Augustin, Sermons 1014

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QUATORZIÈME SERMON. LA NAISSANCE DU JÉSUS-CHRIST. (HUITIÈME SERMON)

ANALYSE. - 1. L'Ange envoyé à Marie. - 2. Nativité de Jésus-Christ.

1. Nous célébrons ce grand jour dans lequel le Dieu Tout-Puissant est descendu du ciel, et, par sa naissance, a brillé parmi les hommes d'une gloire toute nouvelle. Le prince des anges est descendu; il a entendu les gémissements des malheureux, et il est venu arracher les hommes aux ténèbres du péché. Le monde tout entier gisait la proie de l'enfer, et ses misères auraient achevé de le corrompre, si Jésus-Christ n'était promptement descendu sur la terre. La Vierge Marie nous a procuré un remède aussi grand qu'efficace, et maintenant les hommes, jusque-là courbés vers l'abîme, ont reconquis le droit de monter au ciel. Au premier jour du monde Eve avait distillé dans nos veines un venin mortel; mais Marie, en engendrant le Christ, nous a mérité une glorieuse liberté. Quoi de plus beau que cette salutation que lui adresse l'envoyé de Dieu, l'ange Gabriel? C'est le ciel qu'il salue sur la terre: «Je vous salue, Marie, ô pleine de grâce, le Seigneur est avec vous (1)». Car il convient que ce soit en ces termes que je salue la Mère de mon Dieu. J'ai été choisi

1. Lc 1,28

et envoyé vers vous, et non pas vers Abraham, Isaac, ou Jacob. Car ceux qui étaient dans les liens du mariage n'ont pu me contempler. Un ange vierge et une femme vierge, un ange et la Mère de Dieu. A ma voix, vos oreilles se sont ouvertes, afin que le Saint-Esprit daignât vous pénétrer de sa présence; «vous êtes bénie entre toutes les femmes», car devant vous sont saisies d'admiration toutes les nations et les puissances angéliques. Quand les Gentils apprendront qu'une vierge a conçu et est restée vierge dans son enfantement, ils se convertiront à la foi, parce que le monde n'a jamais connu un tel enfantement et n'a jamais contemplé un Dieu vivant parmi les hommes. Les Juifs sécheront d'envie, mais ils ne pourront nous, ravir le Christ NotreSeigneur; les incrédules voudront détruire notre foi, mais ils resteront frappés d'impuissance. La libéralité divine resplendira dans toute sa magnificence.

2. C'est au milieu de ces circonstances mystérieuses que le Verbe de Dieu, porté, pour ainsi dire, sur la parole de l'ange, pénétra dans le sein de Marie, mettant le sceau à son (278) intégrité et à la virginité de son enfantement divin. Celui qui, dans l'Eden, avait employé une terre vierge pour former l'homme, créa le second Adam dans le sein d'une vierge; et comme le premier Adam, créé âme vivante, dépouilla sa postérité des biens qui lui avaient été accordés, de même le second Adam est venu nous rendre tous ces biens dans l'Esprit vivificateur, après avoir replacé l'homme dans un état supérieur à celui dont il jouissait d'abord. Incrédule, vous doutez qu'une vierge ait pu concevoir ou enfanter. Mais ne voyez-vous pas que, parmi les abeilles, toutes les mères sont vierges? elles conçoivent par la bouche dans le baiser des fleurs, et elles engendrent par la rosée du ciel, comme ellesmêmes ont été engendrées; elles sortent filles vierges, et cependant, en revenant vierges, elles se connaissent vierges et mères. De même Marie ne connaît pas d'homme, et cependant elle enfante; elle n'a reçu aucun mari de la terre, mais elle a reçu un fils du ciel. Celui qu'elle nous donne par son enfantement virginal, se révèle lui-même dans sa toute-puissance comme étant le Fils de Dieu; comment exprimer un tel prodige? Les cantiques des anges, l'admiration des bergers, les déclarations des Mages, l'éclat de l'étoile, la persécution d'Hérode, le ravissement de Siméon, les prédications de Jean, les cieux ouverts, la voix même de Dieu, tout cela manifeste Jésus-Christ et le proclame le Fils unique du Père. Le Saint-Esprit le manifeste à son tour en descendant sur lui en forme de colombe, et une clarté divine l'entoure d'une splendeur céleste; c'est ainsi que les cieux nous montrent Dieu descendu parmi les hommes et annoncent au genre humain qu'il trouvera son salut dans le Fils de Dieu qui règne avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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QUINZIÈME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (NEUVIÈME SERMON).

ANALYSE. - 1. La naissance du Sauveur annoncée par les Prophètes. - 2. Actions de grâces à Jésus-Christ naissant. - 3. Il vient pour exercer miséricorde. - 4. Nécessité de nous attacher à lui. -5. Exhortation à une vie sainte. - 6. L'univers entier doit tressaillir à la naissance du Sauveur.

