Augustin, Sermons 4005

4005

CINQUIEME SERMON. POUR LA NAISSANCE DE JEAN-BAPTISTE.

ANALYSE. - 1. Jn voix du Seigneur dans le désert. - 2. Voix qui prêche vigoureusement la préparation des sentiers de Dieu. - 3. Condamné au mutisme en raison de son incrédulité, Zacharie recouvre l'usage de la parole à la naissance de la voix. - 4. Mystère de la synagogue et de l'Église.

1. «Voix du Seigneur pleine de force, voix du Seigneur pleine de gloire (1)». La voix du Seigneur, qui brise les cèdres de la sagesse humaine, s'est échappée des entrailles rétrécies d'une vieille femme, d'un sein brûlé par le mal de la stérilité: elle a retenti aujourd'hui dans le désert, pour vibrer avec force jusque dans les âges les plus reculés; aussi, le monde atteint de surdité, et la terre gangrenée par la corruption, ont-ils entendu ses sons harmonieux;

1. Ps 28,4

aussi se sont-ils laissés éveiller par ses échos puissants. Cette voix n'est autre que Jean, dont le Prophète a dit par avance: «C'est la voix de celui qui crie dans le désert (1)». Oh! quel immense désert que ce monde! Pour ceux qui le parcourent, quelle solitude partout semée de dangers effrayants! En effet, la terre des Hébreux, nul patriarche, aucun Prophète ne la foulait plus aux pieds. Le Juif, tout prêt à faire le mal, se tenait en

1. Is 40,3

532

observation dans des gorges étroites, sur des chemins ensanglantés, où il avait maintes fois surpris les voyageurs qui marchaient à la recherche de la vérité. N'ayant jamais eu ni le Christ pour roi, ni le Verbe pour habitant, le monde des Gentils se trouvait en entier rempli de bois stériles et de pierres rocailleuses, car autres n'étaient pas ses dieux. Une forêt de vices l'enveloppait de toutes parts; ses crimes, toujours et partout croissants, formaient autour de lui comme une ceinture de rochers; couverte des aspérités et des épines de la corruption, la terre faisait mal à voir; jamais la faux de la loi n'y avait passé; jamais la charrue du céleste agriculteur n'y avait tracé de droits sillons; aucune main laborieuse n'y avait jeté la semence de la grâce de Jésus Sauveur, et d'elle on pouvait dire ce qu'avait dit autrefois le Psalmiste: «C'est une terre déserte, sans chemins et sans eaux (1)». Avant le Christ, il n'y avait en effet, parmi les Gentils, ni sources ni voies; car les hommes y étaient en proie à la fausseté, à l'erreur; ils s'y voyaient sans cesse confondus au milieu d'une foule d'opinions toujours incertaines, toujours changeantes; nulle pluie bienfaisante ne venait éteindre, par ses ondées, l'ardent brasier des crimes publics.

2. Une voix, piquante comme un buisson d'épines, retentit donc en ce désert habité par les Juifs et les Gentils: le héraut du Juge qui allait paraître se présenta, annonçant le Sauveur à l'exemple duquel il devait lui-même mourir, et exhortant les hommes à suivre désormais une règle de vie plus sévère et plus pure. «Préparez la voie du Seigneur», dit-il, «rendez droits ses sentiers: toutes les vallées seront remplies, toutes les montagnes et toutes les collines seront abaissées (2)». C'est-à-dire: tout homme humble sera exalté, et tout orgueilleux sera brisé; car «quiconque s'élève sera humilié, et quiconque s'humilie sera exalté (3)». «Et les sentiers tortueux seront redressés, et les chemins montueux seront aplanis (4)». En d'autres termes: Tout ce qu'il peut y avoir d'anfractueux et de glissant dans les erreurs semées par le cauteleux serpent, tout ce qu'une nature couverte d'aspérités peut cacher sous sa dure et inégale enveloppe, se verra parfaitement nivelé dans la surface unie d'une voie où l'on ne rencontrera

1. Ps 62,3 - 2. Lc 3,4-5 - 3. Lc 14,11 - 4. Lc 3,5

ni pierres ni détours, et d'un sentier où le pied du voyageur se posera sans crainte. «Préparez la voie du Seigneur, rendez droits ses sentiers (1)». Déjà Marie avait conçu du Saint-Esprit; déjà la Vierge avait grossi, sans avoir néanmoins connu le contact de l'homme, sans que sa pureté eût subi la moindre atteinte; déjà le char des évangélistes, conduit par tout le monde, suivait la route du siècle qui tombait sous le poids du Dieu dont il était rempli, et ce char faisait entendre les louanges du Christ. La voix précédait le juge, la trompette annonçait le roi, pour attirer le monde, pour fixer l'attention du genre humain tout entier et ouvrir, par ses sons terrifiants et ses graves modulations, les oreilles assourdies des hommes.

