Augustin, Epitre Jean 300

TROISIÈME TRAITÉ. (Chap. 2,18-27) L'ANTÉCHRIST.

300 DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES: «MES PETITS ENFANTS, VOICI LA DERNIÈRE HEURE», JUSQU'A CES AUTRES: «SON ONCTION VOUS ENSEIGNE TOUT». 1Jn 2,18-27

Puisque nous avons trouvé en Jésus-Christ une nouvelle vie, nous devons aussi prendre en lui de l'accroissement, c'est-à-dire, apprendre à le connaître, non-seulement comme homme, mais aussi comme Dieu. Efforçons-nous d'acquérir cette science, car il y a au milieu de nous des antéchrists qui pourraient nous séduire par leurs paroles et surtout par leurs exemples, qui nient la divinité du Sauveur soit doctrinalement soit en pratique. Si nous tenons ferme à ce que la foi nous enseigne relativement au Christ, nous aurons à lutter, mais nous recevrons, pour récompense, la vie éternelle.

301 1. «Mes petits enfants, voici la dernière heure» 1Jn 2,18). Dans cette leçon, l'Apôtre s'adresse à ses disciples, comme à de petits enfants, qu'il exhorte à grandir vite, parce que la dernière heure approche. Le développement du corps est indépendant de la volonté humaine; aussi ne grandit pas corporellement qui veut, comme on ne vient pas au monde au gré de sa volonté; mais quand on est libre de naître, on peut aussi librement prendre de l'accroissement. Aucun homme ne puise la vie dans l'eau et l'Esprit-Saint, à moins qu'il n'y consente; d'où il suit que croître et décroître dépendent de sa volonté. Qu'est-ce que croître? c'est avancer. Et décroître? c'est reculer. Quiconque sait qu'il a pris naissance, doit savoir qu'il est un enfant, et même un enfant en bas âge; qu'il suce évidemment les mamelles de sa mère, et aussitôt il grandira; sa mère, c'est l'Eglise, et les mamelles de sa mère ne sont autres que les deux Testaments des divines Ecritures. Voilà où il nous faut puiser le lait de toutes les merveilles opérées dans le temps pour notre salut, afin que, nourris et fortifiés, nous parvenions à recevoir le nutritif aliment dont il est dit: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (Jn 1,1)». Le Christ abaissé, voilà notre lait; le même Christ égal au Père, voilà notre aliment solide. Il te donne d'abord du lait, afin de pouvoir, un jour, te donner du pain; car toucher par le coeur et spirituellement Jésus, c'est apprendre qu'il est égal au Père.

302 2. Aussi le Sauveur empêchait-il Marie de le toucher, et lui disait-il: «Ne me touche point, car je ne suis pas encore remonté vers mon Père». Eh quoi! il avait permis à ses Apôtres de le toucher, et il empêche Marie d'en faire autant? N'est-il pas celui-là même qui a dit au disciple incrédule: «Mets tes doigts, et touche mes plaies (Jn 20,17 Jn 20,27)?» Alors était-il déjà remonté vers son Père? Pourquoi donc arrêter Marie et lui dire: «Ne me touche point, car je ne suis pas encore remonté vers mon Père?» Dirons-nous qu'il n'a pas craint le contact des hommes, mais qu'il a redouté celui des femmes? Pour n'importe qui, le toucher, c'est se purifier. A-t-il craint de se laisser toucher par ceux qu'il a voulu rendre les premiers témoins de sa résurrection? Ne l'a-t-il pas fait connaître aux hommes par l'intermédiaire des femmes, afin de vaincre le serpent par un procédé tout différent du sien? En effet, comme une femme a donné au premier homme la nouvelle de la mort, ainsi une autre femme a-t-elle donné aux hommes la nouvelle de la vie. Si donc le Christ n'a point permis à Madeleine de le toucher, n'est-ce pas évidemment parce qu'il voulait faire allusion à son contact spirituel? Un tel contact vient d'un coeur pur, et celui-là touche le Christ, avec un coeur pur, qui le regarde comme égal au Père. Pour l'homme qui n'a pas encore l'idée de la divinité du Christ, il est près de l'humanité du Sauveur, mais il se trouve encore loin de sa divinité. Est-ce chose merveilleuse de parvenir où sont parvenus les bourreaux qui l'ont crucifié? Voici qui est admirable; comprendre que le Verbe Dieu était en Dieu au commencement, et qu'il a fait toutes (182) choses; avoir de lui l'idée qu'il voulait en donner, lorsqu'il disait à Philippe: «Philippe, je suis avec vous depuis si longtemps, et vous ne me connaissez pas encore? Celui qui me voit voit aussi mon Père (Jn 14,9)».

303 3. Pour qu'aucun d'entre vous ne soit lent à marcher, écoutez bien ceci: «Mes petits enfants, voici la dernière heure» (1Jn 2,18). Marchez, courez, grandissez; voici la dernière heure. Cette dernière heure est de longue durée, mais enfin elle est la dernière. Sous le nom d'heure, Jean désigne les derniers temps, car c'est dans les derniers temps que viendra Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais, dira quelqu'un, comment sont-ce les derniers temps? comment est-ce la dernière heure? Il est sûr que d'abord l'antéchrist viendra, et qu'alors luira le jour du jugement. L'Apôtre a prévu cette objection; afin de ne pas laisser les hommes dans une trompeuse sécurité, pour ne pas les laisser croire que l'heure présente n'est pas la dernière heure, sous prétexte que l'antéchrist viendra auparavant, il leur dit: «Et comme vous avez ouï dire que l'antéchrist doit venir, maintenant aussi il y a plusieurs antéchrists». Pourrait-il y avoir beaucoup d'antéchrists, si la dernière heure n'était pas déjà venue?

304 4. A qui Jean donne-t-il le nom d'antéchrist? Il continue et s'explique: «Ce qui nous fait connaître que voici la dernière heure» (1Jn 2,18). Qu'est-ce qui nous le fait connaître? c'est que plusieurs sont devenus des antéchrists: «Ils sont sortis du milieu de nous» (1Jn 2,19). Nous déplorons ce malheur. Mais voici le motif, de nous consoler: «Mais ils n'étaient pas des nôtres». Tous les hérétiques, tous les schismatiques sont sortis du milieu de nous; c'est-à-dire ils sortent de l'Eglise, mais ils n'en sortiraient pas s'ils étaient des nôtres. Donc, avant d'en sortir, ils n'étaient déjà pas des nôtres; et si, avant d'en sortir, ils n'étaient pas des nôtres, il y en a plusieurs dans nos rangs qui n'en sont pas sortis et qui sont néanmoins des antéchrists. Nous osons tenir ce langage; pourquoi? sinon afin qu'aucun de ceux qui se trouvent parmi nous ne soit un antéchrist? L'Apôtre décrira le caractère des antéchrists, et les désignera clairement, et alors nous les connaîtrons. Et chacun de nous doit interroger sa conscience, et se demander s'il est un antéchrist. En latin, ce mot veut dire: adversaire du Christ. Quelques-uns lui attribuent un sens différent, et tirent son étymologie de ce qu'il doit précéder le Christ, et de ce que le Christ viendra après lui; mais ce mot ne doit ni s'interpréter, ni s'écrire en ce sens, mais bien en celui-ci: antéchrists, c'est-à-dire ennemi du Christ. Quel est l'ennemi du Christ? D'après les signes qu'en donne l'Apôtre, vous le voyez, et vous comprenez que l'Antéchrist seul peut sortir de nos rangs; quant à ceux qui ne sont point opposés au Christ, ils ne peuvent nullement le faire. Quiconque n'est pas l'adversaire du Christ, ne fait qu'un avec son corps et compte parmi ses membres, et jamais les membres ne sont opposés l'un à l'autre; l'ensemble du corps se compose d'eux tous. Que dit l'Apôtre de leur mutuelle union? «Dès qu'un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui, et si un membre reçoit de l'honneur, tous les autres se réjouissent avec lui (1Co 12,26)». Si tous les membres se réjouissent, lorsqu'un d'entre eux reçoit de l'honneur, et si tous partagent les douleurs de celui qui souffre, ils sont entre eux si intimement unis, qu'on n'y remarque aucun antéchrist. Il en est qui se trouvent dans l'intérieur du corps de Jésus-Christ; car son corps est encore sujet à l'infirmité, et il ne jouira d'une santé parfaite qu'à la résurrection des morts; il en est, dis-je, qui se trouvent dans l'inférieur du corps de Jésus-Christ, comme de mauvaises humeurs. Quand le corps les évacue, il se porte mieux; de même en est-il des méchants: lorsque l'Eglise les rejette de son sein, elle se voit plus robuste. Au moment où le corps se débarrasse de ces humeurs malsaines et les rejette au loin, le corps tient ce langage: Elles sont sorties de mon sein, mais elles ne faisaient point partie de moi. Qu'est-ce à dire: Elles ne faisaient point partie de moi? Elles n'ont pas été retranchées de mon corps, mais elles me serraient la poitrine, lorsqu'elles s'y trouvaient. (183)

