Augustin, Sermons 1037

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TRENTE-SEPTIÈME SERMON. POUR L'OCTAVE DE PAQUES. (DEUXIÈME SERMON)

ANALYSE. - 1. Les anciennes prophéties accomplies en Jésus-Christ. - 2. A la mort du Sauveur le soleil s'obscurcit. - 3. Jésus-Christ invoquant son Père. - 4. Apostrophe aux Juifs; bienfaits dont ils avaient été comblés. - 5. Ce que le Sauveur avait fait pour eux. - 6. Mort de Jésus-Christ, sa descente aux enfers et sa résurrection.

1. Les nombreux et profonds mystères que nous célébrons dans ces solennités de Pâques, ont été consignés dans les livres de la révélation et serrés dans toutes les antiques demeures et les plus anciennes archives des Juifs. Or, tout ce que les patriarches et les Prophètes (323) avaient prédit de la passion de Jésus-Christ, devait nécessairement s'accomplir. Un seul instant, pour ainsi dire, suffit à cet accomplissement, l'instant où Jésus-Christ «s'élança comme un géant pour parcourir sa carrière (1)»; toutefois, chaque année nous célébrons par des fêtes solennelles l'anniversaire de ces grands événements, afin d'en perpétuer le souvenir jusqu'à la consommation des siècles. Le silence ne peut donc se faire sur les crimes des Juifs, jusqu'au jour où la grande Victime viendra juger la terre, «afin qu'ils voient et connaissent Celui qu'ils ont transpercé (2)».

2. Disons un mot de la cruauté dont les Juifs firent preuve dans la passion du Sauveur, nous parlerons ensuite de la résurrection. Le monde lui-même n'a pu considérer librement les crimes dont les Juifs se rendaient coupables à l'égard du Sauveur, et le soleil refusa sa lumière au moment où Jésus-Christ expirait sur la croix et où son âme descendait dans les enfers. Dans ce fait, aucune inconvenance, aucune incertitude; les enfers ne peuvent voir Dieu sans la lumière, selon cette parole: «Car Dieu est la lumière, et les ténèbres ne se trouvent point en lui (3)». Or, la lumière disparut de ce monde, selon cette autre parole: «Depuis la sixième heure jusqu'à la neuvième, les ténèbres se répandirent sur toute la terre (4)». O Juifs, comment osez-vous consommer votre affreux sacrilège? Ne pensez pas, du reste, l'ensevelir dans l'ignorance et l'oubli, car la nuit elle-même apparaissant au milieu du jour, est chargée d'annoncer votre crime aux quatre coins de l'univers. Ces ombres noires sillonnent toute la terre, proclamant un horrible crime, et dans ce nouveau chaos les ténèbres publient à haute voix le plus grand de tous les forfaits. Ainsi devait être annoncée la passion du Sauveur, afin que le monde entier s'étonnât de cette miraculeuse obscurité. «Depuis la sixième heure jusqu'à la neuvième les ténèbres se répandirent sur toute la terre». Les éléments furent confondus; une voix impérative rompit les anciens engagements. Le jour perdit ses heures, et plutôt que d'assister à la mort de son Créateur, le soleil refusa sa lumiere et se couvrit d'une profonde obscurité.

1. Ps 18,6 - 2. Jn 19,37 - 3. 1Jn 1,5 - 4. Mt 27,45

3. C'est à bon. droit, mes frères, que ce monde gérait et pleure, puisqu'on a renié son Dieu. Le Sauveur s'écria: «Héli, Héli, lama sabacthani, c'est-à-dire: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné (1)?» Cette plainte céleste vous condamne, malheureux Juifs, et le châtiment que vous auriez pu détourner par des supplications assidues, retombe sur vous dans toute sa réalité. Quelle n'est pas la grandeur de ce crime dont le Sauveur demande justice à Dieu son Père contre les hommes? «Mon Dieu», dit-il, «pourquoi m'avez-vous abandonné?» Nous ne saurions nous méprendre, ni comme hommes, ni comme chrétiens, sur le sens de ces paroles; le Fils n'est point abandonné par le Père, et s'il s'écrie: «Mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné?» C'est pour nous montrer que la Divinité n'est point accessible aux peines corporelles. Quelques-uns des assistants disaient: «Celui-ci appelle Elie (2)». C'est là une nouvelle preuve de l'interprétation judaïque; il leur fallait s'attaquer à Dieu, dussent-ils pour cela recourir au mensonge et à la calomnie: «Il appelle Elie». Le Maître invoquait-il son disciple, le Seigneur suppliait-il son serviteur, Dieu lui-même implorait-il le secours de l'homme? Non, rien de tout cela n'était possible, et par ces paroles le Fils, renié par la terre, appelait à témoin son Père dans le ciel.

