Augustin, Sermons 2020

2020

VINGTIÈME SERMON. SUR CES PAROLES DU PSAUME 38,1-5 «J'AI DIT: JE VEILLERAI SUR MES VOIES (1)».

ANALYSE.- 1. Du souci d'avancer chaque jour, et pour cela d'implorer le secours divin.- 2. L'usage de la langue aussi nécessaire que dangereux.- 3. La langue est dirigée par l'esprit.- 4. La langue trompeuse des Juifs couverte de confusion.- 5. Le bon usage de la langue chez une femme adultère.- 6. La confession de la femme adultère est une instruction pour nous.- 7. Comment agir avec celui qui nous insulte.- 8. Il faut pardonner à ceux qui nous injurient et prier pour eux.- 9. Quelle est la fin de l'homme.- 10. La fin de l'homme c'est le Christ.- 11. C'est par la foi et par les oeuvres que l'on peut y atteindre.- 12. Quel est le but des tentations et comment nous y comporter.- 13. Récapitulation.

1. C'est un devoir pour les chrétiens, de s'avancer chaque jour vers Dieu, de concevoir une sainte joie de Dieu et de ses dons. Car le temps de notre pèlerinage est très-court, et notre patrie ne connaît point le temps. Il y a, en effet, une grande distance entre le temps et l'éternité. C'est ici que la piété s'enquiert, là qu'elle repose. De là, pour nous, comme pour de bons négociants, la nécessité de connaître le gain de chaque jour. Car notre sollicitude ne doit pas se borner à écouter, mais il faut agir aussi. Dans cette école, où Dieu seul est maître, il faut de bons disciples, non d'un moment, mais vraiment studieux. L'Apôtre dit: «Ne soyez point paresseux dans ce qui est du devoir, mais fervents en esprit, joyeux par l'espérance (1)». Dans cette école donc, nous apprenons chaque jour. Nous nous instruisons dans les préceptes, dans les exemples, et dans les sacrements; cartels sont les remèdes à nos blessures, les stimulants à nos études. Nous répondions tout à l'heure: «Exaucez, ô mon Dieu, mes supplications et mes prières». Inaurire, c'est-à-dire: «Recevez mes larmes dans votre oreille (2)». Que penses-tu que doive demander le Prophète quand il désire que Dieu lui soit propice? Que demandera-t-il à Dieu? Voyons, écoutons. Peut-être les richesses ou quelque jouissance de cette vie? Qu'il nous dise ce qu'il va

1. Rm 12,11 - 2. Ps 38,13

demander quand il fait à Dieu cette supplication. Il a vu, en effet, qu'il ne saurait avoir de lui-même, et qu'il peut avoir par Dieu. Il a entendu cette parole: «Demandez et vous recevrez (1)». Il savait donc ce qu'il devait demander, puisqu'il suppliait Dieu. Donc «Exaucez ma prière, ô mon Dieu». Et comme si on lui demandait: Que veux-tu, pourquoi frapper, pourquoi crier, pourquoi en appeler à Dieu? J'écouterai. Que veux-tu? Qu'est-ce que je veux? répond-il. Ecoutez ma résolution et perfectionnez vos oeuvres. Quelle est ma résolution? «J'ai dit: Je veillerai sur mes voies, afin que je ne pèche pas avec ma langue (2)». Ce qu'il se propose est difficile, mais il n'hésite pas, parce que tout d'abord il invoque le Seigneur. Il connaissait cette doctrine de saint Paul: «Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi (3)».

2. Donc: «J'ai dit: je veillerai sur mes Voies». Quelles voies? Les voies de la terre. Est-ce que nous marchons sur la terre, au moyen de la langue? Sur la terre, où nous nous servons de nos pieds, ou des pieds des autres. Car les animaux nous transportent, ou nous allons sur nos pieds. Que signifie donc cette parole, et quelle voie cherche le Prophète? Il ne veut point pécher, par la langue. C'est là, mes frères, un grand enseignement. De même que, dans une seule

1. Jn 16,24 - 2. Ps 38,1 - 3. 1Co 15,10

(1) On lit dans le Codex, fol. 68: «Sermon de saint Augustin, évêque». Il traite principalement de l'usage de la langue et de la fia de l'homme. A vrai dire, il y a quelques incohérences qui me paraissent peu dignes de saint Augustin; les paroles du psaume y sont répétées sans opportunité, quelquefois forcées; ce qui fait soupçonner une interpolation. Je laisse à juger à ceux qui sont plus habitués que moi à la lecture du saint docteur.

