Augustin, Sermons 219

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SERMON CCXIX. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. I.

ANALYSE. - C'est une exhortation à garder et à sanctifier cette veillée, que les païens mêmes observent pour s'appliquer à blasphémer.

En nous excitant à l'imiter et en rappelant plusieurs preuves insignes de sa vertu, l'apôtre saint Paul dit qu'il veillait très-souvent (1). Avec quel empressement ne devons-nous donc pas observer cette veillée, laquelle est comme la mère de toutes les autres, puisque le monde entier est sur pied? Je ne parle pas de ce monde dont il est écrit: «Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui; car tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, est convoitise des yeux et ambition du siècle, ce qui ne vient pas du Père (2)». Cette espèce de monde, effectivement, c'est-à-dire ces fils de la défiance, est gouvernée par le démon et par ses anges, par ces esprits contre lesquels nous avons à lutter, comme le dit encore saint Paul dans ce passage: «Notre lutte ne s'engage pas contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres (3)»; de ténèbres telles que nous avons été, nous qui sommes maintenant lumière dans le Seigneur, et qui, à la lumière de cette veillée, devons résister à ces chefs ténébreux. Ce n'est donc pas ce monde qui veille en cette nuit solennelle, c'est celui dont il est écrit: «Dieu était dans le Christ pour se réconcilier le monde et ne leur imputer pas leurs péchés (4)».

Cependant la solennité de cette nuit est si éclatante par tout l'univers qu'elle force à veiller de corps ceux-là mêmes dont le coeur est, je ne dirai pas endormi, mais enseveli dans la sombre impiété de l'enfer. Oui, ceux-là mêmes veillent durant cette nuit où les yeux mêmes voient l'accomplissement de cette antique prédiction: «Et la nuit sera éclairée à l'égal du jour (5)». Ainsi sont éclairés les

1. 2Co 11,27 - 2. 1Jn 2,15-16 - 3. Ep 6,42 - 4. 2Co 5,19 - 5. Ps 138,12

coeurs pieux à qui il a été dit: «Vous étiez a autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur (1)». Nos envieux jouissent aussi de cette lumière, en sorte qu'elle brille et pour ceux qui voient dans le Seigneur, et pour ceux qui portent envie au Seigneur.

Cette nuit donc veillent et le monde ennemi de Dieu, et le monde réconcilié avec lui, Celui-ci veille pour bénir le Médecin qui l'a sauvé; celui-là veille pour outrager le Juge qui l'a condamné. Celui-ci veille avec la ferveur et la lumière dans l'âme; celui-là veille avec la fureur et la rage dans les dents. Enfin, la charité de l'un, la haine de l'autre; l'ardeur chrétienne de l'un et l'envie diabolique de l'autre, ne, laissent dormir aucun d'eux pendant cette fête. Aussi bien nos ennemis eux-mêmes nous apprennent à leur insu et en veillant par haine contre nous, comment nous devons veiller par amour pour nous.

Parmi ceux en effet qui ne portent encore à aucun titre le nom du Christ, il en est beau coup que la douleur empêche de dormir cette nuit, il en est beaucoup aussi qui en sont empêchés par la honte; et ceux, en petit nombre, qui touchent à la foi, sont tenus en éveil par la crainte de Dieu. C'est donc pour différente motifs qu'on veille en cette solennité. Comment doit veiller dans la joie l'ami du Christ, quand son ennemi veille dans la douleur? Lorsque le Christ reçoit tant de gloire, avec quelle ardeur doit veiller le chrétien, quand le païen même rougirait de dormir? A celui qui est entré déjà dans la grande maison, comment n'est-il pas convenable de veiller en une telle fête, quand veille déjà Celui qui se dispose à y pénétrer?

1. Ep 5,8

235

Veillons donc et prions, afin de sanctifier cette nuit extérieurement et intérieurement. Que Dieu nous parle en nous faisant lire sa parole; parlons à Dieu en lui adressant nos prières. Si nous entendons avec soumission sa parole, c'est qu'habite en nous Celui vers qui s'élèvent nos supplications.




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SERMON CCXX. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. II. POURQUOI CETTE SOLENNITÉ.

ANALYSE. - Jésus-Christ n'est mort et n'est ressuscité qu'une fois; mais pour ne point laisser s'éteindre le souvenir de sa mort et de sa résurrection, on en renouvelle chaque année la mémoire par la célébration de cette fête.

1. La foi nous apprend, mes frères, et nous sommes fortement convaincus qu'un jour le Christ est mort pour nous, le Juste pour les pécheurs, le Maître pour des esclaves, le Libre pour des prisonniers, le Médecin pour ses malades, le Bienheureux pour les infortunés, le Riche pour les pauvres, pour les égarés Celui qui courait à leur recherche, le Rédempteur pour ceux qui s'étaient vendus, le Pasteur pour son troupeau, et, ce qui est plus admirable encore, le Créateur pour sa créature, ne perdant rien toutefois de ce qu'il est éternellement, tout en donnant ce qu'il s'est fait dans le temps; invisible comme Dieu et visible comme homme, donnant la vie à cause de sa puissance et acceptant la mort à cause de sa faiblesse, immuable dans sa divinité et paisible dans son humanité. Mais, comme s'exprime l'Apôtre: «S'il a été livré pour nos péchés, il est ressuscité pour notre justification (1)».