4. «Alors ils prirent une éponge imbibée de vinaigre et, la plaçant à l'extrémité d'un roseau, ils en humectaient ses lèvres (3)». Que faites-vous, ô hommes formés du limon de la terre? Au moment de votre création, vous n'étiez entre les mains de Dieu qu'une terre molle et un corps sans solidité, et maintenant que Dieu vous a faits le chef-d'oeuvre de la création, pour le récompenser de son oeuvre vous l'abreuvez de vinaigre. En sortant de ses mains vous cherchiez nourriture et appui; il vous plaça dans le paradis terrestre et vous en rendit possesseur, était-ce pour vous apprendre à en agir ainsi à l'égard de votre Créateur? Vous-même, ô nation juive, vous avez pu traverser, en frémissant, les flots de la mer Rouge, les eaux vous ont livré un facile passage; le lit de la mer s'est durci sous vos pas; est-ce donc pour cela que vous commettez contre votre Dieu cet abominable forfait? Pendant quarante ans il a guidé votre

1. Mt 27,46.- 2. Mt 27,47. - 3. Mt 27,48.

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marche dans le désert, il vous a nourris miraculeusement, vous avez recueilli sans fatigue le pain tombé du ciel, vous n'avez connu les douleurs d'aucune maladie, vos pieds n'ont pas: manqué de chaussures, ni vos corps de vêtements; le rocher frappé par la verge de Moïse a perdu son aridité et vous a fourni une eau abondante et pure; les ondes salées de la mer ont perdu pour vous leur amertume et ont agréablement étanché votre soif; est-ce donc dans l'abondance de ces bienfaits que vous avez appris à lever votre tête contre Dieu et à ceindre son front des épines de vos péchés, selon cette parole: «Ce peuple m'a entouré des épines de ses péchés?»

5. Mais pourquoi remonter à des temps si reculés, puisque, vivant d'une présence corporelle au milieu de ces Juifs, le Sauveur les a rendus témoins d'innombrables prodiges? Vous, peuple juif, vous avez présenté du fiel et du vinaigre à ce Dieu qui, aux noces de Cana, pour l'agrément de ses convives, a changé l'eau en vin. Aux aveugles il rendait la vue; aux sourds il rendait l'ouïe; aux muets il rendait la parole; les lépreux, à sa voix, dépouillaient leurs ulcères et reprenaient la fraîcheur de leurs corps; les paralytiques se sentaient raffermis sur leurs membres et retrouvaient leur ancienne vigueur; les boiteux recouvraient leur agilité première, et souvent même une agilité qu'ils n'avaient jamais connue; Lazare, enfin, décédé depuis quatre jours et déjà en proie à la corruption des tombeaux, revenait à la vie, à votre grand désespoir. Pour tous ces bienfaits, pour tous ces biens dont il vous avait comblés, vous avez condamné à une mort honteuse Celui qui méritait toutes vos adorations; c'était trop de le faire mourir d'une mort simple et ordinaire, qu'était-ce de le traiter comme vous l'avez fait?

6. Que les bourreaux du Sauveur connaissent donc la gravité du crime qu'ils ont commis et contre lequel la terre et le ciel se sont émus d'indignation. «Le voile du temple s'est rompu (1)»; c'était là une sorte de protestation de la part du temple, car il n'y a plus de motif d'orner une demeure qui a perdu son maître. «Le voile se déchira depuis le haut jusqu'en bas», c'est-à-dire que, dans laseule personne de Jésus-Christ, vous avez rejeté tout à la fois l'homme et Dieu. Que dirai je encore? Le Sauveur est enseveli et son âme unie à la divinité descend dans les limbes, au milieu des captifs dont il brise les chaînes et qu'il rend à la liberté pour en faire les compagnons et les témoins de sa résurrection; car «ils apparurent dans la ville à un grand nombre d'hommes (2)», qui devaient rendre témoignage de la résurrection du Sauveur, résurrection que nous célébrons aujourd'hui dans les élans de notre joie spirituelle, afin que nous méritions de vivre éternellement avec notre Dieu et notre Sauveur qui vit et règne dans les siècles des siècles.

