Augustin, Sermons 1004

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QUATRIÈME SERMON. LA PORTE ÉTROITE. «ENTREZ PAR LA PORTE ÉTROITE». (@Mt 7,13@)

ANALYSE. - 1. Deux voies sont devant nous: celle de la mort et celle de la vie. - 2. Quelle est la voie large. - 3. Quelle est la voie étroite. - 4. Conclusion.

1. C'est le Sauveur qui nous dit dans l'Evangile: «Entrez par la porte étroite, parce que la porte large et la voie spatieuse conduisent à la damnation, et beaucoup suivent cette voie. Qu'elle est étroite, la porte; qu'elle est resserrée, la voie qui conduit à la vie, et combien ceux qui la trouvent sont peu nombreux!» Le Seigneur, vous le voyez, nous enseigne qu'il est devant nous deux voies, l'une étroite, l'autre large; l'une menant à la vie, l'autre à la mort. Mes bienaimés, fuyez donc la voie de la mort, si vous ne voulez pas périr éternellement, et choisissez la voie de la vie, afin que vous possédiez la vie éternelle. «Car, dit le Sauveur, la voie large et spacieuse conduit à la perdition».

2. Quelle est cette voie large, la seule que (250) suivent les vices et les passions mauvaises? Pourquoi est-elle appelée large? Parce qu'elle est courue par un grand nombre d'hommes. Comme une route terrestre reçoit le nom de grande route quand elle est beaucoup fréquentée et offre ainsi beaucoup d'attraits; de même, au point de vue spirituel, la voie large est celle où se rassemble la multitude des hommes qui s'abandonnent aux vices. Donc, mes bien-aimés, fuyez la voie large, c'est-à-dire fuyez la voie honteuse et vicieuse. Fuyez la voie de l'ivresse: elle est large, puisqu'elle reçoit tous les intempérants. Fuyez la voie de l'impureté: elle est large aussi, puisqu'elle reçoit tous les impudiques. Fuyez la voie de la cupidité, puisqu'elle est suivie par tous ceux qui usurpent le bien d'autrui. Fuyez cette voie tant désirée et tant recherchée par un si grand nombre d'hommes. «Car», dit le Seigneur, «beaucoup sont appelés, mais peu sont élus (1)». Ne vous laissez tenter ni par la société ni par les exemples du grand nombre, car il est plus d'hommes pour aimer le péché que pour aimer la justice. N'est-il pas préférable de posséder le royaume céleste et éternel avec le petit nombre, que de tomber avec la multitude dans la mort et le châtiment éternels? Suivez le petit nombre de justes, plutôt que la multitude des pécheurs. Méritez la vie éternelle avec le petit nombre, et redoutez l'enfer, malgré la multitude de ceux qui s'y précipitent.

3. «Qu'elle est étroite et escarpée», dit le Seigneur, «la voie qui conduit à la vie, et qu'ils sont peu nombreux, ceux qui la trouvent!» Parlant de la voie large, il venait de dire: «Ceux qui la suivent sont nombreux». Mais dès qu'il s'agit de la voie étroite: «Qu'ils sont peu nombreux, ceux qui la trouvent!» Ces oracles nous prouvent non seulement que cette voie étroite ne peut être courue qu'avec peine, mais encore qu'il est difficile de la trouver. En nous disant que «bien peu trouvent cette voie», le Sauveur nous montre qu'un grand nombre d'hommes paraissent la chercher, tandis qu'un bien petit nombre mérite de la trouver. Pourquoi donc n'y en a-t-il que peu pour la trouver, tandis qu'un grand nombre la cherchent? C'est que tous ne mettent pas la même diligence à la chercher. Les uns y mettent beaucoup d'empressement, les autres beaucoup de

1. Mt 20,16

négligence; or, le succès n'est promis qu'à ceux qui font preuve de zèle et de bonne volonté. Beaucoup d'hommes sont aujourd'hui membres de l'Eglise, et tous ceux qui lui appartiennent semblent par cela même chercher le salut. Mais tous y mettent-ils la même diligence? Est-ce chercher la voie du salut que de s'abandonner à l'intempérance, tout en paraissant encore dans l'Eglise? de se livrer à l'avarice, tout en paraissant appartenir à l'Eglise? Est-ce chercher la voie du salut que de verser le sang de son frère, ou de se couvrir des souillures de l'impudicité? Tous ces vices conduisent directement à la mort; voilà pourquoi ceux qui marchent dans la voie de la mort ne sauraient en même temps rechercher la voie de la vie. De là cette parole du Sauveur dans l'Evangile: «Combien peu trouvent la voie étroite!» Ils sont si peu nombreux qu'on en rencontre à peine, et que cette voie étroite semble invisible et cachée. Cette conclusion n'est que trop vraie. La voie étroite est cachée, non pas sur un seul point ou dans un seul lieu, mais dans les choses les plus diverses et les vertus les plus nombreuses. Elle est cachée dans la foi et dans la croyance, car, pour trouver la voie de la vie, il faut croire fidèlement, selon cette parole: «A moins que vous ne croyiez, vous ne comprendrez pas». De même donc que personne ne peut comprendre Dieu, s'il n'est auparavant conduit par la foi, de même personne ne peut arriver à la vie éternelle, si la foi ne lui montre le chemin et ne lui ouvre la porte. A ce point de vue donc, mes bienaimés, la voie de la vie est cachée dans la foi. Elle est également cachée dans la chasteté; «car», dit l'Apôtre, «les impudiques ne posséderont pas le royaume de Dieu (1)». Si donc les impudiques ne parviennent pas à la vie, le bonheur éternel ne pourrait être que pour celui qui est chaste. La voie de la vie est également cachée dans l'aumône et la bienfaisance: «L'aumône», dit l'Ecriture, «délivre les hommes de la mort (2)»; l'avarice conduit donc à l'enfer.

5. Mes frères, si vous voulez chercher et trouver la seule voie bonne, aimez et conservez fidèlement les vertus dans lesquelles se trouve la voie de la vie; car celui qui sui vra cette voie entrera dans la lumière éternelle et possédera la vie qui ne finira jamais. Ainsi soit-il.

1. 1Co 6,9- 2. Tb 12,9





PREMIER SUPPLEMENT, DEUXIEME SECTION. SERMONS (5-19) SUR LE PROPRE DU TEMPS (1).




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CINQUIÈME SERMON: L'ANNONCIATION.

ANALYSE. - 1. L'ange Gabriel salue la sainte Vierge. - 2. Hésitation et réponse de Marie. - 3. Marie restera vierge dans l'enfantement. - 4. Assentiment de Marie. - 5. Génération inénarrable du Christ. - 6. Marie devenue mère de Dieu par la virginité et l'humilité. - 7. Jésus-Christ prodigue ses dons à ceux qui sont humbles et doux.

1. Le Verbe éternel se faisant homme, et daignant habiter parmi les hommes, tel est le grand mystère que célèbre aujourd'hui l'Eglise universelle, et dont elle salue chaque année le retour par des transports de joie. Après l'avoir une première fois reçu pour sa propre rédemption, le monde fidèle en a consacré le souvenir de génération en génération, afin de perpétuer l'heureuse substitution de la vie nouvelle à la vie ancienne. Maintenant donc, lorsque le miracle depuis longtemps accompli nous est remis annuellement sous les yeux dans le texte des divines Ecritures, notre dévotion s'enflamme et s'exhale en chants de triomphe et de joie. Le saint Evangile que nous lisions nous rappelait que l'archange Gabriel a été envoyé du ciel par le Seigneur pour annoncer à Marie qu'elle serait la mère du Sauveur. L'humble Vierge priait, silencieuse et cachée aux regards des mortels; l'ange lui parla en ces termes: «Je vous salue, Marie,» dit-il, «je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous (Lc 1,28)». O annonciation miraculeuse! ô salutation céleste, apportant la plénitude de la grâce et illuminant ce coeur virginal! L'Ange était descendu porté sur ses ailes de feu et inondant de clartés divines la demeure et l'esprit de Marie. Député par le Juge suprême et chargé de préparer à son Maître une demeure digne de lui, l'ange, éblouissant d'une douce clarté, pénètre dans ce sanctuaire de la virginité, rigoureusement fermé aux regards de la terre: «Je vous salue, Marie,» dit-il, «je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous»; Celui qui vous a créée vous a prédestinée; Celui que vous devez enfanter vous a remplie de ses dons.

2. A l'aspect de l'ange, la Vierge se trouble et se demande quelle peut être cette bénédiction. Dans son silence humble et modeste, elle se rappelle le voeu qu'elle a formé, et, jusque-là, tout à fait étrangère au langage d'un homme, elle se trouble devant un tel salut, elle est saisie de stupeur devant un tel langage, et n'ose d'abord répondre au céleste envoyé. Plongée dans l'étonnement, elle se demandait à elle-même d'où pouvait lui venir une telle bénédiction. Longtemps elle roula ces pensées dans son esprit, oubliant presque la présence de l'ange que lui rappelaient à peine quelques regards fugitifs attirés par l'éclat de l'envoyé céleste. Elle hésitait donc et s'obstinait dans son silence; mais l'ambassadeur de la sainte Trinité, le messager des secrets célestes, le glorieux archange Gabriel, la contemplant de nouveau, lui dit: «Ne craignez pas, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu; voici que vous concevrez et enfanterez un fils, et vous le nommerez Jésus. Il sera grand et sera appelé le «Fils du Très-Haut, et le Seigneur-Dieu lui donnera le siège de David son père; il (252) régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n'aura pas de fin (Lc 1,30-31)». Alors Marie, pesant sérieusement ces paroles de l'ange et les rapprochant de son voeu de virginité perpétuelle, s'écria: «Comment ce que vous me dites pourra-t-il se réaliser, puisque je ne connais point d'homme?» Aurai-je un fils, moi qui ne connais point d'homme? Porterai-je un fruit, moi qui repousse l'enfantement? Comment pourrai-je engendrer ce que je n'ai point conçu? De mon sein aride, comment pourrai-je allaiter un fils, puisque jamais l'amour humain n'est entré dans mon coeur et n'a pu me toucher.

