Augustin, Sermons 226

226

SERMON CCXXVI. POUR LE JOUR DE PAQUES. 3. LE JOUR NOUVEAU.

ANALYSE. - Notre-Seigneur, étant l'éternelle lumière, est le jour éternel; c'est lui encore qui a fait le jour créé au commencement du monde, et en nous appelant à la lumière de l'Evangile, il a fait de nous un jour nouveau. Donc conduisons-nous tomme des enfants de lumière.

Vous avez entendu prêcher, de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu' «au commencement il était le Verbe, que ce Verbe était en Dieu et que ce Verbe était Dieu!». Car si ce même Jésus-Christ Notre-Seigneur ne s'était humilié et avait voulu rester toujours dans sa grandeur, c'en était fait de l'homme. Nous reconnaissons donc que le Verbe est Dieu et demeure dans le sein de Dieu; nous reconnaissons que Fils unique il est égal au Père, nous reconnaissons qu'il est lumière de lumière et jour issu du jour.

Il est le jour qui a fait le jour, sans avoir été fait, mais formé lui-même par le jour. Or, si ce jour issu du jour n'a pas été fait mais engendré, quel est le jour qu'a fait le Seigneur? D'abord pourquoi l'appeler jour? Parce qu'il est lumière, et que «Dieu a donné à la lumière le nom de jour».

Maintenant quel est le jour qu'a fait le Seigneur pour que nous nous y livrions à l'allégresse et à la joie? A propos de la première formation du monde, nous lisons que «les ténèbres étaient au-dessus de l'abîme et que d'Esprit de Dieu était porté sur l'eau, Dieu dit ensuite: Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite. Et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres; et il appela la lumière jour et les ténèbres nuit (1)». Voilà bien le jour qu'a fait le Seigneur. Mais est-ce celui où nous devons nous livrer à l'allégresse et à la joie? Il est un autre jour, formé aussi par le

1. Gn 1,2-5

Seigneur, dont nous devons nous occuper davantage pour y exciter en nous la joie et l'allégresse. N'a-t-il pas été dit aux fidèles qui croient au Christ: «Vous êtes la lumière du monde (1)?» S'ils sont lumière, ils sont jour, puisqu'à la lumière Dieu a donné le nom de jour. Hier donc encore l'Esprit de Dieu était ici même porté sur l'eau, et les ténèbres étaient au-dessus de l'abîme, puisque ces enfants étaient chargés de leurs péchés. Aussi, quand ces péchés leur furent remis par l'Esprit de Dieu, ce fut alors que «Dieu dit: Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite alors».

Voilà donc «le jour qu'a fait le Seigneur; livrons-nous à l'allégresse et à la joie qu'il a nous inspire (2)». Adressons-nous à ce jour avec les paroles mêmes de l'Apôtre: O jour qu'a fait le Seigneur, vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur. Oui, dit l'Apôtre, «vous avez été ténèbres». L'avez-vous été, oui ou non? Demandez à votre conduite passée si vous ne l'avez pas été, regardez dans vos consciences les oeuvres auxquelles vous avez renoncé. Eh bien! puisque vous étiez autrefois ténèbres et que maintenant vous êtes lumière (3)». non pas en vous mais «dans le Seigneur, vivez comme des enfants de lumière (4)».

Veuillez vous contenter de ces quelques mots, car nous avons à travailler encore et à traiter aujourd'hui même, devant les enfants, des sacrements de l'autel.

1. Mt 5,14 - 2. Ps 117,24 - 3. Ep 5,8




227

SERMON CCXXVII. POUR LE JOUR DE PAQUES. IV. AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. SUR L'EUCHARISTIE

246

ANALYSE. - Après avoir rappelé que l'Eucharistie est vraiment le corps et le sang de Jésus-Christ, saint Augustin veut montrer que ce sacrement est aussi un symbole d'union. Quelle union admirable entre les grains de blé qui composent le pain eucharistique! Aussi en nous invitant solennellement à élever nos coeurs vers Dieu et à nous donner le saint baiser de paix, l'Eglise nous redit que nous devons être liés par la charité avec Dieu et avez nos frères. Prenons garde de profaner un sacrement si redoutable.

Je n'oublie point mon engagement. A vous qui venez d'être baptisés j'avais promis un discours sur le sacrement de la table sacrée, sacrement que vous contemplez en ce moment même et auquel vous avez participé la nuit dernière. Vous devez connaître en effet ce que vous avez reçu, ce que vous recevrez encore, ce que vous devriez recevoir chaque jour.

