Augustin, Sermons 162

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SERMON CLXII. PÉCHER DANS SON CORPS (1).

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ANALYSE. - Ce sermon, que plusieurs éditions disent n'être qu'un fragment, est la solution, à un double point de vue, de ces paroles de saint Paul: «Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps, mais celui qui commet la fornication, pèche dans son propre corps (2)». Si on entend ici la fornication dans son sens propre, les paroles de l'Apôtre peuvent signifier qu'en commettant l'impureté l'homme est tellement absorbé dans les sens et submergé dans les délectations charnelles, qu'il ne voit rien en dehors; il est alors entièrement dans son corps, tandis qu'il n'y est pas de la même manière quand il commet d'autres péchés. Si le mot de fornication est pris ici dans un sens figuré et pour exprimer l'attachement du pécheur à tout ce qui n'est pas Dieu; ce péché se trouve opposé aux péchés d'oubli et de fragilité qui se commettent sans attachement pervers. Le corps désignerait donc ici la concupiscence à laquelle l'Apôtre rapporte tous les péchés proprement dits; et on pécherait en dehors du corps, quand on pêcherait sans passion et par pure faiblesse. Saint Augustin avertit toutefois qu'il ne se flatte pas d'être entré entièrement dans la pensée de l'Apôtre.

1. La question que nous suggèrent ces paroles du bienheureux Apôtre Paul, dans son Epitre aux Corinthiens: «Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps», pourra-t-elle être parfaitement résolue? Je l'ignore, tant elle est profonde! On peut néanmoins, avec l'aide de Dieu, lui donner un sens probable.

L'Apôtre venait de dire, dans la même épître: «Ne vous abusez point: ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les rapaces, ne posséderont le royaume de Dieu»; et un peu plus loin: «Se savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ? Quoi! j'enlèverai au Christ ses membres pour en faire les membres d'une prostituée? Dieu m'en garde!» Ignorez-vous que s'unir à une prostituée, «c'est devenir un même corps avec elle, car, est-il dit, ils seront deux en une seule chair; tandis que s'unir au Seigneur, c'est être a un seul esprit avec lui? Fuyez la fornication». Puis il ajoute: «Tout autre péché commis par un homme est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps. Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l'Esprit-Saint, qui est en vous, que vous avez reçu, et qu'ainsi vous n'êtes plus à vous-mêmes?

1. 1Co 6,9-20 - 2. 1Co 6,18

Car vous avez été achetés à haut prix. Glorifiez et portez Dieu dans votre corps».

On le voit, l'Apôtre vient de signaler d'abord un grand nombre de péchés horribles qui excluent du royaume de Dieu, et que l'homme ne saurait commettre que par l'intermédiaire de son corps; de ce corps qu'il appelle, dans les fidèles, le temple du Saint-Esprit que Dieu nous a donné; de ces membres qu'il assure être les membres du Christ, et desquels il dit d'un ton de blâme et d'interrogation: «Quoi! je prendrai au Christ ses membres afin d'en faire les membres d'une prostituée?» pour répondre: «A Dieu ne plaise!» et pour ajouter aussitôt: «Ignorez-vous que s'unir à une prostituée, c'est devenir un même corps avec elle, puisqu'il est dit; Ils seront deux en une seule chair, tandis que, s'unir à Dieu, c'est être un seul esprit avec lui?» Il conclut de là: «Fuyez la fornication»; et c'est alors qu'il ajoute: «Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps». Eh quoi! n'a-t-il pas dit: «Ne vous abusez point. ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères ni les efféminés, ni les abominables, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les rapaces, ne posséderont le royaume de Dieu?» Et tous ces crimes, toutes ces infamies peuvent-ils se commettre autrement que par le corps? Quel homme à idées saines oserait dire le contraire? Car l'Apôtre dans tout ce passage n'avait en vue que le corps, (60) acheté si cher, au prix même du sang adorable du Christ, et devenu le temple de l'Esprit-Saint: il voulait qu'au lieu de le souiller par ces abominations, on le conservât dans une pureté inviolable comme l'habitation de Dieu même. Pourquoi donc avoir ajouté, pour soulever une question si difficile: «Tout autre péché, commis par l'homme, est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps?»

N'est-il pas vrai que la fornication et tous les autres péchés de la chair qui ressemblent à la fornication, ne peuvent se commettre et se pratiquer que par le corps? Pour ne parler pas des autres péchés, qui pourrait, sans le concours des organes corporels, être voleur, ivrogne, médisant ou rapace? L'idolâtrie même et l'avarice ne sauraient, sans le ministère du corps, produire leurs actes et leurs effets. Pourquoi alors ces paroles: «Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps?»