1. Mt 27,51 - 2. Mt 53




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TRENTE-HUITIÈME SERMON. POUR LE TEMPS PASCAL: (TROISIÈME SERMON)

ANALYSE. - 1. Les mystères de la nouvelle loi annoncés dans la loi ancienne. - 2. Jésus-Christ, noire lumière, viendra établir son royaume. - 3. Ornements de Jésus-Christ roi. - 4. Descente de Jésus-Christ aux enfers, sa victoire et sa résurrection.

1. Les nombreux et profonds mystères que nous célébrons dans ces solennités de Pâques, ont été consignés dans les livres de la révélation et serrés dans toutes les antiques demeures et les plus anciennes archives des Juifs. L'admirable économie de ces mystères, les bases qu'ils prêtaient à la vraie foi, à la religion pure et sincère; tout cela restait comme caché sous le voile des siècles; la sainteté qu'ils renfermaient était comme ensevelie dans l'obscurité; et toutefois, à travers ces voiles, rayonnait toujours et malgré tout l'auguste et grande image de la vérité. Cette image, Jésus-Christ l'a peinte dans nos esprits, non point avec des couleurs diverses et terrestres, mais avec des vertus distinctes et célestes, abritées sous le bouclier de la dévotion et étincelantes de tout l'éclat de l'or. Ces vertus sont concentrées dans le temple de son corps comme dans leur source; l'amour rayonne de son coeur dans le nôtre et devient pour nos sens le parfum qui les conserve et la règle qui les dirige. L'ange glorieux qui préside aux astres, qui gouverne le monde, qui dirige le jour, qui commande à la lumière, qui sème la fécondité, qui tempère le printemps et modère l'automne, a divisé le temps et réparti les saisons; mais c'est Dieu qui nous commande de solenniser ce grand jour.

2. Quels biens nouveaux la passion du Sauveur nous a procurés, quels biens perdus elle nous a restitués! aucune voix humaine ne peut le dire, aucune mémoire ne peut l'énumérer. Le Sauveur a dit dans l'Evangile: «La lampe ne se place pas sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la demeure (1)». Or, la lumière a été placée sur le candélabre de la croix, à sa première apparition sur la terre et au moment de la passion; mais, au second avènement, elle viendra dans toute sa splendeur et régnera à jamais sur le candélabre de la croix. Jésus-Christ brille aux yeux des Gentils et des Juifs, afin de former son Eglise de la réunion des Gentils et des Juifs. Jésus-Christ est notre lumière, et si nous attendons qu'il vienne de nouveau, toutefois nous croyons qu'il est déjà venu. Il est venu dans l'abaissement, il viendra pour régner; il est venu dans la bonté, il viendra pour juger; il est venu dans la souffrance, il viendra dans la domination; il est venu pour guérir nos infirmités, il viendra pour déraciner les vices. Que personne ne croie que dans son second avènement, Jésus-Christ voudra laisser nier qu'il soit déjà venu; il sera alors un juge redoutable pour celui qui aura refusé de le reconnaître pour son Sauveur. Nous le savons et nous le croyons, Jésus-Christ viendra pour juger tous les hommes; mais, après être venu comme un médecin pour, sauver, il viendra pour régner en qualité de Roi des rois et de Maître suprême et éternel.

3. Son diadème, sa ceinture et ses chaussures sont rehaussés de pierres précieuses; mais ces pierres précieuses désignent pour nous les Patriarches, les Prophètes et les Apôtres. Les Patriarches forment le diadème de son front, non pas pour l'orner, mais pour être ornés par Jésus-Christ. C'est de ces Patriarches que l'Apôtre a dit: «Ce sont leurs pères, desquels est issu Jésus-Christ,

1. Mt 5,15

326

qui est le Dieu béni dans tous les siècles (1)». Sa ceinture est formée par les Prophètes, dont les oracles constituent l'indissoluble noeud de la discipline. Ses chaussures sont représentées par les Apôtres, qui ont été envoyés aux extrémités, c'est-à-dire à la fin du siècle, et dont il est dit dans la sainte Ecriture: «Qu'ils sont beaux, les pieds de ceux qui évangélisent les biens! (2)» Dans ce royaume nous voyons briller les martyrs comme des pierres précieuses, les confesseurs comme des émeraudes, les fidèles comme des améthystes, les vierges comme des perles. Jésus-Christ, roi éternel, porte la pourpre royale et éclatante de sa passion, le sceptre de l'empire, le siège de la justice, le trône auguste de la souveraine puissance. Il a souffert pour ceux qui croient, il régnera pour ses saints, il jugera tous les rebelles. Que celui qui désire la santé ne se révolte pas contre le médecin; la foi nous rend les amis du roi, l'incrédulité ferait de nous des coupables soumis à sa justice.