3. L'ange répliqua: Il n'en est point ainsi, Marie, il n'en est point ainsi; ne craignez rien; que l'intégrité de votre vertu ne vous cause aucune alarme; vous resterez vierge et vous vous réjouirez d'être mère; vous ne connaîtrez point le mariage, et un fils fera votre joie; vous n'aurez aucun contact avec un homme mortel, et vous deviendrez l'épouse du Très-Haut, puisque vous mettrez au monde le Fils de Dieu. Joseph, cet homme chaste et juste, qui est pour vous, non point un mari mais un protecteur, ne vous portera aucune atteinte; mais «l'Esprit-Saint surviendra en vous», et, sans qu'il s'agisse ici d'un époux et d'affections charnelles, «la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre: voilà pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu». O séjour digne de Dieu! Avant que l'ange ne lui eût fait connaître clairement le Fils qui lui était promis au nom du ciel, Marie ne laissa échapper de ses lèvres pudiques aucune parole d'assentiment.

4. Mais dès qu'elle sut que sa virginité ne subirait aucune atteinte, dès qu'elle en reçut l'attestation solennelle, faisant de son coeur un sanctuaire digne de la Divinité, elle répondit: «Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole». Comme si elle eût dit: «Mon coeur est prêt, ô Dieu, mon coeur est prêt», puisque mon sein doit rester intact. «Qu'il me soit fait selon votre parole», ô glorieux archange Gabriel; qu'il vienne dans sa demeure, «Celui qui a placé sa tente dans le soleil (Ps 18,6)». Puisque je dois demeurer vierge, «que le Soleil de justice se lève en moi (Ml 4,2) sous ses rayons je conserverai ma blancheur, et la fleur de mon intégrité s'épanouira dans une chasteté perpétuelle. «Que le juste sorte dans toute sa splendeur (Is 57,1)», et que le Sauveur brille «comme un flambeau (Si 48,1)». Le flambeau du soleil illumine l'univers; il pénètre ce qui semble vouloir lui faire obstacle, et il n'en jette pas moins ses flots de lumière. Qu'il apparaisse donc aux yeux des hommes «le plus beau des enfants des hommes»; «qu'il s'avance comme un époux sort du lit nuptial (Ps 44,3)»; car maintenant je suis assurée de persévérer dans mon dessein.

5. Quelle parole humaine pourrait raconter cette génération? Quelle éloquence serait suffisante pour l'expliquer? Les droits de la virginité et de la nature sont conservés intacts, et un fils se forme dans les entrailles d'une vierge. Lorsque les temps furent accomplis, le ciel et la terre purent contempler cet enfantement sacré auquel toute paternité humaine était restée complétement étrangère. Telle est cette ineffable union nuptiale du Verbe et de la chair, de Dieu et de l'homme. C'est ainsi qu'entre Dieu et l'homme a été formé «le Médiateur de Dieu et des hommes, l'homme Christ Jésus (1Tm 2,5)». Ce lit nuptial divinement choisi, c'est le sein d'une Vierge. Car le Créateur du monde venant dans le monde, sans aucune coopération du monde, et pour racheter le monde de toutes les iniquités qui le souillaient, devait sortir du sein le plus pur et entourer sa naissance d'un miracle plus grand que le miracle même de la création. Car, comme le dit lui-même le Fils de Dieu et de l'homme, le Fils de l'homme est venu «non point pour juger le monde, mais pour le sauver (Jn 12,47)».

6. O vous, Mère du Saint des Saints, qui avez semé dans le sein de l'Eglise le parfum de la fleur maternelle et la blancheur du lis des vallées, en dehors de toutes les lois de la génération et de toute intervention purement humaine; dites-moi, je vous prie, ô Mère unique, de quelle manière, par quel moyen la Divinité a formé dans votre sein ce Fils dont Dieu seul est le Père. Au nom de ce Dieu qui vous a faite digne de lui donner naissance à votre tour, dites-moi, qu'avez-vous fait de bien? Quelle grande récompense avezvous obtenue? sur quelles puissances vous - 253 - êtes-vous appuyée? quels protecteurs sont intervenus? à quels suffrages avez-vous eu recours? Quel sentiment ou quelle pensée vous a mérité de parvenir à tant de grandeur? La vertu et la sagesse du Père «qui atteint d'une extrémité à l'autre avec force et qui dispose toutes choses avec suavité (Sg 8,1)», le Verbe demeurant tout entier partout, et venant dans votre sein sans y subir aucun changement, a regardé votre chasteté dont il s'est fait un pavillon, dans lequel il est entré sans y porter atteinte et d'où il est sorti en y mettant le sceau de la perfection. Dites-moi donc comment vous êtes parvenue à cet heureux état? Et Marie de répondre: Vous me demandez quel présent m'a mérité de devenir la mère de mon Créateur? J'ai offert ma virginité, et cette offrande n'était pas de moi, mais de l'Auteur de tout bien; «car tout don «excellent et parfait nous vient du Père des «lumières (Jc 1,17)». Toute mon ambition, c'est mon humilité; voilà pourquoi «mon âme grandit le Seigneur, et mon esprit a tressailli en Dieu mon Sauveur (Lc 1,47)»; car il a regardé, non pas ma tunique garnie de noeuds d'or, non pas ma chevelure pompeusement ornée et jetant l'éclat de l'or, non pas les pierres précieuses, les perles et les diamants suspendus à mes oreilles, non pas la beauté de mon visage trompeusement fardé; mais «il a regardé l'humilité de sa servante».

7. Le Verbe est venu plein de douceur à son humble servante, selon l'oracle du Prophète: «Gardez-vous de craindre, fille de Sion. Voici venir à vous votre Roi plein de douceur et de bonté, assis sur un léger nuage (Is 62,11 Za 9,9 Is 19,1 Mt 21,5)». Quel est ce léger nuage? C'est la Vierge Marie dont il s'est fait une Mère sans égale. Il est donc venu plein de douceur, reposant sur l'esprit maternel, humble, «calme et craignant ses paroles (Is 66,1)». Il est venu plein de douceur, remplissant les cieux, s'abaissant parmi les humbles pour arriver aux superbes, ne quittant pas les cieux et présentant ses propres humiliations pour guérir avec une mansuétude toute divine ceux qu'oppressent les gonflements de l'orgueil. O profonde humilité! «O grandeur infinie des trésors de la sagesse et de la science de Dieu; que les «jugements de Dieu sont incompréhensibles et ses voies impénétrables (Rm 11,33)». Le pain des Anges est allaité par les mamelles d'une mère; la source d'eau vive jaillissant jusqu'à la vie éternelle demande à boire à la Samaritaine, figure de l'Eglise; il ne refuse pas de manger avec les publicains et les pécheurs, lui que les Anges au ciel servent dans la crainte et la terreur. Le Roi des rois a rendu à la santé le fils de l'officier, sans employer aucun remède et par la seule efficacité de sa parole. Il guérit le serviteur du centurion et loue la foi de ce dernier, parce qu'il a cru que le Seigneur commande à la maladie et à la mort comme lui-même commandait à ses soldats. Quelque cruelles que fussent les souffrances de la paralysie, il en trouva la guérison infaillible dans la visite miséricordieuse de Jésus-Christ. Une femme affligée depuis de longues années d'une perte de sang qui faisait de ses membres une source de corruption, s'approche avec foi du Sauveur qui sent aussitôt une vertu s'échapper de lui et opérer une guérison parfaite. Mais comment rappeler tant de prodiges? Le temps nous manque pour énumérer tous ces miracles inspirés à notre Dieu par sa puissance infinie et sa bonté sans limite. Abaissant sa grandeur devant notre petitesse et son humilité devant notre orgueil, il est descendu plein de piété, et, nouveau venu dans le monde, il a semé dans le monde des prodiges nouveaux. C'est lui que les évangélistes nous dépeignent sous différentes figures: l'homme, le lion, le boeuf et l'aigle. Homme, il est né d'une Vierge sans le concours de l'homme; lion, il s'est précipité courageusement sur la mort et s'est élevé sur la croix par sa propre vertu; boeuf, il a été volontairement immolé dans sa passion pour les péchés du peuple; et comme un aigle hardi, il a repris son corps, est sorti du tombeau, a fait de l'air le marchepied de sa gloire, «est monté au-dessus des chérubins, prenant son vol sur les ailes des vents», et maintenant il siège au ciel, et c'est à lui qu'appartient l'honneur et la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. - 254 -




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SIXIÈME SERMON. L'INCARNATION.

ANALYSE. - 1. Prophétie d'Isaïe. - 2. Jésus-Christ de la famille de David. - 3. Naissance immaculée de Jésus-Christ - 4. Jésus-Christ Fils de Dieu. - 5. Réfutation des hérétiques qui nient la divinité de Jésus-Christ. - 6. Même sujet.

1. Mes frères, que votre charité écoute en quels termes le prophète Isaïe a annoncé Notre-Seigneur Jésus-Christ: «Voici», dit-il, «qu'une vierge concevra dans son sein et enfantera un Fils (1)»; «et vous l'appellerez Jésus, car il sauvera lui-même son peuple de leurs péchés (2)».

2. «Joseph, fils de David (3)». Vous voyez, mes frères, la race tout entière désignée dans une seule personne; vous voyez dans un seul nom toute une généalogie. Vous voyez dans Joseph la famille de David. «Joseph, fils de David»; Joseph était sorti de la vingt-huitième génération, et il est appelé fils de David, pour mieux nous découvrir le mystère de sa naissance, et nous prouver l'accomplissement de la promesse; ne s'agit-il pas d'une conception surnaturelle et d'un enfantement céleste dans une chair restée parfaitement vierge? «Joseph, fils de David»; voici en quels termes David avait reçu la promesse de Dieu le Père: «Le Seigneur a juré la vérité à David, et il ne le trompera pas: je placerai sur mon trône le fruit de tes entrailles (4)». David chante ainsi ce grand événement: «Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite (5)». «Le fruit de vos entrailles»; c'est bien le fruit de ses entrailles, le fruit de son sein; car le divin Hôte, le Dieu du ciel, en venant faire séjour dans son sein, n'a pas connu les barrières du corps; il est sorti du sein de Marie sans ouvrir la porte virginale. Et c'est ainsi que s'est accomplie cette parole du Cantique des Cantiques:«Mon Epouse, jardin fermé, source scellée (6)».

