, ainsi que plusieurs, qui n'avaient pas renoncé aux biens de cette vie pour suivre Jésus-Christ, ont bien osé mépriser la vie même pour confesser son nom, et s'étant humiliés comme des chameaux sous le fardeau des afflictions, sont entrés par la voie étroite des piquantes douleurs, comme par le trou de l'aiguille. Ainsi agit celui à qui tout est possible.

7. « L'oeuvre de ses mains, c'est la vérité et le jugement». Que ceux que l'on juge en ce monde gardent bien cette vérité. On juge ici-bas les martyrs, on les conduit à ces tribunaux où non-seulement ils jugeront leurs juges, mais ces anges mêmes 4 avec lesquels ils étaient en lutte, quand les hommes paraissaient les juger. Ne soyons séparés du Christ ni par la tribulation, ni par l'angoisse, ni par la faim, ni par la nudité, ni par le glaive 5,« car tous ses oracles sont fidèles». Il ne trompe point, mais tient ce qu'il a promis. Et toutefois, ce n'est point ici-bas qu'il faut attendre ce qu'il a promis, ici-bas qu'il faut l'espérer; mais eu ses oracles sont affermis à jamais, ils sont dictés dans la justice et dans «la vérité 6». Le vrai, le juste, c'est le travail ici-bas, le repos en l'autre vie. « Parce qu'il a envoyé à son peuple un Rédempteur 7». Et d'où ce peuple est-il racheté, sinon de la captivité de son exil? Ne recherchons donc le repos que dans la céleste patrie.

8. Dieu a donné aux Israélites charnels, cette Jérusalem terrestre « qui est esclave avec ses enfants 8» ; mais tel est le vieux Testament, concernant le vieil homme. Or,

1. Mt 19,24-26.- 2. Ps 111,7.- 3. 1Tm 6,17.- 4. 1Co 6,3.- 5. Rm 8,35.- 6. Ps 111,8.- 7. Ps 111,9.- 8. Ga 4,25.

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ceux qui ont vu en cela des figures, sont devenus héritiers du Nouveau Testament : « Parce que la Jérusalem qui est en haut est libre, et c'est elle qui est notre Mère pour l'éternité dans les cieux 1». Or, il est prouvé que cet Ancien Testament n'avait que des promesses transitoires: « Il a établi son Testament pour jamais». Or, quel Testament, sinon le Nouveau? O toi, qui veux en être l'héritier, point d'illusion, ne va point te figurer une terre où coulent le lait et le miel, ni d'agréables maisons de campagne, ni des jardins avec des fruits et des massifs; loin de toi de désirer ce que peut convoiter l'oeil des avares. Comme l'avarice est la source de tous maux 2,il faut l'étouffer en ce monde, afin qu'elle y meure, et non la réserver pour l'autre vie, pour y chercher satisfaction. Commence par fuir les peines de l'autre vie, par éviter l'enfer: avant de convoiter les promesses de Dieu, garde-toi de ses menaces, « Car son nom est saint et terrible».

1. Ga 4,26.- 2. 1Tm 6,10.

9. Au lieu de toutes les délices de ce monde que vous avez goûtées, ou que votre imagination peut grossir et multiplier, ne désirez plus que la sagesse, mère des impérissables délices; et « le commencement de cette sagesse, c'est la crainte du Seigneur». C'est elle qui fera vos délices, qui vous fera goûter d'ineffables joies dans les chastes et éternels embrassements de la vérité: mais avant de chercher une récompense, il faut tout d'abord que tes péchés soient remis. « Le commencement de la sagesse est donc la crainte du Seigneur 1». L'intelligence est bonne, qui oserait le nier? Mais il est dangereux de comprendre et de ne point agir. Alors «l'intelligence est bonne pour ceux qui agissent». Que notre esprit ne s'enfle point d'orgueil. Car celui dont la crainte est le commencement de la sagesse, est aussi celui «dont la eu louange demeure de siècle en siècle». Telle sera la récompense et la fin; et la station, le repos éternel. C'est là qu'on trouve les oracles fidèles, confirmés de siècle en siècle; tel est l'héritage du Nouveau Testament, héritage affermi pour l'éternité. « J'ai fait au Seigneur une prière unique, et j'insisterai, c'est d'habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie 2. Bienheureux ceux qui habitent la maison du Seigneur; ils le béniront dans les siècles des siècles 3,parce que sa gloire demeure dans le siècle des siècles».

1. Ps 111,10. - 2. Ps 16,4. - 3. Ps 83,5.



DISCOURS SUR LE PSAUME CXI - LE TEMPLE SPIRITUEL

112 Ps 112

SERMON AU PEUPLE.

