Augustin, Sermons 5055

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CINQUANTE-CINQUIÈME SERMON. POUR LE JOUR DE PAQUES. I.

ANALYSE. - 1. Joies du jour de Pâques motivées par la résurrection des morts et par la nouvelle naissance de ceux qui ont reçu le baptême. Différents noms donnés à cette solennité. - 2. On l'appelle le jour du Seigneur.- 3. le jour du pain. - 4. le jour de la lumière. - 5. En le célébrant, il faut observer les règles de la tempérance.

1. Frères bien-aimés, que l'Eglise nous apparaît belle et gracieuse aujourd'hui! L'éclat de ce jour surpasse de beaucoup l'éclat de tous les autres jours de l'année, non pas, sans doute, que les rayons du soleil soient plus brillants que d'habitude, mais parce que la résurrection de l'Agneau projette sur lui une lumière inaccoutumée. Aujourd'hui, en effet, le Soleil de justice, le Christ, s'est élevé dans les cieux, après avoir annoncé la bonne nouvelle aux âmes des saints, et en faisant sortir avec lui leurs corps du sein de la terre. Pareille à une assemblée d'astres spirituels, la Jérusalem céleste a brillé d'un nouvel éclat, quand ces morts, revenus à la vie, ont pénétré dans ses murs: l'Eglise se montre non moins radieuse, car tous ceux qui sont nés à la grâce répandent sur elle une vive lumière. Les morts ressuscités ont été témoins de la résurrection du Soleil de justice, comme le sont aussi ceux qui ont reçu le baptême dans l'eau et l'Esprit-Saint. Touchons donc de la harpe avec David, chantons avec lui: «C'est ici le jour que le Seigneur a fait; réjouissons-nous en lui et tressaillons d'allégresse (1)!» Voyons de quelle nuit est sorti ce beau jour. C'est une nuit dont l'éclat imite celui du ciel; c'est une nuit où la terre, se voyant éclairée par des astres même plus nombreux que ceux du ciel, en ressent une indicible joie; c'est une nuit où se sont accomplis un heureux enfantement et une sainte régénération. En elle je remarque un double sein, parce que j'y vois un double enfantement. Jadis ses entrailles ont été bouleversées, car elle a rendu la vie aux corps de ceux qui ont ressuscité avec le Christ; aujourd'hui, elles le sont également, puisqu'elle a renouvelé les âmes en leur communiquant l'innocence. Il a été dit d'elle: «Et la nuit brillera comme le jour (2)». Serait-ce le jour que le

1. Ps 117,24 - 2. Ps 138,12

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Seigneur a fait? Les uns l'appellent le jour du Seigneur; les autres, le jour du pain; d'autres encore, le jour de la lumière: sur cette triple dénomination, embouchons la trompette et tirons-en des sons qui disent à tous notre joie.

2. C'est le jour du Seigneur, ou le jour du roi; car notre chef est sorti, ce jour-là, du tombeau. Hier, dans l'espoir de recevoir notre roi, nous nous combattions; aujourd'hui, nous le recevons, et sa venue nous remplit d'allégresse. C'est pourquoi le jour d'hier n'a pas été pour nous un vrai jour de jeûne. Aucun de vous a-t-il, à jeûner, ressenti la moindre fatigue? Mais tous se préparaient un copieux repas en attendant l'arrivée du juge, comme, dans la cité, on s'en prépare un, quand on attend celui qui doit rendre la justice. Est-ce que les différents ordres de la cité, les hommes, les chefs ne s'éloignent pas, à chaque instant davantage, de ses portes, en s'avançant à la rencontre du juge et en préparant les chants par lesquels ils salueront sa venue? Evidemment, pendant qu'ils l'attendent, ils jeûnent, et pendant qu'ils jeûnent, ils se préparent un repas. Ainsi, hier, nous attendions, en quelque sorte, notre juge, et tout en préparant notre réfection spirituelle, nous tombions de faiblesse, mais nous trouvions dans notre jeûne la source d'une grande joie. Nous avons reçu notre roi, et sa grâce répare nos forces épuisées.

