Augustin, Sermons 4023

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VINGT-TROISIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS INNOCENTS. II.

ANALYSE. - 1. Conduit par l'envie du démon, Hérode fait mourir les innocents. - 2. Contre qui s'exercent les vengeances divines. - 3. Les appréhensions et la condition d'Hérode.

1. Très-chers frères, le Saint-Esprit a dit, par l'organe de Salomon: «Par l'envie de Satan, la mort est entrée dans l'univers (1)». Il est sûr, mes bien-aimés, que, depuis le commencement, le diable enseigne la jalousie et l'envie; d'où il suit évidemment que tout homme envieux et jaloux est son disciple.

1. Sg 2,24

Autre conséquence encore: il y en a beau. coup pour jalouser et envier le sort d'autrui, parce qu'il y en a beaucoup pour imiter le diable. N'est-il pas dit, en effet, dans l'Ecriture: «Ceux qui l'imitent sont sa part (1)». L'homme spirituel et saint, voilà la part du Dieu d'Israël; car do, lui il est dit aussi: «La

1. Sg 2,24-25

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part du Dieu d'Israël est son héritage (1)». Dans cet héritage, comme nous en avons déjà fait la remarque, l'ennemi de l'homme, son adversaire jaloux, n'a aucune part; aussi a-t-il fait asseoir un gentil sur le trône royal; en d'autres termes, il y avait placé le tyran Hérode, né au sein de la gentilité, pour exterminer le peuple de Dieu, pour torturer une multitude d'enfants innocents et répandre le sang de nouveau-nés qui n'étaient coupables d'aucune faute. Nous venons d'entendre le Saint-Esprit adjurant Dieu le Père de le punir, en ce passage prophétique: «Vengez le sang de vos serviteurs qui a été répandu (2)». «Que les cris des captifs montent jusqu'à vous (3)». Oui, il est monté et il demeurera en la présence de Dieu jusqu'au jour du Seigneur, c'est-à-dire qu'au jour du jugement il en sera tiré vengeance.

2. Votre charité n'ignore point, sans doute, que Jean a écrit ces paroles dans l'Apocalypse: «Je vis, sous l'autel, les âmes de ceux qui a ont donné leur vie pour la parole de Dieu et pour rendre témoignage à Jésus; et tous jetaient un grand cri, disant: Jusques à quand différerez-vous de juger et de venger notre sang sur ceux qui habitent la terre (4)?» Vengez notre sang, car nous ne sommes nullement séparés de votre charité, comme il est écrit dans la leçon présente: «Qui nous séparera de l'amour du Christ? La tribulation, les angoisses, la faim (5)?» Vengez le sang d'innocents arrachés au sein de leur mère et toujours unis à vous par les liens de l'amour. Vengez les souffrances, les enfantements, les cris, les douleurs, les pleurs, les larmes, les

1. Dt 32,9 - 2. Ap 6,10 - 3. Ps 78,11 - 4 Ap 6,9-10 - 5. Rm 8,35

gémissements désespérés de tant de mères qui n'ont pas rencontré un seul consolateur, suivant cette parole de l'Evangile: «On entendit, dans Rama, une voix et des pleurs, et de grands gémissements: Rachel pleurant ses enfants, et elle ne voulut pas être consolée parce qu'ils ne sont plus (1)». Et, en réalité, parce qu'ils n'ont point appartenu à ce monde, car, par leur naissance et leur âge, ils ont été les compagnons du Christ. C'est ce que dit l'Evangéliste: «Hérode envoya tuer tous les enfants qui étaient dans le pays d'alentour, depuis l'âge de deux ans et au-dessous, selon le temps indiqué par les Mages (2)». Qu'est-ce que les Mages lui avaient appris? Que le Christ, le vrai roi d'Israël, était né selon la chair.

3. A cette nouvelle, Hérode se considéra comme exposé à un grand danger; il savait, en effet, qu'il n'avait pas le droit de régner sur le peuple de Dieu. Car n'était-il pas une sorte de fugitif et un étranger au milieu de la nation juive? A ce titre, il ne pouvait demeurer dans les rangs de ce peuple saint; c'était, pour lui, chose d'autant plus facile à comprendre, qu'un autre roi venait de naître, un roi envoyé de Dieu le Père et non pas choisi par la nation; un roi doit être tel par droit de naissance, et non par droit d'élection, suivant cette parole du Sauveur: «Je suis né et je suis venu dans le monde pour cela (3)»: Réjouissons-nous et tressaillons d'allégresse de ce qu'il est né, et, par lui, rendons-en grâces à Dieu le Père, à qui appartiennent l'honneur et la gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Mt 2,18 - 2. Mt 2,16 - 3. Jn 18,37

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VINGT-QUATRIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DES SAINTS CÔME ET DAMIEN.