3. «Joseph, fils de David, gardez-vous de craindre». L'époux est prévenu de ne pas

1 Is 7,14 - 2. Mt 1,21 - 3. Mt 1,20 - 4. Ps 131,11 - 5. Ps 100,1 - 6. Ct 4,14

craindre au sujet de son épouse, car tout esprit vraiment pieux s'effraie d'autant plus qu'il compatit davantage. «Joseph, fils de David, gardez-vous de craindre»; vous qui êtes assuré de votre conscience, ne succombez pas sous le poids des pensées que provoque ce mystère. «Fils de David, gardez-vous de craindre». Ce que vous voyez est une vertu, et non pas un crime; ce n'est point une chute humaine, mais un abaissement divin; c'est une récompense, et non pas une culpabilité. C'est un accroissement du ciel, et non pas un détriment du corps. Ce n'est point la perte d'une personne, mais le secret du Juge. Ce n'est point le châtiment d'une faute, mais la palme de la victoire. Ce n'est point la honte de l'homme, mais le trésor de Jésus-Christ. Ce n'est point la cause de la mort, mais de la vie. Voilà pourquoi: «Gardez-vous de craindre», car celle qui porte un tel Fils ne mérite point la mort. «Joseph, fils de David, ne craignez pas de recevoir Marie pour votre épouse». La loi divine elle-même donne à la compagne de l'homme le titre d'épouse. De même donc que Marie est devenue mère sans éprouver aucune atteinte à sa virginité, de même elle porte le nom d'épouse en conservant sa pudeur virginale.

4. «Joseph, fils de David, ne craignez pas de recevoir Marie pour votre épouse; car l'enfant qui naîtra d'elle est le fruit du Saint-Esprit». Qu'ils viennent et entendent, ceux qui demandent quel est cet enfant qui est né de Marie: «Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit». Qu'ils viennent et entendent, ceux qui, profitant de l'obscurité du grec pour troubler la pureté latine, ont multiplié les blasphèmes dans le but de faire disparaître ces expressions: Mère de l'homme, Mère du (255) Christ, Mère de Dieu. «Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit». Et ce qui est né du Saint-Esprit est esprit, parce que «Dieu est esprit». Pourquoi donc demander ce qui est né du Saint-Esprit? Il est Dieu, et parce qu'il est Dieu il nous répond avec saint Jean: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire (1)». Jean a vu sa gloire; vous, infidèle, mesurez l'injure: «Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit. Et nous avons vu sa gloire». De qui? «De Celui qui est né du Saint-Esprit»; du «Verbe qui s'est fait chair et qui a habité parmi nous. Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit». Une Vierge a conçu, mais par l'action du Saint-Esprit; une Vierge a enfanté, mais enfanté Celui que prophétisait Isaie en ces termes: «Voici qu'une Vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous». Il sera homme avec eux, mais: «Maudit soit l'homme qui place son espérance dans l'homme (2)».

5. Qu'ils écoutent, ceux qui demandent quel est celui qui est né de Marie. «Elle enfantera un fils», dit l'Ange, «et ils l'appelleront Jésus». Pourquoi Jésus? L'Apôtre répond: «Afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers (1)». Et vous, disciple trompeur, vous demandez ce qu'est Jésus? «Que toute langue confesse que le Seigneur Jésus est dans la gloire de Dieu son Père (4)», et vous osez

1. Jn 1,14 - 2. Jr 17,15 - 3. Ph 2,10 - 4. Ph 2,11

encore demander hautement ce qu'est Jésus!

6. Ecoutez de nouveau ce qu'est Jésus «Elle enfantera un fils, et il sera appelé Jésus. Car il sauvera son peuple de leurs péchés». Ce n'est pas le peuple d'un autre qu'il doit sauver. De quoi le sauvera-t-il? de leurs péchés. Que Dieu seul puisse remettre les péchés; si vous n'en croyez pas les chrétiens, croyez du moins à la parole des Juifs: «Vous n'êtes qu'un homme, et vous vous faites Dieu (1)». «Personne ne peut remettre les péchés, si ce n'est Dieu seul (2)». Les Juifs refusaient de croire à la divinité de Jésus, puisqu'ils ne lui croyaient pas le pouvoir de remettre les péchés; vous, au contraire, vous croyez qu'il remet les péchés et vous hésitez à le proclamer Dieu. «Le Verbe s'est fait chair», afin que l'homme-chair pût s'élever jusqu'à la gloire de Dieu, et non pas afin que Dieu fût changé en chair, selon cette parole de l'Apôtre: «Celui qui s'unit à Dieu est un seul esprit avec lui (3)»; de même, quand Dieu s'unit à l'homme, il est un seul Dieu. Les lois humaines établissent la prescription de trente ans pour éteindre tous les procès; et voilà déjà près de cinq cents ans que Jésus-Christ soutient la cause de sa naissance. Son origine lui est disputée, sa nature est sans cesse remise en question. Hérétiques, cessez de juger notre Juge, et adorez dans le ciel notre. Dieu que le Mage a proclamé Dieu sur la terre. C'est à lui qu'appartiennent l'honneur et la gloire, la louange et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Jn 10,33 - 2. Lc 5,31 - 3. 1Co 6,17




1007

SEPTIEME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (PREMIER SERMON)

ANALYSE. - 1. Difficulté de parler sur un tel sujet. - 2. Heureuse difficulté qui nous élève jusqu'à l'unité et la Trinité divine. - 3. La Divinité une et trine. - 4. La Trinité comparée à l'or. - 5. Un seul Dieu et non pas trois dieux. - 6. Jésus-Christ, fils de Marie, pasteur et brebis. - 7. La naissance de Jésus-Christ annoncée aux bergers. - 8. L'incarnation appuyée sur des témoignages irrécusables. - 9. Dieu a voulu naître, afin de pouvoir mourir et de nous sauver de l'enfer par sa mort. - 10. Perpétuelle virginité de Marie. - 11. Le sein de Marie en quelque sorte digne de Dieu. - 12. Marie a conçu dans la virginité, et elle a enfanté par la vertu du Dieu tout-puissant. - 13. Dieu n'a pu être souillé dans le sein de Marie. - 14. Exemple d'Elie et des corbeaux. - 15. Exemple tiré du soleil. - 16. Pureté du sein de Marie. - 17. Le lieu dans lequel Dieu apparut à Moïse a été par cela même sanctifié, combien plus le sein de Marie. - 18. Le Fils de Dieu entre dans le sein de Marie comme dans une fournaise ardente. - 19. Celui qui a fait germer la verge d'Aaron a pu naître d'une vierge. - 20. Récit de ce fait. - 21. Application à la maternité de Marie. -22. Comment l'incarnation a été immaculée. - 23. Le fruit de la verge. - 24. Paroles d'Isaïe: «Une Verge sortira de la souche de Jessé». - 25. Témoignages d'Ezéchiel, d'Isaïe et de David. - 26. Celui qui a soustrait une côte au premier homme pour en former la première femme en dehors de toute concupiscence, a pu naître d'une vierge. - 27. Les chrétiens doivent se réjouir de cette nativité miraculeuse.

1. Comment ne rougirais-je pas de parler, quand le saint dont on vient de lire le témoignage trouve plus à propos de se renfermer dans son silence? Toutefois la honte ne saurait nous arrêter, car la foule pieuse ici réunie, les élans de sa dévotion, l'éclat que projette en ce jour la vérité et la foi, les honneurs avec lesquels vous célébrez la fête de la naissance du Seigneur, tout cela ne condamnerait-il pas une torpeur exagérée? Notre devoir nous jette dans l'embarras; la charité me presse de vous être agréable, la solennité me commande de porter la parole, votre sainteté provoque ma présence dans cette chaire.

2. Le devoir, ai-je dit, me jette dans l'embarras, et voyez ce que dit le Seigneur: «Si quelqu'un vous oblige à l'accompagner pendant mille pas, faites-en encore deux autres mille avec lui (1)». J'obéis; je ne puis résister à la parole du Seigneur, je m'incline devant ce jugement; on me conduit à un mille, j'en offre trois. La Trinité sera l'objet de ma course. Dieu m'appelle à l'unité, je l'accompagne jusqu'à la Trinité. Une même intention dirige le maitre et l'esclave, car il est nécessaire que celui qui me commande marche avec moi. «Si quelqu'un vous entraîne à mille pas, faites-en deux mille avec lui». O bienheureuse contrainte, qui, loin de me faire injure, me conduit à la gloire! Un et deux; trois en un. Quatre chemins nous conduisent à la patrie, parce que les quatre Evangiles nous initient aux mystères de la Trinité. D'un nous allons à trois, et en courant les trois nous revenons à un. Mais nous ne finissons pas dans l'unité qui est trois. Dans cette voie que nous parcourons, je vois couler trois sources. A ces mots l'hérétique relève la tête; on dirait qu'il a entendu ce qu'il désire, qu'il entende donc aussi ce qu'il ne veut pas. Je dis donc que je vois couler trois sources, mais il n'y a qu'un seul récipient qui se verse dans ses trois déversoirs,

1. Mt 5,41

parce que la Trinité reflue dans l'unité; voilà pourquoi, en buvant à une source, nous buvons aux trois. Toutefois que personne ne se contente d'une seule et qu'il use de toutes les trois afin qu'il aspire d'une manière plus parfaite le goût de l'unité.

3. Nous connaissons cette belle parole du Sauveur: «Allez, enseignez toutes les nations, et les baptisez au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit (1)». Quel est donc le nom du Père? Dieu. Quel est le nom du Fils? Dieu. Quel est le nom du SaintEsprit? Dieu. Dieu un, car il n'a pas été dit aux noms, mais: «au nom», pour exclure la pluralité de nature. Un seul Dieu, Père et Fils et Saint-Esprit, selon ce témoignage de l'Apôtre: «Car le Seigneur notre Dieu est un seul Dieu. Il n'y a de médiateur qu'entre plusieurs personnes, mais Dieu est unique (2)». Ce qui est individuel dans l'unité de nom, n'est l'objet d'aucune distinction dans l'égalité de la nature. Le Fils est engendré du Père; le Saint-Esprit procède du Père; le Fils et le Saint-Esprit sont dans le Père; le Saint-Esprit et le Père sont dans le Fils; il n'y a qu'une seule et même divinité, le Père et le Fils et le Saint-Esprit. Il n'y a aucune division dans l'unité, ni de distinction de nature dans la Trinité; une personne n'est ni inférieure ni supérieure à l'autre; la plénitude de la divinité dans toute sa perfection, son unité et son intégrité, appartient à chacune des trois personnes. Voilà que nous parcourons les trois mille, au delà nous ne trouvons plus rien.