3. Comme prêtre, Zacharie se tenait donc près de l'autel: comme père, il refusa de croire à la parole de l'ange qui lui. annonçait le héraut du Christ, et aussitôt il fut condamné à se taire. La voix naturelle apprit à connaître le silence, et la vieille langue des Juifs ne se fit plus entendre. Après avoir offert son sacrifice, le prêtre Zacharie revint frappé de mutisme, parce que le véritable Prêtre allait bientôt venir au monde. Chez lui, l'organe de la parole s'endormit dans son lit; la voix se dessécha, coupée qu'elle était dans sa racine, et, paralysée dans ses inutiles efforts, elle expira: de sa bouche ouverte ne s'échappait aucun son, car la parole, se trouvant interceptée à son passage et retenue dans le noir cachot de sa source, prête à s'épancher, s'éteignait avant de naître. La voix naquit avant le Verbe. Aussi la Judée perdit-elle la parole des pères, et la force de faire entendre une voix nouvelle devint-elle l'apanage du fils, puisque Jean devait se mettre au service du Christ. Pour le père incrédule, qui n'avait point voulu ajouter foi aux prédictions venues d'en haut par l'intermédiaire de Gabriel, sa voix s'était trouvée emprisonnée dans la vaste profondeur de son gosier, et retenue captive dans la ténébreuse solitude de ses entrailles; mais dès que la mère du Précurseur eut brisé les liens de la nature, dénoué les inextricables noeuds qui tenaient son sein fermé, donné la vie à la voix, Zacharie recouvra la parole. Au moment où cette femme âgée et stérile mettait au monde d'une manière toute nouvelle, la langue du père se

1. Lc 3,4

533

déliait. O l'admirable changement des choses et de la nature! Un reste de chaleur ranime des entrailles que l'âge avait déjà privées de la vie: ici une langue se dessèche, là, une voix est engendrée. A peine cette voix engendrée vient-elle au monde, que se brisent les liens qui retenaient la langue captive.

4. Revenons à notre mystère. Dans les premiers temps, l'Eglise était donc stérile, puisque c'est d'elle qu'il est écrit: «Réjouis-toi, stérile qui n'enfantes pas. Chante des cantiques de louanges, jette des cris de joie, toi qui n'avais pas d'enfants: l'épouse abandonnée est devenue plus féconde que celle qui a un époux (1)». Remplie du don divin, elle a enfanté l'Esprit du salut, car il est dit dans nos saints Livres: «Parce que nous

1. Is 54,1

avons craint, nous avons conçu et enfanté l'Esprit du salut (1)». Alors, la langue qui avait engendré se tut, c'est-à-dire, le langage prophétique de la synagogue cessa de se faire entendre. C'est pourquoi le Juif, que l'incrédulité avait rendu muet, a donné naissance à une voix qui conduit au Verbe; ainsi peut reconnaître, dans son fruit, la vraie foi, celui qui s'est refusé à reconnaître la promesse, à lui faite, du Dieu Sauveur. Qu'à partir de là les jours deviennent plus courts et les nuits plus grandes. Que Dieu s'humilie en s'incarnant, et que, du haut de sa croix, il reçoive dans ses bras les Juifs aveugles. Il est nécessaire que le jour reparaisse et s'épanouisse de nouveau à la lumière, et que la nuit vaincue reste plongée dans ses ténèbres.

1. Is 26,18




4006

SIXIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE: 3.

ANALYSE. - 1. Pourquoi ne célèbre-t-on pas la naissance des Patriarches et des Prophètes? - 2. Jn que les chrétiens honorent, est la fin de l'ancienne loi et le commencement de la loi nouvelle. - 3. Le peuple des Gentils est un désert où les saints ont fleuri, pareils à des lis. - 4. L'Eglise a commencé par la parole de Dieu placée dans la bouche de Jean, le prédicateur de la pénitence. - 5. Exhortation pour faire embrasser la pratique de la pénitence.