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heure, nous pouvons manger et nous reposer, nous est-il aussi facile de parler et de nous taire dans l'espace d'un instant? Comme nous avons des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, et les autres sens pour recevoir des impressions, nous avons aussi la langue pour parler. Et nous avons un grand besoin de la langue. Il nous faut écouter pour répondre, ou parler pour enseigner. Est-ce au moyen de l'oeil que nous parlons, et non de la langue? Et si c'est l'oreille qui entend, c'est la langue qui doit répondre. Que faisons-nous d'un membre si utile? Nous prions Dieu, nous réparons nos offenses, nous chantons les louanges de Dieu, nous le célébrons d'une voix unanime, et chaque jour nous exerçons la miséricorde, en parlant aux autres, ou en donnant des conseils. Que faisons-nous maintenant? Notre langue nous prête son ministère auprès de vous. Que faisons-nous pour ne point pécher par la langue, surtout qu'il est dit: «La mort et la vie sont au pouvoir de la langue (1)?» et encore: «J'en ai vu beaucoup tomber par le glaive, mais en moins grand nombre que ceux qui sont tombés par la langue (2)»; et encore: «Et la langue est un de nos membres qui infecte tout le corps (3)». Enfin le même Seigneur nous dit aussi: «Ils ont appris à leur langue à dire le mensonge (4)». Ils ont enseigné. C'est en effet l'habitude qui fait dire le mensonge: elle dit le mensonge en quelque sorte malgré nous. Voyez une roue, si vous lui imprimez un premier mouvement, dès que vous la poussez de la main, sa configuration, sa rondeur la fait mouvoir en quelque sorte dans son instabilité, dans son mouvement naturel; il en est de même de notre langue: il n'est pas besoin qu'on lui apprenne à dire le mensonge: elle va spontanément à ce qui la fait mouvoir avec plus de facilité. Autre est votre pensée, et autre parfois ce qu'elle dit par habitude. Que faire alors, mes frères? Vous le voyez, assurément, quel balancier ne faut-il pas établir dans le coeur, pour que la langue émette quelque chose au dehors! Car elle ne se meut point d'elle-même, c'est le coeur qui la met en mouvement.

3. Il est en effet une force qui donne l'impulsion et à elle-même et à tout ce qui dépend d'elle. Or, que celui qui dirige soit bon et, avec

1. - 2. Si 28,22 - 3. Jc 3,6 -3 Jr 9,5

le secours de la grâce, il surmontera toute habitude perverse. Que le ministre soit bon, et le ministère se calme. Un soldat a bien des armes, elles ne servent de rien s'il n'en frappe. De même notre langue est parmi nos membres une arme pour l'âme. C'est d'elle qu'il est dit: «C'est un mal sans repos (1)». Oh oui, sans repos. Qui a fait ce mal, sinon celui qui est sans repos? Pour toi, ne sois pas sans repos, et ce mal cessera. Garde-toi de l'agiter, et rien ne s'agitera. Car ce n'est point l'esprit qui a besoin d'être mis en mouvement, mais le corps qui est inerte. Ne l'agite pas, et il est sans mouvement. Or, vois comme c'est toi qui agites cette langue. C'est d'elle que beaucoup d'hommes se servent pour la fraude, dans le culte de l'avarice, et quand il s'agit d'une affaire, ils oublient que ce membre est. créé pour la louange de Dieu, et s'en servent pour blasphémer le Seigneur et dire: Par le Christ! j'ai acheté tant, je vends tant. Quand je t'ai dit: Donne-moi ta parole, quel est ton dernier prix? Je t'ai bien demandé ton dernier prix. Dix pièces, vingt pièces d'argent. Jures-tu par le Christ? Jure par tes yeux, jure par tes enfants, ta conscience en est à l'instant troublée. O langue impie! Tu méprises le Créateur, pour épargner la créature. «O mal inquiet, ô langue pleine d'un venin mortel! C'est par elle que nous bénissons Dieu, notre Père». Notre Dieu par sa nature, notre Père par sa grâce. «Et par elle nous maudissons l'homme qui a été créé à l'image de Dieu (2)». Voyez, mes frères, ce que vous portez; oui, dis-je, voilà ce que nous portons, car moi je suis homme comme vous. Mais reprenons...

4. «Ecoutez ma prière, ô mon Dieu». C'est de là que viennent ces Juifs dont il était question tout à l'heure dans l'Evangile. Leur langue les conduisit à la mort. Nous l'avons entendu tout à l'heure, en effet. Ces Juifs, dit l'Evangile, amenèrent au Seigneur une femme de mauvaise vie, et lui dirent pour le tenter: «Maître, nous avons surpris cette femme en adultère (3)». Or, il est écrit dans la loi de Moïse que toute femme surprise en adultère doit être lapidée. «Vous donc, que dites-vous?» Voilà ce que disait la langue, mais sans le connaître comme Créateur. Ils étaient loin, ces hommes, de prier et de dire: «Délivrez mon âme des fourberies de la langue (4)». Car ils ne venaient que par fourberie,

