Compendium Doctrine sociale 444

b) La personnalité juridique du Saint-Siège


444 Le Saint-Siège — ou Siège Apostolique 923 — est un sujet international à plein titre en tant qu'autorité souveraine qui réalise des actes qui lui sont juridiquement propres. Il exerce une souveraineté externe, reconnue dans le cadre de la Communauté internationale, qui reflète la souveraineté exercée à l'intérieur de l'Église et qui est caractérisée par son unité d'organisation et par son indépendance. L'Église se prévaut des modalités juridiques qu'elle considère comme nécessaires ou utiles à l'accomplissement de sa mission.

L'activité internationale du Saint-Siège se manifeste objectivement sous différents aspects, notamment: le droit de légation actif et passif; l'exercice du “ius contrahendi”, avec la stipulation de traités; la participation à des organisations inter-gouvernementales, par exemple celles qui appartiennent au système des Nations Unies; les initiatives de médiation en cas de conflits. Cette activité entend offrir un service désintéressé à la Communauté internationale, car elle ne cherche pas d'avantages partisans, mais se fixe pour but le bien commun de la famille humaine tout entière. Dans ce contexte, le Saint-Siège se prévaut en particulier de son propre personnel diplomatique.


445 Le service diplomatique du Saint-Siège, fruit d'une pratique ancienne et consolidée, est un instrument qui oeuvre non seulement pour la “libertas ecclesiae”, mais aussi pour la défense et la promotion de la dignité humaine, ainsi que pour un ordre social basé sur les valeurs de la justice, de la vérité, de la liberté et de l'amour: « En vertu du droit inhérent à Notre fonction spirituelle et à la faveur, au long des siècles, de certains événements historiques, Nous avons envoyé Nos représentants auprès des autorités suprêmes des États où l'Église catholique est en quelque sorte enracinée ou du moins présente d'une certaine manière. On ne peut certes nier que les fins poursuivies par l'Église et par les États ne soient pas du même ordre et que l'Église et l'État, chacun dans son ordre, soient des sociétés parfaites, ayant par conséquent leurs droits, leurs moyens et leurs lois propres, chacun dans le domaine de sa compétence. Mais l'un et l'autre doivent aussi se préoccuper du bien de celui qui est leur sujet commun: l'homme, appelé par Dieu au salut éternel et se trouvant en ce monde pour, avec l'aide de la grâce divine, gagner ce salut par son action, laquelle tend également à sa propre prospérité et à celle de ses semblables, dans une vie commune pacifique ».924 Le bien des personnes et des communautés humaines est encouragé par un dialogue structuré entre l'Église et les autorités civiles, qui trouve aussi une expression dans la stipulation d'accords mutuels. Ce dialogue tend à établir ou à renforcer des rapports de compréhension et de collaboration mutuelles, ainsi qu'à prévenir ou à résoudre d'éventuels désaccords, avec pour objectif de contribuer au progrès de chaque peuple et de toute l'humanité dans la justice et dans la paix.

IV. LA COOPÉRATION INTERNATIONALE


POUR LE DÉVELOPPEMENT


a) Collaboration pour garantir le droit au développement


446 La solution du problème du développement requiert la coopération entre les différentes communautés politiques. Celles-ci « se conditionnent réciproquement, et on peut affirmer que chacune se développe en contribuant au développement des autres. Par suite entente et collaboration s'imposent entre elles ».925 Le sous-développement semble une situation impossible à éliminer, presque une condamnation fatale, si l'on considère le fait qu'il n'est pas seulement le fruit de choix humains erronés, mais aussi le résultat de « mécanismeséconomiques, financiers et sociaux » 926 et de « structures de péché » 927 qui empêchent le plein développement des hommes et des peuples.

Ces difficultés doivent cependant être affrontées avec une détermination ferme et persévérante, car le développement n'est pas seulement une aspiration, mais un droit 928 qui, comme tout droit, implique une obligation: « La collaboration au développement de tout l'homme et de tout homme est en effet un devoir de tous envers tous, et elle doit en même temps être commune aux quatre parties du monde: Est et Ouest, Nord et Sud ».929 Dans la vision du Magistère, le droit au développement se fonde sur les principes suivants: unité d'origine et communauté de destin de la famille humaine; égalité entre toutes les personnes et entre toutes les communautés basée sur la dignité humaine; destination universelle des biens de la terre; intégralité de la notion de développement, caractère central de la personne humaine; et solidarité.