ANALYSE. - 1. Bienfaits de Dieu accordés par l'intermédiaire des martyrs. - 2. Joignons-nous, par conséquent, aux martyrs, pour éviter les peines de d'enfer. - 3. Il faut invoquer les martyrs.

1. Célébrons ce jour consacré à la mémoire des bienheureux frères Côme et Damien, et, pour cela, livrons-nous aux pratiques de la dévotion tranquille des fidèles, au lieu d'observer les rites profanes du paganisme: citoyens d'un autre pays, ils sont, en ce jour, devenus nos patrons; car celui qui a d'abord envoyé les Apôtres vivants dans la chair, nous envoie maintenant ceux-ci vivants dans l'esprit. Après avoir illustré, pendant leur vie, des contrées étrangères, ils ont honoré les nôtres de leur visite après leur mort; mais, évidemment, si les morts ne vivaient plus, nos patrons ne nous auraient pas visités après être sortis de ce monde. Leurs restes mortels sont donc cachés à nos yeux, mais leurs bienfaits s'étalent à nos regards; car nous étions atteints d'une maladie très-dangereuse, et Dieu nous les a envoyés comme médecins, afin de nous préserver des attaques du démon et de nous délivrer de celles de la maladie. Lorsque, après sa résurrection, le Sauveur envoya ses disciples dans le monde, en vertu de sa puissance divine, il leur recommanda, avant tout, de guérir les malades, de ressusciter les morts, de chasser les démons, de rendre la vue aux aveugles en son nom'. Toujours sensible à nos infirmités, prenant toujours, et suivant les limites du possible, soin de ses frères, il a choisi, après son ascension, des hommes qui, par leur science médicale et terrestre, nous communiqueraient les dons de Dieu. Sa puissance souveraine agit de la sorte, car sa parole ineffable nous a appris qu'il est venu en ce monde pour sauver les faibles et les étrangers. Voici comme il s'exprime: «Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades (2). Je suis venu appeler à

1. Mt 10,8 - 2. Mt 9,12

la pénitence, non pas les justes, mais les pécheurs (1)». Remarquons cependant pourquoi le Seigneur a accordé aux saints un pareil privilège. C'est parce qu'ils ont aimé la paix et qu'ils sont parvenus à jouir du Dieu de paix, dont l'Apôtre a dit: «Il est notre paix, celui qui des deux peuples n'en a fait qu'un (2)».

2. Ce n'est donc point pour eux-mêmes que les bienheureux Côme et Damien ont vécu et sont morts. Par leur vie exemplaire, ils nous ont laissé un modèle de bonne conduite, et, parleur mort courageuse, ils nous ont montré comment nous devons souffrir. Si Dieu a permis qu'on les connût dans les différentes parties de l'univers, c'était afin que leurs prières nous aidassent à guérir de nos diverses maladies; pareils à des témoins irrécusables, ils doivent ainsi, par une sorte de présence et par l'attrait de la guérison, nous conduire à la foi; par là encore, l'humaine fragilité, qui a tant de mal de croire à l'Evangile, parce qu'il date déjà de loin, voit de ses propres yeux les merveilles opérées par ces saints personnages; en conséquence, elle accepte le témoignage d'hommes qui prient maintenant au lieu d'exercer l'art de la médecine, et viennent au secours des malades par leur foi et non plus par leur science. S'ils guérissaient autrefois, c'était, en effet, non pas de leur propre puissance, mais de celle du Dieu qui sauve le monde, et, puisqu'ils continuent à nous venir en aide, c'est qu'ils empruntent leur pouvoir au Sauveur du monde. Nous devons honorer très dévotement tous les saints,, mais comme nous possédons les précieuses reliques de ceux-ci, ils ont un droit tout particulier à notre vénération. Tous les autres nous aident de leurs prières; ceux-ci