1. Jc 3,8 - 2. Jc 3,9- 3. 1Jn 8,4 - 4. Ps 119,2

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et n'avaient d'autre dessein. Or, le Seigneur était venu, «non pour détruire la a loi, mais pour l'accomplir (1)» et pardonner les péchés. Les Juifs donc se disaient entre eux: S'il dit: Qu'elle soit lapidée! nous lui répondrons: Où est donc le pardon des péchés? N'est-ce point vous qui dites: «Vos péchés vous sont pardonnés (2)?» S'il dit: Qu'on la renvoie! nous répondrons: Comment se fait-il que vous soyez venu pour accomplir la loi, non pour la détruire? Voyez la langue fourbe en face de Dieu. Celui qui était venu pour racheter et non pour condamner (car il était venu racheter ce qui avait péri (3)) se détourna d'eux comme pour n'y point arrêter ses regards. Cette aversion du Sauveur pour ces fourbes ne manque pas d'un certain sens, et l'on y peut découvrir quelque chose. Le Sauveur semble dire: Vous m'amenez une pécheresse, vous pécheurs! Si vous croyez que je doive condamner les pécheurs, c'est par vous que je commence. Or lui, qui était venu pour remettre les péchés, leur dit: «Que celui d'entre vous qui se croit sans péché, lui jette la première pierre (4)». Admirable réponse, ou plutôt admirable proposition! S'ils commencent à lapider la pécheresse, à l'instant il leur dira: «On portera contre vous le jugement que vous aurez porté (5)». Vous avez condamné, vous serez condamnés. Pour eux, néanmoins, bien qu'ils ne reconnussent pas en lui le Créateur, ils connaissaient leur propre conscience. Dès lors, se tournant le dos mutuellement, afin de ne pas se voir l'un l'autre à cause de leur honte, ils se retirèrent; c'est là ce que dit l'Evangile, depuis les plus anciens jusqu'aux plus jeunes. L'Esprit-Saint avait dit: «Tous se sont égarés, tous sont devenus incapables; ils n'en est pas un qui fasse le bien, pas un seul (6)».

5. Tous donc se retirèrent. Il ne resta que Jésus et la pécheresse, que le Créateur et la créature, que la misère et la miséricorde, que celle qui connaissait son péché et Celui qui remettait le péché. Car voilà ce que signifiait son action d'écrire sur la terre. Le Sauveur écrivait en effet sur la terre, dit l'Evangile; or, quand l'homme pécha, il lui fut dit: Tu es terre (7). Et quand le Seigneur accordait à la pécheresse son pardon, il le lui accordait en

1. Mt 5,17 - 2. Mt 9,5 Mc 2,5-9 Lc 5,25- 3. Mt 13,11 - 4. Jn 8,7 - 5. Mt 7,2 - 6. Ps 13,3 - 7. Gn 3,19

écrivant sur la terre. Il accordait donc le pardon, et en accordant ce pardon, levant les yeux vers la pécheresse: «Personne ne vous a-t-il condamnée, lui dit-il?» Et cette femme ne dit point: Pourquoi me condamner? Qu'ai-je fait, Seigneur? Suis-je donc une coupable? Elle ne dit point ainsi; mais seulement: «Personne, Seigneur!» C'est là s'accuser. Parce que les Juifs ne purent prouver, ils se retirèrent. Mais elle avoua, cette femme dont le Seigneur connaissait la faute, et cherchait la foi et l'aveu. «Personne ne vous a-t-il condamnée?» Personne, Seigneur! Personne est ici pour l'aveu du péché, et Seigneur, pour le pardon de ses fautes. «Personne, Seigneur (1)» Je connais tout à la fois, et qui vous êtes, et qui je suis. Je vous le confesse; car j'ai entendu cette parole: «Confessez au Seigneur, parce qu'il est bon (2)». Je connais ma confession, et je connais votre miséricorde. Elle s'est dit: «Je veillerai sur mes voies, afin de ne point pécher par la langue». Pour eux, ils ont péché en faisant la fourberie; et, pour elle, son aveu lui a valu son pardon. «Personne ne vous a-t-il condamnée? Personne», répondit-elle. Et Jésus écrivit une seconde fois en silence. Il écrivit deux fois. Comprenons cette figure. Il écrivit deux fois: une première fois en accordant le pardon; et une seconde fois, en renouvelant le précepte. Voilà ce qui se renouvelle quand le pardon nous est accordé. L'empereur a souscrit. Puis vient une seconde formule, comme si l'on nous enjoignait d'autres préceptes. Ce sont les mêmes qui nous prescrivent la charité, comme nous l'avons vu dans l'Apôtre (2). Car nous avons d'abord entendu cette lecture; puis le Seigneur nous a dit lui-même: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux préceptes renferment la loi et les Prophètes (3)».

6. Pour ne point donner à chercher, il y a là deux paroles: Dieu et le prochain; Celui qui t'a créé, et celui qu'il t'a donné pour compagnon. Nul ne t'a dit: Aime le soleil, aime la lune, aime la terre, et tout ce qui a été fait; mais on doit louer Dieu dans toutes

1. Ps 105,1

2. On avait lu l'épître de saint Jacques, 5,9, où il appelle la charité nomon basilikon; de là ce mot imperatam pour prescrire, et l'allusion au rescrit impérial.