3. C'est avec justesse qu'on donne encore à ce jour le nom de jour du pain, parce que nous y apprenons à connaître la résurrection spirituelle; aujourd'hui, nous est venu en réalité le pain que les nuées de la prophétie laissaient tomber sous forme de glace. David ne s'écrie-t-il pas, en effet, dans l'un de ses psaumes: «Qui envoie la glace sur la terre comme des morceaux de pain (1)?» De la bouche des Prophètes, comme du sein de saintes nuées, descendait sur des vallées couvertes de neige une glace spirituelle, et les morceaux de pain de la prophétie accomplie devaient produire dans son entier le pain précédemment symbolisé. La glace, tombée de la bouche des Prophètes, brillait d'un vif éclat, et la parole du salut, fruit de la fermentation opérée dans la glace de la prophétie, devenait, pour nous, du véritable pain. Cette glace de la prophétie a maintenant disparu:

1. Ps 147,17

nous avons goûté du pain qui nous a été préparé, et, pour avoir goûté de ce pain, nous n'avons pas vu notre nudité comme Adam avait vu la sienne; mais notre nudité a trouvé dans l'éclat de ce jour un voile sous lequel elle s'est dérobée.

4. On donne aussi, avec raison, à ce jour le nom de jour de la lumière, parce qu'avec lui ont disparu les ténèbres de l'aveuglement spirituel. On a entendu un grand cri, le cri de ceux qui, se trouvant plongés dans les ombres de la nuit, ont aperçu devant eux une vive lumière: «Le jour s'est levé sur ceux qui habitaient la région des ombres de la mort (1)». Que la terre se réjouisse! elle a vu apparaître un nouvel astre. Que les anges se réjouissent, car Dieu a fait briller la lumière aux yeux des pécheurs. Les enfers ont tremblé sur leurs bases, car des rayons insolites sont venus s'abaisser jusque sur eux, et, en présence du Seigneur Christ, tout genou a fléchi dans le ciel, sur la terre et dans les enfers (2). Aujourd'hui, toutes les créatures prennent donc part à notre allégresse. Les anges apparaissent et solennisent avec nous cette grande fête, et tandis que nous célébrons le mystère pascal, la joie règne parmi les choeurs des Anges, des Trônes, des Dominations, des Chérubins et des Séraphins. Parmi les anges, ce n'est plus le même éclat, je ne dis pas dans les vêtements, mais dans le chant des cantiques. Nous-mêmes, nous n'exécutons plus le même chant, puisque nous chantons l'alleluia: ainsi encore en est-il des anges, puisqu'ils font entendre des cantiques célestes que notre langue humaine ne saurait maintenant proférer.

5. «Que les cieux se réjouissent» donc, «et que la terre tressaille d'allégresse (3)». Tressaillons dans le Seigneur, mais avec crainte, sans perdre néanmoins notre tranquillité; car Jean, le bienheureux précurseur, a tressailli dans le sein de sa mère, mais ce précepteur de l'ange Gabriel n'a point bu de vin. Pour nous, qui sommes faibles, buvons avec mesure. Ne. dépassons pas les bornes, afin que notre joie soit modérée, qu'elle ne ressente rien de l'influence des passions charnelles, et que nous entrions dans le port du salut par un ciel serein, celui de la sobriété. Nous portons en nos mains la palme du jeûne: ne perdons point les lauriers

1. Is 9,2 - 2. Ph 2,10 - 3. Ps 115,11

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de cette fête. Daigne le Seigneur Christ nous les accorder par sa grâce; car il a triomphé en nous par ses souffrances, afin que nous pussions chanter dignement l'hymne de la victoire et nous écrier: «La mort a été absorbée dans sa victoire. O mort, où est ton aiguillon? O mort, où est ta victoire (1)?» Parce que le Christ a emmenés avec lui ceux que tu retenais captifs, chantons tous alleluia, et, en ce beau jour de fête, tournons-nous vers le Sauveur si bon, etc.

1. 1Co 15,51-55




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CINQUANTE-SIXIÈME SERMON. POUR LE JOUR DE PAQUES. II.

ANALYSE.- 1. Joie qu'inspire la fête de Pâques. - 2. Parallèle entre Judas, Pierre et le larron.

1. La résurrection du Seigneur a répandu l'allégresse dans le monde. Autant son éclat brille aux regards, autant ses bienfaits réchauffent le coeur: le vieil homme a disparu, l'homme nouveau a pris sa place: c'en est fini de la prévarication d'Adam; elle a été pardonnée, grâce au Christ. Jadis, les âmes traînaient pitoyablement, derrière elles, la chaîne de l'erreur; elles sont maintenant rachetées et vont au ciel conduites par les liens de la charité. Au milieu de ses fureurs, le diable est devenu honteux. Le Christ meurt, et, par sa mort, il délivre le monde du joug de l'erreur: il ressuscite et fait évanouir notre ennemi. Alors ont lieu des miracles et des prodiges, non pour confondre les hommes perfides, mais pour sauver ceux qui étaient perdus. Autant la synagogue juive se plaint et gémit, autant se réjouit l'Eglise chrétienne. Triomphons dans le Christ: dans sa miséricorde, il nous a donné un remède, celui de sa croix, et, par sa croix, il nous a apporté de glorieux trophées.