305 5. «Ils sont sortis du milieu de nous, mais ne vous attristez pas, ils n'étaient point de nous». La preuve? «Car s'ils avaient été de nous, ils seraient demeurés avec nous» (1Jn 2,199. Que votre charité le remarque donc: il y en a plusieurs qui ne sont pas de nous et qui, néanmoins, reçoivent avec nous les sacrements, le Baptême, ce que les fidèles savent recevoir, la Bénédiction, l'Eucharistie, et tout ce qui se trouve dans les saints sacrements; ils entrent, avec nous, en participation de l'autel lui-même, et ils ne sont pas d'avec nous. Qu'ils ne soient pas d'avec nous, il est facile d'en trouver la preuve au moment où la tentation les éprouve. Quand elle fond sur eux, ils s'envolent au dehors, comme si le vent les emportait, parce qu'ils ne sont pas du grain. Nous devons le leur répéter souvent, ils s'envoleront tous, lorsque au jour du jugement le Seigneur viendra vanner ce que renferme son aire. «Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n'étaient point de nous; s'ils avaient été de nous, ils seraient demeurés avec nous». Voulez-vous, mes très-chers, vous convaincre de l'indubitable certitude avec laquelle on peut vous dire que ceux qui sont sortis de nos rangs pour y rentrer ensuite, ne sont ni des antéchrists, ni, par conséquent, des adversaires du Sauveur? Il est impossible à ceux qui ne sont pas des antéchrists de rester loin de nous. C'est par un effet de sa volonté propre que chacun de nous est contre le Christ ou pour le Christ; nous sommes du nombre de ses membres, ou nous faisons partie des mauvaises humeurs de son corps. Quiconque devient meilleur est un de ses membres, mais l'on se transforme en humeurs mauvaise:, en persévérant dans le mal, et sitôt que l'on s'écarte du corps, ceux que l'on gênait se trouvent soulagés. «Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n'étaient point de nous; s'ils avaient été de nous, ils seraient demeurés avec nous; mais c'est afin qu'on reconnaisse que tous ne sont pas de nous». Jean ajoute «Afin qu'on reconnaisse que tous ne sont pas de nous»; car ils ont beau se trouver dans nos rangs, ils ne sont pas de nous; tant qu'ils y restent, on ne les connaît pas, mais on les connaît dès qu'ils en sortent. «Pour vous, vous avez reçu l'onction du Saint, afin devons connaître parfaitement les uns les autres». L'onction spirituelle n'est autre que le Saint-Esprit, et son sacrement consiste dans l'onction extérieure. Suivant l'Apôtre, tous ceux qui ont reçu cette onction du Christ connaissent les boas et les méchants; pas n'est besoin. pour eux qu'on les instruise à ce sujet; ils trouvent dans l'onction la source même de la science.

306 6. «Je ne vous écris pas comme à des hommes qui ignorent la vérité, mais comme à des hommes qui la connaissent et qui savent que nul mensonge ne peut venir de la vérité» (1Jn 2,21). Nous sommes avertis: voilà comment nous reconnaissons l'antéchrist. Qu'est le Christ? La vérité; car il a dit lui-même: «Je suis la Vérité (Jn 14,6)». Or, «nul mensonge ne peut venir de la vérité». Aussi, tous ceux qui mentent n'appartiennent-ils pas encore au Christ. Jean ne dit point: Quelque mensonge vient de la vérité; il y a quelques mensonges qui ne viennent pas de la vérité. Remarquez bien la portée de ses paroles: ne vous caressez pas, ne vous flattez pas, ne vous trompez pas, ne vous laissez pas tomber dans l'illusion: «Nul mensonge ne peut venir de la vérité. Comme il y a des mensonges de plus d'une sorte», voyons comment les antéchrists peuvent mentir. «Qui est menteur, sinon celui qui nie que Jésus soit le Christ?» (1Jn 2,22). Autre est la signification du mot Jésus, autre celle du mot Christ: quoique notre Sauveur Jésus-Christ ne soit qu'une seule personne, le nom de Jésus lui appartient néanmoins en propre. Comme Moïse, Elie, Abraham, ont eu leur nom particulier, ainsi Notre-Seigneur a-t-il en propre celui de Jésus: celui de Christ s'applique à une chose mystérieuse. De même qu'on dit un prophète, un prêtre; de même, en prononçant le mot Christ, c'est comme si l'on disait: Un homme oint, qui doit sauver tout le peuple d'Israël. La nation juive attendait la venue de ce Christ; et parce qu'il est venu sans apparat, elle ne l'a pas reconnu; parce qu'il était une petite pierre, elle s'est buttée contre lui, et brisée. La pierre a grossi, elle est devenue une montagne immense (Da 2,35). Que dit à son sujet l'Écriture? «Quiconque heurtera cette pierre, s'y brisera, et elle écrasera celui sur qui elle tombera (Lc 20,18)». Remarquez bien ces paroles: La pierre brisera celui qui se buttera contre elle, et elle écrasera celui sur qui elle tombera. Pour commencer, et parce que le Sauveur avait apparu tout petit, les hommes l'ont heurté: plus tard, il viendra dans l'éclat de sa grandeur, pour juger le monde, et alors il écrasera celui sur qui il tombera. A son second avènement, il n'écrasera pas celui qu'il n'aura pas brisé lors de sa première venue. Quiconque ne l'aura pas heurté au temps de son humiliation, ne le redoutera pas au temps de sa grandeur. Le Christ est une pierre de scandale (184) pour tous les méchants: quoi qu'il dise, ses paroles leur déplaisent.