1. Mt 9,13 - 2. Ep 2,14

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ajoutent à leurs supplications l'appoint de leur présence, et nous entretenons ainsi avec eux des rapports en quelque sorte familiers. Ils sont, en effet, continuellement avec nous; ils y demeurent toujours; en d'autres termes, ils nous guérissent pendant le cours de notre vie mortelle, et, à l'heure de notre mort, ils nous reçoivent dans leurs bras. Ici-bas, ils détournent de nous la lèpre du péché et les maladies, et, dans l'autre monde, ils nous empêchent de tomber dans les noirs abîmes de l'enfer. Aussi les anciens nous ont-ils appris à donner à nos corps une place auprès des reliques des saints: l'enfer a peur d'eux, et ses supplices ne seront par conséquent point pour nous; le Christ les éclaire, et, par là, sa lumière écartera de nous les ténèbres épaisses de ce lieu d'horreur. Dès lors que nous reposons à côté des saints martyrs, nous échappons aux ténèbres de l'enfer, non par suite de nos propres mérites, mais à cause de la sainteté de nos compagnons de sépulture. Le Sauveur a dit à Pierre: «Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle (1)». Si les portes de l'enfer ne peuvent prévaloir contre l'apôtre et martyr Pierre, quiconque se joint aux martyrs ne peut donc être le prisonnier de l'enfer. Les portes de l'enfer ne retiennent point captifs les martyrs, parce qu'ils sont entrés dans le royaume des cieux; ne les voyons-nous pas, en effet, déjà régner? Nous en sommes témoins; il arrive souvent qu'ils délivrent des hommes possédés de sales démons par l'effet de la médecine céleste qu'ils leur ont donnée,

1. Mt 16,18

les âmes captives s'échappent des chaînes du démon, et le diable se trouve, à son tour, chargé de chaînes de feu. Ah! puisse le captif briser tous les liens qui le privent de la liberté! Alors, celui qui en avait d'abord fait sa victime deviendra victime à son tour. Sans compter de bien autres merveilles opérées par les saints, voilà ce qu'ont fait et ce que font ces élus de Dieu, aucun de vous n'en ignore. Ils ont autrefois employé le fer à retrancher du corps humain les parties gâtées, aujourd'hui ils prient pour délivrer les âmes de leurs chaînes. Ils ont jadis appliqué des remèdes faits de main d'homme, et maintenant ils étalent à nos regards le spectacle de cette sainteté que le Christ leur a donnée. Ils ont distribué aux autres des bienfaits du temps, aussi jouiront-ils de ceux de l'éternité; parce que leur corps a guéri celui du prochain, leur âme, à son tour, a obtenu sa propre guérison. Ils ont consolé les faibles et sont eux-mêmes devenus forts; on les a crus sans forces, et ils sont devenus puissants; ils ont cessé d'être médecins, et le trésor de la foi leur est seul resté.

3. Donc, bien-aimés frères, vénérons dans cette vie les bienheureux Côme et Damien, afin de pouvoir les compter parmi nos intercesseurs dans le ciel; et puisqu'un mouvement d'amour nous réunit pour célébrer la mémoire de leur naissance, qu'une même foi nous unisse à eux. Rien ne sera capable de nous en séparer, si nous nous y joignons par le sentiment de la religion et corporellement puissent leurs mérites nous obtenir du Seigneur notre Dieu cette faveur! Ainsi soit-il.




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VINGT-CINQUIÈME SERMON. SUR LA TRINITÉ.

ANALYSE. - Procession du Saint-Esprit; génération du Fils et non du Père.

Le Saint-Esprit, c'est le don de Dieu: il procède également du Père et du Fils; il est comme le trait d'union qui les joint l'un à l'autre d'une manière ineffable. Peut-être son nom lui a-t-il été donné, parce qu'il convient aussi au Père et au Fils; son nom désigne ce (565) qu'il est à proprement parler, et ce qu'on peut attribuer aux deux autres personnes. Ainsi, on dit avec justesse que le Père est esprit, et le Fils pareillement, que le Père est saint, et aussi le Fils; mais on ne dit pas que le Père a été envoyé, par la raison qu'il ne s'est pas incarné. Le nom d'envoyé s'applique d'une manière plus exacte à la personne qui s'est faite homme. La forme humaine, dont le Fils s'est revêtu, appartient à la personne de celui-ci, et non à celle du Père. C'est pourquoi on a dit que le Père invisible, agissant de concert avec son Fils invisible, l'a envoyé en le rendant visible. Le Fils a pris la forme d'esclave, sans que la forme de Dieu subît en lui le moindre changement. Celui qui est apparu aux regards des hommes sous la forme humaine a été fait par la sainte et invisible Trinité. Par conséquent, selon cette nature divine en vertu de laquelle le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu'un, nous ne croyons pas que le Père ou le Saint-Esprit soit né; la foi catholique ne le croit et ne l'enseigne que du Fils. Bien que, selon la nature divine, le Père ne soit né d'aucun autre Dieu, s'il était cependant né de la Vierge selon la chair, il n'aurait point seul la propriété de n'être pas né lui-même, mais d'avoir engendré un Fils unique; le Fils n'aurait pas non plus la propriété exclusive de n'avoir point engendré, mais d'être né de l'essence du Père; le Saint-Esprit serait aussi dépourvu de celle de n'être pas né et de n'avoir point engendré, mais de procéder du Père et du Fils. En effet, si le Père était né de la Vierge, il ne serait avec le Fils qu'une seule et même personne; et parce que cette seule et même personne serait née, non pas de Dieu, mais de la Vierge, on ne pourrait l'appeler avec exactitude que Fils de l'homme, au lieu de pouvoir lui donner le titre de Fils de Dieu.