1. Mt 22,37-40

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ces oeuvres, on doit en bénir l'auteur. «Combien vos oeuvres sont admirables!» disons

nous. «Vous avez tout fait dans votre sagesse (1)». Tout cela est à vous, car tout est votre ouvrage. Grâces vous en soient rendues! Mais vous nous avez créés au-dessus de tout cela. Grâces vous en soient rendues! Nous sommes votre image et votre ressemblance. Grâces vous en soient rendues! Nous avons péché, et vous nous avez recherchés. Grâces vous en soient rendues! Nous vous avons négligés, sans être négligés de vous. Grâces vous en soient rendues! Nous vous avons méprisé sans être méprisé de vous. De peur que l'homme n'en vînt à oublier votre divinité et à vous perdre, vous avez daigné revêtir notre humanité. Grâces vous en soient rendues! Où n'est-il point de grâces à vous rendre? «J'ai dit, dès lors: Je garderai mes voies, pour ne point pécher par ma langue». Cette femme que l'on présente au Sauveur, pour cause d'adultère, reçut son pardon et fut délivrée, et des chrétiens trouveront onéreux que tous reçoivent le pardon de leurs péchés par le baptême, par la confession, par la grâce? Qu'on ne vienne pas nous dire: Cette femme reçut son pardon, et moi je suis encore catéchumène. A moi l'adultère, puisque j'en recevrai le pardon. Faites que je sois seul comme cette femme qui avoua sa faute et fut délivrée. Notre Dieu est bon, et s'il m'arrive de tomber dans le péché, je lui confesserai ma faute et en obtiendrai le pardon. Tu fais attention à sa bonté, mais considère sa justice. De même que la bonté l'incline au pardon, la justice l'incline au châtiment. «J'ai dit: Je veillerai sur mes voies, pour ne point pécher par ma langue». Je voudrais bien savoir s'il n'est personne pour pécher par sa langue, dans l'instant même où nous prêchons votre charité. Depuis que nous sommes ici, nul sans doute n'a dit aucun mal, mais peut-être a-t-il pensé au mal. Ecoutez alors: «J'ai dit: Je garderai mes voies, afin de ne point pécher par ma langue». Dis en toute vérité: «J'ai mis un frein à ma bouche, quand le pécheur s'élevait contre moi (2)».

7. Ecoutez: «J'ai mis un frein à ma bouche, quand le pécheur s'élevait contre moi». Voilà qu'un méchant s'élève contre toi, t'accablant d'injures, te reprochant même

1. Ps 103,24 - 2. Ps 38,2

ce que tu ignores. Mets alors un frein à ta bouche. «J'ai dit: Je garderai mes voies, pour ne point pécher par ma langue». Laisse-le dire; entends et tais-toi. De deux choses l'une, ou ce qu'il dit est vrai, ou bien cela est faux. S'il dit vrai, tu lui as donné occasion de parler, et c'est peut-être un acte de miséricorde. Comme tu ne veux pas entendre ce que tu as fait, Dieu, qui prend soin de toi, te le dit par un autre, afin que la confusion qui va te couvrir te force à recourir au remède. Garde-toi donc de lui rendre le mal pour le mal, puisque tu ne sais qui te parle ainsi par sa bouche. Si donc il te reproche ce que tu as réellement fait, reconnais que tu as obtenu miséricorde; car ou tu avais oublié ta faute, ou tu dois penser que ces injures sont pour ta confusion. Si tu n'es point coupable, ta conscience est libre. Pourquoi t'inquiéter, pourquoi t'irriter de ce que tu n'as point fait? Qu'a dit, en effet, ton adversaire? Voleur! Ivrogne! Cherche à l'instant dans les replis de ta conscience. Examine-toi intérieurement. Sois pour toi un juge, un examinateur sévère. C'est là qu'il te faut chercher. Où penses-tu que sont placés les péchés que j'ai commis? Si tu n'en as point, dis: Je n'en ai point. Si ta conscience répond: Je n'en ai point, dis alors: «Telle est notre gloire, le témoignage de notre conscience (1)». Or, ta conscience t'a dit: Tais-toi et plains celui qui t'injurie. Dis encore au Seigneur: Mon Père, pardonnez-lui, car il ne sait ce qu'il dit. Prie Dieu pour lui. «J'ai dit: Je garderai mes voies pour ne point pécher par ma langue. J'ai mis une garde à ma bouche, quand le pécheur s'élevait contre moi». Loin de toi de croire que l'on te prendra pour un saint, parce que nul ne te met à l'épreuve; mais tu es un saint, quand les injures ne t'émeuvent point, quand tu plains celui qui t'injurie, quand, sans t'arrêter à ce que tu souffres, tu plains celui qui te fait souffrir. Voilà toute la miséricorde. Tu plains cet homme, parce qu'il est ton frère, un de tes membres. Il s'emporte follement contre toi, c'est un homme en délire, un malade. Tu dois le plaindre, sans t'en réjouir aucunement; n'aie d'autre joie que dans la sincérité de ta conscience, mais lui, tu dois le plaindre. Tu es homme; vois à n'être point tenté, toi aussi. Car il est dit: «Portez mutuellement (1)

1. 2Co 1,12

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vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ (1)». Maintenant qu'il crie, tais-toi; plus tard, quand il s'apaisera, dis-lui: Mon frère, par ton salut, pourquoi me reprocher ce que je n'ai point fait? Tu m'as offensé, et néanmoins je prie Dieu pour toi. Je te pardonne en invoquant pour toi mon Dieu que tu as offensé par tes injures contre moi. N'en dis point davantage, préserve-toi de l'orgueil! Je ne dis point: Vengez-moi, mon Dieu, de celui qui m'a reproché ce que je n'ai point fait. Je ne veux point tenir ce langage. «J'ai mis une garde à ma bouche, quand le pécheur s'élevait contre moi».