2. Judas a vendu son Seigneur, Pierre a renié son maître, le larron a confessé le Christ. Judas a désespéré, Pierre a chancelé, le larron a mérité le paradis. Dans la trahison de celui qui a vendu le sang du Christ, dans le reniement de Pierre et la confession du larron, nous trouvons la preuve de la salutaire mission du Rédempteur. Ce que le Seigneur Dieu vient de nous inspirer pour l'instruction de vos âmes doit suffire à votre charité.

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CINQUANTE-SEPTIÈME SERMON. POUR LE JOUR DE PAQUES. 3.

ANALYSE. - 1. En raison de la difficulté du sujet, l'orateur s'épouvante de parler de la résurrection du Christ. - 2. Par sa résurrection, le Christ nous confère le privilège de ressusciter comme lui. L'orateur le compare au phénix et au grain de froment. - 3. En ressuscitant, le Christ, lion et lionceau, nous invite à ressusciter comme lui. - 4. Elisée a préfiguré la résurrection du Christ, quand ses ossements ont rendu la vie à un mort. - 5. Dans la circonstance où il a ressuscité le fils de la Sunamite, le même Prophète symbolisait le Christ, son bâton était l'emblème de la Loi, Giési représentait Moïse. - 6. Il nous faut célébrer la fête de Pâques dans les élans d'une joie, non pas mondaine, mais toute sainte, et, surtout par le renouvellement de notre vie. - 7. Le mode usité chez les Juifs, pour la célébration de la Pâque, était l'image de la manière dont les chrétiens doivent la solenniser. - 8. En fêtant ainsi ce grand mystère, nous mériterons d'entrer dans le royaume des cieux.

1. Aujourd'hui, l'univers entier a vu se lever tout radieux le soleil de la vénérable solennité qui nous rappelle la résurrection du Sauveur; pas n'est besoin du secours de nos paroles, pour que vous en compreniez la dignité et la grandeur, car les autres fêtes ne revêtent point le même caractère: ce n'est pas seulement en un lieu ou en quelques lieux du monde, ce n'est pas dans les sentiments d'une allégresse circonscrite en certaines bornes étroites, que celle-ci doit se célébrer; je la vois s'étendre jusqu'aux limites les plus reculées; elle comprend et elle embrasse tous les pays, et la joie qu'elle inspire devient commune au ciel, à la terre et aux enfers. Elle n'a donc, comme nous l'avons dit, aucun besoin d'être recommandée par une langue humaine, puisqu'elle se recommande d'elle-même par la puissance d'en haut, dont elle est la plus haute expression. Les esprits bienheureux l'exaltent dans leurs cantiques: devant sa grandeur, l'homme n'a donc qu'à se taire. Pourtant, nous ne voulons point priver de la parole divine cette sainte multitude; sa dévotion, sa foi vive, son empressement nous font un devoir de la lui adresser: nous allons donc essayer de bégayer quelques mots au sujet de cette solennité; car si nous sommes à même de nous extasier au spectacle de sa majestueuse dignité, il nous est impossible d'en rien dire qui soit digne d'elle.

2. Le Christ est ressuscité en ce jour: que le monde entier se réjouisse! N'est-il pas juste, en effet, qu'après avoir gémi profondément de la mort de leur Créateur et fait retentir, de leurs cris de douleur tous les échos de l'univers, toutes les créatures se réjouissent de sa résurrection? Celles qui, malgré leur chagrin, avaient dît assister aux funérailles du divin Crucifié, ne devaient-elles pas également assister à la joyeuse résurrection du Christ et à son triomphal retour des enfers? La résurrection de l'humanité du Christ a détruit cette antique malédiction, cette déplorable sentence de mort, attirée par Adam sur toute sa race: «Tu es terre et tu retourneras en terre (1)». Du milieu de ses cendres est sorti vivant le corps du Phénix que des mains pieuses avaient consumé avec le bois de cinnamome: le grain de froment, qui, après les souffrances de la croix, a été jeté en terre pour y mourir et y est demeuré seul, a porté beaucoup de fruit par sa résurrection (2). Il a été seul pour mourir, mais il s'en faut de beaucoup qu'il ait été seul à ressusciter: car, en descendant aux enfers, il en a brisé les portes; il a triomphé de celui qui avait l'empire de la mort; tous les fidèles qu'il a trouvés dans les lieux souterrains, il les a ramenés en triomphe, et après avoir ainsi vidé cette ténébreuse prison, il est ressuscité avec la multitude des saints. Tous

1. Gn 3,19 - 2. Jn 12,24 et suiv.

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ceux dont les sépulcres se sont ouverts au moment de sa mort ont vu leurs corps sortir de la poussière du tombeau, à l'heure de sa résurrection. Il convenait qu'il fût le premier à revenir à la vie, et que les autres n'y revinssent qu'ensuite; car, dit l'apôtre Paul: «Jésus est ressuscité d'entre les morts, comme les prémices de ceux qui dorment (1)». Et comme ils ont ressuscité avec le Seigneur, ainsi sont-ils encore montés au ciel avec lui: c'est là notre croyance.