TROISIÈME SUPPLÉMENT (3) SERMONS 27-36, TRAITE SUR NOTRE PERE





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VINGT-SIXIÈME SERMON. EXPOSITION DE FOI.

ANALYSE. - 1. Le Fils est un seul Dieu avec le Père. - 2. Divinité du Saint-Esprit. - 3. Ces trois personnes ne son qu'un seul Dieu.

1. La foi en la substance unique de la Trinité, c'est-à-dire du Père, du Fils et du Saint-Esprit, est d'avant tous les temps: elle dépasse tous nos sens; les paroles ne peuvent l'expliquer; nul esprit ne saurait la comprendre. Une seule puissance, un seul Dieu, et trois noms. Le Verbe naît de la Vierge Marie; il se revêt d'un corps matériel, mais il reste la pensée sublime de Dieu. Cette parole divine ne s'est pas assimilée à la chair, mais elle s'y est enfermée, elle lui est demeurée supérieure: c'était la parole impassible du Très-Haut, et, néanmoins, elle a souffert et subi les coups de la mort, pour communiquer la vie à sa créature, que sa désobéissance avait précipitée dans l'abîme.

O homme! chercherais-tu à comprendre la Divinité? Te blâmerais-je pour cela? Si tu crois, tu fais bien; mais si tu dis: Comment Dieu est-il Père? tu tombes dans les ténèbres. Si tu dis: Comment Dieu est-il Fils? la lumière t'abandonne encore; car: «Nul ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, et nul ne connaît le Fils, si ce n'est le Père (1)». Supposer trois puissances, c'est confesser trois Dieux; pour nous, nous croyons trois personnes, mais une seule puissance, une seule divinité. En nommant le Père, tu glorifies le Fils, et en prononçant le nom du Fils, tu adores le Père. Si, de la Trinité nous ne faisons qu'une seule personne, nous

1. Mt 11,27

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judaïsons, parce que les Juifs ne reconnaissent qu'une seule personne et confessent un seul Dieu. A reconnaître trois Dieux-, nous ressemblerions aux Gentils. Mais il n'en est pas ainsi; nous confessons que le Père est dans le Fils, et que le Fils est dans le Père, avec le Saint-Esprit;'nous ne divisons ni ne partageons la nature divine, Dieu de Dieu, puissance de puissance, lumière de lumière, vérité de vérité. Pour le constater, pas de témoins: ni le ciel, ni la terre, ni la mer, ni la lumière, ni les ténèbres, ni les anges, ni les chérubins, ni les séraphins; car: «Au commencement le Fils était dans le Père (1)». Personne ne connaît celui qui ne peut naître, si ce n'est celui qui est né, parce qu'il sait de qui il est né; de même celui-là seul, qui a engendré, connaît celui qui peut naître; aussi le Père connaît-il le Fils, puisqu'il l'a engendré. L'engendré est pareil à son auteur; c'est le conseil et la sagesse du Père; c'est, avec lui, une seule puissance, une même divinité. Tu cherches à comprendre la génération du Fils de Dieu? Depuis peu il a pris une origine particulière dans le sein de la Vierge Marie; mais, quant à sa génération divine, on ne peut dire que ceci: «Dès le commencement il est dans le Père». Je confesse un seul Dieu innascible, et je reconnais un seul Dieu né. Je proclame que le Père tout-puissant est sans commencement et sans fin, qu'il contient toute chose et n'est contenu en rien, qu'il gouverne tout et n'est gouverné par quoi que ce soit, qui voit tout et n'est vu de personne. J'avoue aussi que Jésus-Christ, Fils de Dieu, possède toute la sagesse et la puissance de Dieu, son Père. Autant le Père a de puissance, «autant en possède» le Fils. L'engendre n'est pas moindre que celui qui ne peut naître; il n'a été ni fait ni créé.

