Augustin, Sermons 278

278

SERMON CCLXXVIII. POUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL. I. GUÉRISON DU PÉCHEUR.

398

ANALYSE. - En convertissant saint Paul avec tant d'éclat, Dieu a voulu, comme le dit cet Apôtre, inspirer confiance en sa miséricorde. Mais pour guérir et se sanctifier, le pécheur a besoin: 1. de suivre un régime particulier et différent de celai qui était prescrit à l'homme avant son péché; 2. de souffrir des douleurs et des tribulations qu'on peut comparer aux opérations que font quelquefois les médecins; 3. de pardonner à qui l'a offensé, comme il est nécessaire que Dieu lui pardonne tant de péchés qu'il commet chaque jour, principalement en se laissant aller à la sensualité et en faisant un usage immodéré de ce qui est permis; 4. en soumettant à l'autorité des clefs les péchés graves où il peut tomber. Saint Augustin revient en terminant sur la nécessité de pardonner et de ne conserver aucune haine.

1. On a lu aujourd'hui, dans les Actes des Apôtres, le passage où on voit saint Paul devenir Apôtre du Christ, de persécuteur qu'il était des chrétiens; et maintenant encore, dans ces contrées d'Orient, les lieux mêmes rendent témoignage au fait qui s'est accompli alors, qu'on lit et qu'on croit aujourd'hui. Le but spirituel de cet événement est indiqué par le même Apôtre dans ses Epîtres. S'il a obtenu, dit-il, le pardon de tous ses péchés, notamment de cette rage, de cette aveugle frénésie avec laquelle il traînait les chrétiens à la mort, après s'être fait le ministre de la haine des Juifs, soit en lapidant le saint martyr Etienne, soit en dénonçant et en conduisant au supplice les autres fidèles; c'est pour que personne ne tombe dans le désespoir, si graves que soient les péchés dont il est chargé, si énormes que soient les crimes dont il porte les chaînes; c'est pour qu'on ne désespère pas d'obtenir le pardon, si on se convertit à Celui qui du haut de la croix où il était suspendu, pria pour ses bourreaux en disant: «Pardonnez-leur, mon Père, car ils ne savent ce qu'ils font (1)». De persécuteur Paul est donc devenu prédicateur, et le docteur des Gentils. «J'ai été d'abord, dit-il, blasphémateur, persécuteur et outrageux; mais la raison pour laquelle j'ai obtenu miséricorde, c'est que le Christ Jésus a voulu faire éclater en moi d'abord toute sa patience, pour me faire servir d'exemple à ceux qui croiront en lui en vue de la vie éternelle (2)». C'est effectivement la grâce de

1. Lc 23,39 - 2. 1Tm 1,13-16

Dieu qui nous sauve de nos péchés, de ces péchés qui sont pour nous autant de maladies, Oui, le remède vient de lui, c'est lui qui guérit l'âme. L'âme a bien pu se blesser; elle ne saurait se guérir.

2. Chacun d'ailleurs n'a-t-il pas le pouvoir de se rendre corporellement malade? Mais chacun n'a pas autant de pouvoir pour se guérir. Supposons qu'on fasse des excès, qu'on vive dans l'intempérance, qu'on se livre à ce qui est contraire à la santé, à ce qui la détruit même, on peut en un seul jour contracter diverses maladies; mais en relève-t-on aussitôt qu'on y est tombé? Pour se rendre malade il suffit de se livrer à l'intempérance; pour guérir on recourt au médecin. On n'a pas, je le répète, autant de pouvoir pour recouvrer la santé qu'on en a pour la perdre.

Ainsi en est-il de l'âme: pour se jeter en péchant dans les bras de la mort, pour devenir mortel, d'immortel qu'il était, pour être asservi au diable, au séducteur, il a suffi à l'homme de son libre arbitre; c'est par lui qu'en s'attachant aux choses inférieures il a abandonné les biens supérieurs, qu'en prêtant l'oreille au serpent il l'a, fermée à Dieu, et que placé entre son Maître et un séducteur, il a préféré obéir au séducteur plutôt qu'au Maître; car après avoir entendu Dieu sur un sujet, il a sur le même sujet écouté le démon. Pourquoi, hélas! ne croyait-il pas plutôt Celui qui est plus digne de foi? Aussi a-t-il expérimenté la vérité des prédictions divines et la fausseté des promesses diaboliques. Telle est l'origine première de nos maux, la racine de nos (399) misères; le germe de mort vient de la libre et propre volonté du premier homme. En obéissant à Dieu, il eût été toujours heureux et immortel; en négligeant et en méprisant ses préceptes, il devait tomber malade à la mort, bien que Dieu voulût lui conserver éternellement la santé: tel était le but de sa création. Mais il méprisa Dieu, et ce divin Médecin ne traite pas moins le malade.

Autres sont les prescriptions que fait la médecine pour la conservation de la santé; elle les donne à ceux qui en jouissent, pour qu'ils ne tombent pas malades: autres sont celles qu'elle adresse aux malades, pour qu'ils recouvrent ce qu'ils ont perdu. L'homme aurait dû, quand il avait la santé, obéir au médecin pour n'avoir pas besoin de lui; car «ceux qui se portent bien n'ont pas besoin de médecin, mais ceux qui sont malades». Dans le sens propre, en effet, on appelle médecin celui qui rend la santé. Mais Dieu est un médecin dont ne peuvent se passer ceux mêmes qui ont la santé, s'ils veulent la conserver. L'homme donc eût bien fait de conserver toujours la santé qu'il avait reçue avec l'existence. Mais il l'a méprisée, il en a abusé, son intempérance l'a conduit à cette maladie funeste dont nous mourons: que maintenant au moins il écoute les prescriptions de son médecin, afin de pouvoir sortir de l'état douloureux où l'a jeté son péché.