1. L'Eglise du Christ entoure d'une sainte vénération la mémoire des Patriarches, des Prophètes, et, en général, de tous les saints qui ont vécu sous l'ancienne loi: il convient donc, mes bien-aimés, que vous sachiez pourquoi le peuple chrétien ne célèbre que la fête d'un seul prophète, de Jean-Baptiste. En effet, n'est-il pas évident que beaucoup de prophètes ont souffert et subi le dernier supplice pour la gloire du nom de Dieu? Le Sauveur lui-même, parlant par l'organe d'Etienne, n'a-t-il pas adressé aux Juifs ce sanglant reproche: «Où est le prophète que n'ont point persécuté vos pères (1)?» Nous l'avouons

1. Ac 7,52

donc: du temps de l'ancienne loi, les saints de Dieu ont aussi enduré la persécution et le martyre; pourquoi, alors, l'Eglise du Christ ne solennise-t-elle pas le jour où sont nés des hommes dont elle reconnaît et admire les suprêmes souffrances? En voici le motif, mes très-chers frères: les peuples persécuteurs n'ont pas voulu vouer au culte et au souvenir de la postérité les jours où ils ont torturé et fait mourir les Prophètes, parce qu'ils craignaient de perpétuer, parmi les personnes religieuses, le mépris et l'horreur de leur propre crime, en même temps que le respect pour la courageuse conduite des saints: en oblitérant les jours illustrés par les martyrs; (534) ils ont donc empêché la mémoire de la nativité des saints de durer` toujours, afin que celle de leurs propres méfaits ne se conservât pas éternellement. Néanmoins, la précaution qu'ils ont prise est devenue inutile. A quoi leur sert, en effet, que nous ignorions le jour où les saints personnages ont souffert, puisque nous les reconnaissons pour des martyrs? Ils n'ont, par conséquent, réussi à rien. Impossible à nous de savoir quel jour sont nés les saints qui ont souffert pour Jésus-Christ; mais, tous les jours, ne rendons-nous pas hommage aux Prophètes qui ont versé leur sang pour défendre la cause de Dieu? Ainsi le léger dommage causé à leur mémoire se trouve-t-il largement compensé, puisque, au lieu d'un jour dérobé à leur souvenir par l'oubli, on leur consacre tous les jours par les honneurs qu'on leur rend.

2. Les choses étant ainsi, pourquoi les fidèles n'ont-ils pas subi l'effet de la haine ou de la négligence des Juifs, à l'égard de saint Jean? Pourquoi ne se souviennent-ils que de la nativité de lui seul? Le voici. Au moment du martyre et de la mort du bienheureux Jean, le peuple chrétien était déjà formé, et si l'impiété des Juifs a négligé la culte de ce témoin du Sauveur, la piété des chrétiens l'a consacré. En effet, bien que le Christ l'ait envoyé sous l'empire de l'ancienne loi, il l'a fait connaître plutôt comme sort propre témoin que comme un prophète des Juifs; la raison en est facile à saisir: c'est que, en prêchant la foi chrétienne, il a vraiment confessé celui qu'il avait précédé en qualité de précurseur. C'est que, en commençant de prime abord à faire connaître la doctrine évangélique, il a, en réalité, souffert le martyre pour la cause de celui dont il avait annoncé la venue. Nos livres saints font, à juste titre, courir le temps de la loi et des Prophètes jusqu'à celui de Jean-Baptiste; car en lui s'est terminé le règne de l'ancienne loi, comme en lui a commencé le règne de la prédication nouvelle. Voulez-vous saisir plus parfaitement encore ma pensée? Eh bien! remarquez-le.: l'Evangéliste, dont on vous a lu tout à l'heure les écrits, fait partir son récit de l'époque où le bienheureux saint Jean a commencé à prêcher. Quel motif singulièrement plausible pour faire aller jusqu'à Jean le règne de la loi? C'est à bon droit qu'on le reconnaît comme ayant mis fin à la loi ancienne, puisqu'il a établi, le premier, le règne de l'Evangile. Et non-seulement cela, car qu'est-ce qu'ajoute l'Evangéliste? «Jean était dans le désert, baptisant et prêchant (1)».

3. Ce que, au rapport de l'Ecriture, saint Jean a prêché dans le désert, vous le savez tous parfaitement, bien-aimés frères. Par désert, par lieu caché, on entend le peuple Gentil, qui, on ne saurait le révoquer en doute, était encore à cette époque plongé dans la solitude, marchant loin de Dieu en de fausses voies, et vivant à l a manière des brutes et des animaux sauvages. Jean y fut donc envoyé pour prêcher le Verbe de Dieu et annoncer la foi du Christ; aussi abandonna-t-il les villes des Juifs, selon cette parole de l'Ecriture: «Le désert se réjouira et fleurira comme un lis (2)». Comme nous l'avons dit, mes chers frères, le désert est l'emblème des Gentils, et les lis, celui des hommes saints et agréables au Très-Haut. Voilà pourquoi le Prophète a dit: «Le désert se réjouira et fleurira comme un lis». Cette comparaison, faite par l'Ecriture, des saints avec les lis, est très juste, puisque leur persévérance dans le bien leur en donne la blancheur et la suavité. Les saints n'ont-ils pas, en effet, mes bien-aimés, la blancheur la plus éclatante? Ne répandent-ils pas autour d'eux un parfum d'agréable odeur? La vivacité de leur éclat vient de leur pureté, et l'odeur qu'ils répandent a pour principe leur suavité; car l'Apôtre l'a dit: «Nous sommes devant Dieu la bonne odeur de Jésus-Christ (3)». Plantés par la main des Prophètes et des Apôtres dans le désert, c'est-à-dire dans l'Eglise, unis ensemble par les liens de la paix et d'une charité mutuelle, les lis ont servi à tresser au Christ une couronne toute blanche, suivant ce passage où l'Apôtre dit aux saints qu'ils sont sa couronne: «Mes frères, ma joie et ma couronne, maintenez-vous fermes dans le Seigneur (4)».