307 7. Ecoutez-moi, je vous en donnerai la preuve. Evidemment, tous ceux qui sortent de l'Eglise, qui sont retranchés de l'unité de l'Eglise, sont des antéchrists; personne ne peut en douter: Jean en a fait la déclaration formelle: «Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n'étaient pas de nous; car, s'ils avaient été de nous, ils seraient demeurés avec nous». Tous ceux qui ne demeurent pas avec nous, mais qui sortent du milieu de nous, sont donc des antéchrists. Et où se trouve la preuve qu'ils sont des antéchrists? Dans leur mensonge. «Qui est menteur, sinon celui qui nie que Jésus soit le Christ?» (1Jn 2,22) Interrogeons les hérétiques: lequel d'entre eux nie que Jésus soit le Christ? Que votre charité remarque un grand mystère. Faites attention à ce que le Seigneur Dieu nous aura inspiré, à ce que je voudrais vous faire comprendre. Il en est qui sont sortis de nous, pour devenir les Donatistes. Nous leur demandons si Jésus est le Christ, et aussitôt ils avouent que Jésus est le Christ. Si, pour être antéchrist, il faut nier que Jésus soit le Christ, les Donatistes ne peuvent nous regarder comme des antéchrists, et il nous est tout aussi impossible de formuler contre eux pareille accusation, parce que nous sommes les uns et les autres unanimes à déclarer que Jésus est le Christ. S'ils ne nous désignent pas sous le nom d'antéchrists, et si nous ne leur donnons pas davantage cette épithète, ils ne se sont donc pas plus éloignés de nous, que nous ne nous sommes éloignés d'eux. Et puisque nous ne sommes point séparés les uns des autres, nous sommes en communauté de croyances; dès lors, à quoi bon deux autels dans cette ville? Pourquoi les familles et les ménages sont-ils divisés? Pourquoi un lit commun et deux Christs? L'Apôtre nous avertit; il veut que nous confessions la vérité. Ou bien les Donatistes sont sortis de nos rangs, ou bien nous sommes sortis des leurs. Mais non, nous ne venons pas d'eux, car nous possédons le titre de l'hérédité du Sauveur: nous le lisons, et nous nous y trouvons désignés: «Je te donnerai les nations pour héritage, et la terre pour empire (Ps 2,8)». On voit chez nous l'héritage du Christ; on ne le voit pas chez les Donatistes: ils ne sont pas en communion avec l'univers, avec tous ceux que le Sauveur a rachetés au prix de son sang. Nous avons pour nous Notre-Seigneur lui-même, car après sa résurrection, ses disciples étant plongés dans le doute, il se montra à eux et leur donna la facilité de le toucher; et comme leur doute ne se dissipait point, il leur dit: «Il fallait que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât le troisième jour, et qu'on prêchât en son nom la pénitente et la rémission des péchés». En quel endroit? par où? à qui? «A toutes les nations, en commençant par Jérusalem (Lc 24,46-47)». Nous sommes tranquilles: l'unité de l'héritage nous appartient. Quiconque n'est pas en communion avec cet héritage, en est sorti.

308 8. Mais ne nous affligeons pas: «Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n'étaient pas de nous, car s'ils avaient été de nous, ils seraient demeurés avec nous» (1Jn 2,19). S'ils nous ont quittés, ils sont donc des antéchrists; s'ils sont des antéchrists, ils sont des menteurs; s'ils sont des menteurs, ils nient que Jésus soit le Christ (cf 1Jn 2,22). Nous revenons de nouveau à la difficulté proposée. Interroge-les tous, les uns après les autres: en Jésus, ils reconnaissent le Christ. Les termes dont Jean se sert, ne nous laissent pas le champ libre; ils sont trop précis pour cela. Vous apercevez certainement la difficulté: pour nous comme pour eux, elle est un sujet de trouble, si nous n'en avons pas une idée claire. Ou c'est nous qui sommes des antéchrists, ou ce sont les Donatistes: ils nous appliquent cette dénomination, et disent que nous nous sommes séparés d'eux: de notre côté, nous agissons de même à leur égard; mais l'épître indique le caractère distinctif des antéchrists. Celui-là en est un, qui nie que Jésus soit le Christ (1Jn 2,22). Cherchons donc à savoir qui lui refuse ce titre: ne nous arrêtons pas aux mots: allons droit aux faits. Car, interrogeons-les tous, et tous d'une seule voix, ils nous répondront que Jésus est le Christ. Laissons, pour un moment, leurs langues en paix, examinons leurs oeuvres. Si nous parvenons à nous assurer de ce que dit l'Écriture, à savoir qu'on peut nier une chose, non-seulement par parole, mais encore par action, nous constaterons, de manière à n'en pas douter, que beaucoup d'antéchrists confessent de bouche le Christ, tandis que, par leur conduite, ils le renient. En quel endroit de l'Écriture trouvons-nous cette sentence? Écoute l'apôtre Paul; en parlant de tels hommes, il a dit: «Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs oeuvres (Tt 1,16)». Nous voyons qu'ils sont eux-mêmes des antéchrists, car quiconque renonce le Christ par sa conduite, en est un. Je n'entends pas ce qu'il dit, mais je vois ce qu'il fait. Ses oeuvres parlent, et nous lui demandons des paroles? Où est, en effet, le méchant qui ne cherche pas à dire de belles choses? Mais qu'est-ce que le Seigneur dit à des gens de ce caractère? «Hypocrites, comment pourriez-vous dire de bonnes choses, puisque vous êtes méchants (Mt 12,31)?» Vous faites retentir à mes oreilles les accents de votre voix; moi, j'examine vos pensées secrètes; j'aperçois en vous des intentions perverses et vous me faites voir des fruits trompeurs. Je sais quelle récolte vous me préparez; on ne cueille point de figues sur des chardons, et les épines n'ont jamais produit de raisins: on reconnaît tous les arbres à leurs fruits (Mt 7,16). Plus menteur est l'antéchrist, qui fait profession de reconnaître le Christ en Jésus, et qui, par ses actes, refuse de le croire. Il est un menteur, puisqu'il parle d'une manière et agit d'une autre.

309 9. Par conséquent, mes frères, si nous examinons la conduite des hommes, nous remarquons non-seulement qu'un grand nombre d'antéchrists sont déjà sortis de nos rangs, mais aussi que beaucoup sont encore inconnus, parce qu'ils sont restés, jusqu'à présent, au milieu de nous; car, tout ce qu'il y a dans l'Église de parjures, de fraudeurs, de scélérats, d'amateurs de sortilèges, d'adultères, d'ivrognes, d'usuriers, d'embaucheurs, de personnes mauvaises qu'il nous est impossible d'énumérer, est opposé à la doctrine du Christ, à la parole de Dieu; or, le Verbe de Dieu, c'est le Christ, et tout ce qui est opposé au Verbe de Dieu appartient à l'antéchrist, puisque l'antéchrist est l'adversaire du Christ. Et voulez-vous savoir combien ouvertement les méchants résistent au Christ? Il arrive parfois qu'ils agissent contrairement à leurs devoirs, et que leurs fautes attirent une réprimande: n'osant blasphémer contre le Christ, ils blasphèment contre ses ministres, qui les reprennent de leurs péchés. Montre-leur que tu leur parles au nom du Christ, et non pas au tien; ils s'efforcent, autant que possible, de te prouver que tes reproches viennent de toi, et non du Christ; mais si tu parviens à leur démontrer que le Christ lui-même les condamne, ils s'en vont même contre lui, et commencent à le gourmander; ils s'écrient: Comment et pourquoi nous a-t-il ainsi bâtis? Ne tiennent-ils pas, tous les jours, ce langage, les hommes condamnés par leur conduite? Pervertis par le seul fait de leur mauvais vouloir, ils en rejettent la faute sur leur auteur. Du haut du ciel, le Créateur (car celui qui a réparé notre être nous l'a aussi donnée), leur crie: Que t'ai-je fait? J'ai fait l'homme, et non pas l'avarice; j'ai fait l'homme, et non le brigandage; j'ai fait l'homme, et non l'adultère. Tu l'as entendu: mes oeuvres chantent ma gloire; de la bouche des trois enfants sortait la louange de celui qui les préservait des flammes (Da 3,24-90). Les oeuvres du Seigneur publient ses louanges; le ciel, la terre, la mer les publient, comme aussi tout ce qui est dans le ciel; les anges, les étoiles, le soleil et la lune, les poissons, les oiseaux, les animaux, les reptiles, tous les êtres louent le Seigneur. Mais as-tu jamais entendu dire que l'avarice chante la gloire de Dieu, que l'ivrognerie, la luxure, le badinage soient un hymne en son honneur? Rien de ce que tu n'entends pas louer le Tout-Puissant, n'a été fait par lui. Corrige le fruit de tes oeuvres, et tu sauveras l'oeuvre de Dieu en toi. Si tu n'y veux consentir, si tu aimes tes défauts et que tu t'y abandonnes, tu es opposé au Christ. Que ce soit intérieurement, que ce soit à l'extérieur, peu importe, tu n'en es pas moins un antéchrist: que tu sois de la paille manifestement ou d'une manière occulte, tu es toujours de la paille. Pourquoi ne l'es-tu pas ouvertement? parce que la tempête ne s'est pas élevée pour le faire voir.