3. N'est-il pas vrai, mes frères, qu'en suivant les prescriptions hygiéniques que fait la médecine corporelle, celui qui a la santé la conserve? N'est-il pas vrai encore que s'il tombe malade on lui fait des prescriptions nouvelles, et qu'il s'y conforme s'il a le désir sérieux de recouvrer une bonne santé? Il ne la recouvre pas sans doute aussitôt qu'il se met à prendre les remèdes; mais en les prenant il commence à ne pas aggraver son état, puis, au lieu d'empirer, son état s'améliore et le malade guérit insensiblement, car à mesure que la maladie diminue, revient l'espoir d'une parfaite guérison. Eh bien! qu'est-ce que pratiquer la justice en cette vie, sinon écouter et accomplir les préceptes de la loi? Toutefois, jouit-on de la santé de l'âme sitôt qu'on observe ces préceptes? Non, mais on les observe pour y arriver. Qu'on ne se décourage donc pas en les accomplissant, car on ne recouvre qu'insensiblement ce qu'on a perdu en un moment. Eh! si l'homme retrouvait si promptement son ancien bonheur, ce serait pour lui un jeu de se jeter en péchant dans les bras de la mort.

4. Quelqu'un, par exemple, a-t-il contracté une maladie corporelle en se livrant à l'intempérance? lui est-il survenu dans quelque partie du corps un mal qu'on ne peut lui enlever qu'avec le fer? Sans aucun doute il lui faudra souffrir, mais ces souffrances ne seront point stériles. Ne veut-il pas essuyer les douleurs d'une incision? Qu'il se résigne à sentir en lui les vers et la pourriture. Le médecin donc se met à lui dire: Faites attention à ceci, à cela; ne touchez pas à ceci; ne prenez ni telle nourriture, ni telle boisson; ne vous inquiétez pas de telle affaire. Le malade commence à obéir, à observer ces recommandations; mais il n'est pas guéri encore. Que lui sert-il donc de s'y conformer? Il a en vue premièrement de n'accroître pas, de diminuer même son mal. Et ensuite? Il faut qu'il se résigne à accomplir encore ce que lui commande le médecin, qui va jusqu'à porter le fer sur sa main et lui causer d'horribles mais salutaires souffrances. Si donc ce malheureux, livré à la gangrène, s'écriait: Que me sert-il d'avoir observé les prescriptions, s'il me faut endurer les douleurs de cette opération? on lui répondrait. C'est que pour guérir il vous faut à la fois et suivre les prescriptions et souffrir l'opération: tant est sérieux le mal que vous vous êtes fait en ne respectant pas les recommandations quand vous étiez en santé. Jusqu'à ce que vous l'ayez recouvrée, obéissez donc au médecin: votre mal est cause de tout ce que vous souffrez.

5. C'est ainsi que médecin compatissant le Christ vient trouver l'homme affligé et souffrant. Aussi dit-il: «Ceux qui se portent bien n'ont pas besoin de médecin, mais ceux qui sont malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (1)». Il invite en effet les pécheurs à la paix et les malades à la santé. Il leur commande la foi, la chasteté, la tempérance, la sobriété; il réprime les convoitises de l'avarice; il dit ce que nous avons à faire, à observer. Eire fidèle à ses recommandations, c'est pouvoir assurer qu'on vit dans la justice conformément aux prescriptions du médecin; mais ce n'est pas avoir recouvré encore cette santé pleine et parfaite que Dieu

1. Mt 9,12-13

400

nous promet en ces termes par la bouche de son Apôtre: «Il faut que ce corps corruptible revête l'incorruptibilité, que mortel il revête l'immortalité. Alors s'accomplira cette parole de l'Ecriture: La mort a disparu dans sa victoire. O mort, où est ta puissance? O mort, où est ton aiguillon (1)?» C'est donc alors que la santé sera parfaite et que nous serons égaux aux saints anges. Mais lorsque avant d'en être là, mes frères, nous travaillons à nous conformer aux ordres du médecin, ne croyons pas les observer en vain quand il nous arrive des tentations et des afflictions. Il semble qu'on souffre davantage en observant les divins préceptes; mais ce que tu endures vient du médecin qui opère sur toi et non du juge qui châtie. S'il agit ainsi, c'est pour te rendre une parfaite santé; souffrons donc, supportons la douleur. Il y a de la douceur dans le péché; ne faut-il pas que l'amertume de la tribulation fasse disparaître cette douceur funeste? Tu jouissais en faisant le mal, mais par là tu es tombé malade. Le remède contraire est donc de souffrir une douleur temporelle pour recouvrer une éternelle santé. Fais bon usage de cette douleur, et garde-toi de la repousser.

6. Voici avant tous les- autres un remède qu'on ne doit cesser de prendre, un remède efficace contre tous les maux de l'âme, contre tous les empoisonnements du péché; c'est de dire et de dire sincèrement au Seigneur ton Dieu: «Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (2)». C'est ici comme un pacte que le médecin a écrit et signé avec ses malades. En effet, il y a deux sortes de péchés ceux qui offensent Dieu et ceux qui offensent le prochain. De là viennent aussi les deux préceptes auxquels se rapportent la loi et les prophètes: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit; Tu aimeras aussi ton prochain comme toi-même (3)». Ces d'eux commandements comprennent tout le Décalogue, dont trois préceptes sont relatifs à l'amour de Dieu, et sept à l'amour du prochain; mais nous en avons ailleurs suffisamment parlé.