1. Nous célébrons aujourd'hui, mes frères, la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ; aujourd'hui «la vérité est sortie de la terre, et la justice nous a regardés du haut du ciel (1)»; aujourd'hui le Sauveur a daigné naître dans la chair; aujourd'hui, lumière du monde, il s'est élevé pour arracher le monde à sa ruine; aujourd'hui, lumière éternelle, ou plutôt soleil de justice plus éclatant que toute lumière, il est sorti du sein virginal de Marie. C'est le jour de notre rédemption, de notre salut, «de la voie, la vérité et la vie (2 )»;

1. Ps 74 - 2. Jn 14,6

c'est le jour où notre héritage, notre royaume, notre paradis, en un mot le Christ Jésus, est sorti de la terre, c'est-à-dire de la bienheureuse Marie. Aujourd'hui, en revêtant notre chair, l'invisible Divinité s'est rendue visible aux hommes; aujourd'hui Dieu nous est apparu dans la nature de l'homme. «Nations entières, applaudissez des mains, célébrez votre Dieu dans les chants de l'exaltation (1)»; car «un enfant nous est né, le Fils nous a été donné, il porte sa puissance sur ses épaules et il sera nommé l'Ange du grand

1. Ps 46,2

279

conseil, le Dieu fort, le Prince de la paix, le Père du siècle futur (1)». Aujourd'hui, mes frères, s'est accomplie cette prophétie d'Isaïe «Voici qu'une Vierge concevra et enfantera un Fils qui sera nommé Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous (2)». Aujourd'hui s'est réalisé cet oracle du saint prophète Habacuc, s'écriant avant la venue de Jésus-Christ: «Seigneur, j'ai entendu votre voix, et j'ai craint; j'ai considéré vos oeuvres, et j'ai été frappé d'étonnement (3)». Puis, comme si quelqu'un lui eût demandé quelle est cette oeuvre qui le frappe d'étonnement, il répond immédiatement: «Vous serez reconnu entre deux animaux», c'est-à-dire dans l'étable, où le boeuf et l'âne mangent le foin et la paille, et où vous vous cacherez pour échapper à la fureur d'Hérode.

2. Telle est, mes frères, la joie à laquelle nous convie la solennité de ce jour; le bonheur que nous a procuré la miséricorde de Jésus-Christ est si grand, qu'au moment même où «nous étions assis dans les ténèbres des péchés et dans l'ombre de la mort (4)», la lumière de Jésus-Christ a brillé à nos yeux, et par là nous avons mérité «le nom et la qualité d'enfants de Dieu (5)». Nous devons ce bienfait à Celui dont il est dit: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu». Or, «Celui par qui tout a été fait, et sans lequel rien n'a été fait (6)», s'est profondément humilié dans sa naissance, afin de nous relever de notre profonde bassesse; il s'est manifesté sur la terre, afin de nous montrer le chemin qui conduit au ciel. Quel jour de gloire et de bonheur! Quelle langue humaine serait capable de le célébrer dignement! Toutefois, si elle est ineffable, la faveur que Jésus-Christ nous accorde aujourd'hui gratuitement dans sa naissance; si cette faveur surpasse infiniment toute la reconnaisssance que nous pourrions témoigner à Dieu, ne laissons pas cependant de rendre au Seigneur toutes les actions de grâces dont nous sommes capables. «Confessons ses bienfaits en sa présence, et faisons éclater notre jubilation dans de saints cantiques (7)»; que notre coeur lui parle, que nos lèvres redisent sa gloire; que personne ne s'abstienne de cette louange, et sachons que notre silence serait un signe

1 Is 9,6 - 2. Is 7,14 - 3. Ha 3,2 - 4 Is 9,2 - 5. Jn 3,1 - 6. Jn 1,1-3 - 7. Ps 94,2

d'ingratitude: nous vous rendons grâces, ô Christ, notre Sauveur, notre Rédempteur et notre appui, souverain maître et ordonnateur du monde; vous étiez avec le Père et le Saint-Esprit; vous régniez en souverain absolu dans le ciel, et pour nous vous avez pris la forme d'esclave.

3. C'est ce bienfait, mes frères, qu'avec la grâce de Dieu j'essaie de dérouler sous vos yeux, en vous rappelant que ces dons nous ont rendu nos droits au royaume éternel. Aspirez aux biens éternels avec une ferme confiance; puisque Jésus-Christ vient à vous, cherchez la compagnie des anges et la société des saints. Pour nous, le Créateur des temps s'est soumis à la condition du temps; pour nous, l'Auteur et le Créateur de toutes choses s'est soumis aux lois de la création temporelle. En naissant aujourd'hui d'une Vierge, Jésus-Christ aurait-il eu besoin de nous? bien plutôt c'est notre profonde misère qui réclamait un tout-puissant auxiliaire. En effet, s'il ne se fût humilié pour nous, il ne nous aurait pas délivrés de notre misère. Il a vu que l'homme, «qui n'est que cendre et poussière (1)», paille et étoupe, sang et humeur, périrait dans sa misère, resterait l'esclave du démon orgueilleux, négligerait les ordres du Seigneur et serait éternellement privé du royaume des cieux. Le Verbe est descendu dans la chair et s'est fait homme, afin qu'à son exemple nous devenions des dieux. Pour sa naissance il a pris en quelque sorte modèle sur la nôtre, et il nous invite à imiter son humilité: «Venez à moi, vous tous qui êtes accablés de peines et de fardeaux», qui sentez sur vous le poids écrasant du joug dit démon, c'est-à-dire de l'orgueil, de la méchanceté, de l'iniquité et du péché. Vous souffrez de tout cela, mais «venez à moi», c'est-à-dire humiliez-vous, comme vous voyez que je m'humilie moi-même, «et je vous soulagerai (2)»; car si vous ne commencez par vous humilier, vous ne pourrez vous élever. Rejetez loin de vous le fardeau de vos péchés, ce joug que le démon vous imposait jusqu'alors, et «prenez mon joug, car il est doux, et mon fardeau, car il est léger», afin que vous imitiez en tout mon humilité. Vous qui n'êtes qu'une simple créature et l'ouvrage de mes mains, vous auriez pu rejeter l'humilité; voilà pourquoi je l'ai pratiquée moi-même