4. Toutefois, ne craignons pas de recourir à des comparaisons pour jeter plus de lumière sur notre foi, malgré la distance infinie qui sépare la créature du créateur. S'il répugnait à quelqu'un d'entendre parler de pluralité quand il s'agit de la divinité, je citerais l'or qui n'admet pas de pluralité dans le nom et qui cependant se divise en différentes espèces,

1. Mt 18,19 - 2. Rm 3,30

257

du moins quant aux objets qui en sont formés; ainsi l'on dit: un anneau d'or, un collier d'or, un bracelet d'or, et autres choses semblables formées de la même masse d'or. Et cependant la différence des noms ne change pas la nature de l'or, quels que soient les objets qui en sont formés. Un anneau, c'est de l'or; un collier, c'est de l'or; un bracelet, c'est de l'or. Prenez trois morceaux d'or; tous sont de l'or, celui-ci est de l'or, chacun est de l'or, tout est de l'or; abstenez-vous de toute pluralité, si vous le pouvez. L'or, sous quelque nom qu'on le désigne, est toujours de l'or; quant aux objets qu'il forme, il reçoit différentes dénominations; mais dans son genre il est toujours le même. Dans la Trinité, de quelque personne qu'il s'agisse, elle est Dieu. Vous nommez le Père, il est Dieu; vous nommez le Fils, il est Dieu; vous nommez le Saint-Esprit, il est Dieu. Il n'y a qu'un seul Dieu. La Divinité n'admet donc pas de nombre, parce que la Trinité n'admet aucune distinction quant à la nature. Comme elle n'admet pas de nombre, elle ne saurait non plus admettre d'accroissement.

5. Mais, dites-vous, ne peut-on pas dire les dieux, s'il y a trois personnes dans l'unité de nature? Gardez-vous bien de vous arrêter à de telles apparences. Dès l'origine du monde, le démon s'est trahi sur ce point; car, en voulant tromper les hommes il a osé pluraliser les dieux en disant: «Vous serez comme des dieux», au lieu de dire: Vous serez comme Dieu. Il préparait ainsi la voie aux idoles, lui qui avait été rejeté par l'unité divine. Enfin, soit qu'il ait tenu ce langage du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ou bien des hommes eux-mêmes, sous prétexte qu'ils deviendraient des dieux, il a menti de toute manière, il est devenu le père du mensonge. Si nous admettons des dieux, quelle différence établir entre le chrétien et le gentil, lequel croit à la pluralité des dieux, s'en forge de grands et de petits et s'éloigne ainsi, par vanité et par erreur, du Dieu unique et véritable? Si le chrétien embrasse une telle doctrine, en quoi le païen peut-il être condamné? Qu'il affirme, qu'il soutienne deux ou trois dieux, celui qui, méprisant l'autorité de la règle de foi, n'admet pas l'unité de nature dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et divise la Trinité essentiellement inséparable dans son unité. En séparant ainsi la Trinité, il s'efforce de tuer la vérité; de même, en admettant de l'inégalité parmi les personnes, il introduit nécessairement la division dans la divinité elle-même; que cette inégalité soit basée sur la durée ou sur le mérite, peu importe; car la nature cesse d'être égale et par conséquent d'être une. Pour nous, chrétiens, comme nous l'avons dit, il n'y a qu'un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. L'égalité n'admet pas de degrés, l'unité rejette la diversité, et la divinité ne dégénère ni. par le nom, ni par la nature.

6. Mais en me laissant entraîner par la grandeur du sujet, voici que je touche à des hauteurs redoutables. La fête de ce jour nous ramène à d'autres idées. Passons donc sous silence ce qu'il y a de mystérieux dans les sacrements, et traitons de ce qui regarde l'incarnation elle-même. En effet, mes frères, en ce jour les anges ont tressailli, les cieux ont frémi, les éléments du monde ont rebondi, et dans les limbes les victimes de la mort ont été saisies de joie à la pensée de leur délivrance. Qu'en ce jour aussi la joie rayonne sur le front du peuple chrétien; car vient de naître dans la chair le Sauveur du monde, et le crime du premier homme a été effacé. Le Seigneur est né dans une chair véritable, et la nature a été vaincue dans cette naissance, parce qu'une vierge a conçu et enfanté sans porter aucune atteinte à sa virginité et parce qu'elle est devenue véritablement mère, tout en restant vierge. Le Seigneur est né en ce jour, le monde a été racheté et le démon a été vaincu. Contemplez ce prodige. L'agneau vient de naître, et le loup a été mis en fuite. L'agneau vient de naître, et il a été annoncé aux bergers tout à la fois comme bon pasteur et comme agneau; comme pasteur, pour garder et pour nourrir le troupeau; comme agneau, pour servir de victime. Désigné comme agneau, il nous estaussi présentécomme bélieretcomme brebis. Il était ce bélier retenu par les cornes dans les épines, lorsque le bienheureux Isaac se préparait à sa propre immolation. Isaac fut arraché à la mort, mais Jésus fut attaché à la croix. Isaac, chargé de liens, fut étendu sur le bois du sacrifice; Jésus-Christ percé de clous, fut suspendu à la croix, après avoir porté une couronne d'épines, lui qui avait eu une couronne tissée de pierres précieuses, couronne d'autant plus belle qu'elle avait été formée par son Père. Un bélier porte sur son front toute sa force; toute notre force nous vient de (258) la croix, dont le signe a été gravé sur notre front. Ce que la Judée faisait en figure en teignant de sang la porte de ses maisons, l'Eglise le fait sur notre front, nous apprenant ainsi que l'agneau innocent a été immolé pour nous. Bélier par la fermeté, agneau par l'innocence. Sans doute on remarque dans ces animaux la diversité des sexes; toutefois leur communauté d'origine établit entre eux une sorte d'égalité.

7. Un Dieu nous est né aujourd'hui dans la chair, et les anges ont annoncé: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (1)». Gloire est rendue à Dieu par le triomphe, et aux hommes qui depuis longtemps étaient sé. parés de Dieu, le sacrement de la paix a été rendu, et le démon a subi une défaite éternelle. Ecoutons l'Evangile: «Il y avait aux alentours des bergers qui passaient la nuit à la garde de leurs troupeaux. Un ange du Seigneur leur apparut, une lumière divine les environna et les bergers furent saisis de beaucoup de crainte. L'ange leur dit: Ne craignez point; car voici que je vous annonce une grande joie pour vous et pour toute la terre; c'est qu'il vous est né aujourd'hui un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. Et voici le signe auquel vous le reconnaîtrez: vous trouverez un enfant enveloppé de: langes et placé dans une crèche (2)». Allez, pasteurs, allez à l'étable; courez promptement à la crèche; là vous trouverez l'agneau né aujourd'hui, notre joie, couvert, à cause de nos péchés, de langes très-pauvres; il a voulu s'immoler, non point pour le salut d'un seul peuple, mais pour celui de toutes les nations. Enfant dans l'étable, il a été, jeune encore, suspendu à la croix.

8. La naissance du Sauveur, tel est, selon l'Apôtre, «le sacrement qui a été manifesté dans la chair, justifié dans le Saint-Esprit, connu par les anges, prêché aux gentils, cru dans ce monde, transformé en gloire (3)»; les patriarches l'ont reçu, les Prophètes l'ont attesté, les auges l'ont fondé, les Apôtres l'ont confirmé, les martyrs l'ont confessé dans leurs souffrances, la vérité l'a enseigné par les faits, notre foi l'a prouvé, la vertu l'a accompli, et il est passé jusqu'à nous par la grâce du divin sacrement. Nous avons de cette foi des

1. Lc 2,14 - 2. Lc 8-12 - 3. 1Tm 3,16

témoins sûrs et des docteurs éclairés, les Apôtres. La majesté divine ne pouvait se voir en elle-même, mais elle nous est apparue dans l'humilité de la chair; et ce qui était caché aux sages dans la puissance céleste, a été révélé aux petits dans l'infirmité corporelle; et afin que la faiblesse fût relevée, la sublimité céleste s'est humiliée. La divinité s'est humiliée de manière que sans rien perdre de sa nature, elle communiquait de sa force à la faiblesse en se mettant en contact avec elle.

