Augustin, Sermons 199

199

SERMON CXCIX. POUR L'ÉPIPHANIE. I. LA GLOIRE DU CHRIST.

ANALYSE. - La gloire du Christ nous est aujourd'hui révélée, premièrement par les Mages accourus d'Orient pour l'adorer secondement par l'étoile qui les dirige, troisièmement par les Ecritures qui lui rendent témoignage. En vain des savants superficiels essaient-ils d'appuyer sur l'apparition de l'étoile le système impie de l'astrologie judiciaire. Les astres évidemment n'exercent aucun empire sur le Christ; au contraire ils lui obéissent à sa naissance comme ils lui obéiront à sa mort.

1. Nous célébrions dernièrement le jour où le Seigneur est né parmi les Juifs; nous célébrons aujourd'hui celui où il a été adoré par les gentils. «Ainsi le salut vient des Juifs (1)»; et ce «salut s'étend jusqu'aux extrémités de

1. Jn 4,22

la terre (1)». Le premier jour ce sont les bergers qui l'ont adoré, ce sont les Mages aujourd'hui. Aux uns il a été annoncé par des anges, aux autres par une étoile; et tous, en voyant sur la terre le Roi du ciel, ont appris

1. Is 49,2-6

180

du ciel même que Dieu allait être glorifié au plus haut des cieux et la paix accordée sur la terre aux hommes de bonne volonté (1). Car le Sauveur «est notre paix, puisque de deux il a fait un»; et c'est ainsi que muet encore il s'annonce comme la pierre angulaire, et qu'il se montre tel dès le début de sa vie. Dès lors en effet il commence à unir en lui les deux murs qui viennent de directions différentes; amenant les bergers de la Judée et les Mages de l'Orient, «afin de former en lui-même un seul homme de ces deux peuples, en accordant la paix à ceux qui étaient loin, et la paix à ceux qui étaient proche (2)». Voilà pourquoi les uns en venant plus tôt et de près, et les autres en venant de loin et aujourd'hui seulement, ont signalé aux siècles futurs deux jours à célébrer, quoique les uns comme les autres n'aient vu qu'une seule et même lumière du monde.

2. Mais aujourd'hui il nous faut parler de ceux d'entre eux que la foi a amenés, de pays lointains, aux pieds du Christ. Ils sont donc venus et l'ont cherché en disant: «Où est le Roi des Juifs qui vient de naître? Car nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l'adorer (3)». C'est à la fois annoncer et questionner, croire et chercher: n'est-ce pas l'image de ceux qui se conduisent par la foi et qui désirent voir la réalité?

1. Lc 2,14 - 2. Ep 2,14-20 - 3. Mt 2,2

Cependant, n'était-il pas né bien des fois en Judée d'autres rois des Juifs? Pourquoi Celui-ci est-il par des étrangers reconnu dans le ciel et cherché sur la terre? Pourquoi rayonne-t-il en haut, se cache-t-il en bas? Les Mages voient en Orient une étoile, et ils comprennent qu'il est né un roi en Judée! Quel est donc ce Roi, si petit et si grand, qui ne parle pas encore sur la terre et qui déjà promulgue ses lois dans le ciel?

Toutefois, comme il voulait se faire connaître à nous par les saintes Ecritures, après avoir fait briller pour les Mages un signe aussi éclatant dans le ciel et leur avoir révélé au coeur qu'il était né dans la Judée, le Seigneur voulut, à cause de nous, que leur foi en lui fût appuyée aussi sur ses prophètes. En s'informant de la ville où était né Celui qu'ils aspiraient à contempler et à adorer, ils eurent besoin d'interroger les princes des Juifs, de savoir quelle réponse ils trouveraient pour eux dans l'Ecriture, dans l'Ecriture qu'ils avaient sur les lèvres et non dans le coeur. C'étaient donc des infidèles qui instruisaient les fidèles touchant le bienfait de la foi; des hommes qui mentaient par eux-mêmes et qui contre eux-mêmes proclamaient la vérité. Ah! qu'ils étaient éloignés d'accompagner ces étrangers à la recherche du Christ, quoiqu'ils eussent appris d'eux que c'était après avoir vu son étoile qu'ils étaient venus l'adorer; de les conduire eux-mêmes dans cette cité de Bethléem de Juda, qu'ils venaient de leur faire connaître d'après les livres saints; de contempler enfin, de comprendre et d'adorer avec eux! Malheureux, qui sont morts de soif, après avoir montré à d'autres la fontaine de vie; semblables à ces pierres milliaires qui indiquent la route aux voyageurs et qui demeurent insensibles et immobiles.