7. De même donc qu'il n'y a que deux commandements, il n'y a que deux sortes de péchés: contre Dieu ou contre l'homme. Tu

1. 1Co 15,53-55 - 2. Mt 6,12 - 3. Mt 22,37-40

pèches en effet contre Dieu lorsque en toi tu souilles son temple; puisque Dieu t'a racheté avec le sang de son Fils. A qui d'ailleurs appartenais-tu avant d'être racheté, sinon à Celui qui a tout créé? Mais en t'achetant avec le sang de son Fils, il a voulu te posséder en quelque sorte à un titre particulier. «Aussi vous n'êtes pas à vous, dit l'Apôtre, car vous avez été achetés à un haut prix; glorifiez et portez Dieu dans votre corps (1)». Celui donc qui t'a racheté a fait de toi sa demeure. Ah! si tu ne te respectes pas à cause de toi, respecte-toi à cause de Dieu, qui t'a fait son temple. «Le temple de Dieu est saint, dit l'Ecriture, et ce temple, c'est vous». Elle dit encore: «Celui qui souillera le temple de Dieu, Dieu le perdra (2)». Et pourtant les hommes en se livrant à ces péchés croient ne pas pécher, attendu qu'ils ne nuisent à personne.

8. Je veux donc, autant que me le permettront ces quelques instants, faire connaître à votre sainteté quel mal font ceux qui se souillent en se livrant à la voracité, à l'ivresse, à la fornication et qui répondent aux observations: Je suis dans mon droit, je suis sur mon terrain; à qui ai-je dérobé? qui ai-je dépouillé? à qui ai-je fait tort? Je veux jouir de ce que Dieu m'a donné. Cet homme se croit innocent, parce qu'il ne nuit à personne. Mais est-ce être innocent que de se nuire à soi-même? On est innocent quand on ne nuit à personne: car l'amour du prochain se règle sur l'amour de soi, Dieu ayant dit: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même». Or aimes-tu ton prochain lorsque ton intempérance détruit en toi l'amour de toi? De plus, Dieu peut te dire: Lorsque tu veux te souiller en te laissant aller à l'ivresse, ce n'est pas l'habitation du premier venu, c'est la mienne que tu ruines. Où demeurerai-je maintenant? Au milieu de ces ruines? Au milieu de ces souillures? Situ devais donner l'hospitalité à l'un de mes serviteurs, tu réparerais et tu approprierais la maison où il devrait entrer: et tu ne purifies pas le coeur où je veux faire mon séjour?

9. Je n'ai cité que cet exemple, mes frères, afin de vous faire comprendre jusqu'à quel point pèchent ceux qui se souillent eux-mêmes tout en se croyant innocents. Cependant il est difficile, au milieu de cette vie fragile et mortelle,

1. 1Co 6,19-20 - 2. 1Co 3,17

401

de ne pas user quelquefois avec immodération des choses même nécessaires: il faut donc prendre le remède contenu dans ces mots: «Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offenses»; mais il faut dire vrai en les prononçant. test pour ne pas nuire au prochain qu'il t'est défendu de commettre l'adultère. Tu ne veux pas en effet qu'un étranger approche de ton épouse, tu ne dois pas approcher non plus d'une épouse étrangère. Nuiras-tu au prochain en jouissant de la tienne avec intempérance? User alors sans modération de ce qui est permis en soi, c'est souiller en soi le temple de Dieu. Un mari étranger ne t'accusera pas; mais que répondra ta conscience lorsque Dieu te fera dire par son Apôtre: «Que chacun de vous sache posséder son bien saintement et honnêtement, et non avec la convoitise maladive des Gentils, qui ignorent Dieu (1)». Or, quel est l'époux qui n'approche de son épouse que pour accomplir le devoir de la procréation des enfants? C'est dans ce but en effet qu'elle lui a été accordée, comme l'attestent les actes matrimoniaux. Un contrat a été passé alors, et ce contrat dit formellement: «Pour la procréation des enfants». Ainsi donc, si tu en es capable, n'approche d'elle que pour accomplir ce devoir. Aller au delà, c'est manquer à l'acte matrimonial et au contrat. La chose n'est-elle pas évidente? Oui, c'est mentir et violer le pacte; de plus, quand Dieu voudra s'assurer si son temple a conservé en toi toute sa pureté, il découvrira le contraire, et cela non parce que tuas joui de ton épouse, mais parce que tu en as joui sans réserve. Le vin que tu bois ne vient-il pas de ton cellier? Si cependant tu en bois jusqu'à t'enivrer, la circonstance que ce vin t'appartient ne t'excuse pas de péché. Malheureux! tu as fait servir le don de Dieu à corrompre ton âme.

10. Que conclure, mes frères? Il est sûrement clair et la conscience de tous répète qu'il est difficile d'user même de ce qui est permis, sans dépasser en quelques points la mesure. Or en dépassant la mesure, tu outrages Dieu, dont tu es le temple. «Car le temple de Dieu est saint, et ce temple c'est vous» Que nul ne s'abuse. «Quiconque violera le temple de Dieu, Dieu le perdra». L'arrêt est prononcé,

1. 1Th 4,4-5

tu es coupable. Que dire maintenant dans tes prières, dans les moments où tu imploreras ce Dieu que tu outrages dans son temple, que tu chasses de son temple? Comment purifier à nouveau la demeure de Dieu en toi? Comment ramener Dieu dans ton âme? Comment, sinon en disant d'un coeur sincère, et par tes paroles et par tes actions: «Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui «nous ont offensés?» Qui t'accusera d'user sans modération de la nourriture, du vin, de l'épouse qui t'appartiennent?Aucun homme ne t'en accusera, mais Dieu lui-même te demandera compte de la pureté et de la sainteté de son temple. Cependant lui aussi te donne un remède. Si tu m'offenses par défaut de réserve, semble-t-il te dire, si je te trouve coupable quand aucun homme ne t'accuse, remets à ton frère ses torts contre toi, afin que je te pardonne tes offenses contre moi.