1. Gn 18,27 - 2. Mt 11,28

280

le premier, en me revêtant de la chair, moi qui suis votre Dieu, votre créateur et qui, pour votre salut, accomplis en tout la volonté de mon Père. «Qu'il suffise au disciple de ressembler à son précepteur, et au serviteur de ressembler à son maître (1)». Si je suis votre précepteur, où est l'honneur que vous me rendez? Et si je suis votre maître, où est la crainte dont vous m'entourez? Si vous aimez votre précepteur, montrez les oeuvres de votre charité; et si vous craignez votre maître, donnez des témoignages de votre crainte.«Pourquoi me dire: Seigneur, Seigneur, et ne pas faire ce que je vous commande (2)?»

4. Réunissons-nous donc en ce jour, d'un commun accord, pour célébrer Jésus-Christ naissant de la Vierge Marie; craignons, louons, honorons, aimons-le puisqu'il nous a aimés le premier (3). Si son amour pour nous n'avait pas été purement gratuit, aujourd'hui il ne serait pas né de la chair, et nous ne trouverions pas dans sa naissance une cause de joie si légitime. Recevons Notre-Seigneur avec un esprit pur, une charité ferme, une foi inébranlable, une chasteté sans tache conservons-le, ne le repoussons point par nos péchés; car il nous abandonnerait, et en se retirant il nous laisserait pauvres et orphelins; offrons-lui une sainte hospitalité, une demeure chaste, un corps mortifié; soyons pour lui un temple, puisque c'est de nous qu'il est écrit: «Vous êtes le temple de Dieu, et l'Esprit de Dieu habite en vous (4)». Si l'Esprit-Saint habite en nous, nécessairement le Père y habite également, parce que le Saint-Esprit est consubstantiel au Père et au Fils; et là où habitent le Père et le Saint-Esprit, il est nécessaire que le Fils habite également, puisque le Fils n'a jamais été sans le Père, ni le Père sans le Fils, ni le Saint-Esprit sans le Père et le Fils; car la Trinité est absolument indivisible, et cette Trinité est un seul Dieu. Donc, que dans aucun chrétien ne se trouvent les oeuvres du démon.

5. Mes frères, mes fils, nous avons changé de Père, il est juste que nous changions d'héritage. Jusque-là le démon était notre père; que Jésus-Christ le soit maintenant; par conséquent délivrons-nous du péché et servons Dieu. Quel charme pouvons-nous trouver

1. Mt 10,21-25 - 2. Lc 6,46 - 3. Jn 4,19 - 4. 1Co 3,16

encore dans les choses mortelles? Malgré nos efforts, pouvons-nous retenir notre vie fugitive? Une plus grande espérance vient de briller sur la terre, Jésus-Christ Notre-Seigneur a daigné naître dans la plénitude des temps afin de relever les hommes terrestres par la promesse d'une vie céleste; livrons-nous aux flammes de cette charité divine, et, pour Jésus-Christ, «regardons comme de l'ordure (1)» tout ce que nous voyons sur la terre; car à la fin du monde tout cela sera détruit. A notre mort, sachons-le bien, nous n'emporterons rien que nos propres oeuvres; bonnes ou mauvaises, ces actions nous suivront au jour du jugement devant le tribunal de Jésus-Christ. N'hésitons donc pas à faire des choses passagères et périssables comme une monnaie pour acquérir les biens éternels; «avec l'argent» que nous possédons, «faisons-nous des amis qui nous reçoivent dans les tabernacles éternels (2)»; c'est-à-dire, attachons-nous les pauvres, les indigents, les faibles, les boiteux, les aveugles, les malheureux de toute sorte, afin que, aidés par leurs prières, nous méritions d'être introduits avec eux dans le royaume de Jésus-Christ, par la médiation de Jésus-Christ lui-même, dont nous célébrons aujourd'hui la naissance et qui est né miraculeusement du sein virginal de Marie, sans porter aucune atteinte à son intégrité. Cette intégrité, cette virginité sans tache de Marie est l'oeuvre de la puissance divine; mais j'admire encore davantage cette infinie miséricorde, car que nous aurait-il servi que le Fils de l'homme pût naître ainsi, s'il ne l'avait pas voulu? Fils unique du Père, il naît aujourd'hui Fils unique de sa mère, et il naît de celle que lui-même avait créée pour en faire sa mère. Fils éternel du Père, il sort enfant d'un jour, du sein de sa mère; son Père ne fut jamais sans lui; et sans lui sa mère n'eût jamais été.