447 La doctrine sociale encourage des formes de coopération capables de favoriser l'accès au marché international de la part des pays marqués par la pauvreté et le sous-développement: « Il n'y a pas très longtemps, on soutenait que le développement supposait, pour les pays les plus pauvres, qu'ils restent isolés du marché mondial et ne comptent que sur leurs propres forces. L'expérience de ces dernières années a montré que les pays qui se sont exclus des échanges généraux de l'activité économique sur le plan international ont connu la stagnation et la régression, et que le développement a bénéficié aux pays qui ont réussi à y entrer. Il semble donc que le problème essentiel soit d'obtenir un accès équitable au marché international, fondé non sur le principe unilatéral de l'exploitation des ressources naturelles, mais sur la valorisation des ressources humaines ».930 Parmi les causes qui concourent le plus à déterminer le sous-développement et la pauvreté, en plus de l'impossibilité d'accéder au marché international,931 il faut mentionner l'analphabétisme, l'insécurité alimentaire, l'absence de structures et de services, le manque de mesures pour garantir l'assistance sanitaire de base, le manque d'eau potable, la corruption, la précarité des institutions et de la vie politique elle-même. Il existe un lien, dans de nombreux pays, entre la pauvreté et le manque de liberté, de possibilités d'initiative économique, d'administration de l'État capable de mettre en place un système approprié d'éducation et d'information.


448 L'esprit de la coopération internationale requiert qu'au-dessus de la logique étroite du marché, il y ait la conscience d'un devoir de solidarité, de justice sociale et de charité universelle; 932 de fait, il existe « un certain dû à l'homme parce qu'il est homme, en raison de son éminente dignité ».933 La coopération est la voie que la Communauté internationale dans son ensemble doit s'engager à parcourir « en fonction d'une juste conception du bien commun de la famille humaine tout entière ».934 Il en découlera des effets très positifs, comme par exemple un accroissement de la confiance dans les potentialités des personnes pauvres et donc des pays pauvres et une juste répartition des biens.

b) Lutte contre la pauvreté


449 Au début du nouveau millénaire, la pauvreté de milliards d'hommes et de femmes est la « question qui, plus que toute autre, interpelle notre conscience humaine et chrétienne ».935 La pauvreté pose un dramatique problème de justice: la pauvreté, sous ses différentes formes et conséquences, se caractérise par une croissance inégale et ne reconnaît pas à chaque peuple « le même droit à “s'asseoir à la table du festin” ».936 Cette pauvreté rend impossible la réalisation de l'humanisme plénier que l'Église souhaite et poursuit, afin que les personnes et les peuples puissent « être plus » 937 et vivre dans « des conditions plus humaines ».938

La lutte contre la pauvreté trouve une forte motivation dans l'option — ou amour préférentiel — de l'Église pour les pauvres.939 Dans tout son enseignement social, l'Église ne se lasse pas de rappeler aussi certains autres de ses principes fondamentaux: le premier d'entre eux est ladestination universelle des biens.940 En réaffirmant constamment le principe de la solidarité, la doctrine sociale incite à passer à l'action pour promouvoir « le bien de tous et de chacun parce que tous nous sommes vraiment responsables de tous ».941 Le principe de la solidarité, notamment dans la lutte contre la pauvreté, doit toujours être opportunément associé à celui de la subsidiarité, grâce auquel il est possible de stimuler l'esprit d'initiative, base fondamentale de tout développement socio-économique, dans les pays pauvres eux-mêmes: 942 il faut porter attention aux pauvres « non comme à un problème, mais comme à des personnes qui peuvent devenir sujets et protagonistes d'un avenir nouveau et plus humain pour tous ».943

c) La dette extérieure


450 Dans les questions liées à la crise de l'endettement de nombreux pays pauvres,944 il faut avoir présent à l'esprit le droit au développement. À l'origine de cette crise se trouvent des causes complexes et de différentes sortes, tant au niveau international — fluctuation des changes, spéculations financières, néocolonialisme économique — qu'à l'intérieur des différents pays endettés — corruption, mauvaise gestion de l'argent public, utilisation non conforme des prêts reçus. Les plus grandes souffrances, qui se rattachent à des questions structurelles mais aussi à des comportements personnels, frappent les populations des pays endettés et pauvres, qui n'ont aucune responsabilité. La communauté internationale ne peut pas négliger une telle situation: tout en réaffirmant le principe que la dette contractée doit être remboursée, il faut trouver des voies pour ne pas compromettre le « droit fondamental des peuples à leur subsistance et à leur progrès ».945