4. «Jean fut donc prêchant dans le désert». Oui, et c'est ce que dit, en d'autres termes, un autre Evangéliste: «La parole du Seigneur se fit entendre sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert (5)». Pour nous faire toucher du doigt le berceau de l'Eglise naissante, et bien qu'il eût dit que Jean prêchait près du Jourdain, l'Ecrivain sacré nous a fait connaître avec

1. Mc 1,4 - 2. Is 35,1 - 3. 2Co 2,15 - 4. Ph 4,1 - 5. Lc 3,2

535

raison que le Verbe divin était venu inspirer le prédicateur: de là, il nous est facile de conclure que l'Eglise a eu pour fondateur, non pas tant un homme, que la Divinité même: «La parole du Seigneur se fit entendre sur Jean». Si, alors, Jean a prêché, la source de sa prédication n'a été autre que le Verbe: c'est la preuve que l'Eglise a eu pour fondement le Verbe divin et la foi chrétienne. «Jean fut donc prêchant le baptême de la pénitence». Ici, mes bien-aimés, se montre plus clairement et d'une manière plus parfaite l'emblème de l'Eglise. «Jean prêchait le baptême de la pénitence, et il baptisait ceux qui confessaient leurs péchés». Tout ceci, très-chers frères, se passait visiblement parmi les Juifs, et semblait n'avoir lieu que pour eux: néanmoins, ce n'était que la figure de ce qui devait s'accomplir réellement dans l'Eglise. Quels sont, en effet, les vrais pénitents? Ce sont les seuls enfants de l'Eglise, les chrétiens qui se sont éloignés de la voie de l'erreur. A ton avis, la pénitence a-t-elle été profitable pour les Juifs? Mais non; car, loin de se repentir de leurs fautes passées, ils en comblent encore chaque jour la mesure. De bonne foi, font-ils pénitence de leurs péchés, les hommes qui persécutent aujourd'hui le Christ? Donc «il baptisait ceux qui confessaient leurs péchés». Alors le peuple juif recevait le baptême, mais alors aussi se purifiait le terrain de l'Eglise.

5. Il est donc facile de le voir, mes bien-aimés: tout ceci s'applique exclusivement aux chrétiens et aux saints qui confessent leurs péchés au moment où ils reçoivent le baptême, et qui, après l'avoir reçu, mettent tous leurs soins à se corriger: aux hommes qui travaillent à faire pénitence, et dont toute l'existence est une continuelle confession, parce que, se purifiant sans cesse, ils se plongent tous les jours dans le bain du baptême. Agissez de même, je vous y exhorte et vous en conjure: c'est comme votre chef que je vous prie de le faire, c'est dans le sentiment d'une affection toute paternelle que je voudrais vous y décider.




4007

SEPTIÈME SERMON. POUR LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE. IV.

ANALYSE. - 1. Superstitions en usage à la nativité de saint Jean-Baptiste. - 2. La conception du Christ et celle de Jean ont lieu au temps de l'équinoxe, et leur naissance à l'époque du solstice. - 3. Invitation aux païens de recevoir le baptême. - 4. Et aux chrétiens de célébrer l'anniversaire de leur régénération.