6. Vierges de Jésus-Christ, tressaillez de joie; à vos rangs appartenait la Mère de Jésus-Christ. Vous n'avez pu enfanter le Christ, mais à cause de Jésus-Christ vous avez refusé d'enfanter. Celui qui n'est pas né de vous est né pour vous. Toutefois, si vous vous souvenez de ses paroles, comme vous devez vous en souvenir, vous êtes aussi sa mère, puisque vous faites la volonté de son Père. N'a-t-il pas dit lui-même: «Quiconque fera la

1. Ph 3,8 - 2. Lc 16,9

281

volonté de mon Père, celui-là est mon frère, ma soeur et ma mère (1)». Réjouissez-vous également, veuves de Jésus-Christ, parce qu'à Celui qui a rendu la virginité féconde vous avez voué la chasteté de la continence. Que la chasteté conjugale se réjouisse également; soyez dans l'exaltation, vous tous qui vivez dans la fidélité avec vos épouses, et conservez dans votre coeur ce que vous avez perdu dans votre corps. Si, dans le mariage, la chair

1. Mt 12,50.

ne peut conserver son intégrité, que la conscience du moins reste vierge dans le coeur. Et comme Jésus-Christ est la charité, la paix et la justice, concevez-le par la foi, enfantez-le par les oeuvres, afin que votre coeur fasse dans la loi de Jésus-Christ ce que le sein de Marie a fait dans la foi du Sauveur, et qu'ainsi vous méritiez l'accomplissement des promesses de Jésus-Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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SEIZIÈME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (DIXIÈME SERMON)

ANALYSE. - 1. La naissance de Jésus-Christ est pour tous une cause de joie. - 2. Jésus-Christ vient pour relever le genre humain.

1. Notre-Seigneur est né aujourd'hui, et toute créature est invitée à la joie par ces paroles du Prophète: «Que les cieux se réjouissent et que la terre tressaille; que la mer s'agite et toute sa plénitude (1)». Par les cieux, entendez les choeurs des anges qui occupent les trônes célestes et qui, apparaissant aux bergers, font entendre cet hymne de joie: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (3)». La terre désigne la nature humaine; et la mer le monde tout entier et tout ce qu'il renferme; or, c'est à tout cet univers que la naissance de Jésus-Christ a procuré une joie immense. Jésus-Christ est né d'une Vierge, afin que nous naissions du Saint-Esprit. Celui qui a été engendré du Père avant tous les siècles, est né aujourd'hui d'une mère vierge. Engendré par Marie, il est demeuré dans le Père. Celui qui est éternellement a été fait ce qu'il n'était pas en demeurant ce qu'il était. Il n'était pas homme, et il s'est fait homme, selon cette parole de l'Apôtre: «Il est né d'une vierge, il s'est soumis

1. Ps 97,7 - 2. Lc 2,14

à la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi (1)»; mais il est demeuré ce qu'il était, c'est-à-dire Dieu. Sa naissance selon la chair a été le principe de notre salut, mais sans le priver de quoi que ce soit; car elle nous a procuré l'adoption des enfants de Dieu, et Jésus-Christ est resté essentiellement dans la divinité avec le Père.

2. Celui qui était la grandeur infinie s'est abaissé, afin de nous relever de notre profond abaissement. En effet, avant la venue du Sauveur, la nature humaine gisait accablée sous le poids du péché. Il est vrai que c'était par sa volonté propre que l'homme s'était courbé sous le joug, mais il ne pouvait se relever par ses propres forces. Cet esclavage sous lequel gémissait la nature humaine nous est dépeint dans ces paroles du Prophète: «Je suis devenu malheureux, je suis écrasé jusqu'à la fin, et je marchais attristé pendant tout le jour (2)». «Pendant tout le jour», c'est-à-dire pendant les siècles qui ont précédé la venue du Sauveur; car alors le genre humain marchait tristement courbé

1. Ga 4,4-5 - 2. Ps 37,7

282

vers la terre, et il ne trouvait personne qui pût le relever ni l'arracher à l'abîme du péché. C'est dans ce but que Notre-Seigneur est venu, et rencontrant cette femme courbée que «Satan retenait liée depuis dix-huit ans, sans qu'elle pût se redresser (1)», il la guérit lui-même par la puissance de sa divinité. L'état physique de cette femme était l'image de l'état moral du genre humain; comme sa guérison est l'image de la liberté que nous a

1. Lc 13,11-16

rendue le Sauveur en brisant les liens sous lesquels Satan nous retenait captifs, et en nous permettant de regarder le ciel. Si donc autrefois nous marchions dans la tristesse sous le poids de toutes nos misères, aujourd'hui regardons le médecin qui vient à nous, et tressaillons de joie (1).

1. La suite de ce sermon se retrouve textuellement dans le sermon CLXXXVI, tome 7, page 135, numéro 1, commençant à ces mots: Si donc le Verbe fait chair, etc.




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DIX-SEPTIÈME SERMON. LA NAISSANCE LE JÉSUS-CHRIST. (ONZIÈME SERMON)

ANALYSE. - 1. Jésus-Christ est descendu du ciel pour nous sauver. - 2. Marie mère et vierge. - 3. La virginité de Marie prouvée contre les Manichéens.