DIXIÈME CHAPITRE


SAUVEGARDER L'ENVIRONNEMENT


I. ASPECTS BIBLIQUES



451 L'expérience vive de la présence divine dans l'histoire est le fondement de la foi du peuple de Dieu: « Nous étions esclaves de Pharaon en Égypte et le Seigneur nous a fait sortir d'Égypte par sa main puissante » (Dt 6,21). La réflexion sur l'histoire permet de résumer le passé et de découvrir l'oeuvre de Dieu jusque dans ses propres racines: « Mon père était un Araméen errant » (Dt 26,5); un Dieu qui peut dire à son peuple: « Je pris votre père Abraham d'au-delà du Fleuve » (Jos 24,3). C'est une réflexion qui permet de se tourner avec confiance vers l'avenir, grâce à la promesse et à l'alliance que Dieu renouvelle continuellement.

La foi d'Israël vit dans le temps et dans l'espace de ce monde, perçu non pas comme un milieu hostile ou comme un mal dont il faut se libérer, mais plutôt comme le don même de Dieu, le lieu et le projet qu'il confie à la conduite responsable et au travail de l'homme. La nature, oeuvre de l'action créatrice divine, n'est pas une concurrente dangereuse. Dieu, qui a fait toutes choses, pour chacune d'elle « vit que cela était bon » (Gn 1,4 Gn 1,10 Gn 1,12 Gn 1,18 Gn 1,21 Gn 1,25). Au sommet de sa création, comme quelque chose de « très bon » (Gn 1,31), le Créateur place l'homme. Seuls l'homme et la femme, parmi toutes les créatures, ont été voulus par Dieu « à son image » (Gn 1,27): c'est à eux que le Seigneur confie la responsabilité de toute la création, la tâche de prendre soin de son harmonie et de son développement (cf. Gn Gn 1,26-30). Le lien spécial du couple humain avec Dieu explique sa position privilégiée dans l'ordre de la création.


452 La relation de l'homme avec le monde est un élément constitutif de l'identité humaine. Il s'agit d'une relation qui naît comme fruit du rapport, encore plus profond, de l'homme avec Dieu. Le Seigneur a voulu que la personne humaine soit son interlocutrice: ce n'est que dans le dialogue avec Dieu que la créature humaine trouve sa propre vérité, dont il tire inspiration et normes pour projeter le futur du monde, un jardin que Dieu lui a donné à cultiver et à garder (cf. Gn 2,15). Même le péché n'élimine pas cette tâche, bien que grevant de douleur et de souffrance la noblesse du travail (cf. Gn Gn 3,17-19).

La création est toujours objet de la louange dans la prière d'Israël: « Que tes oeuvres sont grandes, Seigneur! Tu les fis toutes avec sagesse » (Ps 104,24). Le salut est compris comme une nouvelle création, qui rétablit l'harmonie et la potentialité de croissance que le péché a compromis: « Je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle » (Is 65,17) — dit le Seigneur — pour « que le désert devienne un verger (...) et la justice habitera le verger. (...) Mon peuple habitera dans un séjour de paix » (Is 32,15-18).


453 Le salut définitif, que Dieu offre à toute l'humanité par son propre Fils, ne s'accomplit pas en dehors de ce monde. Bien que blessé par le péché, il est destiné à connaître une purification radicale (cf. 2P 3,10) dont il sortira renouvelé (cf. Is Is 65,17 Is 66,22 Ap Ap 21,1), en devenant finalement le lieu où « la justice habitera » (cf. 2P 3,13).

Dans son ministère public, Jésus met en valeur les éléments naturels. Il est non seulement un savant interprète de la nature à travers les images qu'il aime en offrir et les paraboles, mais il est aussi celui qui la domine (cf. l'épisode de la tempête apaisée en Mt 14, 22-33; Mc Mc 6,45-52 Lc Lc 8,22-25 Jn Jn 6,16-21): le Seigneur la met au service de son dessein rédempteur. Il demande à ses disciples de considérer les choses, les saisons et les hommes avec la confiance des fils qui savent ne pas pouvoir être abandonnés par un Père prévoyant (cf. Lc Lc 11,11-13). Loin de se faire esclave des choses, le disciple du Christ doit savoir s'en servir pour créer le partage et la fraternité (cf. Lc Lc 16,9-13).