On peut constater d'abord que toutes les convoitises déréglées auxquelles s'abandonne l'homme d'une manière même purement intérieure, ne sont pas en dehors du corps, puisque sûrement elles sont produites par la sensualité et par la prudence charnelle, tant que l'homme est encore revêtu de son corps. Le crime même signalé dans ces paroles d'un psaume: «L'impie a dit en son coeur: Il n'y a point de Dieu (1)», le bienheureux Apôtre saint Paul n'a pu le considérer indépendamment du corps, puisqu'il a dit quelque part: «Nous comparaîtrons tous devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive conformément à ce qu'il a fait, soit bien, soit mal, par son corps (2)». Il fallait en effet que l'impie fût encore dans sa chair pour pouvoir dire: «Il n'y a point de Dieu». Je ne dirai rien de ce que le même docteur des gent-ils écrit dans une autre épître, où on lit: «On connaît aisément les oeuvres de la chair, qui sont: la fornication, l'impureté, la luxure, les empoisonnements, les inimitiés, les contestations, les jalousies, les colères, les dissensions, les sectes, les envies, les ivrogneries et autres semblables, desquelles je vous déclare, comme je l'ai déclaré, que ceux qui s'y livrent n'obtiendront pas le

1. Ps 13,1 - 2. 2Co 5,10

royaume de Dieu (1)». Ne semble-t-il pas que, dans cette énumération, îles jalousies, les colères, les dissensions, les envies et les sectes, n'appartiennent pas au corps? Et cependant elles sont représentées comme des oeuvres de la chair par ce même docteur qui a initié les gent-ils à la foi et à la vérité. Que signifient donc ces mots: «Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps?» et pourquoi ne dire que d'un seul péché: «Mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps?»

2. Si inculte et si peu ouvert qu'on puisse être, on voit combien est difficile cette question. Si néanmoins, acquiesçant à nos pieux désirs, le Seigneur daigne nous éclairer et nous seconder un peu, il nous sera possible d'y assigner un sens vraisemblable.

Ici donc le bienheureux Apôtre, en qui parlait le Christ, semble avoir voulu élever la gravité du péché de fornication au-dessus de la gravité de tous les autres péchés qui se commettent par l'intermédiaire du corps, mais qui néanmoins ne rendent pas l'âme humaine esclave et dépendante du corps, comme elle le devient dans le seul acte de la fornication, où la fougue impétueuse de la passion la confond avec le corps, l'y unit, l'y colle en quelque sorte et l'y enchaîne étroitement, si étroitement, qu'au moment où il se livre frénétiquement à cet acte brutal, il lui est impossible de voir ou de vouloir autre chose que ce qui peut y porter son âme; et comme submergée et engloutie dans cette fange honteuse, l'âme n'est plus qu'une esclave. Si donc l'Apôtre a dit: «Mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps», c'est qu'alors et surtout au moment de l'acte infâme, le coeur devient véritablement et absolument l'esclave du corps; et ce serait pour détourner plus efficacement de pareilles horreurs qu'il aurait dit encore: «Quoi! je prendrai au Christ set membres et j'en ferai les membres d'une prostituée?» et qu'il aurait répondu avec exécration et frémissement: «Dieu m'en garde! Ne savez-vous pas que s'unir à une prostituée, c'est devenir un même corps avec elle, car il est dit: Ils seront deux en une seule chair?»

Or, pourrait-on en dire autant des autres crimes; quels qu'ils soient, que commettent

1. Ga 5,19-21

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les hommes? Au moment ou on se livre à l'un d'eux, l'esprit conserve la liberté d'y penser et de s'appliquer à autre chose, tandis qu'au moment où il s'abandonne à la fornication, il ne peut s'occuper de rien autre absolument. L'homme est alors tellement absorbé dans ce qu'il fait, qu'on ne peut dire que sa pensée soit à lui; on pourrait dire au contraire qu'il n'est plus que chair, un souffle qui passe et ne revient point (1). D'où il suit que par ces paroles: «Tout autre péché commis par un homme est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps», l'Apôtre semble avoir voulu nous dire, pour nous inspirer une vive horreur de la fornication, que comparés à elle les autres péchés sont hors du corps, tandis que ce mal affreux retient l'âme dans le corps, attendu que la violence de cette passion, qui n'a pas son égale, fait de cette âme une esclave et une captive de la volupté charnelle.

3. Ceci doit être entendu de la fornication proprement dite. Cependant les livres saints donnant à ce vice un sens plus étendu, efforçons-nous, avec l'aide de Dieu, d'appliquer à ce sens nos réflexions.

Il faut prendre évidemment la fornication dans un sens général, lorsqu'on lit ces paroles d'un psaume: «Ceux qui s'éloignent de vous périront; vous anéantirez quiconque se prostitue loin de vous»; et lorsqu'on remarque ensuite, dans ces mots qui viennent après, le moyen d'éviter cette espèce de fornication générale: «Pour moi, mon bonheur est de m'attacher à Dieu (2)». Il est facile de voir en effet qu'il y a fornication pour l'âme humaine, quand au lieu de s'unir à Dieu elle s'unit au monde. De là ces mots du bienheureux apôtre Jean: «Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui (3)»: et ces autres de saint Jacques: «Adultères, ignorez-vous que l'amitié de ce monde est ennemie de Dieu (4)?» Ce qui constate en peu de mots que l'amour de Dieu est incompatible avec l'amour du monde, et qu'en voulant aimer le monde on est ennemi de Dieu. C'est ce que signifient encore ces paroles du Seigneur dans l'Evangile: «Nul ne peut servir deux maîtres; car il haïra l'un et aimera l'autre; ou bien il supportera l'un et méprisera l'autre»; et cette conclusion

1. Ps 78,39 - 2. Ps 72,27-28 - 3. 1Jn 2,15 - 4. Jc 4,4

qui en ressort: «Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent (5)».