1. La sainte et glorieuse solennité de ce jour jette partout le plus vif éclat et apporte le salut au genre humain tout entier. Le Seigneur a vu la terre couverte de péchés et plongée dans l'abîme où l'avait précipitée l'ennemi de tout bien, mais il a daigné la secourir par Jésus-Christ. Il ne s'est pas contenté de ce qu'il faisait autrefois, d'envoyer des Prophètes pour prêcher aux hommes et les détourner des pièges de l'enfer. Le Père de famille a vu qu'il était méprisé dans la personne de ses envoyés; il s'est dit à lui-même: «Que ferai-je? ne dois-je pas leur envoyer mon Fils unique et bien-aimé? Peut-être ils le respecteront (1)». En effet, tout homme, fût-il juste, porte en lui-même la trace du péché, il participe aux misères communes, et a lui-même besoin de miséricorde; «car tous cherchent leur propre gloire et non pas celle de Jésus-Christ (2)». Le premier des- Prophètes ainsi envoyés fut Moïse, ensuite Aaron, Isaïe, Jérémie, Elie et les autres, et aucun d'entre eux n'a pu nous procurer

1. Mt 21,37 - 2. Ph 2,21

la guérison; car pour cela il nous fallait voir Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Sauveur eut pitié de nous, il descendit vers nous, n'ayant en lui-même ni ruse ni péché, ni mélange d'aucun mal; car il est la justice, l'innocence, la sainteté même, brillant «comme l'argent purifié au creuset, purifié sept fois (1)»; loin d'avoir en lui-même aucun péché, il est venu pour condamner celui qui «a fait le péché et qui possédait l'empire de la mort (2)».

2. Alors fut accompli cet oracle d'Isaïe: «Voici venir le Seigneur sur une nuée légère (3)». Quelle est cette nuée légère, sinon la Vierge Marie, qui n'a, jamais ressenti le poids d'aucun péché? Après le ciel, elle a pu porter le Seigneur, puisqu'elle a mérité de rester vierge après l'enfantement. Le Roi des auges s'est renfermé dans sa créature, et il a apparu parmi les hommes comme une perle éclatante et précieuse. Quelle et combien grande fut la Vierge Marie, qui a pu porter le Seigneur, quand le ciel et la terre sont impuissants à le contenir; elle a

1. Ps 11,7 - 2. He 2,14 - 3 Is 19,1

283

porté dans son sein le Verbe fait chair, sans en ressentir aucun poids. Pourquoi ne ressentitelle aucun fardeau? parce que la lumière est impondérable. Quel fardeau pouvait ressentir la sainte Vierge Marie, puisque le Seigneur s'était reposé en elle «comme la pluie a descend sur la toison (1)?» Elle mit au jour la perle précieuse, et sa virginité n'en éprouva aucune atteinte.

3. Plusieurs hérétiques, et en particulier les Manichéens, soutiennent que le Seigneur n'a pu naître d'une femme. Le Manichéen s'écrie: Je ne reçois ni Moïse ni les Prophètes. Eh quoi, Manichéen! que faites-vous donc de l'apôtre saint Paul qui prélude ainsi dans son épître aux Romains: «Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à l'apostolat, a choisi pour l'Evangile de Dieu, qu'il avait a promis auparavant par ses Prophètes dans ales saintes Ecritures, touchant son Fils qui a lui a été donné de la race de David selon la chair (2)». C'est en vain, ô Manichéen, que vous vous élevez contre le Prophète, puisque l'Apôtre vous atteste que «le Fils de Dieu a été fait de la race de David selon la chair». Ce que les Prophètes avaient prévu et annoncé, les Apôtres l'ont vu et prêché. Qu'était-il, et qu'a-t-il été fait? Il était le Verbe, et le Verbe s'est fait chair; le Fils de Dieu est devenu le Fils de l'homme. Il était Dieu, et il s'est fait homme; il a revêtu notre humanité sans perdre sa divinité; il s'est abaissé et il est resté le Très-Haut; il s'est fait homme sans cesser d'être Dieu. Voici ce que nous dit lui-même le Créateur des hommes, le Fils de l'homme: Qu'est-ce qui vous scandalise dans ma naissance? La convoitise n'est entrée pour rien dans ma conception; je suis