4. Celui dont l'origine est toute céleste est descendu du ciel, il est descendu jusqu'aux enfers, afin de délivrer l'homme; et c'est ainsi qu'après s'être humilié jusqu'à la mort et la mort de la croix, Jésus-Christ ressuscité rentre en vainqueur dans les splendeurs du ciel. C'est là un mystère, mais c'est là un fait, et ce fait est cru fermement, comme il est prêché fidèlement. Dans la passion du Sauveur, le soleil refusa sa lumière, les ténèbres

1. Rm 9,5 - 2. Rm 10,15

s'épaissirent, le jour s'enfuit, la nuit déroula son obscur et horrible rideau sur toute la face du monde; les astres pleurèrent ce cruel parricide, la lune joignit son deuil à celui du soleil, toute la nature resta consternée de la cruauté des Juifs. Dans ce combat de Jésus-Christ contre le démon, du faible contre le fort, de l'homme désarmé contre le fort armé, dans ce duel de David contre Goliath, la victoire est restée à Jésus-Christ contre son puissant et cruel adversaire; dépouillé de ses vêtements, le corps attaché à la croix, le Sauveur âgé seulement de trente-trois ans a triomphé du démon, non point par le glaive, mais par le rayonnement de sa croix. Il est descendu aux enfers, il a opprimé les enfers, il en a délivré ceux qu'il a voulu, et après sa résurrection il a instruit ses disciples. Lorsqu'il enseigne, il est la raison; lorsqu'il juge, il est la loi; lorsqu'il délivre, il est la grâce; lorsqu'il souffre, il est l'agneau; lorsqu'il est enseveli, il est homme; lorsqu'il ressuscite, il est Dieu. A nous aussi il a promis la résurrection et la récompense éternelle. A des hommes terrestres il donne les choses célestes, à des hommes mortels il donne l'immortalité, à des cadavres il donne des âmes vivantes, à des hommes fragiles il donne la résurrection, il donne la vie aux morts et le salut à ceux qu'il a régénérés. Mes frères, conservons cette foi, afin que nous méritions de vivre éternellement avec notre Dieu et notre Sauveur.




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TRENTE-NEUVIÈME SERMON. POUR LE SECOND DIMANCHE DE PAQUES.

ANALYSE. - 1. Résumé de l'histoire de la Passion. - 2. Jésus-Christ saisi par les Juifs. - 3. Le Sauveur couronné d'épines et roi de dérision. - 4. Jésus-Christ couvert de crachats, meurtri et crucifié. - 5. Jésus-Christ aux enfers. - 5. Jésus-Christ ressuscitant.

1. Dans ce jour sacré, c'est pour moi, mes frères, une bien douce jouissance de vous entretenir de la passion du Sauveur et de sa résurrection. Rappelons brièvement les faits dans l'ordre où ils se sont passés, car la vérité ne demande qu'à être exposée. Nous savons (327) tous parfaitement que Jésus-Christ a été vendu, que les Juifs l'ont acheté à celui qui devait le leur livrer, que le prix de la trahison a été rendu aux acheteurs sacriléges, que le corps du trattre Judas resta suspendu entre le ciel et la terre, que Jésus-Christ fut traduit devant le tribunal, que la femme de Pilate, avertie en songe, certifia à son époux de l'innocence de Celui qu'il avait à juger, que Pilate se lava les mains pour protester qu'il était innocent du sang de ce buste, que Barabbas, un insigne malfaiteur, fut mis en liberté, et que Jésus, après avoir été flagellé, fut conduit au Calvaire pour y mourir. O genre humain, que faites-vous? Et pourtant l'esprit se porte de préférence du côté où les Juifs se sont couverts d'une honteuse culpabilité.