3. Les naturalistes prétendent que le lionceau dort pendant les trois jours qui suivent sa naissance, qu'après ces trois jours, la mère pousse un long rugissement, et qu'alors il s'éveille et se lève. Or, les divines Ecritures donnent ordinairement au Christ le nom de lionceau: c'est sous cet emblème que le patriarche Jacob l'a désigné, quand il a prophétisé à son sujet: «Juda est comme un jeune lion. Mon fils, tu t'es élancé sur ta proie, et, dans ton repos, tu dors comme le lion et comme la lionne: qui osera l'éveiller (2)?» Pareil à un lion, le Christ s'est couché à l'heure de sa passion, et il s'est endormi dans la mort: son dernier combat a été marqué au coin de la vivacité, d'une invincible constance et d'une confiance sans limites; car, s'il est mort, c'est qu'il l'a bien voulu. Les autres hommes meurent parce qu'il le faut; mais lui, il est mort, parce qu'il y a librement consenti. On l'a donc enfermé dans un sépulcre, et, pendant trois jours, il y est resté, fort et impassible comme un lion; car il était sûr d'en sortir bientôt plein de vie. Mais «qui osera l'éveiller?» Quel est le père qui, par un rugissement tout-puissant, l'a tiré du sommeil de la mort? David nous apprend, dans un psaume, quel a été ce rugissement; il apostrophe le Fils au lieu et place du Père, et lui dit: «Réveille-toi, ma gloire; réveille-toi, ô ma harpe, ô ma lyre (3)». O mon Fils, toi qui es ma gloire, réveille-toi, que ta harpe et ta lyre, c'est-à-dire le choeur de toutes les vertus, se réveillent avec toi! Et le Fils lui répond aussitôt: «Je me lèverai dès l'aurore (4)». En effet, le premier jour de la semaine, au matin, le Sauveur est ressuscité et nous a conféré, à nous qui sommes ses membres, l'espoir de ressusciter un jour à son exemple; car tous les fidèles croient, appuyés sur la vérité même, qu'ils sont les

1. 1Co 15,20- 2. Gn 49,9 - 3. Ps 57,9 - 4. Ps 57,9

membres du Christ, chef du corps de l'Eglise (1). Or, puisque nous sommes les membres du Christ et que nous sommes morts avec lui, il est évident que nous avons dû ressusciter comme lui. L'Apôtre ne dit-il pas: «Si nous sommes morts avec Jésus-Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec Jésus-Christ (2)»; et encore: «Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez les choses du ciel (3)?» Après avoir subi le dernier supplice à cause des péchés de tous, il est ressuscité pour le salut de tous.

4. La résurrection du Christ est un miracle opéré en faveur de tous les hommes, et il a pris lui-même à tâche, dès le commencement du monde, de le préfigurer sous une foule d'emblèmes et de symboles, dans les différentes circonstances de la vie des saints. Citons-en un exemple entre mille, celui d'Elisée. Le Prophète était déjà mort; son corps, renfermé dans le tombeau, a ressuscité un autre mort. «Il arriva que quelques hommes qui enterraient un mort virent des voleurs, et que, dans leur effroi, ils jetèrent le mort dans le sépulcre d'Elisée. Lorsque le corps eut touché les os d'Elisée, cet homme ressuscita et se leva sur ses pieds (4)». Elisée veut dire: Dieu mon Sauveur; or, dans cette circonstance, qui est-ce que représente Elisée? Nul autre, évidemment, que le Seigneur et Sauveur Jésus, qui, par sa mort, a conféré au genre humain le privilège de la résurrection future et lui a préparé la vie, en s'enfermant dans le sépulcre.