Ainsi donc, comme nous l'avons dit, l'a fornication, entendue dans un sens général et embrassant absolument tout, consiste à s'attacher au monde et non pas à Dieu, et c'est dans cette acception de prostitution générale que nous devons prendre ces mots de l'Apôtre: «Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps». En effet, si l'âme humaine est exempte du péché de fornication quand elle s'attache intimement à Dieu et nullement au monde, quels que soient les péchés qu'elle commette d'ailleurs, soit par ignorance, soit par négligence, soit par oubli, soit par défaut d'intelligence, dès que ces péchés ne viennent pas de la concupiscence de la chair, mais uniquement de la fragilité humaine, on peut les voir dans ces mots: «Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps»; ces péchés n'étant effectivement empreints d'aucune concupiscence, on a raison de les considérer comme étant hors du corps. Si au contraire l'âme mondaine s'attache au monde en s'éloignant de Dieu, dès qu'elle se prostitue ainsi en se séparant de Dieu, elle pèche dans son propre corps: car la concupiscence charnelle la jette sur tout ce qui est charnel et éphémère; la sensualité et la prudence de la chair se l'arrachent en quelque sorte et la mettent au service de la créature, plutôt qu'à celui du Créateur, béni dans les siècles des siècles.

4. Voilà donc,. à mon avis, le sens soit général, soit spécial qu'on peut assigner, sans blesser la foi, au passage fameux où nous lisons ces paroles du grand et incomparable Docteur: «Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps». L'Apôtre a voulu nous inspirer une vive horreur pour la fornication proprement dite; et si d'après lui elle se commet dans le corps, c'est que jamais l'homme en péchant n'est lié ni cloué au plaisir charnel d'une manière aussi complète et aussi invincible; de sorte que comparé au désordre de ce péché abominable, les autres péchés, même commis par l'intermédiaire du corps, semblent être hors du corps.

1. Mt 6,24

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Pour asservir l'âme au corps et en faire son vil esclave, il y a dans la fornication, surtout au montent où se consomme cette impure iniquité, une force impétueuse et irrésistible qui ne se rencontre nulle part ailleurs, et l'âme ne peut réellement alors connaître ou rechercher ce qui se passe brutalement dans ses organes.

On peut admettre aussi que l'Apôtre a voulu parler de la fornication dans le sens le plus général, lorsqu'il a dit: «Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps». Il faudrait alors entendre qu'en s'attachant au monde et non à Dieu, par l'amour et le désir des biens temporels, chacun pèche dans son propre corps, en ce sens que livré et assujetti à toutes les convoitises charnelles, il est tout entier l'esclave de la créature, et qu'il a rompu avec le Créateur par cet orgueil qui est le principe de tout péché et qui se révèle d'abord en rompant avec Dieu (1). A quelque péché d'ailleurs qu'on fût entraîné par la corruption et la mortalité qui pèsent sur chacun, dès qu'on serait exempt de ce vice de fornication prise dans le sens général, on pécherait hors du corps; car, nous l'avons dit plusieurs fois, ce serait être en quelque sorte hors du corps, que d'être étranger

1. Si 10,14-15

à cette convoitise vicieuse et charnelle. C'est seulement cette convoitise générale qui éloigne l'âme de Dieu et qui la prostitue dans tous les péchés qu'elle commet, la liant en quelque sorte et l'enchaînant à tous les désirs et à foutes les séductions du corps et du temps. Elle pèche ainsi dans son propre corps, puisque c'est pour obéir aux convoitises du corps qu'elle s'assujettit au monde et s'éloigne de Dieu; ce qui est, répétons-le, le commencement de l'orgueil.

Aussi pour nous détourner de ce vice général de fornication, le bienheureux Jean s'écrie: «N'aimez ni le monde, ni ce qui est dans le monde; car tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, convoitise des yeux et ambition du siècle: or, cette convoitise ne vient pas du Père, mais du monde. Or le monde passe et sa concupiscence aussi; au lieu que celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement, comme Dieu même (2)». Cet amour du monde qui en renferme toutes les convoitises, est donc bien la fornication générale qui se commet dans le corps; attendu que l'âme ne travaille alors qu'à satisfaire les désirs et les impressions qu'excitent les choses visibles, matérielles et passagères, pendant qu'elle est délaissée et abandonnée misérablement par le Créateur universel.

1. 1Jn 2,15-17




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SERMON CLXIII. LE TEMPLE NOUVEAU OU LA VIE NOUVELLE (1).