Vous savez parfaitement que cela ne s'est accompli qu'une fois. Or, quoique toutes les voix de l'Écriture publient que cet événement ne s'est accompli qu'une fois, cette solennité le ramène, à des temps révolus, comme s'il avait lieu souvent. Toutefois il n'y a pas opposition entre la réalité et la solennité; l'une ne dit pas vrai pour faire mentir l'autre, mais ce que l'une représente comme n'étant

1. Rm 4,25

arrivé qu'une fois effectivement, l'autre le rappelle aux coeurs pieux pour le leur faire célébrer plusieurs fois. La réalité montre l'événement tel qu'il s'est fait; la solennité, sans l'accomplir, mais en en renouvelant la mémoire, ne laisse point passer ce qui est passé. Ainsi donc quand «le Christ, notre Agneau pascal, a été immolé (1)», il n'a été mis à mort qu'une fois; il ne meurt plus désormais et la mort n'aura plus sur lui d'empire (2). Voilà pourquoi-nous disons, d'après la réalité, que cette immolation n'a eu lieu qu'une fois et qu'elle n'aura plus lieu jamais; tandis qu'au point de vue de la solennité, elle doit revenir chaque année.

C'est dans ce sens, me paraît-il, qu'on doit expliquer ces paroles d'un psaume: «La pensée de l'homme vous bénira, et ce qui restera de sa pensée vous célébrera une fête (3)». Si la pensée n'avait soin de confier à la mémoire ce qu'on lui apprend des faits accomplis dans le temps, elle n'en retrouverait ensuite aucune trace. La pensée donc bénit le Seigneur, lorsqu'elle est en face de la réalité; et ce qui reste de cette pensée dans la mémoire ne se lasse pas d'en renouveler la solennité pour détourner d'elle l'accusation d'ingratitude.

Voilà ce qui explique la brillante solennité de cette nuit. Nous y veillons comme pour

1. 1Co 5,7 - 2. Rm 6,9 - 3. Ps 75,11

236

renouveler la résurrection du Seigneur par. ce qui reste de notre pensée, tandis que réellement la pensée même nous la montre comme ne s'étant accomplie qu'une fois. Si donc en nous prêchant la vérité on nous a instruits, gardons-nous de manquer de religion en ne célébrant pas cette solennité. C'est elle qui dans tout l'univers rend cette nuit si éclatante; c'est elle qui met en relief la multitude des chrétiens, qui fait rougir les Juifs de leurs ténèbres et qui renverse les idoles des païens




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SERMON CCXXI. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. 3. POURQUOI VEILLER CETTE NUIT.

ANALYSE. - Dans la Genèse, le jour se compte à dater du matin; mais depuis que l'homme s'est plongé dans les ténèbres du péché dont Jésus-Christ est venu le délivrer. Chaque jour commence avec la nuit. Donc, le jour où Jésus-Christ est ressuscité commence aussi à la nuit du jour précédent, le second de sa sépulture; et comme il est ressuscité durant cette nuit, n'est-il pas convenable que durant cette nuit nous veillions aussi?

Il faut expliquer pourquoi nous veillons avec tant de solennité durant cette nuit principalement.

Aucun chrétien ne met en doute que le Christ Notre-Seigneur soit ressuscité le troisième jour; et pourtant l'Évangile assure que cette résurrection s'est accomplie durant la nuit. C'est que le jour entier se compte à dater de la nuit précédente inclusivement. Ce n'est pas ainsi que se supputent les jours dans la Genèse, quoique là aussi les ténèbres aient précédé la lumière; puisque les ténèbres étaient sur l'abîme quand Dieu dit: «Que la lumière soit faite, et que la lumière fut faite». Mais ces ténèbres n'étaient pas encore la nuit proprement dite; car le jour ne les avait pas précédées. Dieu en effet commença par diviser la lumière d'avec les ténèbres, puis il donna à la lumière le nom de jour, et aux ténèbres, ensuite, le nom de nuit; et c'est à dater de la formation de cette, jusqu'au matin suivant que s'étend le premier jour (1). Il est donc évident que chacun de ces jours a commencé avec l'aurore et que la lumière disparue, il ne s'est terminé qu'au matin suivant. Mais depuis que l'homme créé dans l'éclat de la justice, s'en est séparé pour

1. Gn 1,3-5

se plonger dans les ombres du péché dont la grâce du Christ travaille maintenant à le tirer, nous comptons les jours à dater de la nuit Ce n'est pas en effet pour passer de la lumière aux ténèbres, mais pour passer des ténèbres à la lumière que nous faisons tant d'efforts où nous espérons réussir par le secours du Seigneur. L'Apôtre ne dit-il pas dans ce sens: «La nuit est passée, mais aussi le jour approche; renonçons donc aux oeuvres de ténèbres et revêtons-nous des armes de lumière (1)?»

Par conséquent le jour de la passion du Sauveur, le jour où il fut crucifié, doit se joindre à la nuit précédente et il se termine au soir que les Juifs nomment la sainte Cène puisqu'ils commencent, dès le commencement de cette nuit, à observer le sabbat. Ensuite le jour du sabbat, qui commence avec cette nuit, finit le soir de la nuit suivante, laquelle appartient au jour que nous appelons le «dimanche», dies dominicus, le jour du Seigneur, parce que le Seigneur se l'est consacrée par la gloire de sa résurrection.

Ainsi c'est le souvenir de cette nuit faisant la première partie du dimanche suivant, que nous solennisons en ce moment; c'est durant

1. Rm 13,12

237

la nuit où le Seigneur est ressuscité, que nous veillons et que nous nous occupons, de cette vie dont il vient d'être, question entre nous, de cette vie où l'on ne connaît ni mort ni sommeil et dont le Sauveur nous a donné un premier idéal dans sa chair en la ressuscitant d'entre les morts, en la préservant à jamais de la mort et en ôtant à la mort tout empire sur elle. Aussi, quand au point du jour, les amis du Sauveur arrivèrent au sépulcre pour y chercher son corps, ils ne l'y trouvèrent point, et des anges leur répondirent qu'il était déjà ressuscité; ce qui montre avec évidence que la résurrection eut lieu durant cette même nuit qui finissait avec le point du jour.