Ce pain donc que vous voyez sur l'autel, une fois sanctifié par la parole de Dieu, est le corps du Christ. Ce calice, ou plutôt ce que contient ce calice, une fois sanctifié aussi par la parole de Dieu, est le sang du Christ; et le Christ Notre-Seigneur a voulu par là proposer à notre vénération son propre corps et ce sang qu'il a répandu en notre faveur pour la rémission des péchés.

Mais si vous les avez bien reçus, vous êtes ce que vous avez reçu, sans aucun doute. «Si nombreux que nous soyons, dit en effet l'Apôtre, nous sommes tous un seul pain, un seul corps (1)». Ainsi fait-il connaître la signification de ce sacrement, reçu à la table du Seigneur: «Nous sommes tous un seul pain, un seul corps; si nombreux que nous soyons». Ce pain sacré nous apprend donc combien nous devons aimer l'union.

En effet, est-il formé d'un seul grain? N'est-il pas au contraire composé de plusieurs grains de froment? Ces grains, avant d'être transformés en pain, étaient séparés les uns des autres; l'eau a servi à les unir après qu'ils ont été broyés. Car si le froment n'est moulu, et si la farine

1. 1Co 10,17

ne s'imbibe d'eau, jamais on n'en fait du pain. C'est ainsi que durant ces jours passés vous étiez en quelque sorte écrasés sous le poids des humiliations du jeûne et des pratiques mystérieuses de l'exorcisme. L'eau du baptême est venue comme vous pénétrer ensuite, afin de faire de vous une espèce de pâte spi. rituelle. Mais il n'y a pas de pain sans la chaleur du feu. De quoi le feu est-il ici le symbole? Du saint chrême: car l'huile qui enta tient le feu parmi nous est la figure de l'Esprit-Saint. Soyez attentifs à la lecture des Actes des Apôtres; c'est maintenant, c'est aujourd'hui même qu'on commence à lire cet ouvrage, et quiconque veut faire des progrès dans la vertu, trouve là des moyens pour réussir. Quand vous venez à l'église, laissez de côté vos vains entretiens et appliquez-vous à étudier les Ecritures; nous sommes pour vous comme les livres qui les renferment. Remarquez donc et reconnaissez que le Saint-Esprit descendra le jour de, la Pentecôte. Comment viendra-t-il?Comme un feu, puisqu'il s'est montré sous la forme de langues de feu. C'est lui en effet qui nous inspire la charité afin de nous, enflammer d'ardeur envers Dieu et de nous pénétrer de mépris pour le monde, afin encore de consumer en nous ce qui d comme la paille et de purifier notre cm comme on purifie l'or. Ainsi donc le Saint-Esprit viendra comme le feu après l'eau, et vous deviendrez un pain sacré, le corps de Jésus-Christ. N'est-il pas vrai alors que le sacrement de la table sainte nous rappel l'unité?

247

Voyez aussi comme les mystères du sacrifice se suivent naturellement.

Après avoir prié, on vous invite d'abord à porter votre coeur en haut. N'est-ce pas ce que doivent faire les membres du Christ? Vous êtes devenus les membres du Christ; mais où est votre chef? Des membres ont un chef, et si le chef ne marche en avant, les membres ne le suivront point. Où donc est allé votre chef? Qu'avez-vous répété dans le symbole? «Le troisième jour il est ressuscité d'entre les morts; il est monté au ciel, il est assis à la droite du Père». Ainsi notre Chef est au ciel. Voilà pourquoi, lorsqu'on vous invite à élever votre coeur, vous répondez: «Nous a avons le coeur près du Seigneur». Il est à craindre toutefois que vous n'attribuiez à vos forces, à vos mérites, à vos travaux d'avoir élevé votre coeur près du Seigneur, tandis que vous ne le faites que par la grâce de Dieu. Aussi, quand le peuple a répondu: «Nous tenons notre coeur près du Seigneur», l'évêque, ou le prêtre qui célèbre, continue, et dit: «Rendons grâces au Seigneur notre Dieu», de ce que notre coeur, est près de lui. Rendons-lui grâces; car, sans lui, ce coeur serait à terre. Ç'est à quoi vous applaudissez en répondant encore: «Il est bien juste, et bien convenable» que nous rendions grâces à Celui qui nous accorde de tenir nos coeurs élevés vers notre Chef.