PRONONCÉ DANS LA BASILIQUE D'HONORIUS, LE 8 DES CALENDES D'OCTOBRE (23 septembre).

1. Ga 5,16-21

ANALYSE. - I. Pour consacrer au vrai Dieu un temple d'idoles, il est des parties que l'on renverse totalement, et il en est d'autres que l'on sanctifie. Afin également de nous dévouer au service de Dieu, nous devons anéantir en nous le péché et vivre pour Jésus-Christ, le Sauveur envoyé de Dieu à la terre; il nous faut par conséquent être en armes et combattre. Mais par quels moyens obtenir la victoire? - II. Deux moyens sont nécessaires: l'humilité, et c'est pour nous l'inspirer que Dieu nous fait lutter longtemps et expérimenter notre faiblesse; la grâce divine, et c'est parce que la loi ancienne ne la conférait pas qu'elle multipliait le péché, plutôt que de l'anéantir. Implorons donc avec foi le secours du Ciel.

1. En considérant, mes frères, ce que nous étions avant la grâce et ce que la grâce a fait de nous, nous nous convaincrons facilement que si les hommes s'améliorent, il est aussi des édifices qui deviennent comme les instruments de la grâce après avoir été élevés (63) contre elle. «En effet., dit l'Apôtre, nous sommes le temple du Dieu vivant; aussi le Seigneur déclare-t-il: J'habiterai en eux et j'y marcherai». Les idoles qui étaient ici pourraient bien y demeurer fixées, elles ne pouvaient marcher. Quant à la Majesté suprême, elle est en mouvement dans nos coeurs, pourvu qu'ils soient élargis par la charité. C'est à quoi nous exhorte l'Apôtre par ces mots: «Dilatez-vous pour ne traîner pas le même joug que les infidèles (1)». Oui, Dieu marche en nous si nous nous dilatons ainsi; mais il faut qu'il travaille à nous dilater lui-même. Si c'est effectivement la charité qui nous dilate, et la charité ne resserre jamais, n'est-ce pas Dieu qui produit en nous cet élargissement, puisque l'Apôtre enseigne que «la charité a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (2)?» N'oublions pas que cette dilatation du coeur fait que Dieu marche en nous.

2. Pendant qu'on lisait l'Epître de l'Apôtre, voici ce que nous avons entendu: «Marchez selon l'Esprit et n'accomplissez point les désirs de la chair. La chair en effet convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair; car ils sont opposés l'un à l'autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez». C'est à des baptisés que saint Paul parlait ainsi n'était-ce pas bâtir, sans dédier encore le temple? Que se passe-t-il, mes frères, lorsqu'on consacre à de plus nobles usages des édifices terrestres? On abat et on tranche d'un côté, pendant qu'on améliore de l'autre. Ainsi en est-il de nous. Il y avait en nous des oeuvres charnelles et vous venez d'entendre l'Apôtre en faire une énumération: «On connaît aisément, dit-il, les oeuvres de la chair, qui sont la fornication, l'impureté, l'idolâtrie, les empoisonnements (3), les inimitiés, les contestations, les sectes, les envies, les ivrogneries et autres semblables». Voilà qui est à détruire et non pas à améliorer; aussi saint Paul ajoute-t-il: «Je vous le déclare comme je l'ai déclaré déjà, ceux qui se livrent à de tels désordres n'obtiendront pas le royaume de Dieu». Anéantissons en nous ces vices comme on brise des idoles. Quant aux membres de notre corps, ce sont eux qu'il faut consacrer à de plus nobles usages, en les employant au service glorieux de la charité, quand ils ont

1. 2Co 6,16 2Co 13,14 - 2. Rm 5,5 - 3. Veneficia, non beneficia, id est, non a bonis dicta, sed a venenis.

trop agi dans l'intérêt honteux de la cupidité.

3. Remarquez, cependant, et examinez avec soin la pensée de l'Apôtre. Nous sommes les ouvriers de Dieu occupés encore à la construction de son temple. Ce temple néanmoins est déjà dédié dans la personne de notre Chef. Le Seigneur en effet n'est-il pas ressuscité d'entre les morts après avoir vaincu la mort, et n'est-il pas monté au ciel après avoir fait disparaître en lui tout ce qu'il y avait de mortel? Aussi c'est pour lui qu'était écrit le psaume de la dédicace, et s'il dit après sa passion: «Vous avez changé mes gémissements en joie, vous avez déchiré mon cilice et vous m'avez revêtu d'allégresse, afin que ma gloire vous chante et que mon bonheur ne cesse jamais (1)», c'est que cette dédicace s'est accomplie après la passion, à la résurrection même. Il est donc bien vrai que maintenant la foi bâtit le temple et que la dédicace s'en fera à la résurrection dernière.