9. Il a été fait comme l'Evangéliste l'a attesté: la force a brillé par la faiblesse. Dieu, en revêtant la nature humaine dans le sein d'une vierge, n'a rien voulu devoir à la chair et tout à l'action divine et à l'union du Verbe; voulant, par un excès d'amour, réparer l'homme déchu, il a réformé l'homme dans l'homme et a pris une chair vierge dans une vierge. L'Homme-Dieu vous a aimé, et Dieu s'est fait homme pour vous. Il s'est humilié pour vous recevoir, selon cette parole de L'Apôtre: «Il s'est anéanti lui-même, prenant la forme d'esclave, se constituant dans la ressemblance de l'homme et portant tous les traits extérieurs de l'homme. Voilà pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom (1)». Il s'est anéanti, et il vous a comblé de biens; il s'est enseveli dans la plus profonde obscurité, et il vous a inondé de gloire. Il s'est abaissé et il vous a élevé. De là ces paroles inspirées par le SaintEsprit au roi-prophète: «Seigneur, inclinez les cieux et descendez (2)». Il est descendu vers vous, afin de vous faire monter vers lui; il s'est tellement abaissé que celui qui, par sa nature, ne devait pas mourir, est mort pour vous, et cela par sa libre volonté, parce que, s'il n'avait pas voulu mourir, la mort n'aurait eu sur lui aucun empire; et de même, s'il n'avait pas voulu naître, il était infiniment au-dessus de la condition charnelle. Il a donc voulu naître, afin de vouloir mourir. S'il n'avait pas d'abord subi volontairement la chair, il n'aurait pu souffrir dans la suite, et la mort n'aurait pu l'atteindre, s'il n'avait voulu revêtir notre chair comme condition pour pouvoir mourir. Bien plus, sa chair elle-même ne pouvait mourir, si lui-même ne l'avait voulu, conformément à cette parole: «Je donne ma vie de moi-même, et personne ne me

1. Ph 2,7-9 - 2. Ps 143,15

259

l'ôtera, car je l'abandonne librement. J'ai le pouvoir de me dépouiller de la vie, et j'ai aussi celui de la reprendre (1)». Sa mort nous eût été inutile, si elle n'avait pas été volontaire de sa part; car s'il n'eût voulu mourir, l'homme n'agirait pas recouvré ses droits à l'éternité bienheureuse. Il est donc mort parce qu'il l'a voulu, et par sa mort il a rendu à l'immortalité l'homme qui était mort. «Il a incliné les cieux et il est descendu». Il a brisé la captivité des limbes, et il est monté, selon cette parole de l'Apôtre: «Il a conduit la captivité captive (2)». L'Apôtre ne parle pas de l'auteur de la captivité, mais de la captivité elle-même, quoique, en détruisant l'empire de la captivité, il ait par cela même détruit l'auteur de cet empire. Et quelle captivité? La mort. Il a tué la lettre, et le maître du mal a perdu son pouvoir. Il a désarmé le fort armé, il lui a arraché son glaive et l'a conduit captif de cette même captivité. C'est là ce que nous atteste l'Ecriture: «La mort ira et sortira, et le démon se tint debout à ses pieds (3)». Or, celui qui s'est tenu vaincu devant les pieds du vainqueur, quelle peut être sa contenance, si ce n'est celle d'un captif? «Il a incliné les cieux, et il est descendu» vers le monde. Il a fait captif le démon et il est monté au ciel, afin que celui qui par nature est le Roi suprême du ciel, fût établi par son corps le roi de la terre, et par sa mort le triomphateur des enfers, selon cette parole de l'Apôtre: «Afin que tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers (4)». Et «Jésus-Christ est mort et ressuscité, afin qu'il devînt le roi des morts et des vivants (5)».

10. Dieu est né du sein d'une vierge, d'une chaste union et du mariage le plus pur; sans le concours de l'homme et par l'action du Verbe; et celui qui est né de Dieu avant tous les siècles, et qui était Dieu lui-même, a pris la forme d'esclave. Afin que l'esclave devint maître, le Seigneur est devenu esclave. Tout cela s'est accompli dans le sein d'une vierge, par l'opération du Saint-Esprit. Il en est sorti un homme plein de Dieu, qui était en même temps Dieu et homme, comme le dit l'Apôtre: «L'un et l'autre ne faisaient qu'un (6)»; il parlait de la chair et du Verbe; natures infiniment séparées, mais réunies en une seule personne par la volonté de Dieu,

1. Jn 10,17-18 - 2. Ep 4,8 - 3. Ha 3,5 - 4. Ph 2,10 - 5. Rm 4,9 - 6. Ep 2,14

de telle sorte que, après avoir été essentiellement éloignées l'une de l'autre, elles se trouvèrent ïndivisiblement unies. Or, c'est dans le sein de Marie que s'accomplit ce prodige: Comme elle avait conçu, elle enfanta; son enfantement fut aussi miraculeux que la conception, la pudeur n'y reçut aucune atteinte. Elle ne dut rien à l'homme; aussi, le fruit de ses entrailles, loin d'être un mélange quelconque de force divine et d'humaine faiblesse, est un Dieu parfait dans ses vertus et ses opérations, selon cette parole de saint Pierre: «Jésus de Nazareth, cet homme dont Dieu a fait éclater les oeuvres parmi vous (1)». Isaïe avait dit: «Voici qu'une Vierge concevra et enfantera un fils.». C'est donc une Vierge qui a conçu, c'est une Vierge qui a enfanté. A une conception sans tache a succédé un enfantement incorruptible, comme l'effet participe naturellement à la cause. Le Fils de Dieu, sans doute, nous a été semblable dans son enfantement, mais sa conception a dû être toute différente. Nous sommes conçus dans l'iniquité, tandis que la Mère de Dieu est toujours restée vierge. Elle est devenue mère par son enfantement, et elle a conçu dans une virginité parfaite. La conception de son Fils a été exclusivement l'oeuvre du Verbe, et son enfantement n'a porté aucune atteinte à sa pudeur, parce qu'elle est demeurée vierge dans sa conception et dans son enfantement. Marie a subi la loi de l'enfantement, tandis qu'elle est restée compléterrent étrangère à la conception; ce qui pour elle avait été d'abord insensible, le devint dans l'enfantement; toutefois, son intégrité et sa pureté ne reçurent aucune atteinte: Dans cette alliance céleste s'unirent la virginité et la divinité. La Vierge offrit son esprit, le Verbe lui présenta l'incorruption; elle offrit la sainteté de son âme et de son corps, le Verbe lui présenta l'intégrité de la pudeur et la virginité perpétuelle. De là cette parole de l'ange: «Vous êtes bénie entre toutes les femmes», parce qu'elle avait été bénie entre toutes les vierges. C'est là ce qui la distingue de toutes les mères et de toutes les vierges. Parmi les mères, elle est vierge; parmi les vierges, elle est mère; car elle a conçu et enfanté, et dans sa conception et son enfantement elle est restée vierge. «Vous êtes bénie entre toutes les

1. Ac 2,22

260

femmes»; elle devait être élevée aux honneurs de la maternité, sans en subir les atteintes.

11. Mais, répondent les hérétiques, quelle indignité de renfermer Dieu dans le sein d'une femme, et de prétendre qu'une femme mortelle peut engendrer le Dieu immortel? n'est-il pas insensé de soutenir que les grandes choses procèdent des petites? Homme perfide, qui que vous soyez, voulez-vous donc que, m'appuyant sur les choses temporelles, je vous prouve qu'unêtre qui naît peut être plus grand que celui qui l'engendre et peut le dépasser en valeur et en magnificence; une telle démonstration ne pourra-t-elle enfin vous fermer la bouche et étouffer vos clameurs impudentes? Veuillez donc me dire ce qui est le plus précieux du miel ou de l'abeille, de la mouche ou de la cire. Comparez, et vous trouverez que l'ouvrage est plus précieux que l'ouvrier, que le miel est plus précieux que la mouche, et que l'abeille, trèslaide en elle-même, est très-belle dans son oeuvre. La reine, dit-on, n'a aucun commerce charnel, et pourtant elle produit des essaims; son corps est des plus vils, et pourtant elle forme un miel d'une douceur extrême. Une autre comparaison: l'or naît de la terre, le ver tisse la soie, et la soie est bien plus précieuse que le ver; le coquillage produit la perle, et la perle l'emporte de beaucoup sur le coquillage; on teint la laine en pourpre dans le suc d'un coquillage, et pourtant la pourpre est beaucoup plus précieuse que le coquillage. Du sein des montagnes on extrait des pierres précieuses, et le prix d'une seule pierre précieuse dépasse de beaucoup la valeur même de la montagne. Dans une pierre se trouve renfermé l'éclat d'une perle, c'est là que cette perle a pris naissance; qu'est-ce donc qu'une pierre en comparaison d'une perle? Et pourtant celle-là engendre, et celle-ci est engendrée. C'est ainsi que de choses viles naissent des choses superbes; les grandes naissent des petites; les belles naissent des laides; les plus précieuses naissent des plus communes. Pourquoi donc jugez-vous encore le sein de Marie indigne de Dieu? Vous ne pensez pas que l'HommeDieu ait pu naître d'une créature, quand vous venez de voir que, dans toutes les choses terrestres, ce qui engendre est souvent fort inférieur à ce qui est engendré? Combien de fois un plébéien n'a-t-il pas donné naissance à un empereur, et un laïque à un évêque; celui-là devenant le maître de son père, et celui-ci devenant le père spirituel de celui qui lui a donné ila vie temporelle; celui-là devenant le maître du monde, et celui-ci le père du peuple chrétien? Mais il est quelque chose de plus extraordinaire que tout ce qui précède, quelque chose qui devrait attirer votre attention et soulever votre admiration: une vierge a conçu, une vierge a enfanté; elle est demeurée vierge, elle n'a jamais cessé d'être vierge. Elle était vierge avant de concevoir, elle est vierge après son enfantement, elle demeure éternellement vierge.

12. La naissance du Seigneur confond l'argumentation du siècle et la sagesse de la terre. Quelle est cette argumentation? Si Marie a enfanté, elle a connu l'homme, et le monde semble entendre cette parole sans frémir, tant est vrai ce mot de l'Apôtre: «L'homme animal ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu, car sa prétendue sagesse n'est que de la folie et il ne peut comprendre (1)». Mais le Créateur de la nature a renversé cette argumentation et suspendu en cette circonstance la loi de la nature. Dans l'ordre ordinaire, c'est l'expérience qui fait loi; mais quand il s'agit de la maternité de Marie, il n'y a d'autre règle à invoquer que la vertu et la grandeur du Tout-Puissant; par conséquent, la loi ordinaire est ici sans valeur. Pourquoi? Parce que, selon l'Apôtre, «Dieu appelle les choses qui ne sont pas, comme si elles étaient (2)». Quelle est l'argumentation de Dieu? Une vierge a enfanté, et pourtant elle est restée vierge, parce qu'une mère parfaite a engendré le Verbe fait chair. Mais, dit le monde, c'est folie de croire qu'une vierge ait pu enfanter, tout en restant vierge. Or, cette folie est pour nous la plus grande sagesse qui, dans ce mystère, nous saisit d'admiration; voilà pourquoi je ne suis sage, aux yeux de Dieu, qu'en devenant insensé aux yeux du monde. Il est écrit: «Je confondrai les sages dans leur astuce (3)»; et encore: «Le Seigneur connaît les pensées des sages, car elles sont vaines (4)». L'apôtre saint Paul dit également: «Où est le sage? où est le scribe? où est l'investigateur de ce siècle? Est-ce que le Seigneur n'a pas rendu folle

1. 1Co 2,14 -Rm 4,17 - 3. Jb 5,13 - 4. Ps 93,11

261

la sagesse de ce monde? Car le monde n'a pas connu Dieu par la sagesse. Or, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication (1)». «Donc, ce qui est insensé aux yeux du monde, c'est ce qui est sage aux yeux de Dieu (2)», «afin que la sagesse du monde soit réprouvée par la sagesse de Dieu (3)». Le propre de cette sagesse du monde, c'est de faire grand bruit de ses syllogismes plus ou moins sophistiques, et c'est ce qui l'empêche de comprendre que la volonté de Dieu n'a d'autre règle et d'autre mesure que sa toute-puissance. Dans les oeuvres et les opérations de Dieu, est-ce à nous de lui tracer ses règles? Ce qu'il crée n'existait pas, et pour le créer toute matière préexistante lui était inutile. «Il a dit, et tout a été fait; il a commandé, et tout a été créé (4)». Or, celui qui a le pouvoir de créer ce qui n'était pas, ne pourrait pas faire ce qu'il veut de ce qui existe déjà? Vous invoquez ce qui se fait dans l'ordre ordinaire du mariage; mais qu'importent ces lois primitivement établies, dès que la puissance du Créateur daigne intervenir directement? Quand il s'agit de l'action immédiate de Dieu, toute comparaison doit disparaître; car à quelle couvre purement humaine peut-on comparer les oeuvres divines? Tout ce qui se fait par les hommes s'accomplit en vertu des lois générales et ne saurait avoir le caractère d'un miracle qui est un fait essentiellement singulier.