Ensuite, après la consécration du divin sacrifice, quand, afin de nous rappeler combien Dieu demande que nous soyons nous-mêmes un sacrifice pour lui, on a prononcé ces paroles: Sacrificium Dei et nos; en d'autres termes: le sacrifice désigne ce que nous sommes; une fois donc la consécration achevée, nous disons l'oraison dominicale, celle qui vous a été enseignée et que vous avez répétée, puis, à la suite de cette oraison: «La paix soit avec vous», et les chrétiens se donnent alors un saint baiser. Ce baiser est un symbole de paix; ce que témoignent les lèvres doit se passer dans le coeur. De même, donc que tes lèvres s'approchent des lèvres de ton frère, ainsi ton coeur ne doit pas s'éloigner du sien.

Quels grands, quels profonds sacrements! Voulez-vous savoir l'idée que vous devez vous en former? «Celui, dit l'Apôtre, qui mange indignement le corps du Christ ou qui boit indignement le sang du Seigneur, se rend coupable contre le corps et contre le sang du Seigneur (1)». Qu'est-ce que les recevoir indignement? C'est les recevoir avec dérision, avec mépris. Ne dédaigne point ce que tu vois. Ce que tu vois, passe sans doute; mais la réalité invisible ne passe pas, elle reste. On reçoit, on mange, on consume; mais que consume-t-on? Est-ce le corps de Jésus-Christ? Est-ce son Église? - Est-ce ses membres? Nullement. Ses membres au contraire puisent là la sainteté pour recevoir ailleurs la couronne. Voilà pourquoi l'invisible réalité subsistera éternellement, quoiqu'on voie passer les emblèmes sacrés. Recevez-les donc, mais avec recueillement, mais pour avoir l'union dans le coeur et pour tenir constamment votre coeur fixé au ciel. Oui, mettez vos espérances au ciel et non pas sur la terre; que votre foi en Dieu soit ferme, qu'elle soit agréable à Dieu. Car ce que vous croyez maintenant sans le voir, vous le verrez dans cette patrie où votre joie sera sans fin.

1. 1Co 11,27




228

SERMON CCXXVIII. POUR LE JOUR DE PAQUES. V. AU PEUPLE ET AUX NOUVEAUX BAPTISÉS. LES BONS EXEMPLES.

ANALYSE. - C'est une courte et vive exhortation adressée au peuple, pour le détourner de donner de mauvais exemples a nouveaux baptisés, et aux nouveaux baptisés pour les engager à ne pas perdre de vue les exemples de Jésus-Christ, à ne prendre modèle que sur les bons chrétiens, et à servir de modèles eux-mêmes.

1. Comme l'esprit est prompt, tandis que la chair est faible, je ne dois pas vous entretenir longuement, à cause des fatigues de la nuit dernière, et cependant je vous dois quelques mots.

Nous sommes en fête et dans la joie pendant les jours qui suivent la passion de Notre-Seigneur et où nous chantons l'alleluia pour louer Dieu, jusqu'au jour de la Pentecôte, où le Sauveur envoya du ciel le Saint-Esprit qu'il avait promis. Or, parmi ces cinquante jours, il en est sept où huit, et ce sont ceux qui s'écoulent maintenant, que nous consacrons aux sacrements reçus par ces enfants. Naguère nous les appelions postulants; enfants, aujourd'hui. On les nommait postulants, parce qu'alors ils secouaient en quelque sorte les entrailles de leur mère pour obtenir d'être mis au jour; on les nomme enfants, parce que, si antérieurement ils étaient nés pour le siècle, ils viennent seulement de naître pour le Christ, et la vie, qui doit être en vous déjà pleine de force, est en eux toute nouvelle.