Voilà pourquoi ce psaume de la dédicace où est révélée la résurrection de notre Chef, est suivi, non pas précédé, d'un autre psaume qui a pour titre: «Quand on construisait la maison, après la captivité». Rappelez-vous ici cet esclavage où nous gémissions pendant que le monde entier, comme une masse d'infidélité, était sous la tyrannie du démon. C'est pour détruire cet esclavage que le Rédempteur est venu, qu'il a versé tout son sang et qu'après avoir ainsi payé notre rançon il a effacé les titres de notre captivité. «La loi, dit l'Apôtre, est spirituelle; mais moi je suis charnel, vendu et assujetti au péché (2)». Oui, nous étions d'abord vendus et assujettis au péché, mais nous sommes depuis délivrés par la grâce; et maintenant que nos fers sont rompus, le temple se bâtit. N'est-ce pas pour le bâtir que l'on prêche l'Evangile? Aussi le psaume que nous venons d'indiquer, commence ainsi: «Chantez au Seigneur un cantique nouveau». Ne t'imagine point que ce temple se bâtit à l'écart, comme bâtissent les hérétiques ou les schismatiques; car voici ce qui suit: «Toute la terre, chantez au Seigneur (3)».

4. «Chantez au Seigneur un cantique nouveau», différent du cantique ancien: c'est le Nouveau Testament succédant à l'Ancien; c'est le nouvel homme remplaçant le vieil homme. «Dépouillez-vous du vieil homme, est-il dit, et

1. Ps 29,12-13 - 2. Rm 7,14 - 3. Ps 95,1

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de ses actes; revêtez-vous du nouveau, lequel a été créé conforme à Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité (1)». Ainsi donc chantez au Seigneur un cantique nouveau, que toute la terre chante au Seigneur». Chantez et bâtissez, chantez et chantez bien. «Annoncez son salut, le jour engendré du jour: annoncez le jour issu du jour», son Christ. Et quel est son salut, sinon aussi son Christ? C'est pour l'obtenir que nous disions dans un autre psaume: «Montrez-nous, Seigneur, votre miséricorde, et donnez-nous votre salut (2)». C'est après ce Salut que soupiraient les anciens justes dont le Seigneur disait à ses disciples: «Beaucoup ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pu (3)». - «Et donnez-nous votre Salut». Ces anciens disaient aussi: «Donnez-nous votre Salut», accordez-nous de voir votre Christ pendant que nous vivons dans ces corps de chair. Voyons-le dans la chair, puisqu'il doit nous en délivrer; donnez cette chair qui doit sanctifier la chair, et qu'elle souffre pour racheter l'âme aussi bien que le corps. «Et donnez-nous votre Salut».

Tel était le désir du saint vieillard Siméon; ah! oui, il avait ce désir, ce saint vieillard comblé de mérites auprès de Dieu; lui aussi répétait sans doute: «Montrez-nous, Seigneur, votre miséricorde et donnez-nous votre salut»: et c'est quand il traduisait ses veaux par ces soupirs qu'il fut assuré de ne pas goûter la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur. Le Christ donc naquit; il venait et le vieillard s'en allait, mais celui-ci ne voulait pas quitter avant de l'avoir vu. La maturité de la vieillesse l'entraînait, mais sa piété sincère le retenait. Et dès que le Christ fut descendu, fut né; dès que Siméon le vit entre les bras de sa mère, ce pieux vieillard reconnut le divin enfant, il le prit dans ses mains et s'écria: «Maintenant, Seigneur, vous, laissez votre serviteur aller en paix: car mes yeux ont vu votre salut (4)». Voilà dans quel sens il disait: «Montrez-nous, Seigneur, votre miséricorde, et donnez-nous votre Salut». Les veaux du vieillard se trouvèrent ainsi accomplis, quand le monde lui-même touchait à la vieillesse; le Sauveur se donnait à ce vieillard, au moment où il visitait ce vieux monde. Mais si dès lors le monde était vieux, qu'il prête

1 Col 3,9-10 Ep 4,22-24 - 2. Ps 124,8 - 3. Lc 10,24 - 4. Lc 2,26-30

l'oreille à cet avertissement: «Chantez au Seigneur un cantique nouveau; que toute la terre le chante au Seigneur». A bas la vétusté, vive la nouveauté.

5. «Chantez au Seigneur un cantique nouveau; oui, chantez au Seigneur». Voyez avec quelle émulation travaillent les constructeurs. «Chantez au Seigneur. - Bénissez son nom. - Publiez la bonne nouvelle», en grec l'Evangile. Prêchez. Quoi? - «Le jour qui naît du jour». Quel est-il? «Le Salut de Dieu». Quel est encore ce jour qui naît du jour? C'est la lumière qui naît de la lumière, le Fils qui naît du Père, c'est son Salut. Publiez sa gloire parmi tous les peuples; ses merveilles au sein des nations». C'est ainsi que se bâtit le temple après la captivité. «Le Seigneur est terrible par-dessus tous les dieux». Quels dieux? «Tous les dieux des nations, qui ne sont que les démons, tandis que le Seigneur a fait les cieux (1)»; il a fait les saints, les Apôtres, ces cieux qui racontent la gloire de Dieu. Il n'est point d'idiomes, point de langues qui n'entendent leur voix, et leur parole s'est répandue par toute la terre (2)»; aussi toute la terre chante-t-elle le cantique nouveau.