D'un autre côté, si pour chanter la gloire de sa résurrection nous veillons un peu plus longtemps, il nous accordera de régner avec lui en vivant éternellement. Supposez même que durant les heures où nous prolongeons cette veille, son corps fût encore dans le sépulcre, ne fût pas encore ressuscité, ne serait-il pas convenable également de veiller? et Jésus-Christ ne s'est-il pas endormi pour nous obtenir de veiller, comme il est mort pour nous obtenir de vivre?




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SERMON CCXXII. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. IV. LES ESPRITS DE TÉNÈBRES.

ANALYSE. - En dissipant les ténèbres de cette nuit où nous veillons solennellement pour prier, rappelons-nous que nous devons lutter contre les esprits de ténèbres qui cherchent constamment à nous nuire.

Quoique la solennité même de cette sainte nuit vous excite à veiller et à prier, mes bien-aimés, nous ne devons pas moins sérieusement vous adresser la parole; c'est à la voix du pasteur d'éveiller le troupeau sacré pour le mettre en garde contre les bêtes nocturnes, contre les puissances ennemies et jalouses, contre les esprits de ténèbres. «Nous n'avons pas, dit l'Apôtre, à lutter contre la chair et le sang», en d'autres termes, contre des hommes faibles et revêtus d'un corps mortel: «mais contre les princes, les puissances et les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans le ciel (1)».

N'en concluez pas que le démon et ses anges, désignés par ces expressions de l'Apôtre, gouvernent le monde dont il est écrit: «Et le monde a été fait par lui (2)». Car, après les avoir nommés les dominateurs du monde, lui-même a craint qu'on ne comprît ici le

1. Ep 6,12 - 2. 1Jn 1,10

monde désigné tant de fois dans l'Ecriture sous les noms du ciel et de la terre, et comme pour s'expliquer il a ajouté aussitôt: «de ténèbres», autrement: d'infidèles. Aussi dit-il à ceux qui dès lors étaient devenus fidèles: «Autrefois vous étiez ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur (1)». Si donc ces esprits de malice sont dans le ciel, ce n'est pas dans le ciel où brillent les astres qui y sont placés avec tant d'ordre et où demeurent les anges, mais dans la sombre habitation de cette basse atmosphère où s'épaississent les nuages, et dont il est écrit: «Il couvre le ciel de nuées (2)». Là aussi volent les oiseaux, et on les appelle: «Les oiseaux du ciel (3)». C'est donc dans ce ciel inférieur et non point dans la sereine tranquillité du ciel supérieur qu'habitent ces esprits de malice contre qui il nous est commandé de lutter, pour mériter, après avoir vaincu les mauvais anges, d'être associés au bonheur éternel des bons anges. Voilà

1. Ep 5,3 - 2. Ps 146,8 - 3. Ps 49,11

238

pourquoi, en parlant ailleurs de l'empire ténébreux du diable, le même Apôtre dit: «Selon l'esprit de ce monde, selon le prince des puissances de l'air, lequel agit maintenant dans les enfants de la défiance (1)». Par conséquent, l'esprit de ce monde ne signifie autre chose que les dominateurs du monde; et de même que l'Apôtre indique ce qu'il entend par l'esprit de ce monde en ajoutant: «Les fils de la défiance», ainsi explique-t-il aussi sa pensée en mettant: «De ténèbres». A ces mots également: «Le prince des puissances de l'air», il oppose ceux-ci: «Dans le ciel».

Grâces donc au Seigneur notre Dieu qui nous a délivrés de cette puissance de ténèbres et qui nous a transférés dans le royaume du Fils de son amour (2). Mais une fois séparés de ces ténèbres par la lumière de l'Evangile, et

1. Ep 2,2 - 2. Col 1,12-13

rachetés de cette tyrannie au prix d'un sang divin, veillez et priez pour ne succomber pas à la tentation (1). Vous qui avez la foi agissant par la charité (2), de votre coeur a été expulsé le prince de ce monde (3); mais il rôde au dehors, comme un lion rugissant, cherchant quelqu'un à dévorer (1P 5,8). Peu lui importe par où il entre; ne lui laissez donc aucune ouverture, et pour vous défendre, faites demeurer en vous Celui qui l'a expulsé en souffrant pour vous. Quand il vous dirigeait, «vous étiez ténèbres; mais vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur; vivez comme des enfants de lumière»; en garde contre les ténèbres et les puissances de ténèbres, veiller au sein de la lumière où vous venez de naître; et du sein de cette lumière qui est comme votre mère, implorez le Père des lumières.

1. Mt 15,41 - 2. Ga 5,6 - 3. Jn 12,31


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SERMON CCXXIII. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. V. AUX NOUVEAUX BAPTISÉS.

ANALYSE. - Puisqu'en recevant le baptême ils sont devenus des enfants de lumière, saint Augustin les exhorte à s'unir au vrais enfants de lumière, aux bous chrétiens, sans s'étonner de rencontrer des chrétiens mauvais, attendu que ce monde est comme l'aire où la paille se trouve mêlée au bon grain. Ils doivent. éviter aussi de s'attacher aux grains sortis de l'aire; et quoi. qu'ils aient à souffrir des méchants, qu'ils n'oublient pas que la paille est incapable d'écraser jamais le bon grain.