Les Mages donc cherchaient pour trouver, Hérode cherchait pour tuer; quant aux Juifs ils lisaient le nom de la ville où naissait le nouveau Roi, mais ils ne comprenaient pas le temps de son arrivée. Placés entre l'amour pieux des Mages et la crainte sanguinaire d'Hérode, les Juifs se perdirent tout en indiquant Bethléem. Sans chercher alors le Christ qui venait de naître dans cette ville, ils devaient le voir plus tard; le voir non pas silencieux mais rendant ses oracles, le renier et le mettre à mort. Combien l'ignorance des enfants qu'Hérode persécuta dans sa frayeur, était préférable à la science de ces docteurs qu'il consulta dans son trouble! Sans pouvoir confesser encore le Christ, ces enfants purent souffrir pour lui; tandis qu'après avoir pu connaître la ville où il était né, ces docteurs ne s'attachèrent point à la vérité qu'il prêchait.

3. C'est bien l'étoile qui conduisit les mages au lieu précis où était Dieu même, le Verbe devenu enfant. Rougis enfin, folie sacrilège, science ignorante, si je puis parler ainsi, qui t'imagines que le Christ en naissant fut soumis à l'arrêt des astres, parce que, d'après l'Evangile, des Mages virent, à sa naissance, son étoile en Orient. Tu n'aurais pas raison, alors même que les autres hommes seraient, en naissant, assujettis de cette sorte à la fatalité, puisqu'ils ne naissent pas, comme le Fils de Dieu, par leur volonté propre, mais d'après les lois d'une nature mortelle. Or, il est si peu vrai que le Christ soit né sous l'empire des astres, qu'aucun de ceux qui ont la vraie foi chrétienne, ne (181) le dirait d'aucun homme absolument. Que ces esprits superficiels publient sur les naissances humaines ce que leur suggère leur défaut de sens; qu'ils nient en eux l'existence de la liberté quand ils pèchent; qu'ils imaginent je ne sais quelle fatalité pour excuser leurs crimes; qu'ils travaillent à faire remonter jusqu'au ciel même les désordres qui les font détester par les hommes sur la terre; qu'ils multiplient les mensonges pour en rejeter la responsabilité sur les astres:au moins que nul d'entre eux ne perde de vue comment il croit pouvoir régler, non pas sa vie, mais sa famille, quelque autorité qu'il y possède. Eh! pourrait-il, avec ce sentiment, frapper ses esclaves lorsqu'ils lui manquent dans sa demeure, sans avoir dû préalablement blasphémer contre ses dieux qui brillent au haut du ciel?

Cependant ni les vains raisonnements de ces hommes, ni les livres qui sont pour eux, non pas des livres révélateurs mais sûrement des livres menteurs, ne leur permettent de croire que le Christ soit né sous l'empire des astres, parce qu'à sa naissance les Mages virent une étoile en Orient. Cette apparition prouve au contraire que loin d'être dominé par elle, le Christ dominait cette étoile. Aussi ne suivait-elle point dans le ciel la route ordinaire des étoiles, puisqu'elle conduisit jusqu'au lieu même où venait de naître le Christ ceux qui le cherchaient pour l'adorer. Ce n'est donc pas à elle qu'on doit rapporter la vie admirable du Christ, c'est au Christ plutôt qu'il faut attribuer la merveille de son apparition; elle ne fut point l'auteur des miracles du Christ, le Christ montra au contraire qu'elle était un de ses miracles. Fils du Père, c'est lui qui a formé le ciel et la terre; comme Fils de sa mère, il fit briller dans le ciel un nouvel astre aux yeux de la terre. Si une nouvelle étoile répandit à sa naissance une lumière nouvelle, l'antique lumière du monde s'éclipsa à sa mort dans le soleil même. Les cieux à sa naissance rayonnèrent d'une gloire nouvelle, comme les enfers à sa mort furent saisis d'une nouvelle frayeur, comme les disciples à sa Résurrection se sentirent embrasés d'un nouvel amour, comme en s'ouvrant à son Ascension l'empyrée lui rendit un hommage nouveau.

Ainsi donc célébrons avec pompe et avec dévotion le jour où le Christ fut reconnu et adoré des Mages de la gentilité (1); comme nous célébrions cet autre jour où les pasteurs de la Judée vinrent le contempler après sa naissance (2). C'est lui, le Seigneur notre Dieu, qui a choisi dans la Judée des pasteurs, c'est-à-dire ses Apôtres, afin de recueillir par eux les pécheurs de la gentilité pour les sauver.