1. Ps 31,6 - 2. Rm 1,1-3

le créateur de la mère qui m'a donné la naissance; j'ai moi-même préparé et purifié la voie que je devais suivre dans ma course. Cette femme que vous méprisez, ô Manichéens, c'est ma mère; c'est moi qui l'ai créée de ma propre main. Si j'ai pu me souiller en la formant, j'ai pu me souiller en sortant de son sein. De même que, dans mon passage, sa virginité n'a subi aucune atteinte; de même ma souveraine majesté n'a reçu aucune souillure. Le rayon du soleil peut dessécher un marais de fange, sans en être aucunement souillé; combien plus la splendeur de la lumière éternelle peut-elle purifier tout ce qu'elle touche, sans en recevoir aucune souillure. Insensés, où donc trouvez-vous des taches en Marie, puisqu'elle a conçu en dehors de toute concupiscence, et qu'elle a enfanté sans aucune douleur? Des souillures dans une mère vierge qui n'a jamais connu d'homme? des souillures dans une demeure dont personne ne s'est jamais approché? Dieu seul vint à elle; il y prit un vêtement qu'il n'avait pas; et, la trouvant fermée, il la laissa fermée. De même qu' «il est le seul libre entre les morts (1)», de même la pudeur de la Mère dont il est né est seule restée dans toute son intégrité; car la Vierge a enfanté un Fils vierge et est demeurée vierge; vierge avant l'enfantement, vierge après l'enfantement. Elle conçoit, et elle est vierge; elle engendre, et elle demeure vierge. Eve par sa désobéissance a mérité le châtiment; Marie par son obéissance a obtenu la grâce, parce qu'elle a engendré le Sauveur de tous les croyants, Celui qui vit avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Ps 127,6

284




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DIX-HUITIÈME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (DOUZIÈME SERMON)

ANALYSE. - 1. La naissance de Jésus-Christ, cause de notre joie. - 2. Jésus-Christ à la fois Dieu et homme. - 3. Le Verbe en s'incarnant conserve la forme de Dieu et prend la forme d'esclave. - 4. Jésus-Christ a prouvé par ses oeuvres qu'il est à la fois Dieu et homme.

1. Mes frères, je rends grâces au Seigneur notre Dieu de voir qu'il n'est point nécessaire de vous apprendre quelle est la solennité de ce jour, puisque votre dévotion a prévenu notre enseignement. Sur les mystères que nous célébrons, les oracles des Prophètes et de l'Evangile se sont réunis pour nous rappeler ce que la foi nous a déjà enseigné. Puissiez-vous donc, par la grâce de Dieu, conformer toujours, comme aujourd'hui, vos oeuvres avec la lecture des Ecritures! puissiezvous réaliser dans votre conduite la sainteté que vous prescrivent les commandements divins! Notre Sauveur nous est né aujourd'hui, tressaillons de joie; quand la source des joies nous apparaît, pourrions-nous être dans la tristesse? Or, la joie convient à tous, parce que c'est pour tous que Jésus-Christ est né. Que personne donc ne se croie étranger à cette allégresse. Celui qui est juste doit se réjouir, parce qu'il recevra la récompense; le pécheur doit se réjouir aussi, parce qu'il est appelé au pardon; le païen lui-même doit se réjouir, parce qu'il est admis au salut. Pour nous le Verbe divin a revêtu notre humanité. Par cela même que nous refusons de nous séparer de Jésus-Christ, nous sommes en Jésus-Christ. Reconnaissons donc notre rédemption, reconnaissons notre salut. C'est se séparer de Jésus-Christ que de refuser d'appartenir au corps de Jésus-Christ. Mais, mes frères, puisque les Ecritures célèbrent à l'envi la naissance de Jésus-Christ, étudions cette naissance; voyons comment est né dans la plénitude des temps Celui qui est le créateur des siècles: «Car il a dit, et tout a été fait; il a commandé, et toutes choses ont été créées (1)».

2. Or, mes frères, nous croyons de Jésus-Christ Notre-Seigneur qu'il est en même temps Dieu et homme; Dieu consubstantiel au Père.; homme formé par sa Mère; Dieu par sa propre nature; homme parce qu'il s'est fait chair; Dieu avant tous les siècles; homme dans le temps; Dieu avant le commencement des choses; homme dans le cours des choses. Celui qui, au commencement, a tout créé par sa toute-puissance, vient aujourd'hui nous sauver par sa chair. La création fut le premier miracle de sa puissance; la rédemption fut le second prodige de son amour. Mû par son infinie bonté, Dieu a voulu que la miséricorde nous rendît ce qui nous avait été ravi par le péché. Le Verbe est donc descendu afin de nous faire monter; il a incliné les cieux, afin d'élever la terre; il s'est fait participant de la nature de l'homme, afin de nous rendre participants de la nature divine; car, selon l'Apôtre, «il a été fait de la femme, il a été fait sous la loi (2)». Toutefois, quand on nous dit qu'une femme est devenue la Mère de Dieu, que personne ne s'offensede cette proposition. Vierge, elle a conçu par l'opération du Saint-Esprit, et le nom de femme n'est dû qu'à son sexe. L'Evangéliste que nous venons d'entendre lui donne le nom de vierge, et l'Apôtre celui de femme, afin de rendre plus éclatante aux yeux de tous la toute-puissance qui a présidé à son enfantement virginal, sans changer pour Marie sa condition de femme.