1. L'Ecriture dit au livre de la Genèse: «Et Dieu vit que la lumière était bonne. Et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres; et Dieu appela la lumière jour et les ténèbres nuit (1)». Mais si Dieu a donné à la lumière le nom de jour, il s'ensuit qu'on peut appeler jour ceux à qui l'apôtre Paul adresse ces paroles: «Vous étiez ténèbres, autrefois vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur (2)»; car ils étaient éclairés par Celui-là même qui commanda à la lumière de jaillir des ténèbres (3).

Ces enfants (4), que vous voyez si blancs à

1. Gn 1,4-5 - 2. Ep 5,8 - 3. 2Co 4,6 - 4. Nom donné à tous les nouveaux baptisés, quel que fût leur âge.

l'extérieur, à l'intérieur si purs, et qui témoignent, par la blancheur de leurs vêtements, de la candeur de leur âme, étaient ténèbres quand ils étaient plongés dans la nuit de leurs péchés. Maintenant donc qu'ils ont été purifiés dans le bain du pardon, arrosés de l'eau de la sagesse et qu'ils sont pénétrés de la lumière de justice: «C'est le jour qu'a fait le Seigneur; livrons-nous à la joie et à l'allégresse qu'il nous inspire (1)». Prête donc l'oreille, jour du Seigneur, prête l'oreille, jour formé par le Seigneur, prête l'oreille et sois docile, afin de nous inspirer et joie et allégresse, notre joie

1. Ps 118,24

et notre couronne étant, comme dit l'Apôtre, que vous demeuriez fermes dans le Seigneur (1). Écoutez-nous, ô jeunes enfants d'une chaste Mère; ou plutôt écoutez-nous, enfants d'une Mère vierge. Puisqu'après avoir «été ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur, vivez comme des enfants de lumière»; attachez-vous aux enfants de lumière, et pour m'exprimer plus clairement, attachez-vous aux vrais fidèles; car, ce qui est affreux, il y en a de mauvais, il y en a qui portent le nom de fidèles sans l'être de fait; il yen a par qui sont outragés les sacrements du Christ, dont la conduite est une cause de perdition pour eux et pour autrui; pour eux, à cause de leur conduite coupable elle-même; pour autrui, à cause des exemples mauvais qu'ils donnent. Non, mes bien-aimés, ne vous liez pas avec ces mauvais fidèles; recherchez les bons, attachez-vous aux bons et soyez bons vous-mêmes.

2. Ne soyez pas étonnés, d'ailleurs, du grand nombre de ces mauvais chrétiens qui remplissent l'Église, qui participent aux dons de l'autel, qui applaudissent à haute voix les leçons de morale données par l'évêque ou par le prêtre, qui montrent enfin l'accomplissement de cette prophétie faite dans un psaume par Celui qui nous a appelés: «J'ai prêché, j'ai parlé, et ils sont devenus innombrables (2)». Ils peuvent maintenant se trouver avec nous dans l'Église; mais ils ne pourront compter dans cette grande assemblée des saints qui suivra la résurrection des morts. L'Eglise, aujourd'hui, est en effet comme l'aire où le grain est mêlé avec la paille, les bons avec les méchants; mais après le jugement elle ne contiendra que les bons, pas un seul méchant. On voit sur cette aire la moisson qu'ont semée les Apôtres, que les fidèles docteurs qui les ont suivis ont arrosée jusqu'à cette époque, et que les ennemis n'ont, hélas! que trop foulée; elle n'a plus à attendre que d'être nettoyée par le Vanneur suprême. Il viendra donc, car vous avez dit en répétant le Symbole: «Il en viendra juger les vivants et les morts». D'ailleurs l'Évangile dit aussi: «Il aura son van à la main, et il nettoiera son aire, et il placera son froment au grenier, tandis qu'il brûlera la paille dans un feu inextinguible(3)»:

J'ai un avertissement aussi à donner aux

1. Ph 4,1 - 2. Ps 32,6 - 3. Mt 3,12

239

fidèles plus anciens. C'est que le bon grain se réjouisse en tremblant, c'est qu'il reste dans l'aire sans la quitter. Qu'il ne se fie pas à son jugement pour essayer de se dépouiller en quelque sorte de la paille qui l'enveloppe; car en cherchant à se séparer de la paille, il ne pourrait rester sur l'aire; et comme le Juge qui ne se trompe jamais ne fera point monter au grenier ce qu'il ne trouvera point sur l'aire, c'est en vain que les grains éloignés maintenant de l'aire, répéteront qu'ils se sont formés sur l'épi, le grenier se remplira d'ailleurs, puis on le fermera. Aux flammes tout ce qui n'y sera point admis.

Donc, mes bien-aimés, c'est à celui qui est bon de tolérer celui qui est mauvais, et à celui qui est mauvais d'imiter le bon. Sur cette aire mystérieuse effectivement le bon grain peut dégénérer en paille, et la paille à son tour être changée en bon grain. Ceci arrive chaque jour, mes frères; la vie est pleine de ces chagrins et de ces consolations. On voit tomber et périr chaque jour ceux qui paraissaient bons; comme aussi on voit se convertir et ressusciter ceux qui paraissaient mauvais. «Car Dieu ne veut pas la mort de l'impie, mais son retour et sa vie (1)».

A vous maintenant, bons grains; à vous qui êtes ce que je voudrais être, à vous donc, bons grains. Ne vous attristez point d'être mêlés à la paille; ce mélange ne sera pas éternel. Combien après tout pèse sur vous cette paille? Grâces à Dieu, elle est légère. Seulement soyons le bon grain, et si abondante que soit la paille, elle ne nous écrasera point. Dieu est fidèle, il ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais il vous procurera une issue durant la tentation même, afin que vous puissiez persévérer (2).