6. Prêtons donc l'oreille à cet Apôtre qui se nomme l'architecte du Seigneur: «Comme un sage architecte, dit-il, j'ai établi le fondement»; écoutons cet architecte, édifiant d'une part et détruisant de l'autre. «Conduisez-vous par l'esprit», c'est une construction nouvelle; «et n'accomplissez point les désirs de la chair», c'est comme une démolition. «Parce que la chair, poursuit-il, convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair. Ils sont opposés l'un à l'autre, et vous «ne pouvez faire tout ce que vous voulez»; preuve que vous construisez encore et que vous ne faites pas la dédicace du temple.

«Et vous ne faites pas tout ce que vous voulez». Que voudriez-vous, en effet? N'éprouver absolument plus aucun penchant pour les plaisirs déréglés et coupables. Est-il un saint qui ne forme un tel veau? Mais il ne le réalise pas, ce voeu ne s'accomplit point durant la vie présente. «La chair y convoite contre l'esprit, «et l'esprit contre la chair. Ils sont opposes l'un à l'autre, et vous ne faites pas tout ce que vous voulez»; vous ne pouvez arriver à

1. Ps 95,1-5 - 2. Ps 18,2-5

65

n'avoir plus aucun penchant mauvais. Que faire alors? «Conduisez-vous par l'esprit»; et puisque vous ne pouvez éteindre absolument les désirs de la chair, «ne les accomplissez pas». Vous devez aspirer sans doute à les détruire, à les arracher, à les déraciner complètement; mais tant qu'ils sont encore en vous; et qu'il y a dans vos membres une loi qui résiste à la loi de votre esprit, «n'accomplissez point les désirs de la chair». Vous voudriez n'éprouver plus aucun de ces désirs; mais ces désirs mêmes résistent: résistez-leur. Vous voudriez n'en plus avoir, mais vous en avez: «La chair s'élève contre l'esprit»: que l'esprit s'élève contre la chair. «Et vous ne faites point ce que vous voulez», vous n'arrivez pas à anéantir ces inclinations de la chair: qu'elles ne fassent pas non plus ce qu'elles veulent; qu'elles ne vous fassent pas non plus accomplir ce qu'elles désirent. Si on ne cède pas complètement devant toi, ne cède pas non plus; combats, puisqu'on te combat, afin de remporter un jour la victoire.

7. Sûrement, en effet, mes frères, on aura la victoire: croyons, espérons, aimons; on aura la victoire un jour, le jour où se fera la dédicace du temple qui se bâtit maintenant, après la captivité. La mort même finira par être détruite, lorsque ce corps corruptible se sera revêtu d'incorruptibilité, ce corps mortel, d'immortalité. Lisez d'avance ces chants de triomphe. «O mort, où est ton ardeur dans la lutte (1)?». C'est bien le chant de triomphe et non le cri des combattants; car voici ce que disent ceux-ci: «Prenez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme; guérissez-moi, Seigneur, parce que mes os sont ébranlés et que mon âme est violemment troublée. Et vous, Seigneur, jusques à quand?» N'est-ce pas ici le travail de la lutte? Et vous, Seigneur, jusques à quand?» Jusques à quand? Jusqu'à ce que tu sois bien convaincu que c'est moi qui te soutiens. Si je te secourais à l'instant même, tu ne sentirais pas le travail de la lutte; ne le sentant pas, tu présumerais de tes forces, et cet orgueil t'empêcherait de remporter la victoire. Il est écrit, à la vérité: «Tu parleras encore, que je répondrai: Me voici (2)»; mais en retardant, Dieu ne nous oublie pas, il nous aide en différant, et son délai même est un secours: car en exauçant

1. 1Co 15,26 1Co 15,53-55 - 2. Is 58,9

trop tôt nos désirs, il ne nous assurerait point une santé parfaite.

8. Manquait-il à l'apôtre saint Paul, mes frères, lorsqu'au milieu de la mêlée celui-ci craignait de s'enorgueillir? De peur, disait-il, que la grandeur de mes révélations ne m'élève». Cet Apôtre était donc ainsi aux prises dans l'arène, sans jouir encore de la sécurité de la victoire. «De peur que je ne m'élève à cause de la grandeur de mes révélations». Qui dit: «De peur que je ne m'élève?» Quel sujet de craindre? quel sujet de trembler? Qui dit: «De peur que je ne m'élève?» Si souvent il réprime l'orgueil, abaisse la présomption, et il dit: «De peur que je ne m'élève!» Ce n'est même pas assez pour lui de craindre de s'élever: considérez quel remède il se dit obligé de prendre.

De peur que je ne m'élève, il m'a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan». Quelle plaie venimeuse, que le poison seul peut guérir! «Il m'a été donné un aiguillon dans ma chair, un ange de Satan pour me souffleter». Pour D'empêcher de lever la tête, on le frappait à la tête. Quel contrepoison, formé, pour ainsi dire, du serpent lui-même et méritant ainsi le nom de thériaque! C'est le serpent qui nous a inspiré l'orgueil. Goûtez et vous serez comme des dieux, disait-il: c'était bien là inoculer l'orgueil (1); c'était nous faire tomber par où il était tombé lui-même. Ne convenait-il donc pas que le serpent servît à guérir la plaie venimeuse faite par le serpent?