310 10. Tout cela, mes frères, est clair comme le jour. Voici maintenant pour nous empêcher de dire: Je n'adore pas le Christ, mais j'adore Dieu, son Père: «Quiconque nie le Fils, ne reconnaît ni le Fils, ni le Père; et qui confesse le Fils, reconnaît et le Père et le Fils» (1Jn 2,23). Vous, qui êtes froment, c'est à vous qu'il s'adresse: puissent ceux qui sont paille, l'entendre et devenir eux-mêmes froment. Que quiconque, en examinant sa (186) conscience, se reconnaît comme amateur du monde, se convertisse; qu'il devienne un amateur du Christ, pour ne pas être un antéchrist. Si l'on dit à un amateur du monde qu'il est un antéchrist, il se met en colère et regarde comme une injure à lui faite ce qu'on lui dit; peut-être va-t-il jusqu'à menacer de faire inscrire la personne qui conteste avec lui et l'appelle antéchrist. Le Christ lui dit Sois patient; si ce qu'on te reproche est faux, réjouis-toi avec moi, car j'ai été moi-même calomnié par des antéchrists: si, au contraire, ce que tu as entendu est vrai, attaque ta conscience; tu redoutes les accusations, crains davantage encore de les mériter.

311 11. «Que tout ce que vous avez appris dès le commencement demeure donc toujours en vous. Et si ce que vous avez appris dès le commencement demeure en vous, vous demeurerez aussi dans le Fils et dans le Père. C'est ce que lui-même nous a promis» (1Jn 2,24-25). Peut-être chercherais-tu une récompense et dirais-tu: Je garde soigneusement en moi le dépôt de ce que j'ai entendu dès le commencement, je m'y conforme; les périls, les peines, les tentations, je supporte tout pour le conserver intact. Quel bénéfice, quelle récompense en aurai-je? Qu'est-ce que Dieu me donnera plus tard pour avoir supporté ici-bas tant d'épreuves? Je ne vois pas qu'il y ait sur la terre la moindre tranquillité: le corps appesantit l'âme et cette enveloppe corrompue l'entraîne à des choses indignes d'elle; mais je supporte tout, afin que demeure en moi ce que j'ai entendu dès le commencement, et que je puisse dire à mon Dieu: «A cause des paroles sorties de votre bouche, j'ai suivi des voies difficiles (Ps 16,4)». Pour quelle récompense? Ecoute, et ne perds pas courage. Si la tribulation t'énervait, que, du moins, la récompense promise te rende ton courage. Celui qui travaille dans une vigne perd-il jamais le souvenir du salaire final? Fais en sorte qu'il n'y pense plus, et par là même tu lui casseras les bras. Le souvenir de la rémunération promise donne le courage de persévérer dans le travail, et, pourtant, celui qui te l'a promise est un homme; il peut manquer à sa parole. Combien plus courageux tu dois être à cultiver le champ du Seigneur, puisque tu as reçu la parole de la vérité même, qui ne peut avoir de remplaçant, qui est incapable de mourir ou de tromper ceux à qui elle a fait une promesse? Et qu'est-ce qui t'a été promis? Voyons: quel est l'objet de ses promesses? Est-ce de cet or que les hommes aiment si vivement, ou de l'argent? Sont-ce des propriétés pour l'acquisition desquelles les hommes sacrifient leur or, quoiqu'ils l'aiment tant? Sont-ce d'agréables prairies, de vastes habitations, des esclaves en grand nombre, des troupeaux immenses? Ce n'est point là la digne récompense qu'il nous promet pour nous faire persévérer dans le travail. Quel est son nom? La vie éternelle. Vous l'avez entendu et vous avez jeté un cri d'allégresse: portez vos affections sur ce qu'on vient de vous nommer, et tirez-vous de vos épreuves pour vous reposer dans la quiétude de l'éternelle vie. Voilà donc ce que Dieu a promis, une vie qui ne finira jamais. Voici ce dont il nous menace: un feu qui ne s'éteindra pas. Que dira-t-il aux hommes placés à sa droite? «Venez, bénis de mon Père, entrez en possession du royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde». Et, aux hommes placés à sa gauche? «Allez au feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges (Mt 25,31-41)». Tu n'aimes pas encore le royaume des élus, crains du moins le séjour des damnés.

312 12. Souvenez-vous donc, mes frères, que le Christ nous a promis la vie éternelle. Voilà, nous dit l'Apôtre, «ce qu'il nous a lui-même promis en nous annonçant la vie éternelle. J'ai cru devoir vous écrire ceci à l'égard de ceux qui vous séduisent» (1Jn 2,25-26). Que personne ne vous séduise pour vous faire mourir; désirez voir s'accomplir pour vous la promesse de la vie éternelle. Que peut vous promettre le monde? Qu'il vous promette ce qu'il voudra, ne mourrez-vous pas peut-être demain? De quel front oseras-tu paraître en présence de l'Eternel? - Mais on me fait des menaces; c'est un homme puissant qui veut me faire du mal.- De quoi te menace-t-il? De la prison, des chaînes, du feu, des tourments, des bêtes? Te menacerait-il du feu éternel? Tremble plutôt en présence des menaces du Tout-Puissant; aime ce qu'il te promet; et, alors, le monde entier te semblera méprisable, soit qu'il veuille te flatter, soit qu'il cherche à t'inspirer de l'effroi. «J'ai cru devoir vous écrire ceci à l'égard de (187) ceux qui vous séduisent, afin que vous sachiez que vous avez reçu l'onction, et que nous conservions en nous cette onction que nous avons reçue» (1Jn 2,26-27). C'est le sacrement de l'onction, dont la vertu cachée est l'onction invisible, l'Esprit-Saint: et l'onction invisible n'est autre que la charité; n'importe en qui elle se trouve, elle y est comme une racine que ne peuvent dessécher même les plus ardents rayons du soleil; tout ce qui est bien enraciné puise, non pas un élément de destruction, mais un principe de vie dans la chaleur du soleil.

313 13. «Et vous n'avez pas besoin que quelqu'un vous instruise, parce que son onction vous enseigne tout» (1Jn 2,27). Que faisons-nous donc, mes frères, en vous instruisant? Si l'onction de Dieu vous enseigne tout, ne semblons-nous pas travailler inutilement? Pourquoi tant crier? Abandonnons-nous donc à son onction, et qu'elle vous instruise elle-même. Mais maintenant je me fais une question, et je l'adresse aussi à l'Apôtre: puisse-t-il écouter un enfant qui l'interroge. Je dis donc à Jean: Ceux à qui vous parliez avaient-ils l'onction? Vous avez dit: «Parce que son onction vous enseigne tout» (1Jn 2,27). Pourquoi avez-vous écrit cette épître? Pourquoi instruisiez-vous ceux à qui vous l'adressiez? Pourquoi les enseigner? Pourquoi les édifier? Remarquez ici, mes frères, une grande et mystérieuse chose. Le bruit de nos paroles frappe vos oreilles, mais le maître vous parle intérieurement. N'allez pas vous imaginer qu'un homme puisse en instruire un autre. Nous pouvons, par le son de notre voix, vous adresser des leçons; mais si Dieu n'est pas dans votre coeur pour vous instruire, c'est inutilement que nous nous faisons entendre. En voulez-vous une preuve, mes frères? N'avez-vous pas tous entendu mon discours? Combien, néanmoins, sortiront d'ici sans avoir été instruits? Autant qu'il a dépendu de moi, je me suis adressé à tous; mais ceux à qui cette onction n'aura point parlé, ceux que l'Esprit-Saint n'aura point instruits, s'en retourneront sans m'avoir compris. Au dehors se trouvent des maîtres, des aides, des leçons; mais au ciel est la chaire de celui qui instruit intérieurement; aussi le Sauveur a-t-il dit lui-même dans l'Evangile: «Gardez-vous d'appeler maître sur la terre aucun d'entre vous, car votre Maître, c'est le Christ (Mt 23,8-9)». Qu'il vous parle lui-même au coeur, puisqu'aucun homme ne se trouve là; quand même, en effet, tu aurais quelqu'un à côté de toi, le Christ est seul dans ton coeur. Que ton coeur ne soit pas absolument seul; que le Christ s'y trouve, comme aussi son onction; ainsi, quand ton coeur sera sec, il ne sera pas dans un désert où les eaux capables de le rafraîchir lui feraient défaut. Il y a donc, à l'intérieur, un maître qui instruit: c'est le Christ, c'est son inspiration. Là, où son inspiration et son onction font défaut, les paroles se font inutilement entendre à l'extérieur. Ainsi en est-il, mes frères, de celles que nous faisons parvenir à vos oreilles: à votre égard nous remplissons le rôle du jardinier vis-à-vis de l'arbre: il travaille en dehors de cet arbre; il emploie l'eau et donne une culture soignée; mais il a beau faire extérieurement, forme-t-il les fruits? A-t-il le pouvoir de couvrir la nudité des branches d'un vêtement de feuilles? Est-il capable de faire quoi que ce soit à l'intérieur de cet arbre? Qu'est-ce qui fait tout cela? Ecoutez un jardinier, l'apôtre Paul; voyez ce que nous sommes, apprenez que nous avons un maître au dedans de nous: «J'ai planté, Apollo a arrosé, mais c'est Dieu qui a donné l'accroissement. Celui qui plante n'est rien, non plus que celui qui arrose, mais c'est Dieu qui donne l'accroissement (1Co 3,6-7)». Nous vous parlons donc, et soit que nous plantions en parlant, soit que nous arrosions, nous ne sommes rien; Dieu, qui donne l'accroissement, c'est-à-dire, son onction, qui nous enseigne toutes choses, est tout.