Un mot aussi à la paille; où qu'elle soit, qu'elle m'écoute. Je voudrais qu'il n'y en eût pas ici; parlons néanmoins, dans la crainte qu'il y en ait. Écoute-moi donc, paille; mais en m'écoutant tu ne seras plus paille. Ecoute-moi: Profite de la patience de Dieu. Que le voisinage et les avertissements du bon grain te changent en bons grains. La pluie de la divine parole ne te fait pas défaut. Ah! ne laissez point stérile le champ du Seigneur; reverdissez, grainez, mûrissez. Celui qui a vous semés entend trouver en vous des épis et non des épines.

1. Ez 18,23 - 2. 1Co 10,13




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SERMON CCXXIV. POUR LE JOUR DE PAQUES. I. AU PEUPLE ET AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. DES PÉCHÉS DE LA CHAIR.

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ANALYSE. - Qui pourra dire la grâce incomparable que vous avez reçue en devenant chrétiens? Profitez-en et gardez-vous d'imiter les exemples des chrétiens mauvais. Ils regardent comme légers les péchés de la chair. Mais 1. n'est-ce pas ainsi que le démon trompa nos premiers parents? 2. Un homme regarderait-il comme une faute légère l'infidélité de sa femme? 3. L'Apôtre enfin nous représente comme horribles les péchés de la chair. Donc au plus tôt qu'on s'en corrige; et vous, nouveaux baptisés, je vous en conjure au nom de ce que vous avez de plus cher, n'imitez point ceux qui s'y livrent.

1. Adressons-nous à ceux qui ont aujourd'hui reçu le baptême, et qui sont régénérés en Jésus-Christ; mais nous vous envisagerons en eux comme nous les envisagerons en vous.

Vous voilà devenus membres du Christ. Ah! si vous songez au changement qui s'est fait en vous, tous vos ossements s'écrieront: «Qui vous ressemble, Seigneur (1)?» Non, on ne saurait se faire une idée assez haute de la bonté de Dieu; ni la parole ni la pensée humaines ne peuvent représenter cette grâce vraiment gratuite que vous avez reçue, puisqu'elle n'a trouvé en vous aucun mérite. Aussi est-ce de sa gratuité même que lui vient son nom de grâce. Quelle grâce! d'être comme vous l'êtes, des membres du Christ, des enfants de Dieu, des frères du Fils unique! Si le Fils de Dieu est Fils unique, comment pouvez-vous être ses frères, sinon parce qu'il est Fils unique par nature, et vous ses frères par grâce?

A vous donc qui êtes devenus ainsi les membres du Christ, je vais donner un avertissement. Je crains pour vous, moins encore de la part des païens, de la part des juifs, de la part des hérétiques, que de la part des mauvais catholiques. Dans le peuple de Dieu même, faites choix de ceux que vous avez à imiter. En voulant marcher sur les traces de la foule, vous ne serez pas du petit nombre qui suit la voie étroite (2). Eloignez-vous de la fornication, du vol, de la fraude, du parjure, de tout ce qui est interdit, des querelles; ayez horreur de l'ivresse; redoutez l'adultère comme

1. Ps 34,10 - 2. Mt 7,14

la mort, non pas comme la mort qui sépare l'âme du corps, mais comme la mort qui livre le corps et l'âme aux flammes éternelles.

2. Mes frères, mes fils et mes filles, mes soeurs, je sais que le démon joue son rôle et qu'il ne cesse de parler au coeur de ceux qu'il tient enchaînés; je sais qu'aux fornicateurs et aux adultères qui ne se contentent point da leur épouse, il dit secrètement: Ces péchés de la chair ne sont pas un grand mal. Ah! contre cette insinuation perfide appelons à notre secours l'incarnation du Christ.

Voilà bien le moyen employé par l'ennemi pour entraîner les chrétiens aux jouissances charnelles, c'est de leur montrer comme léger ce qui est grave, comme aimable ce qui est affreux, comme doux ce qui est amer. Mais qu'importe que Satan représente comme léger ce que le Christ nous assure être grave? Est-ce d'ailleurs pour la première fois que le démon dit aux chrétiens: Il n'y a pas grand mal dans ce que tu fais? Tu pèches dans ton corps; est-ce dans ton âme? Les péchés de la chair s'effacent aisément, Dieu les remet facilement. - Pourquoi s'étonner de cela? N'est-ce pas le même artifice qu'il employa au paradis quand il disait: «Mangez et vous serez comme des dieux; vous ne mourrez pas?» Dieu avait dit: «Le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort». L'ennemi vint et dit au contraire. «Vous ne mourrez pas, mais vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux (1)». On laissa de côté alors

1. Gn 2,17 Gn 3,5

241

la défense de Dieu pour écouter l'insinuation du diable, et l'on reconnut combien l'une était vraie et combien l'autre était fausse. Et ensuite, je vous le demande, que servit-il à la femme de dire: «C'est le serpent qui m'a séduite?» Cette excuse fut-elle admise? Si elle le fut, pourquoi cette terrible condamnation qui suivit?