«Que dit encore l'Apôtre? C'est pourquoi j'ai demandé trois fois au Seigneur qu'il le retirât de moi». Mais qu'est devenue cette promesse: «Tu parleras encore, que je répondrai: Me voici? - C'est pourquoi j'ai demandé au Seigneur», non pas une fois, mais deux fois et même trois. Ne disait-il pas alors: «Et vous, Seigneur, jusques à quand?» Si le Seigneur différait, il n'était pas moins là et il ne démentait pas cette promesse: «Tu parleras encore, que je répondrai: Me voici». Si le médecin est là quand il t'accorde ce qui te plaît, n'est-il pas là aussi quand il tranche? Ne lui cries-tu pas de cesser, quand tu sens le tranchant du fer, et son amour même pour toi ne fait-il pas qu'il continue? Pour te convaincre enfin que le

1Gn 3,5

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Seigneur ne délaissait pas son Apôtre, vois ce qu'il répondit à sa prière, répétée trois fois Dieu me dit, poursuit-il: ma grâce te suffit, «car la vertu se perfectionne dans la faiblesse (1)». Je sais ce qu'il en est, dit le divin Médecin; je sais quelles proportions prendrait cette tumeur dont je veux te guérir. Sois tranquille, je n'ignore pas ce que j'ai à faire. «Ma grâce te suffit», mais non pas ta volonté.

Ainsi s'exprimait donc ce soldat dans la mêlée; ainsi disait-il les dangers qu'il courait et le secours divin qu'il implorait.

9. Et maintenant quels seront les chants de triomphe? Le combattant parle pendant qu'on bâtit le temple; au vainqueur de s'écrier, quand enfin on en fera la dédicace: «O mort, «où est ton ardeur? O mort, où est ton aiguillon? L'aiguillon de la mort est le péché». Ainsi s'exprimait l'Apôtre, et ne dirait-on pas qu'il y était déjà? Mais pour nous faire entendre qu'il s'agit ici, non pas de la lutte actuelle, mais de la récompense future, il a dit auparavant: «Alors s'accomplira», non pas s'accomplit; alors s'accomplira», quoi? cette parole de l'Ecriture: «La mort a succombé dans sa victoire. O mort, où est ton ardeur? O mort, où est ton aiguillon?» Ainsi il n'y aura plus nulle part ni aiguillon de la mort, ni péché, par conséquent. Pourquoi te tant hâter? Plus tard, plus tard. Mérite pour plus tard par ton humilité; car l'orgueil t'empêcherait d'obtenir jamais ce bonheur. Plus tard: maintenant donc, pendant que tu luttes, pendant que tu te fatigues et que tu cours des dangers, répète, répète: «Pardonnez-nous nos offenses (2)». Répète en combattant, répète ce qui est vrai, répète de tout ton coeur: «Si nous prétendons être sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes (3)». Ce serait faire contre toi l'office même du diable. «Nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous»; car n'étant point ici-bas sans péché, nous mentons en prétendant en être exempts. Disons donc la vérité, afin d'arriver un jour à la tranquillité. Disons la vérité en combattant, afin d'arriver à la sécurité que donne la victoire. Nous dirons alors avec raison: «O mort, où est ton aiguillon? L'aiguillon de la mort est le péché».

10. Mais tu comptes sur la loi; car une loi

1. 2Co 12,7-9 - 2. Mt 6,12 - 3. 1Jn 1,8

t'a été donnée avec ses préceptes. Afin toutefois de n'être pas tué par la lettre, il convient que l'Esprit te donne là vie. J'accorde que tu aies bonne volonté; la bonne volonté ne te suffit pas. Tu as besoin d'être aidé pour vouloir pleinement et accomplir ce que tu veux. Veux-tu savoir ce que peut, sans le secours de l'Esprit de Dieu, la lettre qui commande? Tu le trouveras dans le même passage. Après avoir dit: «O mort, où est ton aiguillon?» l'Apôtre ajoute immédiatement: «La force du péché est la loi (1)». Comment la loi est-elle la force du péché?» Ce n'est ni en commandant le mal, ni en défendant le bien, mais au contraire en commandant le bien et en défendant le mal. «La loi est la force du péché», parce que la loi est entrée pour faire abonder le péché». Comment la loi a-t-elle fait abonder le péché?» C'est que la grâce n'y étant pas, la défense n'a fait qu'enflammer la convoitise; et en présumant de sa propre force, l'homme est tombé dans de graves désordres. Qu'a fait ensuite la grâce? «Elle a surabondé, là où avait abondé le péché (2)». Le Seigneur est venu; et tout ce que tu as emprunté à Adam, tout ce que tu as ajouté au vice originel par tes moeurs dépravées, a été effacé, pardonné entièrement par lui; il a de plus enseigné à prier et promis la grâce, appris à combattre, aidé le combat. tant et couronné le vainqueur. «Ainsi donc, dit l'Apôtre, la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. Ce qui est bon serait-il devenu pour moi la mort? Nullement. Mais le péché, pour se montrer péché», car il existait avant la défense, mais on ne le voyait pas: «puisque je ne connaîtrais pas la convoitise, si la loi ne disait: Tu ne convoiteras pas. Prenant donc occasion du commandement, le péché m'a séduit par a lui et par lui m'a tué (3)». Voilà ce que signifie: «La lettre tue (4)».