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QUATRIÈME TRAITÉ. (Chap. 2,27-29; 3,4-8) LA FOI, SOURCE DE JUSTICE.

400 DEPUIS LES PAROLES SUIVANTES: «ET ELLE EST LA VÉRITÉ ET NON LE MENSONGE», JUSQU'A CES AUTRES: «ET LE FILS DE DIEU EST VENU DANS LE MONDE POUR DÉTRUIRE LES OEUVRES DU DÉMON». 1Jn 2,27-3,8

Nous n'avons ni vu ni touché Notre-Seigneur; mais ceux qui l'ont touché de leurs mains et vu de leurs yeux nous ont dit ce qu'il est, et, l'onction de l'Esprit-Saint aidant, nous avons cru; et notre foi nous inspirant l'espérance des biens éternels, nous nous efforçons d'accomplir le bien, et, par là, nous devenons enfants de Dieu, parfaits comme Jésus-Christ le juste est parfait, tandis que les méchants restent enfants du démon.

401 1. Vous vous en souvenez, mes frères, la leçon d'hier s'est terminée à cette pensée, que vous n'avez besoin d'être instruits par personne; car l'onction divine vous enseigne tout (1Jn 2,27). Voici donc, et je suis sûr que vous ne l'avez pas oublié, voici comment nous avons développé devant vous cette pensée: Nous nous adressons à vous extérieurement; nos paroles frappent vos oreilles; et, en cela, nous ressemblons à des ouvriers qui donnent à un arbre la culture extérieure, mais qui ne peuvent ni lui donner l'accroissement, ni faire venir aucun fruit; c'est en vain que se font entendre à vous nos discours, si Celui qui vous a créés, rachetés et appelés, qui habite en vos âmes par la foi et par son Esprit, ne vous parle intérieurement. La preuve de ceci? Beaucoup entendent ce qu'on leur dit, mais tous n'en sont pas touchés; il n'y a, pour s'y rendre, que ceux à qui Dieu parle intérieurement. Pour entendre sa voix, il nous faut lui laisser une place dans notre coeur; et pour lui donner une place dans notre coeur, il n'en faut point donner au démon. Car le diable veut établir sa demeure dans le coeur de l'homme, pour lui dire intérieurement tout ce qui peut l'entraîner au mal. Mais que dit le Seigneur Jésus? «Le Prince de ce monde a été mis dehors (Jn 12,31)». De quel endroit a-t-il été chassé? Du ciel? De la terre? De l'univers? Non, mais du coeur des fidèles. Chassons de notre âme l'usurpateur; que le Rédempteur y habite; ce Rédempteur n'est autre que celui qui nous a créés. Au dehors, le démon nous attaque, mais il ne peut triompher de Celui à qui nous appartenons; il nous attaque en nous suggérant toutes sortes de tentations, mais à ces épreuves résiste victorieusement celui qui entend au dedans de lui-même la voix de Dieu, et les enseignements de cette onction dont nous vous avons parlé.

402 2. «Et», dit l'Apôtre, «elle est la vérité» 1Jn 2,27), cette onction; en d'autres termes, cet esprit de Dieu, qui instruit les hommes, ne peut mentir. «Et non le mensonge: demeurez dans ce qu'elle vous a enseigné. Et maintenant, mes petits enfants, demeurez en lui, afin que, lorsqu'il viendra à paraître, nous soyons pleins de confiance et qu'il ne nous confonde pas au jour de son avènement» 1Jn 2,28. Remarquez-le, mes frères; nous croyons en Jésus que nous ne voyons pas: il nous a été annoncé par des hommes qui l'ont vu, qui l'ont touché de leurs mains, qui ont entendu les paroles tombées de ses lèvres, qui, enfin, ont reçu de lui la mission de les faire accepter à leurs semblables, mission qu'ils n'auraient jamais eu la hardiesse d'accomplir de leur chef. Où ont-ils été envoyés? Vous l'avez appris par la lecture de l'Evangile: «Allez dans tout l'univers prêcher l'Evangile à toutes les créatures (Mc 16,15)». Les Apôtres ont donc été envoyés partout: des miracles et des prodiges sont venus confirmer leurs paroles et disposer les coeurs à les croire; car ils disaient ce qu'ils avaient vu. Nous croyons donc en Jésus, que nous n'avons pas vu, et nous (189) attendons son second avènement. Quiconque l'attend dans le sentiment de la foi, se réjouira au moment de sa venue; mais pour ceux qui ne croient pas en lui, ils seront accablés de confusion, lorsqu'apparaîtra ce qu'ils ne voient pas aujourd'hui; et leur confusion ne durera pas qu'un jour, elle ne passera pas, comme passe d'habitude la confusion de ceux qu'on surprend en délit, et à qui on reproche leur faute. Elle les forcera à se rendre, tout honteux, à la gauche pour entendre cet arrêt: «Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges (Mt 25,31)». Demeurons donc dans ses paroles, afin qu'il ne nous confonde pas au jour de son avènement. Car il dit dans l'Evangile à ceux qui avaient cru en lui: «Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples». Et comme s'ils disaient: Quel profit en retirerons-nous? il ajouta: «Et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira (Jn 8,31-32)». Aujourd'hui, notre salut n'est qu'en espérance, il n'est pas encore réalisé; car nous ne sommes point encore entrés en possession de ce qu'il nous a promis: nous l'attendons dans l'avenir. Mais celui qui nous a donné sa parole est fidèle à ses promesses, il ne te trompera pas: seulement, il ne faut pas perdre courage, attends donc avec confiance l'exécution de ses engagements. En effet, la vérité ne sait pas être trompeuse. Pour toi, ne sois pas menteur, parlant d'une manière et agissant de l'autre. Aie toujours la foi, et Dieu n'oubliera pas ses promesses. Si tu perds la foi, c'est toi qui te trompes, ce n'est pas celui qui t'a engagé sa parole.

403 3. «Si vous savez qu'il est juste, sachez que tout homme qui vit de la justice, est né de lui» (1Jn 2,29). Aujourd'hui, notre justice vient de la foi. La justice parfaite ne se trouve que dans les anges, et, si on les compare à Dieu, à peine se trouve-t-elle en eux. Si, néanmoins, les âmes et les esprits que Dieu a créés peuvent être doués de quelque justice, elle se voit dans les anges saints, justes, bons, que nulle chute n'a séparés de Dieu, qu'aucun sentiment d'orgueil n'entraîne dans l'abîme, mais qui continuent toujours à contempler le Verbe éternel, et trouvent leur bonheur uniquement en celui qui les a créés. En eux se rencontre la justice parfaite: en nous elle puise son principe dans la foi par l'opération de l'Esprit.