2. Au moment où une troupe d'hommes méchants, armés de glaives et de bâtons, sortaient pendant la nuit pour aller s'emparer de Jésus, le Seigneur se présenta de lui-même à leur rencontre; car il connaissait leurs dispositions. Selon le texte de l'Evangile de saint Jean, le Sauveur se tenait debout au milieu d'eux, et pourtant ils ne laissent pas de dire: «Nous cherchons Jésus de Nazareth». Ils cherchaient donc la lumière dans les ténèbres de la nuit, mais les ténèbres ne voyaient pas la lumière dans les ténèbres. Du moins, mes frères, écoutons ce que la Lumière de la lumière dit aux ténèbres «marchant dans l'ombre de la mort (1): Qui cherchez-vous?» Les ténèbres répondent à la lumière: Jésus «de Nazareth (2)». Le Sauveur répondit: «C'est moi que vous cherchez. En entendant ces paroles, ils tombèrent à la renverse (3)». Ils tombèrent tous dans les ténèbres, et ils devinrent comme un monceau de ténèbres. Mais parce que la Lumière luit dans les ténèbres, elle les releva, afin de leur montrer la patience de son humilité. De nouveau Jésus leur dit: a Qui cherchez-vous? ils répondirent: Jésus de Nazareth; et Jésus leur dit: «Je suis celui que vous cherchez (4)». O Juifs aveugles, vous avez entendu sa voix et vous êtes tombés; vous vous êtes relevés et vous ne l'avez pas reconnu. Quel est donc celui que vous cherchez et en présence duquel vous tombez? C'est ce Jésus de Nazareth que vous avez hâte de saisir pour le crucifier. D'où vient donc cet effroi qui vous a renversés? Quelle menace de sa part a pu vous

1. Is 9,2 -2. Jn 18,4-5 -3. Jn 5,6 - 4. Jn 7,8

ébranler? L'avez-vous entendu vous menacer? Qu'avait-il donc de si terrible? Il se contente de parler et vous tombez; que ferez-vous donc lorsqu'il viendra vous juger dans toute sa puissance? Où sont donc les glaives et les bâtons que vous avez apportés? Ces glaives et ces bâtons, n'êtes-vous pas tombés avec eux, et si le Seigneur ne vous avait pas permis de voies relever, vous seriez encore la face contre terre. Or, Jésus-Christ a voulu vous montrer que tout est possible à sa puissance infinie et que c'est librement qu'il s'est livré entre vos mains.

3. O limon, ô terre, ô cendre, est-ce donc là ce que vous rendez à votre Créateur? Pour vous avoir donné l'être, est-ce ainsi que vous lui témoignez votre reconnaissance? O nation sacrilége, vous frappez de plus en plus le corps du Seigneur, et voles voulez qu'il soit tout meurtri avant d'arriver au Calvaire. Barbares, vous avez rassemblé tout une cohorte de bourreaux, et vous accourez ainsi au triste spectacle de la croix; vous êtes là tous présents, afin qu'il soit mieux prouvé que tout le peuple participe à cet horrible sacrilége. Votre voeu sera exaucé, et celui qui a commis le crime en portera le châtiment. Feignant de désirer un roi, vous vous jouez de votre captif, et par dérision vous jetez sur ses épaules un lambeau de pourpre. Mais dans ce haillon de couleur rouge brille le sang de la Passion du Sauveur. Vous ceignez son front d'un diadème formé d'épines longues et acérées, afin de réaliser cette parole de l'Ecriture: «J'ai attendu que ma vigne portât des raisins, et elle n'a produit que des épines (1)». En guise de sceptre consulaire, un roseau est placé dans sa main pour insulter de nouveau à sa dignité royal. Mais il était écrit: «Il ne brisera pas le roseau rompu et il n'éteindra pas le tison enflammé», c'est-à-dire leur cruauté, «jusqu'à ce qu'il achève sa victoire, et les nations espéreront en son nom (2)».