L'inscription du titre porte: Conversion d'Aggée et de Zacharie. Ces prophètes, bien postérieurs à l'époque des Psaumes, ont prédit la reconstruction du Temple après les soixante-dix années de captivité. Mais ce temple est l'Eglise, par qui l'homme est renouvelé et entre comme pierre vivante dans sa construction. Tel est le temple que prophétisaient Aggée et Zacharie, et dont le couronnement sera la sagesse qui commence par la crainte du Seigneur. C'est au Seigneur qu'il appartient de juger l'homme qui se fait un bonheur d'accomplir sa loi, dont la postérité sera puissante sur la terre, puisqu'elle pourra, par de bonnes oeuvres, acquérir la vie éternelle. Loin de nous d'agir pour un motif humain, et de perdre la gloire qui demeure de siècle en siècle. Dieu nous a tirés de la vie ténébreuse pour nous apprendre à mériter le ciel par le pardon et le bienfait. L'homme doux, du Psaume, pardonne et prête; et il y a dans le pardon une gloire plus pure que dans la vengeance, dans le bienfait une richesse plus solide que celle de la terre. La gloire donc et les richesses sont pour le coeur juste. Régler nos paroles pour le jugement, c'est aussi régler nos oeuvres qui nous défendront alors; de là cette bénédiction pour la race des justes, tandis que leurs ennemis n'ont voulu que les biens périssables, et seront loin du Verbe de Dieu.

1. Je pense, mes frères, que vous avez entendu et fixé dans votre mémoire le titre de ce psaume: « Conversion d'Aggée et de Zacharie», est-il dit. Or, ces Prophètes n'étaient point encore, quand ce cantique fut chanté. Car, entre l'époque de David et la transmigration du (616) peuple d'Israël à Babylone, on compte quatorze générations, au témoignage des saintes Ecritures, et surtout de l'Evangéliste saint Matthieu (Mt 1,17). Or, selon la parole du saint prophète Jérémie, on espérait que le temple sortirait de ses ruines soixante et dix ans après cette transmigration (Jr 25,12 Jr 29,10). Or, à l'accomplissement de ces soixante et dix ans, sous Darius, roi de Babylone (Esd 1,1), ces deux saints prophètes, Aggée et Zacharie, furent aussi remplis de l'Esprit-Saint  (Ag 1,1 Za 1,1 Za 1,26); et tous deux, dans l'espace d'une année, commencèrent à prédire ce qui concernait la reconstruction du temple, déjà prédite si longtemps auparavant. Mais arrêter les yeux du coeur sur des faits complètement corporels, et ne pas élever son âme jusqu'aux actes spirituels de la grâce, c'est circonscrire sa pensée dans les pierres d'un temple dont la structure visible s'élève par la main des hommes, c'est ne pas devenir soi-même une pierre vivante qui se taille et se prépare à faire partie de ce temple auquel Jésus-Christ compara son corps en disant: «Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours (5. Jn 2,19)». L'Eglise est d'une manière bien plus parfaite le corps de Jésus-Christ, dont la tête s'élève au ciel, et qui est par excellence la pierre vivante, la pierre angulaire dont saint Pierre a dit: «Approchez-vous de lui comme de la pierre vivante», rejetée par les hommes, choisie et honorée par Dieu; et vous-mêmes, soyez établis sur lui, comme des pierres vivantes, pour former un édifice spirituel, un sacerdoce saint, afin d'offrir à Dieu des hosties spirituelles qui lui soient agréables par Jésus-Christ » (1P 11,4-6). L'Ecriture dit en effet: «Voici que je place en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse, et quiconque croira en elle ne sera point confondu » (Is 28,16). Celui donc qui veut devenir une pierre vivante, propre à entrer dans cet édifice, doit comprendre d'une manière spirituelle comment le temple se relève de cette ruine antique faite en Adam, comment se régénère le peuple nouveau, selon l'homme nouveau, l'homme céleste; afin qu'après avoir porté l'image de l'homme terrestre, nous portions aussi l'image de Celui qui est dans le ciel (1Co 15,49),et qu'en lui, après tous les âges de cette vie, comme après ces septante années qui figuraient mystérieusement la perfection, comme après la captivité de ce long exil, nous puissions non plus être construits en un édifice qui doit crouler un jour, mais être solidement établis dans une immortalité sans fin. Ne croyez pas en effet que la Jérusalem spirituelle soit plus aux Juifs qu'à vous-mêmes. Comme l'a dit en effet l'Apôtre: «Vous n'êtes plus désormais des étrangers, des exilés; mais vous êtes les concitoyens des saints, habitants de la cité de Dieu, construits sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, édifice dont Jésus-Christ est lui-même la principale pierre angulaire; c'est sur lui que tout l'édifice construit s'élève jusqu'à devenir un temple consacré au Seigneur; et c'est par lui que vous faites partie de la construction de cet édifice, devenant la maison de Dieu par l'Esprit-Saint» (Ep 2,19-22). Voilà le temple que prophétisaient en figure Aggée et Zacharié, auquel saint Paul dit encore: «Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple » (1Co 3,17). Quiconque dès lors veut sortir de ce monde qui tombe en ruines, pour entrer comme pierre vivante dans la construction de cet édifice, et pour espérer une part dans cette union sainte et solide, comprend le titre du psaume, il comprend la conversion d'Aggée et de Zacharie. Qu'il chante notre psaume, non plus par la voix, mais par les oeuvres. Et le couronnement de cet édifice sera l'ineffable paix dans la sagesse, dont le commencement est la crainte du Seigneur (Pr 1,7): qu'il commence par cette crainte, celui qui veut par sa conversion entrer dans l'édifice spirituel.