8. «Je suis demeuré sourd et humilié», dit ensuite le Prophète, «je me suis tu sur le bien (2)». «Je suis demeuré sourd». Je n'ai point écouté ses clameurs. Quel progrès dans cet homme qui tonnait l'erreur de son frère, mais qui, fort de la joie de sa conscience, n'entend même pas que l'on aboie contre lui! Quelle âme! quelle sécurité! quelle joie! C'est elle qui dit à Dieu: «Je marchais dans l'innocence de mon coeur, au milieu de votre maison (3)». Les voleurs en battaient les portes, mais la maison résistait. «Je suis donc demeuré sourd et humilié», sans aucun orgueil en face de mon adversaire; «et dans mon humilité, je me suis tu sur le bien»; car ce n'était point le moment pour moi de parler du bien. Ton seul parti alors, c'est le silence; et quand il sera revenu à la vérité, tu pourras parler, il te comprendra. Quelquefois, dans le délire d'une maladie, des enfants ont frappé leurs parents, et en face de cette maladie, les parents essuyaient ces injures et pleuraient. De quelle tendresse des parents n'environnent-ils point leurs enfants contre la mort, et n'appellent-ils point leur santé! Mais, diras-tu, mon adversaire n'est point mon fils! Il est toutefois l'oeuvre de Dieu, l'image de Dieu, le fils de Dieu. Si tu le dédaignes, parce qu'il n'est point ton fils, ne dédaignes en lui ni le fils de Dieu, ni ton frère. «Donc, je suis demeuré sourd et humilié». Je ne me suis point livré à l'orgueil, mais «je me suis tu sur le bien, et ma douleur en a été renouvelée», non à mon sujet, mais au sujet de celui qui m'a reproché ce que je n'ai point fait. J'ai souffert, mais souffert parce qu'il a parlé de la sorte.

1. Ga 6,2- 2. Ps 38,3 - 3. Ps 100,2

Car c'est ma sollicitude pour mon frère qui a attisé ma douleur. Telle est la voie, car c'est ainsi qu'en agit le Seigneur notre Père, qui est appelé aussi l'Epoux. «Les fils de l'Epoux ne jeûneront point tant que l'Epoux est avec eux (1)», est-il dit. Il a donc souffert de la part de ses enfants en délire, ces frénétiques l'ont mis à mort. Il a prié pour eux. Plus tard, ils sont revenus à la vérité, l'ont reconnu, ont cru en lui, et ceux qui n'avaient pas voulu être guéris par le médecin se sont laissé guérir par le disciple du médecin; car ce fut Pierre qui les guérit. Comme Pierre, en effet, leur reprochait leur crime, «que ferons-nous?» dirent-ils. Et Pierre: «Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur (2)». Les voilà furieux, puis les voilà fidèles. Voyez ce que produit la maladie d'abord, la santé ensuite. Pendant leur maladie, Dieu les tolère; quand ils sont guéris, ils sont rachetés. De là pour nous, mes frères, la nécessité de garder le silence, quand nous souffrons les mêmes injustices, afin de ne point nous départir de ceci: Ou il dit vrai, ou il dit faux. Quand il ne le dirait point, si je l'ai fait, qu'arrivera-t-il?Et dès lorsqu'il se tait, et que je suis coupable, il faut désirer qu'il le publie, afin que, coupable, je sois couvert de confusion. Mais s'il publie ce que je n'ai point fait, je dois me réjouir de ma sécurité et m'affliger de la faiblesse de mon frère. «Mon coeur s'est échauffé en moi-même (3)», mon coeur a tressailli pour mon frère d'une effervescence d'amour; mais je n'ai pu faire naître le temps de parler. De là ce mot de saint Paul: «Je n'ai pu vous parler comme à «des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels (4)». Et néanmoins, il a parlé. Quel a été son langage? «Mon coeur s'est échauffé en moi-même, un feu m'embrase dans ma méditation». C'est le feu de la charité qui est en moi, et je n'ai personne à qui je puisse parler, tant ils sont faibles. Je m'humilierai donc, et un temps viendra sans doute où je pourrai parler. Toutefois, «remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à ceux qui nous doivent (5)». Je lui pardonnerai, parce que rien ne pèse sur ma conscience. C'est peu que rien ne pèse sur ma conscience, mais je

1. Lc 5,34 - 2. Ac 2,38 - 3. Ps 38,4 - 4. 2Co 3,1 - 5. Mt 6,12

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prierai pour lui, à cause de ma conscience.