454 Le point culminant de l''entrée de Jésus-Christ dans l'histoire du monde est la Pâque, où la nature même participe au drame du Fils de Dieu rejeté et à la victoire de la Résurrection(cf. Mt Mt 27,45 Mt Mt 27,51 Mt 28,2). Traversant la mort et y greffant la nouveauté resplendissante de la Résurrection, Jésus inaugure un monde nouveau où tout lui est soumis (cf. 1Co 15,20-28) et rétablit les rapports d'ordre et d'harmonie que le péché avait détruits. La conscience des déséquilibres entre l'homme et la nature doit s'accompagner de la conscience qu'en Jésus la réconciliation de l'homme et du monde avec Dieu s'est réalisée, de sorte que tout être humain, connaissant l'amour divin, peut retrouver la paix perdue: « Si donc quelqu'un est dans le Christ, c'est une création nouvelle: l'être ancien a disparu, un être nouveau est là » (2Co 5,17). La nature, qui a été créée dans le Verbe, est réconciliée avec Dieu et pacifiée par ce même Verbe qui s'est fait chair (cf. Col Col 1,15-20).


455 Non seulement l'intériorité de l'homme est assainie, mais toute sa corporéité est touchée par la force rédemptrice du Christ; la création tout entière prend part au renouveau qui jaillit de la Pâque du Seigneur, bien que dans les gémissements des douleurs de l'enfantement (cf. Rm 8,19-23), en attendant que voient le jour « un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Ap 21,1), don de la fin des temps, du salut achevé. Entre-temps, rien n'est étranger à ce salut: dans n'importe quelle condition de vie, le chrétien est appelé à servir le Christ, à vivre selon son Esprit, en se laissant guider par l'amour, principe d'une vie nouvelle, qui rapporte le monde et l'homme au projet de leurs origines: « Soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit le présent, soit l'avenir: tout est à vous; mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » (1Co 3,22-23).

II. L'HOMME ET L'UNIVERS DES CHOSES



456 La vision biblique inspire les comportements des chrétiens en ce qui concerne l'utilisation de la terre, ainsi que le développement de la science et de la technique. Le Concile Vatican II affirme: « Participant à la lumière de l'intelligence divine, l'homme a raison de penser que, par sa propre intelligence, il dépasse l'univers des choses ».946 Les Pères conciliaires reconnaissent les progrès accomplis grâce à l'application inlassable, au long des siècles, du génie humain dans les sciences empiriques, dans les arts techniques et dans les disciplines libérales.947 « Aujourd'hui, aidé par la science et la technique, l'homme a étendu sa maîtrise sur presque toute la nature, et il ne cesse de l'étendre ».948

Puisque l'homme, « créé à l'image de Dieu, a en effet reçu la mission de soumettre la terre et tout ce qu'elle contient, de gouverner le cosmos en sainteté et justice et, en reconnaissant Dieu comme Créateur de toutes choses, de Lui référer son être ainsi que l'univers: en sorte que, tout étant soumis à l'homme, le nom même de Dieu soit glorifié par toute la terre », le Concile enseigne que « l'activité humaine, individuelle et collective, ce gigantesque effort par lequel les hommes, tout au long des siècles, s'acharnent à améliorer leurs conditions de vie, correspond au dessein de Dieu ».949


457 En soi, les résultats de la science et de la technique sont positifs: « Loin d'opposer les conquêtes du génie et du courage de l'homme à la puissance de Dieu et de considérer la créature raisonnable comme une sorte de rivale du Créateur, les chrétiens sont au contraire bien persuadés que les victoires du genre humain sont un signe de la grandeur divine et une conséquence de son dessein ineffable ».950 Les Pères conciliaires soulignent également le fait que « plus grandit le pouvoir de l'homme, plus s'élargit le champ de ses responsabilités, personnelles et communautaires »,951 et que chaque activité humaine doit correspondre, selon le dessein de Dieu et sa volonté, au vrai bien de l'humanité.952 Dans cette perspective, le Magistère a plusieurs fois souligné que l'Église catholique ne s'oppose en aucune façon au progrès; 953 au contraire, elle considère que « la science et la technologie sont un merveilleux produit du don divin de la créativité humaine; en effet elles nous ont apporté d'extraordinaires possibilités et nous en avons tous bénéficié d'un coeur reconnaissant ».954 C'est la raison pour laquelle, « Comme croyants en Dieu, qui a jugé bonne la nature qu'il a créée, nous bénéficions des progrès techniques et économiques que l'homme, par son intelligence, parvient à réaliser ».955