1. Mt 11,1-11 - 2. Lc 2,8-20




200

SERMON CC. POUR L'ÉPIPHANIE. II. GRANDEUR DU CHRIST.

ANALYSE. - Tout ici proclame la grandeur du Christ. C'est d'abord l'adoration des Mages et l'apparition de l'étoile miraculeuse; c'est en second lieu la frayeur d'Hérode qui tremble sur son trône, au lieu que plus sages aujourd'hui les rois de la terre sont devenus les serviteurs du Christ; c'est en troisième lieu le témoignage que les Juifs rendent au Messie, quoiqu'ils condamnent pu là leur propre conduite; c'est enfin l'union que Jésus commence à former, en se les attachant, entre les Juifs fidèles et les gentils qui se convertissent.

1. Des Mages sont venus d'Orient pour adorer l'Enfant de la Vierge. Voilà le motif de la fête d'aujourd'hui, voilà pourquoi cette solennité et ce discours, qui sont pour nous une dette. Les Mages virent d'abord ce jour; devant nous il est ramené chaque année par la fête. Ils étaient les premiers de la gentilité; nous en sommes le peuple. Nous avons été (182) instruits par la langue des Apôtres; ils le furent, eux, par une étoile, interprète du ciel. Les mêmes Apôtres, comme s'ils eussent été le ciel, nous ont raconté la gloire de Dieu (1). Pourquoi d'ailleurs ne verrions-nous pas en eux le ciel, puisqu'ils sont devenus le trône de Dieu, conformément à ces paroles de l'Ecriture: «L'âme du juste est le siège de la sagesse (2)?» N'est-ce point dans ce ciel que Celui qui a créé et qui habite le ciel, a fait retentir son tonnerre et trembler l'univers entier, lequel maintenant est croyant?

O mystère étonnant! Il était couché dans une crèche, et d'Orient il amenait les Mages; il était caché au fond d'une étable, et proclamé du haut du ciel, afin qu'ainsi proclamé dans le ciel on le reconnût dans l'étable, ce qui a fait donner à ce jour le none d'Epiphanie, c'est-à-dire manifestation. Ainsi mettait-il en relief et sa grandeur et son humilité; car si les astres le révélaient au loin dans le ciel, il fallait le chercher pour le trouver dans un étroit réduit; et s'il était faible dans ce petit corps et enveloppé des langes de l'enfance, il n'en était pas moins adoré par les Mages et redouté des méchants.

2. Car Hérode le redouta lorsqu'il eut entendu les Mages, encore à la recherche de ce petit Enfant dont le ciel leur avait attesté la naissance. Eh! que sera son tribunal quand il viendra nous juger, puisque des rois superbes ont ainsi tremblé devant le berceau de son enfance muette? Que les rois aujourd'hui sont bien mieux inspirés, puisqu'au lieu de chercher, comme Hérode, à le mettre à mort, ils sont heureux de l'adorer comme les Mages; maintenant surtout qu'en subissant pour ses ennemis et de la part de ses ennemis la mort dont nous menaçait l'ennemi, il l'a étouffée dans son propre corps! Toutefois, si un roi impie a tremblé devant lui quand il prenait encore le sein de sa Mère; maintenant qu'il siège à la droite de son Père, que les rois aient pour lui une crainte pieuse. Qu'ils écoutent ces paroles: «Et maintenant, ô rois, comprenez, instruisez-vous, vous qui jugez la terre; servez le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec frayeur (3)». En effet ce grand Roi qui châtie les rois impies et qui dirige les rois pieux, n'est pas né comme naissent les rois de la terre, attendu que la

1. Ps 18,1 - 2. Sg 7 - 3. Ps 2,10-11

couronne ne lui vient pas de ce inonde. Sa grandeur se manifeste dès sa naissance dans la virginité de sa Mère, comme la grandeur de sa Mère éclate dans la divinité de son Fils. Si donc de tant de rois qui sont nés et qui sont morts parmi les Juifs, il n'en est aucun autre que des Mages aient cherché pour l'adorer, c'est qu'il n'en est aucun autre que leur ait fait connaître le langage des cieux.