9. Le Prophète avait dit: «J'ai dit: Je garderai mes voies, afin de ne point pécher en ma langue: J'ai mis un frein à ma bouche, et je me suis humilié»; puis: «Un feu s'est embrasé dans ma méditation». Je ne sais maintenant ce qui tout à coup se produit de plus grand, et après tant de combats et des luttes si violentes, écoutez ce qu'il dit: «J'ai a parlé dans ma langue (1)». Or, la langue est pour l'âme le mouvement de la volonté. De même, en effet, que la langue a son mouvement dans le corps, de même la volonté est un mouvement dans l'âme. Tel est le langage primitif, c'est par là que l'on parle à Dieu. La langue du corps a son mouvement pour les hommes placés au dehors; mais le langage qui consiste dans le mouvement de la volonté, n'a de mouvement que pour celui qui demeure dans son temple intérieur. C'est là le véritable langage. De là vient que le Seigneur a dit de ceux qui l'adorent, «qu'ils doivent l'adorer en esprit et en vérité (2)». Tel est donc le véritable langage. «J'ai dit dans ma langue: Seigneur, faites-moi connaître ma fin et quel est le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui me fait défaut (3)». Avec un peu d'attention, votre sainteté doit comprendre cette pensée, et le Seigneur, dans sa miséricorde dont nous faisons journellement l'expérience, nous donnera par nos prières de pouvoir vous l'exposer, ce qui est assez difficile. «J'ai parlé en ma langue: Seigneur, faites-moi connaître ma fin et quel est le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui me fait défaut». Voyez ce qu'il demande: «Seigneur, faites-moi connaître quelle est ma fin». Notre fin, mes frères, c'est le but auquel nous tendons et où nous devons demeurer. En sortant de nos maisons, notre fin était de venir à l'église. Donc notre voyage est à sa fin. De là pour chacun une fin nouvelle, qui est de retourner à la maison. C'est là la fin, là qu'il tendait. Donc, dans le pèlerinage de cette vie, nous avons une fin vers laquelle nous tendons. Où tendons-nous dès lors?Vers la patrie. Quelle est notre patrie? Jérusalem, la mère de ceux qui sont pieux, la mère des vivants. C'est là que nous tendons; telle est notre fin. Et comme nous n'en connaissions pas la voie, le maître de cette cité s'en est fait la voie. Nous ne

1. Ps 38,5 - 2. Jn 4,23 - 3. Ps 38,5-6

savions où aller. Des circuits hérissés d'épines et de rochers nous faisaient une voie très-difficile. Et voilà que celui qui est le principal citoyen de la cité est descendu le premier pour chercher des habitants. Nous étions égarés, en effet; citoyens de Jérusalem, nous étions devenus citoyens de Babylone, fils de la confusion; car Babylone signifie confusion. Il est donc descendu, et, pour se chercher des citoyens, il s'est fait notre concitoyen. Nous ne connaissions point cette cité, nous ignorions cette province. Mais parce que nous n'allions point à cette cité par excellence, voilà qu'il est descendu vers ses concitoyens, qu'il s'est fait l'un deux, non en prenant leurs pensées, mais en prenant leur nature. Il est descendu ici-bas. Comment est-il descendu? Sous la forme de l'esclave. Dieu-Homme, il a demeuré parmi nous. Comme homme seulement, il n'eût pu nous conduire à Dieu. Dieu seulement, il n'eût pu se lier avec les hommes. Il a donc partagé avec nous l'égalité de condition, lui qui possédait la divinité avec son Père; il a voulu être avec nous dans le temps, celui qui possède avec son Père l'éternité. Egal à nous ici-bas, égal à son Père dans le ciel. Il descend donc pour être notre concitoyen et nous dire: Que faites-vous? Habitants de Jérusalem, ce n'est qu'en Jérusalem que l'on porte bien haut l'image et la ressemblance de Dieu! Ce n'est point en cette vie que s'élèvent les statues de Dieu. Travaillons à retourner. Où retourner? Voilà que je me mets sous vos pieds, que je deviens votre voie et ainsi votre fin. Soyez mes imitateurs. «Faites-moi connaître, Seigneur quelle est ma fin». Nous l'en croyons, celui qui est notre fin.

10. C'est Dieu le Père qui parle maintenant. Je te le dis, ô âme que j'ai créée, ô homme que j'ai créé; je te le dis, tu avais fini. Qu'est-ce à dire, tu avais fini? Tu avais péri. J'ai envoyé quelqu'un pour te chercher, quelqu'un pour marcher avec toi, quelqu'un pour te pardonner, ses pieds donc ont marché, ses mains ont pardonné. De là, quand il revint après sa résurrection, il montra ses mains, son côté, ses pieds; ses mains, qui avaient accordé le pardon des péchés; ses pieds, qui étaient venus annoncer la paix aux hommes délaissés; son côté, d'où coula le sang de la rédemption. «Le Christ est donc la fin de la loi pour tous ceux qui croiront (1), Seigneur,