4. Le visage du Sauveur fut couvert de honteux soufflets, son front sacré fut souillé d'infâmes crachats, comme l'avait annoncé le Prophète: «J'ai présenté mes joues aux soufflets, et je n'ai pas détourné ma face de la honte des crachats (3)». La croix est ensuite chargée sur ses épaules, selon cette autre parole: «Lui-même a porté nos infirmités, et il a soutenu notre faiblesse (4)». Après toutes

1. Is 5,4- 2. Jn 42,3-4 - 3. Jn 50,6 - 4. Jn 53,4

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ces ignominies, le Sauveur est suspendu sur la croix; ses mains et ses pieds sont percés de clous et fixés à la croix, selon cette parole du Prophète: «Percez de clous mes chans (?) par la crainte de vos justices (1)», Pour étancher sa soif on lui présente une éponge imbibée de fiel et de vinaigre, afin que cette prophétie soit accomplie: «Ils m'ont donné du fiel pour nourriture et ils m'ont abreuvé de vinaigre (2)». Après tant d'outrages, le Sauveur lance vers Dieu ce cri solennel: «Héli, Héli, lama sabacthani, c'est-à-dire: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné (3)?» Ecoutez, princes de la superstition judaïque, et fixez sur ces paroles divines l'attention de vos coeurs impies. Depuis que vous avez chassé Dieu de l'homme, votre crime demande vengeance sur la croix, votre chair commence à reconnaître le châtiment qu'elle a mérité en consommant son divorce avec Dieu. Mais. voici le moment où le Sauveur va rendre le dernier soupir; aussitôt: «Depuis la sixième heure les ténèbres se répandirent sur toute la terre jusqu'à la neuvième heure (4)». Tous les éléments frémissent devant le crime qui s'accomplit, l'atmosphère s'obscurcit, le soleil retire sa lumière, pour ne pas être témoin de l'attentat des Juifs. Mais, en refusant de contempler leur crime, il ne rend que plus manifeste la honte dont ils resteront couverts à tout jamais.

5. Que dirai-je encore? Après avoir accompli son oeuvre sur la terre, Jésus-Christ dirige ses pas vers l'enfer en se faisant précéder d'une lumière éclatante. Les lois ordinaires sont changées; la terre, pendant le jour, se trouve dans les ténèbres, tandis qu'à la nuit éternelle des enfers succède une clarté toute divine; avec le Seigneur la lumière passe de notre: monde extérieur au séjour intérieur des âmes. Pourtant nous ne pouvons en douter, Dieu n'a pas besoin de la lumière extérieure pour sonder les enfers; car: «Dieu est lumière, et les ténèbres ne sauraient l'atteindre (5)». Voici donc que, dans l'enfer, se fait d'une manière éclatante l'application des mérites de Jésus-Christ. Les Juifs aveugles restent plongés dans de profondes et

1. Ps 118,120 - 2. Ps 68,22 - 3. Mt 27,46 - 4. Mt 45 - 5. 1Jn 1,5

coupables ténèbres, et les morts reçoivent en même temps l'indulgence et la lumière. Malheureux Juifs, considérez quels trop justes châtiments vous attendent. Pendant votre vie vous avez livré et trahi la lumière des vivants; quelles ténèbres ne seront donc pas votre partage après la mort?

Quoi qu'il en soit, Jésus-Christ rejeté par les Juifs est reçu dans les enfers; cette étrange apparition et la lumière qui l'annonce jettent dans le trouble les portiers impies qui gardent l'entrée de ce séjour. Ceux qui précédaient le Seigneur furent tout à coup saisis de terreur; aucun d'eux ne se souvint de la fonction qu'il avait à accomplir. L'âme de Jésus-Christ était environnée d'une si vive lumière, que les gardiens ténébreux regardant du fond de leurs antres obscurs, se demandaient quel était Celui dont la présence les faisait fuir. Malgré la rapidité de leur fuite ils ne purent échapper à cette lumière redoutable qui les poursuivait; aussi, retournant en arrière, ils se jetaient avec précipitation et en désordre dans leurs retraites es plus profondes, refoulant devant eux les âmes des malheureux captifs détenus dans ces lieux et s'en faisant un abri pour mieux dissimuler leur crainte et leur présence. Qui n'admirerait ici la puissance de Jésus-Christ qui vient enchaîner les tyrans des enfers et rendre à la lumière de sa grâce libératrice les justes qui depuis des siècles attendaient leur délivrance? La présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ assure l'accomplissement de leurs désirs; toutes ces âmes justes reçoivent de lui l'indulgence et la liberté; et même, pour donner à sa résurrection des preuves plus éclatantes, à sa voix beaucoup de ces âmes reprennent leur dépouille mortelle et apparaissent dans les rues de Jérusalem.