6. Mais puisque nous avons déjà fait une fois mention du prophète Elisée, qu'est-ce qui nous empêche de citer encore de lui un fait, bien plus mystérieux que digne d'admiration? Nous allons en parler brièvement. En l'absence d'Elisée, le fils de la femme sunamite était venir à mourir: cette mère désolée alla donc trouver le saint homme, et, par ses plaintes, elle se déchargea sur lui de toute l'amertume du chagrin que lui, avait causé cette séparation; le Prophète envoya donc son serviteur Giézi avec son bâton, en lui recommandant de placer ce bâton sur le cadavre inanimé du défunt. Mais bientôt Giézi revint annoncer à l'homme de Dieu que l'enfant ne s'était point levé; alors, Elisée vint lui-même, et quand il eut enlevé le bâton, il

1 Col 10,18 - 2. Rm 6,8 - 3 Col 3,1 - 4. 2R 13,21

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se coucha sur l'enfant, et la vie revint au coeur de celui-ci, et il se leva (1). Dans cette occasion mémorable, Elisée a-t-il préfiguré autre chose que notre Dieu Sauveur? Certainement non. Pour Giézi, il représentait Moïse a qui a été très-fidèle dans toute sa «maison (2)». Quant au bâton, n'était-il pas le symbole de la loi? Elisée envoya Giézi avec son bâton, Dieu a envoyé Moïse avec la loi: elle devait frapper de peines très-sévères ceux qui la violeraient; mais le mort ne revint pas à la vie, parce que si la loi pouvait faire connaître le péché, elle était incapable d'y porter remède et d'en guérir. Elisée vint ensuite, enleva le bâton et se coucha sur le mort, parce que la majesté divine, l'ineffable gloire du Très-Haut, c'est-à-dire le Fils de Dieu, égal à son Père, est descendu en ce monde; il a fait disparaître la servitude de la loi, il a procuré aux hommes repentants le bienfait gratuit du pardon, il a pris la forme d'esclave, il s'est rapetissé entièrement jusqu'au niveau de notre fragile nature, et, sans avoir commis aucun péché, il a subi les coups de la mort, que le péché avait amenée sur la terre. Mais, par sa mort, il a détruit la puissance de la mort, et, en ressuscitant le troisième jour, sa chair est sortie du tombeau, à jamais immortelle et incorruptible.

6. Mes frères, réjouissons-nous donc dans le Seigneur; rendons grâces au triomphateur de la mort, dans les élans d'une joie toute spirituelle, de l'allégresse de tous nos sens; car a il nous a appelés du sein des ténèbres à «son admirable lumière (3)», «et, après nous avoir arrachés à la puissance du démon, il nous a fait entrer dans le glorieux royaume de son Fils (4)». Mais cette joie qu'il nous faut ressentir ne doit avoir rien de commun avec la joie mondaine ou séculière; elle ne doit point se traduire, comme au milieu des festins, par des applaudissements qui sentent l'insanité et le libertinage, comme celle de la vile populace: «Car Jésus-Christ est notre Agneau pascal, qui a été immolé pour nous (5)». Puisque le Christ est notre Agneau pascal, et que cet Agneau est saint et divin, notre joie, en lui rendant hommage, doit donc être sainte et surnaturelle. Le même Apôtre dit ailleurs: «Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez les choses

1. 2R 4,8 et suiv. - 2. He 3,5 - 3. 1P 2,9 - 4. Ep 1,13 - 5. 1Co 5,7

du ciel, et non celles d'ici-bas (1)». Donc, «nous» aussi, «en communiquant les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels (2), purifions-nous du vieux levain (3)», c'est-à-dire «dépouillons-nous du vieil homme avec ses oeuvres et revêtons-nous de l'homme nouveau qui est créé à la ressemblance de Dieu dans une justice et une sainteté véritable (4)». Méprisons donc le monde, dédaignons les choses d'ici-bas et tout ce qui tient à la terre: portons-nous vers les biens célestes; que toute notre intention se dirige vers l'éternité et le paradis; marchons d'un pas allègre sur le chemin qui conduit de cette terre d'exil au séjour des élus, à notre bienheureuse patrie, où nous aurons les anges pour concitoyens, où nous trouverons, pour entrer en participation et en jouissance de notre félicité, tous les saints. Le mot hébreu Pâques se traduit en latin par le mot passage. Donc, mes frères, passons des vices aux vertus, des choses du temps à celles de l'éternité, des biens caducs de cette terre aux biens permanents de l'autre vie. C'est ainsi que nous mériterons de porter le nom d'hébreux et de l'être en réalité; car hébreu veut dire passage. Nous pourrons donc célébrer dignement la Pâque, si nous nous efforçons d'opérer en nous-mêmes ce passage.