3. N'oublions pas toutefois combien ce rayonnement de la vérité dans l'esprit des Mages fait ressortir l'aveuglement des Juifs. Les premiers venaient voir le Messie dans le pays de ceux-ci, et ceux-ci ne l'y voyaient point. Ils le trouvèrent parmi eux sous la forme d'un enfant sans parole, et eux le renièrent quand il enseignait en leur présence. Accourus de loin, des étrangers adorèrent parmi eux le Christ dans un enfant qui ne disait rien encore; et eux, ses concitoyens, le crucifièrent dans la vigueur de l'âge et lors qu'il faisait des miracles. Les uns le reconnurent pour leur Dieu malgré la faiblesse de ses membres, et les autres n'épargnèrent pas même son humanité, malgré la puissance de ses oeuvres. Mais devait-on être plus frappé de voir une étoile nouvelle briller au moment de sa naissance, que de voir le soleil s'obscurcir au moment de sa mort?

Il est vrai, l'étoile qui conduisit les Mages à l'endroit même où était le Dieu-Enfant avec la Vierge sa Mère, et qui pouvait également les conduire jusqu'à la ville où il était né, disparut tout à coup et ne se montra plus i eux pour le moment. Ils durent interroger les Juifs sur le nom de la cité où devait naître le Christ, leur demander ce que disaient sur ce point les divines Ecritures; et les Juifs durent répondre: «A Bethléem de Juda; car voici ce qui est écrit: Et toi, Bethléem, terre de Juda tu n'es pas la moindre des principales villes de Juda, puisque de toi sortira le Chef qui conduira mon peuple d'Israël (1)». La divine Providence ne voulait-elle pas nous montrer par là que les Juifs ne conserveraient plus que les saints livres, pour éclairer les Gentils et s'aveugler eux-mêmes; et qu'ils les porteraient dans le monde, non point comme un moyen de salut pour eux, mais comme un témoignage du salut qui nous serait accordé? Aussi, quand aujourd'hui nous citons les

1. Mt 2,1-6

antiques prophéties relatives au Christ et dont les événements accomplis ont fait éclater la lumière, s'il arrive aux païens que nous voulons gagner de nous objecter qu'elles ne sont pas si anciennes, que nous les avons fabriquées après coup pour donner aux faits l'air d'avoir été prédits; nous ouvrons, pour dissiper ce doute, les exemplaires juifs. Ainsi les païens sont figurés par ces Mages à qui les Juifs faisaient connaître d'après l'Ecriture la ville où était né le Christ, sans qu'eux-mêmes se missent en peine soit de le rechercher, soit de le reconnaître.

4. Maintenant donc, mes bien-aimés, enfants et héritiers de la grâce, réfléchissez à votre vocation, et puisque le Christ a été révélé aux Juifs et aux Gentils comme étant la pierre angulaire, attachez-vous à lui avec un amour dont rien ne dompte la persévérance. Oui, dès le berceau où reposait son enfance, ceux qui étaient près et ceux qui étaient loin l'ont également connu; les Juifs qui étaient près, dans la personne des bergers, et les Gentils qui étaient loin, dans la personne des Mages. Les uns sont venus à lui le jour même de sa naissance, et les autres aujourd'hui, d'après ce que l'on croit. S'il s'est manifesté aux premiers, ce n'est point parce qu'ils étaient savants; aux seconds, ce n'est point parce qu'ils étaient justes. L'ignorance n'est-elle pas le caractère de ces pasteurs des champs, et l'impiété, la marque de ces Mages sacrilèges? Les uns comme les autres, toutefois, ont été attirés par la pierre angulaire; car elle est venue choisir ce qu'il y a d'insensé dans le monde pour confondre les sages (1), appeler les pécheurs et non les justes (2), afin que personne n'eût à s'enorgueillir de sa grandeur ni à désespérer de sa bassesse. Aussi n'est-il pas étonnant que les Scribes et les Pharisiens, pour se croire trop savants et trop justes, l'aient rejetée de leur édifice après avoir montré, par la lecture des oracles prophétiques, la ville où il venait de naître. Il n'en est pas moins devenu la première pierre de l'angle (3), accomplissant par sa Passion ce qu'il avait indiqué à sa naissance; et pour ce motif attachons-nous à lui avec ce mur où je vois les restes d'Israël qui doivent leur salut au choix de la grâce (4). Car ces Israélites, qui n'avaient pas à venir de loin pour se lier à la pierre angulaire, étaient figurés par les bergers, comme nous, qui avons été appelés de si loin, l'étions par les Mages, pour n'être plus des hôtes et des étrangers, mais pour être des concitoyens des saints, pour faire partie de la maison de Dieu, pour être bâtis ensemble sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, pour avoir comme principale pierre angulaire Jésus-Christ même; lui qui a réuni les deux en un (5), afin de nous faire aimer l'unité dans sa personne, afin aussi de nous inspirer une ardeur infatigable à recueillir les rameaux qui, après avoir été greffés sur l'olivier franc en ont été détachés par l'orgueil pour s'attacher à l'hérésie, et que Dieu est assez puissant pour greffer de nouveau (6).