3. Voilà pourquoi, vous, mes frères et mes fils qui avez une épouse, je vous recommande de n'aller pas au delà. Quant à vous qui n'en avez pas et qui voulez en prendre une, conservez pour elle votre pureté, comme vous voulez que pour vous elle conserve la sienne. Et vous qui avez fait à Dieu le voeu de continence, évitez de regarder en arrière. Vous le voyez, je vous avertis, je crie a vos oreilles, ainsi je me dégage, car Dieu m'a chargé de départir et non de sévir. Et pourtant, lorsque nous le pouvons, lorsque s'en offre l'occasion, lorsque nous connaissons le mal, nous le reprenons, nous le reprochons, nous l'anathématisons, nous l'excommunions; mais, hélas! nous ne le détruisons pas. - Pourquoi? C'est que «ni celui qui plante, ni celui qui arrose ne sont quelque chose, mais Dieu qui donne l'accroissement (1)». Maintenant donc que je vous parle, que je vous avertis, que faut-il, sinon que Dieu m'exauce et qu'il agisse en vous. c'est-à-dire dans vos coeurs?

Voici quelques mots encore que je vous recommande: ils sont de nature à effrayer les fidèles et à vous porter au bien. Vous êtes des membres du Christ, écoutez donc, non pas moi, mais l'Apôtre: «Prendrai-je, dit-il, les membres du Christ, pour en faire les membres d'une prostituée (2)?» Mais, reprend je pesais qui, je n'ai point de prostituée, c'est une concubine. O saint évêque, irez-vous dire que ma concubine soit une prostituée? - Est-ce donc moi qui l'ai dit? C'est l'Apôtre qui le crie, et c'est moi que tu accuses? Je veux te guérir; pourquoi te jeter sur moi comme un furieux? Toi qui tiens ce langage, as-tu une épouse? - Oui.- C'est bien; par conséquent, comme je l'ai déjà dit, cette autre qui dort près de toi est une prostituée.

1. 1Co 3,7 - 2. 1Co 6,15

Va maintenant et dis à ton épouse que l'évêque vient de t'outrager. Oui, toi qui as une épouse légitime, si tu dors avec une autre femme, quelle qu'elle soit, c'est une prostituée. Mais ton épouse garde envers toi la fidélité, elle ne connaît que toi et ne cherche point à en connaître un autre. Puisqu'elle est chaste, pourquoi ne l'es-tu pas? Si elle n'a que toi, pourquoi en as-tu deux? - C'est ma servante, reprends-tu, qui me sert de concubine; croyez-vous que je cours à la femme d'un autre ou aux femmes publiques? Dans ma propre maison ne puis-je faire ce que je veux? - Non, te dis-je; et ceux qui le font se jettent en enfer, ils brûleront dans les flammes éternelles.

4. Qu'on me permette de dire au moins ceci encore. Je demande qu'on se corrige de ces désordres pendant qu'on est encore en vie, dans la crainte que plus tard on ne le puisse tout en le voulant; car la mort vient soudain; il n'y a plus alors à se corriger, mais à se jeter au feu. Comment! on ne sait à quel moment arrive la dernière heure et l'on dit: Je vais me corriger? Quand t'appliqueras-tu à te corriger ainsi, à changer? Demain, réponds-tu. Mais en disant: Demain, demain, cras, cras, tu fais le corbeau. Eh bien! je te déclare moi que crier comme le corbeau c'est préparer ta perte. Ce corbeau dont tu imites la voix sortit de l'arche et n'y rentra pas (1). Pour toi, mon frère, rentre dans l'Eglise, dont cette arche était un symbole.

Mais vous, nouveaux baptisés, écoutez-moi; écoutez-moi, vous qui venez d'être régénérés par le sang de Jésus-Christ. Je vous en conjure donc par le nom que vous avez reçu, par cet autel dont vous vous êtes approchés, par ces sacrements auxquels vous avez été admis, par Celui qui viendra juger les vivants et les morts; je vous en conjure, je vous adjure au nom de Jésus-Christ, n'imitez point ceux en qui vous reconnaissez une telle conduite. Ah! conservez en vous la grâce du sacrement; si le Fils de Dieu n'a point voulu descendre de la croix, c'est qu'il voulait sortir vivant du tombeau,

1. Gn 8,7




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SERMON CCXXV. POUR LE JOUR DE PAQUES. II. AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. LE HAUT PRIX DE LA GRÂCE.

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ANALYSE. - Ce qui doit nous inspirer une estime singulière pour la grâce reçue par nous, c'est la grandeur incomparable du Fils de Dieu qui nous l'a accordée; car il est vraiment éternel, il est le Verbe ou la Parole de Dieu par qui tout a été fait. Il est vrai, il s'est incarné dans le sein de la Vierge, par l'opération du Saint-Esprit, mais sans quitter le sein de son Père; de même que notre parole intérieure ou notre pensée demeure en nous, tout en se communiquant à autrui. Donc profitons de la grâce que nous avons reçue; puisque cette grâce nous a faits lumière, de ténèbres que nous étions, vivons comme il convient de le faire au grand jour; et au lieu de nous laisser aller à la débauche des sens, livrons-nous à l'ivresse spirituelle qu'inspire l'amour de Dieu.

1. Ce qui doit nous inspirer l'estime la plus profonde pour la grâce divine, c'est que le Fils de Dieu est né du Père quand le temps n'existait pas encore.