Vous donc qui êtes fidèles avant eux, donnez-leur des exemples, non pour leur ôter cette vie, mais pour la développer-en eux. Ces nouveaux-nés observent leurs aînés, ils veulent savoir comment vous vivez. N'est-ce pas ce que font aussi les enfants d'Adam? Tout petits d'abord, sitôt qu'ils peuvent voir comment vivent les grands, ils les observent pour les imiter. Or, comme les plus jeunes marchent sur les traces des plus âgés, il est désirable que ceux-ci marchent dans la bonne voie, de crainte qu'en les suivant les plus jeunes ne périssent avec eux. Par conséquent mes frères, comme vous êtes en quelque sorte, vu l'époque de votre régénération, les parents de ces nouveaux baptisés, c'est à vous que je m'adresse, et je vous invite à mériter par votre conduite, non pas de périr, mais à jouir avec ceux qui vous imitent. Voici je ne sais quel fidèle en état d'ivresse; un enfant le remarque; n'est-il pas à craindre qu'il ne dis: Quoi! celui-là est fidèle, et il se livre à i tels excès? Il en remarque un autre qui usurier, qui donne à regret, qui exige cruellement ce qui lui est dû; et il se dit: Je ferai comme lui. On lui répond: Tu es maintenais au nombre des fidèles, garde-toi d'agir ainsi tu es baptisé, tu es régénéré, tu as d'autre espérances, aie aussi d'autres moeurs. - Mai pourquoi, réplique-t-il, un tel et un tel sont-il aussi au nombre des fidèles? - Je m'abstiens d'en dire davantage. Comment d'ailleurs ton rappeler? - Ainsi donc, mes frères, si vous vous conduisez mal, vous qui comptez depuis plus longtemps parmi les fidèles, vous rendrez, Dieu, pour eux et pour vous, un compte funeste.

2. C'est à eux maintenant que je dirai d'être comme le bon grain sur l'aire, de ne pas suivre la paille qu'emporte le vent pour se perdre avec elle; et, pour arriver au royaume de l'immortalité, de se laisser retenir par le poids de la charité. Oui, mes frères, mes fils, plantes nouvelles de l'Eglise votre mère, je vous en conjure au nom de ce que vous avez reçu, ayez l'oeil fixé sur Celui qui vous a appelés, qui vous a aimés, qui vous a cherchés quand vous étiez perdus et qui vous a éclairés (249) après vous avoir retrouvés: ne marchez pas sur les traces de ces hommes perdus en qui est si mal placé le nom de fidèles; car on ne leur demandera pas quel nom ils portent, mais si leur conduite répond à leur nom. Si cet homme est régénéré, où est sa vie nouvelle? S'il est fidèle, où est sa foi? Il me parle du nom, je coudrais voir aussi la réalité. Choisissez-vous pour modèle des hommes qui craignent Dieu, qui entrent avec respect dans son église, qui entendent avec soin sa parole, qui en conservent le souvenir, qui la méditent et qui la pratiquent. Voilà les modèles que vous devez choisir.

Ne dites pas en vous-mêmes: Eh! où en trouverons-nous de pareils? Soyez tels, et vous en trouverez de pareils. Les semblables s'attachent aux semblables; si tu vis dans la débauche, il ne s'unira à toi que des hommes débauchés. Commence à vivre saintement, et tu verras de combien d'amis tu seras environné, combien de frères feront ta joie. Quoi 1 tu ne trouves personne à imiter? Eh bien! mérite d'être imité.

3. Aujourd'hui encore nous devons adresser, de l'autel de Dieu, un sermon aux enfants sur le sacrement de l'autel. Nous leur avons parlé du sacrement du Symbole, ou de ce qu'ils doivent croire; du sacrement de l'oraison dominicale, ou de ce qu'il doivent demander; enfla du sacrement des fonts sacrés ou du baptême: ils ont entendu traiter de tous ces mystères, ils ont reçu tous ces enseignements. Mais ils n'ont rien appris encore du sacrement de l'autel, qu'ils ont vu aujourd'hui pour la première fois; je dois donc aujourd'hui les entretenir de ce sujet. Ainsi notre fatigue personnelle et l'édification de ces enfants demandent que ce discours ne se prolonge pas davantage.




229

SERMON CCXXIX. POUR LE LUNDI DE PAQUES. EUCHARISTIE, SYMBOLE D'UNION.

ANALYSE. - Il ne nous reste de ce discours qu'un simple fragment, dont l'idée se trouve dans un des précédents discours (1).

Parce qu'il a souffert pour nous, il a recommandé à notre vénération son corps et son sang dans ce sacrement. D'ailleurs nous sommes nous-mêmes devenus son corps, et par sa miséricorde nous. recevons de lui ce que nous sommes. Rappelez vos souvenirs, car vous ne rayez pas toujours été. Vous avez donc reçu an être nouveau; on vous a apportés sur l'aire sacrée, vous y avez été foulés par les boeufs, en d'autres termes, par ceux qui annoncent l'Evangile; pendant qu'on prolongeait votre catéchuménat, on vous conservait au grenier; après vous avoir fait inscrire, vous avez commencé en quelque sorte à être moulus sous le poids des jeûnes et des exorcismes; puis vous

1. Ci-dev. Serm. CCXXVII.

vous êtes approchés de l'eau sainte, vous en avez été pénétrés et vous êtes devenus comme une pâte qu'a fait cuire ensuite la chaleur du Saint-Esprit, et c'est ainsi que vous êtes devenus un pain sacré. Voilà ce que vous avez reçu.