11. Attachez-vous fortement à cela, mes frères. Renoncer même à ce contre-poison, c'est rejeter absolument tout espoir de salut. Je ne puis le promettre, ce salut, à qui nie dirait: Je ne pardonne pas aux hommes les torts qu'ils peuvent avoir à mon égard. Puis-je en effet promettre ce que Dieu ne promet pas? Je serais alors, non pas le dispensateur de la divine parole, mais le ministre du serpent. N'est-ce pas le serpent qui a promis à l'homme qu'il serait heureux en péchant, tandis que Dieu l'avait menacé de la mort? Or, qu'est-il arrivé, sinon ce que Dieu avait fait craindre au pécheur? et quel n'a pas été le mécompte de celui-ci en face des promesses du serpent? Voudriez-vous que je vous dise, mes frères: Eussiez-vous péché, n'eussiez-vous rien pardonné aux hommes, vous serez sûrement sauvés, et quand Jésus-Christ viendra il accordera le pardon à tous? Je ne tiendrai pas ce langage, parce qu'on ne me l'a point tenu; je ne dis point ce qu'on ne me dit pas. Dieu sans doute assure l'indulgence aux pécheurs, mais c'est en pardonnant les péchés passés aux cours convertis, croyants et baptisés. Voilà ce que je lis, voilà ce que j'ose promettre, voilà ce que je promets et ce qui m'est promis à moi-même. Quand en effet on lit cette promesse, nous l'entendons tous, puisque tous nous sommes condisciples, car dans notre Ecole il n'y a qu'un seul Maître.

12. Je reprends: Dieu remet les péchés quand on est converti; mais dans le cours de la vie il se rencontre certains péchés graves et (402) mortels qui ne s'effacent que par les douleurs aiguës de l'humiliation du coeur, de la contrition de l'âme et des afflictions de la pénitence; pour remettre ces péchés il faut de plus les clefs de l'Eglise. Commences-tu à te juger, à te condamner toi-même? Dieu viendra prendre compassion de toi. Veux-tu te punir? Il t'épargnera. Or c'est se punir que de faire bien pénitence. Qu'on se montre sévère contre soi, pour obtenir la miséricorde de Dieu. C'est ce qu'enseigne David. «Détournez votre face de mes péchés, dit-il, et effacez toutes mes iniquités». Pourquoi? Il l'exprime dans le même psaume: «Parce que je reconnais mon crime et que mon péché s'élève sans cesse contre moi 1». Dieu donc oublie, si tu reconnais ta faute.

Il y a de plus de petits et légers péchés, qu'il est absolument impossible d'éviter, qui semblent peu redoutables, mais qui accablent par leur nombre. Les grains de blé sont fort petits; mais on en forme des quantités qui suffisent pour charger des navires, pour les faire même couler à fond si l'on y en met trop. Un coup de foudre abat un homme et le tue; si légères que soient les gouttes de pluie, elles font périr beaucoup de monde quand il y en a trop. Si donc la foudre tue d'un seul coup, la pluie éteint la vie à force de tomber. D'un seul coup de dents les forts animaux ôtent la vie à un homme; réunissez beaucoup d'insectes, ils parviennent souvent à faire mourir et à causer des douleurs telles que le peuple superbe de Pharaon a mérité d'être condamné à les éprouver. Eh bien! quand, si petits qu'ils soient, les péchés se trouvent assez nombreux pour former comme un fardeau propre à t'écraser, Dieu est si bon qu'il te les pardonnera aussi, à toi qui ne peux vivre sans y tomber. Mais comment te les pardonnera-t-il, si tu ne pardonnes les offenses dont tu es l'objet?

13. Cette sentence évangélique est une espèce de pompe qui sert à décharger le navire faisant eau sur la mer. Il est impossible en effet que l'eau n'entre point dans ce navire par les fentes que laisse sa construction. Or, en s'infiltrant

1. Ps 50,5-11

insensiblement, l'eau finit par se rassembler en telle quantité, que le vaisseau coulerait à fond, si on ne l'en tirait. Ainsi dans le cours de cette vie, notre mortalité, notre fragilité laissent en nous comme des ouvertures qui donnent entrée au péché, sous la pression des vagues de ce siècle. Jetons-nous donc sur cette décision comme sur une urne pour rejeter l'eau du navire et ne pas faire naufrage. Pardonnons à ceux qui nous ont offensés, afin que Dieu nous pardonne nos offenses. Qu'on pratique ce qu'on dit alors, et on rejette tout ce qui a pénétré. Sois néanmoins sur tes gardes, car tu es encore en mer, Il ne suffit donc pas d'avoir pardonné une fois; il faut, après avoir traversé la mer, être par. venu au port solide, à la terre ferme de cette patrie où on n'a plus à craindre d'être battu par les flots, où on n'a plus à pardonner, puisqu'on n'y est plus offensé, ni à demander pardon, puisqu'on n'y offense personne.

14. C'est assez, je crois, avoir insisté sur ce point devant votre charité. Ah! je vous en conjure, en face de ces tempêtes qui nous mettent en péril, attachons-nous à ce moyen de salut. Mais si Dieu ne doit pas supporter celui qui ne pardonne pas le mal qu'on lui a fait, considérez combien est coupable celui qui s'attache à nuire à un innocent. Ainsi donc que nos frères réfléchissent et examinent contre qui ils ont des ressentiments haineux. S'ils ne les ont pas encore étouffés, qu'ils considèrent au moins durant ces jours comment ils doivent les rejeter de leurs coeurs. Se croient-ils en sûreté? Qu'ils mettent du vinaigre dans les vases où ils conservent le bon vin. Ils s'en gardent, ils ont peur de gâter ces outres. Et pourtant ils mettent de la haine dans leurs coeurs, sans craindre combien elle les corrompt?

Ayez donc soin, mes frères, de ne nuire à personne, travaillez-y de toutes vos forces. Mais si la faiblesse humaine vous a portés à quelque excès dans l'usage des choses permises; comme c'est une profanation du temple de Dieu, attachez-vous, appliquez-vous à pardonner promptement les torts commis contre vous, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos péchés.