Lorsqu'on lisait le psaume, vous avez entendu ces paroles: «Commencez à louer Dieu par la confession (Ps 146,7)». «Commencez», dit le Psalmiste: la source de notre justice, c'est l'aveu de nos fautes. Tu as commencé à ne pas défendre ton péché: tu as, par là même, commencé à devenir juste; ta justice arrivera à sa perfection, quand tu ne ressentiras plus aucun attrait à commettre l'iniquité, quand la mort sera absorbée pour faire place à la victoire (1Co 15,54), quand la concupiscence ne viendra plus te délecter, quand il n'y aura plus en toi de lutte contre la chair et le sang, quand tu remporteras la couronne de la gloire et que tu triompheras de l'ennemi: alors, tu seras en possession de la justice parfaite. Maintenant, nous luttons encore; puisque nous luttons, nous sommes dans l'arène; nous portons des coups, on nous en porte: reste à savoir qui sera vainqueur. Celui-là remportera la victoire, qui, pour frapper, attend sa force, non de lui-même, mais de la toute-puissance de Dieu. Le diable seul lutte avec nous; pour nous, si nous sommes avec Dieu, nous triomphons du diable; mais si tu es seul pour lutter avec lui, il te vaincra. C'est un ennemi exercé; que de palmes il a remportées! Voyez où il nous a jetés: pour nous faire naître sujets à la mort, il a fait sortir du paradis nos premiers parents eux-mêmes. Que faire donc, puisqu'il est si habile à combattre? Invoquer l'assistance du Tout-Puissant contre cet esprit malin. Puisse habiter en toi Celui qu'on ne peut vaincre, et tu triompheras en toute sécurité de celui qui triomphe d'habitude. Mais de qui triomphe-t-il? De ceux en qui Dieu n'habite pas. Car, sachez-le, mes frères, dans le paradis où il avait été placé, Adam a méprisé les ordres de Dieu; il a relevé la tête comme s'il voulait ne dépendre que de lui-même et ne pas se soumettre à la volonté de l'Eternel; aussi a-t-il été privé de ses espérances immortelles, de sa bienheureuse destinée (Gn 3,6). Un homme, déjà exercé au combat, mais condamné à la mort par sa naissance, étendu sur un fumier, en proie à la pourriture et aux vers, a triomphé du diable; celui-ci a vaincu Adam, mais Adam l'a vaincu en la personne de Job; car Job était du nombre de ses descendants; vaincu au paradis, notre premier père a donc été vainqueur sur le fumier. Au paradis, il avait prêté l'oreille aux (190) sollicitations pressantes d'une femme que le démon avait déjà séduite; sur le fumier, il dit à Eve: «Tu as parlé comme une femme insensée (Jb 2,10)». Là, il prêta l'oreille; ici, il fit une réponse: au séjour de la joie, il écouta; au comble de l'épreuve, il remporta la victoire. Aussi, mes frères, voyez ce qui suit dans cette Epître; elle nous y recommande vivement de triompher du démon, mais avec des forces qui ne soient pas les nôtres. «Si vous savez qu'il est juste, sachez que tout homme qui vit selon la justice est né de lui» (1Jn 2,29); de Dieu, du Christ. En disant: «Est né de lui», il nous donne un encouragement. Dès lors que nous sommes nés de lui, nous sommes donc parfaits.

404 4. Ecoutez ceci: «Voilà quel amour le Père a eu pour nous, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu, et que nous le sommes en effet» (1Jn 3,1). A ceux qui portent un nom sans être effectivement ce qu'il signifie, de quelle utilité peut être ce nom, si la réalité ne s'y trouve pas? Combien de gens s'appellent médecins, qui n'ont pas appris l'art de guérir! Combien s'appellent gardiens, qui dorment toute la nuit? Ainsi, beaucoup portent le nom de chrétiens, qui sont loin de l'être en réalité; car ils ne sont ce que désigne leur nom, ni dans leur conduite, ni dans leurs moeurs, ni en fait de foi, d'espérance et de charité. Mais que venez-vous d'entendre, mes frères? «Voilà quel amour le Père a eu pour nous, puisque nous sommes appelés enfants de Dieu, et que nous le sommes en effet. C'est pourquoi le monde ne nous connaît point, parce qu'il ne connaît point Dieu et qu'il ne nous connaît pas nous-mêmes» (1Jn 3,1). Le monde entier est tout à la fois chrétien et impie, car, par tout le monde, il y a des impies et des gens de religion, mais ceux-ci ne sont pas connus de ceux-là. Comment pensons-nous que les méchants ne connaissent pas les bons? C'est qu'ils insultent ceux qui mènent une conduite vertueuse. Faites-y attention, et remarquez qu'il y en a peut-être parmi vous. Si, parmi vous, il en est pour vivre chrétiennement, qui méprisent les choses de ce monde, qui ne veuillent ni aller au spectacle, ni s'enivrer pour ainsi dire solennellement, ni, ce qui est plus grave encore, profaner les saints jours par un libertinage appuyé d'exemples venus de haut, s'il en est pour ne pas vouloir agir ainsi, comme ils seront insultés par tous ceux qui se rendent coupables de toutes ces prévarications! Si de tels hommes étaient connus, les insulterait-on? Pourquoi ne sont-ils pas connus? C'est que le monde ne les connaît pas. Qui est le monde? Ceux qui l'habitent; comme les habitants d'une maison portent le nom de maison. Je vous ai souvent expliqué ceci, et pour ne point vous ennuyer, je ne veux pas y revenir. Comme vous attachez à ce nom de monde un sens défavorable, ne l'appliquez qu'à ceux qui l'aiment; il était juste de leur donner le nom de monde, puisqu'ainsi s'appelle ce qu'ils habitent et que toutes leurs affections les y tiennent fixés. Le monde ne nous a pas connus, parce qu'il n'a pas connu Dieu. Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même s'y est montré: c'était Dieu incarné et caché sous les dehors de l'infirmité humaine. Pourquoi ne l'a-t-on point connu? Parce qu'il blâmait tous les vices des hommes. Comme ils aimaient les plaisirs que procure le péché, ils méconnaissaient Dieu; comme ils écoutaient volontiers les suggestions de la fièvre, ils insultaient leur médecin.