1. Jusqu'ici, des erreurs d'une antiquité suspecte ont cru devoir singer la religion venue de Dieu, établir des usages presque pareils aux siens, la déshonorer d'une manière raisonnée, j'ajouterai même, protéger la vérité à l'aide de mensonges qui en ont l'apparence. En effet, comme la nuit succède au jour, et qu'à son tour le jour, empiétant sur la nuit, la chasse et la fait disparaître entièrement; ainsi l'erreur, pareille aux profondes ténèbres qui accompagnent les astres de la nuit, prend la place de la vérité dont l'éclat s'est peu à peu affaibli, pour envelopper l'esprit humain de ses ombres épaisses. Mais quand le flambeau de la raison a repris le dessus, la vérité chasse l'erreur devant elle. Ainsi en est-il ici, et surtout au jour anniversaire de la naissance de Jean-Baptiste; ce jour se trouve, en effet, souillé par la pratique de telles erreurs, une crédulité si (536) païenne et si ridicule le déshonore, que l'eau des étangs et des fleuves eux-mêmes a besoin d'être purifiée par l'eau toute pure du saint baptême. O renommée, quel appoint tu as apporté à la foi! Tu as couru, comme une inconnue, dans le monde, et tu as fait connaître aux nations le jour où saint Jean-Baptiste a reçu la vie, et tu l'as fait célébrer par ceux-là mêmes qui n'étaient pas encore chrétiens! Que te dirai-je, ô renommée? Je n'en sais rien; car tu forces l'apparence de la vérité à rendre témoignage à la vérité même. De fait, au point du jour, quand le soleil ne s'est pas encore montré à l'Orient, nous voyons les jeunes gens revenir de la fontaine après s'être baignés; nous voyons des mères superstitieuses, la tête voilée et les bras tendus, rapporter leurs enfants plongés dans l'eau. Catéchumènes, est-ce ainsi que vous profanez ce qui est saint! Chrétiens fidèles, est-ce ainsi que vous tombez dans l'erreur! Passe pour les païens, car ils ne sont pas instruits; mais vous, chrétiens, vous qui connaissez parfaitement votre devoir, je ne puis vous pardonner. Les païens contrefont ce qu'ils ne savent pas; mais vous, vous profanez l'objet de votre culte. Voici ce que dit l'Apôtre Paul: «Lorsque les Gentils, qui n'ont point de loi, font naturellement les choses que la loi commande, n'ayant point de loi, ils sont à eux-mêmes la loi, et ils font voir que ce que la loi ordonne est écrit dans leur coeur, par le témoignage que leur rend leur propre conscience (1)». Quant au peuple chrétien, il le reprend ainsi de ses erreurs: «Toi qui as en horreur les idoles, tu fais des sacrifices; toi qui te glorifies d'avoir la loi, tu déshonores Dieu par la violation de la loi; car vous êtes cause que le nom de Dieu est blasphémé parmi les Gentils (2)».

2. Mais afin de mieux vous instruire sur la naissance, en ce jour, de Jean-Baptiste, il me faut vous dire un mot sur le partage et la durée des saisons. Tous les ans, il y a deux solstices, séparés, à égale distance l'un de l'autre, par deux équinoxes: l'un de ces deux solstices a lieu aujourd'hui, l'autre au huit des calendes de janvier; quant aux équinoxes, la première tombe le huit des calendes d'octobre, et la seconde le huit des calendes d'avril; l'année se trouvant ainsi divisée en quatre parties égales, nous disons que Jean et Notre-Seigneur Jésus-Christ ont été conçus,

1. Rm 2,14-15 - 2. Rm 2,22-24

l'un au moment d'une équinoxe, l'autre à l'époque de la seconde. En effet, puisque Jean est né à pareil jour, il doit avoir été conçu le huit des calendes d'octobre; pour le Christ, Fils de Dieu, et afin que sa naissance eût lieu régulièrement au huit des calendes de janvier, sa conception s'est faite le huit des calendes d'avril, par l'union du Verbe avec la nature humaine. Le temps de leur naissance s'est ainsi trouvé d'accord avec tes mérites de chacun d'eux, car Jean est venu au monde à l'époque où les jours commencent à décroître, et le Christ, Fils de Dieu, au moment où ils commencent à devenir plus grands: d'accord, en cela, avec les paroles du précurseur: «Il faut qu'il croisse, et moi que je diminue (1)». C'est avec raison que Jean a comparé le Christ au jour, car David l'avait déjà désigné sous cet emblème en écrivant l'un de ses psaumes «C'est ici le jour que le Seigneur a fait; réjouissons-nous en lui et tressaillons d'allégresse (2)». Le jour dont le saint roi fait ici mention n'est autre que le Christ, qui est né et qui, après avoir été mis à mort, est sorti vivant de son tombeau.

3. Sages vulgaires, écoutez ceci: Si vous avez une autre manière de vous rendre compte de saisons, acceptez, du moins, la manière dont nous rendons compte de notre foi. Aujourd'hui, nous célébrons la naissance de Jean-Baptiste, et vous, vous vous extasiez de voir le soleil arrêté dans sa course par les lois de l'équilibre; que si, au contraire, aucune manière de calculer les époques ne s'accorde avec votre raison, si aucune religion ne cadre avec vos sentiments religieux, eh bien! écoutez-moi encore, vous qui, au moment de l'aurore, plongez vos corps dans l'eau des rivières, pour les purifier. N'agissez point ainsi pour aboutir à l'inutilité; ne singez pas ce que vous ignorez; mais, si vous avez tant soit peu de confiance en ces sortes de bains, demandez à l'Eglise qu'elle répande sur vous son eau sainte, renoncez à vos erreurs, embrassez la vérité.