2. «Bienheureux l'homme qui craint le Seigneur, qui se fait un bonheur d'accomplir sa loi » (Ps 111,1). C'est à Dieu, qui seul juge avec miséricorde et vérité, de voir combien notre interlocuteur a marché dans ses commandements: «Car la vie de l'homme sur la terre est une épreuve sans fin » (Jb 7,1), a dit Job. Et il est dit encore que le corps corruptible appesantit l'âme, et que cette habitation terrestre abat l'esprit capable des plus hautes pensées (Sg 9,15). Or, celui qui nous juge, c'est le Seigneur, et nous ne devons pas juger avant le temps, «jusqu'à ce que le Seigneur vienne et qu'il éclaire ce qui est caché dans les ténèbres, qu'il manifeste les pensées des coeurs; et alors chacun recevra sa louange de Dieu » (1Co 4,4-5). (617) Que le Seigneur voie donc les progrès de chacun dans la voie de ses commandements; et toutefois il sera plein d'ardeur, celui qui aimera la paix de ce saint édifice; et il ne doit point désespérer, puisque sa volonté est pleinement dans la loi du Seigneur, et qu'il y a paix sur la terre pour les hommes de bonne volonté (Lc 9,14).

3. C'est pourquoi «sa postérité sera puissante sur la terre » (Ps 111,2). Cette race ou semence, qui nous prépare une moisson pour l'avenir, consiste dans les oeuvres de miséricorde, selon l'Apôtre, qui nous dit: «Ne nous lassons pas de faire le bien, puisque nous moissonnerons dans la saison » (Ga 6,9); et encore: «Je vous le dis, quiconque sème peu, moissonnera peu » (2Co 9,6). Quelle plus grande puissance, mes frères, que celle d'acheter le royaume des cieux, non-seulement avec la moitié de nos biens, comme Zachée (Lc 19,8) mais encore avec les deux deniers de la veuve (Mc 12,42), et d'y posséder tous un héritage égal? Quelle plus grande puissance que d'acquérir un royaume, et le riche par ses trésors, et le pauvre par un verre d'eau froide? Or, plusieurs font ces oeuvres, pour acquérir les biens de la terre, ou dans l'espérance d'une récompense de la part du Seigneur, ou dans le désir de plaire aux hommes; mais le Prophète ajoute que «la race des justes sera bénie», c'est-à-dire leurs oeuvres; car «le Seigneur est bon pour ceux qui ont le coeur droit», et la droiture du coeur consiste à ne point résister au Père qui nous châtie, et à croire à ses promesses: et nulle bénédiction pour la race de ceux dont les pieds chancellent, dont la démarche est mal assurée et finit par la chute, comme un autre psaume l'a chanté, parce qu'ils ressentent de l'envie contre les pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent, et qu'ils s'imaginent que leurs oeuvres ont péri, dès lors qu'ils n'en reçoivent pas une récompense périssable (Ps 72,1-14). Mais pour cet homme qui craint le Seigneur, et qui en redressant son coeur le façonne pour le royaume de Dieu, il ne cherche point la gloire humaine et ne convoite pas les richesses terrestres, et pourtant: «La gloire et la richesse sont dans sa maison». Car sa maison, c'est son coeur, et là, fortifié par la faveur de Dieu, il est plus riche par l'espérance de la vie éternelle, qu'il ne le serait, avec les flatteries des hommes, dans des palais de marbre et d'azur, avec la crainte de la mort éternelle. «Car la justice de Dieu demeure de siècle en siècle » (Ps 111,5). Telle est la vraie gloire, telles sont les véritables richesses. Quant à cet autre, sa pourpre, son fin lin, ses festins splendides (Lc 16,19), tout cela s'en va, même quand il en jouit; et quand tout cela sera passé, sa langue desséchée demandera à grands cris qu'une goutte d'eau tombe du doigt de Lazare.