1. Rm 10,4

faites-moi connaître ma fin». Déjà cette fin, qui est la tienne, est connue de toi. Comment s'est-elle fait connaître à toi? Ta fin a été pauvre, ta fin a été humble, ta fin a été souffletée, ta fin a été couverte de crachats, ta fin a été en butte au faux témoignage. «J'ai mis un frein à ma bouche, quand le pécheur s'élevait contre moi». Lui-même encore s'est fait ta voie. «Celui qui dit qu'il demeure en Jésus-Christ, doit marcher lui-même comme Jésus-Christ a marché (1)». Il est la voie, marchons maintenant, sans craindre de nous égarer. Ne marchons pas en dehors de la voie, car il est dit: «Ils ont placé près du chemin des piéges pour me prendre, ils ont a ouvert pour moi un précipice près du chemin (2)», Et voici la miséricorde. Afin que tu évites le piège, tu as pour voie la miséricorde. «Seigneur, faites-moi connaître ma fin». Telle est donc votre fin, imitez le Christ votre rédempteur. «Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ (3)». Quand est-ce que Paul imita le Christ? Ecoutez ses paroles. «Dans la faim et dans la soif, dans le froid et dans la nudité», et le reste, jusqu'à ces autres: «Qui donc est scandalisé sans que je brûle (4)?» Je me suis fait tout à tous, afin de les gagner tous (5). J'ai mis un frein à ma bouche, quand le pécheur s'élevait contre moi». Ainsi dit saint Paul, mes frères. «Qui pourra nous séparer de l'amour du Christ?» Ecoute la fin. «Qui pourra me séparer de l'amour du Christ? la tribulation, l'angoisse, la persécution, la nudité, le péril (6)?» Quel homme, plein d'amour, de ferveur, qui court, qui arrive! Que pouvait endurer cette âme? quelle ferveur, quel enseignement! «Qui me séparera de l'amour du Christ? l'angoisse», et le reste jusqu'à ces paroles: «ou le glaive?» Voilà ce qu'il a souffert; et de peur qu'on ne croie qu'il en tire vanité, il ajoute: «Mes frères, je ne prétends pas être arrivé (7)».

11. Mais pourquoi maintenant: «Faites-moi connaître, Seigneur, quelle est ma fin et quel est le nombre de mes jours»: combien j'ai de jours ici-bas. De quoi te servira de connaître ces jours? «Afin de savoir ce qui me manque». Oui, ce qui me manque, mais pour l'éternité. Ecoute aussi Paul. Après de si grands travaux qu'il énumère, «je ne

1. Jn 2,6 - 2. Ps 129,6 - 3. Ph 3,17 - 4. 2Co 11,27-29 - 5. 2Co 9,22 - 6. Rm 8,35 - 7. Ph 3,13

me flatte point d'être arrivé». Ecoute-le nous dire: «Ce qui me manque». Que nul ne dise: J'ai beaucoup jeûné, beaucoup travaillé, beaucoup pardonné; j'ai accompli tous les préceptes de Dieu. Je l'ai fait hier, je l'ai fait aujourd'hui, et il y aura encore un aujourd'hui, si tu l'as fait quelquefois. Hier a toujours un aujourd'hui. Si tu arrives au lendemain, ce sera un aujourd'hui, et dans dix ans, si tu vis, ce sera aujourd'hui. Dis donc chaque jour: Qu'est-ce qui me manque aujourd'hui? Si Paul, en effet, ce laborieux champion du ciel, si Paul, après tant de travaux, de si sublimes révélations, Paul ravi jusqu'au troisième ciel, pour entendre d'ineffables paroles, dut néanmoins ressentir l'aiguillon de la chair qui l'humiliait, de peur que ses révélations ne lui donnassent de l'orgueil, qui oserait dire: Il me suffit? De là donc cette parole du Prophète: «Seigneur, faites-moi connaître ma fin». Voilà que tu as devant toi le Christ qui est ta fin. Tu n'as plus rien à chercher. Croire, pour toi, c'était connaître. Cependant la foi ne suffit point seule, il faut la foi et l'oeuvre. L'une et l'autre sont nécessaires.

«Car les démons aussi croient et tremblent (1)», vous a dit l'Apôtre; et la foi ne leur sert de rien. C'est peu que la foi seule, si l'on n'y joint les oeuvres. «C'est la foi qui agit par la charité (2)», dit l'Apôtre. «Faites-moi connaître, Seigneur, quelle est ma fin et quel est le nombre de mes jours». C'est ce qui ne se dit point, car si chacun de nous connaissait l'heure de sa mort, il prendrait la résolution de bien vivre en ce moment. De là cette parole du Maître qui voulait nous laisser dans l'inquiétude, et à qui l'on demandait le jour et l'heure: «Quant au jour et quant à l'heure, nul n'en sait rien», dit-il. Car il ne voulait pas le leur enseigner. «Pas même le Fils (3)», a-t-il ajouté. C'est-à-dire, il n'est pas utile pour vous de le savoir, vous en seriez négligents, et non pleins de sollicitude. Mais votre vie en sera d'autant plus pure, quand vous serez dans l'ignorance du jour; car ce n'est pas que je l'ignore, puisque «tout ce qui est à mon Père est à moi (4). Faites-moi connaître, ô mon Dieu, quelle est ma fin, et quel est le nombre de mes jours». Faites-le moi connaître, de manière à me tenir dans une inquiétude

1. - 2. Ga 5,6 - 3. Mc 13,32 - 4. Jn 16,15

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continuelle, parce que je ne sais quand viendra le voleur, faites-moi connaître «ce qui me fait défaut».