2. Si je disais que l'Esprit est né, je déclarerais que le même Père a deux Fils, au lieu de dire qu'il a un Fils unique et qu'un seul Fils a été engendré par un seul Père. Il n'y a qu'un seul Père, et il a fait toutes choses, comme il n'y a qu'un seul Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites. Si je dis que le Fils n'est pas né, je reconnais dès lors que le Père Tout. Puissant n'est pas seul innascible, et je confesse deux Tout-Puissants; et si, d'un autre côté, j'avoue qu'il a été fait, je parle à la manière des Gentils, car ils adorent les oeuvres de

1. Jn 1,2

l'homme et n'adorent pas le Créateur du ciel et de la terre. Comment donc m'exprimer à son égard? Dirai-je que c'est un fantôme? Que Dieu m'en garde, car le Christ ne pardonnera jamais le blasphème. Supposez que deux morceaux de bois, liés ensemble, soient jetés dans une fournaise ardente, un seul jet de flammes s'échappe de tous les deux à la fois; ainsi, du Père et du Fils procède l'Esprit-Saint, et il possède, comme eux, la puissance et la divinité.

3. Le bienheureux apôtre Paul a parfaitement défini notre croyance: «Un Dieu», dit-il, «médiateur entre Dieu et les hommes (1)». Ce n'est pas en tant que Dieu de Dieu, qu'il est devenu médiateur; car il n'y a qu'un seul Dieu même jusque dans la Trinité: mais la vertu du Père s'étant incarnée dans le sein de la Vierge Marie, et revêtue du vieil homme qui était tombé par sa désobéissance, elle est devenue la médiatrice de l'humanité. Comme l'attestent les Evangiles, lorsque le Sauveur eut conduit ses Apôtres sur le Thabor, il leur manifesta la puissance de sa divinité, et voilà qu'une nuée lumineuse le couvrit (2). Cette nuée indiquait que la Vertu du Père se trouvait en lui. Il en est dont la doctrine est insensée; comment expliquent-ils trois personnes en une seule substance? Par trois personnes, ils en. tendent trois puissances. Pour nous, nous disons qu'il y a trois personnes en une seule et même puissance, trois noms et un seul Dieu, trois paroles exprimant le même sens, c'est-à-dire, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Ceux-là partagent et divisent encore la puissance et la divinité de la Trinité sainte; c'est, disent-ils, comme un empereur, un préfet et un comte. Non, et loin de vous enseigner une pareille doctrine ou cette exposition de foi, je l'anathématise; car il est écrit dans nos livres sacrés: «Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles par la création de ce monde (3)». Pour faire un empereur de la terre, il faut trois choses, mais la puissance impériale est une. Si l'empereur ôte son diadème de dessus sa tête, il est un César, mais n'est plus un empereur dans toute l'acception du mot; voilà pourquoi ceux qui blasphèment le Saint-Esprit ne sont pas chrétiens. Si l'empereur se dépouille de la pourpre, ce n'est plus qu'un homme: ainsi font les Juifs, en n'adorant qu'une seule personne.

1. 1Tm 2,5- 2. Mt 17,5 - 3. Rm 1,10

567

Quant à nous, nous comparons le Maître du ciel à l'empereur de la terre: celui-ci est un homme dans la pourpre, et la pourpre se trouve en lui; mais la couronne placée sur sa tête, entraîne de droit pour lui la faculté de porter la pourpre, et signifie qu'en lui la puissance impériale est une. Ainsi en est-il de la Trinité: le Père est dans le Fils, et le Fils est dans le Père; pour le Saint-Esprit, il est le trait d'union entre l'un et l'autre: c'est la puissance et l'unité de la Trinité.




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VINGT-SEPTIÈME SERMON. SUR LE JUGEMENT DERNIER.

ANALYSE. - 1. Les bons récompensés. - 2. Les méchants condamnés. - 3. Conclusion.