4. «Du sein des ténèbres la lumière s'est levée pour les coeurs droits » (Ps 101,4). C'est avec raison qu'ils redressent leur coeur vers Dieu, avec raison qu'ils marchent dans le chemin droit, en présence de leur Dieu, préférant toujours sa volonté, et ne présumant point de la leur. Ils se souviennent, en effet, qu'autrefois ils étaient ténèbres, et qu'ils sont maintenant lumière dans le Seigneur (4. Ep 5,8). «Car le Seigneur Dieu est clément, juste et miséricordieux». Sa clémence et sa miséricorde nous réjouissent, mais sa justice nous effraie peut-être. Loin de toi tout désespoir et toute crainte, ô toi, homme bienheureux, qui crains le Seigneur, qui mets ta joie dans l'accomplissement de sa volonté: sois doux, miséricordieux, et bienfaisant. Car c'est ainsi que le Seigneur Dieu est juste, au point d'exercer un jugement sans miséricorde contre celui qui n'a point fait miséricorde (5. Jc 2,13). Or, «celui-là est doux, qui fait miséricorde et qui prête » (Ps 111,5); Dieu ne le rejettera point de sa bouche comme celui qui serait fade. «Remettez -les dettes»,vous est-il dit, «et l'on vous remettra; donnez, et l'on vous donnera » (Lc 11,37-38). C'est faire miséricorde, que remettre les dettes, afin que les nôtres nous soient remises; c'est prêter, que donner pour que l'on nous donne. Bien qu'en général on appelle miséricorde le soulagement que l'on procure à la misère; il y a néanmoins une différence entre donner, et ces occasions où l'on ne fait aucune dépense, ni en argent, ni en assistance par un travail corporel, et où nous acquérons gratuitement le pardon de nos péchés, en pardonnant aux autres leurs offenses envers nous. Ces deux effets de la charité, de pardonner les offenses et de procurer des bienfaits, comme nous l'avons remarqué dans l'Evangile: «Remettez, et il vous sera remis; donnez, et l'on vous donnera», (618) sont ainsi résumés dans notre verset: «Celui-là est l'homme doux, qui pardonne et qui prête». Ne négligeons rien ici, mes frères; c'est chercher la gloire, que vouloir se venger; mais écoutez ce qui est écrit: «L'homme qui dompte sa colère est plus fort que celui qui prend une ville 1». C'est vouloir s'enrichir que ne rien donner aux pauvres; mais écoutez ce qui est écrit: «Vous aurez un trésor dans le ciel 2». Donc, pardonner n'est point sans gloire; car il est plus grand de triompher de sa colère: on ne s'appauvrit point en donnant, parce que le trésor du ciel est bien plus sûr. Tout cela nous était annoncé par ce verset précédent: «La gloire et les richesses sont dans sa maison».

5. Observer ces préceptes, c'est «régler ses paroles pour le jugement». Les actes sont des paroles qui nous défendront au jugement, et ce jugement ne sera point sans miséricorde pour l'homme qui aura lui-même fait miséricorde. «Car il ne sera point ébranlé éternellement 4» celui qui, placé à droite, entendra ces paroles: «Venez, ô bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l'origine du monde 5». Et dans ce jugement il ne sera question que de leurs oeuvres de miséricorde. Il entendra donc: Venez, ô bénis de mon Père; parce que «la race des justes sera bénie», de même aussi «la mémoire du juste sera éternelle «et il ne craindra point cette parole sévère 6», qu'il doit entendre prononcer contre ceux qui seront à gauche: «Allez au feu éternel, préparé à Satan et à ses anges 7».

6. Celui donc qui n'aura point cherché ses propres intérêts, mais ceux de Jésus-Christ 8, supporte le labeur avec une grande patience, et attend avec confiance les promesses divines: «Son coeur est tout prêt à espérer dans le Seigneur»; et nulle épreuve ne saurait le briser. «Son coeur est fortifié et ne sera point ébranlé, jusqu'à ce qu'il voie le sort de ses ennemis 9». Ses ennemis n'ont voulu voir en cette vie que des biens, et quand on leur en promettait d'invisibles, ils disaient: «Qui nous fera voir les biens 10?» Que notre coeur donc s'affermisse, et ne soyons pas ébranlés jusqu'à ce que nous voyions le sort de nos ennemis. Pour eux, ils ont voulu voir les biens

1. Pr 16,32. - 2. Mt 19,21. - 3. Ps 111,5. - 4. Ps 111,6.- 5. Mt 25,34. - 6. Ps 111,7. - 7. Mt 25,41. - 8. Ph 2,21. - 9. Ps 111,7-8.- 10. Ps 4,6.

des hommes dans la terre des mourants; et nous, nous espérons «voir les biens du Seigneur sur la terre des vivants 1».

7. Mais c'est un grand point, d'avoir le coeur affermi, de n'être point ébranlé, quand on voit dans la joie ceux qui aiment ce qu'ils voient, et qui prodiguent l'insulte à celui qui espère ce qu'il ne voit pas. Toutefois, celui-là ne sera point ébranlé, dit le Prophète, jusqu'à ce qu'il voie, non les choses de la terre comme ses ennemis, mais les choses d'en haut au-dessus de ses ennemis, «celles que l'oeil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues, qui ne sont point montées au coeur de l'homme,et que Dieu néanmoins a préparées à ceux qui le craignent». Quel n'est point le prix de ce bien invisible, et que l'on n'acquiert qu'au prix de ce que chacun peut avoir? Aussi le Prophète a-t-il ajouté: «Il a répandu ses biens, les a donnés aux pauvres». Il ne voyait pas, et pourtant il achetait; mais Celui qui ne dédaignait point d'avoir faim et soif dans les pauvres, lui réservait un trésor dans le ciel. Il n'est donc pas étonnant que «sa justice demeure dans les siècles des siècles», puisqu'elle est gardée par Celui qui a fondé les siècles, «Sa force sera élevée en gloire», lui dont les superbes méprisaient les saints abaissements.