4. Pour vous, chrétiens, considérez ce jour comme l'anniversaire, non-seulement de la naissance de Jean-Baptiste, mais aussi de l'origine du baptême; car si Jean est né à pareil jour, il a aussi baptisé le Christ: puisqu'il a donné le baptême, il était donc bien grand, mais plus grand encore était celui qui

1. Jn 3,30 - 2. Ps 117,24

l'a reçu. Enfin, remarquez bien l'humilité de celui qui le donnait, afin de pouvoir reconnaître la vérité de celui qui le recevait; car voici ce que Jean disait: «Celui qui vient après moi est au-dessus de moi, et je ne suis pas digne de délier les courroies de sa chaussure. Moi, je vous baptise dans l'eau, mais lui vous baptisera dans l'Esprit-Saint (1)». Après que le Christ fut venu auprès de Jean, celui-ci parla ainsi: «Voici l'Agneau de Dieu, qui efface les péchés du monde. C'est lui dont je disais: Après moi, vient un homme qui est au-dessus de moi, car il est plus ancien que moi (2)». Et quand Jésus fut arrivé près du Jourdain, où Jean devait le baptiser, celui-ci s'écria: «C'est moi qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi! Et Jésus lui répondit: Fais maintenant ce que je te

1. Lc 3,16- 2. Jn 1,29-30

537

dis, car il nous faut accomplir toute justice (1)». Alors Jean fit descendre Jésus dans l'eau, «et aussitôt qu'il fut baptisé, Jésus sortit de l'eau, et les cieux lui furent ouverts, et il vit l'Esprit de Dieu descendant comme une colombe et venant sur lui, et tout à coup une voix vint du ciel: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toutes mes complaisances (2)». Ce jour est donc l'anniversaire de la naissance de Jean, qui a donné le saint baptême, et, à coup sûr, il est juste que tous les chrétiens honorent un pareil jour. Tenez ferme, mes frères, à cet article de nos croyances, et, pour ne jamais douter en quoi que ce soit, restez soumis à la foi chrétienne. Que le Dieu unique en trois personnes, qui vit et règne dans les siècles des siècles, daigne vous en faire la grâce! Ainsi soit-il.

1. Mt 3,14-15 - 2. Mt 3,16-17




4008

HUITIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS APOTRES PIERRE ET PAUL. I.

ANALYSE. - 1. Foi de Pierre. - 2. Pierre et Paul, le premier et le dernier des Apôtres, sont couronnés le même jour. - 3. Leurs corps sont à Rome, mais leur nom se rencontre partout.

1. Mes frères bien-aimés, écoutons le pêcheur devenu prince des Apôtres: par la réponse que sa foi lui a dictée, il a mérité de devenir le portier du royaume des cieux; il a reçu le pouvoir de lier et de délier, parce qu'en dépit des apparences il a reconnu en Jésus la grandeur divine. En tant qu'homme, le Seigneur Christ interroge ses disciples; il leur demande quelle opinion le vulgaire a de lui: «Que dit-on du Fils de l'homme? Pour qui le prend-on? (1)» Enflammé par l'Esprit de Dieu, Pierre répond, non pas suivant ce qu'on lui demandait, mais d'accord avec l'inspiration qu'il avait reçue d'en haut: «Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant (2).

1. Mt 16,13 - 2. Mt 16,16

«Tu es bien heureux, Simon, fils de Jona, «parce que ce n'est ni la chair ni le sang qui te l'ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux (1)». A moins d'avoir reçu de Dieu une révélation spéciale, le sens de l'homme est incapable de rien voir dans le mystère de l'Incarnation, la sagesse charnelle ne peut rien comprendre à cette incompréhensible vérité. Mes frères, voilà qu'un humble et pauvre Apôtre a sondé l'abîme impénétrable des richesses de l'Eternel; il en a sondé les incommensurables profondeurs en confessant le nom du Christ, et, pour cela, il n'a pas discuté, il s'est contenté de croire. En effet, il a toujours cru, jamais il n'a engagé