405 5. Qu'en est-il de nous? Déjà nous sommes nés de lui; mais parce que nous avons l'espérance: «Mes bien-aimés», dit l'Apôtre, «nous sommes maintenant les enfants de Dieu» 1Jn 3,2. Déjà maintenant? Si nous sommes déjà les enfants de Dieu, qu'attendons-nous donc? «Mais ce que nous serons un jour n'apparaît pas encore» 1Jn 3,2. Serons-nous autre chose que les enfants de Dieu? Ecoutez ce qui suit: «Nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est» 1Jn 3,2. Que votre charité comprenne, il s'agit d'une merveilleuse chose: «Nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est» 1Jn 3,2. Remarquez bien déjà ce que veut dire ce mot: «Est»; vous en savez la signification. Ce qu'on appelle «est» (non-seulement on l'appelle ainsi, mais il est réellement tel) n'est sujet à aucun changement; il demeure toujours, ne connaît aucune vicissitude, ne se corrompt en aucune de ses parties; il ne s'améliore en rien, parce qu'il est parfait; il ne se détériore pas, car il est éternel. Qu'est-ce donc que cela? «Au commencement (191) était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (Jn 1,1)». Qu'est-ce encore que cela? «Lui qui, ayant la nature de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s'égaler à Dieu (Ph 2,6)». Les méchants ne peuvent voir le Christ sous cet aspect, c'est-à-dire comme ayant la nature de Dieu, comme Verbe de Dieu, comme Fils unique du Père, comme égal au Père; mais en tant qu'il est le Verbe fait chair, les méchants eux-mêmes pourront le voir, car c'est en cette qualité qu'il viendra juger, comme il est déjà venu ainsi pour être jugé. Homme par l'apparence, mais Dieu en réalité; car «maudit l'homme qui se confie dans l'homme (Jr 17,5)». Il est venu comme homme pour être jugé; il viendra comme homme pour exercer le jugement. Et si on ne le voyait pas alors, pourquoi ce passage de l'Ecriture: «Ils verront quel est Celui qu'ils ont percé (Jn 19,37)?» C'est des impies qu'il est dit qu'ils verront et qu'ils seront confus. Comment les méchants pourraient-ils ne pas le voir, quand il placera les uns à sa droite et les autres à sa gauche? A ceux qui se trouveront à la droite, il dira: «Venez, bénis de mon Père, entrez en possession de son royaume». Et à ceux qui se trouveront à la gauche, il dira: «Allez au feu éternel (Mt 25,31)». Ils le verront, mais dans sa forme d'esclave; comme Dieu, ils ne le verront pas. Pourquoi? Parce qu'ils sont méchants, et que le Sauveur lui-même a dit: «Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu (Mt 5,8)». Nous aurons donc, mes frères, le privilège de contempler quelque chose, de voir ce que l'oeil de l'homme n'a point vu, ce que son oreille n'a jamais entendu, ce que son coeur n'a jamais compris (1Co 2,9). Nous aurons une vision, nous contemplerons une beauté qui surpasse toutes les beautés de la terre, la beauté de l'or et de l'argent, la beauté des forêts et des campagnes, la beauté de la mer et des airs, la beauté du soleil et de la lune, la beauté des étoiles et celle des esprits angéliques, une beauté supérieure à toutes les autres, car toutes les autres lui empruntent leur éclat et leurs charmes.

406 6. Que serons-nous donc quand nous contemplerons cette admirable beauté? Que nous est-il promis? «Nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu'il est» (1Jn 3,2).
L'Apôtre a parlé comme il a pu; c'est à notre coeur d'imaginer le reste. Qu'est-ce que Jean lui-même a dit pour nous donner une idée de Celui qui est? Que pouvons-nous dire à notre tour à des hommes si éloignés d'égaler ses mérites? Revenons donc à l'onction divine; revenons à cette onction qui nous instruit intérieurement de ce que notre langue ne saurait exprimer; et puisque maintenant vous ne pouvez voir, sachez du moins désirer de le faire. La vie tout entière d'un bon chrétien n'est qu'un saint désir continuel. Sans doute, ce que tu désires tu ne le vois pas; désire-le néanmoins, et par là tu te rendras capable d'être entièrement satisfait, lorsque viendra le moment de le voir. Lorsque tu veux remplir un contenant quelconque, et que tu sais grandes les dimensions de l'objet qu'on te donnera, tu élargis le sac ou l'outre ou tout autre contenant; tu connais la grosseur de l'objet qui doit y entrer, tu vois que le contenant est petit; aussi l'élargis-tu pour le rendre plus apte à recevoir son contenu; ainsi Dieu, en différant de se donner à toi, dilate tes désirs; en les dilatant, il élargit ton esprit; en l'élargissant, il te rend plus capable de le posséder. Désirons donc, mes frères, puisque nous devons être rassasiés. Voyez comme Paul dilate son coeur, afin d'être à même d'y recevoir ce que Dieu doit lui donner. Voici ses paroles: «Non que j'aie a déjà reçu ou que je sois arrivé à la perfection, mes frères, je ne pense pas avoir déjà saisi le prix». Que faites-vous donc en cette vie, si vous n'avez pas encore saisi le prix? «Mais tout ce que je sais, c'est qu'oubliant ce «qui est derrière moi, et que m'étendant vers ce qui est devant moi, je souhaite ardemment saisir la palme à laquelle Dieu m'appelle du haut des cieux (Ph 3,13-14)». A l'entendre, il s'est étendu, il a fait tous ses efforts de volonté possible pour saisir le prix. Il se sentait trop petit pour prendre ce que l'oeil de l'homme n'a point vu, ce que son oreille n'a point entendu, ce que son coeur n'a jamais compris. Notre vie d'ici-bas consiste donc à donner à notre âme les élans de continuels désirs. Autant nous sommes travaillés par le désir du ciel, autant notre coeur se débarrasse des désirs terrestres et se détache du monde. Nous avons déjà dit parfois: Vide ce que tu dois remplir. Vide le mal qui se trouve en ton (192) coeur, puisque le bien doit le remplir. Par exemple, Dieu veut te remplir de miel; si tu es plein de vinaigre, où le mettras-tu? Il faut d'abord débarrasser le vase de ce qu'il contient, puis le purifier, et, pour cela, se remuer, se fatiguer s'il le faut; ainsi deviendra-t-il propre au nouvel usage. Que nous prononcions des malédictions, que nous parlions d'or, que nous parlions de vin, quoi que nous disions de ce qu'on ne peut dire, quoi que nous voulions dire, nous en revenons toujours à prononcer le nom de Dieu; et parce que nous prononçons le nom de Dieu, que disons-nous? Ces deux syllabes désignent-elles tout ce que nous attendons? Tout ce que nous avons pu nommer est au-dessous de Dieu; étendons-nous vers lui, afin que quand il viendra, il nous rassasie. «Nous lui serons», en effet, «semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est».

407 7. «Et qui a cette espérance en lui» (1Jn 3,3). Vous le voyez; d'après Jean nous ne sommes qu'à l'état d'espérance. Comme l'apôtre Paul est bien d'accord avec son collègue! «Nous ne sommes sauvés qu'en espérance: or, l'espérance qui verrait, ne serait plus de l'espérance; car comment espérer ce qu'on voit déjà? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l'attendons par la patience (Rm 8,24-25)». La patience elle-même excite les désirs. Sois inébranlable, car Dieu est immuable. Continue à marcher, tu atteindras le but; le but vers lequel tu diriges tes pas ne changera pas de place. Voyez: «Et quiconque a cette espérance se purifie comme Dieu lui-même est pur» (1Jn 3,3). Remarquez-le Jean ne nous ôte pas notre libre arbitre, puisqu'il dit: «Il se purifie». Qui est-ce qui nous purifie, si ce n'est Dieu? Mais Dieu ne te purifie pas malgré toi. Donc, par cela même que tu joins ta volonté à celle de Dieu, tu te purifies toi-même. Tu te purifies, par un effet, non de ton pouvoir, mais de la puissance de celui qui est venu pour habiter en toi. Néanmoins, comme il y a ici un effet de ta propre volonté, tu as une part dans l'oeuvre de ta sanctification. Et cette part consiste pour toi à dire comme le Psalmiste: Secourez-moi, ne m'abandonnez pas (Ps 26,9)». Dès lors que tu dis: «Secourez-moi», c'est que tu agis; car si tu ne fais rien, comment peut-il venir à ton secours.