8. «Le pécheur verra et frémira de colère»: donc une pénitence tardive et sans huit. Contre qui sa colère, sinon contre lui-même, quand il dira: «De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous revient-il de l'ostentation de nos richesses?» En voyant donc la force du juste s'élever en gloire, parce qu'il a répandu ses biens en les donnant aux pauvres, «il grincera les dents et séchera de dépit»; car il y aura des pleurs et des grincements de dents. Il ne ressemblera point à cet arbre qui reverdit et se couvre de feuilles, comme il serait devenu par un repentir à temps opportun; mais son repentir viendra quand «le désir des pécheurs s'évanouira» sans être adouci par aucune consolation. Car ce désir du pécheur doit s'évanouir, lorsque tout passera comme l'ombre, et quand la fleur tombera du foin desséché. «Mais le Verbe du Seigneur, qui demeure éternellement», se rira de leur perte et de leur véritable malheur, comme on l'a tourné lui-même en dérision, dans l'enivrement d'un bonheur passager.

1. Ps 26,13.



DISCOURS SUR LE PSAUME CXII - L'HUMILITÉ

113 Ps 113

SERMON AU PEUPLE.

C'est l'enfance que le Prophète invite à louer le Seigneur, ou plutôt c'est nous qui sommes invités à redevenir enfants, alors que, notre âme étant sans orgueil, notre louange soit plus pure. Les enfants n'ont point cet orgueil qui cherche sa propre gloire et non celle de Dieu. Louons-le dès cette vie quand on nous le prêche, et toujours, parce qu'il est toujours et que son nom est grand partout. C'est lui qui domine les cieux, qui regarde ce qu'il y a d'humble dans le ciel, c'est-à-dire les âmes humbles qui lui forment un trône sublime, et qu'il a grandies, et les humbles de la terre ou ceux qui, vivant ici-bas, conversent dans le ciel. Ou bien encore les cieux seraient les saints qui siégeront sur des trônes pour juger avec le Christ, et la terre désignerait ces élus qui seront à droite; car les uns et les autres ont compris qu'ils doivent tout à la grâce, et telle est l'humilité. Leur grandeur et leur justice leur viennent de ce qu'ils ont reconnu que Dieu les a tirés de la poussière et du fumier des convoitises charnelles. Mais ils sont nombreux aussi ces enfants de l'épouse jadis stérile, et qui se sont fait des amis avec la monnaie de l'iniquité. Ainsi se réalise la promesse que les enfants d'Abraham seront nombreux comme les étoiles du ciel, dans ceux qui jugeront sur les trônes, et comme le sable de la mer, dans ceux qui seront à droite.

1. Vous savez, mes frères, et vous avez entendu souvent cette parole de Notre-Seigneur dans l'Evangile: «Laissez venir à moi les petits enfants, car le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent  1»; et encore: «Quiconque ne recevra point le royaume de Dieu comme un enfant, n'y entrera 2». Et dans plusieurs endroits, le Seigneur, pour nous rappeler à l'humilité d'une manière plus particulière, condamne l'orgueil du vieil homme et lui propose la vie de l'enfant comme un modèle d'humilité. Aussi, mes frères, quand vous entendez chanter dans les psaumes: « Enfants, louez le Seigneur», n'allez point croire que cette exhortation, n'est point pour vous, parce que vous avez dépassé l'âge de l'enfance, parce que vous avez la beauté d'une florissante jeunesse ou l'honorable blancheur du vieillard; c'est à vous que l'Apôtre a dit: «Ne soyez point sans discernement comme les enfants, mais soyez comme eux, sans malice, à la condition d'avoir la prudence des hommes faits 3». Quelle est cette malice, sinon l'orgueil? C'est lui qui s'élève dans une fausse grandeur, empêche l'homme de marcher dans la voie étroite, et d'entrer par la porte étroite. Pour l'enfant, il entre facilement par la porte étroite; et c'est pourquoi nul ne peut entrer dans le royaume des cieux, s'il ne devient semblable à l'enfant. Quoi de pire que l'orgueil,

1. Mt 19,14 - 2. Mc 10,15. - 3. 1Co 14,20.

qui ne veut personne pour supérieur, pas même Dieu? Car il est écrit que « le commencement de l'orgueil, c'est de se séparer de Dieu  1». Loin de vous donc cet orgueil, qui ose bien lever la tête, se dresser à l'encontre des préceptes divins et secouer le joug si doux du Seigneur. Domptez-le, brisez-le, anéantissez-le; puis: « Louez le Seigneur, ô enfants, louez le nom du Seigneur 2». Quand l'orgueil sera détruit, et complètement anéanti, alors Dieu tirera de la bouche des nouveau-nés et des enfants à la mamelle, une louange parfaite 3; quand il sera étouffé, détruit complètement, que nul ne se glorifiera, sinon dans le Seigneur 4. Ils ne chantent point ainsi, ces hommes qui se croient de grands personnages; ils ne chantent point de la sorte, ceux qui, ayant connu Dieu, ne l'ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces, qui se louent sans louer Dieu, parce qu'ils ne sont point enfants, qu'ils veulent toute la gloire pour leur nom, et non point pour le nom du Seigneur. Aussi se sont-ils évanouis dans leurs pensées, et leur coeur s'est-il obscurci dans sa folie; et en se disant sages, ils sont devenus fous 5. Ils ont voulu pour leur nom un retentissement vaste et durable, eux qui doivent être si vite mis à l'étroit, tandis que c'est Dieu seul, le Seigneur seul,

1. Si 20,1. - 2. Ps 112,1. - 3. Ps 8,3.- 4. 1Co 1,31.- 5. Rm 1,21-22.

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qui doit être prêché éternellement et partout. Qu'il soit donc éternellement prêché «que le nom du Seigneur soit béni et maintenant et jusque dans les siècles». Qu'on le prêche: «Depuis l'Orient jusqu'à l'Occident, que le nom du Seigneur soit loué 1».