7. La manière dont les Juifs devaient célébrer la Pâque se trouve parfaitement indiquée dans la loi de Moïse; et si nous voulons entendre ses prescriptions dans un sens spirituel, nous y trouverons des indications suffisantes sur le mode à suivre pour solenniser nous-mêmes convenablement la vraie Pâque. Voici, entre autres choses, ce que nous lisons dans l'Exode: «Vous le mangerez ainsi (l'Agneau pascal, évidemment): vous ceindrez vos reins, vous aurez vos chaussures à vos pieds et un bâton en vos mains; et vous mangerez à la hâte (5)». Par conséquent, celui qui veut faire dignement la Pâque doit ceindre ses reins, ou, en d'autres termes, maintenir, par le cordon de la chasteté, toutes les convoitises des passions charnelles. Qu'il ait des souliers à ses pieds, c'est-à-dire qu'il dirige les pas de ses oeuvres dans le chemin tracé devant lui par l'exemple des saints Pères; c'est ainsi qu'il surmontera tous les obstacles semés sur sa route; c'est ainsi

1 Col 3,1 - 2. 1Co 2,13 - 3. 1Co 5,7 - 4. Ep 4,22-24 - 5. Ex 12,11

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qu'il échappera, sans meurtrissure, aux épreuves dont il se verra assailli, comme un voyageur aux aspérités de sa route, et foulera aux pieds, sans crainte de se voir blessé par eux, les animaux venimeux qui cherchent à nous mordre au talon. Il tiendra. aussi en sa main un bâton, c'est-à-dire, qu'avec une sollicitude toute pastorale, il s'efforcera de veiller sur lui-même et sur tous ceux dont il est chargé. Quant à ce qui suit: «Vous le mangerez en toute hâte», il faut le remarquer avec beaucoup plus de soin; car il ne s'agit pas d'écouter les préceptes du Seigneur avec nonchalance, par manière d'acquit, et comme en passant; il faut, au contraire, les confier à notre mémoire, avec un soin extrême et les accomplir pour le mieux et avec tout l'empressement possible; car il est écrit: «Maudit soit celui qui fait négligemment l'oeuvre de Dieu (1)». Au sujet des Gentils convertis et de ceux qui cherchent très-avidement à goûter le pain du Verbe de Dieu, le Prophète dit ces paroles: «Ils ouvriront la bouche, comme le pauvre qui mange en secret (2)».

8. Dès lors que nous célébrerons ainsi la pâque, notre Sauveur et Rédempteur se fera lui-même un vrai plaisir de prendre part à nos joies; il daignera, pour notre plus grand bien, accorder à notre corps, c'est-à-dire à nous, son corps trois fois saint. Puisque nous sommes ici pour célébrer cette grande solennité de Pâques, prenons toutes les précautions précédemment indiquées: c'est par là que nous éviterons le malheur d'être privés des joies et des plaisirs du ciel. A quoi bon

1. Jr 11,8-12 - 2. Ha 3,14

assister aux solennités de la terre, si, ce qu'à Dieu ne plaise, il nous arrivait d'être exclus des fêtes célébrées par les anges? Tous les jours que nous fêtons ici-bas sont comme une image des réjouissances du ciel; ils sont l'avant-goût du bonheur que les anges éprouvent dans l'éternité, non pas au retour annuel de certaines époques, mais continuellement, parce qu'ils sont établis pour toujours dans la condition d'un bonheur sans fin. Nous célébrons donc ici-bas la fête de Pâques et toutes les autres solennités, afin de tenir notre esprit en éveil et d'élever dès maintenant ses pensées vers les ineffables joies de la patrie éternelle: là, nous goûterons un bonheur plein et parfait, un bonheur que rien rie viendra troubler, parce qu'on n'y éprouve ni la crainte qui épouvante l'âme, ni les inquiétudes qui rongent le coeur; le repos y est parfait, la sécurité y est entière, on y surabonde de délices. Là, nous dirons: Je vois notre Roi assis à la droite de la majesté de son Père. Alors nous pourrons avec confiance nous approcher du trône glorieux de Celui en la personne de qui nous verrons notre chair, désormais immortelle et déifiée, commander en maître aux vertus et aux puissances soumises à ses ordres. Car c'est Dieu lui-même, c'est le Fils de Dieu, c'est «Jésus-Christ homme, médiateur de Dieu et des hommes (1)», «qui est mort à cause de nos péchés, et qui est ressuscité pour notre justification (2)». A lui avec le Père, dans l'unité de l'Esprit-Saint, appartiennent la louange et la bénédiction pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. 1Tm 2,5 - 2. Rm 4,25

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CINQUANTE-HUITIÈME SERMON. POUR LE JOUR DE PAQUES. IV.

ANALYSE. - 1. Après la tristesse vient la joie. - 2. Les nouveaux baptisés doivent conserver intact le trésor qu'ils ont reçu.