De même que vous voyez l'unité dans ce qui s'est accompli pour vous, ainsi soyez vin, en vous aimant, en conservant une même foi, une même espérance, une indivisible charité. Les hérétiques, en recevant ce mystère, reçoivent ce qui les condamne, puisqu'ils recherchent la division, au lieu que ce pain est un symbole d'unité. Ainsi en est-il du vin;. malgré la multiplicité des raisins qui ont servi à le former, il est un aussi, il est un avec ses parfums dans le calice, après avoir été foulé (250) sous le pressoir. Vous également, après avoir passé par tant de jeûnes, par tant de travaux, par l'humiliation et le brisement du coeur, vous êtes comme entrés au nom du Christ dans le divin calice; et vous êtes là, placés sur la table, contenus dans la coupe sainte; Vous y êtes avec nous, puisque nous mangeons et buvons ensemble, puisqu'ensemble nous vivons.




230

SERMON CCXXX. POUR LA SEMAINE DE PÂQUES. I. LE JOUR NOUVEAU (1).

ANALYSE. - Le jour nouveau qu'a fait le Seigneur n'est autre chose que la sainteté des fidèles qui correspondent à la grâce.

Accomplissons avec l'aide de notre Dieu, ce que nous avons chanté à sa gloire. Tous les jours, sans doute, ont été faits par le Seigneur; ce n'est pourtant pas sans motif qu'il est écrit de l'un d'eux en particulier: «Voici le jour qu'a fait le Seigneur».

Nous lisons qu'au moment où il créait le ciel et la terre Dieu dit: «Que la lumière soit faite, la lumière fut faite alors; puis Dieu donna à la lumière le nom de jour et aux ténèbres le nom de nuit (2)». Il est néanmoins un autre jour que celui-là, jour certain et qui doit nous être plus cher que tous les autres, c'est celui dont il est question dans ces mots de l'Apôtre: «Marchons avec décence, comme en plein jour» - Quant au jour vulgaire, il s'écoule chaque jour entre le lever et le coucher du soleil. Mais cet autre jour est celui qui fait briller la parole de Dieu dans le coeur des fidèles, et qui dissipe non pas les ténèbres matérielles, mais les ténèbres morales. C'est ce jour qu'il faut contempler, c'est en ce jour qu'il convient de nous livrer à la joie. Ecoutons l'Apôtre: «Nous sommes, dit-il, des

1. Ps 117,24 - 2. Gn 1,3-5

enfants de lumière et des enfants du jour; non, nous ne le sommes point de la nuit et des ténèbres (1). Marchons avec décence, comme en plein jour, non dans les excès de table et l'ivrognerie, non dans les dissolutions et les impudicités, non dans l'esprit de contention et d'envie; mais revêtez-vous de Jésus-Christ Notre-Seigneur, et ne chercher pas à contenter la chair dans ses convoitises (2)».

Si vous agissez de la sorte, vous chantez de tout votre coeur: «Voici le jour qu'a fait le Seigneur», car en vous conduisant bien vous chantez alors ce que vous êtes. Combien, hélas! s'enivrent durant ces jours-ci Combien encore, non contents de s'enivrer, se livrent à des rixes non moins honteuses que cruelles! Ceux-là ne chantent pas: «Voici le jour qu'a fait le Seigneur». Le Seigneur, d'un autre côté, leur répondrait: Vous n'êtes que ténèbres, ce n'est pas moi qui vous ai faits. Voulez-vous être le jour qu'a fait le Seigneur? Conduisez-vous bien; vous jouirez alors de la lumière de la vérité, qui ne s'éteindra jamais dans vos coeurs.

1. 1Th 5,5 - 2. Rm 13,13-14




231

SERMON CCXXXI. POUR LA SEMAINE DE PAQUES. II. LA RÉSURRECTION SPIRITUELLE.

251

Analyse. - Rien de plus indubitable que la résurrection de Jésus-Christ. Or, Jésus-Christ est ressuscité pour nous faire ressusciter spirituellement avec lui, comme il est mort pour nous obtenir de mourir au vieil homme. Entrons vivement dans ses desseins: c'est le seul moyen d'arriver au bonheur que nous convoitons tous avec une ardeur si persévérante; car le bonheur n'est pas ici-bas, nous ne l'y trouverons pas plus que Jésus-Christ ne l'y a trouvé, et comme lui nous ne l'aurons qu'au ciel, si toutefois nous méritons d'y entrer.