1. 1Co 1,27 - 2. Mt 9,13 - 3. Ps 117,22 - 4. Rm 11,5 - 5. Ep 2,11-22 - 6. Rm 11,17-24



201

SERMON CCI. POUR L'ÉPIPHANIE. III. LE MESSIE GLORIFIÉ.

184

ANALYSE. - Nous célébrons l'Epiphanie à aussi juste titre que la Nativité, car cette fête nous montré le Christ glorifié premièrement par l'apparition de l'étoile merveilleuse; secondement par les adorations qu'il reçoit des Mages; troisièmement par le titre de Roi des Juifs qu'ils lui donnent comme plus tard le lui donnera Pilate et comme pour faire une allusion future à celle prophétie du Sauveur: «Les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres»; quatrièmement enfin par le témoignage que les prêtres de Jérusalem rendent au Christ en présence des Mages, témoignage qui prélude au témoignage qu'ils doivent lui rends dans tout l'univers où ils seront dispersés.

1. Il y a quelque jours seulement nous célébrions la naissance du Seigneur; nous célébrons aujourd'hui, à aussi juste titre, le jour solennel où il commença à se révéler aux Gentils. Des bergers juifs l'autre jour le contemplèrent aussitôt qu'il fut né; des Mages venus d'Orient l'adorent aujourd'hui. C'est qu'en naissant il était déjà cette pierre angulaire sur laquelle devaient reposer les deux murailles de la circoncision et de l'incirconcision, accourant vers lui de directions fort opposées afin de s'unir en lui, en lui devenu notre paix pour n'avoir fait qu'un peuple des deux (1). C'est ce qu'ont figuré les bergers parmi les Juifs, et les Mages parmi les Gentils; en eux a commencé ce qui devait se développer et s'étendre dans l'univers entier. Ainsi donc célébrons avec une joie vive et toute spirituelle ces deux jours de la nativité et de la manifestation de Notre-Seigneur.

C'est à la voix d'un ange que les bergers juifs accoururent à lui, et les Mages de la gentilité à l'indication d'une étoile. Cette étoile couvre de confusion les vains calculs et les conjectures des astrologues, puisqu'elle conduit les adorateurs des astres à adorer plutôt le Créateur du ciel et de la terre. C'est lui en effet qui fit briller en naissant cette étoile nouvelle, comme il obscurcit en mourant le soleil déjà si ancien. A cette lumière commença la foi des Gentils, comme à ces ténèbres s'accusa la perfidie des Juifs. Qu'était-ce donc que cette étoile que jamais auparavant on n'avait aperçue parmi les astres, et qu'on ne put plus signaler

1. Ep 2,11-22

ensuite? Qu'était-elle, sinon le langage magnifique du ciel racontant la gloire de Dieu, oubliant, par son éclat tout nouveau, l'enfante ment nouveau d'une Vierge et préludant à l'Evangile qui devait la remplacer dans l'univers entier quand elle aurait disparu?

Qu'est-ce aussi que dirent les Mages en arrivant? «Où est le Roi des Juifs qui vient de naître?» Quoi! n'était-il pas né auparavant bien des rois des Juifs? Comment se fait-il que des étrangers désirent avec tant d'ardeur connaître et adorer Celui-ci? «Nous avons vu, disent-ils, son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer (1)». Le chercheraient-ils avec tant d'ardeur, désireraient-ils l'adorer avec une piété si affectueuse, si dans ce Roi des Juifs ils ne voyaient en même temps le Roi des siècles?

2. Aussi Pilate avait-il reçu comme un souffle de vérité, quand au jour de sa Passion il écrivit ainsi son titre: «Roi des Juifs», titre que les Juifs s'efforcèrent de corriger au lieu de se corriger eux-mêmes. «Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit», leur répondit Pilate (2); car il avait été dit, dans un psaume prophétique: «Ne change rien aux mots écrits du titre (3)». Mais étudions ce grand et merveilleux mystère.