458 Les considérations du Magistère sur la science et sur la technologie en général sont également valables pour leurs applications au milieu naturel et à l'agriculture. L'Église apprécie « les avantages qui résultent — et qui peuvent résulter encore — de l'étude et des applications de la biologie moléculaire, complétée par d'autres disciplines comme la génétique et son application technologique dans l'agriculture et dans l'industrie ».956 En effet, « la technique correctement appliquée pourrait constituer un précieux instrument pour résoudre de graves problèmes, à commencer par ceux de la faim et de la maladie, grâce à la production de variétés de plantes améliorées, plus résistantes, et à la fabrication de précieux médicaments ».957Toutefois, il est important de réaffirmer le concept de « juste application », car « nous savons que ce potentiel n'est pas indifférent: il peut être utilisé pour le bien de l'homme comme pour son avilissement ».958 Voilà pourquoi, « il est (...) nécessaire de conserver une attitude de prudence et d'être très attentifs à la nature, aux finalités et aux styles des diverses formes de technologie appliquée ».959 Que les hommes et femmes de science « utilisent vraiment leurs recherches et leur habilité technique au service de l'humanité »,960 en sachant les subordonner « aux principes et valeurs d'ordre moral qui respectent et réalisent la dignité de l'homme dans toute sa plénitude ».961


459 Le point central de référence pour toute application scientifique et technique est le respect de l'homme, qui doit s'accompagner d'une attitude obligatoire de respect à l'égard des autres créatures vivantes. Même lorsque l'on pense à leur altération, « il faut (...) tenir compte de lanature de chaque être et de ses liens mutuels dans un système ordonné ».962 En ce sens, les formidables possibilités de la recherche biologique suscitent une profonde inquiétude, dans la mesure où « on n'est peut-être pas encore en mesure d'évaluer les troubles provoqués dans la nature par des manipulations génétiques menées sans discernement et par le développement inconsidéré d'espèces nouvelles de plantes et de nouvelles formes de vie animale, pour ne rien dire des interventions inacceptables à l'origine même de la vie humaine ».963 De fait, « on a (...) constaté que l'application de certaines découvertes dans le cadre industriel et agricole produit, à long terme, des effets négatifs. Cela a mis crûment en relief le fait que pour aucune intervention dans un domaine de l'écosystème on ne peut se dispenser de prendre en considération ses conséquences dans d'autres domaines et, en général, pour le bien-être des générations à venir».964


460 L'homme ne doit donc pas oublier que « sa capacité de transformer et en un sens de créer le monde par son travail (...) s'accomplit toujours à partir du premier don originel des choses fait par Dieu ».965 Il ne doit pas « disposer arbitrairement de la terre, en la soumettant sans mesure à sa volonté, comme si elle n'avait pas une forme et une destination antérieures que Dieu lui a données, que l'homme peut développer mais qu'il ne doit pas trahir ».966 Quand il se comporte de la sorte, « au lieu de remplir son rôle de collaborateur de Dieu dans l'oeuvre de la création, l'homme se substitue à Dieu et, ainsi, finit par provoquer la révolte de la nature, plus tyrannisée que gouvernée par lui ».967

Si l'homme intervient sur la nature sans en abuser et sans la détériorer, on peut dire qu'il « intervient non pour modifier la nature mais pour l'aider à s'épanouir dans sa ligne, celle de la création, celle voulue par Dieu. En travaillant dans ce domaine, évidemment délicat, le chercheur adhère au dessein de Dieu. Dieu a voulu que l'homme soit le roi de la création ».968 Au fond, c'est Dieu lui-même qui offre à l'homme l'honneur de coopérer avec toutes les forces de l'intelligence à l'oeuvre de la création.

III. LA CRISE DANS LE RAPPORT


ENTRE L'HOMME ET L'ENVIRONNEMENT



461 Le message biblique et le Magistère ecclésial constituent les points de référence essentiels pour évaluer les problèmes qui se posent dans les rapports entre l'homme et l'environnement.969 Aux origines de ces problèmes, on peut percevoir la prétention de l'homme à exercer une domination inconditionnée sur les choses; un homme peu soucieux des considérations d'ordre moral qui doivent pourtant caractériser toute activité humaine.