1. Comme d'habitude, on lit durant ces jours la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ d'après tous les livres du saint Evangile. La lecture d'aujourd'hui nous montre comment à ses propres disciples, à ses premiers membres, à des hommes qui étaient toujours à ses côtés, le Seigneur Jésus reprocha de ne pas croire en vie Celui dont ils pleuraient la mort (1). Ainsi ces Pères de notre foi n'étaient pas fidèles encore; ces maîtres qui devaient amener l'univers entier à croire un enseignement pour lequel eux-mêmes devaient mourir, ne le croyaient pas encore. Ils avaient vu le ressusciter des morts, et ils ne croyaient pas qu'il fût ressuscité! Ne méritaient-ils pas les reproches qui leur étaient adressés? Le Sauveur voulait par là les faire connaître à eux-mêmes, leur montrer ce qu'ils étaient par eux-mêmes, et ce que par lui ils seraient à l'avenir. C'est ainsi que Pierre apprit à se connaître quand, aux approches de la passion et durant la passion même, il chancela si dangereusement. Il se vit alors tel qu'il était, il s'affligea, il pleura de ce qu'il était; puis il se tourna vers l'Auteur même de son être (2). Or les Apôtres ne croyaient pas même ce qu'ils avaient sous les yeux. Quelle grâce donc a daigné nous taire Celui qui nous a donné de croire ce que nous ne voyons pas! Nous croyons sur leur témoignage, et ils n'en croyaient pas à leurs propres yeux!

1. Mc 16,14 - 2. Mt 26,33-35 Mt 26,69-75

2. Or cette Résurrection de Jésus-Christ Notre-Seigneur est l'emblème de la vie nouvelle que doivent mener ceux qui croient en lui; et tel est l'enseignement mystérieux qui ressort de sa résurrection ainsi que de sa passion et que vous devez vous appliquer à approfondir et à pratiquer de plus en plus. Est-ce en effet sans motif que notre Vie s'est dévouée à la mort; que cette Source de vie, que cette Source où on boit la vie, a bu ce calice qu'elle ne méritait pas, puisque le Christ ne méritait pas la mort?

D'où vient la mort? Rendons-nous compte de son origine. Le père de la mort est le péché, et sans le péché nul ne mourrait; car au premier homme avait été donnée la loi de Dieu, ou plutôt un commandement spécial avec cette condition expresse qu'il vivrait s'il l'observait et qu'il mourrait s'il venait à le violer. Mais lui, ne croyant pas qu'il pût mourir, fit ce qui lui mérita la mort, et il reconnut combien était vraie la menace de Celui qui avait établi la loi. De là nous viennent et la mort et la mortalité, et les fatigues, et les souffrances de tout genre; de là aussi la seconde mort après la mort première, c'est-à-dire la mort éternelle après la mort temporelle. Or, dès sa naissance, chacun de nous est assujetti à cet empire de la mort, à ces lois du tombeau; à l'exception toutefois de Celui d'entre nous qui s'est fait homme pour ne pas laisser périr l'homme; car il n'est point né sous l'empire du trépas, et voilà pourquoi il est dit de lui dans un psaume qu'il était «libre parmi les morts (1)»; libre pour avoir été conçu sans mouvement de convoitise par une Vierge qui l'a mis au mondé Vierge et qui est restée toujours Vierge; pour avoir vécu sans tache, car il n'est point mort pour avoir péché; s'il a pris part à nos

1. Ps 127,6

252

châtiments, il n'a pris aucune part à nos fautes. En effet la mort est le châtiment du péché; or, Notre-Seigneur Jésus-Christ est bien venu mourir, mais il n'est pas venu pécher, et en partageant avec nous la peine sans avoir partagé la faute, il nous a déchargés de la faute et de la peine. De quelle peine nous a-t-il déchargés? De celle qui nous attendait au-delà de cette vie.