Les Mages étaient des gentils, et Pilate également gentil: les premiers virent l'étoile dans le ciel, le second grava le titre sur la croix; mais tous cherchaient ou reconnaissaient dans Jésus, non pas le Roi des Gentils, mais le Roi des Juifs. Quant aux Juifs mêmes on ne les vit ni suivre l'étoile, ni adopter le titre. Ah! c'était l'emblème

1. Mt 2,2 - 2. Jn 19,22 - 3. Ps 1,6

185

de ce que devait dire plus tard le Seigneur en personne: «Beaucoup viendront d'Orient et d'Occident et prendront place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux; tandis que les enfants du royaume s'en iront dans les ténèbres extérieures (1)». Les Mages effectivement vinrent d'Orient et Pilate d'Occident; voilà pourquoi les uns rendirent témoignage au Roi des Juifs à son lever, c'est-à-dire à sa naissance; et l'autre à son coucher, c'est-à-dire à sa mort; afin de prendre place au festin du Royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob, dont les Juifs étaient issus, et sur lesquels ils étaient eux-mêmes entés par la foi sans en descendre par la chair: c'était donc déjà l'emblème du sauvageon dont parle l'Apôtre, qui devait se greffer sur l'olivier franc (2). Si donc ces Gentils ne cherchaient ni n'adoraient le Roi des Gentils mais le Roi des Juifs, c'est que le sauvageon devait être greffé sur l'olivier et non l'olivier sur le sauvageon. De plus, lorsque les Mages demandèrent où devait naître le Christ, les rameaux qui devaient être rompus, les Juifs infidèles répondirent: «A Bethléem de Juda (3)»; et quand Pilate leur reprocha de vouloir faire crucifier leur Roi, leur animosité contre lui se montra de plus en plus opiniâtre. Si donc les Mages durent aux Juifs, qui leur firent connaître le lieu de la naissance du Christ, de pouvoir l'adorer; c'est que l'Ecriture, confiée d'abord aux Juifs, nous le révèle à nous-mêmes; et si Pilate, le représentant des Gentils, se lava les mains pendant que les Juifs demandaient la mort du Sauveur (4), c'est que le sang versé par eux nous sert pour nous purifier de nos péchés. Mais nous traiterons ailleurs, au temps même de la Passion, du témoignage que rendit Pilate en écrivant au haut de la croix que Jésus était le Roi des Juifs.

3. Achevons ce que nous avons encore à dire de la manifestation ou, comme parlent les Grecs, de l'Epiphanie du Sauveur, lorsque après sa naissance il commença à se révéler aux Gentils et qu'il reçut les adorations des Mages. Nous ne saurions nous lasser de considérer comment les Juifs répondirent aux questions des Mages sur

1. Mt 8,11-12 - 2. Rm 11,24 - 4. Mt 2,5 - 5. Mt 27,24

le lieu où devait naître le Christ, lorsqu'ils leur dirent que c'était «à Bethléem de Juda», sans néanmoins venir eux-mêmes vers lui; comment encore l'étoile reparut, quand les Mages eurent quitté les Juifs, et les conduisit jusqu'au lieu où était l'Enfant divin: n'était-ce pas faire entendre clairement qu'elle pouvait aussi bien leur indiquer la ville de Bethléem, et que si elle disparut un moment c'était pour les porter à s'adresser aux Juifs? Si donc les Juifs furent interrogés, c'était pour enseigner qu'ils étaient dépositaires des divins oracles, moins pour leur propre salut que pour le salut et l'instruction des Gentils; et si ce peuple reste expulsé de son pays et dispersé dans le monde, c'est pour le forcer de rendre témoignage à la foi même dont il est l'ennemi. Sans temple, sans sacrifice, sans sacerdoce, sans empire, quelques rites anciens lui suffisent pour maintenir son nom et sa nationalité, l'empêchent de disparaître en se confondant complètement avec les peuples parmi lesquels il est répandu, et de perdre le témoignage qu'il rend à la vérité. C'est Caïn recevant au front un signe qui empêche de le mettre à mort, quoique par orgueil et par envie il ait donné la mort au juste, son frère (1).

On peut, avec quelque vraisemblance, interpréter dans ce sens un passage du psaume cinquante-huitième, où le Christ dit au nom de son corps mystique: «Mon Dieu m'a dit, au sujet de mes ennemis: Ne les fais pas mourir, dans la craince qu'on n'oublie un jour ta loi (2)». Ces ennemis de la foi chrétienne ne montrent-ils pas aux Gentils comment le Christ a été prédit? et envoyant avec quel éclat sont accomplies les prophéties, n'aurait-on pas été porté à croire qu'elles avaient été, après coup, fabriquées par les chrétiens? Mais quand les Juifs déploient leurs exemplaires, c'est Dieu qui nous éclaire par le moyen de nos ennemis. En ne les mettant point à mort, en ne les faisant point disparaître complètement du globe, il préserve sa loi de l'oubli; et quand les Juifs la lisent, quand ils en observent quelques points, d'une façon même purement charnelle, ne dirait-on pas qu'ils y cherchent leur condamnation et notre justification?