1. «Quand le Fils de l'homme viendra dans sa majesté, il s'assoiera sur le trône de sa gloire, et toutes les nations seront assemblées devant lui, et il séparera les uns d'avec les autres, comme le berger sépare les brebis a d'avec les boucs, et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Alors, il dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, ô bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde (1)»; où se trouve la lumière inextinguible, où l'on goûte éternellement le bonheur, où l'on puise la vie sans fin de l'immortalité, où l'on partage à toujours la joie des anges et des Apôtres, où habite la lumière de la lumière et la source de la lumière, où l'on voit la cité des saints, la Jérusalem céleste, où les martyrs et les patriarches sont réunis avec Abraham, Isaac, Jacob et tous les élus, où les joies ne sont point suivies de douleur et de tristesse, où l'on ne verra ni les ombres de la nuit, ni la caducité de la vieillesse, où chacun éprouvera un insatiable amour et une paix particulière, où l'on aura pour témoins les esprits bienheureux et toutes les puissances, où Dieu nous donnera la manne, c'est-à-dire, des aliments célestes, et nous rendra participants de la vie des anges, où, enfin, car je voudrais tout dire d'un seul mot, l'on ne ressentira ni mal, ni douleur, et où nous jouirons de tous les biens. A ces paroles du

1. Mt 25,31-34

Sauveur, les justes demanderont: Seigneur, pourquoi nous avez-vous préparé une si grande gloire, une gloire si parfaite? Et le Christ leur dira: Voici pourquoi: Vous avez eu la miséricorde et la foi, la charité et la patience, la longanimité, la douceur et la justice, la continence et l'humilité; vous vous êtes montrés hospitaliers, affables et joyeux pour les pèlerins et les étrangers, amis de la justice et de la vertu; les maux du prochain vous ont attristés, comme son bonheur vous a réjouis; vous avez ressenti de la joie à voir ceux à qui n'échappait pas même une parole inutile; la crainte de Dieu vous a saisis à la vue de ceux mêmes qui ne transgressent point leurs obligations et n'oublient ni un iota, ni un point de la loi du Seigneur; vous n'avez reçu aucun présent pour opprimer les innocents et dire le mensonge au lieu de la vérité; de votre coeur et de votre corps vous avez retranché le vice, vous avez considéré comme rien ce bas monde; vous avez renoncé non-seulement au diable et à ses oeuvres, au monde et à ses pompes, mais encore à vous-mêmes, et vous avez pris sur vous la croix de Jésus-Christ, pour le suivre fidèlement. - Seigneur, reprendront les justes, quand avez-vous remarqué en nous tout ce bien? Quand avons-nous fait aux autres ce qu'il vous appartient de leur faire? Et il leur dira: «En vérité, je vous le dis: ce que vous avez fait pour l'un des moindres de mes frères, vous (568) l'avez fait pour moi (1)», et en ma présence. Et ce que vous avez fait en secret, je vous le rendrai en public.

2. Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa gauche: «Allez, maudits, au feu éternel, que mon Père a préparé pour le diable et pour ses anges (2)», «où il y aura des pleurs et des grincements de dents (3)», où l'on n'a des yeux que pour pleurer, où l'on désire la mort sans la recevoir, «où lever qui ronge ne meurt point, et le feu qui brûle ne s'éteint jamais (4)»; où rien ne se prépare que des supplices, où nul maître n'est obéi de son serviteur, où le vieillard n'est pas respecté, où les jeunes gens manquent d'emploi, où il n'y a ni joie ni allégresse pour succéder au chagrin, où le trava il ne se trouve point remplacé par les honneurs ou le repos; là, des ténèbres éternelles et des tourments horribles, l'ardeur de la soif et une terre d'oubli, la violence des flammes et la douleur causée par les vers; on n'y voit rien que des supplices, on n'y entend rien que des gémissements; on n'y éprouve aucune consolation, on n'y rencontre que l'enfer et les abîmes de la géhenne, dont le Prophète a dit: «Dans l'enfer, qui est-ce qui chantera vos louanges (5)?» c'est-à-dire personne. En ce lieu d'horreur, qui est-ce qui pourra chanter des cantiques au Seigneur? Ceux qui s'y trouvent renfermés n'ont plus le pouvoir de rien faire. Il y aura là des tortures de genres différents: là se trouvent «le dragon que Dieu a formé pour se jouer de lui (6)»