Par conséquent il a été crucifié afin de nous montrer sur la croix comment doit mourir en nous le vieil homme; et il est ressuscité afin de nous donner dans sa vie nouvelle l'idéal de la nouvelle vie que nous devons mener. C'est aussi l'enseignement formel d'un Apôtre: «Il a été livré, dit-il, pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification (1)». C'est encore ce que figurait la circoncision donnée aux patriarches, l'obligation de la pratiquer le huitième jour (2). Si cette circoncision se faisait avec des couteaux de pierre, c'est que la Pierre était Jésus-Christ (3); de plus elle annonçait en se pratiquant le huitième jour, que la résurrection du Sauveur servirait à nous dépouiller de la vie charnelle. Effectivement, le septième jour de la semaine tombe un samedi. Or, le samedi, le septième jour de la semaine, le Seigneur resta dans le tombeau, et il en sortit le huitième jour. Donc, puisque sa résurrection doit nous donner une vie nouvelle, il nous circoncit en quelque sorte en ressuscitant ce jour-là; et nous vivons dans l'espoir de ressusciter comme lui.

3. Ecoutons l'Apôtre: «Si vous êtes ressuscités avec le Christ», dit-il. Or, comment ressusciter, puisque nous ne sommes pas encore morts? Qu'a-t-il donc voulu dire par ces mots: «Si vous êtes ressuscités avec le Christ?» Le Christ lui-même serait-il ressuscité s'il n'était mort auparavant? Comment parler ainsi de résurrection à des hommes encore vivants, à des hommes qui ne sont pas encore morts? Que prétend-il? Le voici: «Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez les choses d'en haut et non les choses de la terre; car vous êtes morts». C'est l'Apôtre qui le dit, et non pas moi; mais il dit vrai, et voilà pourquoi je dis comme lui. Pourquoi dire comme lui? «Je crois, de là vient que je parle (4)».

1. Rm 4,25 - 2. Gn 17,12 - 3. 1Co 10,4 Jos 5,2 - 4. Ps 115,5

Ainsi donc, quand nous nous conduisons bien, nous sommes à la fois morts et ressuscités; et celui qui n'est ni mort ni ressuscité se conduit encore mal. En se conduisant mal, il ne vit pas. Qu'il meure donc pour ne pas mourir. Qu'il meure pour ne pas mourir? Qu'est-ce que cela signifie? Qu'il change pour n'être pas condamné. «Si vous êtes ressuscités avec le Christ, dirai-je de nouveau avec l'Apôtre, recherchez les choses d'en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez les choses d'en haut et non pas celles de la terre; car vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. Quand le Christ, votre vie, apparaîtra, vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire (1)». Ainsi parle l'Apôtre. Meure donc celui qui n'est pas encore mort, et que celui qui se conduit encore mal, change; car il est mort s'il a renoncé à ses désordres, et s'il se conduit bien, il est ressuscité.

4. Mais qu'est-ce que se bien conduire? C'est goûter les choses d'en haut et non les choses de la terre. Jusques à quand resteras-tu terre, pour retourner en terre (2)? Jusques à quand baiseras-tu la terre? Car en l'aimant tu la baises en quelque sorte et tu deviens l'ennemi de Celui dont il est dit dans un psaume: «Et ses ennemis baiseront la terre (3)». Qu'étiez. vous? Des enfants des hommes. Qu'êtes-vous maintenant? Des enfants de Dieu. «Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti? Pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez-vous le mensonge?» Quel mensonge recherchez-vous? Je vais le dire.

Vous voulez être heureux, je le sais. Montrez-moi un larron, un scélérat, un fornicateur, un malfaiteur, un sacrilège, un homme souillé de tous les vices et chargé de, tous les forfaits, de tous les crimes, qui ne veuille vivre heureux. Je le sais, tous vous voulez vivre heureux; seulement vous ne voulez pas rechercher ce qui fait le bonheur. Tu cours après l'or, parce que tu espères être heureux avec de l'or: ce n'est pas l'or qui rend heureux. Pourquoi recherches-tu le mensonge? Tu voudrais être honoré dans le monde; pour quoi? Parce que tu comptes trouver le bonheur dans les dignités humaines et dans les pompes du siècle: mais ces pompes ne te rendent pas heureux. Pourquoi recherches-tu le mensonge? Il en est ainsi de tout ce que tu

1 Col 3,1-4 - 2. Gn 3,19 - 3. Ps 71,9

253

convoites ici-bas, de ce que tu convoites à la manière du siècle, en aimant la terre, en baisant la terre; tu le recherches pour être heureux; mais rien sur la terre ne te saurait procurer le bonheur. Pourquoi donc ne pas cesser de rechercher le mensonge? Où espères-tu trouver le bonheur? «Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti?» Vous ne voulez pas qu'il le soit, et vous le chargez de terre? Pendant combien de temps le coeur des humains a-t-il été appesanti? Il l'a été jusqu'à l'avènement du Christ, jusqu'à sa résurrection. «Jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti? Jusques à quand aimerez-vous la vanité et rechercherez-vous le mensonge?» Comment, vous recherchez, pour être heureux, ce qui doit vous rendre malheureux? Vous êtes dupes de ce que vous convoitez; vous convoitez le mensonge même.