La tendance à l'exploitation « inconsidérée » 970 des ressources de la création est le résultat d'un long processus historique et culturel: « L'époque moderne a enregistré une capacité croissante de l'homme à intervenir pour transformer. L'aspect de conquête et d'exploitation des ressources est devenu prédominant et envahissant, et il est même parvenu aujourd'hui à menacer la capacité hospitalière de l'environnement: l'environnement comme “ressource” risque de menacer l'environnement comme “maison”. À cause des puissants moyens de transformation offerts par la civilisation technologique, il semble parfois que l'équilibre homme- environnement ait atteint un seuil critique ».971


462 La nature apparaît comme un instrument aux mains de l'homme, une réalité qu'il doit constamment manipuler, en particulier par le biais de la technologie. À partir du présupposé, qui s'est révélé erroné, qu'il existe une quantité illimitée d'énergie et de ressources à utiliser, que leur régénération est possible dans l'immédiat et que les effets négatifs des manipulations de l'ordre naturel peuvent être facilement absorbés, une conception réductrice s'est répandue, qui lit le monde naturel en termes mécanistes et le développement en termes de consommation; la primauté attribuée au faire et à l'avoir plutôt qu'à l'être entraîne de graves formes d'aliénation humaine.972

Une telle attitude ne dérive pas de la recherche scientifique et technologique, mais d'une idéologie scientiste et technocratique qui tend à la conditionner. La science et la technique, avec leur progrès, n'éliminent pas le besoin de transcendance et ne sont pas en soi la cause de la sécularisation exaspérée qui conduit au nihilisme; en allant de l'avant, elles suscitent des questions sur leur sens et font grandir la nécessité de respecter la dimension transcendante de la personne humaine et de la création elle-même.


463 Une conception correcte de l'environnement ne peut pas, d'une part, réduire de manière utilitariste la nature à un simple objet de manipulation et d'exploitation, et elle ne doit pas, d'autre part, l'absolutiser et la faire prévaloir sur la personne humaine au plan de la dignité.Dans ce dernier cas, on en arrive à diviniser la nature ou la terre, comme on peut facilement le constater dans certains mouvements écologiques qui demandent de donner à leurs conceptions un aspect institutionnel internationalement garanti.973

Le Magistère a motivé son opposition à une conception de l'environnement s'inspirant de l'écocentrisme et du biocentrisme, car celle-ci « se propose d'éliminer la différence ontologique et axiologique entre l'homme et les autres êtres vivants, en considérant la biosphère comme une unité biotique de valeur indifférenciée. On en vient ainsi à éliminer la responsabilité supérieure de l'homme en faveur d'une considération égalitariste de la “dignité” de tous les êtres vivants ».974


464 Une vision de l'homme et des choses sans aucune référence à la transcendance a conduit à réfuter le concept de création et à attribuer à l'homme et à la nature une existencecomplètement autonome. Le lien qui unit le monde à Dieu a ainsi été brisé: cette rupture a fini par déraciner aussi l'homme de la terre et, plus fondamentalement, en a appauvri l'identité même. L'être humain en est ainsi venu à se considérer comme étranger au milieu environnemental dans lequel il vit. La conséquence qui en découle est bien claire: « C'est le rapport que l'homme a avec Dieu qui détermine le rapport de l'homme avec ses semblables et avec son environnement. Voilà pourquoi la culture chrétienne a toujours reconnu dans les créatures qui entourent l'homme autant de dons de Dieu à cultiver et à garder avec un sens de gratitude envers le Créateur. En particulier, les spiritualités bénédictine et franciscaine ont témoigné de cette sorte de parenté de l'homme avec toute la création, en alimentant en lui une attitude de respect envers chaque réalité du monde environnant ».975 Le lien profond qui existe entre écologie environnementale et «écologie humaine » 976 doit être davantage mis en relief.