1. Mt 35,40 - 2. Mt 35,41 - 3. Mt 8,12 - 4. Mc 9,43 - 5. Ps 6,6 - 6. Ps 103,26

Malheur à ceux parmi lesquels se trouve ce dragon dont le Sauveur a triomphé sur la croix, et qu'il a attaché, comme un passereau, à l'instrument de son supplice! Si, en ce monde, les hommes ne peuvent supporter le joug de sa domination, comment le supporteront ceux qui se trouveront avec lui? Alors ces maudits lui répondront: Seigneur, pourquoi nous avoir préparé de si grandes peines, des tortures si insupportables? Et il leur dira: En voici le motif: c'est à cause de votre méchanceté, de vos ruses, de votre malignité, de votre avarice, de vos fautes, de vos injustices, de vos larcins, de vos mensonges, de vos insultes, de votre cupidité, de vos homicides et adultères, de vos colères, de vos fornications, de votre orgueil, de votre vaine gloire, de votre méchanceté pour le prochain, de cette tristesse qui engendre la mort; c'est parce que vous n'avez pas reçu les pèlerins et que vous vous êtes réjouis du mal qui survenait à vos frères, et attristés de leur bonheur; c'est pour vos blasphèmes et vos murmures, votre paresse et votre gourmandise, votre incontinence de parole et d'action, votre vaine gloire et vos bouffonneries, votre impudicité et votre colère.

3. Pour tous ces méfaits et autres semblables, les pécheurs et les impies iront au feu éternel; mais en raison de toutes leurs bonnes oeuvres que nous avons nominées et que nous avons omises, les justes iront dans la vie éternelle pendant les siècles des siècles (1). Ainsi soit-il.

1. Mt 25,46




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VINGT-HUITIÈME SERMON. SUR LES TRIBULATIONS ET LES MISÈRES DE CE MONDE.

ANALYSE. - 1. Notre époque n'est pas plus mauvaise que les précédentes. - 2. on le prouve par des exemples.- 3. et par l'expérience actuelle. - 4. Quels jours peut-on appeler bons?

1. Toutes les fois que nous éprouvons quelque tribulation ou quelque misère, nous. devons y voir un avertissement et une correction. Nos saints Livres eux-mêmes ne nous promettent pas, en effet, la paix, la sécurité et le repas: ils nous annoncent, au contraire, (569) des tribulations, des misères et des scandales. L'Evangile ne s'en tait pas: «Mais», dit-il, «celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé (1)». De quel bonheur l'homme a-t-il joui en cette vie, depuis le moment où notre premier père nous a mérité la mort et a reçu la malédiction de Dieu, malédiction dont le Seigneur Christ nous a délivrés? «Mes frères», dit l'Apôtre, «ne murmurez pas, comme quelques uns d'entre eux ont murmuré et ont trouvé la mort dans la morsure des serpents (2)». Aujourd'hui, mes frères, le genre humain est-il soumis à des épreuves inconnues jusqu'à nos jours, et que nos pères n'aient pas subies avant nous? Ou plutôt, souffrons-nous seulement ce que, au dire de l'histoire, ils ont souffert en leur temps? Et tu rencontres des hommes qui murmurent de l'époque actuelle! Quand est-ce que nos aïeux ont eu à se louer entièrement de leur existence? Hé quoi? Si l'on pouvait faire remonter ces hommes au temps de leurs pères, ils murmureraient encore. Parmi les siècles passés, lequel, à ton avis, a été bon? Ils t'apparaissent bons, parce que tu n'y as pas vécu. Aujourd'hui, pourtant, tu as échappé à la malédiction, tu crois au Fils de Dieu, tu es imbu et instruit de là doctrine renfermée dans nos saints Livres. Je m'étonne de te voir supposer qu'Adam ait passé une vie paisible: or, tes parents n'ont-ils pas hérité d'Adam? C'est bien à lui que Dieu a adressé ces paroles: «Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front; tu travailleras la terre d'où tu as été tiré, et elle te produira des ronces et des épines (3)». Il a mérité cette punition, il l'a reçue et ç'a été l'effet du juste jugement de Dieu.

2. Pourquoi donc t'imaginer que les temps anciens ont été meilleurs que le temps présent? Depuis le premier Adam jusqu'à l'Adam d'aujourd'hui, il y a eu travail et sueurs, ronces et épines. Il y a eu le déluge, des moments difficiles, des années de famine et de guerre, les annales de l'histoire en font mention; nous ne devons donc point prendre occasion des jours actuels, pour murmurer contre Dieu. Nos ancêtres ont vu jadis, et il y a de cela bien longtemps, de bien tristes choses: alors se vendait à poids d'or la tête d'un âne mort (4); on achetait à prix d'argent la fiente de pigeons (5); on vit même des femmes

1. Mt 10,22- 2. 1Co 10,10- 3. Gn 3,18-19- 4. 2R 2,25 - 5. 2R 2,25

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s'engager mutuellement à faire mourir leurs enfants pour les manger': lorsqu'elles furent arrivées à bout du premier, la mère du second ne consentit point à tuer le sien: la cause fut donc portée au tribunal du roi, et celui-ci se reconnut plutôt comme coupable que comme juge. Mais à quoi bon rappeler les guerres et la famine de ce temps-là? Qu'elles ont été terribles, les calamités d'alors! A en entendre le récit, à le lire, nous frémissons tous d'horreur. En réalité, n'est-ce point pour nous un motif de remercier Dieu, au lieu de nous plaindre de l'époque où nous vivons?