13. Vous vous imaginez donc, ô incrédule, que Dieu peut être souillé par le contact du sein maternel? Je repousse votre sacrilége et je réponds àvotre blasphème. Quand, dans le vase impur de votre coeur se formait cette pensée téméraire, vous oubliiez donc cette maxime de l'Apôtre: «Tout est pur pour ceux qui sont purs (5)». Si donc, même dans les choses de ce monde, tout est pur pour ceux qui sont purs, à combien plus forte raison tout n'est-il pas pur pour Dieu qui, étant la pureté même, n'a rien fait que de pur. Ne lisons-nous pas: «Dieu vit tout ce qu'il avait fait, et tout était très-bien (6)?» Si tout était très-bien, tout était donc pur. Les créatures ne deviennent impures ou honteuses que par le mauvais usage que nous en faisons. C'est en ce sens qu'il a été dit ailleurs, en parlant des

1. 1Co 1,20-21 - 2. 1Co 1,25. - 3. 1Co 1,19 - 4. Ps 148,5 - 5. Tt 1,15 - 6. Gn 1,31

animaux: «Ils seront impurs pour vous (Dt 14,7)». Cette impureté ne tient donc pas à l'essence même des choses, ou à leur nature; c'est quelque chose d'accidentel résultant, non pas du fait même de leur création, mais du mauvais usage que les hommes peuvent en faire. Par exemple, le vin est bon de sa nature, mais il devient mauvais pour celui qui s'enivre; le miel est bon et doux, mais dans certaine maladie il est mauvais et funeste; «la loi est bonne», comme le dit l'Apôtre, mais pour celui qui en fait un usage légitime; quant à en faire un usage illégitime, ce n'est plus en user, mais en abuser. Ce n'est donc pas la nature même qui a rendu impur tout ce qui peut l'être, c'est uniquement la défense qui en interdit l'usage. Cette défense est elle-même essentiellement accidentelle et spéciale à telle chose en particulier et dans tel cas déterminé, et c'est à tort que l'on y chercherait une malédiction générale, une condamnation absolue.

Après avoir appuyé cette doctrine sur des témoignages, il nous est facile de la confirmer par des exemples et de montrer que ce qui est impur d'après la loi, est réellement pur par nature. Nous savons tous comment le prophète Elie, après avoir accompli son pèlerinage sur la terre, quitta ce monde sur un char de triomphe pour aller prendre place en paradis, où l'appelaient sa parfaite sainteté, ses grandes vertus et ses nombreuses révélations. Il fut ravi sur un char de feu, sans que les flammes, qui jaillissaient de toute part, lui portassent la plus légère atteinte, quoiqu'il eût conservé sa chair mortelle. Il est dit qu'il fut transporté en paradis; or, nous savons qu'après avoir chassé le premier homme du paradis terrestre, Dieu confia à l'ange du feu la garde de ce séjour heureux; voilà pourquoi le char d'Elie fut un char de feu, afin que le feu livrât passage au feu. Le texte porte: «Elie, emporté dans un tourbillon, monta comme au ciel (2R 2,11)». «Comme au ciel», et non pas réellement au ciel, «car personne n'est monté au ciel que Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme, qui est dans le ciel (Jn 3,13)». Insistons sur ce témoignage dans lequel se révèle d'une manière éclatante la gloire du Sauveur. «Personne n'est monté au ciel, si ce n'est Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme qui est au ciel». Le voici sur la terre, et il n'a pas quitté le ciel; il est auprès de son Père et au ciel; il est tout entier dans le sein de Marie, et tout entier au ciel, et tout entier en son Père. Il est dans l'intérieur du sein de Marie, il enveloppe l'univers entier, et dans son Père il est l'unique souverain de toutes choses. O grand Dieu répandu partout! Il remplit le sein de sa mère, il enveloppe le monde, il possède le ciel.

14. Mais je reviens à mon sujet. Le Seigneur dit à Elie: «Allez vers le torrent dans le désert de Charath, qui est en face du Jourdain... Et les corbeaux lui apportaient du pain le matin, et à midi de la viande, et il buvait de l'eau du torrent (1)». Quel doute peut encore exister sur la question qui nous occupe? Quelle impiété n'y aurait-il pas à condamner ce saint homme parce qu'il a accepté la nourriture qui lui était présentée par ces corbeaux regardés comme des animaux immondes? Mais je n'ai point oublié la sentence générale du Seigneur: «Tout ce qu'un impur aura touché sera rendu impur (2)». Voici donc un corbeau qui apporte du pain, un corbeau qui apporte de la viande, et ce qu'il a touché n'a pu être impur, et celui qui a reçu ce pain et cette viande n'a pas été rendu impur. L'Apôtre nous en donne la raison: «Tout est pur pour ceux qui sont purs»; et cette maxime s'appliquait même à ces temps reculés où la distinction des animaux était en pleine vigueur. Je n'ai nullement l'intention de discuter sur la nature des viandes qui pouvaient être licites, mais qui devenaient impures par l'effet de leur contact avec un oiseau impur, en vertu de cette prescription légale: «Tout ce qu'un impur aura touché sera rendu impur». Or, rien ne pourrait être impur pour cet homme devant lequel toute prescription générale cessait. C'est ce qui prouve que la défense des viandes dites impures était toute personnelle; d'où il suit que l'impureté du corbeau n'avait aucune prise sur l'éminente sainteté d'Elie; ce corbeau lui-même devint pur en entendant ce que ne veulent pas entendre les Juifs. En entendant,-il devint pur; en refusant d'entendre, les Juifs restent impurs; car, dit l'Apôtre: «Tout est pur pour ceux qui sont purs». Ce que le corbeau impur avait touché n'est donc pas devenu impur, et le sein que Jésus

1. 1R 17,3-6 - 2. Nb 19,22

Christ a touché aurait pu être impur? Oh! je vois partout de ces corbeaux devenus de pieux ministres de Dieu. Ils sont noirs quant à la couleur, mais blancs quant à la crainte surnaturelle qui les dirige; ils sont impurs par leur nom, mais purs par leurs oeuvres. Enfin, le corbeau a expié sa faute primitive, il est rentré dans la voie de l'obéissance; autrefois il sortit de l'arche et refusa d'y rentrer; plus tard il se rendit le pourvoyeur docile du serviteur de Dieu.

15. Vous regardez comme impur le sein virginal de Marie; vous croyez qu'il était indigne de Dieu ou qu'il a pu communiquer une certaine souillure au Verbe incarné; pour vous confondre, il me suffira d'un exemple. Le soleil jette sur le monde une clarté uniforme et qui, néanmoins, produit des effets bien différents sur chaque chose en particulier. Il fait fondre la cire, il durcit la boue, il dissout le fumier, il dessèche la fange, et, en jetant de tous côtés ses rayons, s'il dessèche certaines choses, du moins il n'est souillé par quoi que ce soit. Et le sein d'une Vierge pourrait souiller la divinité, quand ce qu'il y a de plus fétide ne saurait souiller le soleil? Jésus-Christ serait souillé dans les entrailles de sa mère, quand le soleil n'a rien à craindre des cloaques les plus hideux? Toutefois, lors même que ce sein de Marie aurait été souillé par son origine, du moment qu'un Dieu daigne y pénétrer, ne se trouve-t-il pas orné de la pureté la plus parfaite? Marie avait été couverte de l'ombre du Tout-Puissant, le Verbe s'incorporait à elle d'une manière incorruptible, le Saint-Esprit avait lui-même formé ses membres, et quelque chose d'impur pourrait encore se rencontrer dans cette Vierge incomparable, malgré la présence du Verbe divin dont le regard efface soudain toutes les souillures? Par le simple attouchement de sa robe, le Sauveur a purifié la souillure légale d'une femme affligée d'une perte de sang, et ce même Sauveur, entrant dans le sein d'une autre femme, n'aurait pu y purifier tout ce qu'il y rencontrerait de souillé?

16. Ajoutons à cela que le sein de Marie était saint, pur, sans tache, sans souillure, directement créé par Dieu et rempli de la majesté divine. Dieu y a reconnu son oeuvre dans toute son intégrité, et il a pu en sortir comme un nouvel époux sort du lit nuptial.

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Nouvel époux de la chair, il est sorti du tabernacle vivant dans lequel il s'était renfermé, et l'on oserait mettre des bornes à la sainteté de ce sein virginal dans lequel a trouvé bon de se renfermer le Dieu que le:monde luimême ne saurait contenir?