1. Mt 16,17

538

la moindre discussion, et sa foi lui a obtenu une grâce tellement privilégiée, qu'il a marché même sur les eaux pour suivre son Sauveur. Aurait-il jamais pu fouler à ses pieds l'élément liquide, s'il avait traîné derrière lui sa raison humaine? Aurait-il pu appuyer solidement ses pieds sur les ondes fugitives de la mer, s'il n'avait pas cru à la parole du Seigneur? Au lieu de discuter, il a cru; c'est pourquoi lui ont été révélés les impénétrables secrets de Dieu. Le Seigneur a dévoilé aux yeux de ses disciples les ineffables mystères de la foi; c'est pourquoi il leur a fait sentir l'odorante suavité de sa connaissance. Il s'est fait connaître à des pêcheurs, afin qu'ils pussent prendre l'univers entier dans les filets de l'Evangile. Et voilà que les pêcheurs prêchent partout la sagesse, tandis que des grammairiens et des orateurs, devenus disciples de l'erreur, se font les prédicateurs de la sottise. Mes frères, cherchons Dieu dans la simplicité de notre coeur, et croyons à son avènement comme s'il devait avoir lieu d'un moment à l'autre; par là, nous nous corrigerons de nos vices, nous laisserons de côté les vaines espérances de ce monde, et nous mériterons de parvenir à la couronne de la destinée céleste.

2. Nous célébrons donc la naissance du premier et du dernier des saints Apôtres. Vous avez, j'en suis sûr, compris ce que je viens de dire; mais parce que vous l'avez compris, est-ce pour nous un motif de nous taire? S vous faites en ce jour votre devoir, avons-nous le droit de demeurer inoccupés? Vous avez fait une profession solennelle, nous devons donc vous adresser un discours quelconque, afin que nous acquittions tous, publiquement, notre dette de dévotion. Pierre est donc le premier des Apôtres, et Paul en est le dernier. Le Dieu qui les a sanctifiés tous deux en les appelant, les a, de même, couronnés après leur martyre; car il est le premier et le dernier (1). Il est le premier, puisque rien n'existait avant lui, et comme rien n'existera après lui, il est le dernier; personne avant lui, personne après lui, car il n'a ni commencement ni fin: voilà pourquoi celui qui, en raison de sa perpétuelle éternité, s'est déclaré le premier et le dernier, a couronné également et le premier et le dernier

1. Ap 21,16

de ses Apôtres. Leur vie respire la charité, et leur mort imprime à cette solennité le sceau de la consécration. Un même jour a vu leur couronnement, dans une même cité retentissent leurs louanges. Sur la terre, leurs corps ne se trouvent point séparés, et leurs mérites sont égaux dans le ciel. Au cours de leur vie, pendant les jours de leur vie mortelle, leur parole a fondé l'Eglise; ils en ont arrosé les racines avec leur sang, en mourant pour le Christ, et maintenant qu'ils prient pour nous dans le ciel, ils viennent à notre aide par leurs mérites. Ils se sont rencontrés à point le même jour pour évangéliser ensemble la même ville, et partager aussi ensemble le sort que leur avait préparé une charité mutuelle. Evidemment, nous gardons à cet égard les données de la tradition. Le bienheureux Pierre a souffert le premier d'après l'ordre de sa vocation, il devait marcher le premier même pour mourir; ensuite devait venir le bienheureux Paul; c'était le dernier des Apôtres, mais aussi c'était le docteur des nations. Paul était donc petit on eût dit la frange du vêtement du Sauveur, mais frange qu'il suffisait de toucher pour être guéri.

3. Ils choisirent tous deux, pour résidence, la ville de Rome, la capitale du nom romain; Pierre, pour y exercer la primauté apostolique; Paul, pour y remplir l'office de docteur des nations: ils n'y établirent que leurs corps; pour leurs mérites, ils les répandirent de toutes parts, comme nous l'avons chanté tout à l'heure: «L'éclat de leur voix s'est a répandu dans tout l'univers (1)». Partout où ils n'ont point corporellement pénétré pendant leur vie, ils y sont allés après leur mort par leurs lettres; de ces écrits nous viennent tous les jours leurs paroles, et ces paroles instruisent les chrétiens et réfutent les ennemis de leur foi. Il a été impossible à tous les pays de la terre de jouir de leur présence, mais, à cause de cela précisément, nous possédons leurs discours. On devait nécessairement ne trouver leurs corps qu'en un seul endroit, mais partout leur puissance s'exerce au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Dieu, qui vit et règne avec le Père, dans l'unité du Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit il.

1. Ps 18,3




4009

NEUVIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS APOTRES PIERRE ET PAUL. II

ANALYSE. - 1. Egaux en mérites, Pierre et Paul ont souffert le martyre le même jour, mais non la même année. - 2. Puissance et grandeur admirables de Pierre. - 3. Conversion et mérites de Paul. - 4. Conclusion.