Qu'était-il en effet avant de s'être uni à son humanité? Supposez que vous lui adressiez cette question et qu'il vous réponde. Voyons, mes frères: avant de naître de la Vierge Marie, le Christ existait-il ou n'existait-il pas? Supposons encore une fois que nous nous fassions cette question, quoique nous ne puissions avoir sur ce sujet le moindre doute. Eh bien! le Seigneur y a déjà répondu. Comme on lui disait en effet: «Vous n'avez pas cinquante ans encore, et vous avez vu Abraham?» il répliqua: «En vérité, en vérité je vous le déclare, avant qu'Abraham fût fait, je suis (1)». Alors donc. il existait, mais sans être homme encore. Ainsi nul ne peut dire que l'Ange seulement existait alors, puisque le saint Evangile enseigne expressément que le Christ existait aussi. Mais qu'était-il? demandez-vous. «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu». Voilà ce qu'il était; «dès le commencement il était le Verbe». Ce Verbe n'a pas été formé au commencement, mais «il était». Quant à ce monde que dit l'Ecriture? «Au commencement Dieu fit le ciel et la terre (2)». Par quoi les fit-il? «Au commencement était le Verbe», par qui ont été faits le ciel et la terre. Ce Verbe n'a pas été fait, «il était».

1. Jn 8,57-58 - 2. Gn 1,1

Mais enfin qu'était-il? car nous aussi nous employons des verbes ou des paroles. En nous la pensée conçoit la parole, et la voix la met au jour: mais conçues et prononcées elles passent toutes. Et le Verbe de Dieu? «il était en Dieu». - Dis-nous où il était, dis-nous ce qu'il était. - C'est fait: le saint Evangile, n'a-t-il pas dit en effet: «Au commencement était le Verbe?» - Mais ce n'est pas déclarer où il était ni ce qu'il était. - «Et le Verbe était en Dieu». - Mais je t'ai demandé ce qu'il était. - Vous voulez donc savoir ce qu'il était? «Et le Verbe était Dieu». Oh! quel Verbe! quel Verbe! Qui pourra montrer ce qu'il y a dans ces mots. «Et le Verbe était Dieu?» - Pourtant n'a-t-il pas été fait par Dieu? - Nullement. Ecoute encore le saint Evangile: «Tout a été fait par lui (1)». - Qu'est-ce à dire: «Tout?» Tout ce que Dieu a fait, il l'a fait par lui. Comment donc aurait pu être fait Celui qui a tout fait? Se serait-il fait lui-même? S'il s'est fait, il existait donc pour pouvoir se faire; et s'il n'existait point pour pouvoir se faire, c'est que jamais il n'a été sans exister.

2. Comment ce Verbe divin est-il venu dans le sein de la Vierge Marie? «Tout a été fait par lui». Tout, c'est-à-dire que par lui a été lait tout ce que Dieu a fait. Garde-toi, mon frère, de ne pas associer à cette oeuvre immense de l'Incarnation, l'Esprit-Saint. Quelle oeuvre immense en effet! Les anges ne sont

1. Jn 1,1-3

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pas l'une des moindres oeuvres, mais l'une des grandes oeuvres de Dieu: eh bien! les anges adorent la chair du Christ siégeant à la droite du Père; et cette chair est surtout l'oeuvre du Saint-Esprit; c'est lui qui figure pour en être l'auteur lorsqu'un ange annonça à la sainte Vierge qu'elle allait avoir un fils. La sainte Vierge avait résolu de conserver sa virginité; son mari devait, non l'en dépouiller, mais la lui garder; ou plutôt, comme c'était Dieu même qui la lui gardait, son mari n'était que le témoin de sa pudeur virginale et devait éloigner d'elle tout soupçon d'adultère. Aussi, après avoir entendu les communications de Fange, «Comment cela se fera-t-il, demanda-t-elle, puisque je ne connais point mon mari?» Si elle s'était disposée à le connaître, aurait-elle été embarrassée? La preuve de son dessein est donc dans ces paroles d'étonnement: «Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas mon mari? - Comment cela se fera-t-il?» - «L'Esprit-Saint descendra en vous», répliqua l'ange; voilà comment s'accomplira cette oeuvre; «et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre; aussi ce qui naîtra saint de vous, sera appelé le Fils de Dieu (1)». Que cette expression est juste: «Vous couvrira de son ombre (2)» C'est pour détourner de votre virginité l'ardeur de la passion. D'elle aussi il fut dit, pendant qu'elle était enceinte: «Il se trouva que Marie avait conçu par l'Esprit-Saint (3)». Le Saint-Esprit a donc formé réellement le corps du Christ. Le Christ, le Fils unique de Dieu l'a formée également. Comment le prouver? C'est qu'il est dit à ce sujet dans l'Écriture: «La Sagesse s'est bâti une demeure (3)».

3. Attention, maintenant. Comment un Dieu si grand, comment un Dieu qui habite le sein de Dieu, comment ce Verbe de Dieu par qui tout a été fait, peut-il s'enfermer dans le sein d'une femme? Et d'abord, ce Verbe, pour y venir, a-t-il quitté le ciel? A-t-il quitté le ciel pour être dans le sein de la Vierge? Mais comment auraient pu vivre les anges, si le Verbe avait abandonné le ciel? Il n'en est pas moins vrai que pour permettre à l'homme de manger le pain des anges, le Seigneur des anges s'est fait homme. Cherche donc encore, pensée humaine, cherche au milieu de tes nuages, épuise-toi, parle, découvre comment, sans

1. Lc 1,34-35 - 2. Mt 1,18 - 2. Pr 9,1

quitter les anges, sans quitter son Père, ce Verbe de Dieu par qui tout a été fait, a pu descendre dans le sein d'une Vierge? Comment a-t-il pu s'y enfermer? - Il a pu y descendre, mais non s'y enfermer. - Néanmoins, comment, étant si grand, a-t-il pu descendre en un lieu si étroit? Ce sein virginal a-t-il pu contenir Celui que ne contient pas le monde? Pourtant il ne s'est pas amoindri pour y descendre; il y était avec toute sa grandeur, et quelle n'est point cette grandeur? Que n'est-elle point? Essaie d'en parler. «Et le Verbe était en Dieu». Mais qu'était-il? «Et le Verbe était Dieu».