11. De là il suit que pour échapper aux menaces de la loi, tu dois recourir à la grâce de l'Esprit; car la foi fait espérer ce que commande la loi. Crie donc vers ton Dieu, demande qu'il vienne à ton aide. Ne demeure pas coupable sous le fardeau de la lettre; que Dieu par son Esprit te seconde, pour que tu ne ressembles pas au juif superbe. Le péché étant l'aiguillon de la mort, et la loi la force

1. 1Co 15,51-56 - 2. Rm 5,20 - 3. Rm 7,7-13 - 4. 2Co 3,6

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du péché, que pourrait, hélas! la faiblesse humaine où s'épuise la volonté? Car il est écrit: «Le vouloir est en moi, mais je n'y a trouve pas à accomplir le bien (1)». Que faire alors? D'un côté: «Le péché est l'aiguillon de la mort»; d'autre part: «La loi est la force du péché. - La loi est entrée pour faire abonder le péché; car si la loi pouvait donner la vie, la justice viendrait réellement a de la loi. Mais l'Écriture a tout enfermé sous le péché». Comment a-t-elle tout enfermé? Pour t'empêcher de t'égarer, de te. jeter dans l'abîme, de disparaître sous les flots; la loi a dressé devant toi une barrière, afin que ne trouvant point d'issue tu recourusses à la grâce. «L'Écriture a tout enfermé sous le péché, afin que la promesse...» Promettre, c'est t'engager à faire toi-même et non pas prédire ce que tu feras; autrement ce ne serait pas promettre, mais annoncer d'avance. «L'Écriture a donc tout enfermé sous le péché, afin que la promesse fût donnée aux croyants par la foi en Jésus-Christ (2)». Remarque cette expression fût donnée. De quoi t'enorgueillir? Elle a été donnée. Que possèdes-tu en effet sans l'avoir reçu?

Ainsi donc le péché est l'aiguillon de la «mort, et la loi, la force du péché»; de plus la Providence l'a permis ainsi dans sa bonté, afin d'enfermer tous les hommes sous le péché, et de les déterminer à implorer du secours, à recourir à la grâce, à recourir à Dieu et à ne plus présumer de leur vertu. Si donc après ces mots: «Le péché est l'aiguillon de la mort, et la loi, la force du péché», tu trembles, tu t'inquiètes, tu te fatigues, écoute les mots qui suivent: «Grâces à Dieu, qui nous a octroyé la victoire par Jésus-Christ Notre

1. Rm 7,18 - 2. Ga 3,21-22 - 3. 1Co 4,7

Seigneur (1)». En vérité, est-ce de toi que te vient la victoire? Grâces à Dieu, qui nous a octroyé la victoire par Jésus-Christ Notre-Seigneur».

12. Par conséquent, si tu te sens accablé en luttant contre les convoitises de la chair, marche selon l'Esprit, implore l'Esprit, appelle le don de Dieu. Si de plus la loi des membres résiste, dans la partie inférieure ou dans la chair, à la loi de l'Esprit et te tient captif sous la loi du péché, compte que ce désordre même sera réparé par la victoire. Aie soin seulement de crier, de prier. «Il faut prier toujours et ne cesser jamais (2)». Prie de tout ton coeur, crie au secours! «Tu parleras encore, qu'il répondra: Me voici». Recueille-toi ensuite et tu l'entendras dire à ton âme: «Je suis ton salut (3)». Oui, quand la loi de la chair commencera à s'élever contre la loi de l'Esprit et à te pousser dans l'esclavage de la loi du péché qui est dans tes membres, dis avec l'accent de la prière, dis avec humilité: «Misérable homme que je suis!» L'homme, hélas! est-il autre chose? Qu'est-il, sans votre souvenir (4)?» - Misérable homme que je suis!» car c'en était fait de l'homme, si le Fils de l'homme n'était venu. Crie dans ta détresse: «Qui me délivrera du corps de cette mort», où la loi de mes membres résiste à la loi de mon esprit? A l'intérieur je me complais dans la loi de Dieu. Qui me délivrera du corps de cette mort?» Si c'est la foi, si c'est l'humilité qui t'inspire ce langage, la vérité même te répondra: «Ce sera la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur (5)».

Tournons-nous avec un coeur pur, etc.

1. 1Co 15,56-57 - 2. Lc 19,1 - 3. Ps 34,3 - 4. Ps 8,5 - 5. Rm 7,22-25





Augustin, Sermons 162