6. Jésus-Christ est donc ressuscité aujourd'hui avec tout l'éclat du triomphe et de la victoire; car, après avoir vaincu sur la terre l'antique serpent, séducteur du genre humain, il venait de l'enchaîner dans les enfers et de détruire sa puissance. Aussi, dans cette grande solennité de la résurrection, devons-nous, mes frères, tressaillir d'une joie toute spirituelle, afin que nous méritions. de vivre avec lui dans la vie éternelle.

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QUARANTIÈME SERMON. SUR L'ASCENSION DU SAUVEUR. (PREMIER SERMON)

ANALYSE. - 1. Le jour de l'Ascension comparé au jour de Noël. - 2. Le mystère de l'Ascension confirme la foi. - 3. Jésus-Christ montant au ciel n'abandonne pas les hommes, et mérite de nous les hommages les plus assidus.

1. Je me demande avec anxiété, mes frères, pourquoi cette grande solennité que nous célébrons n'attire pas un plus grand concours de fidèles, pourquoi ce jour de joie n'a pas le privilége de soulever des élans de joie parmi les chrétiens. Pourquoi ce jour n'est-il pas un jour de fête et de réunion comme le jour de Noël? Noël a donné à la terre Jésus-Christ notre Sauveur; l'Ascension le rend au ciel. A Noël le Seigneur a daigné se faire homme; le jour de l'Ascension il a manifesté sa divinité. Noël nous prêche la grâce dont l'humilité du Sauveur est la source intarissable, l'Ascension confirme la foi dans la divinité de sa personne adorable. Noël nous le présente sortant d'un sein virginal; l'Ascension nous le montre allant. s'asseoir sur le trône même de la divinité; le jour de Noël, il descend pour nous racheter; le jour de l'Ascension, il monte afin d'intercéder pour nous; le jour de Noël, il est envoyé par son Père; le jour de l'Ascension, il est reçu par son Père; nous savons cependant que jamais il n'a été séparé de son Père, alors même qu'il était au milieu de nous; en visitant la terre il n'a pas quitté le ciel. Quelle grande solennité n'est donc pas pour nous, mes frères, ce jour où Jésus notre Rédempteur proclame si hautement sa divinité et ne remonte visiblement au ciel que pour mieux nous montrer qu'il est descendu sur la terre; «personne n'est monté au ciel, que Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme (1)», dont le Prophète avait dit longtemps auparavant: «Il est sorti du plus haut des cieux, et il retourne au plus haut des cieux (2)». Parce qu'en descendant sur la terre

1. Jn 3,13 - 2. Ps 18,7

il s'était caché aux yeux de tous, il veut que son Ascension n'en soit que plus manifeste; dans son Incarnation, rien n'avait frappé les regards des hommes, mais dans son Ascension tout doit être visible et manifeste, afin d'affermir notre foi. Le Seigneur est rempli de pitié et de miséricorde quand il ne se propose que notre rédemption et notre salut; en venant nous sauver, son humanité seule nous apparaît; il embrasse les opprobres, les supplices, la croix, la sépulture et tous les symptômes extérieurs de l'infirmité humaine; aussi devientil un objet de scandale pour l'orgueilleuse incrédulité. Mais si le jour de Noël il n'a voulu pour notre salut que les abaissements et les humiliations, le jour de l'Ascension il veut faire éclater toutes les splendeurs de sa divinité, afin qu'après l'avoir cru un homme au milieu des hommes, nous le proclamions véritablement Dieu.

2. L'Ecriture nous dit que notre Dieu et Sauveur «se montra vivant après sa passion, donna des preuvesnombreuses de sa résurrection, et apparut pendant quarante jours à ses Apôtres, les entretenant du royaume de Dieu (1)». Après avoir subi la croix et la mort, et avant de monter au ciel, Jésus-Christ apparut aux hommes sur la terre pendant ces quarante jours que, depuis Pâques jusqu'aujourd'hui, nous passons dans une sainte liberté, parce que c'est un tempsde joie et non pas, de tristesse, selon ces paroles du Sauveur «Est-ce que les fils de l'époux peuvent jeûner, tant que l'époux est avec eux (2)?» Lorsque ces jours se furent écoulés, alors «à la vue de tous ses disciples il s'éleva vers le ciel, une