Moi aussi, qui t'adresse la parole, je sais cela, et je ne le comprends pas. Cependant la réflexion tend en quelque sorte notre esprit, en le tendant elle l'élargit, et en s'élargissant il peut comprendre davantage. Admettons toutefois que malgré cette capacité nouvelle nous ne pourrons entièrement comprendre. Exercez-vous sur ma parole elle-même. Ce que je vous dis, ce que je vais vous dire encore, écoutez-le, comprenez-le; c'est ma parole, c'est une parole humaine. Or, si vous ne pouvez pas même la comprendre, combien n'êtes-vous pas éloignés de comprendre le Verbe de Dieu?

Ce qui nous surprend, c'est que le Christ ait pris un corps et soit né de la Vierge, sans quitter son Père. Mais moi qui vous parle en ce moment, j'ai réfléchi à ce que je vous dirais, avant de venir ici. Une fois fixé sur ce que je vous dirais, je possédais une parole en moi-même; pourrais-je vous parler, si je n'y avais songé auparavant? Puisque tu ès latin, j'ai dû te parler latin; comme j'aurais dû te parler grec, te faire entendre des paroles grecques, si tu étais grec. Mais la parole que j'ai en moi n'est ni grecque ni latine; elle est, dans mon esprit, antérieure à ces formes de langage. Pour la produire je cherche des sons, je cherche comme un véhicule pour la conduire jusqu'à toi sans qu'elle me quitte. Eh bien! ce qui était dans mon esprit n'est-il pas maintenant dans le vôtre? Il est dans le vôtre et dans le mien tout à la fois; vous le possédez sans que j'en aie rien perdu. De même donc que ma parole s'est comme revêtue d'un son, pour se faire entendre; ainsi, pour se faire voir, le Verbe de Dieu a pris un corps.

J'ai dit ce que j'ai pu. Mais qu'est-ce que j'ai dit? Que suis-je d'ailleurs? Un homme qui a (244) cherché à vous parler de Dieu. Mais Dieu est si grand, il est de telle nature que nous ne saurions ni parler convenablement de lui, ni n'en parler point.

4. Je vous rends grâces, Seigneur, de ce que vous connaissez, vous, ce que j'ai dit ou voulu dire. Si j'ai donné à mes compagnons dans votre service des miettes tombées de votre table; vous, nourrissez et rassasiez intérieurement ceux que vous avez régénérés. Qu'a été cette multitude? «Ténèbres; mais elle est maintenant lumière dans le Seigneur». Car c'est à des hommes semblables à eux que disait l'Apôtre: «Autrefois vous étiez ténèbres; vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur (1)». Vous donc qui venez d'être baptisés, «vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur». Si vous êtes lumière, vous êtes aussi jour, puisque le Seigneur a donné à la lumière le nom de jours. Vous étiez ténèbres, Dieu vous a faits lumière, il vous a faits jour, et c'est à vous que s'applique ce que nous venons de chanter: «Voici le jour qu'a fait le Seigneur, livrons-nous à l'allégresse, à la joie qu'il nous inspire (2)». Ayez horreur des ténèbres.

L'ivresse est une oeuvre de ténèbres. Ne sortez point sobres d'ici pour y rentrer ivres; car nous vous reverrons après-midi. Le Saint-Esprit a commencé d'habiter en vous, ne le faites pas sortir; gardez-vous de l'éloigner de vos coeurs. Hôte généreux, il vous trouve pauvres et il vous enrichit; il vous trouve avec la faim et il vous nourrit; avec la soif, et il vous

1. Ep 5,8 - 2. Gn 1,5 - 3. Ps 117,24

enivre. Oui, qu'il vous enivre, puisque l'Apôtre a dit: «Prenez garde à l'ivresse du vin, lequel allume la luxure». Puis, comme pour nous enseigner de quoi nous devons nous enivrer: «Mais soyez remplis du Saint-Esprit, «continue-t-il; chantant entre vous des hymnes, des psaumes et des cantiques spirituels, louant Dieu du fond de vos coeurs (1)». Or, se réjouir dans le Seigneur et chanter les louanges de Dieu avec une vive allégresse, n'est-ce pas une apparence d'ivresse? J'aime cette ivresse: «Car c'est en vous, Seigneur, qu'est la source de vie, et c'est vous qui les abreuverez au torrent de vos délices». D'où vient donc cette ivresse? «De ce qu'en vous, Seigneur, est la source de vie, et de ce qu'a votre lumière nous verrons la lumière (2)».

Ainsi l'Esprit de Dieu est à la fois breuvage et lumière. Si tu découvrais une fontaine au milieu des ténèbres, pour t'en approcher, tu allumerais un flambeau. Point de flambeau pour aller à la source même de la lumière; elle suffit pour t'éclairer et diriger, ta marche vers elle. Veux-tu venir y boire? Plus tu approches et mieux tu, vois. «Approchez-vous de lui, et vous êtes éclairés (3)». Gardez-vous devons en éloigner; vous seriez replongés dans les ténèbres.

Seigneur mon Dieu, appelez, pour qu'on s'approche de vous; fortifiez, pour qu'on ne s'en éloigne pas. Renouvelez vos enfants, rendez vieillards ces petits, mais ne faites pas mourir ces vieillards. On peut vieillir dans la divine sagesse, on n'y doit pas mourir.

1. Ep 5,18-19. - 2. Ps 35,9-10 - 3. Ps 33,6





Augustin, Sermons 219