1. Gn 4,1-15 - 2. Ps 58,12




202

SERMON CII. POUR L'ÉPIPHANIE. IV. UNITÉ DE L'ÉGLISE.

ANALYSE. - C'est aujourd'hui que, représentants de la Gentilité, les Mages viennent, après les bergers juifs, s'unir à Jésus-Christ et fonder ainsi l'unité de l'Eglise. Aussi les Donatistes ne veulent pas de cette fête. C'est pourtant aujourd'hui que le Sauveur enlève glorieusement les dépouilles de Damas et de Samarie. - S'il semble donner des marques de faiblesse, c'est pour nous enseigner l'humilité; et s'il veut que les Mages interrogent les Juifs et retournent par un autre chemin, c'est pour nous rappeler la docilité à sa parole, ainsi que l'esprit de pénitence nécessaire aux vrais membres de son Eglise.

1. Quelle joie nous apporte, dans l'univers entier, la solennité de ce jour? Que nous rappelle le retour de cet anniversaire? L'époque où nous sommes demande que je l'expose par ce discours, qui revient également chaque année.

Le mot grec Epiphanie peut se rendre dans notre langue par celui de manifestation. C'est à pareil jour en effet, croit-on, que les Mages sont venus adorer le Seigneur, avertis par l'apparition d'une étoile et conduits par sa marche. Le jour même de la nativité ils virent cette étoile en Orient et comprirent de qui elle annonçait l'avènement. A dater de ce jour jusqu'à celui-ci ils franchirent la distance, effrayèrent Hérode par la nouvelle qu'ils lui apprirent; et lorsque les Juifs interrogés par eux leur eurent répondu, d'après les prophéties de l'Écriture, ils surent que le Seigneur était né dans la ville de Bethléem. Conduits ensuite par la même étoile, ils arrivèrent près du Seigneur lui-même, après l'avoir reconnu ils l'adorèrent, lui offrirent de l'or, de l'encens et de la myrrhe, puis retournèrent par un autre chemin (1). Il est vrai, le jour même de sa naissance il se manifesta aux bergers qu'il fit avertir par un ange; le même jour encore il se fit annoncer, par l'étoile, au loin, en Orient, aux Mages; mais c'est aujourd'hui seulement qu'il a été adoré par eux. Si donc toute l'Église des Gentils a voulu célébrer ce jour avec une grande dévotion, n'est-ce point parce que les Mages étaient les prémices de la gentilité? Les bergers étaient Israélites, les Mages Gentils; les premiers étaient près, les seconds éloignés;

1. Mt 2,1-12

mais les uns comme les autres accoururent se joindre à la même pierre angulaire. «Ainsi en venant il a annoncé la paix, comme dit l'Apôtre, et à nous qui étions loin, et à ceux qui étaient près. Car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux en a fait un, lui qui les a établis tous deux en lui, pour fonder sur l'unité l'homme nouveau, pour mettre la paix; de plus il a changé ces deux peuples réunis en un seul corps, en les réconciliant avec Dieu et en détruisant leurs inimitiés dans sa propre personne (1)».

2. On comprend pourquoi les Donatistes n'ont jamais voulu célébrer avec nous cette fête: ils n'aiment pas l'unité et ne sont pas en communion avec l'Église d'Orient, où se montra cette étoile. Pour nous, au contraire, honorons en demeurant dans l'unité catholique, ce jour où se révéla notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, et où il recueillit en quelque sorte les prémices de la gentilité. N'est-ce pas alors que, selon l'oracle d'un prophète, avant de pouvoir bégayer encore les noms de son père et de sa mère (1); en d'autres termes, avant de pouvoir, comme fils de l'homme, articuler aucune parole humaine, il s'empara des dépouilles de Samarie et de la puissance de Damas, de ce qui faisait la gloire de cette ville? Jouissant, à une certaine époque, de ce que le monde appelle prospérité, Damas s'était enorgueillie de ses richesses. Mais les richesses sont représentées par l'or principalement, et les Mages offrirent avec humilité de l'or au Christ.