1. Ps 48,6 - 2. Ga 4,4

285

3. Notre Sauveur est donc né de la chair, mais non de la corruption charnelle; il est né homme, mais n'a pas été engendré par l'homme. Il a pris notre chair, mais de manière à sauver l'honneur de sa majesté. Ainsi donc, en sauvegardant la pureté de sa naissance contre toute intervention de la corruption humaine, il s'est parfaitement soumis aux conditions de la nature humaine, mais sans s'éloigner en quoi que ce soit de la dignité de Dieu. Il passa dans ce monde tel qu'il s'était montré à sa naissance, dont il conserva la pureté par l'innocence de sa vie. C'est de lui seul, en effet, qu'il a été écrit: «Jamais le mensonge ne se trouva sur ses lèvres (1)»; lui qui n'avait pas connu la corruption humaine dans sa conception, pouvait-il la connaître dans le reste de sa vie? En effet, dit l'Apôtre, «il prit la forme d'esclave alors qu'il possédait la forme de Dieu (2)». Mes frères, tous les hommes avaient été esclaves du péché; voilà pourquoi c'est à dessein que l'Apôtre nous dit du Sauveur qu'il ne prit que la forme d'esclave; il revêtit substantiellement la nature humaine, mais sans en prendre les vices; il eut la forme d'esclave, mais il n'en eut pas la culpabilité; il eut de l'homme toute la nature, mais il n'eut pas la conscience du pécheur; telle est la pensée de l'Apôtre: «Lorsqu'il était Dieu, il daigna prendre la forme d'esclave et parut réellement un homme». Il avait de l'homme l'enveloppe extérieure, mais il

1. 1P 2,26 - 2. Ph 2,16

possédait la puissance divine; par le dehors il paraissait un esclave, mais dans sa nature il était Dieu; extérieurement il montrait la faiblesse qu'il tenait de sa Mère, mais intérieurement il possédait la majesté de son Père; extérieurement il n'avait que l'humble forme corporelle, mais intérieurement il brillait de tout l'éclat de la divinité.

4. Dans sa conduite au milieu des hommes, le Sauveur prouva sa double nature; ses souffrances prouvèrent qu'il était homme, et ses miracles prouvèrent qu'il était Dieu. Il eut faim, et il multiplia les pains pour en nourrir ceux qui avaient faim. La faim qu'il ressentit prouvait qu'il était homme; et en nourrissant miraculeusement la foule, il prouva qu'il était Dieu. Il pleura et consola ceux qui pleuraient. Ses larmes prouvaient qu'il était homme, et les consolations qu'il donnait aux autres prouvaient qu'il était Dieu. Il priait, et il exauçait les prières qu'il formulait. En priant, il montra qu'il était homme; et en réalisant lui-même ce qu'il demandait, il montra qu'il était Dieu. En toutes choses il prouva ainsi sa double nature; voilà pourquoi il est le Médiateur nécessaire entre Dieu et l'homme; car, en inclinant les cieux, il a élevé la terre et il a réuni ces deux extrêmes dans une harmonie parfaite. Dieu et l'homme se trouvent réunis dans la personne de NotreSeigneur Jésus-Christ qui, sorti aujourd'hui du sein de la Vierge Marie, vit et règne éternellement avec Dieu le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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DIX-NEUVIÈME SERMON. SUR L'ÉPIPHANIE DE NOTRE-SEIGNEUR.

ANALYSE. - 1. Jésus-Christ révélé aux-Juifs et aux Gentils. - 2. Biens qu'il apporte aux uns et aux autres. - 3. Les Mages l'adorent; Hérode veut le faire mourir. - 4. Massacre des Innocents. - 5. Conclusion.

1. Il y a peu de jours, nous avons célébré, comme il vous en souvient, la naissance de Celui qui est appelé le Jour. En ce moment nous célébrons le mystère de sa manifestation, alors qu'il s'est révélé aux Gentils avec un éclat ravissant. En ce jour, selon le texte (286) même de l'Evangile, les Mages vinrent d'Orient, cherchant le Roi des Juifs qui venait de naître, et s'écriant: «Nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l'adorer (1)». Pour annoncer Jésus-Christ aux bergers d'Israël, nous avons lu que des anges étaient descendus du ciel; et pour amener les Mages des confins de l'Orient au berceau du Sauveur, une étoile parut jetant un vif éclat dans le ciel. Soit qu'il s'agisse des Juifs avertis par des anges, soit qu'il s'agisse des Gentils guidés par une étoile étincelante, il est toujours vrai de dire que «les cieux ont raconté la gloire de Dieu (2)»; et c'est par ces prémices de la foi des peuples à la nativité du Sauveur, «que notre pierre angulaire» s'est manifestée (3). Ils ont cru, et bientôt ils ont prêché Jésus-Christ. Avertis par la voix des anges, les bergers ont cru; les Mages aussi ont adoré, eux qui venaient de pays si éloignés. De son côté, Jésus-Christ, qui était venu «annoncer la paix à ceux qui étaient loin et à ceux qui étaient près (4) reçut,» dans la paix chacun de ces peuples; car «il est lui-même notre paix, ayant formé des uns et des autres l'unité (5)», c'est-à-dire de tous les peuples dont il avait reçu les prémices au moment de sa naissance; cette unité, cependant, ne commença à se réaliser qu'après le grand miracle de l'Ascension.