1. Le puissant et le faible, le plus grand et le plus petit, le chef et le dernier, Pierre et Paul, ont, par l'égalité de leurs mérites, partagé le même sort et l'honneur de l'apostolat; en prêchant l'Evangile; ils ont engendré le peuple chrétien, ils sont devenus les pasteurs du troupeau du Seigneur, et d'accord dans leur foi et leur prédication, semblables l'un à l'autre par la vertu, ils ont cueilli dans le champ de la mort les- palmes du triomphe. Je n'en veux d'autre preuve que celle-ci c'est qu'ayant souffert persécution en des années différentes (1), ils se trouvent néanmoins réunis pour recevoir les honneurs d'un même jour de fête. En effet, le même jour qui a conduit l'un à la couronne éternelle, a conduit l'autre au combat, afin de lui procurer là victoire; ainsi, après s'être tous deux couronnés de gloire, ils se sont dédié un jour commun, celui où ils ont vaincu le monde et marché sur les traces de Jésus-Christ, leur roi.

2. Admirable puissance, grâce ineffable du Sauveur! Aurait-on jamais pu croire que le persécuteur Saul deviendrait un martyr? Aurait-on jamais supposé qu'un homme sorti des rangs de la populace, un pêcheur, deviendrait le chef du collège apostolique, qu'il résisterait aux rois, sanctifierait les princes, gouvernerait tous les empires, guérirait le monde par ses lois, foulerait aux pieds les démons, dominerait les vertus, ouvrirait le ciel aux hommes quand il le voudrait, le leur fermerait quand il lui semblerait bon, accorderait aux convertis le royaume éternel, le refuserait aux méchants, jugerait des mérites du monde et pardonnerait À ses semblables leurs fautes et leurs crimes? O puissance

1. On croit généralement qu'ils ont souffert la même année.

sans prix et sans bornes! Un homme placé sur la terre, tenir le ciel entre ses mains! Voilà que maintenant s'ouvrent, à un signe de Pierre, les portes du royaume de Dieu! Il a, en effet, reçu du Christ les clefs du royaume des cieux, afin de l'ouvrir aux croyants, après avoir brisé les chaînes de leurs péchés. Quels mystérieux remèdes nous sont offerts, et comme ils sont à notre portée! Le monde a tout près de lui le royaume de Dieu, s'il veut avoir recours à Pierre; pas n'est besoin de machines pour monter vers les nues; la foi seule suffit à nous élever si haut; inutile à ceux qui prient de fournir une longue course pour se faire entendre de Dieu, parce que le Christ est devenu la voie des croyants. Pour tenir sa place sur la terre et porter les clefs du royaume des cieux, il a établi l'apôtre Pierre, afin que personne ne se crût incapable d'y parvenir.

3. Paul a été renversé à terre par une voix d'en haut, quand il s'élançait avec fureur contre la bergerie, et quand, pareil à un loup enragé, il poursuivait le nom de l'innocent agneau, qu'il ne pouvait supporter; il cherchait à tourmenter et à disperser le troupeau, et à ce moment-là même, il a été frappé; puis, comme il se relevait, il a été aveuglé et ensuite éclairé par le Dieu qui «relève ceux ic qui tombent et éclaire les aveugles (1)». De loup qu'il était, il est tout à coup devenu un agneau, de persécuteur un apôtre, de brigand un prisonnier. Il a commencé à prêcher le Christ, auquel il résistait précédemment, à souffrir pour celui qu'il combattait jadis, à être frappé de verges, cruellement lapidé, exposé aux bêtes, jeté dans les flammes,

1 Ps. CXLIV, 14.

540

chargé de chaînes, emprisonné, et, enfin mis à mort pour celui à cause de qui il faisait autrefois mourir les autres; au moment où il cherchait à diminuer le nombre des chrétiens, il est venu lui-même se placer dans les rangs des confesseurs; à l'heure même où il pénétrait dans l'étable d'un tranquille troupeau pour y porter le ravage, il est subitement devenu une brebis.

4. La bassesse de son origine et la grandeur de ses crimes peut-elle être maintenant, pour n'importe quel homme, un sujet de désespoir? Ne voit-il pas devant lui une source si pure de grâces célestes, que, pour s'y être plongé, un pêcheur est devenu supérieur aux monarques, et qu'un persécuteur est devenu égal aux Apôtres? Tout en cherchant un soulagement à sa misère, tout en demandant chaque jour à la mer de quoi se sustenter, Pierre a trouvé un trésor de richesses dans Jésus-Christ, puisqu'en ce monde les rois et les nations lui obéissent. Quant à Paul, tandis qu'il poursuivait à la pointe de l'épée les membres de l'assemblée des Saints, il s'est soumis à porter le joug de la foi, il est devenu le docteur des nations, le modèle des martyrs, la terreur des démons, un pardonneur de crimes et une source de vertus. Pierre et Paul ont donc mérité ici-bas la palme du triomphe, et, dans le ciel, la couronne de la gloire.





Augustin, Sermons 4005