5. Tu voudrais être heureux? Je vais te montrer, si tu y consens, comment le devenir. Continue à lire: «Jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti? Jusques à quand aimerez-vous la vanité et rechercherez-vous le mensonge? Sachez». Quoi? «Sachez que le Seigneur a glorifié son Saint (1)». Le Christ est venu partager nos misères; il a eu faim et soif, il a été fatigué et il a dormi; on l'a vu faire des miracles et souffrir des indignités, flagellé, couronné d'épines, couvert à crachats, déchiré de soufflets, attaché à une croix, percé avec une lance, déposé dans un tombeau; mais il est ressuscité le troisième jour, après avoir fini ses travaux et donné la mort à la mort même. C'est là, c'est sur sa résurrection que je vous invite à tenir fixés vos regards. Dieu effectivement a glorifié son Saint jusqu'à le ressusciter d'entre les morts et lui faire l'honneur de s'asseoir à sa droite dans le ciel. Ainsi te montre-t-il ce que tu dois goûter si tu veux être heureux, puisque tu ne saurais l'être ici.

Non, tu ne saurais l'être ici, personne ne saurait l'être. Il est bon de chercher ce que tu cherches; mais ce que tu cherches n'est pas sur cette terre. Que cherches-tu? La vie bienheureuse; Elle n'est pas ici. Si tu cherchais de l'or où il n'y en a pas, celui qui saurait qu'il n'y en a pas là ne te dirait-il point: Pourquoi creuser, pourquoi tourmenter la terre? Tu

1. Ps 4,3-4

fais une fosse, mais c'est pour y descendre et non pour y rien trouver. A cet avertissement que répondrais-tu? - Mais c'est de l'or que je cherche. - Soit, je ne prétends pas que ce n'est rien, mais il n'y en a pas où tu en cherches, te dirait-on encore. - De même, quand tu me cries: Je veux être bienheureux, je réplique: C'est bien, mais ce bonheur n'est pas ici. Si Jésus-Christ l'a trouvé ici, tu l'y trouveras. Or, dans ce pays où règne la mort qui t'attend, qu'a-t-il trouvé? En venant de cet autre pays, qu'a-t-il rencontré dans celui-ci, sinon ce qui s'y rencontre si abondamment? Il a mangé avec toi, mais ce que tu possèdes dans ta misérable cellule. C'est ici qu'il a bu le vinaigre, ici qu'on lui a donné du fiel. Voilà ce qu'il a trouvé chez toi.

Et cependant il t'a convié à son splendide banquet, au festin des Anges, au banquet du ciel où lui-même sert d'aliment. Ainsi donc, s'il est descendu: jusqu'à toi, si chez toi il a trouvé tant de souffrances, s'il n'a pas dédaigné de s'asseoir avec toi à une table pareille, c'était polir te promettre sa propre table. Que nous dit-il en effet? Croyez, soyez sûrs que vous serez admis aux délices de ma table, puisque je n'ai point dédaigné les amertumes de la vôtre. Il a pris pour lui ton mal, et il ne te communiquerait pas ses biens? N'en doute pas. Oui, il nous a promis de vivre de sa vie; mais ce qu'il a fait est bien plus incroyable encore, puisque pour nous il a enduré la mort. Ne semble-t-il pas nous dire: Je vous invite à partager ma vie, dans ce séjour où personne ne meurt, où la vie est réellement bienheureuse, où les aliments ne s'altèrent point, où ils nourrissent sans, s'épuiser? Voilà à quoi je vous appelle, à habiter la patrie des Anges; à jouir de l'amitié de mon Père et de l'Esprit-Saint, à vous asseoir à un banquet éternel, à m'avoir pour frère, à me posséder enfin moi-même, à partager ma vie. Vous refusez de croire que je vous donne ma vie? Acceptez-en ma mort pour gage.

Maintenant donc, pendant que nous vivons dans ce corps de corruption, mourons avec le Christ en changeant de moeurs, et vivons avec lui en nous attachant à la justice; sûrs de ne trouver la vie bienheureuse qu'après être montés vers Celui qui est descendu jusqu'à nous, et qu'après avoir commencé à vivre avec Celui qui est mort pour nous.





Augustin, Sermons 226