17. Le Seigneur apparut à Moïse sur la montagne d'Horeb, dans un buisson ardent qui brûlait sans se consumer; la flamme enveloppait les épines et ne les dévorait pas. Malheur à vous, pécheurs, qui entendez ces-paroles et passez sans y faire attention! La flamme étincelait et les épines n'étaient point consumées. Les corps brûleront en enfer, et ce feu sera éternel comme le châtiment des coupables. Et une voix se fit entendre: «Moïse, Moïse, ôtez la chaussure de vos pieds, car le lieu dans lequel vous vous trouvez est une terre sainte (1)». Si donc cette terre a été sanctifiée parce que la majesté divine y était apparue, combien plus ce sein de Marie dans lequel la divinité devait habiter n'a-t-il pas dû être sanctifié? C'était la lumière qui entrait dans les ténèbres et faisait étinceler de son éclat la demeure tout entière. La lumière véritable, c'est-à-dire Dieu lui-même, est entré dans le sein de Marie et lui a communiqué sa sainteté. Il était donc d'une sainteté parfaite, ce sein dans lequel la sainteté même est entrée, qu'elle a sanctifié et dont elle est sortie sans subir la plus légère atteinte, selon cette parole de l'ange: «Voilà pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu (29».

18. Affirmons-le donc sans crainte: non, il n'a pas dédaigné d'entrer dans le sein de Marie, Celui qui n'a pas dédaigné d'entrer dans la fournaise ardente, comme l'atteste Nabuchodonosor: «N'avons-nous pas envoyé trois hommes au milieu du feu ardent? Comment donc puis-je en voir quatre se promenant en toute liberté dans les flammes, sans qu'elles leur portent aucune atteinte; et le quatrième porte la ressemblance du Fils de Dieu (3)?» Celui-là donc qui est entré dans la fournaise ardente, est entré dans le sein de Marie restée vierge. Quel est celui qui est entré dans la fournaise? le Fils de Dieu. Quel est celui qui est entré dans le sein de Marie? le Fils de Dieu. De là il chassait la flamme; ici il chassait la nature. De même donc qu'il fut au milieu de la fournaise ardente

1. - 2. Lc 1,35 - 3. Da 3,91-92

sans brûler, de même il sortit du sein de Marie sans porter aucune atteinte à son intégrité. Il entra dans la fournaise ardente pour en tirer les trois jeunes Israélites; et il n'aurait pas dû entrer dans le sein de Marie quand il s'agissait de racheter le monde tout entier?

19. Mais, disent les Juifs, Marie n'a pu enfanter contre la nature. O étrange impudence, toujours frappée et ne s'avouant jamais vaincue! Sans cesse vous êtes convaincu d'erreur et vous ne cédez pas; combien moins la vérité doit-elle céder, elle quine tombe jamais et triomphe toujours, selon cette parole de l'Ecriture: «La vérité triomphe, s'affermit, vit et règne dans les siècles (1)». Marie, dit-on, n'a pu enfanter contre la nature. Ceux qui tiennent ce langage se sont flattés sans doute de nous avoir en quelque chose ravi la victoire. Aussi nous provoque-t-on au combat, mais je ne craindrai pas, aucune terreur n'arrivera jusqu'à moi; car celui qui me provoque est déjà frappé à mort. Marie n'a pu enfanter contre la nature, ce n'est donc pas contre la nature que la verge d'Aaron a fleuri dans le tabernacle de l'Alliance, sans aucun secours naturel. Tout manquait à cette floraison, la semence, les racines, les sucs de la terre. La verge, par sa nature, avait possédé tout cela, mais en perdant ses racines elle avait tout perdu. Et cependant, malgré l'absence de tout principe naturel de fécondité, la verge d'Aaron fleurit, sans aucune sève, sans aucune semence, sans aucune racine.

20. Mais ce fait d'histoire paraît ignoré de quelques-uns; je le raconterai brièvement. Coré, Dathan et Abiron, par esprit de jalousie contre Moïse et Aaron, prétendaient s'attribuer à eux-mêmes le sacerdoce et tentèrent de consommer ce sacrilège malgré les ordres formels du Seigneur; mais la terre s'entr'ouvrit sous leurs pas, ils se virent eux-mêmes descendre dans l'abîme, et contre l'ordre ordinaire ils furent ensevelis avant leur mort. La terre engloutit ces sacrilèges et les enveloppa dans ses entrailles, non point pour les conserver, mais pour les punir. Leurs corps furent enterrés tout vivants, et tandis que l'espoir de la sépulture est d'ordinaire une consolation pourles mourants, cette même sépulture fut pour ces malheureux une aggravation de peine; car ils furent ensevelis dans leur propre châtiment. Non-seulement ces

1. 1Ch 4,38.

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trois auteurs de la révolte furent engloutis, mais leurs complices furent dévorés par des flammes sorties de la terre; «la terre s'ouvrit», dit l'Ecriture, «et engloutit Dathan... et le feu consuma leurs compagnons». Alors le Seigneur ordonna à Moïse d'apporter dans le tabernacle une verge de chacune des tribus. Douze verges furent présentées, parmi lesquelles se trouvait celle de la tribu de Lévi, et appartenant au prêtre Aaron; elles furent toutes placées dans le tabernacle de l'Alliance, et le lendemain il se trouva que la verge d'Aaron avait produit des feuilles, des fleurs et des fruits.

21. Ce fait et la perfidie qui en fut l'occasion méritent un examen sérieux, car nous y trouvons une figure sensible du mystère que nous étudions. Une verge produit ce qu'elle n'avait pas. Elle n'avait aucune racine, elle n'était même pas enfoncée dans la terre, elle n'avait aucune sève, aucune semence ne pouvait la féconder, et cependant elle porte des fleurs, des feuilles et des fruits. Elle avait entièrement perdu la fécondité qu'elle pouvait tenir de l'arbre auquel elle avait appartenu, et cependant, en témoignage du sacerdoce suprême, elle produit ce qui n'était pas en elle ni en son pouvoir; car il était contre sa nature de verge desséchée de produire des fleurs et des fruits. Et une Vierge n'a pu engendrer, contre l'ordre de la nature, le Fils de Dieu? Je vous dirai comment la Vierge a conçu et enfanté; montrez-moi de votre côté comment une verge complètement desséchée a pu germer. Mais je conçois que vous ne puissiez expliquer ni la fécondité de la verge, ni l'enfantement de la Vierge. Si donc vous ne pouvez dire comment cette verge d'Aaron a produit des fruits, pourrez-vous dire comment une Vierge a conçu et enfanté la Vérité? Ainsi donc, puisque vous ne pouvez expliquer le mystère d'une Vierge devenue féconde, acceptez les effets de l'Incarnation divine.

22. Venez à moi et je vous dirai ce que j'ai entendu intérieurement, Sur ce sujet, ce qui me trouble, ce n'est point la raison, mais la pudeur, et je veux, dans mes paroles, apporter toute la réserve possible, pourvu que la foi ne coure aucun danger. Pardonnez-moi, Seigneur Jésus, et épargnez ma bouche; car je reconnais tout ce qu'il y a de témérité de ma part à décrire le mystère de votre incarnation; il est vrai que vous avez tenu fermé le sein dans lequel vous avez voulu naitre, mais vous nous avez permis d'ouvrir votre Evangile aux incrédules. Je dirai donc ce qui s'est passé dans le secret de la nature. Marie, comme toute autre femme, possédait ce qui est requis pour la génération. Le Verbe lui-même vint se mêler à son sang pour le solidifier, et la substance de ce sang ainsi coagulé produisit la chair. Survint alors l'action de l'EspritSaint qui forma cette masse jusque-là informe, en distingua les parties eten produisit l'homme dont les linéaments cachèrent réellement la divinité. Vous savez maintenant comment la Vierge a conçu. Si vous me demandez ensuite comment elle a enfanté, je vous le dirai encore. Elle a enfanté comme elle a conçu; de même que l'enfant s'était mystérieusement formé dans son sein, il en sortit d'une manière incorruptible comme il y était entré. Ici, du reste, tout se passa selon l'ordre de la nature; la Vierge accomplit la durée de la gestation, tandis que la verge d'Aaron ne subit point le temps de la germination. Ce ne fut qu'après neuf mois que Marie enfanta; et après trois jours la verge avait germé, quoique par elle-même elle fût entièrement desséchée. Nous savons du premier homme qu'il n'eut ni père ni mère et qu'il fut formé du limon de la terre. Comment un corps peut-il être formé sans venir d'un autre corps; comment la chair peut-elle exister sans venir de la chair? Le premier homme sortit en quelque sorte du sein de la terre, comme l'enfant sort du sein de sa mère, avec cette différence qu'aucun principe générateur venant de l'homme n'y avait été déposé. Si donc, sur le sujet qui nous occupe, je crois plus facile de recourir à une comparaison, que votre conviction n'en soit nullement ébranlée. Le rayon du soleil pénètre un miroir, sans que la densité de la glace fasse obstacle à la subtilité insensible du rayon solaire, et le soleil se voit à l'intérieur comme à l'extérieur. En pénétrant dans la glace, il ne la brise pas; en en sortant, il ne la souille point, et malgré l'entrée et la sortie du rayon solaire, le miroir reste dans sa parfaite intégrité. Le rayon du soleil ne brise pas le miroir; et l'entrée ou la sortie de la vérité aurait pu vicier l'intégrité de Marie?

23. Mais pourquoi insister plus longtemps? Que le chrétien entende ce que ne veut pas entendre le juif; ainsi racheté, le chrétien (265) progressera dans le bien, tandis que le juif périra dans son endurcissement. La verge d'Aaron était réellement la figure de la vierge Marie, qui a conçu et enfanté le véritable prêtre dont il a été dit: «Tu es prêtre pour l'éternité (1)». Au verset précédent il avait été dit: «Le Seigneur fera sortir de Sion, la verge de sa puissance». En effet, le fruit produit par la verge était la ligure du corps de Jésus-Christ. Une noix dans son unité renferme trois substances distinctes: l'enveloppe, la coque et le noyau. L'enveloppe figure la chair, la coque figure les os et le noyeau figure l'âme. L'enveloppe figure la chair du Sauveur, laquelle a porté les aspérités et les amertumes de la passion; le noyau figurerait bien la douceur intérieure de la Divinité, de qui nous recevons à la fois la nourriture et la lumière; la coque représenterait le bois longitudinal de la croix, désignant non pas ce qui est intérieur et extérieur, mais les choses terrestres et les choses célestes mises en communication les unes avec les autres par l'intermédiaire de la croix, selon cette parole de l'Apôtre: «Par le sang de sa croix il a pacifié soit les choses qui sont au ciel, soit les choses qui sont sur la terre (2)». Voilà, ô Juif, comment votre verge figurait notre Vierge.