2. Qu'un de ces saints enfants qui bénissent le Seigneur, vienne me questionner et me dire: Cette expression «jusque dans les siècles», je l'entends de l'éternité; mais pourquoi: «dès maintenant», et non point avant ce temps et avant tous les siècles, «que le nom du Seigneur soit béni?» Je répondrai à l'enfant qui ne fait point cette question par obstination: C'est à vous, seigneurs et enfants, c'est à vous qu'il est dit: «Louez le nom du Seigneur: que le nom du Seigneur soit béni»; qu'il soit béni par vous, ce nom du Seigneur, dès maintenant qu'on vous en avertit. Vous commencez à louer Dieu; louez-le pour jamais. «Dès maintenant» donc, et jusque dans les siècles, louez-le sans fin. Ne dites point: Nous avons commencé à louer le Seigneur, parce que nous étions enfants; maintenant, que l'âge est venu et que nous avons grandi, c'est nous-mêmes que nous bénissons. Non, mes enfants, non; et Dieu nous dit par Isaïe: «Je suis; et quand vous aurez vieilli, je suis encore 2». Il est donc toujours louable, Celui qui est toujours. «Louez-le donc dès aujourd'hui, ô enfants»; louez-le quand vous aurez vieilli «et jusqu'à la fin des siècles»; et la vieillesse aura pour vous la couronne des cheveux blancs de la sagesse, et non les rides flétries de la chair. Ou plutôt, comme l'enfance désigne principalement ici l'humilité, contraire à cette vaine et fausse grandeur de l'orgueil, et dès lors, comme il n'y a que les enfants pour louer le Seigneur, puisque les superbes ne savent point le louer, ayez une vieillesse enfantine et une enfance déjà mûre; c'est-à-dire que votre sagesse ne soit point orgueilleuse, non plus que votre humilité sans sagesse: afin que vous puissiez louer le Seigneur, «dès maintenant et jusque dans les siècles». De quelque côté que l'Eglise du Christ soit répandue dans les petits qui sont saints, «louez le nom du Seigneur»; c'est-à-dire: «De l'Orient jusqu'au Couchant, louez le nom «du Seigneur».

1. Ps 112,2. - 2 Is 46,4.


3. «Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations 1». Ces nations sont des hommes, et qu'y a-t-il d'étonnant que le Seigneur soit élevé au-dessus des hommes? Ces idolâtres, qui abandonnent le Créateur pour adorer la créature, voient de leurs yeux briller dans le ciel ce soleil, cette lune et ces étoiles qu'ils adorent. Mais non-seulement le Seigneur est élevé au-dessus des nations, « sa gloire domine aussi tous les cieux». Les cieux voient donc le Seigneur bien au-dessus d'eux; et les humbles, quoique constitués dans la chair au-dessous du ciel, ont avec eux ce même Dieu qu'ils adorent sans adorer le ciel.

4. «Qui est semblable à Dieu Notre-Seigneur, lequel habite les lieux élevés, et regarde ce qui est humble 2?» On pourrait croire que, d'un point élevé des cieux, le Seigneur regarde ce qu'il y a de plus bas sur la terre; mais il regarde «ce qu'il y a de plus bas dans le ciel et sur la terre». Quel est donc ce lieu élevé qu'habite le Seigneur pour voir ce qui est abaissé dans le ciel et sur la terre? Dans ces lieux élevés qu'il habite, verrait-il aussi les humbles qu'il regarde? Car, élever les humbles, ce n'est point les rendre orgueilleux. Il habite alors les âmes humbles qu'il a élevées; il s'en fait un ciel ou un trône: et toutefois, comme ces âmes n'ont aucun orgueil, comme elles sont soumises à Dieu, il voit dans le ciel même ce qu'il y a de plus humble, ce qui lui forme un trône élevé. L'Esprit.Saint, en effet, s'exprime ainsi par la bouche d'Isaïe: «Voici ce que dit le Très-Haut, qui habite au plus haut des cieux, dont le nom est l'Eternel: Le Seigneur Très-Haut a son repos dans les saints 3». Il explique lui-même cette expression, qu'il habite au plus haut des cieux, en ajoutant, d'une manière plus claire, qu'il a son repos dans les saints. Mais quels sont les saints, sinon les humbles, sinon les enfants -qui louent le Seigneur? Aussi le Prophète nous dit-il qu'il grandit les âmes pusillanimes, et qu'il donne la vie aux humbles de coeur. Ces âmes timides qu'il grandit sont donc les saints, en qui il repose; car, en leur donnant la grandeur, il les élève; puis, reposant en eux il habite les hauteurs. Et en retour, comme il donne la grandeur aux humbles, il voit l'humilité dans ces mêmes hauteurs qu'il habite. Mais, dit le Prophète, «Dieu regarde les humbles dans le ciel et sur la terre».