1. Réjouissons-nous, mes bien-aimés, et tressaillons d'allégresse dans le Seigneur. Aujourd'hui, il a fait briller à nos yeux la lumière du salut, selon cette parole que le Psalmiste ajoute aux précédentes: «Le Seigneur est le Dieu fort; sa lumière s'est levée sur nous (1)». Il dit ensuite: «Solennisez ce jour en vous réunissant jusqu'à l'angle de l'autel (2)». Je le vois, cet oracle trouvé aujourd'hui son accomplissement dans l'Eglise de Dieu. Toutes les parties en sont remplies, jusqu'aux angles de l'autel, de la religieuse multitude qui se presse dans son enceinte: cette plénitude de la sainte Eglise est l'accomplissement de ces paroles de l'Ecriture. Ce jour, mes très-chers frères, est le jour de la résurrection et de la vie. En rendant plus vifs les heureux tressaillements de notre foi, la sainte Quarantaine a donné pour nous plus de charmes à ce jour; car à une époque que le souvenir de nos fautes avait imprégnée de tristesse a succédé l'époque du pardon; notre patiente pénitence se trouve donc immédiatement suivie de sa récompense, selon qu'il est écrit: «Ceux qui sèment dans les larmes récolteront dans la joie (3)». O vous tous qui avez semé dans les larmes, recueillez, comme votre récompense, les plaisirs de l'allégresse. Que chacun le sache; plus abondante a été la semaille des larmes, plus abondante est aujourd'hui la moisson des joies. Dans le présent se rencontre donc pour nous une image des béatitudes à venir. De même, en effet, qu'aujourd'hui les adoucissements du pardon succèdent

1. Ps 117,26 - 2. Ps 117,27- 3. Ps 125,5

aux rigueurs de la pénitence; de même, dans le ciel, le repos succédera au travail et à la peine.

2. C'est pourquoi je m'adresse à vous surtout, mes bien-aimés, qui avez puisé une nouvelle vie dans le sacrement de la régénération, et qui portez, à cause de cela, la robe blanche; je vous en supplie avec toute l'Eglise, conservez pur et sans tache le trésor de grâces que vous avez reçu: montrez, dans toute votre conduite, l'innocence que symbolise la blancheur de vos vêtements: que vos coeurs soient aussi purs que vos habits sont nets de toute souillure. Vous l'avez entendu, l'Evangile vous l'a dit aujourd'hui. Tous ceux qui croient en Dieu sont ses enfants. «Car il a donné le droit de devenir enfants de Dieu à tous ceux qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu même (1)». Vous non plus, vous n'êtes pas nés d'un commerce charnel; car vous avez été engendrés de Dieu le Père. Il ne vous reste donc qu'une chose à faire: c'est, pour ne pas déchoir de votre céleste origine, de mener une vie sainte, une conduite parfaite. Voilà le conseil que vous donne l'Apôtre: «Comme des enfants nouvellement nés, désirez ardemment le lait spirituel et pur qui vous fasse croître pour le salut (2)». «Et que la paix de Dieu, qui surpasse tout sentiment, garde vos coeurs et vos corps (3)», par Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent l'honneur et la gloire pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Jn 1,12 - 2. 1P 2,2 - 3. Ph 4,7




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CINQUANTE-NEUVIÈME SERMON. POUR LE JOUR DE PAQUES. IV.

ANALYSE. - 1. En apparaissant à ses disciples, le Christ affermit leur foi. - 2. Triple profession d'amour faite par Pierre. - 3. pour réparer son triple reniement.

1. Comme vient de nous l'apprendre le texte de la leçon de l'Evangile, qu'on nous a récitée tout à l'heure, c'est en cet endroit que Jésus-Christ est apparu pour la troisième fois à ses disciples, depuis le moment de sa résurrection. Pendant qu'il mangeait avec eux, il dit à Pierre: «Simon, fils de Jean, m'aimes-tu? Celui-ci répondit: Seigneur, vous savez que je vous aime (1)». La présence assidue de Notre-Seigneur Jésus-Christ au milieu de ses Apôtres, après sa résurrection, eut pour résultat d'affermir plus solidement leur foi en sa personne. Connaissant parfaitement l'infirmité humaine, et pour y porter remède, il a voulu se montrer souvent à eux, et c'est ainsi qu'il leur a ôté jusqu'à l'ombre du doute au sujet de sa résurrection. A voir à chaque instant le Sauveur devant eux, ils ont acquis, en effet, la pleine certitude de la vérité, et bien qu'une seule apparition de sa part ait dû être plus que suffisante pour asseoir leur foi, néanmoins le Sauveur s'est fréquemment montré aux yeux de ses Apôtres, afin de leur donner une preuve plus irrécusable de sa résurrection. Ce n'est pas une fois, et à la hâte, qu'il leur a accordé la faveur de le contempler; il les a, à vrai dire, rassasiés du spectacle de sa présence: quand il mangeait avec eux, ce n'était pas, non plus, qu'il eût besoin de prendre des aliments, (car son corps ressuscité éprouvait-il la moindre nécessité?) Non, il ne se proposait autre chose que de leur prouver clairement qu'il était ressuscité d'entre les morts en prenant de la nourriture, comme les hommes en prennent pour l'entretien de leur vie. Nous lisons, à ce sujet,