24. Même au seul point de vue de l'étymologie, vierge est pour ainsi dire synonyme de verge (virgo, virga). A la différence d'une lettre, ces deux mots font entendre le même son. Or, veulent-ils se convaincre que la verge désignait la Verge? Qu'ils méditent ces paroles d'Isaïe: «Une verge sortira de la souche de Jessé (3)». La verge est de la race de Jessé; Jessé est le père de David; la verge est donc de la famille de David, et cette verge, c'est Marie. Jessé, étant un homme, n'a pu produire du bois, c'est-à-dire une verge. Ce qui est sorti de Jessé, ce n'est donc pas une verge, mais la vierge Marie qui, répondant à sa race selon la chair, reproduisit le miracle de la verge d'Aaron, puisqu'elle conçut et enfanta, quoique toujours elle fût restée vierge. Il est vrai que fon a tenté d'appliquer cette prophétie à David lui-même; mais cette opinion se réfute d'elle-même, ne fût-ce qu'à raison du temps. En effet, David était mort lorsqu'Isaïe prophétisa, et pourtant c'est le futur qu'il emploie,

1. Ps 111,4 - 2 Col 1,20 - 3 Is 11,1

à l'exclusion du passé: «Une verge sortira de la souche de Jessé». «Sortira» et non pas, est sortie. D'ailleurs le Prophète ajoute: «Une verge sortira de la souche de Jessé, et une fleur montera de sa racine». Cette fleur, c'est la chair du Seigneur; car cette chair fut formée miraculeusement en dehors de tout concours de l'homme, et elle conserve toute sa beauté native. «Une fleur montera de sa racine, et l'Esprit du Seigneur se reposera sur elle». Sur qui? il est évident que c'est sur la fleur. «L'Esprit de sagesse et d'intelligence, l'Esprit de conseil et de force, l'Esprit de science et de piété, et l'Esprit de crainte l'a remplie. Elle ne jugera pas selon la gloire, elle n'accusera pas sur un ouï-dire, mais elle jugera par «un humble jugement et elle accusera les orgueilleux de la terre. Elle ébranlera la terre par la parole de sa bouche, et elle écrasera l'impie par l'Esprit qui siégera sur «ses lèvres; la justice ceindra ses reins, et la vérité l'enveloppera comme d'un vêtement (1)». Un peu plus loin nous lisons également: «En ce jour apparaîtra la souche de Jessé; celui qui s'élèvera sera le prince des nations, et tous les peuples espéreront en son nom (2)». O fleur roi! ô fleur juge! De même que cette verge n'est pas la verge, mais la Vierge, de même cette fleur n'est pas la fleur de la verge, mais la chair formée dans le sein de la Vierge. Marie a réellement produit cette fleur de sa virginité et a tiré de sa chair la chair du Messie; mais cette génération n'a rien qui ressemble à la génération du péché; car Jésus-Christ dans son humanité ne doit rien à l'action de l'homme, puisqu'il a été conçu du Saint-Esprit. La verge d'Aaron prophétisait ainsi la vierge Marie. Si donc cette verge a pu fleurir sans séve ni racine, une vierge en restant vierge n'aurait pu engendrer dans une parfaite incorruptibilité? Mais, disent nos adversaires, ce n'est que par un miracle que la verge d'Aaron a pu fleurir. Eh bien! c'est par un miracle plus grand encore que s'est opérée l'Incarnation: la verge d'Aaron n'était qu'une image et une figure; mais ici nous trouvons la réalité dans tout son éclat et sa divinité.

25. Un autre témoignage plus grand encore et plus formel nous est fourni par Ezéchiel; nous en avons fait la lecture hier dimanche,

1 Is 2,2-5 - 2. Is 2,10

266

mais nous avons dû en remettre le commentaire et nous appliquer exclusivement à l'objet du mystère que nous avons célébré. «Je me suis tourné», dit le Prophète, «vers la porte de la voie extérieure des saints, laquelle regarde l'Orient, et elle était fermée. Et le Seigneur me dit: Cette porte sera fermée et ne s'ouvrira point, et personne n'y pénétrera, parce que le Seigneur, Dieu d'Israël, y entrera lui-même; il en sortira et elle sera fermée (1)». Donnez-moi donc l'explication de cette porte par laquelle le Seigneur est entré et sorti, sans que l'on pût expliquer son entrée et sa sortie. «Cette porte sera fermée et ne sera point ouverte, parce que le Seigneur, Dieu d'Israël, y entrera lui-même; il en sortira ensuite et la porte restera fermée». Cette porte est certainement une allégorie, sous le voile de laquelle la chasteté virginale de Marie nous est clairement désignée. Comment le prouvons-nous? Ecoutons Job: «Maudit soit le jour où je suis né, puisqu'il n'a pas fermé la porte du sein de ma mère lorsqu'elle m'a enfanté (2)» C'est dans le même sens que le Prophète se sert du mot porte pour désigner le sein de Marie, où personne que Dieu lui-même n'est entré et d'où personne que lui n'est sorti. Le Verbe y est entré pour en sortir revêtu de notre propre humanité, à l'exclusion du péché; et soit y entrant, soit en sortant, il a laissé cette porte absolument fermée; car c'est de lui qu'il est écrit: «Ce qu'il ouvre, personne ne le ferme, et ce qu'il ferme, personne ne l'ouvre (3)». Levez-vous donc, Isaïe, levez-vous dans la joie, donnez la main à Ezéchiel et applaudissez dans le Saint-Esprit à la gloire de la nativité du Seigneur. Que David accoure également avec sa cithare divinement harmonieuse pour chanter la naissance du Sauveur, dont les mystères défieront à jamais toute l'harmonie de la terre. Isaïe s'écriait: «Cieux, laissez tomber votre rosée, et que les nues pleuvent le juste; que la terre s'ouvre et fasse germer son Sauveur (4)». Quelle est cette terre? C'est notre chair, mais restée parfaitement pure comme elle l'était en Marie. «Que la terre germe son Sauveur»: ces paroles n'ont pas besoin de commentaire. Il ne s'agit pas ici d'une semence charnelle, mais de la rosée

1. Ez 44,1-2 - 2. Jb 3,3-19 - 3. Ap 3,17 - 4. Is 45,8

céleste; non pas de la pluie naturelle, mais de l'action divine; car ce mystère est tout entier l'oeuvre de Dieu, la créature n'y est qu'un agent purement passif; c'est ce que David exprime en ces termes: «Il est descendu comme la rosée se distillant sur la terre (1)». Il dit également: «La terre donnera son fruit»; et par ces paroles il désigne spécialement le sein de Marie. On peut dire de ce sein qu'il a véritablement donné «son fruit», puisque rien ne lui est venu d'ailleurs.

26. Si vous éprouvez encore quelque doute, affermissez votre foi par des exemples. Dès l'origine du monde, après la formation complète du corps d'Adam, une côte est soustraite de ce corps, et nulle part on ne trouve l'endroit d'où cette côte a pu être arrachée; Adam perd un de ses os, et cependant il reste parfait dans son entier. Nulle part on ne remarque la cicatrice, nulle part on ne trouve de vestige de cette disparition. Une côte sort du côté, et le corps ne perd rien de sa plénitude. Ce qui sort est parfait, ce qui reste est entier. Je vais plus loin encore et j'ajoute, que sans porter atteinte à quoi que ce soit, cette côte a pour ainsi dire engendré d'elle-même un corps humain; deux corps se sont trouvés au lieu d'un, sans que la mère ait subi aucune diminution. Ainsi donc la puissance divine a pu soustraire une côte au flanc de l'homme, sans que le corps en ressentît aucune atteinte; et un Dieu sortant du sein d'une vierge n'aurait pu conserver son intégrité? Pourtant aucun homme, à l'exception du juif, ne pousse la folie jusqu'à nier que ce soit le Verbe luimême qui ait opéré ce prodige sur le corps du premier homme. Et ce qu'il a fait en formant la première femme, le Verbe n'aurait pu le faire lorsqu'il revêtait notre humanité dans le sein de Marie? Il n'a pas permis que le corps d'Adam laissât paraître aucune trace de ce qui se passait, et il aurait permis que la virginité ou la pudeur de sa Mère subît quelque atteinte! Mais, dites-vous, «Dieu remplit de chair le vide laissé par la disparition de la côte (2)», et ne causa aucune souffrance. De même, en sortant du sein de sa Mère, le Verbe incarné ne déchira point sa pudeur et ne laissa aucun signe de corruption là où s'était déployée toute la puissance divine.

1. Ps 61,6 - 2. Gn 2,21

267

Enfin, montrez-moi comment Dieu remplit de chair le vide laissé par la disparition de la côte, et moi je vous montrerai comment Jésus-Christ est sorti du sein de Marie sans y laisser aucune trace. Mais vous ne pourrez satisfaire à ma demande; car où la puissance divine n'a laissé aucun vestige, vous ne sauriez en trouver; de même vous ne pouvez découvrir aucune corruption en Marie, puisque Dieu a voulu cacher à tous les regards ce que vous cherchez.

27. Chrétiens, levez-vous donc joyeux et répandez-vous en louanges aux pieds du Seigneur. Que les accents de votre reconnaissance remplissent l'Eglise de Dieu, le temple de Jésus-Christ, la demeure du Saint-Eprit. Entrez dans l'étable de votre Créateur, visitez la crèche de votre Sauveur, baisez les haillons du Pasteur éternel, et prenez dans vos bras ce Dieu devenu petit enfant. Venez adresser avec moi des louanges à la Vierge sainte, à la Mère véritable restée pure dans son enfantement, et rehaussant sa beauté par l'intégrité de sa pudeur. Louez avec les cieux, louez avec les anges, louez avec toutes les vertus, louez avec tous les éléments de la nature. Ne cessez pas, ne vous lassez pas de chanter la gloire du Sauveur: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (1)».

1. Lc 2,14





Augustin, Sermons 1004