1. Ac 1,3 - 2. Mt 9,15

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nuée le reçut et le déroba à leurs yeux (1)». Que le Juif écoute cette parole, que le Gentil l'écoute et reste confondu. Ils ont pu le railler quand il était élevé sur la croix, qu'ils écoutent le récit de son ascension au ciel. Ils ont pu nous objecter les humiliations du Calvaire, qu'ils se rendent témoins des splendeurs de ce jour. Nous lisons ensuite: «Voici que deux hommes vêtus de blanc se tinrent debout et dirent: Hommes de la Galilée, pourquoi restez-vous ainsi regardantle ciel? Ce Jésus qui nous a quittés pour monter au ciel, descendra de nouveau de la même manière que vous l'avez vu s'élever vers le ciel (2)». Ainsi donc, après avoir accompli sa mission sur la terre, Jésus-Christ venait de remonter au ciel lorsque des envoyés célestes viennent confirmer aux disciples ce qu'ils ont vu et leur prouver qu'ils ne sont les jouets d'aucune illusion, afin de les rendre capables d'attester par eux-mêmes non-seulement le fait de l'ascension du Sauveur, mais encore la promesse de son retour à la fin du monde. L'Evangile renferme les mêmes enseignements que le livre des Actes: «Et après les avoir bénis, Jésus les quitta, et il s'éleva vers le ciel; de leur côté, en adorant, ils rentrèrent à Jérusalem avec une grande joie (3)». Parce que le Sauveur s'était humilié pour nous, pour nous aussi il déploie dans sa personne une splendeur toute divine. Notre humanité dont Jésus-Christ a daigné se revêtir fait aujourd'hui son entrée triomphante dans le ciel; Jésus-Christ ne se contente pas d'avoir sauvé l'homme, il veut encore le glorifier. Il nous montre enfin que désormais le ciel nous est ouvert, puisque lui-même y occupe le trône qui lui appartient; quel honneur reçoit ainsi le limon dont nous sommes formés, puisqu'il règne aujourd'hui dans le ciel! Nous avons d'abord jeûné pendant quarante jours, mais pendant les quarante jours suivants notre corps a été dispensé de cette privation.

3. Les quarante jours de jeûne se sont terminés par la fête de Pâques; les quarante jours depuis Pâques se ferment par la grande solennité de ce jour, dans lequel notre Sauveur

1. Ac 1,9 - 2. Ac 2 - 3. Lc 24,5-52

nous ravit sa présence visible, mais toutefois sans cesser d'habiter avec nous. Pendant qu'il demeurait corporellement au milieu de nous, il n'était point séparé de son Père; de même, aujourd'hui qu'il est retourné à son Père, il n'est point séparé de nous. Au lieu de nous quitter comme des étrangers, il reste et demeure avec nous; car il a dit luimême: «Que votre coeur ne se trouble point et ne tremble pas (1)». Et un peu plus loin: «Je m'en vais et je viens à vous (2)». Jésus-Christ habite donc au milieu de nous. Il console ceux qui souffrent, il soulage ceux qui sont dans la souffrance, il apporte secours à ceux qui sont en danger, il est l'appui des malheureux, il est le soutien des affligés. Redisons-le encore Jésus-Christ est avec nous; il est présent non-seulement à nos travaux, mais encore à nos paroles et à nos pensées. Il scrute et sonde notre caeur. Il voit ce qu'enfantent nos sens, notre main, notre langue. Combien notre vie doit être réglée, pieuse et chaste, puisque nous sommes toujours sous les yeux de Dieu! Cette doctrine, mes frères, vous est parfaitement connue. Quand des serviteurs négligents se trouvent en présence de leurs maîtres charnels, ils craignent, ils tremblent, ils frémissent; ils ne se laissent aller à aucune faute tant qu'ils ne sont pas assurés d'échapper à la surveillance. Pour vous, chrétiens, vous ne pouvez vous soustraire aux regards du Seigneur. Quelque part que vous alliez, vous y portez votre conscience. Le serviteur dont je viens de parler, s'il était jour et nuit en présence de son maître temporel, se laisserait-il aller à la désobéissance? Votre Dieu est toujours avec vous, puisqu'il est partout; quelle docilité ne devraient donc pas vous inspirer la crainte et le respect de sa présence? Dieu sera toujours là pour vous protéger dans sa miséricorde; il sera là aussi comme témoin et vengeur de chacune de nos fautes. A ce Dieu donc aussi bon que juste et aussi terrible que miséricordieux soient honneur et gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Jn 14,1 - 2. Jn 28





Augustin, Sermons 1037