279

SERMON CCLXXIX. POUR LA FÊTE DE LA CONVERSION DE SAINT PAUL. II. CHANGEMENT MERVEILLEUX.

ANALYSE. - La conversion de saint Paul avait été prédite par le vieux patriarche Jacob; elle offre l'exemple d'un changement merveilleux. En effet, 1. autant Paul était cruel avant sa conversion, autant après il fut doux: c'est le loup devenu agneau; 2. autant il faisait souffrir les chrétiens, autant il dut souffrir lui-même: il lui fallut ici déployer une grande énergie; 3. autant il était orgueilleux, autant il devint humble: c'était Saul et c'est Paul. A son exemple et à sa voix confessons Jésus-Christ. Rougir de lui ce serait orgueil, ce serait noire ingratitude, ce serait enfin lâcheté fort mal placée.

l. Nous venons d'entendre les paroles de l'Apôtre, ou plutôt nous venons d'entendre de la bouche de l'Apôtre les paroles du Christ qui parlait en lui; car de ce persécuteur le Christ a fait un prédicateur, le frappant et le guérissant tout à la fois, lui donnant la mort et lui rendant la vie: Agneau immolé par des loups, il change les loups en agneaux.

Ce fait était prédit dans une prophétie célèbre. Lorsque le saint patriarche Jacob bénissait ses fils et que, la main étendue sur eux, il lisait dans l'avenir, il prédit ce qui vient d'arriver à Paul. En effet, Paul était, comme lui-même l'atteste, de la tribu de Benjamin (1). Or lorsqu'en bénissant ses fils Jacob fut arrivé à bénir Benjamin, il dit de lui: «Benjamin, loup ravisseur». Mais quoi! s'il est loup ravisseur, le sera-t-il toujours? nullement. Qu'arrivera-t-il donc? «Le matin, il ravira; vers le soir, il partagera ses aliments (2)». C'est ce qui s'est accompli dans l'apôtre saint Paul; aussi est-ce lui que concernait la prédiction.

Voyons maintenant, s'il vous plaît, comment il ravissait le matin et comment vers le soir il distribuait ses aliments. Matin et soir sont ici synonymes de d'abord et d'ensuite; c'est donc comme s'il était dit: Il ravira d'abord, ensuite il partagera. Voici le ravisseur: «Saul, est-il dit aux Actes des Apôtres, ayant reçu des princes des prêtres l'autorisation écrite d'emmener et d'entraîner», sans doute pour les punir, «les sectateurs des voies de Dieu, en quelque lieu qu'il pût les découvrir, s'en allait respirant et soupirant après le meurtre». Voilà bien le loup qui ravit

1. Ph 3,5 - 2. Gn 49,27

le matin. Aussi quand Etienne, le premier martyr, fut lapidé pour le nom du Christ, Paul paraissait là plus que tout autre. Il était bien là avec les bourreaux, mais pour lui ce n'était pas assez de lapider de ses propres mains; afin de se trouver en quelque sorte dans toutes les mains qui lançaient les pierres, il gardait tous les vêtements, plus cruel en secondant les autres que s'il eût frappé lui-même. «Le matin, il ravira». Voyons, maintenant: «Vers le soir il partagera les aliments». Du haut du ciel la voix du Christ le renverse, il reçoit l'ordre de ne plus sévir et tombe la face contre terre. Il fallait qu'il fût abattu d'abord, puis relevé; d'abord frappé, puis guéri: car le Christ n'aurait jamais vécu en lui, s'il n'était mort à son ancienne vie de péchés. Or, ainsi renversé, que lui est-il dit: «Saul, Saul, pourquoi me persécuter? Il t'est dur de regimber contre l'aiguillon. - Qui êtes-vous, Seigneur?» reprend-il. Et la voix lui crie du ciel: «Je suis Jésus de Nazareth, que tu persécutes». C'est la tête dont les membres étaient encore sur la terre, qui criait du haut du ciel. Aussi bien ne disait-elle pas: Pourquoi persécuter mes serviteurs? mais: «Pourquoi me persécuter?» - Ah! «que voulez-vous que je fasse?» Déjà il se dispose à obéir, cet ardent persécuteur; déjà ce persécuteur devient prédicateur, ce loup se change en brebis, cet ennemi en défenseur. Il vient d'apprendre ce qu'il doit faire. S'il est devenu aveugle, si la lumière extérieure lui est soustraite pour quelque temps, c'est pour faire briller dans son coeur la lumière intérieure; la lumière est ravie au persécuteur, pour être rendue au prédicateur. Mais quand il ne voyait (404) plus rien, il voyait Jésus. C'est ainsi que sa cécité était le symbole mystérieux des croyants. Celui en effet qui croit au Christ doit le contempler, sans tenir même compte de la créature; dans son coeur la créature doit déchoir toujours et le Créateur être goûté de plus en plus.

2. Examinons la suite. Paul est conduit vers Ananie. Or, Ananie signifie brebis. Voilà donc ce loup ravisseur qu'on mène vers la brebis, pour qu'il marche à sa suite et non pour qu'il s'en empare. Mais pour empêcher la brebis de trembler à l'arrivée soudaine de ce loup, le Pasteur céleste qui faisait tout ici, lui annonça que le loup allait venir, mais qu'il ne serait pas cruel. Nonobstant, le loup était précédé d'une réputation si affreuse, que la brebis ne put s'empêcher de trembler, en entendant son nom seulement. Le Seigneur Jésus ayant en effet appris à Ananie que Paul était venu, qu'il croyait et qu'il allait arriver auprès de lui, Ananie, celui-ci répondit: «Seigneur, j'ai a entendu dire de cet homme qu'il a fait beaucoup de maux à vos saints; maintenant encore il a reçu des princes des prêtres l'autorisation d'emmener, en quelque lieu qu'il les rencontre, les disciples de votre nom». Or, le Seigneur reprit: «Sois tranquille, et je lui montrerai combien il faut qu'il souffre pour mon nom (1)». Quel événement merveilleux! Le loup reçoit la défense de ravager, on le mène soumis devant la brebis. Or, il était précédé d'un tel renom, que son nom seul faisait trembler la brebis, jusque sous la main de son Pasteur. La brebis toutefois s'affermit; elle ne croit plus à la fureur du loup et ne redoute plus sa colère. C'est l'Agneau mis à mort pour les brebis qui apprend à la brebis à ne pas craindre le loup.