1. Jn 21,17

dans les Actes des Apôtres: «Pendant quarante jours, après sa résurrection d'entre les morts, ils ont mangé avec lui: nous en sommes témoins (1)». Comme conséquence de la constante et continuelle présence du Sauveur parmi ses disciples, après sa résurrection, la foi en lui s'est consolidée et l'incrédulité n'a plus eu de raison d'être.

2. Mais une circonstance qu'il ne faut, pour rien au monde, négliger, c'est que Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans tout ce passage de l'Evangile, a affecté de dire: «Simon, fils de Jean, m'aimes-tu (2)?» Il a réitéré trois fois cette question. Pourquoi donc a-t-il voulu sonder jusqu'à trois fois les sentiments de Pierre? C'est qu'il a voulu obtenir de lui une triple réponse. Ici, Jésus interroge l'Apôtre, comme s'il ne connaissait point les secrètes pensées de l'homme. Le Sauveur avait dit autrefois: «Pourquoi pensez-vous le mal dans vos coeurs (3)?» En, un autre endroit, il a été dit de lui: «Jésus voyant les pensées de leurs coeurs (4)». Alors, pour quel motif demande-t-il à Pierre s'il l'aime, puisqu'il est de l'essence de Dieu de savoir d'avance toutes choses? Il est écrit que «Dieu sait ce qu'il y a dans l'homme (5)». Le Seigneur dit encore ailleurs: «Je scrute les reins et les coeurs (6)». Dans quel but, par conséquent, demander à Pierre s'il éprouve de l'affection pour Dieu? Il était certainement impossible que, avec la preuve de la résurrection du Sauveur, Pierre ne le reconnût point pour un Dieu, lui qui l'avait, avant sa mort, reconnu pour le Christ et le Fils de Dieu. Ne lui avait-il pas dit, en

1. Ac 10,39-41 - 2. Jn 21,17 - 3. Mt 9,4 - 4. Lc 9,47 - 5. 1R 8,39 - 6. Ps 7,10

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effet: «Vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant (1)?» N'avait-il pas d'ailleurs donné à Jésus des preuves évidentes de son affection? C'est précisément pour cela qu'il lui avait promis de le suivre jusqu'à la mort. Ici donc le Christ veut s'assurer de l'amitié dont son apôtre lui a déjà fourni des témoignages en grand nombre. Ce n'est pas sans raison que Jésus fait ses trois questions sur l'amour de Pierre à son égard; ce n'est pas, non plus, sans cause que Pierre y répond par une. triple protestation d'amour. Ce n'est ni pour savoir, ni parce qu'il ne sait pas, que le Sauveur réitère ainsi ses questions; car rien n'est caché pour la sagesse divine, puisqu'elle a dit: «Avant de te former, je t'ai connu (2)». L'Apôtre a lui-même écrit: «Ceux qu'il a connus dans sa prescience, il les a prédestinés; ceux qu'il a prédestinés, il les a appelés, et ceux qu'il a appelés, il les a justifiés (3)». C'est donc chose étonnante qu'il ait voulu avoir de Pierre une protestation verbale d'amour,

1. Mt 16,16 - 2. Jr 1,8 - 3. Rm 8,29-30

quand il savait parfaitement que penser de ses sentiments intérieurs.

3. Il est sûr que le Christ n'a pas adressé cette triple question à son Apôtre pour la satisfaction de son amour-propre. Mais comme Pierre avait répondu à une première demande de Jésus par un triple reniement et s'était ainsi lié par un triple noeud, il était juste qu'après sa résurrection le Christ l'interrogeât trois fois et que Pierre proclamât par une triple confession ce qu'il avait nié trois fois au moment de la Passion. Il était juste qu'après d'être lié par une triple perfidie, il se déliât par un pareil nombre de professions d'amour. Le Sauveur avait dit: «Celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai devant mon Père, qui est dans les cieux (1)». Il a donc voulu que l'apôtre Pierre se corrigeât en confessant son divin nom, afin de pouvoir lui-même le confesser devant son Père et en présence de ses anges

1. Mt 10,22





Augustin, Sermons 5055