3. Quand le genre humain s'est-il trouvé à l'aise? En quel temps n'a-t-on pas vu régner la crainte et la douleur? Le monde a-t-il jamais joui d'une félicité durable? De trop vieilles misères n'ont-elles pas toujours été son partage? Si tu ne possèdes pas, tu brûles d'acquérir; et si tu possèdes, ne crains-tu point de perdre? et ce qu'il y a en cela de plus malheureux, c'est qu'en dépit de tes désirs et de tes craintes, tu te trouves bien. Tu vas épouser une femme: qu'elle soit mauvaise, elle fera ton supplice; qu'elle soit bonne, tu auras une peur incessante de la voir mourir. Avant de naître, les enfants sont une source de douleurs atroces; ils n'inspirent que des inquiétudes, une fois qu'ils sont nés. Qu'on est heureux à la naissance d'un enfant, et, toutefois, comme on redoute de le voir mourir et de le pleurer! Où rencontrer une existence à l'abri du malheur? La terre que nous habitons ne ressemble-t-elle pas à un immense navire? Ne sommes-nous pas, comme des nautonniers, ballottés au gré des flots, sans cesse exposés à perdre la vie, toujours battus par l'orage et la tempête, à chaque instant menacés du naufrage, et soupirant ardemment après le port; car ils ne sentent que trop qu'ils sont des passagers? Par conséquent, peut-on vraiment appeler bons des jours remplis d'incertitude, qui passent avec la rapidité de l'éclair, dont on peut dire qu'ils ont fini avant de commencer, et qu'ils ne viennent qu'afin de cesser d'être?

4. Donc, «où est l'homme qui souhaite vivre et désire voir des jours heureux? (2)» Pour ce bas monde, il n'y a, à vrai dire, ni vie, ni jours heureux. Les seuls jours de bonheur sont ceux de l'éternité. Ce sont des jours,

1. 2R 6,46 - 2. Ps 33,13

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et des jours sans fin; le Prophète l'a dit: «J'habiterai pendant toute la durée des jours éternels (1), parce qu'un jour passé dans votre demeure vaut mieux que mille jours (2)». Oui, un jour sans fin est. préférable à tous les autres. Voilà ce qu'il nous faut désirer: voilà ce qui nous est promis en termes ordinaires et se réalisera d'une manière ineffable. «Où est l'homme qui souhaite vivre?» On dit tous les jours: Vie et vie; mais pour celle-ci, de quoi s'agit-il? «Et désire voir des jours a heureux?» Tous les jours, on parle même d'heureux jours; et, si on les examine de près, il n'y en a plus. Tu as aujourd'hui passé une bonne journée, si tu as rencontré ton ami, et si cet ami consentait à rester avec toi, quelle bonne journée tu passerais! Après avoir rencontré son ami, l'homme ne se plaint-il pas d'avoir dû le quitter? Voilà comme est bon, pour toi, le jour qui te quitte

1. Ps 22,9 - 2. Ps 83,10

après t'avoir visité. J'ai passé de bonnes heures: où sont-elles? Ramène-les-moi. J'ai passé un moment agréable: tu t'en réjouis; plains-toi plutôt de ce qu'il n'est plus. «Quel est l'homme qui souhaite vivre et désire voir des jours heureux?» Et tous de s'écrier Moi! Mais ce ne sera qu'après cette vie, après les jours présents. Il nous faut donc attendre; mais que nous recommande-t-on de faire pour parvenir à ce que l'avenir seul peut nous procurer? Que ferai-je dans cette vie telle quelle, pour arriver à la vie et voir des jours heureux? Ce que dit ensuite le Psalmiste: «Préserve ta langue de la calomnie et tes lèvres des discours artificieux; éloigne-toi du mal et pratique le bien (1)». Fais ce qui est commandé, et tu recevras ce qui est promis. S'il y a des efforts à t'imposer et que tu aies peur de la peine, que, du moins, l'éclat de la récompense te ranime!

1. Ps 33,14-15





Augustin, Sermons 4023