3. Nous chantions, Dimanche dernier «Seigneur, qui est semblable à vous? Ne gardez, ô Dieu, ni votre silence, ni votre douceur (2)». Dieu dit cependant: «Venez, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (3)». Examinons comment se concilient ces deux idées, comment s'harmonisent en Dieu ces deux paroles. Il est doux et humble de coeur, puisqu' «il a été conduit comme «une brebis à l'immolation, puisque semblable à un agneau qui se tait sous le ciseau

1. Ac 9,1-16 - 2. Ps 82,2 - 3. Mt 11,28-29

qui le tond, il n'a pas ouvert la bouche (1)». Attaché ensuite au gibet, il y a enduré les feux injustes de la haine, il y a ressenti les traits perçants de langues cruelles. Ne sont-ce pas ces langues qui ont blessé l'Innocent, qui ont crucifié le Juste? C'est d'elles qu'il avait été dit: «Enfants des hommes, leurs dents sont des lances et des flèches, leur langue est un glaive perçant». Qu'a fait cette langue? Qu'a fait ce glaive perçant? Il a mis à mort. Qu'est-ce qui a été mis à mort? C'est la mort qui a tué la Vie, afin qu'à son tour la Vie tuât la mort. Qu'a donc fait, qu'a fait leur langue, ce glaive perçant? Ecoute ce qu'elle a fait, lis ce qui suit: «Elevez-vous, Seigneur, au-dessus des cieux, et que votre gloire se répande sur toute la terre (2).» Voilà ce qu'a procuré le glaive perçant. Nous savons, non pour l'avoir vu, mais par la foi, que le Seigneur s'est élevé au-dessus des cieux; et par la lecture, par la foi, pour le voir, que sa gloire est répandue sur toute la terre.

Considère maintenant comment il a été doux et humble de coeur, pour élever à une telle gloire sa chair morte, puis ressuscitée. Voici sa douceur. Du haut de sa croix il disait: «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (3)». Il avait dit ailleurs: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur». Oh! apprenez-nous vous-même que vous êtes doux et humble de coeur. Où ces vertus ont-elles pu, où ont-elles dû se révéler avec plus de convenance que sur la croix? Aussi, c'est lorsque ses membres y étaient suspendus, que ses mains et ses pieds y étaient cloués, que ses ennemis le poursuivaient encore de leurs paroles cruelles, sans se rassasier de son sang répandu et sans re. connaître le Médecin qui venait les guérir de leurs maladies, c'est alors que Jésus disait: «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent «ce qu'il font»; en d'autres termes: Je suis venu pour guérir ces malades; c'est l'excès même de leur fièvre qui les empêche de me reconnaître. Quelle douceur donc et quelle humilité de coeur dans ces paroles: «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce «qu'ils font!»

4. Mais que signifie: «Ne gardez ni votre silence, ni votre douceur?» Qu'il accomplisse aussi ce voeu. Il n'a point gardé son silence,

1. Is 53,7 - 2. Ps 57,5-6 - 3. Lc 23,34

405

quand il a crié du haut du ciel: «Saul, Saul, a pourquoi me persécuter?» Voilà: «Ne gardez point votre silence». Et «ne gardez point non plus votre douceur?» D'abord il n'a épargné ni l'erreur, ni la cruauté de Saul; sa parole l'a abattu au moment même où il ne respirait que meurtres, il lui a enlevé la vue et l'a amené tremblant comme un captif vers ce même Ananie qu'il cherchait pour le persécuter. Ici donc ce n'est pas la douceur, c'est la sévérité; la sévérité contre l'erreur et non pas contre la personne. Ce n'est pas assez: continuez à ne garder ni votre silence ni votre douceur. Comme Ananie craignait et tremblait en entendant seulement le in de ce loup connu au loin: «Je lui montrerai, dit le Seigneur. - Je lui montrerai» voilà des menaces, voilà de la sévérité. «Je lui montrerai. - Ne gardez ni votre silence, ni votre douceur». Montrez à ce persécuteur, non-seulement votre bonté, mais encore votre rigueur. Montrez; qu'il endure ce qu'il a fait endurer, qu'il apprenne à souffrir ce qu'il faisait souffrir, qu'il éprouve enfin ce qu'il faisait éprouver à autrui. «Je lui montrerai combien cil doit souffrir». C'est avec un accent sévère que le Sauveur prononce ces paroles; c'est pour accomplir celles-ci: «Ne gardez ni votre silence ni votre douceur». Il ne doit pas toutefois se mettre en contradiction avec ces autres: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. Je lui montrerai ce qu'il doit souffrir pour mon nom». Voilà de quoi t'effrayer: ah! venez à son secours, ne laissez ai souffrir outre mesure ni périr cet homme que vous avez créé, retrouvé ensuite. Ce sont ici des menaces de votre part; ce n'est ni votre silence ni votre douceur, ce sont des menaces. «Je lui montrerai ce qu'il doit souffrir pour mon nom». Ce qui l'effraie ici fera son salut. Il agissait contre mon nom; que pour mon nom il souffre. O sévérité miséricordieuse! Voici le Seigneur aiguisant le fer; non pour donner la mort, mais pour faire une incision; non pour tuer, mais pour guérir. Le Christ disait: «Je lui montrerai ce qu'il doit souffrir pour mon nom». Et dans quel but? Apprends-le du patient lui-même. «Les douleurs de cette vie ne sont pas proportionnées à la gloire à venir qui éclatera en nous (1)». Que le monde sévisse, qu'il menace, qu'il