12. Ici, mes frères, soyons sur nos gardes, afin de savoir ce qui nous fait défaut. La tentation du chrétien est l'épreuve du chrétien. Car celui qui est tenté comprend ce qui lui manque. De deux choses l'une: ou il comprend ce qu'il possède, ou il comprend ce qui lui manque. Abraham fut tenté, non pour qu'il comprît ce qui lui manquait, mais afin que nous pussions voir en lui un modèle à imiter. Il fut tenté au sujet de son fils. Quelle fut cette tentation? Il désira un fils quand son âge avancé ne lui en laissait plus espérer. Et néanmoins, quand il entendit la promesse de Dieu, il n'hésita pas un instant; il crut et eut un fils; il le mérita et le reçut du Seigneur. Ce fils naquit, fut nourri, avança en âge, fut sevré, et il fut dit à Abraham: «Toutes les nations seront bénies en ta race (1)». Abraham savait en qui de sa race; et nous en avons le témoignage dans l'Evangile. «Abraham désira voir mon jour», dit le Sauveur, «il le vit et en tressaillit de joie (2)». Abraham le connaissait donc. Après tout ce qu'il avait cru, il entendit cet ordre du Seigneur: Abraham, va m'offrir ton fils en sacrifice. Pourquoi cette tentation (3)? Dieu ne connaissait-il point sa foi? Assurément, mais c'est pour nous que Dieu daigna la mettre en évidence. C'est à nous qu'il est dit: Offre-moi ta bourse en sacrifice; et nous hésitons. Quel est ce sacrifice? «Faites l'aumône, et voilà que tout est pur pour vous (4)». Et encore: «Je veux la miséricorde plutôt que le sacrifice (5)». Donne de ta bourse, dit l'Evangile, et toi tu la resserres. Que serait-ce, si l'on te demandait ton fils? Quand tu hésites au sujet de ta bourse, que ferais-tu au sujet de ton fils? «Afin que je sache ce qui me fait défaut.». Je le dirai, mais non sans en souffrir et en rougir. Bien des femmes veulent souvent se dévouer au service de Dieu, et quand elles en ont le courage, elles disent à leurs parents: Laissez-moi aller. Je veux être la vierge de Dieu, ou je veux être le serviteur

1. Gn 22,18 - 2. Jn 8,56 - 3. Gn 22 - 4. Lc 11,41 - 5. Mt 9,13 Mt 12,7

de Dieu; et ils s'entendent répondre: ni sauvée, ni sauvé. Il n'en sera point selon tes désirs. Tu feras ce que je voudrai. Que serait-ce, si l'on te disait: Donne-toi la mort? Tu vis, la vie éternelle t'est promise, elle est devant toi, et tu refuses, tu hésites, tu entres en lutte? Assurément, tu es chrétien? Pourquoi, mon cher? Parce que je suis chrétien, faut-il que je sois sans postérité? Faut-il que tu sois sans postérité? Tu sais alors ce qui te fait défaut. Tu as jeûné hier? Chante ce que chantait David: «Faites-moi connaître, Seigneur, quelle est ma fin et le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui me fait défaut». Que Dieu, dans sa miséricorde, nous mette chaque jour dans l'agitation, dans la tentation, dans l'épreuve, dans le labeur, afin que nous avancions dans la vertu. «Car la tribulation produit la patience, la patience l'épreuve, et l'épreuve l'espérance. Or, cette espérance n'est point vaine (1)».

13. Donc, mes frères, soyons avides chaque jour de connaître ce qui nous fait défaut, de peur que, si nous étions dans la sécurité, le grand jour ne vienne et qu'il n'y ait plus rien de ce que nous comptions avoir; et qu'alors nous n'entendions cette parole: «Qui vous confessera dans l'enfer (2)?» Donc, mes frères, appliquons-nous à marcher vers Dieu chaque jour, faisant bon marché de ces biens passagers que nous devons laisser ici-bas. Fixons les yeux sur la foi d'Abraham, et comme lui aussi fut notre père, imitons sa piété, imitons sa foi. Si l'épreuve nous vient à propos de nos enfants, demeurons sans crainte; si elle vient du côté de nos biens, soyons également sans crainte; s'il nous arrive des infirmités corporelles, plaçons notre espoir dans le Seigneur. Nous sommes chrétiens, nous sommes étrangers ici-bas. Soyons sans crainte, la patrie n'est point en cette vie. Celui qui veut se faire une patrie sur la terre, perdra cette patrie et n'arrivera point à l'autre. Comme des fils dévoués, allons à cette patrie; afin que Dieu lui-même approuve et dirige notre course. Tournons-nous du côté du Seigneur, etc.

1. Rm 5,3 - 2. Ps 6,6

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Augustin, Sermons 2020