Quant aux dépouilles de Samarie, il faut entendre par là ceux qui l'habitaient; car

1. Ep 2,11-22 - 2. Is 8,4

187

Samarie est ici l'emblème de l'idolâtrie, à laquelle s'était livré dans ses murs le peuple d'Israël en se séparant du Seigneur. Avant. donc de marcher, avec le glaive spirituel, contre le royaume du démon établi par tout l'univers, le Christ encore enfant enleva à sa domination ces premières dépouilles de l'idolâtrie; détachant les Mages de cette superstition contagieuse après les avoir déterminés à l'adorer lui-même; leur parlant du haut du ciel par le moyen d'une étoile, avant de parler sur la terre par l'organe humain de la pensée; leur apprenant en même temps, non par la bouche, mais par l'impression du Verbe fait chair, qui il était, dans quelle région et en faveur de qui il était venu au monde. Car ce même Verbe qui dès le commencement était Dieu en Dieu et qui venait de se faire chair pour habiter parmi nous, était en même temps près de nous et dans le sein de son Père, ne quittant point les anges dans le ciel, et sur la terre nous attirant à lui par le moyen des anges; faisant, par son Verbe, briller l'immuable vérité aux peux des habitants des cieux, et obligé, par l'étroitesse de l'étable, de demeurer couché dans une crèche; montrant dans le ciel une étoile nouvelle, et se présentant lui-même aux adorations de la terre.

Et néanmoins cet Enfant si puissant, ce Petit si grand, s'enfuit en Egypte porté sur les bras de ses parents, pour échapper à l'inimitié d'Hérode. Ainsi disait-il à ses membres, non par ses paroles, mais par ses actions et en gardant le silence: «Si on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre (1)». Pour nous servir en effet de modèle, ne s'était-il point revêtu d'une chair mortelle, d'une chair où il devait souffrir pour nous la mort au temps convenable? Aussi les Mages lui avaient-ils offert, non-seulement de l'or pour l'honorer et de l'encens pour l'adorer, mais encore de la myrrhe pour témoigner qu'on devait l'ensevelir un jour. Il fit voir aussi, dans la personne des petits enfants mis à mort par Hérode, ce que devaient être, quelle innocence et quelle humilité devaient avoir ceux qui mourraient pour sa gloire. Car les deux ans qu'ils avaient rappellent les deux commandements qui comprennent toute la Loi et les Prophètes (2).

3. Mais qui ne se demande avec surprise pourquoi les Juifs, questionnés par les Mages,

1. Mt 10,23 - 2. Mt 22,37-40

leur firent connaître d'après l'Ecriture en quel lieu devait naître le Christ, sans aller l'adorer avec eux? Ce phénomène ne se reproduit-il pas encore aujourd'hui sous nos yeux, puisque les pratiques religieuses auxquelles se soumettent ces coeurs durs ne prêchent que le Christ en qui ils refusent de croire? Quand aussi ils immolent et mangent l'Agneau pascal (1), ne montrent-ils pas le Christ aux Gentils, sans pourtant l'adorer avec eux? Et quand rencontrant des hommes qui se demandent si les passages des Prophètes relatifs au Christ n'ont pas été composés après coup par des chrétiens, nous les renvoyons aux exemplaires que les Juifs ont en main, afin de dissiper leur doute; alors encore n'est-ce pas les Juifs qui montrent le Christ aux Gentils sans vouloir l'adorer avec eux?

4. Pour nous, mes biens-aimés, dont les Mages étaient comme les prémices; pour nous qui sommes l'héritage de Jésus-Christ jus qu'aux extrémités de la terre; pour nous en faveur de qui une partie d'Israël est tombée dans l'aveuglement jusqu'à ce que soit entrée la plénitude des Gentils (2); pour nous qui connaissons notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, et qui savons qu'afin de nous consoler il a été jeté dans un étroit réduit et qu'il trône au ciel pour nous élever jusqu'à lui; ayons soin, en le prêchant sur cette terre, dans ce pays où vit notre corps, de ne pas repasser par où nous sommes venus, de ne pas reprendre les traces de notre première vie. Voilà pourquoi les Mages ne retournèrent point par le chemin qui les avait amenés. Changer de chemin, c'est changer de vie. A nous aussi les cieux ont raconté la gloire de Dieu (3); nous aussi nous avons été amenés à adorer le Christ par la vérité qui brille dans l'Evangile, comme brillait l'étoile dans le ciel; nous aussi nous avons prêté une oreille docile aux prophéties publiées par les Juifs, au témoignage rendu par ces Juifs qui ne marchent pas avec nous; nous aussi nous avons vu dans le Christ notre Roi, notre Pontife et la victime immolée pour nous, et nos louanges ont été pour lui comme une offrande d'or, d'encens et de myrrhe: il ne nous reste donc plus qu'à suivre un chemin nouveau, pour publier sa gloire, qu'à ne retourner point par où nous sommes venus.

1. Ex 12,9 - 2. Rm 11,25 - 3. Ps 18,2





Augustin, Sermons 199