1. Rm 8,18

calomnie, qu'il prenne ses armes, qu'il fasse enfin tout ce qui lui est possible: qu'est-ce que tout cela en présence de ce qui nous est réservé? En face de ce que j'espère, je place ce que j'endure; je sens l'un, je crois l'autre; combien ce que je crois l'emporte dans la balance sur ce que je souffre! Quelles que soient les rigueurs endurées pour la gloire du Christ, si elles permettent de vivre encore, elles sont tolérables; ne permettent-elles plus de vivre? elles font sortir de ce monde. Elles ne détruisent pas, elles bâtent. Que hâtent-elles? La récompense elle-même, ces jouissances qui n'auront point de fin lorsqu'on y sera parvenu; car, si le travail a une fin, le salaire n'en a point.

5. Cet homme, ce vase d'élection se nommait d'abord Saul. Saul vient de Saül. Vous, mes frères, qui connaissez les divines Ecritures, rappelez-vous ce qu'était Saül. C'était un roi méchant et qui persécutait David, ce saint serviteur de Dieu; il était aussi, vous vous en souvenez, de la tribu de Benjamin. De là égaiement venait Saul; il semblait en avoir emporté l'habitude de la persécution; mais il ne devait point y persévérer, car si Saul vient de Saül, d'où vient Paul? Saul était donc comme issu de ce roi cruel, lorsque superbe et cruel il respirait le meurtre; mais d'où vient Paul? Paul signifie Petit. Paul est donc un nom d'humilité. L'Apôtre prit ce nom lorsqu'il eut été amené aux pieds du Maître qui a dit: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur». Voilà d'où vient le nom de Paul. Remarquez qu'en latin Paul signifie Petit. Ces mots: PAULO post videbo te, PAULUM hic expecta, signifient en effet: Dans PEU de temps je te reverrai, Attends ici PEU de temps. Aussi Paul disait-il: «Je suis le plus petit des Apôtres (1)»; oui, «le plus petit des Apôtres»; et ailleurs: «Je suis le dernier des Apôtres (2)».

6. Le plus petit et le dernier des Apôtres, il est comme la frange de la robe du Seigneur. Qu'y a-t-il dans un vêtement de plus petit, de plus bas que la frange? C'est néanmoins en la touchant qu'une femme se trouva guérie d'une perte de sang (3). Aussi dans ce petit, dans ce dernier Apôtre, vivait quelqu'un de grand, d'immense, quelqu'un à qui il laissait d'autant plus de place qu'il était plus petit. Pourquoi nous étonner que la grandeur habite dans la

1. 1Co 15,9 - 2. 1Co 4,9 - 3. Mt 9,20-22

406

petitesse? Elle demeure principalement dans ce qu'il y a de plus petit. Vois comme elle s'exprime: «Sur qui reposera mon Esprit? Sur l'homme humble, sur l'homme paisible et qui tremble à mes paroles (1)». Si le Très-Haut habite ainsi dans l'homme humble; c'est pour l'élever; car il est dit: «Du haut de son «trône le Seigneur regarde les humbles: et «de loin seulement il aperçoit les superbes (2)». Donc humilie-toi, et il s'approchera, élève-toi, et il s'éloignera.

7. Mais que dit le petit Paul? Ce que nous avons entendu aujourd'hui même: «On croit a de coeur pour être justifié; on confesse de bouche pour être sauvé (3)». Beaucoup croient de coeur et rougissent de confesser de bouche. Sachez, mes frères, qu'il n'y a presque plus aucun païen qui n'admire en lui-même le Christ et qui ne sente l'accomplissement des prophéties relatives à son élévation au-dessus des cieux, en voyant sa gloire répandue par toute la terre. Mais en se craignant, en rougissant les uns devant les autres, ils éloignent d'eux le salut dont il est dit: «On confesse de bouche pour être sauvé». Que sert de croire pour être justifié, si les lèvres hésitent de manifester tes convictions du coeur? Dieu voit bien la foi intérieure; mais ce n'est pas assez. La peur que tu as des orgueilleux t'empêche de confesser le Dieu fait humble, et tu lui préfères ces superbes auxquels il n'a pas craint de déplaire pour l'amour de toi. Tu n'oses confesser le Fils de Dieu fait humble. Tu oses bien confesser la grandeur du Verbe, de la Sagesse, de la Puissance de Dieu; mais tu rougis de reconnaître qu'il soit né, qu'il ait été crucifié et qu'il soit mort. Le Très-Haut, l'Egal du Père, Celui par qui tout a été fait, par qui tu as été formé toi-même, s'est fait ce que tu es; pour l'amour de toi il s'est fait homme, il est né, il est mort. O malade, comment pourras-tu guérir, en rougissant de prendre tes remèdes? Profite du temps. Tu en as le temps aujourd'hui: plus tard ce Sauveur méprisé viendra éveiller l'admiration; jugé, il viendra juger; mis à mort, il viendra rendre la vie; couvert d'outrages, il viendra combler d'honneurs. Distingue aujourd'hui de l'avenir: ce que nous croyons est aujourd'hui voilé, dans l'avenir nous le verrons à découvert. Choisis maintenant le parti où tu veux

1. Is 66,2 - 2. Ps 136,6 - 3. Rm 10,10

rester à l'avenir. Tu rougis du nom du Christ? En en rougissant maintenant devant les hommes, tu te prépares à rougir encore lors qu'il viendra dans sa gloire rendre aux bons ce qu'il leur a promis et aux méchants ce dont il les a menacés. Où seras-tu placé alors? Que deviendras-tu, si te fixant du haut de son trône il te dit: Tu as rougi de mon humilité, tu n'entreras point dans ma gloire? Arrière donc cette honte coupable; qu'on s'anime d'une sainte impudence, si toutefois on peut ici employer cette expression. J'avoue pour tant, mes frères, que pour bannir de moi toute crainte, je me suis fait violence, afin de parler ainsi.