465 Le Magistère souligne la responsabilité qui incombe à l'homme de préserver un environnement intègre et sain pour tous: 977 « Si l'humanité d'aujourd'hui parvient à conjuguer les nouvelles capacités scientifiques avec une forte dimension éthique, elle sera certainement en mesure de promouvoir l'environnement comme maison et comme ressource en faveur de l'homme et de tous les hommes, et elle sera capable d'éliminer les facteurs de pollution, d'assurer des conditions d'hygiène et de santé adéquates pour de petits groupes comme pour de vastes établissements humains. La technologie qui pollue peut aussi dépolluer, la production qui accumule peut distribuer équitablement, à condition que prévale l'éthique du respect pour la vie et la dignité de l'homme, pour les droits des générations humaines présentes et de celles à venir ».978

IV. UNE RESPONSABILITÉ COMMUNE


a) L'environnement, un bien collectif


466 La protection de l'environnement constitue un défi pour l'humanité tout entière: il s'agit du devoir, commun et universel, de respecter un bien collectif, 979 destiné à tous, en empêchant que l'on puisse « impunément faire usage des diverses catégories d'êtres, vivants ou inanimés — animaux, plantes, éléments naturels — comme on le veut, en fonction de ses propres besoins économiques ».980 C'est une responsabilité qui doit mûrir à partir de la globalité de la crise écologique actuelle et de la nécessité qui s'ensuit de l'affronter globalement, dans la mesure où tous les êtres dépendent les uns des autres dans l'ordre universel établi par le Créateur: « Il faut (...) tenir compte de la nature de chaque être et de ses liens mutuels dans un système ordonné, qui est le cosmos ».981

Cette perspective revêt une importance particulière si l'on considère, dans le contexte des liens étroits qui unissent entre eux les différents écosystèmes, la valeur environnementale de la biodiversité, qui doit être traitée avec un sens de responsabilité et protégée de manière appropriée, car elle constitue une richesse extraordinaire pour l'humanité tout entière. À ce propos, chacun peut aisément saisir, par exemple, l'importance de la région amazonienne, « l'un des espaces naturels les plus appréciés dans le monde pour sa diversité biologique, ce qui le rend vital pour l'équilibre environnemental de toute la planète ».982 Les forêts contribuent à maintenir des équilibres naturels essentiels indispensables à la vie.983 Leur destruction, notamment par des incendies criminels inconsidérés, accélère les processus de désertification, avec des conséquences dangereuses pour les réserves d'eau, et compromet la vie de nombreux peuples indigènes et le bien-être des générations à venir. Tous, individus et sujets institutionnels, doivent se sentir engagés dans la protection du patrimoine forestier et, là où cela est nécessaire, promouvoir des programmes adéquats de reboisement.


467 La responsabilité à l'égard de l'environnement, patrimoine commun du genre humain, s'étend non seulement aux exigences du présent, mais aussi à celles du futur: « Héritiers des générations passées et bénéficiaires du travail de nos contemporains, nous avons des obligations envers tous, et nous ne pouvons nous désintéresser de ceux qui viendront agrandir après nous le cercle de la famille humaine. La solidarité universelle qui est un fait, et un bénéfice pour nous, est aussi un devoir ».984 Il s'agit d'une responsabilité que les générations présentes ont envers les générations à venir,985 une responsabilité qui appartient aussi aux États individuellement et à la Communauté internationale.


468 La responsabilité à l'égard de l'environnement doit trouver une traduction adéquate au niveau juridique. Il est important que la Communauté internationale élabore des règles uniformes, afin que cette réglementation permette aux États de contrôler avec davantage d'efficacité les diverses activités qui déterminent des effets négatifs sur l'environnement et de préserver les écosystèmes en prévenant de possibles accidents: « Chaque État, dans son propre territoire, a le devoir de prévenir la dégradation de l'atmosphère et de la biosphère, notamment par un contrôle attentif des effets produits par les nouvelles découvertes technologiques ou scientifiques, et en protégeant ses concitoyens contre le risque d'être exposés à des agents polluants ou à des déchets toxiques ».986

Le contenu juridique du « droit à un environnement naturel, sain et sûr » 987 sera le fruit d'une élaboration graduelle, sollicitée par la préoccupation de l'opinion publique de discipliner l'usage des biens de la création selon les exigences du bien commun, dans une commune volonté d'introduire des sanctions pour ceux qui polluent. Toutefois, les normes juridiques ne suffisent pas à elles seules; 988 à côte d'elles doivent mûrir un sens fort de responsabilité, ainsi qu'un changement effectif dans les mentalités et dans les styles de vie.