408 8. «Quiconque se rend coupable de péché, et commet l'iniquité» (1Jn 3,4). Que personne ne dise: Autre chose est le péché, autre chose l'iniquité. Que personne ne dise: Je suis un pécheur, mais je ne suis pas un homme inique: «Car tout homme qui se rend coupable de péché et commet l'iniquité». «Le péché est l'iniquité» (1Jn 3,4). Que dire de nos péchés et de nos iniquités? écoute les paroles de l'Apôtre: «Vous savez que Dieu s'est rendu visible pour se charger de nos péchés, et le a péché n'est point en lui» (1Jn 3,5). Celui en qui le péché ne se trouve pas est venu se charger de nos péchés. Si le péché se trouvait en lui, au lieu de se charger de celui des autres, il devrait être déchargé de ses propres fautes. «Quiconque demeure en lui ne pèche pas» (1Jn 3,6). Autant on demeure en lui, autant on est éloigné du péché. «Et quiconque pèche, ne l'a point vu et ne le connaît pas» (1Jn 3,6). Voici une grande difficulté: «Quiconque pèche, ne l'a point vu et ne le connaît pas» (1Jn 3,6). En cela, rien d'étonnant. Nous ne l'avons pas vu, mais nous le verrons; nous ne le connaissons pas, mais nous le connaîtrons; nous croyons en celui que nous ne connaissons pas. Peut-être le connaissons-nous par la foi, tandis que nous ne le connaissons point de vue? Mais nous l'avons vu et nous le connaissons de croyance; car si la foi ne nous le fait pas voir, comment peut-on dire que nous sommes éclairés? Il y a une illumination qui vient de la foi, et une autre qui vient de la vue réelle. Maintenant, pendant le cours de notre pèlerinage, c'est la foi qui dirige notre marche, et non la claire vue de Dieu (2Co 5,7). Notre justice a donc pour principe la foi, mais non pas la réelle vue de l'éternel. Elle sera parfaite, lorsque nous contemplerons Dieu à découvert. Pour le moment, n'abandonnons pas cette justice, qui est le résultat de la foi; «car le juste vit de la foi (Rm 1,17)», suivant cette parole de l'Apôtre: «Quiconque demeure en lui ne pèche pas» (1Jn 3,6). En effet, «tout homme qui pèche ne l'a pas vu et ne le connaît point» (1Jn 3,6). Celui-là ne croit pas, qui commet le péché; mais s'il croit, il ne pèche pas, autant, du moins, que cela dépend de sa foi.

409 9. «Mes petits enfants, que personne ne vous séduise. Celui qui fait les oeuvres de la justice est juste, comme Jésus-Christ est juste» (1Jn 3,7). De ce qu'on nous a dit que «nous (193) sommes justes comme Jésus-Christ est juste», avons-nous le droit de penser que nous sommes égaux à Dieu? Vous devez connaître le sens du mot «comme», car l'Apôtre a déjà dit précédemment: «Il se rend pur, comme Jésus-Christ lui-même est pur» (Jn 3,3). Notre pureté, notre justice serait-elle donc égale et pareille à la pureté, à la justice de Dieu? Qui oserait parler ainsi? «Comme» ne veut pas toujours établir une égalité parfaite. Je suppose qu'après avoir vu cette immense basilique, un architecte veuille en faire une plus petite, proportion gardée néanmoins dans les dimensions, et que, par exemple, celle-ci ayant une longueur double de sa largeur, il fasse la sienne du double plus longue que large, il semble avoir construit une église comme celle-ci. Mais la plus grande a, je suppose encore, cent coudées, tandis que la plus petite en a seulement trente: la seconde est comme la première, et cependant elle ne lui est pas égale. Vous le voyez donc: on n'emploie pas toujours le mot «comme» dans le sens de la parité et de l'égalité. Remarquez, par exemple, quelle différence il y a entre la figure d'un homme et son image reproduite dans un miroir: dans l'image, dans le corps, même figure; mais l'image n'est qu'une imitation, le corps est une réalité. Que disons-nous? Là comme ici on aperçoit des yeux; si l'on voit ici des oreilles, on en voit aussi là. Très-différentes sont les choses, mais le mot «comme» est employé dans le sens de similitude. Nous avons donc une ressemblance avec Dieu, mais elle n'est pas la même que la ressemblance du Fils avec le Père, dont il est l'égal; si, pourtant, dans la faible proportion de notre nature, nous n'étions pas comme lui, on ne pourrait, sous aucun rapport, nous dire semblables à lui. Il nous rend donc purs, comme lui-même est pur; mais il l'est éternellement, et nous, nous le sommes sous l'empire de la foi. Nous sommes justes comme lui-même est juste; mais s'il l'est, c'est dans l'immuable perpétuité de son être, tandis que nous le sommes en croyant en Celui que nous ne voyons pas, afin de le contempler un jour. Et lorsque notre justice sera parvenue au comble de la perfection, quand nous serons les égaux des anges, notre justice ne sera pas encore égale à celle de Dieu. Combien donc est-elle maintenant loin de l'égaler, puisqu'alors même on ne pourra établir entre elles de parité?

410 10. «Celui qui commet le péché est enfant du démon, parce que le démon pécha dès le commencement. Il est enfant du démon» (1Jn 3,8). Jean veut dire, vous le savez: il imite le démon. En effet, le démon n'a ni fait, ni engendré, ni créé personne; mais quiconque l'imite, reçoit en quelque sorte la vie de lui; il devient son fils, non parce qu'il naît réellement de lui, mais parce qu'il l'imite. Comment es-tu fils d'Abraham? Est-ce qu'Abraham t'a engendré? De la même manière que les Juifs, fils d'Abraham, mais non héritiers de sa foi, sont devenus les enfants du démon. Ils étaient ses descendants selon la chair, mais ils n'ont pas imité sa foi. Si les enfants d'Abraham ont été déshérités pour ne pas avoir imité leur père; par une raison tout opposée, tu deviendras son fils, quoiqu'il ne t'ait pas engendré, et ainsi tu mériteras ce beau titre, parce que tu marcheras sur ses traces. Si, au contraire, tu imites le diable qui, par orgueil et impiété, s'est déclaré contre Dieu, tu deviendras son fils, non qu'il t'ait créé ou mis au monde, mais parce que tu suivras son exemple.

411 11. «Le Fils de Dieu est venu dans le monde» (1Jn 3,8). Voilà donc, mes frères, que tous les pécheurs, en tant que pécheurs, sont devenus enfants du diable. C'est Dieu qui a créé Adam, mais du moment que celui-ci a cédé aux suggestions du démon, il en est devenu le fils, et tous ceux qu'il a mis au monde, il les a engendrés pareils à lui. En naissant, nous avons apporté avec nous la concupiscence; et avant de contracter nous-mêmes des dettes personnelles, nous sortons de cette source empoisonnée. En effet, si nous venons au monde exempts de toute faute, pourquoi se hâter de porter au baptême les petits enfants, afin de les dégager des chaînes du démon? En nous donc, remarquez-le, mes frères, en nous deux naissances, l'une en Adam, l'autre dans le Christ. Ce sont deux hommes, mais l'un d'eux est un homme-homme, l'autre un homme-Dieu; l'homme-homme nous fait pécheurs, l'Homme-Dieu nous rend justes. Par notre naissance en Adam, nous avons été précipités dans la mort; par notre naissance dans le Christ, nous avons été élevés à la vie; la première des deux nous entraîne dans le péché, la seconde nous en délivre. Car le Christ-Homme est venu pour détruire les péchés des hommes: «Le Fils de Dieu est venu (194) dans le monde pour détruire les oeuvres du démon» (1Jn 3,8).

412 12. Pour ne point fatiguer votre charité, je recommande ce qui reste à son attention; car la difficulté dont la solution nous occupe, roule sur ce que nous nous disons pécheurs. Si, en effet, quelqu'un se dit sans péché, il est un menteur. Nous trouvons dans cette même épître de Jean: «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes». Vous devez vous souvenir de ce passage déjà cité: «Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité ne se trouve pas en nous (1Jn 1,8)». Plus loin, tu lis encore ces passages: «Quiconque est né de Dieu, ne commet point de péché. Celui qui commet le péché, ne l'a point vu et ne le connaît pas (1Jn 3,6). Celui qui fait l'iniquité, est enfant du diable» (1Jn 3,8). Le péché ne vient pas de Dieu. L'Apôtre nous fournit à nouveau un sujet de crainte. D'une part, comment sommes-nous enfants de Dieu, et de l'autre, comment avouons-nous que nous sommes pécheurs? Dirons-nous que nous ne sommes point nés de Dieu? Alors, quel effet ces sacrements produisent-ils dans les peuls enfants? Qu'a dit Jean? «Celui qui est né de Dieu ne pèche pas» (1Jn 3,9). Le même a dit encore: «Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité ne se trouve point en nous». Question importante et difficile à traiter! J'aurais voulu appeler toute l'attention de votre charité sur la solution à donner à cette difficulté. Demain, nous traiterons ce sujet au nom du Seigneur, et selon qu'il nous inspirera.



Augustin, Epitre Jean 300