1. Ps 112,4. - 2. Ps 112,5-6. - 3. Ps 112,5-6.

621

5. Il nous engage ainsi à examiner si les humbles du ciel sont les humbles de la terre, ou bien s'il y a humilité dans le ciel et humilité sur la terre, pour fixer les regards du Seigneur notre Dieu. Si ces humbles sont les mêmes, je vois comment je dois les entendre d'après ces paroles de saint Paul: «Quoique nous vivions dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair; les armes de notre milice ne sont point charnelles, mais puissantes en Dieu 1». D'où leur vient la puissance, sinon de ce qu'elles sont spirituelles? Dès lors que saint Paul, tout en vivant dans sa chair, combat d'une manière spirituelle, ne nous étonnons pas que Dieu regarde son humilité, et dans le ciel à cause de la liberté de son esprit, et sur la terre à cause de sa servitude corporelle. Car le même Apôtre dit ailleurs: «Notre conversation est dans le ciel 2»; lui qui dit encore: « Il me serait très-avantageux d'être délié pour être avec le Christ, mais il est nécessaire pour vous que je demeure en la chair 3». Quiconque dès lors comprend et que la conversation de l'Apôtre soit dans le ciel, et qu'il demeure néanmoins ici-bas, doit comprendre aussi que Dieu habitant dans les saints les plus élevés, voit dans ces mêmes saints des esprits qui s'humilient devant lui, et dans le ciel, puisque, ressuscités par l'espérance en Jésus-Christ', ils goûtent les choses du ciel; et sur la terre, puisqu'ils ne sont pas délivrés des liens de la chair, et ne peuvent être complètement à Jésus-Christ. Mais si le Seigneur notre Dieu voit une autre humilité dans le ciel, et une autre humilité sur la terre, je crois alors qu'il voit dans le ciel ceux qu'il a appelés, et en qui il habite, et sur la terre ceux qu'il appelle afin d'habiter en eux. Il possède les premiers tout absorbés dans les biens célestes, et il stimule les seconds qui rêvent encore les biens de la terre.

6. Mais comme il est difficile que l'on puisse appeler humbles ceux qui n'ont point encore pieusement courbé leurs épaules sous le joug suave du Seigneur, et que dans tout le psaume les saintes lettres nous avertissent d'appliquer aux saints cette expression d'humbles, on pourrait donner un autre sens que votre charité voudra bien examiner avec moi. Il me semble que les cieux signifient ici ceux

1. 2Co 10,3-4. - 2. Ph 3,20. - 3. Ph 1,23-24. -4 Col 3,1.

qui seront assis sur des trônes pour juger avec le Seigneur 1, et que le nom de terre désigne ce grand nombre d'élus qui seront à droite, et applaudis à cause de leurs oeuvres de charité, et reçus dans les tabernacles éternels par les amis qu'ils se sont faits eu cette vie mortelle, avec la monnaie de l'iniquité 2. C'est à eux que l'Apôtre a dit: «Si nous avons semé parmi vous des biens spirituels, est-ce donc beaucoup de recueillir de vos biens terrestres 3?» Dieu donc regarde dans le ciel ceux qui sèment des biens spirituels, et sur la terre ceux qui rétribuent avec les biens du temps; mais c'est l'humilité chez les uns, et l'humilité chez les autres. «Dans le ciel et sur la terre il regarde les humbles» car les uns et les autres ont compris ce qu'ils étaient par leur propre malice, et ce que Dieu les a faits par sa grâce. Car ce n'est pas seulement aux fidèles que le vase d'élection a dit: «Vous étiez autrefois ténèbres, maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 4»; et encore: «C'est la grâce qui vous a sauvés par la foi, et cela ne vient pas de vous, c'est un don de Dieu, et qui ne vient pas des oeuvres, afin que nul ne se glorifie»; puis, s'unissant lui-même au commun des fidèles, il ajoute: «Nous sommes l'ouvrage de Dieu, créés dans les bonnes oeuvres». Il dit encore de lui en particulier, comme des autres que Dieu regarde du haut du ciel: « Nous étions, nous aussi, par nature enfants de colère comme les autres 5». Et ensuite : «Nous aussi, en effet, nous étions insensés et incrédules, égarés, asservis à toutes sortes de passions et de voluptés, agissant avec malignité et envie, digues d'être haïs et nous haïssant les uns les autres. Mais depuis que la bénignité et la tendresse de Dieu notre Sauveur a paru, il nous a sauvés, non à cause des oeuvres de justice que nous avons faites, mais par sa miséricorde, en nous faisant renaître, par le baptême 6». Voilà ces actes d'humilité que Dieu voit du haut du ciel. Tels sont les hommes spirituels qui jugent de toutes choses 7,mais humbles toutefois, de peur que Dieu ne les abaisse et ne les juge. Et en parlant particulièrement de lui-même, l'Apôtre ne tient-il pas le même langage? «Je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, nous dit-il, parce que j'ai persécuté

1. Mt 19,28. - 2. Lc 16,9.- 3. 1Co 9,11.- 4. Ep 5,8.- 5. Ep 2,3-10. - 6. Tt 3,3-5. - 7. 1Co 2,19.


l'Eglise de Dieu 1; mais j'ai obtenu miséricorde, parce que je l'ai fait dans l'ignorance et dans l'incrédulité 2».