469 Les autorités appelées à prendre des décisions pour faire face aux risques sanitaires et environnementaux se trouvent parfois face à des situations où les données scientifiques disponibles sont contradictoires ou quantitativement rares; il peut alors être opportun de faire une évaluation inspirée du « principe de précaution », qui ne comporte pas une règle à appliquer mais plutôt une orientation visant à gérer des situations d'incertitude. Ce principe manifeste l'exigence d'une décision provisoire et modifiable en fonction de nouvelles connaissances éventuellement acquises. La décision doit être proportionnelle aux mesures déjà appliquées pour d'autres risques. Les politiques conservatoires, basées sur le principe de précaution, exigent que les décisions soient fondées sur une confrontation entre les risques et les bénéfices envisageables pour tout choix alternatif possible, y compris la décision de ne pas intervenir. À l'approche de précaution est liée l'exigence d'encourager tous les efforts visant à acquérir des connaissances plus approfondies, tout en étant conscient que la science ne peut pas parvenir rapidement à des conclusions sur l'absence de risques. L'incertitude des circonstances et leur caractère provisoire rendent particulièrement importante la transparence dans le processus décisionnel.


470 La programmation du développement économique doit considérer attentivement « la nécessité de respecter l'intégrité et les rythmes de la nature »,989 car les ressources naturelles sont limitées et certaines ne sont pas renouvelables. Le rythme actuel d'exploitation compromet sérieusement la disponibilité de certaines ressources naturelles pour le présent et le futur.990 La solution du problème écologique exige que l'activité économique respecte davantage l'environnement, en conciliant les exigences du développement économique avec celles de la protection environnementale. Toute activité économique qui se prévaut des ressources naturelles doit aussi se soucier de la sauvegarde de l'environnement et en prévoir les coûts, lesquels sont à considérer « comme élément essentiel du coût (...) de l'activité économique ».991C'est dans ce contexte que doivent être considérés les rapports entre l'activité humaine et leschangements climatiques qui, étant donné leur extrême complexité, doivent être opportunément et constamment suivis aux niveaux scientifique, politique et juridique, national et international. Le climat est un bien qu'il faut protéger et il faut que, dans leurs comportements, les consommateurs et les agents d'activités industrielles développent un plus grand sens de responsabilité.992

Une économie respectueuse de l'environnement ne poursuivra pas seulement l'objectif de la maximalisation du profit, car la protection de l'environnement ne peut pas être assurée uniquement en fonction du calcul financier des coûts et des bénéfices. L'environnement fait partie de ces biens que les mécanismes du marché ne sont pas en mesure de défendre ou de promouvoir de façon adéquate.993 Tous les pays, en particulier les pays développés, doivent percevoir combien est urgente l'obligation de reconsidérer les modalités d'utilisation des biens naturels. La recherche d'innovations capables de réduire l'impact sur l'environnement provoqué par la production et la consommation devra être efficacement stimulée.

Il faudra que soit accordée une attention particulière aux questions complexes concernant lesressources énergétiques.994 Celles qui ne sont pas renouvelables, auxquelles puisent les pays hautement industrialisés et ceux de récente industrialisation, doivent être mises au service de toute l'humanité. Dans une perspective morale orientée vers l'équité et la solidarité entre les générations, il faudra également continuer, grâce à la contribution de la communauté scientifique, à identifier de nouvelles sources énergétiques, à développer les énergies alternatives et à élever les niveaux de sécurité de l'énergie nucléaire.995 De par les liens qu'elle entretient avec les questions du développement et de l'environnement, l'utilisation de l'énergie interpelle les responsabilités politiques des États, de la communauté internationale et des agents économiques; ces responsabilités devront être éclairées et guidées par la recherche continuelle du bien commun universel.


471 La relation que les peuples indigènes entretiennent avec leur terre et les ressources de celle-ci mérite une attention spéciale: il s'agit d'une expression fondamentale de leur identité.996 De nombreux peuples ont déjà perdu ou risquent de perdre, au profit de puissants intérêts agro- industriels ou en vertu de processus d'assimilation et d'urbanisation, les terres sur lesquelles ils vivent 997 et auxquelles est lié le sens même de leur existence.998 Les droits des peuples indigènes doivent être opportunément protégés.999 Ces peuples offrent un exemple de vie en harmonie avec l'environnement qu'ils ont appris à connaître et à préserver.1000 Leur expérience extraordinaire, qui constitue une richesse irremplaçable pour toute l'humanité, risque d'être perdue en même temps que l'environnement d'où elle tire son origine.


Compendium Doctrine sociale 444