2. Isaïe avait entrevu cette unification des peuples par Jésus-Christ, quand il s'écriait «Le boeuf connaît son possesseur, et l'âne l'étable de son maître (6)». Le boeuf désigne ici les Israélites courbés sous le joug de la loi; les Gentils sont désignés par l'âne, animal immonde, parce que l'impureté de l'idolâtrie séparait ces Gentils des Israélites adorateurs du vrai Dieu; et cependant ces Gentils, comme les Juifs, devaient venir à l'étable, et après y avoir été purifiés par la foi de Jésus-Christ, participer à la table commune du corps de Jésus-Christ. C'est ainsi que le Seigneur, s'adressant à l'Eglise formée des deux peuples, disait: «Venez à moi, vous tous qui souffrez et êtes chargés de quelque fardeau, et je vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est doux et mon fardeau est léger (7)». Comme s'il eût dit au

1. Mt 2,2 - 2. Ps 18,2 - 3. Ep 2,20 - 4. Ep 2,17 - 5. Ep 14. - 6 Is 1,3 - 7. Mt 11,28-30

boeuf: «Mon joug est doux», et à l'âne: «Mon fardeau est léger». Aux Juifs courbés sous le joug écrasant de la loi, il disait «Mon joug est doux»; aux Gentils plongés dans les voluptés naturelles et refusant le fardeau salutaire des préceptes, il disait: Pourquoi restez-vous rebelles; pourquoi refusez-vous d'accepter le fardeau? «Mon fardeau est léger».

3. Aux Mages qui, à leur arrivée, demandaient où était né le Christ, les Juifs firent connaître le lieu de sa naissance, et cependant restèrent immobiles. Dans tous les livres des Prophètes, les Juifs trouvent clairement désignés Jésus-Christ et son Eglise, et cependant ce n'est point par eux, mais par les Gentils, que Jésus-Christ est adoré. De son côté, l'impie Hérode, apprenant des Mages la naissance du Roi des Juifs, frémit aussitôt pour sa couronne, et se flattant, «malgré l'Ange du Grand Conseil (1)», de triompher de ses alarmes par l'habileté de ses desseins, prend deux moyens, à ses yeux infaillibles, de s'assurer la victoire: le mensonge et la cruauté. D'abord, il ment aux Mages quand il leur dit: «Allez donc, informez-vous avec soin de l'enfant, et quand vous l'aurez trouvé, empressez-vous de m'en instruire, afin que j'aille moi-même et que je l'adore (2)»; il feint ainsi de vouloir adorer Celui qu'il désirait tuer. Déçu dans ses desseins, il ordonna d'immoler, dans toute la Judée, les enfants qui pourraient avoir le même âge que Jésus-Christ. Horrible cruauté dictée par l'ambition, et qui fit couler inutilement des flots de sang innocent!

4. Vous le voyez, mes frères, Jésus-Christ est encore porté dans les bras de sa Mère, et déjà il multiplie les prodiges. Petit enfant, il triomphe d'un roi puissant; sans armes, il se joue de la force armée; enveloppé de langes, il dédaigne ce prince couvert de la pourpre; couché dans une crèche, il se joue du tribunal d'un roi; silencieux, il a ses hérauts; caché, il trouve des témoins. Hérode, vous usez de cruauté, et parmi les persécuteursdu Christ, vous tenez le premier rang. Mais Celui «qui a le pouvoir de donner sa vie (3)», n'a rien à craindre de votre colère. L'aiguillon de la crainte peut vous agiter, vous pouvez brûler des feux de la fureur; mais, pour Jésus-Christ, le temps n'est point encore venu de mourir. Toutefois, s'il vous faut satisfaire

1 Is 9,6 - 2. Mt 2,8 - 3. Jn 10,18

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votre affreuse cruauté, faites des martyrs de Jésus-Christ. Arrachez aux embrassements des nourrices ceux que vous n'arracherez pas aux embrassements des anges. Qu'ils quittent le sein maternel pour s'élever au-dessus des astres; qu'ils échappent aux larmes de leurs mères pour se couvrir de la gloire des martyrs; qu'ils quittent les bras de celles qui les portent, afin qu'ils parviennent à la couronne immortelle; qu'ils soient témoins, eux qui ne peuvent encore parler; qu'ils rendent témoignage, ceux qui n'ont pas encore l'usage de la parole, et que ceux qui, par leur âge, ne peuvent prononcer le nom de Jésus-Christ, commencent, par sa grate, à confesser Jésus-Christ. Hérode, vous ne connaissez pas l'ordre des décrets dirins, et voilà ce qui vous trouble. Jésus-Christ est venu sur la terre, non point pour s'emparer de votre trône, mais pour subir des humiliations de toute sorte; non pas pour s'enivrer des flatteries des peuples et de leurs adulations, mais pour s'élever sur la croix que lui auront assignée les clameurs des Juifs; non pas pour faire scintiller sur son front le diadème royal, mais pour être méprisé sous une couronne d'épines.

5. Nous, mes frères, pour qui tout a été fait, pour qui le Très-Haut s'est humilié si profondément, pour qui un Dieu s'est fait homme, pour qui notre Créateur a été créé, pour qui notre pain a daigné avoir faim, et passant tant d'autres titres, nous pour qui notre vie a goûté les horreurs de la mort, vivons de telle sorte qu'au moins en quelque manière nous nous rendions dignes d'un si grand bienfait; marchons sur les traces mortelles de l'humilité de Jésus-Christ, afin que nous recevions de lui la récompense éternelle.





PREMIER SUPPLEMENT, DEUXIÈME SECTION: SERMONS (20-44) SUR LE PROPRE DU TEMPS PASCAL






Augustin, Sermons 1014