7. Après nous avoir dit dans les versets précédents: «Qui est semblable au Seigneur notre Dieu, lequel habite les hauteurs et jette les yeux sur les humbles au ciel et en la terre?» le Saint-Esprit, voulant nous montrer pourquoi ce nom d'humble dans le ciel, tandis que les hommes ainsi désignés sont grands, sont justes et dignes de s'asseoir sur des trônes pour juger, ajoute aussitôt: «C'est lui qui relève le pauvre de sa poussière, et l'indigent de son fumier, afin de le placer avec les princes, les princes de son peuple 3». Ainsi élevés en honneur, qu'ils ne dédaignent plus d'humilier leurs têtes sous la main de Dieu. Si d'une part, en effet, le dispensateur fidèle de l'argent de son maître est placé avec les princes du peuple de Dieu, s'il doit avoir place sur les douze trônes et juger les anges mêmes 4; d'autre part, néanmoins, le pauvre est relevé de la poussière, et l'indigent de son fumier. N'a-t-il pas été relevé de son fumier, cet homme asservi aux convoitises et aux voluptés de toutes sortes? Mais peut-être qu'en parlant de la sorte, le Prophète n'était plus pauvre, n'était plus indigent. Pourquoi donc gémit-il sous son fardeau, aspirant à se revêtir de cette gloire qui est dans le ciel? Pourquoi est-il souffleté de peur qu'il ne s'élève, et soumis à l'ange de Satan par l'aiguillon de sa chair 5. Il est grand, sans doute, puisque le Seigneur habite en lui, puisqu'il possède ce même esprit qui pénètre tout, même les profondeurs de Dieu 6: il est donc dans le ciel, mais c'est dans le ciel aussi que Dieu regarde ce qui est humble,

1. 1Co 15,9.- 2. 1Tm 1,13.- 3. Ps 112,7-8.- 4. Mt 19,28. - 5. 1Co 11,7. - 6. 1Co 2,10.

8. Quoi donc I mes frères, si déjà nous avons entendu que ce qui est humble dans le ciel a été tiré du fumier, pour être placé avec les princes du peuple, n'est-il fait aucune mention de tout ce qui est humble, et que Dieu regarde sur la terre? Ces amis, qui doivent juger avec le Seigneur, sont moins nombreux, en effet, que ceux qu'ils recevront dans les tabernacles éternels. Quoique la masse du bon grain soit petite, en comparaison de la paille qui en est séparée; considérée en elle-même, elle est néanmoins abondante. «Les enfants de l'épouse abandonnée sont plus nombreux que ceux de l'épouse qui a un mari 1». Les enfants de celle qui a enfanté par la grâce et dans sa vieillesse sont plus nombreux que les enfants de celle qui, dès son jeune âge, s'est unie à un époux par le lien de la loi. Je dis qu'elle a conçu dans sa vieillesse; puisque Sara, notre mère, est devenue, à cause du seul Isaac, mère de tous les fidèles répandus par toutes les nations. Or, voyez la femme dont parle Isaïe: on dirait qu'elle n'est point mère et qu'elle n'a point d'enfants. Et pourtant, que va-t-on lui dire: «Les enfants que tu avais perdus te diront à l'oreille: La demeure est trop étroite, faites-nous une enceinte plus vaste et que nous puissions habiter. Et toi, tu diras dans ton coeur: Qui m'a donné ces enfants, car je sais que j'étais veuve et sans enfants? Qui me les a nourris? J'étais seule, j'étais abandonnée. D'où me sont-ils venus?» Tel est en partie le langage de l'Eglise, qui paraît stérile aussi, dans ces mêmes foules qui n'ont pas encore tout abandonné pour suivre le Seigneur, et s'asseoir sur douze trônes. Mais dans ces mêmes foules, combien n'est-il pas de ces hommes qui se sont fait des amis avec la monnaie de l'iniquité, et qui siégeront à la droite à cause des oeuvres de miséricorde? Non-seulement, donc, le Seigneur élève de son fumier le pauvre qui doit être placé avec les princes de son peuple; mais encore: « Il fait habiter dans la maison la femme stérile, et lui donne la joie des mères. Ce même Dieu qui habite les hauteurs, et regarde ce qu'il y a d'humble dans le ciel et sur la terre»; c'est-à-dire cette race d'Abraham, nombreuse comme les étoiles du ciel, dans ces mêmes saints qui siégent sur les trônes les plus sublimes; et comme le sable des bords de la mer, dans cette multitude sans nombre d'hommes au coeur miséricordieux, et qui doivent être séparés des flots de la gauche, flots d'amertume et d'impiété.

1 Is 54,1.




Augustin, les Psaumes 111