8. Non, je ne veux pas que nous rougissions du nom du Christ. Pénétrons-nous profondément de notre foi au Christ crucifié, mis à mort. Oui, il a été mis à mort; car si son sang n'avait coulé, la cédule de nos péchés ne serait pas effacée encore. Oui, je crois qu'il a été mis à mort; car ce qui est mort en lui, c'est ce qu'il me doit et non la nature à qui je dois l'existence. Je crois donc à un mort; à quel mort? A un mort qui est venu parmi nous avec une existence pleine et qui pourtant nous a emprunté. Quel était-il en venant? Il était Celui «qui possédant la nature de Dieu n'a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu». Voilà Celui qui est venu. Que nous a-t-il emprunté? «Mais il s'est anéanti lui-même en prenant une nature d'esclave et en devenant semblable aux hommes (1)». Ainsi c'est le Producteur quia été produit, le Créateur qui a été créé. Comment a-t-il été formé et créé? Dans sa nature d'esclave, en prenant cette nature d'esclave sans perdre sa nature divine, Or, c'est dans cette nature de serviteur, dans cette nature que le Fils de Dieu nous a empruntée pour l'amour de nous, qu'il est né et qu'il a souffert, qu'il est ressuscité et qu'il est monté au ciel. Je viens de nommer quatre choses: la naissance et la mort, la résurrection et l'ascension au ciel. Deux ont précédé, deux ont suivi. Les deux premières sont la naissance et la mort; les deux dernières, la ré. surrection et l'ascension. Dans les deux premières on t'a montré ce que tu es; dans les deux dernières, ce que tu seras une fois récompensé. Tu savais naître et mourir; sur cette terre habitée par des mortels c'est ce

1. Ph 2,6-7

407

qu'on voit partout. Qu'y a-t-il en effet de plus universel pour tous les hommes, que de naître et de mourir? C'est une destinée que partage l'homme avec la bête, de sorte que cette vie nous est commune avec elle. Nous sommes nés, nous mourrons. Ce que tu ne savais pas faire encore, c'est de ressusciter et de monter au ciel. Deux choses donc t'étaient connues, et deux choses inconnues; le Sauveur s'est chargé de ce que tu connaissais, et il t'a donné l'exemple de ce que tu ne connaissais pas souffre donc ce qu'il a pris sur lui, espère ce qu'il t'a montré dans sa personne.

9. En vérité, te suffit-il pour lie pas mourir de ne consentir pas à ta mort? Pourquoi craindre ce que tu ne saurais éviter? Tu crains ce que tu ne saurais éviter en le repoussant; et ce qu'en le repoussant tu pourrais écarter, tu ne le crains pas? Qu'est-ce que je viens de dire? Quand les hommes sont nés, Dieu les assujettit à la mort comme à un moyen pour eux de sortir de ce siècle; et tu n'es exempt de la mort que si tu es étranger au genre humain. Aveugle, que fais-tu? Te demande-t-on de choisir si tu veux être homme? Tu l'es, puisque tu es arrivé comme homme sur cette terre. Songe à la manière dont tu en sortiras. Dès que tu es né, tu dois mourir. Fuis, prends garde, repousse, rachète; tu ne peux ni ajourner ni éviter la mort. Elle viendra, même malgré toi; à ton insu elle viendra. Pourquoi donc craindre ce que ta résistance ne saurait empêcher? Crains plutôt ce qui ne sera pas, situ n'y consens. Qu'est-ce? Ce dont Dieu a menacé les impies, les infidèles, les parjures, les blasphémateurs, les injustes et tous les méchants, savoir les feux brûlants de l'enfer et les flammes éternelles.

Commence donc par comparer ces deux choses: la mort qui dure un instant, et les supplices qui durent l'éternité. Tu redoutes la mort d'un instant; elle viendra, même malgré toi: crains les peines de l'éternité; si tu veux, tu en seras exempt. Ce que tu dois craindre, ce que tu peux écarter, n'est-il pas ce qu'il y a de bien plus sérieux? Oui, ce qu'il y a de plus, de bien plus, d'incomparablement plus sérieux, est ce que tu dois redouter et ce que tu peux éloigner de toi. Que tu vives bien ou mal, tu mourras; tu ne saurais échapper à la mort, quel que soit ton genre de vie. Mais si tu prends le parti de bien vivre, tu ne seras point condamné aux peines éternelles. Donc, dès que tu ne peux prendre le parti de ne pas mourir, prends celui de ne pas mériter, durant ta vie, de mourir éternellement. Telle est notre foi; tel est l'enseignement que nous a donné le Christ par sa vie et par sa mort. Il t'a montré en mourant ce que tu dois souffrir, bon gré, mal gré; et il t'a montré, en ressuscitant, ce à quoi tu parviendras en vivant saintement. Or ici «on croit de coeur pour être justifié, et on confesse de bouche pour être sauvé». Pour toi, tu n'oses confesser, de peur d'être insulté, non par des hommes qui ne croient pas, car eux aussi croient intérieurement, mais par des hommes qui rougissent de montrer qu'ils croient. Ecoute ce qui suit: «Quiconque croira en lui, dit l'Ecriture, ne sera point confondu (1)».

Médite cela, sache t'en occuper; c'est l'aliment, non pas du corps, mais de l'esprit; c'est la nourriture que distribuait, vers le soir, le ravisseur du matin.

Unis au Seigneur, etc.

1. Hom. 10,10, 11.





Augustin, Sermons 278